Alors comme ça, il n’est pas sympa, c’est une plaie, le ragondin. Il faut éradiquer ce nuisible qui fait rien qu’à bousiller nos berges et dévaster nos cultures. C’est pas faux… Mais la faute à qui ? Il n’avait rien demandé, le joli rongeur. Fallait pas l’inviter !

Dans cette affaire, on ne manque vraiment pas d’air. Le ragondin peut en effet répondre à notre détestation, comme mon neveu à sa maîtresse de maternelle, quand il se chamaille à la récré : « c’est pas moi qu’a commencé » (le petit a encore des lacunes en conjugaison).

Et c’est vrai, que c’est pas le ragondin le « commenceur ». Lui, il était peinard, dans son bled, en Amérique du sud. Il creusait tranquillou ses galeries dans les berges de là-bas et se gobergeait des délicieuses et abondantes nourritures du cru. Locavore avant l’heure, il ne se revendiquait même pas vegan pour se faire mousser en société. 

C’est nous, les chasseurs du « nuisible » d’aujourd’hui, qui sommes allés, hier, le chercher. Là-bas, tout là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique. Au début de XIXe siècle, on en a ramené plein, partout en Europe, pour en faire l’élevage. Juste parce que sa fourrure, épaisse et soyeuse, faisait de superbes manteaux et de seyants chapeaux. C’était beau et classe. Une jolie peau de ragondin sur le dos ou la tête, ça vous posait là, le monsieur ou la dame ! Mais ça n’a pas duré.

La crise de 1929 aidant, de nombreux éleveurs en faillite relâchèrent le bel animal dans notre jolie nature où, grâce à ses formidables capacités d’adaptation, il prospéra. Faisant sien son nouvel environnement, il apprivoisa aussi notre climat. Et il colonisa les bordures d’étangs, lacs, rivières et marais. Dans les années 60, la fermeture des derniers élevages donna un nouveau coup de pouce à « l’invasion » ragondine.

Et cette fois, cétait lui, le ragondin, qui se posait là. Rien moins que l’un des plus balèzes rongeurs de la planète pouvant atteindre un mètre de long et peser 10 kg. 

Raison de sa venue chez nous, son joli pelage brun foncé se prolonge d’une queue écailleuse parsemée de quelques poils. Ses longues moustaches blanches contrastent joliment avec ses incisives orange. On le reconnaît de loin, le bestiau.

Semi-aquatique, le ragondin squatte les bords de l’eau. Il y mange et y creuse ses terriers. Excellent nageurs aux pattes arrières palmées, c’est aussi un apnéiste confirmé. Plusieurs minutes durant il explore les fonds pour y trouver sa nourriture ou une chouette cachette en cas de danger. Exclusivement végétarien, il goutte toutes sortes de végétations, aussi bien aquatiques que terriennes : herbe, roseau, écorce de peuplier, iris et autres plantes d’eau ou de pleine terre. Et là où il pousse le bouffage trop loin, c’est qu’il kiffe aussi vergers, cultures maraîchères et céréales, au grand dam des jardiniers et des agriculteurs.

Mamelles latérales

Si l’on ajoute à son solide appétit sa formidable capacité à se reproduire, on ne s’étonne guère que l’animal migrant soit classé nuisible chez nous depuis plus d’une trentaine d’années. Dame ragondine peut en effet mettre bas deux à trois portées par an, soit élever jusqu’à 18 petits ! Et la nature l’a pourvue d’un système de nourrissage aussi original qu’efficace : quatre à cinq paires de mamelles implantées sur le côté du corps pour qu’elle continue à nager tout en allaitant ses petits goinfres à l’air libre. Des petiots nés « nuisibles »
de notre seul fait.

Morale de l’histoire ? Excepté lui payer un billet retour chez lui en classe affaires, on ne voit pas vraiment comment trouver une chute élégante à la triste histoire du ragondin. De son côté, par dérision, il peut la conclure d’un mot et d’un geste dans notre direction :
chapeau et pouce levé.