Les séneçons

Inflorescences de séneçon commun

Séneçon commun (Senecio vulgaris)

Synonymes : séneçon des oiseaux, herbe à la chardonnerette, petit séneçon, toute-venue.

Séneçon jacobée (Senecio jacobaea)

Synonymes : herbe de saint Jacques, fleur de Jacob, herbe dorée.

Le premier à avoir évoqué un séneçon dans ses écrits n’est autre que l’un des élèves d’Aristote, à savoir Théophraste. Bien plus tard, Dioscoride n’accordera que quelques lignes de sa Materia medica à une plante de ce type qu’il appelle êrigerôn, un mot composé de êr, « printemps » et de gerôn, « vieillard », que le latin transformera en senex, un mot qui désigne la personne arrivée à un grand âge, lequel donnera bien sûr séneçon, non parce que le séneçon est une vieillerie antédiluvienne, non, simplement parce que ses capitules d’aigrettes ont évoqué à certains une tête chenue ou la barbe d’un patriarche. Bref, l’êrigerôn de Dioscoride est rafraîchissant, vulnéraire, sédatif des maux d’estomac trouvant leur origine dans un dysfonctionnement bilieux, enfin curatif des hémorroïdes. Son contemporain Pline l’Ancien, dithyrambique une fois de plus, en fait un remède hépatique, vésical, rénal et cardiaque, rien que ça ! Selon Pline, il était nécessaire de tracer un cercle autour de la plante avant de procéder à son arrachage, puis « on arrache l’erigeron et on touche trois fois la dent en crachant à chaque fois et si on remet la plante au même endroit de manière qu’elle reprenne, cette dent, dit-on, ne fera plus souffrir ». Voici un rituel qui aura surpris bon nombre de thérapeutes de l’époque moderne (XVIII-XX ème siècles), tant ils ignoraient que durant longtemps à la campagne, on procédait souvent au transfert du mal à la terre ou à un végétal. Par exemple, un autre de ces rituels consistait à recueillir un peu de la sanie d’un ulcère putride sur un morceau d’ouate ou de linge, et à l’enfoncer dans un trou aménagé grâce à une tarière dans le bois d’un arbre, après quoi l’on rebouchait le trou. Les arbres à clous présents un peu partout en France ne sont que les témoins modernes de ces anciennes pratiques issues de l’Antiquité.

Au Moyen-Âge, l’on trouve peu de traces au sujet du séneçon, mis à part chez Macer Floridus qui, au XI ème siècle, se réclame de l’Antiquité. Aussi ne serons-nous pas surpris de le voir citer Pline ! Il dit n’utiliser de son Senecion que ses feuilles et ses fleurs. Selon lui, c’est un cicatrisant et un remède efficace contre les gonflements anaux. Faut-il entendre là ce que nous appelons hémorroïdes ? Si tel est le cas, Macer a bien appris sa leçon. Il ajoute aussi une chose d’importance : « quelques médecins défendent d’en faire usage en boisson, parce que quelques auteurs affirment qu’elle peut suffoquer ceux qui en boivent » (1). Ceci est une donnée toxicologique cruciale que même Nicandre de Colophon n’aura pas relevée en son temps. Nous discuterons plus loin des risques encourus que soulève Macer Floridus.

Nous retrouvons beaucoup plus tardivement le séneçon entre les mains de Tabernaemontanus. Nous sommes en 1588. Il est clair qu’il a mis le doigt sur une propriété du séneçon que nous connaissons déjà : cette plante est cicatrisante sur plaie et ulcère, mais surtout, Tabernaemontanus met en avant la vertu hémostatique du séneçon. Ainsi remédie-t-on aux hémoptysies, crachements de sang et hémorragies utérines. Il est, à tout dire, si efficace sur ces affections que, durant la Première Guerre mondiale où l’on manquait à peu près de tout, le séneçon fut mis à l’honneur en remplacement de l’ergot de seigle provenant de Russie et alors introuvable, puisque le séneçon possède à peu de choses près les mêmes propriétés que le petit champignon parasite du seigle. Au XVII ème siècle, l’Allemand Schroder vantera les vertus du suc de séneçon mêlé à de la bière ou bien une décoction miellée de la plante. Il s’agit là de remèdes utiles contre les crachements de sang, les vomissements, les flueurs blanches, mais… aussi contre des maladies hépatiques comme la jaunisse. Et là, je place une seconde balise lumineuse : il existe en Europe pas loin de 50 séneçons qui ne se ressemblent pas tous. Connaissant le caractère violent des séneçons commun et jacobée sur la sphère hépatique, ceux-ci auraient plutôt tendance à provoquer la jaunisse plutôt qu’à la résoudre. D’où l’importance cruciale de l’arme indispensable à tout bon phytothérapeute : la botanique !
Poursuivons. Tournefort, en 1715, met en avant les propriétés émollientes, sédatives de la douleur et vermifuges du séneçon, avant que Boerhaave ne lui emboîte le pas, affirmant les pouvoirs guérisseurs du séneçon sur les inflammations de la gorge. Durant le XIX ème siècle, on ne sait pas trop, et quand l’on croit savoir, ça se crêpe le chignon. Nous assistons, une fois de plus, à une bataille rangée d’experts sur la manière dont le séneçon agit, ou n’agit pas aux dires de certains. Dans les années 1890, le séneçon est passé au crible. De ce tamisage, il ressortira les évidences suivantes qui rappellent, si besoin était, que le séneçon n’a pas volé ses lettres de noblesse à l’ergot de seigle : c’est un sédatif des douleurs menstruelles (qu’elles interviennent avant, pendant ou après les règles) et il provoque les menstruations en cas de dysménorrhée et d’aménorrhée fonctionnelle.

  • Le séneçon jacobée est une plante bisannuelle ou vivace à vie courte. Bien plus grande que le séneçon commun, elle dépasse généralement un mètre de hauteur. Elle se présente sous la forme d’une tige dressée, ramifiée et très feuillée. Les feuilles inférieures lyrées sont très découpées, alors que les feuilles supérieures non pétiolées dites « à oreillettes » embrassent la tige et sont divisées en segments dentés de longueur presque égale. Les capitules jaune d’or réunissent des inflorescences terminales peu denses de 15 à 25 mm de diamètre. Les ligules périphériques au nombre de 12 à 15 et les fleurs du centre tubulaires donnent aux inflorescences un faux air d’arnica, autre astéracée. La floraison s’étale de juin en novembre et donne lieu à deux types d’akènes : ceux du « disque » sont soyeux, ceux du pourtour glabres.
    Très commun en plaine comme en moyenne montagne sur terrains tels que prairies, bois, pentes sèches, prés humides, bordures de chemins, etc.
  • Le séneçon commun est une plante annuelle fréquente dans les jardins, les champs cultivés, les terres labourées, en bordures de chemins. On la rencontre dans la plupart des régions tempérées du globe. On peut dire que c’est une espèce cosmopolite « entraîné à la suite de l’homme par son goût pour les sols ammoniacaux » (2), d’où sa présence sur les décombres et aux abords des activités humaines.
    Sa tige dressée de 20 à 60 cm de hauteur est ramifiée vers le sommet et porte des feuilles épaisses plus ou moins découpées. En haut des tiges se déploient presque toute l’année de petits capitules de fleurs jaunes et tubuleuses qui donneront des groupes d’akènes en masses duveteuses, lesquels évoquent sans mal les fruits du pissenlit en plus petits.

Le séneçon jacobée

Les séneçons en phytothérapie

« Les séneçons fournissent un exemple typique de plantes réputées presque inertes […] qui se sont tout à coup révélées récemment si dangereusement énergiques qu’elles se voient bannies de la ‘pharmacie familiale’, écrivait Fournier dans les années 1940 (3). Nous voici prévenus ! Parmi les plantes à alcaloïdes pyrrolizidiniques, il se trouve que les séneçons sont les plus brutaux, et par conséquent toxiques, en particulier le séneçon jacobée. Aussi, comment expliquer qu’au XIX ème siècle Cazin raillait les propriétés anticonvulsivantes du séneçon avancées par Fenazzi en écrivant que « c’est de l’empirisme tout pur » (4) ? Comment, dans le même temps, concevoir que John Ray mentionne l’emploi de suc de séneçon pour les chevaux vermineux ? Peut-on imaginer que cette plante, consommée par vaches, chèvres, cochons et lapins, puisse seulement être dédaignée par les moutons ? Est-il possible que cette plante inodore, de saveur fade, tendant à l’acidité et à l’âcreté si elle est mâchée assez longtemps, puisse ne pas être la plante anodine dont les seules vertus se cantonneraient à un strict usage externe comme adoucissant, émollient et résolutif ? Seulement, du temps de Cazin, on ignorait l’existence de ces alcaloïdes au sein des séneçons, l’un d’entre eux, la sénecionine, n’ayant été isolé qu’en 1891. C’est sans aucun doute avec ébahissement qu’un toxicologue du XXI ème siècle prendrait connaissance du fait de faire pâturer le gros bétail parmi des pieds de séneçons que, bien entendu, il ne rechigne pas à brouter. Pourtant, en Europe, ces plantes sont responsables de l’intoxication de nombreux animaux : chevaux, bovins, etc. On constate chez les animaux en ayant consommé les troubles suivants : diarrhées, coliques, convulsions, cirrhose du foie, etc., les alcaloïdes présents dans la plante étant hépatotoxiques, comme ils peuvent l’être chez la consoude. Les premiers signes cliniques n’apparaissent malheureusement que plusieurs semaines ou plusieurs mois après première ingestion de la plante par l’animal. Aussi, le traitement de l’animal une fois les premiers symptômes reconnus est-il vain la plupart du temps, les cellules hépatiques étant déjà gravement endommagées. Lorsque les abeilles butinent des fleurs de séneçon, on retrouve une petite quantité d’alcaloïdes hépatotoxiques dans leur miel. De même, quand les vaches broutent du séneçon, c’est dans leur lait qu’on retrouve les mêmes alcaloïdes. Chez l’homme, l’intoxication est relativement moins fréquente bien que plusieurs décès ont été imputés au séneçon. L’usage s’en fera donc de façon parcimonieuse et certainement pas en auto-médication.

Il m’apparaissait important de mentionner tout cela dès l’entame de cette rubrique et non pas de le reléguer en fin d’article comme je le fais d’habitude.
De la sénecionine, donc. Cet alcaloïde est présent dans les deux séneçons aujourd’hui à l’étude. A l’état pur la sénecionine détermine la nécrose hépatique, augmentant la quantité de bilirubine impliquée dans des pathologies hépatiques lorsqu’elle est présente à des taux anormaux dans l’organisme. De même la sénecionine pure accroît le taux de prothrombine, une substance puissamment vasoconstrictrice dont le surdosage peut affecter le bon fonctionnement des artères. Ensuite, l’on rencontre dans nos deux plantes un autre alcaloïde du nom de sénécine, une substance résineuse appelée sénécin, d’autres substances moins problématiques comme tanin et inuline, enfin de nombreux sels minéraux et oligo-éléments (potassium, calcium, sodium, magnésium, chlore, silice). Nos deux séneçons sont loin d’être de banales plantes inertes.

Propriétés thérapeutiques

  • Emménagogue puissant, sédatif des menstruations douloureuses
  • Tonique veineux, hémostatique (5)
  • Expectorant
  • Anti-inflammatoire
  • Laxatif léger
  • Émollient, adoucissant
  • Résolutif, maturatif

Usages thérapeutiques

  • Troubles de la sphère gynécologique : aménorrhée, dysménorrhée, spasmes douloureux des règles. Le séneçon « réussit surtout chez les anémiques, chez les neuro-arthritiques, chez les malades atteintes de troubles intestinaux et hépatiques dont la fonction menstruelle, irrégulière ou insuffisante, donne si souvent lieu à des troubles congestifs, à des névralgies pelviennes et lombaires » (6). Refroidissement, émotion ou mélancolie venant perturber le bon déroulement des règles sont aussi justiciables de l’emploi du séneçon.
  • Troubles de la sphère gastro-intestinale : constipation, douleurs intestinales, dysenterie, dysenterie sanguinolente, colique, vomissement, vers intestinaux
  • Troubles de la sphère respiratoire : bronchite, angine, crachement de sang
  • Troubles de la sphère vésico-rénale : rétention d’urine, catarrhe vésical, lithiase
  • Affections cutanées : plaie, ulcère, panaris, eczéma, croûte de lait, piqûre d’insecte (guêpe), démangeaisons, gerçure des seins
  • Engorgement laiteux
  • Autres hémorragies : hémorroïdes, saignement de nez

Modes d’emploi (concernent uniquement les parties aériennes fleuries)

  • Suc frais
  • Poudre
  • Décoction
  • Cataplasme
  • Pommade

Précautions d’emploi, contre-indications, autres informations

  • Hormis ce que nous avons dit plus haut, tout au plus pouvons-nous ajouter que les séneçons, même à doses faibles, peuvent irriter la muqueuse génito-urinaire.
  • Récolte : presque toute l’année pour le séneçon commun, de juillet à septembre pour le séneçon jacobée.
  • Autres espèces : on en compte environ une trentaine pour la seule France métropolitaine parmi laquelle nous rencontrons le séneçon des bois (S. silvaticus), le séneçon cinéraire (S. cineraria), le séneçon doria (S. doria), le séneçon sarrasin (S. sarracenicus), le séneçon visqueux (S. viscosus), etc.
    _______________
    1. Macer Floridus, De viribus herbarum, p. 148
    2. Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 891
    3. Ibidem, pp. 890-891
    4. François-Joseph Cazin, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, p. 907
    5. La sénecionine « élève à petites doses la pression artérielle et affaiblit les contractions du cœur, tandis qu’à haute dose, elle contracte fortement les parois des vaisseaux et se montre ainsi hémostatique », Paul-Victor Fournier, Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, p. 893
    6. Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, p. 228

© Books of Dante – 2017

Les aigrettes plumeuses du séneçon commun

Laisser un commentaire