LIBRAIRIE DROZ
Ce travail est sous licence Creative
Commons Attribution - pas d’utilisation
commerciale - pas de modification 2.5 Suisse
License. Pour obtenir une copie de la licence
visitez http://creativecommons.org/licenses/
by-nc-nd/2.5/ch/ ou envoyez une lettre à
Creative Commons, PO Box 1866, Mountain
View, CA 94042, USA.
This work is licensed under the
Creative Commons Attribution - No
commercial use - No modification 2.5
Suisse License. To view a copy of this
license, visit http://creativecommons.org/
licenses/by-nc-nd/2.5/ch/ or send a letter
to Creative Commons, PO Box 1866,
Mountain View, CA 94042, USA.
Pour toutes informations supplémentaires,
merci de contacter l'éditeur : droits@droz.org
For any additional information, please
contact the publisher : rights@droz.org
11, rue Firmin Massot |1206 Genève-GE|0041 (0)22 346 66 66 (t)|0041(0)22 347 23 91(f)|
droz@droz.org – www.droz.org
Cahiers d’Humanisme et Renaissance
No 134
David CLAIVAZ
« OVIDE VEUT PARLER »
Les négociations de Clément Marot traducteur
DROZ
Le présent ouvrage découle de la thèse de doctorat approuvée par
la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg le 2 avril 2014.
Il est publié avec le soutien du Conseil de l’Université de Fribourg
et du Fonds national suisse de la recherche scientifique
dans le cadre du projet pilote OAPEN-CH.
www.droz.org
ISBN : 978-2-600-04709-8
ISBN PDF : 978-2-600-14709-5
ISBN EPUB : 978-2-600-34709-9
ISSN : 1422-5581
This work is licensed under the Creative Commons Attribution
No commercial use - No modification 2.5 Suisse License.
To view a copy of this license,
visit http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.5/ch/
or send a letter to Creative Commons, PO Box 1866, Mountain View, CA 94042, USA.
© 2016 by Librairie Droz S.A., 11, rue Firmin-Massot, Genève.
Ore legar populi perque omnia secula fama,
Siquid habent ueri uatum preasagia : uiuam.
On me lira de siècle en siècle, et s’il est vrai
Qu’un poète peut voir l’avenir, je vivrai.
Publius Ovidius Naso
Metamorphoseon, Liber XV 1
Ménard, je me rappelle, déclarait que blâmer et
faire l’éloge sont des opérations sentimentales qui
n’ont rien à voir avec la critique.
Jorge Luis Borges 2
It is a capital mistake to theorize before one has
data. Insensibly one begins to twist facts to suit
theories, instead of theories to suit facts.
Sherlock Holmes 3
1
2
3
Ovide, Les Métamorphoses, éd. Georges Lafaye, trad. Olivier Sers, Paris, Les
Belles Lettres, 2009, p. 754-755.
Jorge Luis Borges, « Pierre Ménard, auteur du Quichotte », Fictions, Paris,
Gallimard, 1983, p. 43.
Arthur Conan Doyle, « A scandal in Bohemia », The Complete Sherlock
Holmes, TheCompleteWorksCollection (Kindle Store), 2012, location 4260.
A ma famille
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier en premier le professeur Thomas Hunkeler
de l’Université de Fribourg pour le soutien et l’attention dont il
a fait preuve à toutes les étapes de ma recherche. J’ai été à la fois
touché et impressionné par la densité, la chaleur et la simplicité
qu’il a su donner à nos échanges, à chacune de nos rencontres.
Je suis tout spécialement reconnaissant à Mme Simone de
Reyff : présente littéralement au premier jour de mes études à
l’université de Fribourg, elle m’a accompagné jusqu’à leur terme
actuel, avec un passage inoubliable par Oxford. Je m’incline
devant sa passion du texte qui n’a d’égal que sa générosité.
Je salue la mémoire du professeur Giraud qui a mis à ma disposition sa bibliothèque personnelle, ainsi qu’un volumineux
fonds documentaire composé de nombreux numéros de la RHLF
et de la BHR. Je lui dois également d’avoir pu publier les deux
premières étapes de mon cheminement marotique.
J’aimerais dire aussi à quel point je suis privilégié d’avoir pu
bénéficier d’enseignements de haute tenue. Il y eut d’abord le
Troisième Cycle de linguistique BENEFRI sous la direction de
Marie-José Béguelin, Alain Berrendonner et Marc Bonhomme :
nombre d’intuitions au cœur de mon travail sont nées de la rencontre avec les chercheurs invités. Quelques années plus tard,
l’Ecole Doctorale CUSO, organisée conjointement par Frédéric
Tinguely, Jean-Pierre Van Elslande et Thomas Hunkeler, a facilité
la délicate transition des intuitions documentées à la rédaction
définitive. Enfin, j’ai trouvé dans le Programme Doctoral CUSO
le souffle nécessaire dans la dernière ligne droite.
Je veux témoigner aussi ma gratitude à ceux dont les avis ont
compté dans les moments de fondation : Joël Gapany, dont les
interpellations épistémologiques m’ont hanté jusqu’à la consultation du ms. Douce 117 ; Claude Bourqui, dont je partage l’éthique
de la recherche et de l’enseignement ; Françoise Revaz, pour qui
linguistique et littérature sont amies.
10
« OVIDE VEUT PARLER »
J’adresse un salut fraternel à ceux qui ont cheminé ou cheminent encore sur la route du doctorat : Laurence Benetti, Gilles
Corminbœuf, Peter Frei, Romain Beuchat, François Friche, Sabine
Houmard, Lucas Giossi.
Je recommande pour leur accueil Colin Harris et son équipe
des Special Collections des Bodleian Libraries, avec un clin d’œil à
Christophe de Reyff, irremplaçable compagnon de voyage.
Je dois une fière chandelle à ceux dont le conseil et l’expertise
ont assisté les finitions : Pierre Schuwey, latiniste, pour la révision
des textes pour lesquels j’ai eu recours à des éditions originales ;
Anne-Véronique Wiget, traductrice, pour la vérification du texte
français et la discussion des intuitions sur son art ; Benjamin
Camprubi, mathématicien, pour la révision des hypothèses statistiques ; Frédéric Bitschnau, professeur, pour son œil impeccable
à tous les niveaux de relecture ; Jean-Damien Sondag, helléniste,
pour la correction des citations du grec.
Trois personnes, enfin, m’ont supporté à tous les sens du
terme tout au long de ma recherche : Noé, qui n’était pas né
quand elle a débuté ; Léa, qui entreprendra bientôt les siennes, et
Francesca, par qui tout tient bon.
ABRÉVIATIONS ET ADAPTATIONS
Sauf indication contraire, les citations et références renvoient aux
sources suivantes :
Actes Cahors
Clément Marot, Prince des poëtes françois. 1496-1996,
Actes du Colloque international de Cahors en Quercy,
1996, éd. Gérard Defaux et Michel Simonin, Paris,
Champion, 1997.
BHR
Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance.
DMF
Dictionnaire du Moyen Français, version 2012 (DMF
2012). ATILF – CNRS & Université de Lorraine. Site
internet : http://www.atilf.fr/dmf.
Marot, TI
Clément Marot, Œuvres complètes, Tome I, éd. Gérard
Defaux, Paris, Bordas, 1990.
Marot, TII
Clément Marot, Œuvres complètes, Tome II, éd. Gérard
Defaux, Paris, Bordas, 1993.
ms. Douce 117
Le Premier Livre des Transformations d’Ovide, manuscrit
sur velin orné de 12 miniatures de la taille de la page,
dédié à François Ier par Clément Marot, copie présentée à François Ier dans la reliure originale, marocain,
in-4o. Conservé aux Bodleian Libraries.
Ovide, TI
Ovide, Les Métamorphoses, Tome I, Livres I-V, éd. et
trad. Georges Lafaye, Paris, Les Belles Lettres, 1999.
Regius
Metamorphosis cum integris ac emendanssimis Raphaelis
Regii enarrationibus, Venetiis, Augustino Barbadico, 1497.
L’ouvrage consulté est disponible sur Gallica (identifiant : ark :/12148/bpt6k60834q). Comme l’ouvrage
n’est pas paginé, le numéro de page renvoie au numéro
de page du fichier au format pdf généré par Gallica lors
du téléchargement du texte au mois de mars 2013.
12
« OVIDE VEUT PARLER »
RHLF
Revue d’histoire littéraire de la France.
Trois premiers
livres
Clément Marot, Barthélemy Aneau, Les trois premiers
livres de la Métamorphose d’Ovide, éd. Jean-Claude
Moisan et Marie-Claude Malenfant, Paris, Champion, 1997.
En ce qui concerne les éditions françaises des XVe, XVIe et
XVIIe siècles disponibles en ligne, le texte cité est adapté par
l’ajout d’éléments de ponctuation et des accents, la régularisation
des majuscules et l’adoption des graphies modernes, sauf dans
les cas où les termes ne sont plus usités.
INTRODUCTION
TRANSMUER UNG TRANSMUEUR
Implication de l’auteur, souci de la précision éditoriale, succès de
librairie, tout est moderne dans les circonstances de la publication du Premier Livre de la Metamorphose d’Ovide qui paraît en
1534 chez la veuve de Pierre Roffet 1. Gérard Defaux souligne que
l’ouvrage appartient, avec L’Adolescence clementine et La Suite de
l’Adolescence, à une série dont Marot en personne supervise la
réalisation, après avoir compris le risque que font courir les
approximations d’imprimeurs lyonnais ou parisiens. L’éditeur
moderne de Marot inscrit dans un même mouvement le succès
des trois entreprises :
La publication de ces trois recueils, qui connurent un succès de
librairie foudroyant, indiscutablement l’un des plus grands, sinon le
plus grand, du siècle, fit plus que jamais de lui [Marot] le poètephare de sa génération, un modèle vénéré de ses pairs et un créateur
qui, tout en enrichissant la poésie française d’une sève toute humaniste et toute classique, en l’ouvrant à des influences que jusque-là
elle n’avait pas connues, sut rester malgré tout un poète populaire
– sans doute, avec Victor Hugo, le poète le plus authentiquement
populaire que la France ait jamais connu 2.
Le rapprochement entre le Premier Livre et les deux Adolescences doit être interrogé avec attention. Certaines formules ne
sont pas sans poser de grandes difficultés théoriques. Il ne va pas
de soi – en ce qui concerne la traduction d’Ovide – d’avancer
1
2
Marot, TI, p. CXVIII. Ce n’est pas cette édition que donne Defaux.
Marot, TI, p. CXVIII.
14
« OVIDE VEUT PARLER »
qu’il s’agit d’ouvrir la poésie française à des « influences que
jusque-là, elle n’avait pas connues ». Il n’est pas évident non plus
de soutenir que la « sève toute humaniste » par laquelle Marot
est censé enrichir la poésie française relève – pour ce qui touche
la traduction – des pratiques ou des théories de ceux que l’histoire littéraire désigne sous le nom d’humanistes.
Donner au Premier Livre sa juste place dans la carrière de
Marot, aussi bien que dans les grandes interrogations de la première modernité, implique un regard rigoureux et renouvelé sur
l’entreprise. L’œil est attiré d’abord par le portrait que Clément
Marot dresse de lui-même dans la dédicace 3 du Premier Livre de
la Metamorphose à François Ier. Une lecture attentive à la voix de
l’auteur révèle le récit discret d’une métamorphose. Marot se
montre soucieux de rendre compte de la transformation de celui
qui n’était pas encore le successeur de son père en un poète
capable de « transmuer ung transmueur » 4, transformation qui
présuppose non seulement la connaissance des écueils théoriques
questionnant le statut de la traduction, mais aussi la maîtrise
d’une pratique poétique susceptible de donner une version française « présentable à si grande majesté » 5.
Aborder la dédicace au fil de cette transformation conduit à
mettre au jour une lecture pénétrante des Métamorphoses par
Marot et donne la clé de la composition d’une dédicace qui
réécrit Ovide par les moyens d’une invention « au deuxième
degré », avant de le réécrire par les moyens de la traduction. La
manière singulière dont Ovide joue avec les versions canoniques
des mythes pour en extraire des fragments qu’il intègre ensuite
dans des récits réorganisés par lui est reprise par Marot qui se
sert des interrogations sur la traduction pour nourrir le récit de
sa propre transformation.
La dédicace situe le point de départ de cette transformation
en un temps relativement peu défini, « long temps avant » que le
roi n’ait fait Marot « successeur de l’estat de [son] père » 6 . A vrai
dire, il semble que l’origine de la métamorphose se confonde
3
4
5
6
Les références qui sont faites ici renvoient à l’édition Defaux (Marot, TII,
p. 405-407).
l. 55-56, Marot, TII, p. 406.
l. 58, Marot, TII, p. 406.
l. 1-2, Marot, TII, p. 405.
INTRODUCTION
15
avec la naissance de la vocation du poète, voire avec sa naissance
tout court : « le mien plus affectionné (& non petit) désir avoit
tous jours esté (Sire) de pouvoir faire œuvre en mon labeur
Poëtique, qui tant vous aggreast » 7. La suite du récit peut
rendre perplexe le lecteur attentif et connaisseur de l’œuvre de
Marot : le poète raconte en effet que les muses lui donnèrent
« le choys ou de tourner en nostre langue aulcune chose de la
Latine, ou d’escrire œuvre nouvelle par cy non jamais veuë » 8.
Si la production marotique avant le Premier Livre comprend
bien quelques traductions 9, ainsi que quelques pièces directement inspirées de l’Antiquité, comme Le Temple de Cupido 10
ou Le Jugement de Minos 11, celles-ci ne représentent certes pas
l’essentiel de la production qui consiste – avant 1531 12 – en
épîtres, ballades, rondeaux et autres formes héritées des poètes
de la génération de Jean Marot. Si l’on admet cependant que
Marot procède à la manière d’Ovide, on peut imaginer qu’il
développe l’argument de son récit à partir d’un détail signifiant 13 : pratiquant une sorte de dissection que n’aurait pas
reniée le poète latin, Marot choisit de relire sa propre histoire
et d’y sélectionner les éléments nécessaires à la fable qu’il
construit.
7
8
9
10
11
12
13
l. 3-5, Marot, TII, p. 405.
l. 10-12, Marot, TII, p. 405.
Gérard Defaux ne les reproduit pas dans la section du Tome II des Œuvres
complètes consacrée à la traduction. On les trouve cependant disséminées
dans les Tomes I et II : il s’agit de La Premiere Eglogue des Bucoliques de Virgile
(Marot, TI, 21-26), Les Tristes Vers de Philippe Beroalde (Marot, TI, 55-59), Oraison contemplative devant le crucifix (Marot, TI, 55-64), Epigramme de Salmonius
mys de Latin en Françoys (Marot, TII, 271), Le Chant des Visions de Pétrarque
(Marot, TI, 347-349).
Marot, TI, 27-42
Marot, TI, 43-54.
La date exacte de la composition du Premier Livre est très incertaine : Defaux
tient pour certain qu’elle se situe avant 1531 et rejette l’hypothèse d’une
composition antérieure, hypothèse avancée par Mayer qui se base sur la
présence conjointe de Marot et François Ier à Amboise en 1526 pour situer
l’éventuelle première lecture évoquée à la fin de la dédicace cette année-là
(voir Marot, TII, 1188 et 1192).
On pense ici au procédé utilisé par Ovide par exemple pour l’histoire
d’Actéon : l’amour d’Actéon pour ses chiens semble évoqué de façon gratuite au début de l’épisode, mais il devient une clé importante de sa
conclusion.
16
« OVIDE VEUT PARLER »
Même pratiquée depuis « long temps », la lecture de la poésie
latine ne suffit pas à garantir le succès du traducteur pour qui
c’est peut-être « trop entreprendre de vouloir transmuer celluy,
qui les aultres transmue » 14. Le succès serait cependant assuré,
si un dieu décidait de donner au prince de la langue vulgaire les
moyens d’y ajouter « decoration grande » 15. Le poète s’en remet
donc – en dernier recours, mais suivant un jeu de mot qu’il affectionne – au roi, lui demandant que sa « plus humaine puissance
transmu[e] la Muse de Marot en celle de Maro ». Dans un subtil
mouvement de captatio, Marot ne confirme pas que la transformation s’est finalement réalisée et se contente de placer son œuvre
« soubs la confiance de [l’] accoustumé bon recueil » 16 du roi,
rappelant tout de même qu’au « Chasteau d’Amboyse, il [lui] en
pleut ouyr, quelcque commencement. » 17 Libre au lecteur par
conséquent de décider si la métamorphose a finalement eu lieu,
mais quel lecteur oserait contredire le jugement du roi ?
Ainsi, même si la modestie obligatoire dans le contexte de la
dédicace interdit à Marot de décrire une métamorphose totalement achevée, qui signifierait son couronnement en tant que
poète, le texte liminaire du Premier Livre développe bel et bien un
argument structuré très exactement comme certaines fables 18 des
Métamorphoses : un mortel (Marot) est transformé par un dieu
(François Ier) ; celui-ci choisit une forme de transformation qui
permet au mortel de conserver une caractéristique qui le définit
(la poésie) ; la métamorphose est actionnée par le dieu au bénéfice du mortel dans un contexte périlleux pour ce dernier (la traduction d’une œuvre fondatrice). L’application de la méthode
ovidienne dans la dédicace dépasse cependant le simple jeu
d’esprit, puisqu’à l’image de son modèle latin, le poète fait en
sorte que sa fable génère des interprétations au travers des questions qu’elle pose à la théorie de la traduction.
L’évaluation littéraire du Premier Livre s’impose d’autant plus
que la dédicace – si habile à jouer de la fable pour situer le geste
14
15
16
17
18
l. 53-54, Marot, TII, p. 406.
l. 44, Marot, TII, p. 406.
l. 61-62, Marot, TII, p. 407.
l. 65-66, Marot, TII, p. 407.
L’histoire de Pyrame et Thisbé peut être considérée comme le prototype du
genre de transformation évoquée ici, que l’on pourrait qualifier de « bienveillante ».
17
INTRODUCTION
du poète – pose en réalité sans la résoudre la question de la
valeur poétique du travail de Marot. Le jeu de la captatio implique
certes que le poète n’évoque pas de façon explicite la réussite de
sa transformation personnelle, qui marquerait la réussite de son
poème. Pour autant, l’usage du terme « transformation » pour
traduire le grec « Metamorphose », associé à l’identification de la
métamorphose à la traduction (« transmuer ung transmueur »)
amène par transitivité l’assimilation de la traduction à une transformation : cette conception de l’exercice met l’accent sur la différence entre texte source et texte cible, le premier devant être
transformé pour devenir le second. La notion d’équivalence – souvent placée au centre de la réflexion sur la traduction – semble laissée de côté. Le terme « traduction » lui-même n’apparaît qu’à la
toute fin du texte sous la forme du participe passé « traduict », la
dédicace lui préférant d’autres verbes : « tourner », « contrefaire »,
« faire entendre, & sçavoir à ceulx, qui n’ont la langue Latine, de
quelle sorte il escipvoyt », « si en facille vulgaire estoit mise ceste
belle Metamorphose ». Marot construit un réseau de désignations
qui problématise l’exercice auquel il se livre : sa version ne se réduit
pas à l’équivalent français du texte d’Ovide. La richesse sémantique engendrée par la multiplication des désignations attire
l’attention sur la difficulté de saisir l’ensemble des aspects du processus de la traduction, et rend moins décisive la question du jugement de valeur sur le poème lui-même.
Cette question se trouve cependant abordée de façon beaucoup plus directe dans une pièce liminaire qu’Etienne Dolet avait
placée en tête de son édition 19 :
STEPHANUS DOLETVS IN LIBRUM PRIMUM
METAMORPHOSEOS OVIDII
Gallicum Factum à
Clemente Maroto
Mirum fuit, quae narrat Ovidius, corpora
Alia in alia tam mirificè
Mutata : sed nihilo minus mirum est, Librum
Ovidij tam mirificè
19
Marot, TII, p. 403.
18
« OVIDE VEUT PARLER »
Versum ingenio Maroti, ut aequet Gallico
Sermone sermonem Latium :
Aequet ? superest potius Poëtam principem
Longè omnium Versu facili,
Venaque divite, seu canat Amoris iocos,
Seu quidpiam aliud gravius.
La pièce s’ouvre sur un argument semblable à celui de la dédicace, le parallélisme entre les transformations racontées par
Ovide et la transformation du livre latin en livre français par
Clément Marot. Elle se poursuit cependant par des louanges relativement inattendues sous la plume du très cicéronien Dolet :
non seulement Marot égale la langue latine par la langue française, mais plutôt il la surpasse. L’appareil métatextuel constitué
autour du Premier Livre par les pièces de Marot et Dolet tient
habilement en équilibre trois opinions qui en réalité s’excluent
les unes les autres : vis-à-vis du poème d’Ovide, la valeur de la
version de Marot ne peut être simultanément indécidable, égale
et supérieure. Peu sensible aux hiérarchies esthétiques, la critique
préférera sans doute subsumer les deux dernières possibilités
sous la question unique de la réussite de l’entreprise de Marot
traducteur. On peut bien évidemment laisser chaque lecteur libre
de définir la valeur qu’il attribue au poème de Marot : la critique
professionnelle ne manque d’ailleurs pas de jugements à
l’emporte-pièce au sujet du Premier Livre. L’effort de recherche
qu’implique l’examen de la question sur une base plus systématique entraîne cependant la réflexion vers la tâche ardue et passionnante consistant à définir les conditions d’une poétique de la
traduction marotique.
ŒUVRE EN MON LABEUR POËTIQUE
Dans le choix donné par les muses « de tourner en nostre langue
aulcune chose de la Latine, ou d’escrire œuvre nouvelle par cy
non jamais veuë 20 », la dédicace à la fois distingue et relie traduction et création originale. La critique a depuis longtemps montré
20
l. 10-12, Marot, TII, p. 405.
INTRODUCTION
19
avec quelle prudence il faut aborder la notion de poésie dans le
contexte de l’époque, soulignant notamment toute la distance qui
peut exister avec les conceptions issues du romantisme. Elle se
doit donc d’aborder la question de la traduction avec le même
souci de ne pas laisser les préconceptions esthétiques orienter
l’analyse d’un geste dont Marot, dans la dédicace, exprime la
valeur, sans détailler la pratique.
Une épître, rédigée en 1544 pendant l’exil en Savoie en vue
d’obtenir le pardon du roi, donne, au sujet de la pratique, un
point de départ prometteur :
Plaise au roy congé me donner
D’aller faire le tiers d’Ovide,
Et quelzques deniers ordonner
Pour l’escrire, couvrir, orner.
Apres que l’auray mis en vuyde 21,
Le geste consistant à donner une version française du troisième livre des Métamorphoses est caractérisé par deux temps :
dans l’ordre où ils s’articulent dans les faits (et non dans l’épître),
le premier consiste à mettre Ovide « en vuyde » ; le second, à
« escrire, couvrir, orner » 22. Le temps initial est désigné par une
métaphore difficile à interpréter, l’expression n’étant pas devenue
idiomatique. Elle entre cependant dans un axe paradigmatique
dans lequel le DMF en ligne donne notamment : mettre en conte
(= donner une forme littéraire), mettre en devise (= s’exprimer sur
quelque chose), mettre en forme (= rédiger). Il faut noter par
ailleurs que l’expression se trouve déjà dans une forme à peu
près analogue dans l’épître « A Monseigneur de Lorraine nouvellement venu à Paris » :
Et te suplly prendre en gré le present,
Que je te fay de ce translaté Livre,
Lequel (pour vray) hardiment je te livre,
Pour ce que point le sens n’en est yssu
De mon cerveau : ains a esté tissu
Subtilement par la Muse d’Ovide :
21
22
Clément Marot, « Au Roy », Marot, TII, p. 710.
On devine que, dans l’esprit de Marot, l’entreprise doit aboutir à un manuscrit d’apparat.
20
« OVIDE VEUT PARLER »
Que pleust à Dieu l’avoir tout mis au vuyde
Pour t’en faire offre 23.
La rime avec « Ovide » explique la variante choisie pour la
préposition et indique peut-être comment l’inspiration marotique
a premièrement forgé l’expression. Reste qu’en l’absence d’un
lien attesté entre l’adjectif « vuyde » et l’idée de la traduction, le
sens à donner à l’expression demeure en partie spéculatif. On
trouve chez Meigret un usage du verbe « vuyder » qui met sur
la piste d’une dimension descriptive ou analytique :
Or faut il entendre que pour la nécessité du bâtiment de notre langage, il y peut entretenir huit parties outre les articles : qui sont le
nom, le pronom, le verbe, le participe, la préposition, l’adverbe, la
conjonction et l’interjection. Mais avant que de vuyder rien de huit
parties, nous dépêcherons les articles 24.
Le DMF en ligne confirme au figuré un sens « évacuer, lever,
régler » pour vider (une difficulté, une résistance). La mise « au
vuyde » de l’original pourrait s’apparenter au « facille vulgaire »
évoqué dans la dédicace et signifier la recherche d’une version
accessible sans difficulé au lecteur. A tout le moins, l’expression
confirme l’identification par Marot d’une activité propre à l’exercice de la traduction.
La critique littéraire tend à laisser à la traductologie le soin
de rendre compte de cette activité spécifique pour se concentrer
exclusivement sur les éléments qu’elle traite habituellement :
sources, théories esthétiques, modèles rhétoriques, enjeux éditoriaux 25. Un regard nouveau sur le Premier Livre, et la question
plus générale de la traduction d’un poète, implique d’aborder de
façon systématique l’articulation entre la technique et l’art de
Marot traducteur. Du fait de son appartenance à un corpus largement négligé par la l’histoire de la traduction en France, celui des
traductions en vers parues entre 1520 et 1540, le caractère unique
de l’entreprise marotique n’a pas été suffisamment souligné.
23
24
25
v. 38-45, Marot, TI, p. 294-295.
Louis Meigret, Le tretté de la grammere françoeze, Paris, Christian Wechel, 1550,
19ro – 19vo.
Réciproquement, l’axe choisi pour la présente étude explique que ces éléments n’y seront abordés que marginalement.
INTRODUCTION
21
L’enquête à mener sur celui-ci implique l’adoption d’une
méthode inédite, basée sur l’étude systématique du Premier Livre,
en vue de révéler la nature exacte du geste de Marot traducteur.
L’originalité de l’approche appliquée consiste à tenir compte de
toutes les complexités du texte, sans chercher à les figer dans un
modèle rigide, pour embrasser le mouvement de la négociation 26
au travers de laquelle Marot élabore sa version.
Suivre le fil théorique de la dédicace amène à s’attarder
d’abord sur trois horizons à partir desquels le caractère unique
du Premier Livre se détache : la moralisation d’Ovide, le projet
humaniste, l’illustration de la langue française. La distance entre
la tradition ouverte par l’Ovide moralisé et le projet marotique
semble conforme à la représentation habituelle de la Renaissance : si l’on considère cependant que, de La bible des poëtes au
Grand Olympe, les Métamorphoses continuent, aux alentours de
1530, d’être lues dans des versions dont le canon semble fort éloigné du renouveau humaniste, la singularité du geste de Marot se
comprend non seulement vis-à-vis des pratiques médiévales,
mais aussi vis-à-vis des tentatives parfaitement contemporaines.
L’audace du Premier Livre apparaît d’autant plus nettement que
l’entreprise ne cadre pas non plus parfaitement avec le projet des
grands lettrés du temps, tel qu’il peut être compris par exemple
au travers des réalisations de Budé. Il n’est pas possible de voir
dans la traduction des Métamorphoses en français le volet français
du projet humaniste, tout simplement parce que ce volet ne présuppose pas le recours à la langue vernaculaire. Si l’entreprise de
Marot se place dans une forme de « translatio linguae » qui suivrait la translatio imperii, l’idée d’une telle translatio est loin d’être
acquise aux alentours de 1530, alors même que les grands lettrés,
Erasme en tête, continuent de concevoir parfaitement la poursuite de la domination du latin. Si certains théoriciens, comme
Sébillet ou Jacques Peletier du Mans, ont pu, quelques années
après le Premier Livre, envisager l’idée d’une illustration de la
langue française par la traduction, leurs positions ne constituent
pas, loin s’en faut, la doxa d’une république des lettres évoluant
à son aise dans une situation marquée du sceau du colinguisme.
26
Le recours à la notion de négociation pour penser la traduction est ici inspiré
par Umberto Eco, Dire presque la même chose, Paris, Grasset, 2006.
22
« OVIDE VEUT PARLER »
La singularité de l’entreprise du Premier Livre, dont Marot
semble parfaitement conscient dans sa dédicace à François Ier,
appelle à enquêter sur l’origine du projet non pas dans les grands
courants d’idées, mais dans les conditions matérielles de la traduction marotique. Apparaît alors une chronologie marquée par
l’infléchissement de la politique royale en faveur des lettres, aussi
bien que par l’admiration personnelle du roi envers les réalisations italiennes et leur maître à penser, d’ailleurs à la fois poète
et traducteur, Pétrarque. Encouragé par l’enthousiasme royal,
Marot a-t-il pu saisir que l’humaniste italien vibrait d’un projet
plus large que le simple retour à l’Antiquité, ainsi que le rappelle,
par exemple, Stephen Greenblatt ?
To prove its worth, Petrarch and Salutati both insisted, the whole
entreprise of humanism had not merely to generate passable imitations of the classical style but to serve a larger ethical end. And to
do it needed to live fully and vibrantly in the present 27.
Loin des préoccupations des érudits qui se centrent sur l’imitation des anciens, le poète de François Ier a pu sentir que la
compréhension profonde du projet de Pétrarque pouvait appeler,
au plan de la traduction, le recours au français. La vitalité même
du modèle italien, au-delà des textes théoriques, indique sans
doute suffisamment la voie à suivre. Aucun autre auteur ne dispose des atouts de Marot pour faire souffler sur la traduction le
vent du vernaculaire. Sa formation, sans doute en grande partie
autodidacte, lui permet de disposer d’une maîtrise du latin qui
le rend sensible à la cause de ceux « qui n’ont la langue
Latine » 28. L’état encore émergent de la réflexion grammaticale
donne au poète toute autorité pour choisir, selon le vœu de Dolet,
les formes établissant pour la langue française les « proprietés,
translations en diction, locutions, subtilités, & vehemences à elle
particulieres » 29. L’expérience de Marot en tant qu’éditeur de
textes pallie largement l’inexistence de formation spécifique de
traducteur.
27
28
29
Stephen Greenblatt, The Swerve. How the World Became modern, New York –
London, W.W. Norton and company, 2011, p. 123.
l. 35-36, Marot, TII, p. 406.
Etienne Dolet, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, Lyon, Etienne
Dolet, 1549, p. 12-13.
INTRODUCTION
23
A mesure que la connaissance de la période découpe le profil
du Premier Livre grandit la nécessité de son évaluation en tant
que réalisation littéraire. Dolet se révèle un guide sûr pour établir
qu’aucune des dimensions fondamentales de la technique de la
traduction n’était hors de portée de la réflexion dans le premier
XVIe siècle et pour identifier la dimension littéraire des compétences requises chez le traducteur. Reste que l’aporie de l’unicité
de l’elocutio poétique rendue incoutournable dans le domaine
français par Du Bellay continue de poser la question des limites
de l’exercice.
Au final, seul l’examen du Premier Livre en tant que réalisation
textuelle peut donner au texte la place qu’il mérite dans l’histoire
de la traduction. Les outils appliqués jusqu’ici par la critique
n’ont pas permis de dégager avec la précision voulue le profil de
l’entreprise marotique : les rares études consacrées à la question
de la traduction chez Marot n’ont pas cherché à décrire de façon
opérationnelle la nature profonde de l’exercice. Plusieurs ressources nouvelles doivent être appelées en renfort. D’abord, il y
a le manuscrit mis au jour par Richard Cooper 30 aux Bodleian
Libraries : ce texte, répertorié sous le nom de ms. Douce 117 31,
présente des variantes pour plus de 500 vers, ce qui permet à
la spéculation théorique de disposer du corpus nécessaire à la
vérification empirique des hypothèses qu’elle formule, en particulier en matière de définition des unités qui se trouvent au cœur
du travail du traducteur 32. C’est cependant surtout l’adoption et
l’application d’une méthode d’analyse nouvelle et originale qui
permettent de cerner au plus près le geste de Marot.
30
31
32
Richard Cooper, « Marot et Ovide : un nouveau manuscrit à peinture du
premier livre des Métamorphoses traduit par Marot », Actes Cahors, 101119.
Il ne s’agit pas de la seule version manuscrite du texte. Un autre manuscrit,
vendu en 1957 dans le cadre de la vente de la collection du Docteur LucienGraux, a disparu et n’est connu aujourd’hui presque plus que par le catalogue de vente. F. Gaudu a publié une partie des variantes du manuscrit
dans un article paru en 1924 : les variantes proposées par F. Gaudu sont
identiques à celles du ms. Douce 117. F. Gaudu, « Un manuscrit de la traduction du premier livre des Métamorphoses par Marot », Revue du Seizième
Siècle, 11, 1924, 258-269.
Etant donné l’importance des variantes du ms. Douce 117 pour la discussion
des résultats de cette étude et le caractère relativement peu accessible de
l’ouvrage, une édition du texte est donnée en annexe de l’édition électronique.
24
« OVIDE VEUT PARLER »
Cette méthode commence par établir de façon systématique la
nature des unités qui composent le travail du traducteur.
L’examen du texte révèle que celles-ci ne sauraient se résumer à
une seule sorte d’unité syntaxique ou métrique. Au contraire, il
faut prendre en compte la nature même de l’exercice de la traduction pour découper le texte du Premier Livre à partir des
séquences autour desquelles se stabilise le travail de Marot.
Appuyée sur des extraits méthodiquement constitués, l’analyse
peut révéler les logiques qui commandent la technique du traducteur et dégager ensuite les véritables impératifs qui orientent
la démarche du poète. L’image qui se dégage alors surprend par
la subtile dialectique qu’elle établit entre les passages issus du
maintien des caractéristiques du texte source et ceux où la maîtrise poétique de Marot doit bouleverser toutes les stratégies
pour donner une version satisfaisante.
Une connaissance nouvelle de l’exercice de la traduction poétique se fait jour : caractérisée par le caractère exemplaire des
résultats qu’elle enregistre, la méthode d’analyse appliquée
permet à la fois de mieux cerner l’art de Marot dans ses autres
traductions et de le contraster avec ceux d’autres traducteurs
proches par l’époque (Octovien de Saint-Gelais, Guillaume
Michel de Tour), le sujet (Thomas Corneille) ou les deux (Bartélemy Aneau, François Habert).
Au final, il s’agit de susciter une métamorphose que la dédicace à François Ier n’aborde pas : celle de la place de la traduction
dans l’œuvre de Marot. Les préjugés de la critique tendent à reléguer souvent la traduction au rang d’un exercice subalterne, mystérieusement excusable lorsqu’il est conduit par un auteur
majeur, mais le plus souvent condamné à grossir le flot des réalisations mineures. L’étude systématique du Premier Livre n’a rien
d’un exercice obligé d’admiration face à une réalisation au statut
esthétique indéfini, elle vise la traduction d’un poète en tant
qu’activité proprement littéraire.
CHAPITRE PREMIER
QUELQUES FAUX-AMIS
DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
La dédicace a été lue jusqu’ici au fil d’une interprétation qui
semble ressortir plus de « l’élégant badinage » que de l’analyase
théorique. D’autres lectures 1 sont possibles, qui révèlent que la
dédicace rivalise avec la plupart des textes théoriques qui la précèdent. Il suffit de s’arrêter sur quelques formules centrales pour
qu’apparaisse l’inventaire très éclairé des problèmes théoriques
de la traduction.
L’évocation de l’utilité d’une version française des Métamorphoses semble de prime abord un passage obligé dans une dédicace à François Ier :
Oultre plus, tel lit en maint passage les noms d’Apollo, Daphné,
Pyramus et Tisbée, qui a l’Histoyre aussi loin de l’esprit, que les
noms pres de la bouche : ce que pas ainsi n’yroit, si en facille vulgaire
estoit mise ceste belle Metamorphose. Laquelle aux Poëtes vulgaires, & aux Painctres seroit tresproffitable : & aussi decoration
grande en nostre langue 2.
Marot tient cependant à décrire clairement la valeur d’une version exempte de glose et proche de la lettre des Métamorphoses. Il
pose comme une évidence le bénéfice que peuvent tirer d’une
traduction française « ceulx, qui n’ont la langue Latine » 3. Il faut
voir cependant que le public français disposait – dès 1494 – d’une
version en langue vernaculaire avec La bible des poëtes, adaptation
dont le succès est à l’origine d’une seconde version intitulée Le
1
2
3
Par exemple : Pierre Maréchaux, « L’arrière-fable : la préface de Marot à la
Metamorphose et les commentaires latins d’Ovide », Actes Cahors, p. 77-92.
l. 38-44, Marot, TII, p. 406.
l. 35-36, Marot, TII, p. 406.
26
« OVIDE VEUT PARLER »
grand Olympe des histoires poétiques du prince de poésie Ovide Naso
en sa Métamorphose, en 1530. En feignant d’ignorer le phénomène
éditorial que constituent ces publications, inscrites dans la tradition de l’Ovide moralisé, Marot situe son travail dans une exigence
nouvelle vis-à-vis de la traduction : rapprocher l’esprit de l’histoire implique le recours à une technique qui ne dépend pas uniquement de l’usage de la langue vernaculaire. La question qui se
pose dès lors, et qui continuera de préoccuper Barthélemy Aneau
dans sa « Preparation de voie à la lecture, et intelligence de la
Metamorphose d’Ovide, et de tous poëtes fabuleux » 4, consiste à
déterminer la capacité d’une traduction à conserver au texte cible
la richesse allégorique du texte source. Aborder cette question,
c’est commencer à mesurer la force du geste de Marot traducteur
dans le contexte de la réception d’Ovide dans le premier seizième siècle.
L’ambition de donner au public français une version susceptible de corriger les erreurs de représentation des fables d’Ovide
appelle cependant une méthode nouvelle dans l’approche des
textes anciens. Pour une entreprise telle que le Premier Livre, celleci prend la forme de l’édition des Métamorphoses que donne en
1493 l’humaniste italien Raffaele Regio (Regius). L’ouvrage se
présente sous la forme d’un commentaire systématique qui
éclaire, en latin, le sens littéral, les sources littéraires, les allusions
mythologiques, voire l’interprétation allégorique du texte
d’Ovide. De nombreuses formes retenues par le Premier Livre,
ainsi que deux variantes de l’édition Regius 5, habituellement
4
5
Trois premiers livres, p. 7.
L’édition Lafaye donne au vers 547 : « Qua nimium placui, mutando perde
figuram. » (Ovide, TI, p. 26). L’édition Regius présente la variante suivante :
« Qua nimium placui : tellus ait hisce : vel istam / Quae facit ut laedar :
mutando perde figuram. » (Regius, p. 41). La traduction de Marot, aux vers
1079 à 1082, correspond clairement à l’édition Regius : « Puis dit : O terre,
or me perds, & efface / En transmuant ma figure, & ma face, / Par qui trop
plais : ou la transgloutis vifve, / Elle, qui est de mon ennuy motifve. »
(Marot, TII, p. 438). L’édition Lafaye donne au vers 700 : « Telia uerba refert
… Restabat uerba referre ». (Ovide, TI, p. 31). L’édition Regius présente la
variante suivante : « Talia uerba refert. Tibi nubere nympha uolentis / Votis
cede dei. Restabat plura referre. » (Regius, p. 46). La traduction de Marot,
aux vers 1384-1388, correspond là aussi clairement à l’édition Regius : « […]
luy feit telle requeste. / O noble Nymphe, obtempere au plaisir / D’ung
Dieu, qui a grand vouloir, & desir / De t’espouser. Brief, mainte aultre
adventure / Restoit encore à dire par Mercure. » (Marot, TII, p. 447).
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
27
absentes du canon des Métamorphoses, mais traduites par Marot,
ne laissent aucun doute sur le fait que le Quercinois a très largement exploité l’ouvrage de l’humaniste italien 6.
Nul doute que Marot trouve dans l’essor de l’humanisme le
modèle et l’application par excellence des nouvelles préoccupations philologiques. Il ne se fait d’ailleurs pas faute d’exposer ses
propres capacités en matière d’étymologie, lorsqu’il rappelle que
« Metamorphose est une diction Grecque, vulgairement signifiant
transformation 7. » Plus subtilement, il parvient également à
témoigner de son érudition en évoquant l’existence d’une version
grecque des Métamorphoses dont il a sans doute découvert l’existence chez Regius 8 : « veu mesmement, que l’arrogance Grecque
l’a bien voulu mectre en la sienne. » 9 La question du rapport de
Marot à l’humanisme a cependant été le plus souvent abordée
sur la base de la question de sa maîtrise de la langue latine. Dans
la dédicace, le poète semble donner lui-même le bâton pour se
faire battre en reconnaissant les limites de sa compréhension des
textes anciens :
Parquoy (les laissant reposer) jectay l’œil sur les livres Latins : dont
la gravité des sentences, & le plaisir de la lecture (si peu, que j’y
6
7
8
9
Il est plus difficile de déterminer dans quelle édition Marot a consulté
Regius. Ann Moss recense 17 éditions avant 1534 (1496, 1497, 1501, 1504,
1506 (2), 1510, 1510*, 1511*, 1512*, 1513*, 1515, 1516*, 1518*, 1518**,1524**,
1527**, 1528**). A partir de 1511, le commentaire de l’humaniste italien est
le plus souvent complété par d’autres contributions. Le plus souvent, il
s’agit de celle de Lavinius, dominicain, qui commente le Livre I (dates marquées d’un *). L’édition de 1518, réimprimée à de nombreuses reprises,
réunit, en plus de celles de Regius et Lavinius, les contributions d’autres
commentateurs parmi lesquels Philippe Beroalde ou les humanistes italiens
Parrhasius ou Rhodiginus (dates marquées d’un **). Voir Ann Moss, Ovid in
Renaissance France. A survey of the latin editions of Ovid and commentaries printed in France before 1600, The Warburg Institute, University of London, 1982,
66-71. Seul invariant des diverses éditions et très souvent référentiel, le commentaire de Regius est retenu en priorité par la présente étude.
l. 47-48, Marot, TII, p. 406.
Trois premiers livres, p. 36, note 102. La note indique que l’édition Regius est
à l’origine d’une remarque de Barthélemy Aneau dans son épître liminaire :
« les superbes Grecz qui tout autre langue et art (mesmement la Poësie)
desprisent comme Barbare au regard de la leur : toutesfois ont bien daigné
translater la Metamorphose Ovidiane en leur langue comme digne d’icelle,
et d’estre illustrée, et leuë par hommes Grecz. ». Marot a pu trouver son
anecdote à d’autres sources, notamment dans une traduction du moine
byzantin Palude.
l. 45-46, Marot, TII, p. 406.
28
« OVIDE VEUT PARLER »
comprins) m’ont esprins mes Esprits, mené ma main, & amusé ma
muse 10.
La restriction opérée par la deuxième parenthèse sonne
comme un lointain écho à la formule – sans doute involontairement cruelle – de Jean de Boyssoné Marotus latine nescivit 11. La
modestie affichée par Marot dans sa dédicace ne tient pas de la
seule captatio : dès lors qu’il évoque pour ainsi dire publiquement
la consultation des ouvrages latins, a fortiori dans le contexte de
la traduction, le poète se doit de situer son travail vis-à-vis de
celui des humanistes qui se revendiquent comme les seuls
arbitres des questions philologiques. Marot choisit d’avouer ses
limites entre parenthèses et de recouvrir son aveu de trois dérivations qui le situent en tant qu’héritier des Grands Rhétoriqueurs.
Rappelant son statut de maître de la langue française, il parvient
à éviter aussi bien la confrontation que l’assimilation, conscient
que son travail vise un objectif différent de celui des humanistes :
alors que ces derniers se donnent pour but premier l’édition des
textes anciens dans des versions aussi fidèles que possibles, le fils
de Jean Marot vise le passage des textes anciens dans la langue
vernaculaire. D’une certaine façon, il n’y a pas plus opposés que
les objectifs respectifs de l’humaniste et du traducteur. La question du rôle joué par les méthodes humanistes d’édition des
textes dans l’élaboration de l’esthétique et de la technique de la
traduction chez Marot doit être posée en tenant compte du fait
que l’analyse met en rapport des projets opposés dans leurs finalités respectives.
La distinction entre le projet d’édition humaniste et celui de
la traduction marotique se révèle particulièrement nette dans la
question de la langue de référence : alors que les débats les plus
passionnés autour du Ciceronianus ne remettent pas en cause
10
11
l. 16-20, Marot, TII, p. 405.
L’origine de l’expression et sa portée ont été discutées dans les détails par
Gérard Defaux, Michel Simonin et Michel Magnien : il ressort de cette discussion que la formule ne vise pas de façon générale la maîtrise du latin par
Marot, mais le rôle que Jacques Delexi fait jouer à Marot dans un dialogue
de nature juridique, intitulé Antileguleitas, qui voit le poète disserter savamment dans la pure langue de Cicéron sur des expressions juridiques latines.
Déduire de la formule que Marot ne maîtrisait pas le latin tient de la surinterprétation, voir à ce sujet : Actes Cahors, p. 819-824.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
29
l’usage du latin en tant que langue centrale de la république des
lettres, Marot explique qu’une version en « facille vulgaire » 12 est
nécessaire pour l’édification des poètes – certes vernaculaires –
et des peintres. Le recours au français indique que celui-ci a
désormais vocation à assumer un rôle nouveau. L’allusion à la
traduction en grec des Métamorphoses évoquée plus haut doit être
abordée dans le même sens : rappeler que « l’arrogance
Grecque 13 » a daigné produire une version d’Ovide 14 pour justifier une traduction française, c’est mettre les deux langues sur le
même plan, et par là même, laisser peut-être entendre qu’il est
temps pour le français de succéder au latin, comme celui-ci avait
auparavant succédé au grec. Pour Marot, la translatio studii ne
peut s’arrêter à ce que Gilbert Gadoffre appelle la « révolution
culturelle » de Budé 15, pour qui l’objectif central consistait à
installer à Paris un centre d’études antiques où règneraient le
grec et le latin. Dans la dédicace, le poète semble même se livrer
à une véritable défense et illustration de la langue française,
posant que la traduction peut apporter « decoration grande en
nostre langue » 16. Envisager l’expression dans le contexte de la
translatio studii révèle une complexité dont il faut rendre compte.
La justesse avec laquelle, dans la dédicace, Marot situe son
entreprise vis-à-vis des questions littéraires dominant son temps
invite à s’attarder sur ces éléments pour saisir la précision quasi
chirurgicale avec laquelle Marot semble négocier la place de son
entreprise dans les interstices de trois horizons dont aucun ne
semble adéquat pour encadrer totalement le geste du poète.
Saisir par contraste les contours de la réalisation de Marot
s’avère d’autant plus important que l’évaluation de la traduction
12
13
14
15
16
l. 41, Marot, TII, p. 406.
l. 45, Marot, TII, p. 406.
Ghislaine Amielle évoque pour cette traduction Maxime Palude, moine
byzantin du XIIe siècle : la traduction est mentionnée dans une vie d’Ovide
contenue dans le recueil, De poetis latinis, de Crinito, paru à Florence en
1505. Le texte fut ensuite édité par Josse Bade dans un ouvrage intitulé De
honesta disciplina en 1510, 1513, 1516 et 1525 et, sous un titre analogue, chez
Sébastien Gryphe en 1543. Voir Ghislaine Amielle, Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses d’Ovide, Paris, Touzot, 1989, p. 79.
Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, Paris,
Droz, 1997.
l. 44, Marot, TII, p. 406.
30
« OVIDE VEUT PARLER »
d’un poète est loin de constituer une entreprise pour laquelle la
critique dispose d’outils éprouvés et de points de comparaison
consistants. Il est impossible, en particulier, d’admettre a priori
que la traduction d’un poème génère un autre poème : laisser
le Premier Livre se découper sur le fond d’importantes questions
littéraires qui lui sont contemporaines permet d’en préciser les
contours en explorant les décalages qui marquent sa singularité
vis-à-vis d’autres expériences déjà balisées par le commentaire
critique.
AUTOUR DE L’OVIDE MORALISÉ
Vivam (je vivrai) 17 : l’épilogue des Métamorphoses se termine sur
un cri qui ne doit pas tromper le lecteur moderne. Ovide espérait
avant tout garantir son œuvre contre les outrages du pouvoir
impérial. Il ne pouvait pas imaginer que disparaîtrait un jour
totalement la puissance romaine et qu’il serait, malgré cela,
encore tout à fait vivant plus de douze siècles après avoir achevé
son récit, vivant, c’est-à-dire mouvant et complexe pour le cadre
de référence médiéval, comme le résume Jeremy Dimmick :
[…] however culturally central he becomes, he is never fully restored
from his Augustan exile, and remains an archpriest of transgression,
whether sexual, political or theological. It is in this powerfully ambivalent role of the auctor at odds with auctoritas, just as much as
(and indeed inseparable from) his expertise on mythology and sexuality, that he is the most precious to the poets 18.
Aux XIIIe et XIVe siècles, la vie du texte ovidien requiert – dans
un traitement que l’on peut appeler de façon très générale
« moralisation » – un rappel à l’ordre préalable à tout plaisir de
la lecture. Marylène Possamai-Pérez signale ainsi que, malgré le
statut incontestable d’auctor reconnu à Ovide :
17
18
Ovide, Les Métamorphoses, éd. Georges Lafaye, trad. Olivier Sers, Paris, Les
Belles Lettres, 2009, Livre XV, p. 754-755.
Jeremy Dimmick, « Ovid in the Middle Ages : authority and poetry», The
Cambridge Companion to Ovid, éd. Philip Hardie, Cambrigde University
Press, 2002, p. 264.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
31
[…] les médiévaux avaient aussi à justifier l’attrait que la matière
même des poèmes ovidiens, traités et lettres d’amour, fables mythologiques exerçait sur eux, et c’est cette valeur morale et philosophique,
cette prescience de la Révélation chrétienne qui leur a permis cette
justification, qui a permis de sauver de l’oubli ou de la destruction
les poèmes ovidiens 19.
Toutes les formes de réécriture, et en particulier la traduction,
se heurtent à l’époque à cette conscience de la nécessaire moralisation d’un auteur païen, non pas uniquement par méfiance
envers ses convictions religieuses, mais dans le but de révéler sa
dimension préchrétienne. A bien des égards, la destinée du
corpus ovidien peut représenter le prototype du traitement
réservé à la pensée antique dans les siècles qui précèdent l’avènement de l’humanisme. Le cas d’Ovide se distingue cependant de
celui d’autres auteurs par la combinaison unique des sujets qui
dominent sa production : d’une part, la poésie amoureuse
implique une dimension d’incessante réactualisation subjective
qui la conduit à se détacher irrésistiblement du système philosophique qui la produit ; d’autre part, la synthèse historico-mythologique réalisée par Les Métamorphoses semble a priori non soluble
dans la pensée chrétienne. Chacune des deux composantes
majeures de la poésie ovidienne suffirait en vérité à elle seule à
lui interdire de paraître au sein du canon acceptable aux yeux de
la pensée chrétienne. Du destin de la poésie amoureuse à celui
réservé aux Métamorphoses, plusieurs dispositifs témoignent de
l’approche circonspecte à laquelle ont finalement consenti les
auteurs médiévaux.
La poésie amoureuse d’Ovide pénètre le domaine français
dans le milieu du XIIe siècle : Marylène Possamai-Pérez 20 rappelle l’apparition des motifs ovidiens dans le prologue du Cligès
de Chrétien de Troyes, alors que Jeremy Dimmick signale 21
l’allusion à un livre d’Ovide dans un lai de Marie de France. La
plus grande partie des ovidiana de Chrétien ayant été perdue, il
19
20
21
Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », 2008, [En ligne], mis
en ligne le 28 avril 2009. URL : http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs00379427/fr. Consulté le 20 novembre 2011, p. 1.
Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », p. 2.
Jeremy Dimmick, « Ovid in the Middle Ages : authority and poetry », p. 264.
32
« OVIDE VEUT PARLER »
est impossible de dire quel traitement l’auteur de Lancelot avait
réservé à Ovide, mais l’interprétation du lai de Marie de France,
dont le sujet tourne autour de l’autodafé d’un ouvrage d’Ovide,
amène Jeremy Dimmick à conclure :
If Ovid is an auctor, he is one who reveals auctoritas to be a powersource, exploited and contested, rather than the stable, central authority of Scripture, and Marie’s ecphrasis reveals this at an intimately
allusive level. […] The possessive husband’s tower, with its effort at
containing and controlling Ovid’s book, is a prototype for all medieval efforts to appropriate him, deploying (and where necessary critiquing) the poems and their author to serve their own interests and
neutralize competing ones 22.
Le commentaire de Jeremy Dimmick ne vise pas uniquement
la traduction : il vise également, dans le domaine latin, les nombreux accessus introduisant à l’œuvre d’Ovide. La volonté de
conserver le contrôle sur la production d’Ovide inspire la totalité
des adaptations et des commentaires, s’étendant de la poésie
amoureuse à l’Ovidius moralizatus, voire au commentaire de
Regius.
L’histoire encore en grande partie à écrire des traductions de
la poésie amoureuse d’Ovide au Moyen-âge offre une illustration
des libertés prises par les auteurs dans le but de s’approprier la
matière ovidienne. L’Art d’aimer – qui est parfois considéré
comme l’origine de la disgrâce d’Ovide – fait d’abord l’objet de
« translations » le plus souvent partielles proposant, selon Marylène Possamai-Perez, une « imitation d’Ovide qui sacrifie aux
conventions courtoises » 23. Il est ensuite traduit de façon plus
littérale et associé à une abondante glose dans une version intitulée l’Ars d’amours 24 : le Livre III – adressé aux femmes – n’apparaît cependant que dans le manuscrit le plus tardif et n’est sans
doute pas l’œuvre du traducteur des Livres I et II. Marylène
Possamai-Perez explique clairement l’oubli initial du Livre III par
la « répugnance des moralistes médiévaux à s’adresser directement aux femmes » 25. Au moins le texte finit-il par être traduit
22
23
24
25
Jeremy Dimmick, « Ovid in the Middle Ages : authority and poetry », p. 266.
Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », p. 3.
L’art d’amours, éd. Bruno Roy, Leiden, Brill, 1974.
Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », p. 4.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
33
en tant que tel, ce qui ne fut pas le cas des Héroïdes : celles-ci ne
connaissent une adaptation en langue vernaculaire que dans le
cadre de la deuxième version en prose de l’Histoire Ancienne jusqu’à César, composée à Naples dans le deuxième quart du
XIVe siècle et qui se sert des Héroïdes françaises pour illustrer la
guerre de Troye 26.
Le traitement réservé aux Métamorphoses dans l’Ovide moralisé
témoigne d’une approche nettement plus ambitieuse, visant à
ancrer solidement l’ensemble de la mythologie dans l’imaginaire chrétien :
[Ovide moralisé] is more than a translation and commentary on the
Metamorphoses: it is a vernacular summa of an entire tradition –
not just a French Ovidius maior, but an Ovidius maximus 27.
Rédigé au début du XIVe siècle 28 par un auteur dont l’identité
n’est pas établie avec certitude, l’Ovide moralisé en vers constitue
la première version complète des Métamorphoses en langue
romane. La critique approche généralement la structure de
l’ouvrage qui compte environ 72 000 octosyllabes en distinguant
la présentation des fables 29 et l’allégorèse : on peut estimer
qu’un tiers de l’ouvrage est consacré aux fables d’Ovide, alors
que deux tiers reviennent à l’allégorèse. L’analyse porte le plus
souvent sur la description de cette dernière, cherchant à en dégager la ou les natures (religieuse 30, encyclopédique 31), tentant
d’en qualifier les techniques 32. Etant donné l’importance de la
26
27
28
29
30
31
32
Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », p. 5.
Jeremy Dimmick, « Ovid in the Middle Ages : authority and poetry », p. 279.
Ghislaine Amielle donne la date 1316-1328. Voir Ghislaine Amielle,
Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses d’Ovide, p. 37.
Le terme est utlisé dans Marylène Possamai-Perez, L’Ovide moralisé, Paris,
Champion, 2006. Il est préférable à ceux, plus problématiques au plan théorique, de traduction et de translation utilisés par d’autres auteurs.
Marylène Possamai-Perez, « Les Dieux d’Ovide moralisés dans un poème
du commencement du XIVe siècle », Bien dire et bien apprendre, t. 12, 1994,
203-214.
Bernard Ribémont, « L’Ovide moralisé et la tradition encyclopédique médiévale », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 9 | 2002, [En ligne], mis
en ligne le 04 septembre 2007. URL : http://crm.revues.org//76. Consulté
le 20 novembre 2011, p. 1.
Francine Mora, « Deux réceptions des Métamorphoses au XIVe et au
XVe siècle – Quelques remarques sur le traitement de la fable et de son exégèse dans l’Ovide moralisé en vers et sa première mise en prose », Cahiers
34
« OVIDE VEUT PARLER »
moralisation, notamment en termes de volume, certains commentaires interrogent directement l’application de la notion de traduction pour qualifier l’entreprise. Catherine Croizy-Naquet
note ainsi :
Le respect du texte ovidien ne résiste pas cependant au profond
remaniement qu’exerce au plan structurel l’auteur. Alors qu’Ovide
fait converger tous ses effets sur les métamorphoses, sans s’écarter
jamais de son sujet, l’écrivain médiéval les relègue à l’arrière-plan,
voire les sacrifie 33.
Jean-Claude Mühlethaler quant à lui rappelle nettement la
dimension de traduction :
Pour le public médiéval, l’Ovide moralisé est une translation des
Métamorphoses. A l’exception d’ajouts, souvent importants, il respecte l’ordre des fables et suit d’assez près sa source pour pouvoir
être considéré, même par un lecteur moderne, comme une
traduction 34.
Deux caractéristiques explicites définissent la traduction dans
le commentaire de Jean-Claude Mühlethaler : le respect de l’ordre
des fables et la proximité avec la source, c’est-à-dire la traduction
comme processus et la traduction comme résultat de ce processus. Chacune des deux caractéristiques pose son lot de problèmes : du côté du processus, il n’existe pas de modèle précis
des opérations cognitives à l’œuvre dans la traduction, même si
la représentation du processus comme un transfert introduite par
Eugène Nida 35 tend à faire croire le contraire ; du côté du résul-
33
34
35
de recherches médiévales et humanistes, 9 | 2002, [En ligne], mis en ligne
le 04 septembre 2007. URL : http://crm.revues.org//76. Consulté le
20 novembre 2011.
Catherine Croizy-Naquet, « L’Ovide moralisé ou Ovide revisité : de métamorphose en anamorphose », Cahiers de recherches médiévales et humanistes,
9 | 2002, [En ligne], mis en ligne le 04 septembre 2007. URL : http://
crm.revues.org//76. Consulté le 20 novembre 2011, p. 2.
Jean-Claude Mühlethaler, « Entre amour et politique : métamorphoses ovidiennes à la fin du Moyen Âge », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 9 | 2002, [En ligne], mis en ligne le 04 septembre 2007. URL : http://
crm.revues.org//76. Consulté le 20 novembre 2011, p. 1.
Jeremy Munday, Introducing translation studies, London and New York,
Routledge, 2001, p. 40.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
35
tat, la notion de proximité renvoie à celle d’équivalence dont le
sort théorique a été scellé par le Pierre Ménard de Borges. L’examen
méthodique de la question du genre de l’Ovide moralisé butte en dernière analyse sur les problèmes théoriques de la traduction.
En abordant la présentation des fables sans a priori sur la définition de la traduction, l’analyse met en évidence un rapport plus étroit
qu’il ne paraît avec l’exercice de l’allégorèse. Un court extrait du
Livre I – la métamorphose de Daphné – dont Marylène PossamaiPerez souligne qu’il est « très fidèle » à Ovide, permet de cerner rapidement les contours du traitement réservé aux fables :
Vix prece finita, torpor grauis occupat artus,
Mollia cinguntur tenui praecordia libro,
In frondem crines, in ramos bracchia crescunt ;
Pes modo tam uelox pigris radicibus haeret,
Ora cacumen habent ; remanet nitor unus
[in illa. 36
A paine ot dit ce que je di,
Que tous lis cors li enroidi ;
Ses ventres, qui pas n’iert ençains,
Fu tous de tenvre escorce çains ;
Ses crins dorez et flamboians
Devindrent fueilles verdoians :
Ses bras sont en lons rams. muez :
Tous ses cours li est tresmuez :
Li piez isneaus de la meschine
Fu tenus a ferme racine.
S’el fu bele avant en cors,
Elle est arbre aussi bele encors. 37
Le lecteur moderne n’a aucune peine à identifier un traitement
répondant en de nombreux points à ce qu’il attend habituellement d’une traduction. Bien que relativement discrète, une pratique de l’ajout apparaît cependant, qui ne correspond pas à la
technique banale qui permet au traducteur de préciser le sens
d’une expression lorsqu’il est impossible de trouver le mot juste
ou, plus simplement, d’introduire une cheville. Marylène
Possamai-Perez pense identifier avec précision cette technique au
travers de certains ajouts rapprochant assez nettement Daphné
de la Vierge Marie : rappel de la virginité de la nymphe (« qui pas
n’iert ençains »), allusion à la couleur de ses cheveux flamboyants
comme une auréole, corps transfiguré en un élément échappant
à la putréfaction (« fueille verdoians »). Les exemples retenus par
36
37
v. 548-552, Ovide, TI, p. 26.
Marylène Possamai-Perez, L’Ovide moralisé, p. 28.
36
« OVIDE VEUT PARLER »
Marylène Possamai-Perez ne sont pas sans poser certaines
questions qui tiennent à la difficulté de cerner avec précision
toutes les interprétations possibles : la virginité de la nymphe ne
constitue pas par définition une anticipation de celle de la
Vierge ; il faut faire la part du topos dans l’association des cheveux flamboyants à une auréole ; l’allusion à la putréfaction à
partir de la description du feuillage naissant frise la surinterprétation. En laissant à Marylène Possamai-Perez le crédit d’une
interprétation conforme à l’ensemble de l’Ovide moralisé, la pratique de l’ajout qui peut être observée dans la traduction renvoie
à celle de l’allégorèse, présente plus généralement dans la glose :
le sens ajouté ne provient pas d’un calcul interprétatif basé sur les
présupposés de la culture romaine, mais de la présence inférée
de ce que Catherine Croizy-Naquet appelle une « vérité transcendante, enclose dans une perception chrétienne du monde » 38.
L’idée de l’existence d’une telle vérité dérive directement de
l’image d’Ovide au Moyen-âge telle que la résume Marylène Possamai-Perez :
[Ovide] devient un modèle pour les techniques littéraires, mais
aussi, et c’est plus surprenant, pour sa pensée : se développe alors
le mythe d’un poète « pré-chrétien » (le fait que les Métamorphoses
commencent par un récit de déluge a été senti comme une sorte de
préscience de la Révélation chrétienne), et celui d’un Ovide philosophe d’être un nouvel Ovide, à la fois poète et philosophe 39.
L’hypothèse interprétative sur laquelle s’appuie l’auteur de
l’Ovide moralisé en rapprochant Daphné de la Vierge Marie tire
très exactement les conséquences de l’idée qu’Ovide écrit sous
une sorte d’inspiration de la Révélation chrétienne. Ce qu’il faut
interroger, ce n’est toutefois pas tant la question d’une lecture
chrétienne d’Ovide, en soi conforme à la perception médiévale
de l’Antiquité, que l’opposition établie par la critique moderne
entre présentation des fables et allégorèse. Celle-ci ne rend pas
suffisamment compte de la constante interprétative qui relie les
38
39
Catherine Croizy-Naquet, « L’Ovide moralisé ou Ovide revisité : de métamorphose en anamorphose, Cahiers de recherches médiévales et humanistes », p. 2.
Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », p. 1
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
37
deux composantes de l’ouvrage. La signification métadiscursive
que l’allégorèse vise à donner aux Métamorphoses apparaît également dans le traitement des fables elles-mêmes. Les dispositifs
peuvent d’ailleurs excéder nettement les quelques ajouts identifiés dans la transformation de Daphné. Marylène PossamaiPerez 40 révèle ainsi le dispositif très sophistiqué qui vise à
donner une dimension véritablement christique au personnage
d’Actéon. Le traitement de la Genèse 41 implique la prise en
charge du polythéisme d’Ovide – dont le poème s’ouvre par une
invocation sans équivoque auX dieuX (« di ») – par un dispositif
permettant une intégration aussi adéquate que possible dans le
monothéisme chrétien.
La composition de l’ouvrage ne se résume donc pas à la juxtaposition, au sein d’une entité unique, de la glose, habituelle dans
le contexte médiéval de la traduction, à une traduction des Métamorphoses pour ainsi dire conforme aux attentes modernes en
matière de traduction. Si, en effet, la traductologie ne conteste
pas la part d’interprétation inhérente à l’exercice, les conditions
dans lesquelles doit s’exercer cette interprétation ne sont pas
celles de l’Ovide moralisé. La déontologie du traducteur moderne
requiert que ce dernier établisse sa version en référence au
contexte historico-poétique du texte source en excluant du texte
cible toute autre visée interprétative. En dernière analyse, c’est
moins la présence d’un commentaire ajouté que le traitement
même des fables qui distingue l’horizon de l’Ovide moralisé de
celui du Premier Livre.
La distance entre les deux horizons ne doit cependant pas
conduire à mettre en cause les qualités de traducteur de l’auteur
de l’Ovide moralisé. La version qu’il donne de la transformation
de Lycaon laisse apparaître rapidement sa maîtrise du latin et ses
qualités littéraires :
40
41
Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », p. 17-21.
Francine Mora, « Deux réceptions des Métamorphoses au XIVe et au
XVe siècle – Quelques remarques sur le traitement de la fable et de son exégèse dans l’Ovide moralisé en vers et sa première mise en prose », p. 5-7.
38
« OVIDE VEUT PARLER »
Exululat frustraque loqui conatur : ab ipso
Colligit os rabiem solitaeque cupidine caedis
Vtitur in pecudes et nunc quoque sanguine
[gaudet.
In uillos abeunt vestes, in crura lacerti ;
Fit lupus et ueteris seruat uestigia formae.
Canities eadem est, eadem uiolenta uultus,
Idem oculi lucent, eadem feritatis imago est 42.
Quand cuidoit parler, si ullot,
Et de la grant ire qu’il ot
Li prist une angoisseuse rage,
Encore angoisse, encore enrage
Des simples bestes devourer,
Et, si come il seult acorer
Les gens et mengier, il core
Les beste et menjuë encore.
Encor les escorce et desrobe.
En pel fu muee sa robe ;
Ses bras sont cuisses devenu ;
Encor il a le poil chanu ;
Il est fais leuz malz et nuisans :
Encor a il les leus luisans,
S’est plains de rage et de mauté,
Si com il ot ançois esté 43.
Non seulement, la version française reprend dans l’ordre
l’ensemble des éléments saillants du texte source (le cri, les poils,
les membres, les yeux, le visage) dans un récit qui ne souffre
d’aucune lourdeur, mais surtout elle identifie parfaitement la
logique profonde de la métamorphose décrite par Ovide, qui
veut que la transformation de Lycaon exacerbe dans la figure du
loup la cruauté même que Jupiter vise à punir. Présent cinq fois
dans le passage, l’adverbe « encore », qu’orchestrent en écho les
paronomases « acorer » et «core », souligne le lien entre le loup
qui va naître et l’horreur des actions passées de Lycaon. Les
champs sémantiques de la colère (« ulloit », « ire », « rage »,
« enrage ») et de la chasse (« devourer », « acorer », « escorce »,
« desrobe ») sont exploités pour fixer ce lien dans une orgie de
cruauté qui souligne la justice du sort réservé à Lycaon.
La maîtrise de la traduction dont témoigne l’auteur de l’Ovide
moralisé interdit d’évoquer une quelconque forme de maladresse
primitive pour expliquer les libertés prises dans la présentation
des fables. Celles-ci se trouvent au cœur même d’une démarche
délibérée qui consiste à identifier et à exprimer – quitte à le transformer profondément – tout indice potentiel d’une préscience de
la Révélation chrétienne dans le récit même des Métamorphoses,
42
43
v. 233-239, Ovide, TI, p. 15.
Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », p. 11.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
39
indépendamment des commentaires qui pourront le gloser. Le
raisonnement qui sous-tend cette démarche repose sur les mêmes
présupposés théoriques que l’allégorèse elle-même : tout élément
présent dans la fable d’Ovide est susceptible d’être compris à la
lumière de l’allégorie de la Révélation chrétienne à laquelle
aucun discours ne saurait échapper.
Associée à sa dimension de philosophe, la réputation de poète
préchrétien d’Ovide fait de lui le candidat désigné pour une interprétation chrétienne. Pour ce qui est de la présentation des fables,
l’auteur de l’Ovide moralisé ne voyait aucune difficulté à se donner
en quelque sorte le droit d’aider le poète latin à faire émerger le
sens des histoires qu’il raconte, non seulement dans un commentaire détaché de celles-ci, mais dans la trame même de leur récit. Le
fait que celui-ci demeure encore très largement identifiable dans la
version ainsi produite ne suffit cependant pas à maintenir l’exercice dans l’horizon de la traduction moderne. Celui-ci interdit de
faire franchir au texte cible le pas que le texte source ne franchit
pas : aussi préchrétien qu’on ait pu le juger, Ovide n’est pas un
auteur chrétien. L’Ovide moralisé réalise une forme de réécriture
située au-delà ce que désigne le concept moderne de traduction,
mais qui relève d’une lecture du poète latin qui a perduré au moins
jusque dans la première moitié du XVIe. Simone de Reyff décrit un
passage des Prisons 44 qui manifeste clairement que Marguerite de
Navarre elle-même continue de lire le poète latin comme un précurseur de la pensée chrétienne :
Lorsque le temple du savoir patiemment édifié par le prisonnier cède à
l’illumination du feu divin, les livres dispersés révèlent enfin leur
secret. […] Le narrateur invoque à l’appui de cette révélation toute
une série d’épisodes des Métamorphoses – des malheurs de Deucalion au châtiment d’Actéon, de la pluie d’or qui féconde Danaé à
l’embrasement insoutenable auquel succombe Sémélé – , dont chacun
contribue à éclairer les mystères de l’amour divin. Cette lecture qui,
délibérément, « laisse l’escorce » pour « prendre la mouelle » s’inscrit
sans contexte dans la tradition de Pierre Bersuire et de l’Ovide moralisé, au risque de trahir un regard un peu suranné 45.
44
45
Marguerite de Navarre, Les Prisons, éd. Simone Glasson, Genève, Droz, 1978,
p. 164-167.
Simone de Reyff, « Introduction à l’Histoire des Satires, et nymphes de Dyane »,
Marguerite de Navarre, Œuvres complètes publiées sous la direction de
Nicole Cazauran, Tome V, éd. André Gendre, Loris Petris, Simone de Reyff,
Paris, Champion, 2012, p. 18.
40
« OVIDE VEUT PARLER »
L’orientation du travail de Marot traducteur se détache de
façon assez nette de l’horizon de l’Ovide moralisé. Non seulement,
le Premier Livre isole complètement la présentation des fables de
leur glose, mais, surtout, il relève d’une pratique de la traduction
basée sur une interprétation du poème latin refusant toute inférence téléologique. Marot rend en quelque sorte Ovide à luimême en renonçant à l’éclairer sur la base de la Révélation chrétienne. Poète, Marot envisage avant tout les Métamorphoses
comme un texte dont la force se situe dans le rapport unique
qu’il établit avec les histoires qu’il raconte : il importe de faire en
sorte que le lecteur n’ait plus les fables des Métamorphoses « loin
de l’esprit » 46, conformément au motif de l’utilité du Premier
Livre établi par la dédicace. Le respect du détail des récits composés par Ovide devient avec Marot la pierre d’angle du travail du
traducteur : les ajouts visant à faire émerger la dimension chrétienne postulée par l’auteur de l’Ovide moralisé cessent d’être
légitimes.
Vu de loin, le geste de Marot traducteur semble cadrer très
exactement avec le cœur même du projet de la Renaissance, souvent résumé à la redécouverte de l’Antiquité. Il faut cependant
faire la part de simplification diachronique que recèlerait un tel
résumé. D’une part, le traitement de la matière ovidienne au
temps de Marot génère toute une série de succès d’édition dont
il est difficile de soutenir qu’ils relèvent de la traduction, comme
La bible des poëtes (1484, réédité en 1493, 1523 et 1531) ou le Grand
Olympe (1532). D’autre part, rien ne dit que la traduction en
langue vernaculaire participe véritablement du projet humaniste
d’édition des textes de l’Antiquité.
Dans Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses
d’Ovide, illustrées et publiées en France à la fin du XVe siècle et au
XVIe siècle, Ghislaine Amielle établit une généalogie 47 qui rattache
à la double ascendance de l’Ovidius Morazilatus de Pierre Bersuire
rédigé au XIVe siècle et d’un remaniement en prose de l’Ovide
moralisé situé vers 1466-1467 aussi bien La bible des poëtes que le
Grand Olympe : les deux ouvrages se distinguent cependant sur
46
47
Marot, TII, p. 406.
Ghislaine Amielle, Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses
p. 37.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
41
un point essentiel, puisque le Grand Olympe vise à « débarrasser
les Métamorphoses d’un pesant appareil doctrinal qui interdisait,
dans La bible des poëtes, toute lecture sensible ou simplement littérale du poème » 48.
La composition de La bible des poëtes présente un caractère
remarquablement méthodique qui indique à lui seul qu’il n’est
plus possible d’aborder les Métamorphoses avec la confiance herméneutique dont témoigne l’auteur de l’Ovide moralisé. L’ouvrage
débute par un « Prologue » dans lequel l’auteur expose à la fois
les raisons qui le poussent à donner cette version des Métamorphoses et la méthode utilisée. Basé sur l’existence de fables à l’intérieur même de la Bible, l’argument qui motive l’adaptation
d’Ovide indique qu’une interprétation des textes profanes selon
une méthode parallèle à celle de l’interprétation des écritures
peut les rendre profitables :
Combien que les fictions de aucuns vulgaires soient réputées choses
vaines et fabulatoires auxquelles ne faut ajouter aucune foi, si
n’est-il pas pourtant raisonnable que du tout on les rejette, car
comme par expérience nous voyons la Sainte Ecriture en plusieurs
lieux est vue user de similitudes et fables, ainsi comme au Livre des
Rois est récitée la fable du roi des arbres, en Ezéchiel, de l’aigle qui
feint emporter la moelle du cèdre. Notre Seigneur aussi faisant en
la terre les prédications selon le témoignage de ses évangélistes est
vu user en plusieurs lieux de similitudes paraboliques et paroles
saintes, non pas pour vouloir induire son peuple à croire la fiction,
mais pour plus facilement leur donner à entendre la vérité sous celle
fiction enclose. Vrai est aussi que jamais de poète ou orateur de haute
éloquence ne fut bonnement prise fable qui ne fût exemplaire ou
couverture d’aucune vérité, parquoy les sages et grands clercs ne les
ont point rejetées, mais d’elles ont tiré allégoriquement / moralement / historialement ou réellement vérité moulte profitable 49.
Une double négation dans la phrase qui exprime la valeur des
fables d’Ovide dit à elle seule à quel point le chemin est long du
fabuliste à la vérité acceptable :
48
49
Ghislaine Amielle, Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses
p. 94.
« Feuillet du Prologue », La bible des poëtes. Métamorphose [d’Ovide moralisée
par Thomas Walleys et traduite par Colard Manson], Paris, A. Vérard, Aii ro.
Il y a trois éditions électroniques disponibles sur Gallica. L’édition citée ici,
42
« OVIDE VEUT PARLER »
[Ovide] qui si grand poète fut que son livre par antonomase excellente
est appelé la Bible des poètes n’y assembla point les fictions qui y sont
qu’elles ne fussent réductives à aucune vérité ainsi comme bien appert
en son livre où évidentement le montre de la guerre aux Troyens 50.
L’idée d’un Ovide préchrétien semble d’ailleurs totalement
abandonnée lorsqu’on lit :
Bonne chose utile et profitable est d’être enseigné de son ennemy,
parquoy tirer vérité de fable et poétique fiction est profitable 51.
Prudemment, le « Prologue » se termine sur l’annonce d’une
série de feuillets consacrés à la description des divers dieux
païens dans le but manifeste de les rendre compatibles avec une
lecture chrétienne :
[…] cestuy livre contient plusieurs fables esquelles est faite mention
d’aucuns noms de dieu en dieux et déesses ainsi que les anciens
feignaient pluralité de dieux : et à ceux qui avaient aulcune singulière vertu ou prééminence plus que autres assignaient déité 52.
Dix-sept feuillets suivent le « Prologue » pour donner la description et figure (illustration) des principaux dieux de la mythologie : Saturne, Jupiter, Mars, Apollon, Vénus, Mercure, Diane,
Minerve, Junon, Cybèle, Neptune, Pan, Bacchus, Pluton, Vulcain,
Hercule et Esculape. Les descriptions alternent le rappel des
exploits des dieux et l’interprétation morale de ces derniers.
L’iconographie habituellement associée aux dieux apparaît dans
des vignettes dont la portée symbolique est également commentée. Un index simplement nommé « La Table » suit les feuillets
consacrés à la description des dieux et passe en revue les
épisodes des différents livres qui seront traités 53 : « La Table »
divise chaque livre en chapitres, ainsi pour le Livre I :
50
51
52
53
reconnaissable parce qu’elle est sans date, est liée à l’identifiant ark :/12148/
bpt6k709675.
« Feuillet du Prologue », La bible des poëtes. Métamorphose, Aii vo.
« Feuillet du Prologue », La bible des poëtes. Métamorphose, Aii vo.
« Feuillet du Prologue », La bible des poëtes. Métamorphose, Aii vo.
Dans le « Prologue », l’auteur a averti le lecteur qu’il avait laissé certaines
fables mineures de côté.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
43
Cy commence la table de ce présent livre intitulé Ovide Métamorphose. Et premièrement l’intitulacion du livre au feuillet premier.
¶ Comment Dieu créa le firmament. Et le trébuchement des mauvais anges en enfer. Et comment il créa l’homme à sa semblance /
feuillet ii.
¶ De la création de toutes les bêtes. Et de la dignité de l’âme
humaine. Et de la transgression d’Adam / feuillet iii.
¶ Comment Ovide l’acteur de ce présent livre entre en sa matière.
Et premièrement du roi Saturne, de sa femme et des ses enfants /
feuillet iii.
¶ Comment Jupiter retourna d’Arcade en Crète dont il débouta
Saturne son père et lui ôta les génitoires dont fut engendrée Venus /
feuillet iiii.
¶ Comment après que Saturne fut exilé de Crète, il arriva en Italie
où le roi Janus le reçut à grand honneur / feuillet iiii.
¶ Comment Titan frère de Saturne mut guerre contre Jupiter et fut
vaincu en bataille / feuillet iiii.
¶ Comment Jupiter s’en alla en Arcade où il mua le roi Lycaon en
un loup / feuillet iiii.
¶ Comment Jupiter assembla tous les dieux et si leur dit qu’il voulait détruire tout le monde / feuillet vi.
¶ Comment Jupiter fit le monde périr par eau / feuillet vi.
¶ Comment Deucalion et Pyrrha la femme restaurèrent tout le
monde. Et de la réponse que Thémis la Déesse leur fit / feuillet vii.
¶ Comment Phébus occit le serpent Python. Et de l’amour qu’il eut
à Daphné la pucelle qui devient laurier / feuillet vii.
¶ Comment Jupiter aima Io la fille Inachus. Et comment il la mua
en vache pour la peur de Junon sa femme, laquelle Junon bailla ladite
vache à garder à Argus / feuillet vii.
¶ Comment le flaiol fut premièrement trouvé par la mutation de la
belle Syrinx / feuillet ix.
¶ Comment Mercurius occit Argus. Et comment les yeux furent
mis en la queue du paon de Diane / feuillet x.
¶ Du débat qui sourdit entre Epaphus et Phaéton son compagnon
qui se disait fils de Phébus / feuillet xi 54.
On ne reconnaît qu’avec peine les premiers épisodes du Livre I
dans le sommaire que propose « La Table » : le titre « Comment
Ovide lacteur de ce présent livre entre la matière » indique peu
54
« La Table », La bible des poëtes. Métamorphose, Ciiii ro.
44
« OVIDE VEUT PARLER »
ou prou le moment où le texte commence à se rapprocher l’original ovidien, ou tout au moins la mythologie latine, l’épisode de
la chute de Saturne ne se trouvant pas dans Les Métamorphoses.
Le début du livre n’est pour autant pas totalement inventé par
l’auteur de La bible des poëtes : il consiste plutôt en un savant
dosage de parties héritées d’Ovide et d’extraits de la Bible. A
partir de l’épisode de l’arrivée de Saturne en Italie, le texte distingue plus clairement les récits des commentaires, en ajoutant
des titres tels que « Sens moral », « Alegorie », « Sens historial ».
Rien ne semble laissé au hasard pour permettre au lecteur
d’apprendre de ces « ennemis » que sont les fables et l’imagination poétique.
La dimension littéraire des Métamorphoses n’est pas au centre
des préoccupations de l’auteur de La bible des poëtes qui indique
dans le « Prologue » :
Oultreplus l’étude des anciens poètes et orateurs était de solicitement couvrir les histoires et choses que réellement ils savaient être
vraies sous fables et fiction de poésie parquoy Lucain est mieux dit
historiographe que poète et n’est pas de raison que les beaux dits et
fables des anciens poètes où tant de belles vérités sont closes soient
réprouvées sans respect de nulle valeur 55.
La valeur du texte d’Ovide est à rechercher dans les vérités
qu’il contient, sans que la dimension poétique ait véritablement
à être prise en compte. Le récit de la transformation de Lycaon
par Jupiter que l’auteur de l’Ovide moralisé avait rendu avec talent
est tout à fait révélateur. La version de La bible des poëtes tient en
une formule laconique : « mais j’ai de lui pris si griève vengeance
que je lui ai mué la forme humaine en ravissant loup » 56. Il en
va de même pour la transformation de Daphné : « Et tantôt la
Déesse ouit la prière, si la convertit et mua en laurier » 57. Etant
donné l’épais matériel éditorial qui sépare La bible des poëtes de
l’original ovidien, il semble vain de tenter d’évaluer ici un phénomène de traduction.
55
56
57
« Feuillet du Prologue », La bible des poëtes. Métamorphose, Aii ro.
« Feuillet du Premier Livre de Ovide », La bible des poëtes. Métamorphose, vi ro.
« Feuillet du Premier Livre de Ovide », La bible des poëtes. Métamorphose,
viii ro.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
45
Trois décennies plus tard, le programme du Grand Olympe
semble mettre au contraire l’accent sur la restitution de la
poésie ovidienne :
Mais entre tous le prix en a remporté l’amoureux poète Ovide en
ses transformations : œuvre de si grand prix et de tant de grâce que
les Grecs l’on traduit en leur langue. Ce que aussi dernièrement a
été fait en la langue Française : digne que tel livre soit par icelle lu
selon le naturel du livre sans allégories : lesquelles mieux que
ailleurs sont traitées par Fulgence en ses Mythologies ; lequel avec
céleste faveur au premier jour parlera François 58.
Retrouver le « naturel du livre » appelle une manière de traduire qui semble infiniment plus moderne que celle de La bible des
poëtes. Eclairer la portée exacte de l’expression dans son contexte
constituerait cependant une entreprise particulièrement
périlleuse. Fort heureusement, le reste du passage indique assez
clairement dans quelle direction est orientée le projet du traducteur. Quelques lignes avant le passage cité, l’évocation de Platon
exigeant un volume de Sophron comme oreiller alors qu’il voyait
« les limites de la vie » ou d’Alexandre endormi sur l’Iliade interdit toute équivoque : la lecture d’Ovide doit être envisagée pour
le plaisir qu’elle procure. La question qui se pose dès lors est celle
de la réussite du projet poétique en tant que tel. Le texte en prose
du Grand Olympe reproduit certes avec soin la progression narrative des fables d’Ovide, mais il procède le plus souvent de façon
paraphrastique à partir du texte de La bible des poëtes et peine à
saisir le souffle du texte latin. A nouveau, l’épisode de Lycaon
est révélateur :
Le cruel, voyant le feu prestement obéir à mon commandement, et
mettre en exécution par toute sa maison la vengeance méritée, épouvanté prit fuite, et se retira errant par les bois, et hurlant comme un
loup qui déjà à demi était. Et perdu avait parole quand ses robes
furent muées en peau velue, les bras en cuisses, toutefois la blanche
veillesse qu’il avait lui demeura, les yeux étincelants, et la même
58
Le Grand Olympe des histoires poétiques du prince de poésie Ovide Naso en sa
Métamorphose, œuvre authentique de hault artifice, pleine de honneste récréation.
Traduyct de latin en françoys et imprimé nouvellement, Lyon, Romain Morin,
1532, ai vo. Il y a deux éditions électroniques disponibles sur Gallica. L’édition citée ici est liée à l’identifiant ark :/12148/btv1b8600297j.
46
« OVIDE VEUT PARLER »
cruauté, et en despuis l’ardeur qu’il avoit de meurtrir, exerce envers
les simples brebis, et a joie de sang épandu 59.
On n’identifie pas d’exploitation directe de l’original ovidien.
Chez le poète latin, Lycaon qui hurle tente en vain de continuer
à parler et ne comprend pas le sort qui l’attend ; sa bouche désormais partiellement inutile devient un pur instrument de carnage ;
finalement, la transformation en loup dit la forme ultime de la
cruauté de Lycaon. De son côté, la version de la métamorphose
de Daphné en laurier reprend mot pour mot le texte de La bible
des poëtes : « Et tantôt la déesse ouit la prière, si la convertit &
mua en laurier » 60. Tout se passe comme si la simple reprise des
éléments référentiels du texte d’Ovide trouvés dans La bible des
poëtes suffisait à rendre le plaisir du texte : or, si la prose du
Grand Olympe est tout à fait fluide, elle est aveugle aux pertes
occasionnées par un renoncement radical à l’épaisseur de
l’expression originale. Ainsi, au commencement du monde, l’évocation purement géographique des éléments permet d’illustrer en
quoi la rédaction se distingue d’une traduction :
Nec circumfuso pendebat in aere tellus
Ponderibus librata suis, nec brachia longo
Margine terrarum porrexerat Amphitrite 61.
Encore la terre soutenue de son poids
et pendue au milieu des éléments
n’était mise à son fil et plomb solide,
et sise en sa rondeur sphérique.
Encore la grand mer n’avait étendu
ses longs & larges bras à l’entour de
la terre 62.
Ovide désigne la mer en évoquant la déesse Amphitrite : la
représentation de la mer englobante au travers d’une figure
mythologique ne relève certes pas du système interprétatif jugé
nécessaire par les auteurs de l’Ovide moralisé ou de La bible des
poëtes. Elle met cependant en évidence la polysémie de « brachia », jusqu’à faire avancer à Barthélemy Aneau une étymologie
59
60
61
62
Le Grand Olympe des histoires poétiques du prince de poésie Ovide Naso, Le
Premier Livre, Feuillet XI vo.
Le Grand Olympe des histoires poétiques du prince de poésie Ovide Naso, Le
Premier Livre, Feuillet XV ro.
v. 13-14, Ovide, TI, p. 7.
Le Grand Olympe des histoires poétiques du prince de poésie Ovide Naso, Le
Premier Livre, Feuillet III ro.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
47
quelque peu fantaisiste pour le nom « Amphitrite » : « Amphitrite signifie rasant la terre tout au tour, qu’est la grand mer. » 63
La version du Grand Olympe conserve certes le mot « bras », mais
avec beaucoup moins de relief. L’abandon de l’allusion mythologique conduit à négliger un caractère essentiel de la poésie
d’Ovide, construite précisément pour tirer partie de la capacité
du langage à dépasser ce qu’Aneau appelle « la simple et nue
declaration des choses » 64.
La distance avec le texte original d’Ovide qui caractérise le
Grand Olympe a pour effet d’effacer des indices importants pour
l’interprétation du texte, même lorsqu’il désigne de façon tout à
fait transparente le référent du texte source, en donnant « la mer »
pour « Amphitrite ». Or, le jeu avec ces indices est l’un des
charmes les plus évidents de la poésie des Métamorphoses : par
exemple, lorsque le poète rappelle l’institution des jeux pythiques
par Apollon, il fait remarquer que les vainqueurs étaient couronnés par des feuilles de chêne, le laurier n’existant pas encore
(« Nondum laurus erat » 65) ; ce faisant, il prépare implicitement
la transition vers la transformation de Daphné dont le récit va
suivre. En verbalisant explicitement cette transition, le Grand
Olympe commet une maladresse en quelque sorte inverse à celle
de l’effacement d’un indice, sa transformation en information
précise :
Et en signe d’icelle victoire établit un jeu qu’il fit appeler la fête
Pythia. Et était une course de jeunes gens, et celui qui mieux fuirait
aurait couronne de néflier, car en ce temps n’était point encore de
laurier, car s’il en eût été Phebus l’eût porté pour la victoire qu’il
avait eue. Et l’occasion pourquoi le laurier vient premièrement, je le
compterai prestement 66.
Si le système de commentaires intégrés de l’Ovide moralisé ou
de La bible des poëtes est situé très nettement en dehors de l’horizon de la traduction moderne, le rapport du Grand Olympe au
texte original l’est tout autant. En réalité, ce que recherche le
63
64
65
66
Trois premiers livres, p. 42.
Barthélemy Aneau, « Préparation de voie », Trois premiers livres, p. 7.
Ovide, TI, v. 450.
Le Grand Olympe des histoires poétiques du prince de poésie Ovide Naso, Le
Premier Livre, Feuillet XIIII ro.
48
« OVIDE VEUT PARLER »
Grand Olympe, c’est une forme libre de réécriture permettant
d’introduire dans le texte des Métamorphoses une copia porteuse
d’interprétations moins déterminées par l’original latin. Paul
Chavy souligne que le projet n’est pas dénué d’une ambition littéraire qui a pu plaire aux lecteurs du temps de Marot :
[…] des deux autres [versions], laquelle représente le mieux les tendances nouvelles ? Laquelle est digne de la Renaissance ? Nous penchons aujourd’hui pour celle de Marot ; elle nous paraît obéir
davantage au goût de l’authentique, que nous attribuons, peut-être
un peu généreusement, à l’humanisme du XVIe siècle. Mais tel
n’était pas, semble-t-il, l’avis des contemporains : la relève de l’indigente Bible des poètes, ce ne sont pas des traductions comme celle
de Marot qui l’ont assurée, sobres et relativement exactes, c’est la
luxuriante paraphrase du Grand Olympe, où les mythes païens
prolifèrent sur le poème d’Ovide, comme jadis les interprétations
chrétiennes dans l’Ovide moralisé 67.
Rien n’indique qu’aux alentours de 1530 le projet du Premier
Livre soit susceptible de rendre subitement obsolètes les expériences littéraires issues de la tradition médiévale. Si Ann Moss 68
indique que la Metamorphosis Ovidiana de Bersuire publiée en
1509 « quickly fell out of fashion », l’importance que Barthélémy
Aneau accorde à l’allégorèse dans son traitement des Métamorphoses témoigne de la vogue persistante des versions glosées
d’Ovide.
C’est en réalité une vie entière d’étude humaniste, celle de
Barthélemy Aneau, qui sépare la publication du Grand Olympe
(1532) de l’édition des Trois Premiers Livres de la Métamorphose
(1556) : le dispositif mis en place par l’auteur de l’Imagination
poetique relève d’une érudition capable d’embrasser toutes les
dimensions des Métamorphoses. La page de titre décrit ce dispositif dans un ordre qui peut servir de guide à la découverte de
l’ouvrage :
67
68
Paul Chavy, « Les traductions humanistes au début de la Renaissance française : traductions médiévales, traductions modernes », Canadian Review of
Comparative Literature, 1981/8, no 2, p. 298.
Ann Moss, Ovid in Renaissance France. A survey of the latin editions of Ovid
and commentaries printed in France before 1600, The Warburg Institute, University of London, 1982, p. 26.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
49
Trois premiers livres
DE LA
METAMORPHOSE D’OVIDE,
Traduictz en vers François. Le premier
Et second, par CL. Marot. Le tiers
PAR B. ANEAU.
MYTHOLOGIZEZ par Allegories Historiales, Naturelles et Moralles recueillies des bons autheurs Grecz, et Latins,
sur toutes les fables, et sentences. Illustrez
de figures et images convenantes.
AVEC
UNE PREPARATION de voie à la lecture et intelligence des Poëtes fabuleux 69.
Le titre désigne d’abord l’ouvrage comme une traduction « en
vers François » : Aneau explique que son projet consistait à l’origine à donner la traduction de la totalité des Métamorphoses, mais
que son « entreprinse trop negligente a esté prevenue par François Habert » 70 dont la traduction des Six livres de la Métamorphose
est parue à Paris en 1549. Aneau ne dit pas si la traduction complète à laquelle il pensait devait être ou non complétée par des
interprétations du même type que celles qu’il donne aux trois
premiers livres : une telle réalisation aurait sans doute constitué
LA version du siècle, mais, à plus de 50 ans, Aneau a pu considérer qu’il était plus sage de s’en tenir aux éléments dont il disposait déjà. Un point semble cependant acquis : les livres traduits
par Marot auraient trouvé leur place dans la traduction complète
prévue par Aneau. D’une part, ce dernier semble considérer la
traduction comme une entreprise par nature collective :
Et en cela [donner sa version, malgré la parution de celle d’Habert]
m’en est prins comme aux bons Poëtes de present, Du Belay et des
Masures : qui tous deux se sont rencontrez en mesme translation de
l’Aineide Vergiliane, sans en estre destournez l’un par l’autre, ne
l’un ne l’autre par la premiere traduction de Messire Octovian de
Sainct Gelais 71.
69
70
71
Trois premiers livres, p. 1.
Trois premiers livres, p. 13.
Trois premiers livres, p. 13.
50
« OVIDE VEUT PARLER »
D’autre part, après avoir passé la version de Marot au crible
d’une lecture philologique serrée, Aneau décrit les « emendations » qu’il apporte au texte marotique comme des compléments
utiles qui ne remettent pas en cause la réussite globale des deux
premiers livres. Surtout, la préoccupation principale d’Aneau
porte sur l’observation d’une méthode rigoureuse pour l’élaboration des commentaires qui accompagnent la traduction :
[…] j’ay illustré ces trois livres d’interprétation apposée pres du
texte, et ce non point par tropologies anagogicques […]. Je ne l’ay
aussi adaptée à l’Alchemie […]. Quant à mon intelligence je l’expose
par belles mythologies Allegoricques, et convenantes interpretations
des fables extraictes des meilleurs Mythologes de la Grece, et Rommanie : et aussi recueillies par cy par là en diverses lectures de
Philosophes, Orateurs, Historians, et commentateurs en y adjoustant ce que de mon jugement, et sens naturel je y puys approprier
en suyvant la raison 72.
Le programme interprétatif exposé par Aneau tranche nettement avec les allégorèses de l’Ovide moralisé ou de La bible des
poëtes : renonçant à la glose un peu mécanique induite par la
perspective exclusivement chrétienne du commentaire, la
méthode anelienne exploite toutes les ressources à la disposition
du lecteur de la Renaissance.
Jean-Claude Moisan consacre une étude magistrale à la
construction rigoureuse de la lecture critique opérée par Aneau,
construction d’autant plus fascinante qu’elle se manifeste au travers de commentaires presque triviaux sobrement apposés à la
version française. « Aneau semble débiter, laconiquement, des
évidences » 73 écrit Moisan dont l’analyse établit au contraire la
cohérence profonde de l’entreprise anelienne. La pratique du
commentaire par Aneau n’ignore rien des ressources rhétoriques
présidant à la naissance de l’allégorie : elocutio, dispositio et inventio sont toutes envisagées. Au-delà de la grille rhétorique, Moisan
met en évidence ce qu’il appelle la « macrostructure du commentaire » et qui désigne « un vaste intertexte susceptible de recouper, en général, celui des recueils d’emblèmes mais, plus
72
73
Trois premiers livres, p. 17-18.
Trois premiers livres, LXXII.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
51
particulièrement, celui des recueils d’emblèmes produits ou traduits par Aneau avant que ne paraisse son édition des Métamorphoses. » 74 L’organisation supérieure de l’interprétation est
assurée par une arborescence qui, à partir de récurrences du commentaire au sujet de l’allégorie physique (Phébus représentant le
Soleil), se déploie horizontalement à destination, par exemple, de
l’allégorie morale (style d’exercice du pouvoir à travers sa course
diurne) ou de l’allégorie historique (éruption volcanique, sécheresse en Ethiopie). Le principe central du decorum régule le développement de cette arborescence pour éviter son explosion en
jungle interprétative.
La conjonction d’une traduction en vers soignée et d’un commentaire érudit ambitieux pose la question des limites respectives des deux exercices. Malgré la dédicace « A treshonnestes et
vertueux adolescens Francois, et Leonard Pornas, freres germains
lyonnois », l’ambition de l’entreprise anelienne n’est pas simplement didactique. La « Preparation de voie à la lecture, et intelligence de la Metamorphose d’Ovide, et de tous poëtes fabuleux »
s’ouvre sur le vertige que provoque l’idée de la compréhension
d’un poème :
L’AME de l’homme procedée de l’infini, est aussi infinie en ces deux
propres actes de volunté, et intelligence. […] Laquelle Ame estant
infinie en ces deux puissances et actes, ne se contente de la simple
et nue declaration des choses : mais oultre ce a voulu y cercher aultre
sens plus secret, et attaindre à plus haut entendre : où elle cognoissoit icelluy estre abscons, et elevé : ou bien si tel n’y sembloit estre,
le y a voulu adapter 75.
Avant de décrire les moyens qu’il se donne pour révéler le
« sens plus secret », et « attaindre à plus haut entendre », Aneau
livre une ample réflexion sur la valeur épistémologique de la
poésie qu’il qualifie constamment de « divine » : sur ces matières,
l’humaniste se place dans une perspective habituelle à l’époque.
La liste étourdissante des lectures préalables à « l’intelligence des
fables poëtiques » qu’il dresse ensuite mérite cependant une mention : plus d’une cinquantaine de références, mêlant poètes grecs
74
75
Trois premiers livres, LXVI.
Trois premiers livres, p. 7.
52
« OVIDE VEUT PARLER »
et latins, grammairiens et historiens, incluant jusqu’aux philosophes chrétiens. Aneau rappelle encore que le poème d’Ovide
est celui qui constitue, par excellence, le terrain de choix de
l’interprétation :
Or est il vray que entre toutes les Poësies Latines n’en y a point
de si ample, ne de tant riche, si diverse, et tant universelle que la
Metamorphose d’Ovide qui contient en quinze livres composez en
beaux vers Heroiques toutes les fabulations, (ou à peu pres) des Poëtes,
et scripteurs anciens tellement liées l’une à l’autre, et si bien enchainées par continuelle poursuycte, et par artificielles transitions : que
l’une semble naistre, et dependre de l’autre successivement, et non
abruptement : combien qu’elles soient merveilleusement dissemblables de diverses personnes, matieres, temps, et lieux 76.
Aneau entend embrasser la richesse « si diverse, et tant universelle » des Métamorphoses au travers d’un dispositif sophistiqué qui associe traduction en vers, illustrations et commentaires.
Même si elle a recours à des méthodes interprétatives renouvelées, organisées selon un schéma cohérent, la stratégie appliquée
rejoint à certains égards la tradition qui, depuis l’Ovide moralisé,
a vu le plus souvent les versions françaises être accompagnées
par un appareil métadiscursif dont le volume dépasse celui du
poème original. Il s’agit de s’assurer que soient compensées les
pertes éventuellement provoquées par la traduction en actualisant les signifiés potentiels définis sur la base de la technique
d’interprétation retenue. La formule est d’autant plus acceptable
qu’elle traverse des époques qui, de la glose médiévale au commentaire humaniste, n’aiment rien tant que les marginalia, notes
et autres formes de l’écriture réflexive.
Une question cependant se pose : le commentaire parvient-il
réellement à rendre compte de la richesse que perçoit le commentateur ? L’évolution du canon herméneutique rend la question un
peu caduque en ce qui concerne l’Ovide moralisé ou La bible des
poëtes. Il semble plus pertinent de l’adresser aux Trois premiers
livres dont les références interprétatives conservent nettement
plus de pertinence aux yeux du lecteur d’aujourd’hui : au-delà
de la justesse de la « Preparation de voie », au-delà de la subtile
76
Trois premiers livres, p. 12.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
53
construction du commentaire anelien, l’expérience consiste-t-elle
à lire Ovide comme Aneau ou à travers Aneau ? Est-il véritablement possible d’oublier l’existence du seuil que constitue le métatexte pour entrer directement dans le texte ovidien ? La pratique
des marginalia masque-t-elle, en dernière analyse, un aveuglement semblable à celui de Pierre Ménard dont la version du
Quichotte reprend mot pour mot le texte de Cervantès ?
Le choix marotique d’une version dénuée de commentaire
exploite quant à lui l’incomplétude de la traduction pour affirmer
l’autorité du modèle : toute traduction est traduction de quelque
chose, aucune traduction ne se renferme sur elle-même. Le lien
au texte source relie à l’infini de ce dernier. Face aux stratégies
maximalistes organisées autour du commentaire, le geste de
Marot se fie à la devise de son maître, Jean Lemaire de Belges 77 :
« de peu assez ». Le commentaire n’est pas le complément obligatoire de la traduction, même pour un livre de sens aussi « secret »
– pour reprendre l’expression de Barthélemy Aneau – que les
Métamorphoses. La limite même de la traduction, qui implique un
écart avec le texte source, contient en soi une invitation à revenir
à l’original pour en goûter la souveraine richesse. Proposer une
interprétation globalisante dans le volume même qui contient la
traduction relève d’une conception éditoriale qui tend à ériger le
traducteur-éditeur-commentateur en « auctor » surplombant au
final l’auteur source. Le mouvement général des idées à l’époque
de Marot consiste au contraire à promouvoir un retour à l’autorité du texte original. Rien ne dit cependant qu’aux yeux des
grands humanistes contemporains de Marot, un texte traduit en
langue vernaculaire ait pu jouir d’une autorité quelconque.
HUMANISME ET TRADUCTION
Nombreux sont les liens entre les idées nouvelles qui s’imposent
progressivement sous le règne de François Ier et l’entreprise
consistant à donner une traduction soignée, en français et en vers,
77
François Rigolot, « De peu assez : Clément Marot et Jean Lemaire de Belges »,
Actes Cahors, 185-199. François Rigolot souligne l’absence chez Marot de
long dithyrambe consacré à Jean Lemaire De Belges, mais suggère que la
devise « de peu assez » guide tout de même Marot dans son attitude face à
l’héritage poétique transmis par la génération précédente.
54
« OVIDE VEUT PARLER »
d’un des textes les plus connus de la tradition antique, mais ces
liens ne forment pas de cohérence autour d’une inscription
immédiate du Premier Livre dans le projet des grands lettrés du
temps. La dédicace à François Ier trace les contours de la problématique : Marot à la fois s’aventure en philologue sur la question
de l’étymologie du mot « métamorphose », insiste sur ses propres
limites de latiniste et se montre soucieux de ceux « qui n’ont la
langue Latine » 78. Tout se passe comme si le poète lui-même hésitait à inscrire clairement sa réalisation dans le courant humaniste : revenir à certains des projets les plus symboliques de la
progression des idées nouvelles permet de comprendre la justesse de la position de Marot.
Glyn P. Norton ouvre la grande synthèse qu’il donne des questions théoriques de la traduction dans la France du XVIe siècle en
remontant aux origines mêmes de l’humanisme : il rappelle par
exemple le rôle éminent joué par Manuel Chrysolas, érudit
byzantin arrivé à Florence en 1398 79. Norton détaille également
la progression des idées dans l’Italie du XVe siècle au travers de
théoriciens tels que Leonardo Bruni ou Giannozzo Manetti.
Norton s’intéresse cependant peu aux réalisations effectives de
la traduction humaniste : en tant que telle, une entreprise aussi
emblématique que la traduction du Nouveau Testament par
Erasme est totalement absente de la perspective de l’ouvrage 80.
Considérer la traduction humaniste au travers de la pratique
d’Erasme conduit à laisser un peu de côté les spéculations théoriques sur les modalités du passage d’une langue à une autre
pour se concentrer sur les progrès apportés par une méthode
centrée sur l’établissement du texte source et la distinction nécessaire entre le texte et son commentaire. Prendre toute la mesure
de ces progrès implique de se souvenir que la version qu’Erasme
cherche à dépasser n’est rien moins que celle de Saint Jérôme. Le
78
79
80
Marot, TII, p. 406.
Glyn P. Norton, The Ideology and Language of Translation in Renaissance France,
34-35.
Ce qui peut se comprendre, si l’on considère la perspective de Norton. Celleci consiste, il faut le rappeler, à donner une synthèse des théories de la
traduction à la Renaissance, telle qu’elle puisse révéler une approche subtile
(et toujours pertinente aujourd’hui) de la question théorique de la traduction. La dimension très nettement spéculative de l’ouvrage le rend cependant peu opérationnel pour aborder une réalisation donnée.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
55
prestige de cette version est tel qu’une justification est nécessaire
pour celui qui entend la modifier. Paul Jacopin et Jacqueline
Lagrée résument ainsi le raisonnement qui sous-tend l’entreprise d’Erasme :
La fausse vénération de l’Ecriture, c’est le respect superstitieux de
la lettre qui s’interdit d’en changer serait-ce un iota, sans tenir
compte des conditions de rédaction et de diffusion, des recopiages,
des erreurs des copistes, des gloses des commentateurs. L’inspiration
du Saint-Esprit ne vaut que pour les premiers rédacteurs des Evangiles et pas pour les diffuseurs ou les traducteurs. Donc la Vulgate,
la traduction de Jérôme, n’est pas inspirée même si cette traduction
mérite la préférence en raison de sa valeur intrinsèque et de son
adoption par la tradition de l’Eglise 81.
La confiance d’Erasme dans la philologie éclate dans l’idée
que la méthode, et non l’inspiration, fonde les critères permettant
de juger de la valeur d’une version : on n’imagine guère affirmation plus forte des ambitions humanistes dans le domaine de la
traduction. Le texte cible que propose cette dernière doit pouvoir
servir de base à la discussion érudite. Une ligne de partage doit
cependant être tracée nettement entre traduction humaniste et
traduction vernaculaire : seules les versions de la première sont
acceptables au titre de l’idée du retour aux sources. Pour prendre
toute la mesure de ce que pouvait avoir de radical le projet humaniste, il est utile de revenir sur certaines des conceptions de Budé
à propos du retour à l’Antiquité.
En évoquant les circonstances de l’institution des lecteurs
royaux, qu’il appelle « le grand projet » du règne François Ier,
Gilbert Gadoffre revient sur le projet original de Guillaume Budé,
celui d’un temple des muses situé face au Louvre, projet sur
lequel l’humaniste insiste dans la préface des Commentarii linguae
latinae qu’il adresse au roi :
Vous établiriez, disiez-vous, un temple splendide pour la science par
excellence et les lettres d’humanité, vous construiriez un pensionnat
immense où il serait possible pour les adeptes des Lettres de suivre
le parcours encyclopédique et, pour qui le désirerait, de franchir le
81
Paul Jacopin, Jacqueline Lagrée, Erasme – Humanisme et langage, Paris, PUF,
1996, p. 54.
56
« OVIDE VEUT PARLER »
long stade ; on y trouverait en abondance tous les instruments
propres à faciliter l’étude ; on admettrait dans ce pensionnat un
grand nombre d’étudiants qui sembleraient voués au culte d’Athéna
et des Muses 82.
Gadoffre démontre que ce projet, désigné le plus souvent par
Budé sous le terme de Mouseïon, ne vise rien moins que le rétablissement complet de l’Antiquité. Budé appelle ce retour « apocatastasis antiquae sapientiae » 83 suivant le concept astronomique
d’apocatastasis (retour d’une étoile à sa position première).
Gadoffre estime que François Ier se montra d’abord réticent au
projet. Le critique fonde sa conviction sur un passage du dialogue De Philologia dans lequel Budé prête au roi les propos
suivants :
[…]il y a des déluges pour les civilisations comme pour la Nature,
qui engloutissent pêle-mêle tout ce qui avait été inventé pour l’usage
des hommes et pour leurs échanges […].
Mais il y a une chose que nous ne verrons pas : c’est la remontée à
la surface et la résurrection de ce que les déluges ont englouti, même
si nos contemporains retournaient toutes les pierres, même s’ils ne
reculaient devant aucun obstacle, même s’ils fouillaient les mers
pour en extraire ce qui a été enseveli 84.
Les circonstances politiques longtemps incertaines (captivité
en Espagne, opposition des forces conservatrices, affaire Berquin)
amènent finalement François Ier à revoir sa position et à décider
l’institution des lecteurs royaux que Gilbert Gadoffre qualifie de
« compromis » pour souligner la différence entre l’ambitieux
idéalisme du projet originel de Budé et le pragmatisme de la
solution retenue par François Ier. Il n’y a, cependant, aucun compromis sur l’horizon du projet, tout entier résumé dans la formule apocatastasis antiquae sapientiae : ce sont deux chaires de grec
et deux chaires d’hébreu qui sont créées au début de l’année 1530
pour les lecteurs royaux.
82
83
84
Budé, Correspondance, t. I. Lettres grecques, p. 349, cité par Gilbert Gadoffre,
La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 208.
Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 209.
Budé, De Philologia, éd. 1536, fol. XLI vo, cité par Gadoffre, La Révolution
culturelle dans la France des humanistes, p. 210.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
57
Dans le nouvel espace institué par la décision royale, les
auteurs vernaculaires tentent de se faire un place, mais cela se
révèle plus délicat qu’il ne paraît. Thomas Hunkeler rappelle
comment Antoine Héroët, auteur d’une traduction en français
d’un extrait du Banquet de Platon, tente de placer son projet dans
la droite ligne du projet humaniste français :
Livres estoient par enormes delicts
Auparavant morts et ensepveliz,
Doctes estoient par ignorantz tués ;
De vostre regne on voit restitués
Grec et Hebrieu (langages trop hays)
Et les bannys remys en leur pais 85.
Thomas Hunkeler souligne toutefois qu’au travers de ses
métaphores, l’épître d’Heroët « témoigne […], sans doute malgré
elle, des contradictions avec lesquelles l’homme de la Renaissance doit s’arranger quand il entend se démarquer du Moyen
Âge 86» : d’abord, la tradition qu’il s’agit de restituer n’était pas
véritablement morte ; ensuite, le texte que traduit Heroët a été
restitué, bien avant le règne de François Ier, par le travail de
Marsile Ficin ; enfin, au niveau linguistique, le latin, langue
majeure de l’Antiquité, n’a jamais disparu. L’inscription directe
d’un projet de traduction vernaculaire dans la dynamique induite
par Budé semble devoir s’accommoder de nombreuses
approximations.
Au-delà des complexités éditoriales requises par l’inscription
de la traduction vernaculaire dans le projet humaniste, c’est bel
et bien l’existence d’une pensée vivante, exprimée en latin, qui
semble interdire aux versions françaises toute justification par la
nécessité du retour à l’Antiquité. Il ne s’agit pas simplement de
conserver, par habitude, la langue des clercs du Moyen-âge. Dans
la suite des querelles des anciens, le latin est été mis en balance
avec le grec dès la renaissance des études hellénistiques 87.
85
86
87
Antoine Heroët, L’androgyne de Platon, v. 81-86 de l’épître dédicatoire, cité
par Thomas Hunkeler, Le Vif du sens, Paris, Droz, 2003, p. 33.
Thomas Hunkeler, Le Vif du sens, p. 33.
Ainsi que le rapporte par exemple Sarah Stever Gravelle dans un article où
elle présente par ailleurs la préférence de Lorenzo Valla pour le latin. Voir
Sarah Stever Gravelle, « Lorenzo Valla’s comparison of Latin and Greek and
the Humanist Background », BHR, Tome XLIV, 2, 1982, 269-290.
58
« OVIDE VEUT PARLER »
L’œuvre d’Erasme est toute entière empreinte du souci de forger
une langue latine adaptée aux besoins du temps : l’attaque menée
contre les conservateurs de la langue dans le Ciceronianus vise à
garantir au latin les attributs d’une langue vivante. L’inutilité de
la traduction en langue vernaculaire constitue le corollaire de la
perspective érasmienne : celui qui entend accéder à la culture
maîtrise le latin et n’a pas besoin d’une traduction dans sa langue
maternelle pour découvrir les classiques. Dans cette logique, c’est
bien plus une édition savante du type de celle de Regius que la
version française de Marot qui doit accompagner la découverte
des Métamorphoses. Dans les pages qui suivent, on verra, au travers d’un certain nombre de curiosités, que seules des circonstances tout à fait particulières ont pu conduire les humanistes
de premier plan à envisager la traduction en vernaculaire, voire
du vernaculaire.
Ce n’est donc pas le seul souci de la captatio qui commande la
modestie de Marot vis-à-vis des idées nouvelles. Aussi proche
qu’il ait pu se sentir des projets de Budé ou des idées d’Erasme,
le poète ne pouvait songer à placer son projet dans la ligne
directe des réalisations emblématiques des humanistes. Celui qui
appelle la cour sa « maîtresse d’école » ne saurait prétendre au
cercle des véritables lettrés : les nuances observées dans la dédicace ne relèvent pas de l’hésitation, mais de la justesse dans la
perception de sa position, celle peut-être d’un satellite de l’étoile
que Budé entend remettre à sa place. Pour cerner pleinement
le contexte du Premier Livre, il faut considérer un horizon que
l’opposition « langues anciennes / langues vernaculaire » ne
permet pas de décrire : certaines composantes de l’histoire littéraire et de la traduction en vernaculaire, moins en vue dans la
vie intellectuelle du premier XVIe siècle, permettent de saisir sur
le vif les débuts de cette nouvelle forme de modernité.
Gilbert Gadoffre fait ainsi le portrait d’un Budé abandonnant
les dédales rêvés du Mouseïon pour répondre à des obligations
toutes matérielles :
Résidences secondaires, hôtel particulier de la rue Saint-Marcel
reconstruit à grands frais, dix enfants à élever, leur précepteur à
entretenir, autant de charges qui ont fait fondre le patrimoine et
gonfler les besoins d’argent. C’est l’une des raisons – mais non la
seule – de la double vie de Budé qui se partage entre ses travaux
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
59
d’humaniste et les fonctions dont on le comble, justifiées par les
impératifs matériels que sa situation de père de famille besogneux
lui interdit de négliger, et par les services que sa présence à la cour
lui permet de rendre aux lettres 88.
Servir les lettres en paraissant à la cour : l’idée ne cadre que
difficilement avec l’image austère des tableaux où les humanistes
posent vêtus de sombre, la plume à la main. Erasme lui-même
explique cependant à Budé qu’il n’a pas à choisir entre les lettres
et la cour :
J’ai trouvé très mauvais que, dans une de tes épîtres, tu aies l’air de
vouloir abandonner la cause des lettres, maintenant que tu as été
appelé à la cour. Je pense au contraire que c’est justement le moment
de prendre sous ta protection ces lettres que toute ta vie tu as aimées
passionnément, cultivées avec plus de zèle que personne et défendues
avec tant de courage. Ton rang à la cour va te donner le moyen
d’être plus utile aux humanités 89.
Le conseil d’Erasme prend sans doute la mesure d’un équilibre
propre à la France : les idées nouvelles ne peuvent pas faire face
à l’opposition de l’université sans l’appui des forces vives du
royaume. Peu nombreux sont ceux qui, à la cour, pourraient simplement lire les travaux de Budé, mais faire savoir que le roi, au
travers des faveurs accordées à l’humaniste, est favorable à leur
diffusion indique clairement aux courtisans où souffle le vent.
Dans ce contexte, la traduction en langue vernaculaire devient
en quelque sorte l’alliée objective de la cause humaniste : ceux qui
ne sont pas latinistes peuvent avoir l’impression d’accéder de
façon relativement directe à la culture antique, ceux qui n’ont pas
accès à la lecture peuvent même entendre une version récitée et
prétendre eux aussi à une connaissance relativement précise de
l’original grec ou latin. Bien sûr, jamais un lettré digne de ce nom
n’accepterait de se contenter d’un dispositif aussi hasardeux, mais
la situation linguistique spécifique du roi qui n’est pas latiniste
implique d’avoir recours à des expédients. C’est ainsi François Ier
88
89
Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 69.
Erasme, Correspondance, cité par Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle
dans la France des humanistes, p. 69.
60
« OVIDE VEUT PARLER »
lui-même qui décide en 1527 de publier les traductions de Thucydide par Claude de Seyssel. Réalisées sous le règne de Louis XII,
elles avaient été réservées à l’usage du souverain. Dans la préface
du premier volume de la série, Jacques Colin explique le geste
du roi :
Le roy Françoys ayant en sa librairie Thucydide athénien translaté en
notre langue par un tel personnage que fut messire Claude de Seyssel,
qu’il solennise pour son chef-d’œuvre, pour ce que ledit livre ne se
trouvoit ailleurs, de son propre mouvement a esté content d’en faire
part aux princes, seigneurs et gentilshommes de son royaume 90.
L’entreprise est d’autant plus emblématique de l’alliance a
priori improbable entre traduction en vernaculaire et cause humaniste qu’elle reçoit l’appui de Budé 91, alors même que le travail
de Seyssel est loin de satisfaire aux exigences que le grand helléniste s’appliquait à lui-même, Seyssel traduisant non à partir du
grec, mais à partir de versions latines 92. Le fait que la version
retenue par Seyssel soit celle de Lorenzo Valla 93 a sans doute
aidé Budé à soutenir l’entreprise du roi. L’association de Marot à
cette publication est plus révélatrice encore de l’élan que donne
la volonté royale. Le dizain « Sur le Thucydide de Claude de
Seyssel », apparaît dans l’ouvrage publié en 1527 :
Voyez l’histoire (ô vous, nobles espritz)
Par laquelle est toute aultre precellée,
Avec la fleur, le fruict y est compris,
D’antiquité, toute renouvellée,
Qui par trop d’ans vous eust esté celée,
Si le franc Roy ne vous en eust fait part.
Riches sont ceulx à qui leur Roy depart
Plus beaulx tresors qu’argent à grosses sommes :
Et bien merite avoir histoire apart
Qui telle histoire offre aux yeulx de ses homes 94.
90
91
92
93
94
Cité par Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 257.
Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes,
Genève, p. 257.
Myriam Salama-Carr, “French tradition”, Routledge Encyclopedia of Translation
Studies, éd. Mona Baker, London and New York, Routledge, 2000, p. 414.
Marot, TII, p. 1126.
Marot, TII, p. 322.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
61
François Ier, qui précisait à Budé les limites de ce que la
culture pouvait espérer restaurer après les déluges, est désigné
comme l’être capable de renouveler l’antiquité. La caution royale
donne des ailes à son poète. Lorsqu’il déclare le texte de Thucydide « renouvellé» dans une version française, Marot s’avance
bien plus que pour son propre travail. Au regard de l’apocatastasis
antiquae sapientiae, la distance qui sépare le Mouseïon de la version
de Seyssel est insurmontable : aux yeux du roi, les deux entreprises sont loin d’être contradictoires. Une vague de traductions
en langue française, le plus souvent commandées par de grands
seigneurs, suivit la publication des œuvres de Seyssel, dès lors
que « chacun avait compris que le plus sûr moyen d’attirer
l’attention du Roi était de traduire en français les textes grecs
et latins » 95.
Bien qu’elle ne soit pas considérée comme une finalité majeure
de leur projet par les grands humanistes, la traduction en langue
vernaculaire finit par constituer un point d’ancrage important
des idées nouvelles dans le public français. En plus de la volonté
royale, des questions de méthode contribuent à sceller un destin
commun. Dans un article séminal intitulé « L’auteur, les modèles,
et le pouvoir ou la topique de la traduction au XVIe siècle en
France 96 », Luce Guillerm met en relation la naissance de la
notion d’auteur et la montée du motif du traducteur « paria et
tâcheron » dans les préfaces des traductions. A un moment, que
Luce Guillerm situe à la fin du premier tiers du XVIe siècle, les
traducteurs commencent à multiplier les formules soulignant
l’ingratitude du rôle du traducteur, comme si la lumière ne devait
désormais plus concerner que l’auteur. Luce Guillerm évoque, à
la même époque et dans le même paradigme de l’autorité de
l’original, la naissance du souci de la fidélité :
Or il semble important que cette notion de « fidélité » (terme au
demeurant assez rarement utilisé à cette époque) s’exprime, qu’on
l’accepte ou la rejette, en termes d’acceptation ou de refus d’une
relation d’autorité. Je voudrais surtout souligner que cela, qui nous
95
96
Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 257.
Luce Guillerm, « L’auteur, les modèles, et le pouvoir ou la topique de la
traduction au XVIe siècle en France », Revue des Sciences Humaines, Tome LII,
no 180, 1980, 5-31.
62
« OVIDE VEUT PARLER »
semble aujourd’hui si naturel, (si conforme à un certain discours
sur la traduction) apparaît comme une nouveauté à peu près datable
si l’on observe le travail de topoï 97.
Un pas important semble franchi, en comparaison avec la version « indirecte » de Seyssel. Luce Guillerm estime que le paramètre décisif réside dans une nouvelle vague éditoriale qui voit
naître des entreprises de traduction indépendantes à partir de
1540, alors que jusque là les traductions avaient été le plus souvent des œuvres de commande placées sous la protection du souverain, échappant par là même à la critique. Dès lors qu’elle
quitte la sphère d’influence royale, la traduction s’interroge 98 sur
sa justification et cette interrogation passe par une mise en cause
de ses méthodes propres. Les traducteurs travaillant en langue
vernaculaire se trouvent soudainement confrontés à la nécessité
d’appréhender des notions que les grands humanistes ont abordées depuis longtemps, non seulement pour leurs traductions,
mais plus généralement dans le nouveau rapport au texte qu’ils
ont institué. Seule une illusion d’optique pourrait faire de la traduction en vernaculaire la descendante directe de la traduction
humaniste. Pour autant, les traducteurs en vernaculaire héritent
véritablement d’un souci du texte que leur inspirent les lettrés
du temps. En France, ce souci du texte trouve peut-être son illustration la plus éclatante dans les méthodes utilisées par Budé
pour les Pandectes, qui portent en germe autant de pratiques susceptibles d’orienter les traducteurs :
Grâce aux recoupements, aux superpositions, aux éliminations, aux
comparaisons de comparaisons, il [Budé] en arrive, dans beaucoup
de cas, à passer de l’inconnu au connu avec des procédés presque
97
98
Luce Guillerm, « L’auteur, les modèles, et le pouvoir ou la topique de la
traduction au XVIe siècle en France », p. 16.
Luce Guillerm indique aux pages 10 et 11 que les traducteurs s’interrogent
avant même d’être véritablement attaqués : « Le fait nouveau, c’est l’existence,
au moins supposée, d’un procès fait à la traduction en général. Et ce procès ne
doit pas être confondu, même s’il les recoupe parfois, avec les accusations tout
à fait réelles, et souvent suivies d’effet, portées contre la traduction au nom du
danger ou du sacrilège de la vulgarisation sur certains terrains stratégiques :
le religieux, le médical, le juridique. Le contexte du topos est, dès son apparition, fort clair à cet égard : c’est par rapport à la supériorité incontestée du texte
« original » que la traduction se voit méprisée. »
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
63
algébriques, à dégager non seulement la signification explicite d’un
terme, mais aussi ce qu’il implique sans que les juristes romains en
aient pleinement conscience. Au-delà des mots, il trouve dans la
langue un organisme vivant mû par ses lois propres, même sans
l’intervention des hommes 99.
L’intérêt du travail de Budé tel que le représente Gilbert
Gadoffre réside dans la constitution de modèles de résolution
de problèmes impliquant non pas la référence à une tradition
auctoriale exposée dans de savantes préfaces, mais l’expérimentation de variantes, dont les contrastes sont évalués sur la base
des « lois propres » de la langue. Pratiquée selon les méthodes
humanistes, l’édition de texte relève de la réécriture : elle s’articule comme la traduction autour de la mise en contraste des
variantes et de la sélection de la version jugée la plus adéquate.
On a vu à travers la traduction du Nouveau Testament par
Erasme l’importance prise par l’approche éditoriale dans la traduction humaniste : il est certes plus difficile d’imaginer que
l’ordinaire des traducteurs en langue vernaculaire ait été capable
de saisir toutes les nuances du travail d’un Budé. Marot le premier ne se reconnaît pas une telle compétence, mais l’examen
détaillé de son travail permettra de révéler, dans le soin donné
au traitement de l’original ovidien, un souci des sources qui ne
saurait être totalement étranger aux préoccupations des grands
lettrés.
En tant qu’expérience littéraire, Le Premier Livre apparaît
cependant en dehors de l’horizon des humanistes par la volonté
d’un poète parfaitement conscient de sa place dans l’évolution
des idées. Au travers de l’enquête sur les débuts de la traduction
en langue vernaculaire, il met en lumière un espace de création
apparu dans l’éprouvette de la politique culturelle du roi qui,
dans les faits, réoriente l’horizon humaniste vers un nouveau
développement de la culture française. Le Premier Livre s’explique
d’autant mieux qu’il n’est pas vu comme un élément d’une illusoire chaîne conduisant de Budé à la Pléiade, mais considéré
comme un élément participant à l’ouverture de l’horizon dans
lequel s’imposera l’idée d’une Antiquité parlant français.
99
Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 261.
64
« OVIDE VEUT PARLER »
« DECORATION GRANDE EN NOSTRE LANGUE »
Si la traduction en langue vernaculaire ne figure pas en priorité
à l’agenda des grands lettrés humanistes, la question préoccupe
nettement plus les théoriciens et les auteurs travaillant au développement de la langue française. Dans ce contexte, La Manière
de bien traduire d’une langue en l’autre constitue un carrefour où se
rejoignent toutes les pistes explorées par l’époque : avant d’entrer
dans les considérations théoriques sur la traduction, l’ouvrage
établit, implicitement par la personnalité de son auteur, explicitement dans sa dédicace, une relation décisive entre la langue française et la culture humaniste. A ce titre, Olivier Millet établit un
parallèle tout à fait frappant entre l’épître liminaire de Dolet à
Guillaume du Bellay (Monseigneur de Langeais) et l’économie
générale de La Défense :
En lisant ainsi Dolet avec un œil sur la Deffence, on a le sentiment
que Du Bellay se sent justifié dans sa démarche. L’épître liminaire
de La maniere de bien traduire lui donne une sorte de scénario
de base, un canevas 100.
L’idée imposée par le succès de La Pléiade selon laquelle l’érudition acquise à la meilleure source humaniste est destinée à une
exploitation en langue française sous-tend donc déjà le projet de
Dolet. Au contraire cependant du manifeste de Du Bellay, La
Manière, qui demeure avant tout un traité consacré à la traduction, accorde de facto un rôle central à cette dernière dans le retour
à l’Antiquité. Il s’agit d’un point de divergence capital, qui est à
prendre en compte au moment d’évaluer l’ambition que Marot
pouvait envisager pour la traduction dans le contexte du développement de la langue française. Il importe également de considérer la manière spécifique avec laquelle est abordée à l’époque
du Premier Livre la question des relations entre traduction en vernaculaire, essor du français et place du latin.
La dédicace à François Ier pose que la « belle Metamorphose »
mise « en facille vulgaire » serait une « decoration grande en
nostre langue » 101. Au terme de « decoration », Gérard Defaux
100
101
Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 106.
Marot, TII, p. 407.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
65
associe le « souci majeur d’illustrer la langue française » 102. La
note, lourde d’échos intertextuels, ne rend pas compte de la fraîcheur que possède l’entreprise de Marot. Alors que les plus
grands savants ne songent pas à faire sortir leurs découvertes du
cercle où nul n’est invité s’il n’est latiniste, le geste du poète
semble simultanément inventer une nouvelle discipline et trouver son public : le succès de librairie connu par le Premier Livre
confirme l’existence d’une attente spécifique en matière de traduction. Le Premier Livre en effet n’est pas le Grand Olympe : la
traduction attendue n’est pas la simple connaissance des épisodes des Métamorphoses, c’est une expérience aussi proche que
possible de la lecture de l’original. L’attente spécifique d’une version soignée en vers français ne pouvait pas être perçue avec
netteté au travers des Virgile d’Octovien de Saint-Gelais et
Guillaume Michel de Tour, qui n’étaient pas confrontés à la
concurrence de versions prosaïques. Il fallait le flair d’un Marot
pour sentir qu’un public nouveau était désormais prêt à suivre
les goûts du roi, dont la dédicace demande (et, on s’en doute,
obtient) l’approbation, en vue d’une expérience esthétique et pas
seulement informationnelle. Il faut être attentif à ne pas gommer
le relief du geste délibéré qui soudain précipite une formule littéraire à la fois dérivée et indépendante des débats esthétiques qui
l’entourent : une référence hâtive à La Défense ne permet pas de
saisir avec la précision voulue l’écho qu’il faut donner à l’entreprise de Marot au regard de l’essor de la langue française.
Il faut se souvernir que le succès du manifeste de Du Bellay a
donné à l’alliance entre langue française et culture humaniste un
caractère d’évidence qu’elle est loin de posséder dans les années
1530-1540 : Dolet lui-même manifeste une conscience particulièrement nette de ce que peut avoir d’incongru la rédaction
en français d’un livre de l’ambition de La Manière, qui ne constitue qu’une partie d’un ouvrage plus important imaginé sous le
très cicéronien titre d’Orateur français. Dans les pièces liminaires
précédant son traité, il rappelle deux fois que son étude principale demeure le latin et les œuvres classiques. L’épître « A Monseigneur de Langeais » s’ouvre sur l’évocation de la surprise de
« plusieurs » face à l’idée d’un ouvrage de Dolet en français :
102
Marot, TII, p. 405.
66
« OVIDE VEUT PARLER »
Je n’ignore pas (Seigneur par gloire immortel) que plusieurs ne
s’ébahissent grandement de voir sortir de moi ce présent œuvre :
attendu que par le passé j’ai fait, et fais encore maintenant profession
totale de la langue latine 103.
L’épître « Au peuple français » débute également par un
rappel de la nature fondamentale du travail de l’humaniste :
Depuis six ans (ô peuple français) dérobant quelques heures de mon
étude principale (qui est en la lecture de la langue latine et grecque)
te voulant aussi illustrer par tous moyens, j’ai composé en notre
langue un œuvre intitulé l’Orateur français 104.
Dolet donne deux raisons au choix du français pour son entreprise. La première est l’affection qu’il ressent pour son pays ; la
seconde consiste en un raisonnement plus théorique établissant,
par analogie avec la Grèce et Rome, le droit pour le savant français de s’illustrer en français :
Quant aux antiques tant Grecs, que Latins, ils n’ont pris autre
instrument de leur éloquence, que la langue maternelle. De la Grèce
seront témoins Démosthène, Aristote, Platon, Isocrate, Thucydide,
Hérodote, Homère. Et des Latins, je produis Cicéron, César, Salluste,
Virgile, Ovide. Lesquels n’ont délaissé leur langue, pour être renommés en une autre. Et ont méprisé toute aultre : sinon qu’aucuns des
Latins ont appris la grecque, afin de savoir les arts, et disciplines
traitées par les auteurs d’icelle. Quant aux modernes, semblable
chose que moi a fait Léonard Aretin, Sannazare, Pétrarque, Bembo
(ceux-là Italiens), et en France Budé, Fabri 105, Bouille 106, et
maître 107 Jacques Sylvius. 108
Il faut faire la part d’opportunisme que peut recéler l’argumentation de Dolet, notamment le choix de certaines références :
cité en tête des auteurs français, Budé ne constitue certes pas le
parangon du savant ayant choisi de s’illustrer dans sa langue
103
104
105
106
107
108
Etienne Dolet, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 3.
Etienne Dolet, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 7.
Jacques Lefèvre d’Etaples.
Charles de Bovelles.
Jacques Dubois.
Etienne Dolet, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 3-4.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
67
maternelle. Pour autant, le raisonnement de Dolet renvoie à une
question essentielle loin d’être tranchée au moment où il rédige
son traité : l’imitation du modèle antique doit-elle imposer le
choix d’une langue antique ou peut-elle conduire à considérer
que les langues antiques furent, avant tout, des langues maternelles ? La « ressemblance » avec l’Antiquité doit-elle résider
dans la réalisation, auquel cas s’impose le choix d’une langue
antique, ou dans la démarche, auquel cas le recours à la langue
maternelle est possible ? 109
Dans le contexte du premier XVIe siècle, le raisonnement de
Dolet pose la question du point d’aboutissement linguistique de
la translatio studii : Jacques Peletier du Mans et Thomas Sébillet ne
voient pas aussi loin lorsqu’ils s’essayent à penser la « decoration
grande » de la langue française par la traduction, mais ils s’accordent remarquablement sur l’idée du rôle important que cette dernière doit jouer dans l’avènement du français.
Au niveau le plus élémentaire, on trouve l’association entre
traduction et essor du vernaculaire, esquissée par Marot dans sa
dédicace, perçue dans un éclairage purement technique. L’argument se trouve détaillé par Jacques Peletier dans son Art poétique (1555) :
Davantage, les Traductions quand elles sont bien faites, peuvent
beaucoup enrichir une Langue. Car le Traducteur pourra faire Française une belle locution Latine ou Grecque : et apporter en sa Cité,
avec le poids des sentences, la majesté des clauses et élégances de la
langue étrangère 110.
Pour Peletier, la traduction participe à l’amélioration de la
langue française par le défi qu’elle lui pose. L’argument porte en
109
110
La question posée par le raisonnement de Dolet contient en germe rien
moins que les tenants et les aboutissants de la future Querelle des Anciens
et des Modernes. Plus loin encore, la question de Dolet peut amener la question de l’horizon ultime de la traduction poétique, dès lors que la langue
cible recherche en elle-même des ressources inédites en vue de rendre une
spécificité du texte source a priori hors de portée, horizon de la tradition
poétique qui conduit, au XXe siècle, à des entreprises telles que celle de Jean
Tardieu qui cherche, dans la poésie d’Hölderlin, à « traduire non seulement
le sens, mais la sonorité du texte ». (Voir : Claudine Elnécavé, Les Didascalies
de Jean Tardieu, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 26.)
Jacques Peletier, « Art poétique », Traités de poétique et de rhétorique de la
Renaissance, Paris, Livre de Poche, 1990, p. 263.
68
« OVIDE VEUT PARLER »
lui l’idée de la défense du français, mais sur un mode pour ainsi
dire mineur : la langue de référence reste la langue ancienne
(latin ou grec) ; la langue vernaculaire continue d’être envisagée
comme une langue en progrès.
En traitant dans le même chapitre de son Art poétique françois
(1548) la traduction et le poème héroïque 111, Thomas Sébillet se
montre plus audacieux, ainsi que le suggèrent Jean-Charles
Monferran et Olivia Rosenthal :
Par ailleurs, si Sébillet parle du poème héroïque dans un chapitre
consacré à la traduction, c’est aussi bien sûr parce qu’il y a en français « pénurie d’œuvres grands et Héroïques ». Or, comme Sébillet
se donne d’abord pour tâche de décrire ce qui se fait en matière de
poésie, il est obligé de placer la poésie épique là où on la trouve au
moment où il écrit, soit en traitant des traductions de grands poèmes
héroïques (les traductions de l’Iliade ou de l’Enéide) 112.
L’idée que la traduction d’un poème héroïque puisse être
considérée au rang des réalisations à discuter implique, plus
directement, de considérer la possibilité d’une réussite poétique
de la traduction :
Traduction. – Pourtant t’avertis-je que la Version ou Traduction est
aujourd’hui le Poème le plus fréquent et mieux reçu des estimés
Poètes et des doctes lecteurs, à cause que chacun d’eux estime grand
œuvre et de grand prix, rendre la pure et argentine invention des
Poètes dorée et enrichie de notre langue 113.
La subtile nuance qui décrit l’« argentine » invention des
Poètes rendue « dorée » par la traduction suffit à établir le parti
pris de Sébillet. Aucun autre théoricien de la Renaissance n’ira
aussi loin ni dans la défense de la traduction, ni dans l’idée de
l’illustration de la langue par la traduction 114.
111
112
113
114
Thomas Sébillet, « Art poétique françois », Traités de poétique et de rhétorique
de la Renaissance, p. 145-147.
Jean-Charles Monferran, Olivia Rosenthal, « Le Poème héroïque dans les
arts poétiques français de la Renaissance : genre à part entière ou manière
d’illustrer la langue ? », RHLF, 2000/2, p. 203.
Thomes Sébillet, « Art poétique français », Traités de poétique et de rhétorique
de la Renaissance, p. 146.
Le rôle de Du Bellay est à ce titre décisif. Il sera examiné plus loin.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
69
Du Bellay s’oppose à Sébillet sur la question des limites de la
traduction en matière de poésie sur la base d’une réflexion avant
tout théorique 115 : il s’agit cependant d’un débat interne au vernaculaire qui n’épuise pas la question de la langue à donner à la
translatio studii. En considérant la période à partir de l’après
Défense, il est tentant d’imaginer un fleuve qui coule des préfaces
et autres traités théoriques au travers desquels Claude Longeon
décrit « les premiers combats pour la langue française » 116 au
renoncement au latin. Si l’on se souvient que c’est en pensant la
traduction que Dolet aboutit à la question décisive de l’aboutissement de la translatio studii, on constate, en observant certaines
enteprises de traduction, que si fleuve il y a, il est à tout le moins
capricieux et lent 117.
Une réalisation tout à fait singulière dans le domaine de la
traduction permet de réaliser à quel point l’idée d’un progrès
linéaire du vernaculaire serait erronée : la version latine par Jean
Dorat de deux sonnets de Jacques Grévin 118. Qu’un sonnet français, relevant de la forme emblématique de l’essor du vernaculaire de Pétrarque à Shakespeare, puisse se retrouver tourné en
latin sous la plume de l’un des défenseurs les plus remarquables
de la culture ancienne, par ailleurs maître à penser du groupe le
plus en pointe dans la défense de la langue française, indique
que la caution latine continue d’exercer longtemps son influence.
L’hommage rendu par le latin au français se retrouve d’ailleurs
dans une entreprise engageant des protagonistes moins connus,
autour des paraphrases liturgiques qu’Anne de Marquets donne
premièrement en français : « par sa traduction en latin, Claude
d’Espence aurait à son tour rendu hommage aux efforts de la
moniale pour diffuser des prières susceptibles de nourrir la piété
et l’intelligence des “âmes simples”. » 119
115
116
117
118
119
voir ci-dessous Chapitre III « La traduction, œuvre de prix pour les
poètes ? ».
Claude Longeon, Premiers combats pour la langue française, Paris, Le Livre de
Poche, 1989.
Le modèle antique de la translatio studii n’exclut d’ailleurs aucunement la
possibilité d’une coexistence pacifique entre les langues : dans la Rome
antique, le grec continue d’être enseigné et pratiqué.
Kathryn J. Evans, « Two latins poems by Jean Dorat », BHR, Tome XLVI,
no 1, 1984, 153-156.
Guy Bédouelle et Simone de Reyff, « Anne de Marquets et Claude
70
« OVIDE VEUT PARLER »
Un regard sur la traduction des colloques destinés à l’enseignement du latin permet quant à lui d’estimer non seulement la
complexité, mais aussi la vitesse du mouvement qui voit l’affirmation progressive du vernaculaire. L’histoire de la traduction
française de l’ouvrage didactique le plus connu de l’humaniste
espagnol Jean-Louis Vivès, intitulé Exercitatio linguae Latinae sive
Colloquia et publié en latin en 1538, constitue un indicateur précieux. L’exercice proposé par Vivès consiste à initier les élèves au
latin en leur proposant des dialogues simples consacrés à leur
vie quotidienne. David H. Thomas, qui dresse un panorama révélateur des traductions françaises des Dialogues de Vivès, signale
que l’ouvrage ne connaît sa première version française qu’en
1560. La page de titre confirme la vocation didactique du texte,
mais le latin se voit désormais associé au français :
Les Dialogues de Jan Loys Vives : Pour l’exercitation de la langue
Latine. En Latin et en François, pour la commodité de ceux qui
voudront conférer l’une à l’autre langue 120.
La référence à la commodité laisse penser que le truchement
du vernaculaire vient au secours du principe fondamental du
colloque qui, selon Bernard Colombat 121, consiste « à amener à
la connaissance de la langue sans appareil grammatical ». Il existe
une entorse beaucoup plus précoce à ce principe sous la plume
de Sébastien Castellion qui publie en 1543 ses Dialogi latins avec
une traduction française qu’il réalise lui-même. David Amherdt
et Yves Giraud soulignent cependant que la traduction française
disparaît dès la deuxième édition en 1545 122.
En 1564, Mathurin Cordier, à qui Castellion adresse la préface
de ses Dialogi, donne ses Colloquia, en latin uniquement. Ce n’est
qu’à partir de la traduction des Colloquia de Mathurin en français,
120
121
122
d’Espence : Enigmes », Religion et littérature à la Renaissance. Mélanges en
l’honneur de Franco Giacone, éd. François Roudaut, Paris, Classiques Garnier,
2012, p. 751.
David H. Thomas, « Notes sur les premières traductions françaises des Dialogues de Jean-Louis Vivès », BHR, XLVI, no 1, 1984, p. 151.
Bernard Colombat, La Grammaire latine en France à la Renaissance et à l’âge
classique, Grenoble, Ellug, 1999, p. 61.
Sébastien Castellion, Dialogues sacrés = Dialogi sacri : (premier livre), éd.
David Amherdt et Yves Giraud, Genève, Droz, 2004, p. 24.
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE
71
qu’il situe à Lyon en 1576 123, que Bernard Colombat signale
l’ouverture de la tradition de textes multilingues, les « portes »,
dont les constructions élaborées tentent de faire entrer la totalité
du vocabulaire fondamental du latin dans des maximes morales
accompagnées de traduction. En admettant que l’émergence de
la nécessité d’ « apprendre » le latin à l’aide de la langue française
constitue une étape décisive de la qualification de cette dernière
en tant que langue d’aboutissement de la translatio studii, on peut
observer que cette qualification n’intervient que très lentement
et suivant une trajectoire très éloignée de l’idée de défense du
vernaculaire en tant que tel.
Pour saisir les rapports entre latin et français aux alentours de
1530, mieux vaut renoncer à tenter d’articuler trop simplement
les catégories du renoncement au latin et du couronnement de la
langue française et considérer que la période voit plutôt la question de la translatio studii et celle de la défense de la langue française évoluer de façon séparée.
Aucun auteur n’incarne mieux cette séparation qu’Etienne
Dolet lui-même. Le portrait que donne Marc Fumaroli du
bouillant humaniste associe, sans les opposer, l’image du latiniste
et celle du défenseur du vernaculaire :
L’éditeur des Orationes (1536) et des Epistolae ad Familiares de
Cicéron (1540) publie en effet en 1540 un traité de traduction, soutenant ainsi la légitimité d’un exercice qui, comme l’a montré Roger
Zuber, fut le plus efficace médiateur de la transformation de la
langue vulgaire en langue littéraire. La Manière de bien traduire
d’une langue en autre est ainsi, aux côtés du De Imitatione ciceroniana une étape majeure dans la lente translatio studii, qui, du
latin humaniste au français, rendit possible « L’Eloquence françoise » du XVIIe siècle 124.
Celui qui défend avec passion et véhémence le style élevé de
Cicéron contre le latin accessible recommandé par Erasme est
également capable d’envisager en français une théorie de la traduction. Si l’on se souvient que le même Dolet n’hésite pas à
123
124
Bernard Colombat, La Grammaire latine en France à la Renaissance et à l’âge
classique, p. 61.
Marc Fumaroli, L’Age de l’éloquence, Paris, Albin Michel, 1994, p. 114.
72
« OVIDE VEUT PARLER »
déclarer que la version de Marot égale, voire surpasse la poésie
ovidienne, on comprend que les auteurs de la période n’ont pas
besoin de décréter le remplacement du latin par le vernaculaire
pour saisir l’intérêt d’un Ovide parlant français. De façon réciproque, la traduction des Métamorphoses ne permet pas d’établir
la mort du latin. L’histoire finira bien par imposer le français
contre le latin, mais elle n’est pas encore écrite au moment du
Premier Livre.
L’appel à la « decoration grande » de la langue française au
travers de la traduction doit être compris dans un contexte soucieux de reconnaître simultanément les mérites de langues différentes, non pas comme le signe de l’essor inexorable du
vernaculaire : la notion de « défense de la langue française » ne
résonne pas encore des accents qui suivront le manifeste de Du
Bellay. Dans un article intitulé « De Babel à la Pentecôte : la transformation du mythe de la confusion des langues au XVIe siècle »,
Jean Céard, parmi beaucoup d’autres, décrit la fascination de la
Renaissance pour la multiplicité des langues :
Etudier les langues vulgaires, c’est un peu étudier les insectes linguistiques. Mais puisque les insectes, par leur nombre même et leur
diversité, concourent activement à la merveilleuse variété de la Création, il faut leur faire place. Bien plus, leur étude est indispensable
à la connaissance des lois de diversifications des choses créées 125.
La situation de colinguisme dans laquelle s’opère la translatio
studii impose de résister à la tentation de lire le Premier Livre
comme un simple exercice partisan inspiré par la translatio
imperii. Marot s’inscrit sans aucun doute dans le mouvement de
confiance dans le vernaculaire qui habite la politique culturelle
de François Ier : autour de 1530, ce mouvement n’a pas encore
rendu le français incontournable pour l’accès à la culture antique.
Pour le poète du roi, la démonstration de l’apport culturel et
linguistique de la traduction vernaculaire se pose comme une
équation encore à résoudre.
125
Jean Céard, « De Babel à la Pentecôte : la transformation du mythe de la
confusion des langues au XVIe siècle », BHR, Tome XLII, no 3, 1980, p. 583.
CHAPITRE II
LES CONDITIONS MATÉRIELLES
DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
Les principaux éditeurs de Marot ne s’accordent pas totalement
sur la date exacte de la rédaction du Premier Livre. Mayer et
Defaux notent qu’une version du texte était disponible à la fin de
l’année 1530 ou au début de l’année 1531, en raison de la présentation d’un exemplaire manuscrit relatée dans l’épître « A Monseigneur de Lorraine nouvellement venu à Paris » 1 :
Et te suplly prendre en gré le present,
Que je te fay de ce translaté Livre,
Lequel (pour vray) hardiment je te livre,
Pour ce que point le sens n’en est yssu
De mon cerveau : ains a esté tissu
Subtilement par la Muse d’Ovide :
Que pleust à Dieu l’avoir tout mis au vuyde
Pour t’en faire offre 2.
Pour situer le début de la composition, Mayer s’appuie sur
l’allusion faite dans la dédicace à la lecture de « quelcque commencement » à Amboise : posant que la dédicace situe l’événement avant que Marot n’entre au service du roi, l’éditeur penche
pour le mois d’août 1526. Richard Cooper 3, estimant 4 suivre
Gérard Defaux, retient plutôt la date de septembre-octobre 1530.
1
2
3
4
Marot, TII, p. 1188 et Marot TI, p. 690.
v. 38-45, Marot, TI, p. 294-295.
Richard Cooper, « Marot et Ovide : un nouveau manuscrit à peinture du
premier livre des Métamorphoses traduit par Marot », p. 303.
Richard Cooper renvoie en note à la notice de l’édition Defaux qui mentionne « Composition se situant avant 1531 », tout en exprimant des doutes
sur la date de 1526 donnée par Mayer : « Je crois que rien, dans le texte,
n’autorise une telle précision. Et j’ai tendance à croire que l’entreprise est
plus tardive. » (Marot, TII, p. 1192).
74
« OVIDE VEUT PARLER »
Sur le plan de la genèse du texte, l’existence de deux manuscrits pallie en partie les incertitudes liées à la chronologie du travail de Marot. Le premier manuscrit a été décrit en 1924 par F.
Gaudu dans la Revue du Seizième Siècle. Vendu le 26 janvier 1957,
il a disparu depuis 5. L’examen des variantes données par Gaudu
permet cependant d’établir que le manuscrit disparu présente
une version très proche de celle du ms. Douce 117, disponible
aux Bodleian Librairies. Cette information est importante dans la
mesure où elle permet de penser que le texte des deux manuscrits
connus, dont l’un correspond probablement 6 à celui qui est
évoqué dans l’épître « A Monseigneur de Lorraine nouvellement
venu à Paris », est de ce fait très vraisemblablement antérieur aux
éditions publiées 7. En ce qui concerne le ms. Douce 117, la notice
des Bodleian Librairies décrit une « presentation copy » destinée à
François Ier et la base de données Luna qui propose sur internet
les douze miniatures du manuscrit en haute définition situe la
date « after 1531 ». Richard Cooper ne retient pas l’hypothèse
d’une copie appartenant à François Ier 8 lui-même : « le texte me
semble complet à l’exception de la page de titre, qui nous aurait
sans doute renseigné davantage sur l’éventuel dédicataire de cet
exemplaire » 9. Le critique britannique souligne cependant
l’importance de ce texte qui « confirme, corrige et complète la
transcription de Gaudu 10 » dans la mesure où celle-ci ne reproduit qu’une partie du premier manuscrit. L’absence de certitude
5
6
7
8
9
10
Defaux et Cooper signalent toutefois la présence à la Bibliothèque nationale
d’une copie de mauvaise qualité du manuscrit signalé par Gaudu, réalisée
en 1929 (BN. n. a. fr. 12037). Mayer exploite cette copie dans son édition des
traductions de Marot : l’examen révèle que les leçons sont très largement
semblables, mais pas parfaitement identiques à celles du ms. Douce 117.
Voir : Clément Marot, « Les Traductions », Œuvres complètes, VI, éd. ClaudeAlbert Mayer, Genève, Slatkine, 1980.
Les différents éditeurs ne s’accordent pas sur la question.
La date de la remise du manuscrit (et son antériorité vis-à-vis de la version
imprimée) peut être établie sur la base de la participation du duc de Lorraine aux cérémonies en l’honneur du couronnement d’Eléonore d’Autriche
en 1531.
Defaux quant à lui estime que c’est le manuscrit mis au jour par Gaudu « qui
pourrait bien être celui que Marot offrit à François Ier » (Marot, TII, p. 1189).
Richard Cooper, « Marot et Ovide : un nouveau manuscrit à peinture du
premier livre des Métamorphoses traduit par Marot », p. 308.
Richard Cooper, « Marot et Ovide : un nouveau manuscrit à peinture du
premier livre des Métamorphoses traduit par Marot », p. 305.
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
75
sur la chronologie de l’entreprise de Marot est ainsi largement
compensée par l’existence de traces extensives des étapes de
son travail.
La situation chronologique du Premier Livre aussi bien dans
l’œuvre de Marot que dans le règne de François Ier place
l’ouvrage à un moment charnière tant au plan littéraire qu’au
plan historique. La carrière de Marot connaît, après le retour de
Ferrare, un infléchissement marqué vers la traduction, alors
même que la politique culturelle du roi est caractérisée par
l’importance grandissante prise par les lettres, de l’institution des
lecteurs royaux à la prétendue découverte du tombeau de Laure,
en passant par la fondation de l’imprimerie royale et la création
de la bibliothèque royale.
L’étude de la formation de Marot et des outils dont il dispose
en tant que traducteur révèle le caractère à la fois personnel et
novateur du Premier Livre. Une telle entreprise n’avait pas de
point d’appui plus assuré que le talent du poète, alors que les
premières grammaires du français sont encore en gestation et que
la question de l’autorité sur la langue n’est pas encore tranchée.
UNE SITUATION CHRONOLOGIQUE
DOUBLEMENT STRATÉGIQUE
Ignorer la date exacte de la composition n’empêche pas de revenir sur la séquence de publications qui va de 1532 à 1534. Celleci débute avec la publication, en août 1532, de l’Adolescence clementine, dont le projet éditorial est défini avec précision par
Marot lui-même :
Ce sont Œuvres de jeunesse, ce sont coups d’essay : ce n’est (en
effect) aultre chose, qu’un petit Jardin, que je vous ay cultivé de ce,
que j’ay peu recouvrer d’Arbres, d’herbes et fleurs de mon
Printemps 11.
Le coup d’essai fut un coup de maître si l’on en juge aux nombreuses réimpressions que connaît l’ouvrage : Defaux en
dénombre cinq à Paris et Lyon entre octobre 1532 et juillet
11
Marot, TI, p. 17.
76
« OVIDE VEUT PARLER »
1533 12. L’année 1533 est marquée par la publication chez Galliot
Du Pré de l’édition marotique des Œuvres de François Villon. Fin
1533 ou début 1534, Marot publie La Suite de l’Adolescence. Le titre
du recueil place l’ouvrage dans un projet éditorial apparemment
semblable à celui de l’Adolescence clementine, mais une pièce liminaire de Salmon Macrin (Salmonius) décrit désormais Marot
comme l’égal d’Homère et de Virgile :
Si Graecis Maro litteris vacasset,
Magno par potuisset esse Homero.
Esset si Latias sequutus artes
Clemens Francigenûm decus Marotus,
Aequaret dubio procul Maronem 13.
Plusieurs pièces, parmi les plus importantes de Clément
Marot, laissent entrevoir l’envol d’une œuvre dépassant nettement le « Printemps » de l’Adolescence clementine : Déploration sur
le Trespas de Messire Florimond Robertet, L’Epistre du Coq en Lasne à
Lyon Jamet de Sansay en Poictou. La publication du Premier Livre
suit de près celle de La Suite. Le succès éditorial est au rendezvous des publications de l’année 1533 et Marot s’enhardit au
point de publier, dans la seconde édition du Premier Livre, les
poèmes relatifs à l’affaire du « lard en caresme » du printemps
1526, à l’exception de L’Enfer. Au mois d’octobre, cependant,
l’Affaire des Placards bouleverse l’existence de Marot qui doit
fuir à Nérac, d’abord, à Ferrare et Venise ensuite.
Nul ne peut dire comment l’œuvre de Marot aurait évolué
sans la rupture de 1534. Il est frappant cependant de voir la part
que prend la traduction dans la production du poète après son
retour d’Italie fin 1536. Pendant les six années qui lui restent à
passer en France 14, Marot donne successivement :
– en 1539 : Six sonnets de Pétrarque (publiés la même
année) ; début du Second Livre de la Metamorphose d’Ovide
(publié en 1543).
12
13
14
Marot, TI, p. xi.
Marot, TI, p. 206.
Marot prend à nouveau le chemin de l’exil en 1542.
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
77
– en 1540 : trois Colloques d’Erasme (les deux premiers
seront publiés dans un opuscule en 1548, alors que le
troisième devra attendre 1856) et l’Histoire de Leander et
Hero (publié en 1541).
A cette liste s’ajoute bien évidemment le travail à la traduction
des Psaumes dont la publication constitue incontestablement la
grande affaire de la fin de la carrière de Clément Marot, puisque
Gérard Defaux estime que Marot a consacré à la traduction des
Psaumes les « quinze dernières années de sa vie » 15. Les deux
éditions les plus importantes sont celle des Trente Psaumes en 1541
chez Roffet et des Cinquante Psaumes en 1543 à Genève.
De nombreux signes semblent donc indiquer une place tout à
fait stratégique du Premier Livre dans la production marotique :
publié au moment même où le poète déclare explicitement vouloir clore une première partie de son œuvre, l’entreprise ouvre
une séquence dans laquelle la traduction prend une importance
grandissante. La richesse du programme de traduction marotique
après le Premier Livre se distingue nettement des premières tentatives de Marot par l’importance des textes sources : ni le coup
d’essai de la Première Eglogue, ni les traductions néo-latines
(Tristes vers de Philippe Beroalde, Oraison contemplative devant le crucifix), ni la courte Epigramme de Salmonius mys de Latin en Françoys,
ni même Le Chant des Visions de Pétrarque ne présentent l’ambition
des réalisations d’après le retour de Ferrare. Avec la série donnée
à partir de 1539, Marot traducteur touche à tous les horizons
significatifs au travers de textes majeurs : classique latin (Ovide),
classique grec (Musée), contemporain latin (Erasme), référence
vernaculaire (Pétrarque) et texte biblique (Psaumes).
Deux anecdotes confirment plus spécifiquement encore
l’importance qu’il faut donner à la traduction d’Ovide. Au plan
de l’histoire personnelle de Marot, l’épigramme « Plaise au roy
de congé me donner » semble sceller l’identification 16 du destin
de Marot à celui du poète romain. Exilé, de passage en Savoie en
1544, quelques mois avant sa mort à Turin, le poète tente d’obtenir une nouvelle fois le pardon du roi :
15
16
Marot, TII, p. 1201.
Georg Luck, « Tenerorum luros amorum : Marot disciple d’Ovide », Actes
Cahors, p. 73.
78
« OVIDE VEUT PARLER »
Plaise au roy congé me donner
D’aller faire le tiers d’Ovide,
Et quelzques deniers ordonner
Pour l’escrire, couvrir, orner 17.
Gérard Defaux reconnaît qu’une partie du badinage lui
échappe 18, mais il voit dans le texte un effort pour retrouver la
faveur du roi et le droit de revenir en France. Il souligne également que l’évocation d’Ovide ne manque pas d’ironie, puisque
Marot n’obtiendra pas plus le pardon du roi qu’Ovide n’avait
obtenu le pardon d’Auguste. Il faut voir cependant qu’au
moment où il écrit ces vers, Marot ignore quel sort attend sa
requête. Dès lors, l’évocation de la mise en œuvre du Troisième
Livre indique que le poète a pu juger que, de toutes ses réalisations, la traduction d’Ovide était celle qui plaidait le plus en sa
faveur.
La seconde anecdote relève plus directement des questions
politiques qui entourent la traduction. Dans un article intitulé « A
forgotten manuscript of Clément Marot » 19, H. P. Clive signale la
présence à la bibliothèque de l’Escorial d’un manuscrit de Marot
transmis par Charles Quint à Philippe II. Ce manuscrit contient
la traduction du Second Livre de la Métamorphose et pourrait avoir
été offert à l’empereur par le poète lui-même 20, lors du séjour de
Charles Quint à Fontainebleau à la toute fin de 1539 ou à l’occasion de l’entrée solennelle de l’empereur en compagnie de François Ier à Paris le 1er janvier 1540. L’hypothèse d’un tel cadeau,
sans doute ordonné ou à tout le moins accepté par François Ier,
constitue un indice de l’importance de la traduction des Métamorphoses dans le contexte de l’époque.
S’il est difficile d’établir avec certitude les circonstances de
l’arrivée du manuscrit du Second Livre dans la bibliothèque de
Charles Quint, un rapide retour sur la chronologie de la politique
17
18
19
20
Clément Marot, « Au Roy », Marot, TII, p. 710.
« Si Marot est en fuite, quel besoin a-t-il de quémander le « congé » du roi
pour traduire Ovide ? », Marot, TII, p. 1302.
H. P. Clive, « A forgotten manuscript of Clément Marot », BHR, Tome XLV,
2, 1983, 325-326.
H. P. Clive à tout le moins le suggère en indiquant que « Marot is reported
to have presented a manuscript of his psalm translations to Charles V in
1540 » (note 6, p. 325).
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
79
culturelle de François Ier situe le Premier Livre à la naissance d’un
élan particulier. L’étendue du règne de François Ier, l’éclat de ses
débuts et la notion de Renaissance française qui lui est profondément associée tendent à assimiler la période à l’irrésistible progression des idées nouvelles. Nombreuses sont cependant les
ruptures : défaites militaires, irruption de la Réforme, captivité à
Madrid. Ce dernier événement marque d’ailleurs selon Gilbert
Gadoffre l’étape capitale du règne :
C’est après la captivité de Madrid que viendront les décisions, les
créations et les réformes qui font de son règne l’un des plus
constructifs de l’histoire de France 21.
Il vaut la peine de dérouler l’ensemble de la séquence qui a
vu le roi de France captif de son principal adversaire pendant
près d’une année. Neuf ans après l’éclatante victoire de Marignan, l’armée française, pourtant nettement supérieure, connaît
une déroute totale. François Ier est fait prisonnier à Pavie le
25 février 1525. Le roi, qui espérait pouvoir asseoir définitivement
sa domination sur le Milanais 22, tombe aux mains de son ennemi.
Un an de captivité n’est toutefois pas suffisant pour le convaincre
de renoncer définitivement à ses prétentions italiennes. A peine
de retour en France, le roi annule les clauses du traité de Madrid
qui prévoyait le renoncement définitif à l’Italie et se lance dans
la Septième guerre d’Italie qui s’achève en 1529 par la signature
de la paix de Cambrai.
En apparence, la captivité de Madrid n’est qu’une péripétie
parmi d’autres dans la carrière militaire du grand roi-chevalier.
Plusieurs éléments décisifs signent cependant un avant et un
après Pavie. La défaite, et plus encore la captivité, marquent la
fin de l’intervention personnelle du roi à la tête de son armée en
Italie. En 1530, François Ier doit accepter de voir Charles Quint
recevoir la couronne impériale des mains du pape. La même
année, le roi de France épouse la sœur de Charles Quint, Eléonore
de Habsbourg. C’est la deuxième épouse du roi, veuf depuis la
mort de Claude de France en juillet 1524. L’audacieuse et conquérante jeunesse des débuts du règne semble être remplacée par les
21
22
Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des Humanistes, p. 212.
L’épisode est le tournant de ce que les historiens appellent la « Sixième
guerre d’Italie ».
80
« OVIDE VEUT PARLER »
pratiques habituelles de la Realpolitik. La monarchie a désormais
partie gagnée sur le plan intérieur, mais les ambitions de la
France en Europe continuent de se heurter à la puissance des
Habsbourg.
Si l’on compare la politique culturelle de François Ier avant et
après Pavie, certaines tendances semblent s’accuser plus nettement. La première partie du règne a été marquée par la construction de châteaux imposant l’architecture nouvelle (Amboise,
Blois, Chambord) et par la venue ou le passage en France des
plus grands artistes italiens : Léonard de Vinci, Andrea Del Sarto
ou Benvenuto Cellini. Au retour de la captivité, François Ier laisse
une place plus importante aux lettres : il fonde l’imprimerie
royale (1530) et, plus tard, la bibliothèque royale (1536), mais surtout il réalise enfin le « grand projet » présent à l’esprit du roi
dès 1517 23, puis mis en forme à partir de 1520 par Guillaume
Budé, en instituant les lecteurs royaux en 1530.
Si, au début des années 1530, la production de Marot le place
incontestablement à la première place des poètes français, son
œuvre est encore très marquée par l’influence des poètes du
règne de Louis XII. Or, en 1533, la volonté royale réalise une sorte
de miracle en commanditant la découverte du tombeau de
Laure : l’avenir de la poésie française semble dès lors devoir
s’écrire en termes pétrarquistes :
L’année 1533, avec la découverte du tombeau de Laure, ne comporte
pas la naissance du pétrarquisme amoureux français, mais plutôt
une cristallisation de la politique culturelle du roi qui prenait les
RVF comme modèle d’écriture poétique pour soi, tout en l’imposant
aux poètes de cours 24.
Marot semble répondre explicitement aux désirs du roi en proposant une traduction du Chant des Visions de Pétrarque 25 : l’exercice présente l’avantage d’établir avec le Florentin un lien plus
explicite que celui tissé par les emprunts discrets réalisés pour
des pièces originales. Ce n’est pas tant la question complexe du
23
24
25
Gilbert Gaddoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes,
p. 204.
Daniel Maira, « La Découverte du tombeau de Laure entre mythe littéraire
et diplomatie », RHLF, 2003/1, p. 7.
Marot, TI, p. 347.
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
81
pétrarquisme de Marot qu’il faut soulever ici, mais celle de la
place que peut prendre la traduction dans la stratégie d’un poète
qui, au moment de la publication de ses Adolescences, se pense
lui-même à une charnière de son œuvre. La version du Chant des
Visions que donne Marot ne présente pas d’aspérité particulière,
susceptible d’orienter l’analyse a priori : tout au long du texte,
chaque vers français correspond à un vers italien, la proximité
entre les deux langues permet de conserver au texte cible une
forme relativement proche de celle du texte source. Tout au plus,
le travail sur les rimes marque-t-il une différence relativement
nette : d’une part, les rimes françaises ne correspondent pas vers
pour vers aux rimes italiennes ; d’autre part, le total des rimes
est en français moins élevé qu’en italien : 28 contre 32. Antoine
Berman verrait sans doute dans cette absence d’aspérité une
confirmation du programme exprimé dans le sous-titre « translaté de Italien en Françoys » : pour le traductologue, « la translatio, c’est avant tout un mouvement de transfert dans lequel
quelque chose est déplacé, c’est-à-dire change de lieu, sans que
cela soit censé modifier sa substance » 26. L’évaluation véritablement fine du Chant des Visions impliquerait de s’intéresser plus
précisément au choix du lexique en lien avec les indices manifestes d’influence pétrarquiste dans les poèmes originaux de
Marot, ce qui ferait quitter la perspective de la traduction au
profit de la question de l’Italie dans l’œuvre de Marot.
Ce qui peut être perçu plus simplement ici, c’est la convergence chronologique entre la traduction de Pétrarque et l’ouverture d’un mouvement délibéré de Marot vers la traduction.
Antoine Berman rappelle en effet le lien organique associant
Italie et traduction dans la France du XVIe siècle :
[…] à cette époque, et depuis déjà un siècle, l’italien est vraiment
la langue-de-la-traduction. Nous avons vu que c’est un Italien,
Bruni, qui crée le terme même de « traduction » ; c’est Giordano
Bruno qui a déclaré que « de la traduction vient toute science » ;
presque tous les traités de l’époque sur la traduction (Bruni,
Sebastiano, Manetti 27) sont italiens. Symonds a pu affirmer que
26
27
Antoine Berman, Jacques Amyot, traducteur français, p. 81.
Si Leonardo Bruni et Gianozzo Manetti publient bien leur traités au
XVe siècle, les théories de Giordano Bruno et Fausto Sebastiano sont postérieures à Marot. Cela relativise quelque peu le retard français en matière de
traduction, même si De Interpretatione Recta (rédigé vers 1424), le traité
82
« OVIDE VEUT PARLER »
l’Italie de la Renaissance est une immense « fabrique » de
traduction 28.
Si la dédicace du Premier Livre ne dit rien de l’Italie, la traduction du Chant des Visions témoigne quant à elle de la perméabilité
de Marot à tous les mouvements de son temps. Le poème,
marqué par le motif de la persistance du changement (« Rien ne
dure au Monde que tristesse »), participe certainement de l’idée
de l’émergence d’un monde nouveau en fixant le moment douloureux de toute évolution, celui de la mort préalable à toute
renaissance (« le doulx desir De briefvement soubz la terre
gesir »). Cependant, c’est avant tout l’acte consistant à traduire
un Italien capital, parallèle en quelque sorte au geste qui consiste
à « transmuer ung transmueur », qui signe le souffle nouveau du
projet marotique. Il est donc impossible d’exclure la perspective
italienne des considérations qui, entre 1530 et 1534, ont conduit
Marot à comprendre tout l’intérêt qu’il pourrait tirer à cultiver
plus intensivement la veine traduisante qu’il a inaugurée très tôt
avec la première églogue, et confirmée avec les traductions de
textes néo-latins (Tristes Vers, Oraison contemplative) ou grec
(Lucien 29). L’évocation, dans la dédicace à François Ier, du choix
que lui offrent les muses de « tourner en nostre langue aulcune
chose de la Latine, ou d’escrire œuvre nouvelle par cy devant
non jamais veuë 30 » relève du flou artistique s’il s’agit de dater
la rencontre avec les muses, mais elle exprime parfaitement le
potentiel que Marot a pu pressentir dans la traduction, un potentiel qui s’affiche aussi dans la vague montante des traductions en
vernaculaire aux alentours de 1530.
Paul Chavy, qui explore la liste de toutes les traductions
publiées entre 1475 et 1540, dénombre un centaine de traductions
de textes qu’il qualifie de « classiques » : la série prend en compte
aussi bien les volumes indépendants que les pièces publiées à
l’intérieur d’ouvrages consacrés non exclusivement à la traduction. Paul Chavy souligne en outre qu’ « à partir de 1526, la
28
29
30
de Bruni dont Dolet s’inspire largement, demeure une œuvre absolument
fondatrice.
Antoine Berman, Jacques Amyot, traducteur français, p. 134.
Le chant de l’amour fugitif, Marot, TI, 341-344.
Marot, TII, p. 405.
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
83
courbe des traductions monte en flèche. Pendant ces quinze
années, on a traduit plus de textes classiques (cinquante-deux)
qu’au cours du demi-siècle précédent (quarante-sept) » 31. L’intérêt de cette nouvelle veine est d’autant plus grand qu’elle n’a
connu avant 1530 qu’un nombre limité de réalisations qui, manifestement, ne répondent pas aux exigences nouvelles issues de
l’humanisme. Peter Rickard a dressé la liste complète des traductions en français publiées en tant que volumes indépendants au
cours du XVIe siècle. Pour les années 1500-1530, il indique :
1500
1509
1516
1517
1519
1520
1527
1529
1530
Ovide, Héroïdes (Octovien de Saint-Gelais)
Virgile, Enéide (Octovien de Saint-Gelais)
Virgile, Bucoliques (Guillaume Michel)
Apulée, L’Ane d’or (Guillaume Michel)
Virgile, Géorgiques (Guillaume Michel)
Suétone, Vies (Guillaume Michel)
Thucydide (Claude de Seyssel)
Xénophon (Claude de Seyssel)
Diodore de Sicile (Claude de Seyssel) 32
Ce qui frappe particulièrement dans la liste donnée par
Rickard, c’est qu’aucun des ouvrages publiés entre 1500 et 1530
ne répond aux canons modernes de la traduction. Les traductions
d’Octovien de Saint-Gelais relèvent d’une méthode assez libre
qui fait alterner passages presque littéraux et invention assez
large. Guillaume Michel traduit dans un français enrichi dont on
peut supposer qu’il devait permettre au vernaculaire d’atteindre
le niveau du latin. Claude de Seyssel traduit des auteurs grecs à
partir de traductions latines.
Parfaitement conscient de ce qui distingue son geste des versions de l’Ovide moralisé, capable également de mesurer toute la
distance qui le sépare des grands humanistes, Marot était sans
doute également capable de comprendre que la traduction en
français attendait encore sa première réalisation poétique majeure
et qu’une telle réalisation cadrait autant avec les impulsions nouvelles de la politique culturelle de François Ier qu’avec son propre
31
32
Paul Chavy, « Les traductions humanistes au début de la Renaissance française : traductions médiévales, traductions modernes », p. 287.
Peter Rickard, La Langue française au seizième siècle / Etude suivie de textes,
Cambridge University Press, 1968, p. 10.
84
« OVIDE VEUT PARLER »
intérêt à marquer sa différence avec les poètes de la génération
antérieure. Le pari était d’autant plus tentant qu’étant donné les
limites des outils disponibles pour les traductions, sa puissance
poétique et son expérience d’éditeur lui permettaient de disposer
d’atouts sans égal.
LES OUTILS DU TRADUCTEUR
L’accès premier à un corpus inconnu et la connaissance de la
langue source fondent souvent la vocation d’un traducteur. Deux
exemples célèbres relèvent de ces situations dans l’histoire littéraire française : Voltaire, traducteur de Shakespeare et Vogüé,
introducteur du roman russe et traducteur de Dostoïevski. Pour
Voltaire, ce n’est pas le volume du texte traduit (quelques vers
du monologue d’Hamlet), mais la situation tout à fait unique du
philosophe en Angleterre qui pourrait faire de lui l’emblème de
la condition du traducteur :
Voltaire fut peut-être le premier Français à entendre le nom de
Shakespeare, et on peut tenir pour certain qu’il fut le premier à voir
à Londres, dans la langue originale, les plus célèbres tragédies et
quelques drames historiques du grand dramaturge anglais 33.
Le cas de Voltaire est cependant assez peu représentatif, étant
donné les circonstances pour ainsi dire accidentelles qui l’ont
conduit à rencontrer Shakespeare et surtout le fait qu’il n’est traducteur qu’à l’occasion 34. Dans le cas de Melchior de Vogüé, la
connaissance de la langue et de la culture russes est bien plus
approfondie, et l’image du traducteur-passeur, d’autant plus
marquée.
Incontestablement, la situation de Marot se trouve aux antipodes de celles de Voltaire et Vogüé : non seulement, le poète
ne peut revendiquer le rôle de passeur en ce qui concerne Les
Métamorphoses, mais il marque lui-même les limites de sa maîtrise
33
34
André Billaz, « Voltaire traducteur de Shakespeare et de la Bible : philosophie implicite d’une pratique traductrice », RHLF, 1997/3, p. 374.
Le rapport de Voltaire à Shakespeare ne se limite pas à la traduction. Il
s’étend, par exemple, à la réécriture (La Mort de César).
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
85
du latin dans la dédicace à François Ier. L’évaluation des compétences de Marot latiniste nécessite cependant une enquête plus
fouillée sur sa formation : il faut commencer par rappeler les
nuances apportées par la critique aux deux formules qui ont le
plus grandement contribué à donner de Marot l’image d’un poète
de la spontanéité, éloigné des cercles de la grande culture
humaniste.
La première formule, en latin, vient d’une lettre de Jean de
Boyssoné 35 à propos de l’Antileguleitas, un dialogue de Jacques
Delexi sur l’usage du latin dans les procédures judidiciaires. La
lettre évoque Clément Marot à l’occasion d’un raisonnement
complexe qui explique que le poète n’avait pas sa place dans le
dialogue de Jacques Delexi, puisque Marot n’est pas un auteur
latin. La sentence de Boyssoné, assez sèche, semble cependant
stigmatiser une fois pour toute l’ignorance du poète, son exclusion définitive du cercle humaniste : Marotus latine nescivit. Ces
trois mots, le plus souvent cités hors de leur contexte, ont très
largement contribué à forger le jugement selon lequel Marot ne
saurait être plus qu’un brillant dilettante, éloigné à tout jamais
de l’érudition d’un Rabelais, d’un Du Bellay ou d’un Ronsard. La
formule, si compatible avec l’élégant badinage évoqué dans l’Art
Poétique de Boileau, a hanté, et sans doute continuera de hanter,
plus d’un commentateur pressé de l’œuvre de Marot.
Michel Magnien, dans une lettre 36 adressée à Gérard Defaux
à l’occasion du Colloque international de Cahors en Quercy, précise
comment la formule peut être comprise dans le contexte spécifique de la lettre de Boyssoné. Michel Magnien commence par
souligner que Boyssoné est un « puriste cicéronien ». Ce n’est par
conséquent pas l’ignorance de Marot que vise Boyssoné, mais le
choix du poète comme personnage censé maîtriser à l’oral le latin
de Cicéron. Ce n’est donc ni la connaissance en soi du latin par
Marot, ni même la maîtrise du latin à l’oral par ce dernier qui
sont en cause, mais simplement la désignation de Marot comme
parangon de la latinité cicéronienne. On ne peut donc se fier à
35
36
L’intégrale de la lettre de Boyssoné a été reproduite dans Actes Cahors,
p. 821-824.
Un extrait substantiel de la lettre de Michel Magnien se trouve dans la
« Note des éditeurs », Actes Cahors, 817-818.
86
« OVIDE VEUT PARLER »
l’expéditif Marotus latine nescivit et mettre en doute la maîtrise du
latin chez le poète. On peut même inférer que le fait que Jacques
Delexi ait songé à Marot pour traiter de l’usage du latin juridique
devrait, au contraire, être interprété comme le signe d’une véritable maîtrise. Il faut cependant se garder de trop s’engager dans
cette voie, dès lors que le texte du dialogue de Delexi n’a pas été
retrouvé par Michel Magnien.
La seconde formule qui a fortement contribué à forger l’image
de la formation de Marot vient du poète lui-même, qui, dans une
épître datée de 1536 et intitulée « Au tresvertueux prince, François, Daulphin de France » 37, appelle la cour du roi sa « maistresse d’escolle ». Gérard Defaux commente ainsi l’expression :
Cette formule a dans une large mesure déterminé notre perception
de Marot. Nous nous sommes contentés de voir en lui avant tout
un poète de cour, un courtisan diseur de bagatelles légères et sans
conséquence 38.
Associée à la sentence de Boyssoné, l’idée d’un auteur largement autodidacte ne peut que conforter l’image de l’élégant
badin et faire conclure sans appel à la non maîtrise du latin par
Clément Marot.
Plusieurs contributions du Colloque international de Cahors en
Quercy de 1996 amènent cependant les compléments nécessaires
pour aborder la question avec plus de précision. Dans « Marot
mythographe 39 », Guy Demerson décrit le traitement de la
mythologie dans l’œuvre de Marot. Même si le propos de Demerson n’est pas directement d’accréditer la qualité de la formation
latine du poète, nombre des passages qu’il discute attestent d’une
connaissance précise des textes latins par Clément Marot. Dans
« L’arrière-fable : la préface de Marot à la Metamorphose et les
commentaires latins d’Ovide », Pierre Maréchaux démontre que
Marot a fait très largement appel au commentaire en latin de
l’humaniste italien Raffaele Regio, aussi bien dans la dédicace à
François Ier que dans l’éclaircissement de certains passages plus
37
38
39
Marot, TII, p. 117.
Marot, TII, p. 896.
Guy Demerson, « Marot mythographe », Actes Cahors, 23-47.
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
87
obscurs et que, par conséquent, « on ne doit pas oublier de lire
Marot et Reggio […] pour ainsi dire de façon synoptique » 40.
D’une façon plus générale, le matériel aussi bien textuel que
métatextuel du Premier Livre aurait dû depuis longtemps attester
l’érudition du poète. Dans la dédicace à François Ier, Marot
indique qu’il s’agit de « mieulx faire entendre, & sçavoir à ceulx,
qui n’ont la langue Latine, de quelle sorte il [Ovide] escrivoyt » 41.
La formule présuppose une division du public d’Ovide entre
« ceux qui ont » et « ceux qui n’ont pas » la langue latine et situe
le traducteur clairement du côté de ceux qui l’ont. Par ailleurs,
l’analyse attentive du Premier Livre laisse facilement voir que
Marot a traduit à partir du texte original. On peut bien sûr avancer qu’un Marot ignorant du latin aurait pu facilement trouver à
la cour l’érudition nécessaire à éclairer le texte source, mais une
telle hypothèse ne rend pas compte du volume de travail nécessaire pour la traduction des deux premiers livres des Métamorphoses, volume de travail qui rend difficilement praticable le
recours systématique à un tiers pour la traduction effective. Par
ailleurs, dans l’épître de 1544 « Plaise au roy congé me donner »,
Marot est en exil lorsqu’il propose à François Ier de traduire le
troisième livre des Métamorphoses. On voit mal comment les
conditions matérielles du travail de traduction auraient dans ces
circonstances pu s’accomoder de l’ignorance du latin chez Marot.
En tant que telle, l’entreprise du Premier Livre confirme que
Marot était suffisamment latiniste pour se lancer dans l’entreprise
consistant à donner au public français une version en vers soignée des Métamorphoses. Le poète était également suffisamment
latiniste pour voir que rien ne le qualifiait en tant que traducteur
désigné d’Ovide.
Paradoxalement, c’est peut-être la relative distance de Marot
vis-à-vis de l’école qui lui a donné l’élan nécessaire pour « transmuer ung transmueur » 42. Certaines dates importantes des
« adolescences » du poète permettent de se faire une idée plus
40
41
42
Pierre Maréchaux, « L’arrière-fable », p. 77. La démonstration de Pierre
Maréchaux est d’autant plus importante qu’elle permet d’inférer la possibilité pour Marot d’avoir recours à d’autres outils issus de la tradition néolatine : dictionnaire de Calepino, grammaires latines.
Marot, TII, p. 406.
Marot, TII, p. 406.
88
« OVIDE VEUT PARLER »
précise de la voie originale de Marot vis-à-vis de l’érudition. Il y a
d’abord le départ de Cahors et l’arrivée « en France », que Marot
évoque dans L’Enfer :
(…) Car une matinée,
N’ayant dix ans, en France fut meiné ;
Là où depuis me suis tant pourmeiné
Que j’oubliay ma langue maternelle,
Et grossement apprins la paternelle
Langue Françoyse es grands Courts estimée,
Laquelle enfin quelque peu s’est limée,
Suyvant le Roy Françoys, premier du nom,
Dont le sçavoir excède le renom 43.
Le premier enseignement de la cour – maîtresse d’école – fut
la langue du roi. Gérard Defaux 44 situe l’arrivée en France – et
donc l’apprentissage de la langue française – en 1506, alors que
Clément a tout juste dix ans. Il faut mettre cette date en relation
avec celle de la composition de la première églogue de Virgile
que Defaux situe en 1512 45. Il n’aura donc fallu à Marot que six
ans pour apprendre aussi bien le français de la cour que le latin
de Virgile. On ne sait guère qui furent les maîtres de Marot pendant ces six ans : dans la chronologie qu’il donne à l’édition des
œuvres complètes, Gérard Defaux indique que « son éducation
semble avoir été confiée à des régents » 46. On peut conjecturer
que Jean Marot ait eu à cœur de trouver des maîtres pour son
fils. Si l’on ne trouve pas de trace précise de ce genre de contribution pour la formation générale de Marot, il existe un exemple
célèbre de collaboration avec un maître de haut niveau dans le
domaine de la formation du poète, à savoir l’enseignement de
Jean Lemaire de Belges, que Marot lui-même évoque à propos de
la traduction de la première églogue, dans la dédicace de l’Adolescence clementine « A un grand nombre de frères » :
Et là commencerons par la premiere Eglogue des Bucoliques Virgilianes, translatée (certes) en grande jeunesse : comme pourrez en
43
44
45
46
Clément Marot, L’Enfer, v. 398-406, Marot, TII, p. 30.
Marot, TI, p. XXI.
Marot, TI, p. 413.
Marot, TI, p. V.
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
89
plusieurs sortes congnoistre : mesmement par les Couppes feminines : lesquelles je n’observrais encore alors : dont Jan le Maire de
Belges (en les m’apprenant) me reprint 47.
L’intervalle 1506-1512 permet de saisir les contours de la formation de Marot. D’une part, les années d’apprentissage sont les
dernières années du règne de Louis XII ; d’autre part, Marot n’a,
semble-t-il, pas fréquenté d’école au sens strict. Etant donné le
prix d’un précepteur à l’époque 48, et, sans doute aussi, la rareté
des maîtres compétents avant l’explosion de l’offre sous le règne
de François Ier, il faut admettre que Jean Marot n’a sans doute pu
procurer à son fils qu’une éducation relativement minimale. Bien
évidemment, l’anecdote de la collaboration avec Lemaire de
Belges peut laisser penser que le réseau de Jean Marot a pu
amener au jeune Clément d’autres rencontres de haut niveau :
tel précepteur attaché aux enfants d’un grand personnage a pu
consacrer un peu de temps à la formation d’un jeune homme que
l’on devine ambitieux et doué. On comprend cependant que
Marot ne pouvait ambitionner de formation supérieure et que,
tout efficace que fut son premier apprentissage du latin, il ait dû
continuer à progresser en autodidacte pendant toute sa carrière,
ainsi que le rappelle Georg Luck, citant l’épître « Au Roy » de
1535 :
Tu trouveras ceste langue italique
Passablement dessus la mienne entée
Et la latine en moy plus augmentée 49.
Pour comprendre la particularité de la culture de Marot, il faut
se souvenir que les années 1506-1512 ne sauraient représenter la
totalité des années de formation : il faut prendre en compte tout
particulièrement l’amitié avec Marguerite de Navarre et les nombreux apports de son cercle à la pensée de Marot. Il faut retenir
surtout que l’érudition de Marot possède un caractère relativement unique, puisque, bien qu’elle ne soit pas celle d’un humaniste de premier plan, elle place le poète très largement au-dessus
47
48
49
Marot, TI, p. 18.
Gilbert Gadoffre, « Des précepteurs aux universités », La Révolution culturelle
dans la France des Humanistes, p. 143-165.
Georg Luck, «Tenerorum lusor amoroum : Marot disciple d’Ovide », p. 68.
90
« OVIDE VEUT PARLER »
des préjugés souvent évoqués à son endroit. Le trait le plus marquant est sans doute que cette érudition a été acquise dans le
contexte de la cour, c’est-à-dire hors des sentiers battus de l’université, et sans doute relativement loin aussi de la fréquentation
des collèges de l’humanisme triomphant.
Le caractère tout à fait singulier de la formation de Marot loin
de la haute culture doit être considéré comme une dimension
fondamentale de son entreprise de traduction. Dans le contexte
particulier du premier XVIe siècle, la version française du Premier
Livre est loin de révéler au public savant une matière inconnue.
D’une part, la frontière entre culture latine et culture française est
pour le moins relative, la totalité des lettrés français lisant et écrivant indifféremment en latin ou en français. D’autre part, l’étude
des textes consiste avant tout en une glose savante et intellectuelle à l’oral et en latin, à partir du texte source. Dans un article
intitulé « Ronsard et Pindare : un écho de la voix de Dorat » 50,
Peter Sharratt décrit les notes prises lors d’un cours de Dorat sur
un texte grec : il ressort nettement que le commentaire latin du
maître dépasse de loin tout ce qu’une simple traduction pourrait
apporter 51. Personne dans ce contexte ne pourrait concevoir
qu’une version telle que celle que Marot donne du Premier Livre
ait pour but d’éclairer le texte d’Ovide. Il faudra en vérité encore
beaucoup de temps avant que la traduction en français serve à
enseigner la culture latine : de façon tout à fait révélatrice, les
versions bilingues de Cicéron qui commenceront à paraître dans
la deuxième moitié du XVIe siècle, viseront avant tout l’enseignement du français comme langue étrangère 52.
La prudence même de Marot quand il évoque sa maîtrise du
latin confirme qu’il ne vise pas en priorité le public lettré de son
temps. En raison de son parcours personnel, Marot se trouve
cependant dans une situation idéale pour pressentir l’émergence
d’un autre public, tout prêt à recevoir très positivement une version française d’Ovide, le public de la cour. Celui-ci se tourne,
50
51
52
Peter Sharratt, « Ronsard et Pindare : un écho de la voix de Dorat », BHR,
XXXIX, 1, 1977, 97-114.
Le potentiel de l’exercice sera développé pleinement dans l’exercice de la
praelectio au cœur de la pédagogie jésuite.
Valérie Worth, « A bilingual edition of Cicero’s Epistolae ad familiares »,
BHR, Tome L, 1, 1988, 77-80.
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
91
dès le début du règne de François Ier, avec un enthousiasme croissant vers une connaissance renouvelée de la culture antique.
Gilbert Gadoffre décrit cet engouement sous le titre de « Pentecôte des langues » :
A en croire les Rabelais, les Budé, les Galland, la révolution culturelle n’aurait pas affecté seulement un petit nombre de lettrés mais
toutes les classes sociales : je vois, dit Rabelais, « les brigans, les
boureaulx, les avanturiers, les palefreniers de maintenant plus doctes
que les docteurs et prescheurs de mon temps ».
Il est toujours possible, avec Rabelais, de mettre ce type d’affirmation
sur le compte de la truculence. Mais peut-on en dire autant de
Guillaume Budé qui soutient une thèse à peu près voisine dans une
lettre à son fils, ou de Pierre Galland qui renchérit sur Rabelais et
Budé, vingt-huit ans plus tard, en assurant que tous les gens de cour
sont maintenant capables de lire le grec et le latin, voire d’écrire des
livres 53.
Les difficultés du roi lui-même vis-à-vis du latin, et, plus généralement, le faible attrait qu’exerçait la culture sur les grands seigneurs français doivent conduire à considérer avec prudence la
belle unanimité décrite par Gadoffre. L’historien lui-même
nuance les propos des auteurs qu’il cite, mais il attire l’attention
sur le grand fait culturel du règne, l’affirmation de la culture
classique comme critère de promotion sociale. Nul doute que
dans un tel contexte le Premier Livre ait fait mouche : même si la
forme de l’érudition de Marot ne lui donne pas une place de
choix parmi les grands humanistes, elle lui permet tout de même
d’assouvir la soif de culture d’une cour dans laquelle le rang est
loin de garantir l’accès direct aux sources grecques ou latines.
Si, en matière de langue source, Marot doit compter avec des
limites qu’il admet d’ailleurs volontiers, les choses se présentent
de façon fort différente sur le plan de la langue cible, dans laquel
le traducteur doit se montrer « pareillement excellent » selon la
deuxième règle de la Manière de bien traduire d’une langue en l’autre
d’Etienne Dolet. Si nul ne peut douter, en 1530, que Clément
Marot soit précisément l’un des maîtres de la langue française, la
question se pose de donner à cette dernière des contours précis.
53
Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 53.
92
« OVIDE VEUT PARLER »
D’une certaine façon, le problème caractérise la description de
toutes les langues, ainsi que le souligne George Steiner :
[…] une langue ordinaire est, littéralement à chaque seconde, sujette
à mutation. Et cela sous des formes variées. Des mots nouveaux
apparaissent tandis que de plus anciens tombent en désuétude. Les
conventions grammaticales s’aménagent sous l’action des tournures
idiomatiques ou par décret de mode. L’éventualité de ce qui est
permis et de ce qui reste tabou se déplace sans cesse 54.
L’émergence de la norme dans le domaine français depuis
Vaugelas et l’Académie, notamment au travers de la notion de
bon usage, s’efforce d’imposer une évolution moins erratique,
mais, au moment de la traduction du Premier Livre, la langue
française manifeste encore, selon l’expression de Frank Lestringant, une « étrange porosité dans ses productions littéraires » 55.
Du point de vue de la correction linguistique de sa version, la
situation de Marot diffère complètement de celle d’un traducteur
français d’aujourd’hui. La langue dont le traducteur doit s’emparer ne dispose pas encore d’une description renvoyant à des
règles clairement identifiées. Revenir sur les principales grammaires publiées du vivant de Marot, ou dans les années suivant
immédiatement sa mort, permet de se faire une idée plus précise
de la réflexion sur la langue française au moment de la composition du Premier Livre.
Quatre ouvrages principaux constituent les fondements de la
réflexion proprement grammaticale en France dans la première
moitié du XVIe siècle :
1530 :
1531 :
1550 :
1557 :
John Palsgrave, L’Eclaircissement de la langue française.
Jacques Dubois, Ambiani In linguam gallicam isagōge, una cum
eiusdem Grammatica latino-gallica, ex hebræis, græcis et latinis
authoribus.
Louis Meigret, Le tretté de la grammere françoeze.
Robert Estienne, Traité de la grammaire française.
Si la chronologie des ouvrages s’étend bien au-delà de la
publication du Premier Livre, les quatre traités présentent des
54
55
George Steiner, Après Babel, Paris, Albin Michel, 1998, p. 53.
Frank Lestringant, « Renaissance ou XVIe siècle ? Une modernité étranglée »,
2002/5, Vol. 102, p. 765.
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
93
traits communs du point de vue de leur conception, ce qui autorise à les considérer tous pour établir le socle de la pensée grammaticale pertinent pour situer l’entreprise de Marot. Pour situer
cette unité de vue, on retiendra en particulier :
1. L’intérêt primordial pour la question de l’orthographe,
au sens de la façon de transcrire l’oral en français écrit :
Palsgrave, Dubois, Meigret 56, Estienne commencent
tous leurs ouvrages par un récapitulatif des lettres du
français, le plus souvent divisé entre voyelles et
consonnes. Il n’y a pas de consensus strict sur la façon
d’écrire le français avec ces lettres. Meigret, comme plus
tard Jacques Peletier du Mans, est à la recherche d’une
systématique véritable, mais sa proposition est loin de
faire l’unanimité, et ne s’imposera finalement pas. Les
développements sur le système graphique permettent de
constater d’emblée que l’opposition entre langue orale
et langue écrite est encore bien peu opérationnelle : les
grammairiens semblent voir avant tout la question de la
transcription, sans percevoir que l’écrit fait l’objet d’une
grammaire à part. Il est vrai que l’idée d’une grammaire
séparée de l’oral est très récente dans l’étude de la
langue française, et que, dans la plus grande partie de
l’histoire de la grammaire, la conception qui a prévalu
est celle selon laquelle l’écrit constituait le socle de la
langue, l’oral n’étant que le reflet imparfait de la norme
présente dans l’écrit. Cela dit, il faut rendre justice aux
grammairiens cités ci-dessus qui, en principe, sont
encore suffisamment attentifs aux faits pour ne pas céder
à l’idéologie de la supériorité de l’écrit.
2. La référence sous-jacente au latin : tous les grammairiens
font explicitement référence à la grammaire latine dans
les outils qu’ils utilisent pour la description du français.
La tendance peut être illustrée rapidement avec le recours
aux notions de déclinaison et de cas dans le cadre de la
description des noms. En ce qui concerne la première
56
Meigret donne déjà un traité de l’orthographe en 1542. La question de la
recherche d’un système graphique possède une autonomie propre qui
n’intéresse pas directement la présente étude.
94
« OVIDE VEUT PARLER »
notion, les grammairiens ne sont pas unanimes : certains
considèrent que la déclinaison des noms n’existe pas,
d’autres tentent d’en décrire une version simplifiée. Sur
la question des cas, les avis sont plus uniformes : les cas
n’existent pas en français pour les noms.
3. La notion de règle n’apparaît pas véritablement : si les
observations faites à propos des différentes parties du
discours ne manquent ni de finesse, ni de précision et
relèvent d’un patient travail de philologue, elles ne
s’organisent pas selon l’hypothèse de régularités propres
au français. La langue ne semble pas encore perçue
comme un tout organique fonctionnant à des niveaux
différents selon des logiques communes. On ne perçoit
pas véritablement la nécessité pour l’auteur de répondre
à un canon indépendant de son choix du moment.
4. Si la notion d’usage commence à apparaître dans certains ouvrages, on ne trouve pas véritablement
d’exemple faisant autorité, soit par le nom de l’auteur,
soit par la représentativité de l’exemple lui-même. Les
exemples sont avant tout illustratifs et ne mettent en
principe pas en dialogue les solutions de différents
auteurs. Ici aussi, il manque une sorte de canon susceptible d’orienter par analogie le choix de l’auteur ou du
traducteur.
L’essentiel des ouvrages est constitué par la description des
unités linguistiques. Sur cette question, il est aisé de constater
que chacun des auteurs consacre une partie de sa théorie à l’identification de ce que la grammaire classique du français, à l’image
du Bon Usage de Goose/Grévisse désigne désormais sous le titre
de « parties du discours ». Un tableau récapitulatif permet de se
faire une idée générale de la façon dont la question est abordée
par les divers auteurs.
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
95
Les parties du discours
chez les grammairiens du français au XVIe siècle
Palsgrave
Dubois
Meigret
Robert Estienne
partes of speech
parties du
discours 57
parties du
langage
parties de
l’oraison
article
(traité à part)
article
article
nom (yc. adjectif)
nom (yc. adjectif)
nom (yc. adjectif)
nom (yc. adjectif)
pronom
(yc. déterminants)
pronom
(yc. déterminants)
pronom
(yc. certains
déterminants)
pronom
(yc. déterminants)
verbe
verbe
verbe
verbe
participe
participe
participe
participe
adverbe
adverbe
adverbe
adverbe
préposition
préposition
préposition
préposition
conjonction
conjonction
conjonction
conjonction
interjection
interjection
interjection
interjection
La relative unanimité des théoriciens au sujet des parties du
discours ne doit pas faire attendre une réelle convergence dans
les définitions. Celles-ci s’inspirent d’abord et avant tout de la
grammaire latine qui distingue traditionnellement huit parties,
reprises par les grammairiens du français. Le sort réservé à
l’article – inconnu en latin – est à ce titre tout à fait révélateur.
Dubois, qui rêve d’une grammaire aussi proche que possible du
latin, ne fait pas mention de la notion. Plus curieuse encore, la
façon dont Meigret arrange son décompte pour traiter de l’article
tout en maintenant la fiction d’une langue française ne connaissant que huit parties :
Or faut il entendre que pour la nécessité du bâtiment de notre langage, il y peut entretenir huit parties outre les articles : qui sont le
nom, le pronom, le verbe, le participe, la préposition, l’adverbe, la
57
Terme utilisé par Livert dans la traduction qu’il donne de la grammaire de
Dubois qui est rédigée en latin. Les Grammairiens du XVIe siècle, éd. Charles
Livert, Paris, Didier, 1859.
96
« OVIDE VEUT PARLER »
conjonction et l’interjection. Mais avant que de vuyder rien de huit
parties, nous dépêcherons les articles 58.
La réflexion sur les parties du discours illustre bien l’influence
prépondérante de la référence sous-jacente au latin.
Une fois établie la division en parties du discours, les préoccupations des théoriciens s’orientent vers une description morphologique de la façon dont se comportent les diverses parties :
questions des formes du pluriel, du féminin, conjugaison des
verbes, etc. Palsgrave introduit une forme d’exigence d’unité
dans le propos qui apparaît dans le recours à la notion d’accident : les accidents du nom 59 sont ainsi le genre, le nombre, la
personne 60, la dérivation ou formation (familles de mots), la
composition (noms composés), la déclinaison, ramenée à l’accord
de l’adjectif et au choix de l’article ; les accidents de la préposition 61 sont la rection des cas des pronoms, la place en début des
suites de mots 62 qu’elle introduit, la composition, la contraction
avec l’article, l’ellipse de « de ». La notion d’accident permet à
Palsgrave d’exposer de façon méthodique les variations qu’il
observe dans les diverses parties du discours, sans pour autant
faire émerger la notion de règle grammaticale au sens où on
l’entend aujourd’hui.
Les autres théoriciens procèdent de façon identique, ayant
également recours à la notion d’accident pour structurer leurs
propos. L’objet de la description porte avant tout sur les parties
pour elles-mêmes, laissant largement de côté la question des relations entre les parties du discours. Le sort réservé à la déclinaison
du nom par Robert Estienne est à ce titre tout à fait révélateur.
Le grammairien commence par noter toute la distance qui existe
entre le français et le latin sur la question des cas :
Quant aux cas des noms, ou cadences et terminaisons d’un même
mot au nominatif, génitif, datif, accusatif, et ablatif, nous sommes
58
59
60
61
62
Louis Meigret, Le tretté de la grammere françoeze, Paris, Christian Wechel, 1550,
19ro – 19vo.
John Palsgrave, L’Eclaircissement de la langue française, éd. F. Génin, Paris,
Imprimerie nationale, 1852, p. 66-69.
Lien avec les pronoms personnels il et ils.
John Palsgrave, L’Eclaircissement de la langue française, p. 138-141.
La notion de complément n’existe pas chez Palsgrave.
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
97
entièrement différents des Latins, car nous n’avons qu’un cas ou
terminaison au singulier, pour tous ces six cas des Latins, et un seul
cas pour le pluriel, en ajoutant une s au singulier 63.
Il continue ensuite en écartant la déclinaison pour mieux la
faire réapparaître dans la description des articles (l’extrait
reprend la séquence telle qu’elle se présente chez Estienne) :
Déclinaison
Quant aux déclinaisons, nous n’en avons point à vrai dire : car
puisqu’il n’y a qu’un cas ou terminaison pour le singulier, et un
autre pour le pluriel, comme ci devant est dit, comment se
déclineraient-ils ? Mais pour connaître les cas et déclinaisons, nous
nous servons des articles comme dit est.
DES ARTICLES
Articles sont petits mots d’une syllabe, faisant un mot, desquels on
se sert pour donner à connaître les cas des Latins qu’ils appellent
nominatif, génitif, datif, accusatif, ablatif, ainsi que dessus est dit 64.
Plus loin, Estienne illustre son propos par des exemples qui
n’ont rien à envier aux grammaires latines :
Exemple du singulier masculin
Le nominatif,
Génitif,
Datif,
Accusatif,
Vocatif,
Ablatif,
Le maître.
De maître, du maître.
A maître, au maître.
Le maître.
Maître, sans article.
De maître, du maître 65.
Il n’est pas lieu d’entrer ici dans les problèmes de cohérence
que pose la théorie de Robert Estienne : on pourrait bien sûr
s’interroger sur le statut exact que le théoricien accorde aux cas
des noms qu’il définit comme totalement différent de ceux des
63
64
65
Robert Estienne, Traicté de la grammaire françoise, Paris, Robert Estienne,
1569, p. 20.
Robert Estienne, Traicté de la grammaire françoise, p. 20-21.
Robert Estienne, Traicté de la grammaire françoise, p. 21.
98
« OVIDE VEUT PARLER »
Latins, alors que la suite de son exposé semble proposer une description très proche de celle du latin ; on pourrait également
s’interroger sur le fait que les déclinaisons – qu’il donne comme
liées essentiellement aux articles – fassent l’objet d’exemples où
l’article ne joue de rôle que lié à des prépositions.
Si la position de Robert Estienne est la plus détaillée, les autres
théoriciens adoptent tous des positions plus ou moins identiques,
à savoir qu’ils écartent les cas et les déclinaisons lorsqu’ils sont
inutiles à la description de certaines parties du discours, comme,
par exemple, le nom, mais qu’ils n’hésitent pas à y recourir
lorsque la description le nécessite à nouveau. Ainsi Palsgrave 66
qui, pour le cinquième accident des pronoms (la déclinaison),
recourt à une déclinaison en quatre cas (nominatif, accusatif,
datif, oblique) ou Meigret 67 qui, à nouveau pour la déclinaison
des pronoms, se base directement sur les six cas latins (nominatif,
génitif, datif, accusatif, vocatif, ablatif) qu’il applique au français.
Ainsi donc, si l’on ne trouve pas encore dans ces premières
grammaires de théorie des fonctions distinguant entre eux le sujet
et les divers compléments du verbe, le recours à la grille d’analyse
de la déclinaison latine permet aux théoriciens d’établir de façon
certaine cette distinction à chaque fois que cela leur est nécessaire.
Bien évidemment, cette approche émergente de la description
de la langue ne conduit pas les grammairiens à établir des règles
établissant un lien de causalité nécessaire entre la nature d’un
mot, sa fonction dans la phrase et son comportement (accord,
position, etc.). Ce lien, Marot semble le pressentir dans une épigramme dont Defaux situe la composition avant 1538, avec
laquelle il tente de réglementer rien moins que l’accord du participe passé :
A ses Disciples 68
4
66
67
68
Enfants, oyez une leçon :
Nostre langue a ceste façon,
Que le terme, qui va devant,
Vouluntiers regist le suyvant :
Les vieulx exemples je suyvray
John Palsgrave, L’Eclaircissement de la langue française, p. 77.
Louis Meigret, Le tretté de la grammere françoeze, p. 49-62.
Marot, TII, p. 240.
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
8
12
16
20
24
28
99
Pour le mieulx : car, à dire vray,
La chanson fut bien ordonnée,
Qui dit : M’amour vous ay donnée :
Et du bateau est estonné,
Qui dit : M’amour vous ay donné.
Voylà la force, que possède
Le feminin, quand il precede.
Or prouveray par bons tesmoings,
Que tous pluriers n’en font pas moins :
Il fault dire en termes parfaicts,
Dieu en ce monde nous a faicts :
Fault dire en parolles parfaictes,
Dieu en ce monde les a faictes.
Et ne fault point dire (en effet)
Dieu en ce monde les a faict :
Ne nous a faict pareillement :
Mais nous a faicts tout rondement.
L’Italien (dont la faconde
Passe les vulgaires du monde)
Son langage a ainsi basty
En disant : Dio noi a fatti.
Parquoy (quand me suis advisé)
Ou mes juges ont mal visé,
Ou en cela n’ont grand’ science,
Ou ilz ont dure conscience.
L’approche de la grammaire dont témoigne cette épigramme
se distingue avant tout par la régularité qu’elle s’efforce d’établir.
Aux vers 2 et 3, le poème s’ouvre sur une sorte de règle générale,
valable indifféremment à tous les niveaux de langue : « Nostre
langue a ceste façon,/Que le terme, qui va devant,/Vouluntiers
regist le suyvant.» La règle allie donc, à un niveau de généralisation dont ne rougirait pas un grammairien génératif, la question
de l’ordre des mots et celle d’un rapport de rection entre ces
derniers : l’élément qui apparaît en premier régit ce qui suit. Du
vers 8 au vers 22, Marot développe de façon parfaitement
parallèle la question du genre et celle du nombre, avec une
remarquable succession d’exemples : accord du féminin, accord
du pluriel, accord du féminin pluriel. A l’occasion de l’accord
du participe passé au féminin, Marot ironise discrètement sur la
maladresse de la formule « M’amour vous ay donné » en la qualifiant de bateau : le terme désigne un instrument dont se servent
100
« OVIDE VEUT PARLER »
les jongleurs pour mystifier leur public. Un contraste subtil est
établi entre le grand poète qui respecte et exprime la forme correcte et ceux qui se servent de la langue comme des bateleurs.
Plus grammairien que les grammairiens de son temps, Marot
recherche une forme de régularité dans la langue, et s’efforce
d’inscrire dans une même logique l’ensemble des exemples qu’il
traite. De plus, il appuie la valeur de sa règle sur l’exemple des
Italiens. La référence est doublement habile : d’une part, en évoquant une autre langue vernaculaire, Marot coupe le cordon
ombilical entre le français et le latin, et, contrairement à la plupart
des théoriciens de son temps, indique clairement que la question
du français doit désormais être traitée de façon autonome ;
d’autre part, en prenant comme modèle l’Italie, qui est alors la
véritable patrie de la renaissance des lettres, Marot situe tout de
même sa réflexion dans la référence à l’Antiquité, qui est la vraie
façon d’être moderne à la Renaissance.
La pointe de l’épigramme dépasse la question purement
grammaticale et ouvre celle de l’autorité sur la langue, déjà
esquissée dans l’image du « bateau » : les juges sont jugés par le
poète. Celui-ci devient donc l’arbitre et le législateur de la langue.
Les choses cependant sont loin d’être aussi simples. Brunot
indique que la règle de Marot ne sera pas véritablement suivie :
Sans s’imposer, la formule devint célèbre, et les textes lettrés
l’appliquent en général tant bien que mal.
Mais était-elle pour cela la règle de la langue populaire ? Nullement.
Le plus observateur des grammairiens, Meigret, lui est hostile. A
propos des phrases : lé graçes qe je vou ey fettes … Si on vou’
les avoet dittes, « lourdes incongruités, s’écrie-t-il, reçues pour
courtizanes elegantes » (66 ro). Et il veut aussi qu’on dise : nou
nous somes eymé. Abel Mathieu, sans être aussi net, admet que
les deux « liaisons de parole » sont également belles : les deniers
qu’Alexandre a donné à ses gendarmes, et les deniers
qu’Alexandre a donnez (Dev, 1572, 31 vo).
Et ce n’est qu’après avoir reproduit la protestation de Meigret, que
Ramus se range à l’avis de Marot. Il est vrai qu’il en donne pour
raison « la souveraineté du peuple » 69.
69
Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française des origines à 1900, T. II – Le
Seizième Siècle, Paris, Armand Colin, 1927 (2e édition revue et corrigée),
p. 468.
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
101
Pour séduisante qu’elle soit, l’idée que le poète soit le premier
législateur de la langue souffre, au temps de Marot, de réelles
limites, empêchant d’y associer une vision trop idyllique de la
relation entre grammaire et poésie. Dans le perpetuum mobile de
l’histoire des langues, un auteur seul n’a aucune chance : dans le
domaine français, la notion de bon usage imaginée par Vaugelas
tient à la rencontre entre les formes explorées par une littérature
affirmée et les raisonnements qui cherchent à les penser. La
conclusion de l’épigramme de Marot se situe dans un mouvement théorique de confiance dans la langue française qui précède
nettement son avènement historique, étant donné que, comme le
rappelle Frank Lestringant : « la précellence de la langue française, qui s’établira par la suite pour une longue suite de générations, est encore à l’état de projet ou de slogan. » 70
Dans la perspective de l’émergence d’une norme linguistique
pour le français, la question de la traduction des textes majeurs
de l’Antiquité en français constitue tout de même une occasion
importante de réfléchir à la norme, en l’absence de réalisation
littéraire canonique en français. S’il n’est pas possible de « programmer » chez un auteur l’apparition d’un grand texte susceptible de servir de référence future, il n’en va pas de même pour
les traductions. Dans ce domaine, les grands textes sont connus,
leurs valeurs littéraire et linguistique, accréditées depuis longtemps. La traduction d’un grand texte, lorsqu’elle apparaît
comme réussie, réalise de facto un canon pour la langue cible. La
critique accorde par exemple ce rôle aux réalisations désormais
désignées sous le terme générique de « belles infidèles » :
Le XVIIe siècle se caractérise par la perte de prestige de la poésie et
la montée des traducteurs. Selon R. Zuber (1968), c’est là qu’est née
la prose française 71.
L’histoire même de la langue française place toutefois Marot
dans une situation tout à fait exceptionnelle : contrairement au
traducteur moderne qui doit en permanence vérifier la grammaticalité de sa version en fonction de la norme établie, le poète doit
70
71
Frank Lestringant, « Renaissance ou XVIe siècle ? Une modernité étranglée », p. 765.
Oseki-Dépré Inês, « Théories et pratiques de la traduction littéraire en
France », Le Français aujourd’hui, 2003/3 no 142, p. 12.
102
« OVIDE VEUT PARLER »
utiliser son expérience et son talent pour établir la grammaticalité
française attendue pour que sa version puisse rendre justice à
Ovide.
L’état de la description de la langue française au temps de
Marot n’est pas sans rappeler celui des théories de la traduction.
Comme la langue française canonique, les techniques propres à
la traduction en vernaculaire ne font pas l’objet d’un exposé
détaillé dans les années 1530. Antoine Berman déclare de façon
catégorique :
[…] les « discours » du XVIe siècle sur la traduction ne sont absolument pas théoriques, si l’on entend par là une explicitation méthodique et conceptuelle de l’acte de traduire. C’est pourquoi tout ce
qui s’écrit sur les « théories de la traduction au XVIe siècle » n’est
qu’irréflexion et cécité théorique 72.
De façon caractéristique, La Manière de bien traduire d’une
langue en l’autre vaut plus par la pertinence des problèmes théoriques qu’elle pose que par la précision des solutions pratiques
qu’elle propose. En l’absence de technique de référence, Marot
dispose tout de même d’une expérience capitale, celle acquise à
l’occasion de son travail d’éditeur pour le Roman de la Rose en
1526, certains textes de son père en 1532 ou les Œuvres de
François Villon en 1533. Le même souci méthodique de fidélité
habite la dédicace du Premier Livre (1), la préface de son Adolescence (2) ou celle de son Villon (3) :
(1)
Oultre plus, tel lit en maint passage les noms d’Apollo, Daphné,
Pyramus, & Tisbée, qui a l’Histoire aussi loing de l’esprit, que les
noms pres de la bouche : ce que pas ainsi n’yroit, si en facille vulgaire
estoit mise ceste belle Metamorphose. Laquelle aux Poëtes vulgaires, & aux Painctres seroit tresproffitable 73.
(2)
Je ne sçay (mes treschiers Freres) qui m’a plus incité à mettre ces
miennes petites jeunesses en lumiere, ou voz continuelles prieres :
ou le deplaisir, que j’ay eu d’en ouir crier, et publier par les Rues
72
73
Antoine Berman, Jacques Amyot, traducteur français, p. 94.
Marot, TII, p. 406.
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
103
une grande partie toute incorrecte, mal imprimée, et plus au profit
du Libraire, qu’à l’honneur de l’Autheur 74.
(3)
Entre tous les bons livres imprimez de la langue Françoyse, ne s’en
veoit ung si incorrect ne si lourdement corrompu que celluy de
Villon ; & m’esbahy (veu que c’est le meilleur poete Parisien qui se
trouve) comment les imprimeurs de Paris & les enfans de la ville,
n’en ont eu plus grand soin 75.
Jacqueline Cerquiglini-Toulet n’hésite d’ailleurs pas à affirmer
que l’édition des Œuvres de Villon marque, au moins pour la
langue française, « la naissance de ce que l’on peut appeler la
figure du philologue » 76. Cet amour du texte en tant que tel chez
Marot fait bien évidemment résonner le souci qu’il exprime en
(1) d’un accent bien différent de la simple satisfaction d’une
demande nouvelle de la cour : faire connaître Ovide, fût-ce au
prix d’une traduction, à un public qui n’est pas suffisamment à
l’aise avec la langue de l’original, c’est, au fond, servir un objectif
sensiblement comparable à celui d’une édition critique, à savoir
la diffusion des textes et des idées au plus proche des exigences
de l’honnêteté intellectuelle qui consiste à éloigner la glose – toujours suspecte des errances de la réception – pour laisser parler
la vérité de la source. Bien sûr, cela présuppose que le traducteur
trouve un moyen de rester fidèle à son modèle, mais on doit
considérer une sorte d’unité d’inspiration réunissant la précision
de l’édition des textes et la volonté d’offrir au public français une
version soignée du chef d’œuvre d’Ovide.
L’examen des outils dont peut disposer le traducteur Marot
permet d’identifier chez le poète les nombreuses compétences
dont il disposait à l’appui de son entreprise. Celles-ci ne correspondent pas trait pour trait aux compétences dont dispose un
74
75
76
Marot, TI, p. 17. La remarque ressort d’un topos du discours préfaciel, mais,
dans le cas de Marot, nombreuses furent les déconvenues réelles avec les
libraires et imprimeurs. Voir, par exemple : Guillaume Berthon, « Les débuts
de Dolet comme libraire (Marot, 1538) », Etienne Dolet 1509-2009, éd. Michèle
Clément, Genève, Droz, 2012, 325-341.
Marot, TII, p. 775-776.
Jacqueline Cerquiglini-Toulet, « La fortune du Roman de la Rose à l’époque
de Clément Marot », Actes Cahors, p. 157.
104
« OVIDE VEUT PARLER »
traducteur aujourd’hui, mais elles lui assurent un socle suffisant
pour inscrire le Premier Livre dans son activité pour ainsi dire
ordinaire. La caractérisation du geste de Marot nécessite cependant encore de se demander quelles sont les attentes auxquelles
se confronte un poète quand il traduit.
CHAPITRE III
LA TRADUCTION,
ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
La discussion de la valeur esthétique du Premier Livre doit
prendre toute la mesure de l’absence à ce jour de description
mécanique des processus cognitifs à l’œuvre dans la traduction.
Il apparaît rapidement que les compétences auxquelles fait appel
le traducteur recoupent celles dont font preuve d’autres acteurs
du champ de l’écriture : exploration de solutions expressives, travail sur la langue, réflexion sur l’interprétation. Dès lors qu’elle
n’est pas envisagée comme l’application d’un simple algorithme,
la traduction tombe dans le champ de l’investigation littéraire.
Une description méthodique de la technique appliquée par le traducteur s’avère nécessaire pour caractériser avec précision l’objet
à évaluer : l’application hâtive de notions telles que le transfert
ou l’équivalence conduit généralement à poser des jugements de
parti pris sur la base de présupposés qui ne sont pas opérationnels pour l’analyse.
Aborder la traduction comme un exercice littéraire ne permet
cependant pas de poser directement la valeur esthétique du Premier Livre. Il existe un argument fort, exprimé pour la première
fois dans le domaine français par Joachim Du Bellay, pour interroger les limites de l’exercice. L’argument a d’ailleurs tellement
pesé sur l’évaluation de la traduction qu’il a durablement orienté
le commentaire critique vers une forme particulière de traduction, celle dont relèvent les « belles infidèles ».
L’évaluation du Premier Livre doit s’intéresser simultanément
à la question de la technique de la traduction et à celle de sa
nature poétique. Dans le domaine français, La Manière de Dolet
et La Défense de Du Bellay, les deux ouvrages qui permettent
d’aborder ces questions avec le plus de pertinence, paraissent
106
« OVIDE VEUT PARLER »
presque coup sur coup après l’Ovide de Marot. Ils permettent de
porter la réflexion au-delà du caveat horacien, à partir duquel
Glyn P. Norton décrit l’idéologie des théoriciens français de la
traduction à la Renaissance.
Glyn P. Norton pense pouvoir éclairer le paradigme dans
lequel il entend discuter les théories de la traduction dans la
France de la Renaissance à partir de pratiques, déjà enseignées
dans les écoles grecques aux IIe et IIIe siècles avant Jésus-Christ :
(1) a literal, word-for-word paraphrase of the poem into everyday
language ;
(2) a free, rhetorical equivalent based on oratorical rather than
spoken style 1.
Rien ne permet d’affirmer que cette opposition puisse à elle
seule rendre compte de l’ensemble du champ théorique de la
traduction : la notion d’équivalence, sur laquelle Norton s’appuie
pour caractériser la deuxième pratique, n’est pas sans poser son
lot de questions épineuses. L’opposition entre les deux manières
de traduire, et plus particulièrement le premier terme de l’opposition, se retrouve cependant dans l’un des textes qui a le plus
influencé traducteurs et théoriciens, la très succinte formule
qu’Horace consacre à la traduction dans son Art Poétique :
Des matériaux qui sont le bien de tous deviendront ta propriété, si
tu ne t’attardes pas dans un cercle banal, accessible à tous, si tu ne
t’astreins pas dans ta traduction à un servile mot à mot, si tu ne te
jettes pas dans une étroite imitation, d’où tu ne pourras sortir par
défiance de tes forces ou par respect pour l’économie de l’ouvrage 2.
La synthèse de Norton établit que, dans la première moitié du
XVIe siècle, le refus du mot à mot, adossé à l’autorité d’Horace,
constitue, quoique souvent nuancé en raison même de la difficulté d’interpréter la formule horacienne, le point théorique le
plus souvent retenu : le critique donne à cette position le qualificatif d’horacianiste et l’oppose à la position littéraliste, dont les
prémices n’apparaissent que vers 1530 et qui s’affirme véritable1
2
Glyn P. Norton, The Ideology and language of translation in Renaissance
France, p. 34.
Horace, Oeuvres, p. 262.
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
107
ment à partir de 1540, position tenue par ceux qui revendiquent
une proximité plus grande avec le texte source.
La version de la première églogue de Virgile par Guillaume
Michel de Tour, l’un des plus prolifiques traducteurs du premier
tiers du XVIe siècle, cadre parfaitement avec la description que
Norton donne de l’horacianisme :
Virgile
Guillaume Michel de Tour
Tityre, tu patulae recubans sub tegmine
O Tytirus doulx et armonieux,
[fagi Soubz les rainceaulx d’umbre solatieux
Toy reposant en camènes t’assis,
Sylvestrem tenui musam meditaris avena
En méditant de ton plectre rassis
Sylvestres sons et jubileuses muses,
Nos patriae fines, et dulcia linquimus arva,
Nos patriam fugimus :
Nous Mantuans tant hays des Camènes,
Perdu avons champs et pastis amènes :
Nos propres lieux délinqué nous avons.
tu, Tityre, lentus in umbra, Toi, Tytirus, comme très-bien sçavons,
Formosam resonare doces Amryllida
Moult lentement soubz l’umbre doulx et
[sylvas 3
[tendre
Tes joyeux chantz faiz pasteurs entendre,
Par vers si près du tymbre d’armonie
Que les forestz y prennent symphonie,
Tant doulcement que le boys qui résonne
Ses fleurs respand, et en l’ouye sonne
Les beaux responds d’Echo par nom
[nommée
Nymphe des dieux, ès forestz renommée,
Qui très-bien scet, sans point se repentir,
Tes chantz doubler, et faire retentir
Le nompareil d’une muse lucide
Pour los donner à ton Amaryllide 4.
Verdun-Louis Saulnier utilise le terme de « paraphrase » 5
pour caractériser le travail de Guillaume Michel de Tour. Il s’agit
de signifier la distance qui peut exister avec les conceptions ultérieures de la traduction : la version donnée pour le cinquième
vers de Virgile (« Formosam resonare doces Amaryllida sylvas »)
3
4
5
Clément
Armand
Clément
Clément
Marot, L’Adolescence clémentine, éd. Verdun-Louis Saulnier, Paris,
Colin, 1958, p. 215.
Marot, L’Adolescence clémentine, p. 217-218.
Marot, L’Adolescence clémentine, p. 214.
108
« OVIDE VEUT PARLER »
ne compte pas moins de douze vers dans lesquels le traducteur
fusionne le texte virgilien avec une notice mythologique qui
explique que la nymphe Echo sait « doubler » les résonances du
chant de Tityre. Le traducteur s’autorise en quelque sorte de la
licence horacienne de façon à rétablir pour le lecteur moderne
une série de connaissances implicites que le français a cessé de
véhiculer. Un surplus de sens semble nécessaire dans la langue
cible pour compenser ses limites vis-à-vis de la langue source 6.
Le procédé prend une forme extrême et absurde dans la langue
de l’écolier limousin que Rabelais décrit au chapitre VI du Pantagruel. La formule de Guillaume Michel heurte sans doute bon
nombre de préjugés sur la traduction, mais elle participe bel et
bien du souci de fidélité à l’original.
A la même époque, Clément Marot ne prend pas la même
liberté avec le texte Virgile :
Virgile
Marot
Tityre, tu patulae recubans sub tegmine
Toy Tityrus, gisant dessoubz l’Ormeau
[fagi Large, et espez, d’ung petit Chalumeau
Sylvestrem tenui musam meditaris avena
Nos patriae fines, et dulcia linquimus arva,
Nos patriam fugimus :
Chantes Chansons rustiques en beaulx
[Chants :
Et nous laissons (maulgré nous) les doulx
[champs,
Et noz Pays.
tu, Tityre, lentus in umbra, Toy oysif en l’umbrage
Formosam resonare doces Amaryllida
Faiz resonner les forestz, qui font rage
De rechanter apres ta Chalemelle
sylvas 7
La tienne Amye Amarillis la belle 8.
Peut-on dire pour autant que Marot traduise véritablement
mot à mot ? A bien y regarder, sa version comprend également
un certain nombre d’ajouts : des adjectifs, « large », « espez »,
« rustiques », « beaulx » ou un rappel de l’instrument sur lequel
6
7
8
Le procédé va à l’encontre de la quatrième règle de Dolet qui exige de se
contenter « du commun ». Il pourrait être une application à la traduction
des conceptions qui conduisent les Grands Rhétoriqueurs à la pratique du
calque.
Clément Marot, L’Adolescence clémentine, p. 215.
Marot, TI, p. 21.
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
109
joue Tityre, « apres ta Chalemelle ». La référence à l’adage
d’Horace ne permet pas de rendre compte de la différence perceptible entre la pratique de Guillaume Michel de Tour et celle
de Marot : soit l’on considère que les deux auteurs sont à situer
dans une perspective horacianiste, et il faut admettre de grandes
différences de pratiques au sein de cette perspective ; soit l’on
insiste sur la pertinence de l’opposition « horacianiste/littéraliste » pour différencier la production de Guillaume Michel de
Tour et celle de Marot, et il faut admettre que le refus de la position littéraliste, qu’on pourrait définir comme le refus du refus
du mot à mot, ne conduit pas au mot à mot. Dans les deux cas,
la clarté conceptuelle requise par l’opposition « horacianiste/littéraliste » semble inadéquate, compte tenu de la complexité pratique de la traduction 9.
Considérer le critère du mot à mot à partir de sa formulation
par Cicéron permet de l’approcher de façon plus opérationnelle.
Dans la préface qu’il donne à sa traduction des Discours de Démosthène et d’Eschine, le grand orateur expose une méthode dont
l’influence est tout à fait comparable à celle de la recommandation d’Horace :
Je ne les ai pas rendus en simple traducteur, mais en écrivain respectant leurs phrases, avec les figures de mots ou de pensées, usant
toutefois de termes adaptés à nos habitudes latines. Je n’ai donc pas
jugé nécessaire d’y rendre chaque mot par un mot ; pourtant, quant
au génie de tous les mots et à leur valeur, je les ai conservés… J’ai
cru, en effet, que ce qui importait au lecteur, c’était de lui en offrir
non pas le même nombre, mais pour ainsi dire le même poids 10.
Loin d’être une revendication esthétique, la distance vis-à-vis
du mot à mot renvoie, sous la plume de Cicéron, beaucoup plus
nettement au constat, bien connu de tous les théoriciens de la
traduction, que la somme du sens ne recoupe pas la somme des
mots. Le droit accordé au traducteur de s’affranchir de l’obligation de trouver un équivalent à chaque mot du texte source
9
10
Mais elle permet à Norton de marquer les extrêmes d’un continuum et
d’orienter des théories particulièrement complexes selon un axe aisément
identifiable.
Cité dans Inês, Oseki-Dépré, « Théories et pratiques de la traduction littéraire en France », p. 8-9.
110
« OVIDE VEUT PARLER »
implique le devoir de rendre le « génie » et la « valeur » de tous
les mots. Les quelques phrases au travers desquelles Cicéron
rend compte de sa pratique de la traduction posent en réalité les
jalons de l’ensemble des théories à venir au sujet de la traduction.
L’importance de ces dernières pour la discussion d’un texte particulier dépend avant tout de la qualité de la description qu’elle
donne des problèmes pratiques qui se posent au traducteur.
Il faut préciser par ailleurs que, pour Norton, l’enjeu n’est pas
tant la valeur opérationnelle du caveat horacien pour l’analyse
des textes de traduction que l’observation de la naissance d’une
conscience, saisissable le plus souvent au travers du commentaire
du précepte d’Horace, de la possibilité de la traduction comme
véritable exercice littéraire, au-delà du simple exercice érudit ou
scolaire. Au moment du Premier Livre, la question des formes que
peut prendre la traduction en tant qu’exercice littéraire est encore
loin d’être décidée en France : les réalisations et les théories italiennes alimentent un modèle qui attend encore son adaptation
dans le domaine français. Sans doute tous les traducteurs du
règne de François Ier partagent-ils l’ambition d’asseoir une tradition répondant à l’idéal envisagé par Leonardo Bruni, celui d’une
version reproduisant « la totalité de la forme de l’original 11 »,
mais les formules qu’ils expérimentent, de l’Enéide de SaintGelais au Grand Olympe, en passant par les libertés prises par
Seyssel ou Guillaume Michel de Tour, témoignent d’une absence
de consensus sur les manières de procéder.
Il se trouve cependant un lecteur qui a vu dans le Premier Livre
une réalisation littéraire majeure. Il se trouve que ce lecteur est
également l’auteur de ce que Norton appelle « the only formal
program of translation theory in Renaissance France 12 », programme résumé en « cinq commandements » qui, selon George
Steiner, « pourraient bien remonter aux grammairiens et rhétoriciens du début du XVIe siècle et même à Leonardo Bruni » 13. Ce
lecteur et théoricien de la traduction, par ailleurs éditeur des
œuvres de Marot, c’est Etienne Dolet, dont La Manière de bien
11
12
13
Antoine Berman, Jacques Amyot, traducteur français, p. 85. C’est Berman qui
souligne.
Glyn P. Norton, The Ideology and language of translation in Renaissance
France, p. 103.
George Steiner, Après Babel, p. 361.
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
111
traduire d’une langue en l’autre constitue un ouvrage capital pour
saisir la dimension littéraire des compétences requises chez le
traducteur.
UNE ANALYSE ENCORE PERTINENTE
AUJOURD’HUI : DOLET
Une singulière proximité chronologique réunit le texte théorique
de Dolet et le Premier Livre. Dans le salut qu’il adresse en 1540 au
peuple français en préambule à son ouvrage, Etienne Dolet
indique qu’il travaille depuis six ans à une somme qu’il compte
publier sous le titre L’Orateur français et qui comprend notamment La Manière : en suivant les indications de Dolet, on peut
avancer que c’est en 1534 qu’il commence à dérober « quelques
heures de son étude principale (qui est en la lecture de la langue
Latine et Grecque)» 14, soit pendant l’année même de la publication du Premier Livre. Ce n’est cependant pas la convergence chronologique frappante entre les deux textes, mais la profondeur
de l’analyse de Dolet qui appelle une lecture approfondie de La
Manière : aucun autre texte d’un humaniste français ne permet de
saisir aussi nettement la nécessité de compétences véritablement
littéraires chez le traducteur. La théorie de Dolet, toujours jugée
pertinente par la traductologie aujourd’hui, offre le meilleur
point de départ qui soit à une réflexion sur les possibilités poétiques de la traduction, en ce qu’elle révèle les aspérités techniques pour lesquelles un travail d’écriture spécifique est requis.
La caractéristique fondamentale du traité de Dolet consiste à
organiser la réflexion autour de cinq règles fondamentales, qui
s’appellent et se recoupent dans une construction dynamique,
propre à ouvrir des perspectives toujours renouvelées sur la traduction. Si Dolet découpe clairement son ouvrage en distinguant
les cinq règles qu’il entend énoncer, il n’attribue pas de dénomination spécifique aux différentes règles : le plus pratique est dès
lors de synthétiser les différentes règles sur la base de courtes
formules extraites des développements mêmes de Dolet :
14
Etienne Dolet, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 7.
112
« OVIDE VEUT PARLER »
[…] il est besoin, et nécessaire à tout traducteur d’entendre
parfaitement le sens de l’auteur, qu’il tourne d’une langue
en autre 15.
La seconde chose, qui est requise en traduction, c’est, que le
traducteur ait parfaite connaissance de la langue de l’auteur,
qu’il traduit , et soit pareillement excellent en la langue, en
laquelle il se met à traduire 16.
Le tiers point est, qu’en traduisant, il ne se faut pas asservir
jusques à là, que l’on rende mot pour mot 17.
[…] il te faut garder d’usurper mots trop approchants du
Latin, et peu usités par le passé, mais contente toi du
commun, sans innover aucunes dictions follement, et par
curiosité répréhensible 18.
l’observation des nombres oratoires 19.
Première règle :
Deuxième règle :
Troisième règle :
Quatrième règle :
Cinquième règle :
Il est utile d’examiner d’abord la distribution de l’argumentation au travers des différentes règles, avant de dégager de façon
plus précise les enjeux liés à chacune d’entre elles. On remarque
immédiatement que l’adage horacien (ou cicéronien) est repris
par Dolet dans sa troisième règle. La question n’est donc pas
placée en première position : elle n’apparaît qu’après que deux
autres règles, touchant à la compréhension du texte source et à
la maîtrise de la langue source, ont été posées. Il s’agit donc, en
soi, d’une forme de limitation de la liberté offerte par l’Art poétique. L’énoncé même de la règle, « il ne se faut point asservir
jusques à », met en question les limites de l’asservissement et non
l’existence, sinon la nécessité, d’un asservissement qui relève de
la question centrale de la fidélité.
L’économie de l’articulation entre la première et la deuxième
règle présente quant à elle une répartition très subtile des éléments relatifs au texte source et au texte cible. On pourrait imaginer que la première règle englobe la question de la langue source,
unissant ainsi le mot et la chose à traduire, pour laisser à la
seconde règle la seule question de la langue cible. En associant
langue source et langue cible dans sa seconde règle, Dolet choisit
une logique différente de l’opposition « source/cible », habituel15
16
17
18
19
Dolet,
Dolet,
Dolet,
Dolet,
Dolet,
Etienne,
Etienne,
Etienne,
Etienne,
Etienne,
La
La
La
La
La
Maniere
Maniere
Maniere
Maniere
Maniere
de
de
de
de
de
bien
bien
bien
bien
bien
traduire
traduire
traduire
traduire
traduire
d’une
d’une
d’une
d’une
d’une
langue
langue
langue
langue
langue
en
en
en
en
en
aultre,
aultre,
aultre,
aultre,
aultre,
p.
p.
p.
p.
p.
12.
12.
13.
14.
15.
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
113
lement dominante dans la théorie de la traduction. La logique
retenue par Dolet donne à la question de la langue une sorte de
place à part, détachée de la question du « sens » et de la
« matière » de l’auteur. On retrouve ici une position qui semble
prôner une espèce d’autonomie du style, ou, du moins, la
conscience que certains des éléments à traduire ne dépendent pas
uniquement du rapport « signifiant/signifié » posé par le texte
source :
Entends, que chacune langue a ses propriétés, translations en diction, locutions, subtilités et véhémences à elle particulières. Lesquelles si le traducteur ignore, il fait tort à l’auteur qu’il traduit, et
aussi à la langue en laquelle il le tourne, car il ne représente, et
n’exprime la dignité, et richesse de ces deux langues, desquelles il
prend le maniement 20.
La réunion des compétences requises en langue source avec
celles de la langue cible constitue la question de la langue en une
sorte de programme autonome par rapport à la fidélité au sens
du texte source. Celle-ci se voit quant à elle traitée à part, dans
la première règle.
Si les trois premières règles se préoccupent avant tout d’une
sorte d’ontologie de la traduction, les quatrième et cinquième
règles proposent une ébauche de poétique pour la langue cible.
La quatrième règle est, comme la troisième, toute d’équilibre et
de subtilité. Dolet proscrit en effet le recours trop fréquent à des
mots « usurpés » des langues anciennes, mais veille également à
ne pas ériger en principe une règle contre laquelle plaide la supériorité du grec et du latin, « qui nous contraint souvent d’user de
mots peu fréquentés » 21. Dolet précise dans la phrase qui suit
qu’il ne faut le faire qu’ à « l’extrême nécessité ». Ce dernier mot
est peut-être à prendre dans son acception la plus philosophique :
la nécessité qui impose de renoncer aux noms communs du français, c’est l’éventuelle solution de continuité entre langue source
et langue cible, solution évidemment insurmontable, puisque liée
à la nature même des langues. Cela étant, la quatrième règle présuppose plutôt une continuité possible entre langue cible et
20
21
Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 12-13.
Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 14.
114
« OVIDE VEUT PARLER »
langue source, et, par conséquent, la possibilité pour le traducteur d’avoir recours à un français commun pour exprimer un
latin commun.
La cinquième règle semble moins universelle, puisqu’elle fait
appel à la notion de « nombre oratoire » dont Dolet se veut à tout
le moins le défenseur singulier et pour laquelle il renvoie le lecteur à son Orateur français. Bien que Dolet n’ait jamais donné cet
ouvrage, il est possible d’avancer que la notion vise l’application
de la notion de période à la langue française. Olivier Millet a
montré, dans son long commentaire de La Défense 22, comment
Du Bellay a tenté d’adapter les notions de nombre et de période
à la poésie française : si la démonstration de Millet est trop étroitement liée au manifeste de la Pléiade pour illustrer la formule
de façon opérationnelle dans le cas de Dolet, elle permet tout de
même d’établir qu’étant donné l’absence de structure accentuelle
dans la prosodie française, une description détaillée est requise
si l’on entend approcher la notion autrement que comme une
revendication vague et idéale. En l’absence d’une telle description chez Dolet, il faut se contenter d’imaginer ce que l’humaniste
peut souhaiter lorsqu’il écrit :
[…] sans l’observation des nombres, on ne peut être émerveillable
en quelque composition que ce soit ; et sans yceulx les sentences ne
peuvent être graves, et avoir leur poids requis et légitime. Car
penses-tu que, ce soit assez d’avoir la diction propre et élégante, sans
une bonne copulation des mots ? Je t’avise, que c’est autant que d’un
morceau de diverses pierres précieuses mal ordonnées : lesquelles ne
peuvent avoir leur lustre, à cause d’une collocation impertinente.
Ou c’est autant, que de divers instruments musicaux mal conduits
par les joueurs ignorants de l’art et peu connaissants les tons, et
mesures de la musique 23.
Dans le domaine restreint de la traduction, l’exigence de
l’observation des nombres oratoires peut être interprétée comme
l’exigence que la version en langue cible ne se limite pas au
simple assemblage de propos fidèles, mais constitue une réussite
22
23
Olivier Millet, « Commentaire », Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration
de la langue française, p. 111-326.
Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 15.
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
115
formelle. Cette exigence n’a sans doute rien d’innocent dans la
mesure où elle fait rechercher dans le texte cible des qualités semblables à celles qui ont illustré le texte source. Traduire une réussite littéraire doit aboutir à une autre réussite littéraire.
L’analyse de la structure de La Manière révèle une construction
à la fois modérée, subtile et audacieuse, capable d’articuler les
concepts contradictoires sans occasionner d’impasse et de ménager au traducteur en vernaculaire un espace et des exigences
propres. Le passage en revue du détail de chaque règle permet
de saisir à quel point la pensée de Dolet a conservé toute sa pertinence et quelles compétences spécifiques elle exige du traducteur.
La première règle pourrait être appelée « règle de l’exacte
interprétation » 24. Comme les autres règles de Dolet, elle a, selon
l’expression de Georges Steiner, « le mérite de l’évidence » 25. On
attend bien évidemment du traducteur qu’il ait compris le texte
qu’il traduit. Le commentaire ajouté par Dolet pour illustrer son
propos expose un passage des Tusculanes de Cicéron dans lequel
semble jouer de façon très subtile la distinction entre animus et
anima. Dolet récuse la difficulté en expliquant : « quant à la différence (dis-je) de ces dictions animus, & anima, il ne s’y faut point
arrêter, car les façons de parler Latines, qui sont déduites de ces
deux mots, nous donnent à entendre qu’ils signifient presque
même chose ».
La théorie moderne de la traduction continue à se heurter à la
grande exigence de cette première règle, particulièrement sensible à la nature du texte à traduire : la difficulté de l’exacte interprétation varie considérablement selon que le texte à traduire est
un mode d’emploi, un texte biblique ou un poème symboliste 26.
Georges Steiner ouvre le premier chapitre d’Après Babel avec une
description aussi précise que possible du monologue de Posthumus dans l’Acte II de Cymbeline, avant de conclure :
24
25
26
Elle renvoie bien évidemment au titre du traité de Leonardo Bruni, De interpretatione recta : il serait faux cependant d’identifier la totalité de la théorie
de Bruni à la première règle de Dolet. Le traité de l’humaniste italien traite
d’autres questions, pour lesquelles la dette de La Manière est aussi manifeste,
telles que la question du mot à mot.
George Steiner, Après Babel, p. 361.
Faut-il préciser qu’en ce qui concerne le Premier Livre, c’est bien évidemment
la question du texte littéraire qui se pose prioritairement, et que cette question est, quant à elle, très sensible à cette première règle de Dolet ?
116
« OVIDE VEUT PARLER »
Et puis, où s’arrêter ? Aucun texte, qu’il soit antérieur à Shakespeare ou lui soit contemporain, ne peut être rejeté a priori comme
totalement étranger. La culture élisabéthaine, la culture européenne
ne comportent aucun aspect qui échappe manifestement au contexte
global d’un passage de Shakespeare. La dissection de la structure
sémantique ne tarde guère à soulever le problème des séries
infinies 27.
Face à l’infini des séries évoquées par George Steiner, la responsabilité du traducteur consiste à s’assurer qu’il saisit une part
suffisante pour rendre l’importance du texte source.
La deuxième règle pourrait être appelée « règle de l’excellence
philologique ». L’originalité du découpage de Dolet qui sépare
matière source et langue source pour lier langue source et langue
cible a été soulignée. Il reste à prendre la mesure de la portée de
cette règle au regard des problèmes techniques auxquels se
heurte le traducteur. On peut passer rapidement sur la question
de la double compétence du traducteur aussi bien en langue
source qu’en langue cible pour aborder la question plus cruciale
de la possibilité de tenir compte, ainsi que l’exige Dolet, du fait
que « chacune langue a ses propriétés, translations en dictions,
locutions, subtilités, et véhémences à elle particulières ».
Que de questions concrètes cache cette exigence ! Elle
demande d’abord au traducteur d’être capable d’évaluer avec
précision le style du texte source dans le contexte de la langue
source : comme, en principe, la langue maternelle du traducteur
est la langue cible, on se prend à rêver sur les compétences linguistiques, ou, à défaut, les connaissances philologiques dont
devrait être pourvu le traducteur. A supposer que le style du
texte source puisse être évalué avec une précision satisfaisante,
la question qui s’ouvre est celle de la démarche à adopter en ce
qui concerne le style du texte cible 28. Faut-il privilégier l’actualisation en adoptant une langue contemporaine du public pour
lequel la traduction est réalisée ? Faut-il privilégier l’histoire littéraire en utilisant les formes traditionnellement reconnues comme
27
28
George Steiner, Après Babel, p. 38.
Cette question occupe, par exemple, la plus grande partie du relativement
court chapitre que Gérard Genette consacre à la traduction dans Palimpsestes.
Voir Gérard Genette, Palimpsestes, Paris, Seuil 1982, p. 293-299.
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
117
équivalentes pour deux langues ? Faut-il faire preuve de créativité et tenter d’établir dans la langue cible des constructions imitant les caractéristiques stylistiques du texte source ? Imaginons
qu’un traducteur soit chargé de traduire Macbeth en français :
choisira-t-il, pour rendre le vers blanc shakespearien, un système
de vers libre, l’alexandrin qui est le vers habituel de la tragédie
en français, ou tentera-t-il d’élaborer une approche accentuelle
dans le genre de celle qu’a explorée Jean Tardieu pour ses traductions de Hölderlin ? La réponse à cette question tient à nombre
d’autres choix opérés par le traducteur.
Il n’existe pas de réponse normative à ces questions en ce sens
qu’aucune solution ne pourra prétendre être celle de la traduction exacte. Choisir un dispositif linguistiquement très proche du
style de Shakespeare n’implique pas que le public français
d’aujourd’hui puisse y trouver ce qu’y trouvaient les Anglais du
XVIIe siècle. A l’inverse, peindre pour les Français, « non la chose,
mais l’effet qu’elle produit » impliquerait la maîtrise scientifique
des effets d’un texte. On prend à nouveau la mesure de ce que
veut dire l’impossibilité théorique de la traduction : sous l’angle
du style, la traduction définitive ne semble en effet guère plus
définissable que sous l’angle de l’interprétation, même si, comme
pour l’interprétation, la question se pose très différemment en
fonction du genre du texte à traduire. Il apparaît par contre nettement qu’en l’absence de réponse normative, les compétences
propres du traducteur s’avèrent décisives : en matière de langue
cible, elles s’avèrent remarquablement proches de celles de
l’écrivain.
La troisième pourrait s’appeler « règle de la non concordance
lexicale ». A la suite d’Horace et Cicéron, on la retrouve chez
Dolet, comme chez tous les théoriciens du XVIe siècle. Norton, on
l’a vu, a réalisé son analyse de l’idéologie de la traduction en
utilisant la notion horacienne du mot à mot comme critère discriminant. Dolet retient surtout la dimension esthétique de la question en souhaitant affranchir le traducteur de l’ordre des mots du
texte source, tout comme de celui des vers ou des phrases. Pour
comprendre ce qui est en jeu au niveau théorique, il convient
toutefois de se rendre compte que le refus de la traduction mot
à mot est lié à un fait bien connu de la traductologie d’aujourd’hui, à savoir la non concordance des lexiques.
118
« OVIDE VEUT PARLER »
Dans son ouvrage sur les problèmes théoriques de la traduction, Georges Mounin consacre à la question un chapitre complet
qu’il intitule « Lexique et traduction » 29. Les notions utilisées
dans la discussion sont complexes et font largement intervenir
des problématiques classiques de la philosophie du langage,
telles que la question des universaux ou celle des unités sémantiques minimales. Comme l’objectif n’est pas d’exposer dans les
détails la question de la non concordance lexicale qui, par
ailleurs, gagnerait à être revue à la lumière des théories sémantiques plus récentes que la thèse à ce titre véritablement ancienne,
de Mounin, il suffit de citer ici un passage 30 qui résume de façon
très évocatrice la question posée :
Si l’on pouvait démontrer que la totalité du lexique, dans toutes les
langues – et quel que soit le niveau de la civilisation, de la culture,
enregistré par chacune de ces langues – est structurée selon de tels
champs sémantiques, on aboutirait à dire que chaque lexique est
constitué par des mosaïques de termes, dont presque jamais les surfaces, ni les subdivisions (intérieures à ces surfaces) ne coïncident
entre elles.
On démontrerait que la coïncidence traductionnelle exacte de deux
éléments d’un même champ sémantique, dans deux langues différentes, est presque toujours impossible.
Mounin illustre son propos à l’aide d’un schéma qui met en
relation les six mots qui désignent la neigne en langue eskimo
avec le trois qui la désigne en langue aztèque. La non correspondance de la langue eskimo et de la langue aztèque permet de
comprendre facilement pourquoi il n’est pas possible de simplement procéder à une transposition mot à mot pour obtenir la
traduction d’un texte donné de l’eskimo en aztèque, par exemple.
On aura remarqué toutefois que, dans l’extrait cité, Mounin utilise le conditionnel : il argumente en effet à partir de la notion de
champ lexical qu’il a exposée, mais qu’il décrira ensuite comme
controversée. Il cherchera ensuite d’autres pistes pour expliquer
la structuration profonde du lexique, et, partant, rendre compte
des difficultés posées à la traduction. Il faut souligner que cette
29
30
Georges Mounin, Les Problèmes théoriques de la traduction, p. 61-187.
Georges Mounin, Les Problèmes théoriques de la traduction, p. 78.
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
119
interrogation sur la non concordance lexicale, fréquemment évoquée dans les théories de la traduction, y compris chez George
Steiner 31, et qui présuppose une sémantique aussi aboutie que
possible, fait généralement appel aux théories des plus grands
philosophes du langage et linguistes : Humboldt, Whorf, Saussure, Jakobson, Chomsky, pour ne citer qu’eux. Il est vrai que la
question concourt à poser l’impossibilité de la traduction : étant
donné la non concordance lexicale, le choix des mots du texte
cible sera, comme d’autres paramètres, un choix du traducteur
pour lequel aucune restriction normative absolue ne pourra se
prévaloir d’une quelconque théorie lexicale exhaustive.
En d’autres termes, une traduction, au sens du résultat obtenu,
pourra être considérée comme satisfaisante, au sens de la mise
en concordance acceptable de deux lexiques, mais ne pourra pas
interdire d’autres mises en concordance. A nouveau, la règle est
sensible au genre de traduction considérée, tant il est vrai que
dans les domaines techniques, il existe un certain nombre de
concordances standards établies au niveau international (norme
ISO de la traduction).
En l’absence de telles concordances, la conception de Dolet
est précisément celle d’une traduction non mécanique lorsqu’il
indique qu’il ne faut pas traduire ligne à ligne ou vers à vers. Et
s’il insiste sur la nécessaire liberté du traducteur, il indique aussi
que « sans avoir égard à l’ordre des mots, il s’arrêtera aux sentences, et fera en sorte, que l’intention de l’auteur sera exprimée,
gardant curieusement la propriété de l’une et l’autre langue » 32.
Sans remettre en cause l’adage d’Horace, qui constitue, on l’a dit,
la pierre de touche de toute théorie de la traduction au
XVIe siècle, Dolet est attentif à le rendre plus opérationnel, à l’articuler avec la pratique, pour lui éviter d’être une simple porte
ouverte à tous les débordements.
La quatrième règle pourrait s’appeler « règle du défi des intraduisibles ». Dolet vient à décrire cette règle principalement en
raison du sentiment d’infériorité partagé par l’ensemble des lettrés de son temps face à la supériorité déclarée des langues
31
32
George Steiner, « Langage et gnose », Après Babel, Paris, Gallimard, 1998,
p. 91-165.
Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 13.
120
« OVIDE VEUT PARLER »
anciennes : « car on sait bien que la langue grecque ou latine est
trop plus riche en dictions que la française. » 33 Dolet condamne
la facilité qui consiste à forger des néologismes ou à recourir à
des calques (ce qui parfois revient au même) chaque fois que la
non concordance lexicale entraîne une apparente impossibilité de
traduction. Cette quatrième règle est donc intimement liée à la
troisième, bien qu’elle n’entraîne pas la théorie sur les mêmes
chemins. On s’accordera sans doute facilement, au niveau normatif, sur l’idée que les néologismes ou les emprunts doivent être
strictement limités dans l’exercice de la traduction. Pour autant,
il ne faut pas sous-estimer le défi que toute traduction représente
pour la langue cible. Justement en raison de la non concordance
lexicale, il n’est pas possible de poser qu’en principe une langue
puisse accueillir tout texte source. A la Renaissance, c’était aux
langues vernaculaires (« non réduites en art certain » 34, selon le
terme de Dolet) de faire la preuve de leur aptitude à devenir des
langues de culture. Aujourd’hui, ce sont sans doute moins les
limitations entre les langues que les limitations entre les genres
qui posent question : on se rappellera bien sûr le topos de la
poésie intraduisible, mais on pourrait ajouter le slogan publicitaire, les proverbes, les jeux de mots, etc. Au plan purement théorique, la désignation d’intraduisibles comme tels laisse entendre
que le reste du corpus est, quant à lui, tout à fait traduisible : il
en ressort une conception de la traduction à deux vitesses, acceptable pour l’ordinaire, vouée à l’échec pour les niveaux supérieurs. Sur quelle théorie linguistique pourrait-on baser une telle
distinction ? Est-il possible de tracer, à l’intérieur d’une langue,
un périmètre poétique différant essentiellement du reste du système, ne serait-ce que sur un critère précis ? Cette quatrième règle
fait clairement entrer dans le jeu la question des attentes du lecteur ou du critique qui juge la traduction. Elle laisse pressentir
que sera considéré comme traduction valable, au niveau ordinaire comme au niveau supérieur, toute traduction jugée satisfaisante par un lecteur donné à un moment donné. Corollairement,
le traducteur doit être envisagé comme l’instigateur et non le calculateur du lien nécessaire désormais établi entre texte source et
texte cible.
33
34
Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 14.
Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 14.
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
121
La cinquième règle pourrait s’appeler « règle de l’exigence stylistique ». L’idée sous-jacente est celle de l’inculturation linguistique complète du texte cible dans la langue cible. L’exigence de
style faite à la traduction est la même que pour l’ensemble de la
littérature. Le texte cible ne devrait en principe rien dévoiler de
son origine allogène : contrairement aux quatre premières règles,
la cinquième trahit un préjugé esthétique relativement net, en
faveur d’une langue douce, harmonieuse, musicale, bien ordonnée. Certain théoriciens de la traduction à partir du XXe siècle ne
se retrouveraient peut-être pas dans l’exigence de Dolet : Antoine
Berman déplore la tendance générale à nier l’étranger dans la
traduction par une stratégie de naturalisation, alors qu’il s’agirait
plutôt de recevoir l’étranger comme étranger 35. On pourrait tout
à fait inscrire dans ce débat la distance qui peut séparer les traduction de Guillaume Michel de Tour de celles de Clément Marot
(voir ci-dessus) : le français enrichi de Guillaume Michel tendant
à garder au texte son étrangeté, alors que la langue plus limpide
de Marot vise à donner un Virgile en quelque sorte francisé.
Un rapide examen des cinq règles de Dolet permet de passer
en revue la plus grande partie des thèmes développés aujourd’hui encore dans le domaine de la traductologie. La caractéristique la plus intéressante du traité de Dolet réside cependant
dans l’énonciation presque brutale de cinq règles, nettement
détachées les unes des autres, proposant une approche analytique de la traduction, sans la moindre esquisse de synthèse. A
aucun moment, Dolet ne se préoccupe de tisser des liens entre
les règles qu’il énonce, ni même d’exposer les raisons de l’ordre
qu’il a choisi. On pressent que chaque règle se rapporte à un
moment plus spécifique du processus de traduction, sans qu’il
soit possible pour autant de juger que l’ordre des cinq règles soit
censé refléter l’ordre idéal du processus de traduction : si l’on
peut imaginer détacher la première règle des quatre autres, il est
clair que ces dernières renvoient à des processus qui peuvent être
parfaitement parallèles pendant le processus de traduction luimême. Parce qu’elle ne constitue pas un simple mode d’emploi,
La Manière renvoie en permanence la responsabilité créative du
traducteur : si ce dernier doit faire appel à des compétences qui
35
Jeremy Munday, Introducing translation studies, p. 149.
122
« OVIDE VEUT PARLER »
rappellent celles du poète ou de l’écrivain, la question est ouverte
de l’ambition qu’il peut avoir pour sa version. C’est ici qu’il faut
aborder la théorie de la traduction exposée dans La Défense.
L’APORIE FONDAMENTALE : DU BELLAY
La théorie de Dolet s’articule autour d’une complexité aux antipodes du système raisonné développé par Du Bellay dans la
Défense et Illustration de la Langue Française. Le sens du manifeste
de La Pléiade se construit autour d’un axe déclaré, établir les
conditions de la réussite de la langue française dans le domaine
poétique, selon un point de vue bien particulier que rappelle Olivier Millet :
La création d’une grande littérature nationale passera par l’imitation
des seuls auteurs étrangers. Cet énoncé positif est redit négativement
par la règle d’un ni… ni… : ni traduction des étrangers, ni imitation des nationaux. Si l’on veut un Virgile français, il ne faut ni
traduire l’Enéide en décasyllabe, ni prendre ses modèles chez
Marot 36.
Le niveau auquel Du Bellay entend hisser la poésie française
n’est pas sans conséquence sur la conception de la traduction
qu’il défend : il faudra s’en souvenir au moment d’examiner avec
précision les arguments exigeant des poètes qu’ils renoncent au
« labeur de traduyre » 37.
Le « Livre Premier » de la Défense établit une opposition
binaire entre la pratique de la traduction, honorable, mais insuffisante, et celle de l’imitation, véritablement porteuse d’avenir
pour le domaine français. Les éléments historiques examinés par
Du Bellay (origine des langues, signification du terme « barbare », histoire littéraire d’Athènes ou de Rome) reçoivent tous
un éclairage orienté vers la confirmation du chemin sur lequel La
Défense entend engager la langue française. L’argumentation avec
laquelle Du Bellay interroge la valeur de la traduction ne relève
36
37
Olivier Millet, « Commentaire », Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration
de la langue française, p. 111.
Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 30.
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
123
cependant pas du simple exercice partisan et pose des jalons qui
ont influencé la critique bien au-delà du manifeste de la Pléiade.
Il faut souligner la dimension résolument théorique que Du
Bellay entend donner à son propos : « ce [l’insuffisance de la traduction pour l’illustration de la langue française] que je pretens
prouver si clairement, que nul n’y voudra (ce croy-je) contredire,
s’il n’est manifeste calumniateur de la vérité. » 38 Si l’auteur de la
Défense et Illustration peut avancer avec une telle confiance, c’est
qu’il s’appuie sur une connaissance approfondie des sources
antiques, en particulier de l’Orateur de Cicéron. Il expose sa
vision de la traduction sur la base d’un cadre analytique bien
connu au milieu du XVIe siècle, les parties de la rhétorique, qu’il
cite dans un ordre non traditionnel : invention, élocution, disposition, mémoire et prononciation. Du Bellay laisse de côté les trois
dernières dans lesquelles il ne voit aucune possibilité de tirer
avantage de « reigles et preceptes ». Il admet le bénéfice de la
traduction en matière d’invention, point sur lequel « les fideles
Traducteurs peuvent grandement servir et soulager ceux qui
n’ont le moyen Unique de vaquer aux langues etrangeres.» 39
Mais l’élocution pose la question décisive :
Mais quand à l’Eloquution, partie certes la plus difficile, & sans la
quelle toutes autres choses restent comme Inutiles, & semblables à
un Glaive encores couvert de sa Gayne : Eloquution (dy-je ) par
laquelle Principalement un Orateur est jugé plus excellent, & un
Genre de dire meilleur, que l’autre : comme celle, dont est appellée
la mesme Eloquence : & dont la vertu dist aux mots propres, et dont
la vertu gist aux mots propres, usités, et non aliénes du commun
usaige de parler ; aux Methaphores, Alegories, Comparaisons, Similitudes, Energies, & tant d’autres figures, & ornemens, sans les
quelz toute oraison, & Poëme sont nudz, manques, & debiles 40.
Pour Du Bellay, c’est la nature même de l’élocution qui
l’enferme à l’intérieur d’une langue 41. C’est pourquoi, on ne peut
38
39
40
41
Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 26.
Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 27.
Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 27.
Cette interprétation est propre à Du Bellay : au point de vue de la théorie
rhétorique standard, l’élocution est simplement ce qui rend le texte efficace.
Olivier Milet a démêlé toutes les dimensions de la notion d’élocution dans
le commentaire qu’il donne à son édition de La Défense et Illustration de la
124
« OVIDE VEUT PARLER »
attendre de la lecture d’un Démosthène ou d’un Homère latin,
pas plus que d’un Cicéron ou d’un Virgile français, les « affections » procurées par les originaux classiques. Du Bellay entend
donner à son propos une base théorique si générale qu’il précise
que la perte engendrée par la traduction n’est pas simplement
liée au passage des langues anciennes aux langues vernaculaires.
Il propose pour cela une expérience mentale consistant à imaginer Homère ou Virgile traducteurs insuffisants de Pétrarque. Du
Bellay tient particulièrement à éloigner les poètes de la traduction, en raison de la nature spécifique de la poésie, plus sensible
que la prose à la difficulté de rendre le « genius » propre à
chaque langue :
[les] Poëtes, genre d’aucteurs certes, auquel si je sçavoy’, ou vouloy’
traduyre, je m’addresseroy’ aussi peu, à cause de ceste Divinité
d’Invention 42, qu’ilz sont plus que les autres, de ceste grandeur de
style, magnificience de motz, gravité de sentences, audace, & variété
de figures, & mil’ autres lumieres de Poësie : brief ceste Energie, &
ne sçay quel Esprit, qui en leurs Ecriz, que les Latins appelleroient
Genius 43.
L’argument recoupe en grande partie l’idée du défi des intraduisibles entrevu à partir de la quatrième règle d’Etienne Dolet.
Dans le système exposé par Du Bellay, qui vise le plus haut
niveau de la poésie, la difficulté amène à reléguer la traduction
au rang des pratiques subalternes :
Celuy donques qui voudra faire œuvre digne de prix en son vulgaire,
laisse ce labeur de traduyre, principalement les Poëtes, à ceux, qui
de chose labourieuse, & peu profitable, j’ose dire encor’ inutile, voyre
pernicieuse à l’Accroissement de leur Langue, emportent à bon droit
plus de molestie, que de gloire 44.
L’histoire littéraire n’étant jamais à court d’ironie, Du Bellay
lui-même se verra traducteur 45 de Virgile quelques années seule-
42
43
44
45
langue française. Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue
française, p. 91-370.
Le terme n’a pas à prendre ici au sens de l’inventio de la rhétorique.
Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 29.
Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 30.
René Godenne, « Etienne Jodelle, traducteur de Virgile », BHR, Tome XXXI,
1, 1969, p. 195-205.
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
125
ment après la parution de La Défense 46. Il défendra alors son
entreprise en se montrant beaucoup plus pragmatique quant aux
exigences posées au traducteur, comme si la pratique de la traduction l’avait conduit à découvrir une valeur de l’exercice que
son système avait logiquement exclue :
Il me semble, vu la contrainte de la rime, et la différence de la proprieté et structure d’une langue à l’autre, que le translateur n’a point
mal fait son devoir, qui sans corrompre le sens de son auteur, ce
qu’il n’a pu rendre d’assez bonne grâce en un endroit s’efforce de le
recompenser en l’autre 47.
Au lecteur surpris de voir l’auteur de la Défense sembler à ce
point se rallier à la cause de la traduction, Du Bellay offre une
excuse confirmant qu’il exerce la traduction dans une perspective
fort éloignée de l’ambition théorique affichée dans son
manifeste :
Je n’ai pas oublié ce qu’autrefois j’ai dit des translations poétiques,
mais je ne suis si jalousement amoureux de mes premiers apprehensions que j’aie honte de les changer quelquefois à l’exemple de
tant d’excellents auteurs, dont l’autorité nous doit ôter ceste opiniâtre opinion de vouloir toujours persister en ses avis, principalement en matière de lettres. Quant à moi, je ne suis pas stoïque
jusque là 48.
La rétractation au fond toute personnelle de Du Bellay ne
suffit pas à épuiser l’aporie posée dans la Défense. Elle suggère
de facto une place possible pour la traduction en dehors de la
perspective exigeante d’un manifeste orienté vers un mot d’ordre
qui se résume à « être Virgile ou rien » 49, mais elle n’enlève rien
à l’aporie de l’unicité de l’elocutio originale dont l’écho résonne
bien au-delà de 1549. Georges Mounin le souligne avec force :
46
47
48
49
Joachim Du Bellay, Le quatriesme livre de l’Enéide / traduict en vers françoys. La
complaincte de Didon à Enée, prinse d’Ovide, autres œuvres de l’invention du
traducteur / par J. D. B. A., Paris, 1552. Un volume est disponible sur Gallica :
il porte l’identifiant ark :/12148/bpt6k714792.
Joachim Du Bellay, Le quatriesme livre de l’Enéide, p. 7-8.
Joachim Du Bellay, Le quatriesme livre de l’Enéide, p. 8-9.
Olivier Millet, « Commentaire », Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration
de la langue française, p. 111.
126
« OVIDE VEUT PARLER »
Si l’on veut donc étudier les problèmes de la traduction, si l’on veut
même écrire une défense et illustration de la traduction, c’est avec
celui-ci [Du Bellay] qu’il faut discuter, c’est toujours lui qu’il faut
réfuter 50.
A bien y réfléchir, toutes les réserves que peut susciter l’idée
d’un poème issu de la traduction d’un poème s’appuient sur le
même schéma : rôle essentiel de l’élocution source et impossibilité de l’équivalence à ce niveau.
RÉFUTER DU BELLAY
Stephen Greenblatt, qui se souvient avoir originellement approché la puissance poétique du De Rerum Natura au travers d’une
traduction, pose sur l’exercice un jugement tout en nuances, sans
remettre totalement en cause la distance entre traduction et
poésie :
I am committed by trade to urging people to attend carefully to the
verbal surfaces of what they read. Much of the pleasure and interest
of poetry depends on such attention. But it is nonetheless possible
to have a powerful experience of a work of art even in a modest
translation, let alone a brilliant one. That is, after all, how most of
the literate world has encountered Genesis or the Iliad or Hamlet,
and, though it is certainly preferable to read these works in their
original languages, it is misguided to insist that there is no real
access to them otherwise 51.
Greenblatt accorde à la traduction une position éminente :
celle-ci permet, même dans une forme modeste, l’expérience
puissante (« powerful experience ») d’une grande œuvre au travers d’un accès réel (« real access »). L’argument qu’appelle
Greenblatt à l’appui de son jugement se veut pragmatique : c’est
au travers de la traduction que le monde des lettrés (« literate
world ») est entré en contact avec des textes tels que la Genèse,
l’Iliade ou Hamlet. Plus que toute démonstration théorique, ce
50
51
Georges Mounin, Les Belles Infidèles, Paris, Cahiers du Sud, 1955, p. 29.
Stephen Greenblatt, The Swerve. How the World Became modern, p. 2.
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
127
rappel impose le rôle cardinal de la traduction : les savants
peuvent avancer toutes les raisons du monde de ne se référer
qu’aux versions originales pour leurs analyses, aucun ne peut
prétendre se passer totalement de la traduction pour construire
le cadre de références avec lequel il conduit sa réflexion.
Si la nécessité pratique de la traduction, tout comme l’hypothèse de sa valeur, sont fortement établies par Greenblatt, une
séparation claire demeure avec l’original. Il demeure préférable
(« preferable ») de se référer à la langue originale pour prendre
la mesure de la surface verbale (« verbal surface ») nécessaire
pour saisir l’intérêt et le plaisir de la poésie. Avancer l’hypothèse
qu’une traduction puisse se substituer totalement à l’original renverrait évidemment à l’impasse raillée par Borges dans « Pierre
Ménard, auteur du Quichotte ». Il existe cependant une autre
piste à examiner : en tant que réécriture, la traduction peut-elle
offrir l’occasion d’un exercice littéraire dont l’intérêt pourrait être
saisi en dehors de la seule mesure de la fidélité à l’orginal ? La
traduction brillante (« brilliant one ») qu’évoque furtivement Stephen Greenblatt conduit-elle à penser un texte qui, tout en rendant à l’original la justice qu’exige la traduction, peut être
également considéré comme une réalisation littéraire (ou poétique) en tant que telle dans la langue cible ?
Dans le cas du Premier Livre, la question s’impose d’autant
plus qu’il s’agit de la version donnée en vers par un poète de tout
premier ordre. Certains atavismes critiques tendent cependant à
enfermer trop rapidement la réflexion dans des jugements de
valeur, au lieu de favoriser la recherche d’une méthode susceptible d’isoler l’objet à étudier.
Dans la droite ligne de l’aporie formulée par Du Bellay, le
premier préjugé qui bloque la réflexion littéraire repose sur l’idée
de l’indiscutable supériorité de l’original. La valeur d’un poème
est déterminée par la relation unique qu’il établit entre les mots
qui le composent, relation propre à la langue du poème, et, par
conséquent, relation impossible à reproduire dans une autre version. Une fois rédigé dans une langue donnée, le poème ne peut
être déplacé dans une autre langue.
La question de la valeur du texte traduit a parfois été théorisée
suivant un schéma inverse : le caractère éventuellement « imparfait » de l’original est évoqué et l’hypothèse de la supériorité de
128
« OVIDE VEUT PARLER »
la traduction, avancée. George Steiner repère le schéma chez un
théoricien allemand, Friedrich Gundolf et le résume ainsi :
Grâce au génie de A.W. Schlegel pour l’Entsagung (le renoncement
de soi au sein de la domination de l’original), écrit Gundolf, l’allemand a véritablement incarné l’anima de Shakespeare (Seelenstoff), sa substance spirituelle : […] « Shakespeare » était, on ne sait
pourquoi, resté caché dans la coque de l’anglais. La téléologie de sa
signification totale, du « sens du sens », la saisie de son épaisseur
historique et spirituelle absolue était l’affaire de l’allemand 52.
La traduction allemande de Shakespeare parvient en quelque
sorte à réparer une forme d’imperfection de l’original, liée non
pas directement à l’auteur, mais à l’état de la langue dans laquelle
il s’exprime. Steiner souligne toute la distance qu’il faut prendre
avec l’idée de Gundolf (« conception absurde à un certain
niveau »), mais il soumet le problème en tant qu’aporie philosophique de grand intérêt, qui, au rebours de l’approche décrivant
l’infériorité de la traduction, permet de découpler plus nettement
la question de la valeur de la traduction de celle de la valeur de
l’original. Il devient possible d’avancer que ce n’est pas le processus de traduction lui-même qui induit l’échec programmé de la
version en langue cible, mais simplement l’intangibilité supposée
du texte original. L’argument de la supériorité du texte source,
tel qu’il est habituellement compris dans le cadre de la traduction
de la poésie, ne devrait pas interdire d’orienter la réflexion vers
une meilleure compréhension du travail du traducteur, afin de
déterminer s’il existe ou non dans le processus même un élément
qui empêche de réaliser ce pour quoi sont louées d’autres formes
de réécriture, à l’exemple de l’imitation si fortement revendiquée
par La Pléiade.
Beaucoup plus fréquemment encore que la réflexion sur
l’insuffisance du texte cible, la réputation littéraire du traducteur
tend à substituer hâtivement le jugement de valeur à la réflexion
critique. Gérard Defaux lui-même pose, pour ainsi dire sans
démonstration, la réussite de l’Histoire de Leander et Hero, traduction d’une version latine d’un poème grec de Musée :
52
George Steiner, Après Babel, p. 516.
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
129
La version de Marot me semble un exceptionnel chef-d’œuvre. Elle
constitue pour moi l’une des plus belles réussites de notre poète. Les
traductions d’Ovide pâlissent en comparaison 53.
Non seulement, la valeur de la traduction est soulignée, mais
celle-ci est portée au plus au niveau : ce n’est pas peu dire, si l’on
songe que Marot est aussi le traducteur des psaumes. Quant à la
traduction d’Ovide, censée pâlir face à l’Histoire de Leander et
Hero, il faut se souvenir qu’ailleurs sous la plume de Defaux, Le
Premier Livre participe, au prix d’une courte démonstration qui
n’est pas elle-même sans poser problème, des publications qui
font de Marot l’égal de Victor Hugo. Paradoxalement, c’est le
talent poétique même que l’on reconnaît à Marot qui conduit à
ne pas s’intéresser véritablement à la version qu’il propose. La
traduction d’un poème majeur par un poète de tout premier rang
ouvre cependant pour la réflexion littéraire un champ d’investigation particulièrement riche qu’il convient de ne pas refermer
trop vite sur la seule réputation du traducteur. L’intransigeance
avec laquelle Barthélemy Aneau aborde le travail de Marot manifeste la nécessité de penser à neuf l’œuvre du poète qui traduit :
Car à la verité comme ce bon Poëte François feu Clement Marot de
sa propre et naturelle invention, vene, et elocution Françoise escrivoit tresheureusement, et tres- facilement : ainsi autant en estrange
translation, de langue à luy non assez entendue traduisoit il durement, et mesmes les Poëtes Latins qui sont assez scabreux, artificielz,
et figurez de schemes qui à pene se peuvent rendre en François 54.
Le commentaire de l’humaniste est construit sur un double
cliché (ignorance de Marot en matière de latin 55 et supériorité
supposée de l’original) qui réduit la question de la traduction à
celle des compétences philologiques du traducteur. La formule
oppose de façon si nette le talent du poète et le travail du traducteur qu’il semble impossible de l’admettre sans discussion.
Si elle entend approcher de façon systématique une réalisation
telle que le Premier Livre, la critique littéraire ne peut simplement
53
54
55
Marot, TII, p. 1197.
Trois premiers livres, p. 17.
L’allusion à l’ignorance du latin par Marot est renforcée par l’adverbe
« mesmes » qui possède ici le sens de surtout.
130
« OVIDE VEUT PARLER »
se contenter d’appliquer ses méthodes et de faire valoir ses
attentes habituelles. Par défaut, celles-ci tendent à ne prendre en
compte qu’une forme particulière de traduction, consacrée par
John Keats dans son évocation de l’Homère de George Chapman
(« On first looking into Chapman’s Homer »). Le travail de Chapman poursuit en réalité une théorisation de la traduction relativement libre initiée dans le domaine anglais par John Florio 56. En
France, Antoine Berman perçoit dans le travail de Jacques Amyot
les prémices de cette pratique de la traduction qui s’illustrera, au
XVIIe siècle, dans la tradition décrite par Roger Zuber dans les
« belles infidèles ». La réflexion littéraire évolue avec aisance à
propos de ces formes particulières de traduction qui exploitent
une forme de créativité relativement proche de celle des créations
originales, dont la mise au jour ne nécessite pas le recours à une
méthode d’analyse particulière.
L’approche critique ne rend pas forcément justice à l’ensemble
des dimensions du processus de traduction : or, précisément, la
difficulté de la mise en mots dans le domaine particulier de la
traduction appelle paradoxalement à confier au poète l’activité
consistant à donner une version d’un poème. Yves Bonnefoy
décrit toute la profondeur prise alors par l’acte de traduction :
Et s’éclaire ce qui peut faire le prix d’une traduction : non pas la
réflexion du traducteur sur le sens des mots, sur la signification des
phrases, une tâche assurément utile, mais gardée au plan des
concepts et en somme préliminaire. Mais, mûrie au contact d’une
langue autre et d’une grande œuvre, davantage de détermination
dans la mise en question du droit de la signification conceptuelle à
monopoliser l’être au monde. La poésie, à se faire traduction de la
poésie, se fait conscience de soi et confiance en soi 57.
Affirmer la possible valeur éminente de la traduction d’un
poème par un poète conduit presque immédiatement Yves Bonnefoy à s’interroger sur la façon d’étudier l’objet littéraire dont il
avance la possibilité :
56
57
Christine Sukic, « “Ample transmigration” : George Chapman, traducteur
d’Homère en anglais », Etudes anglaises 1/2007 (Vol. 60), 3-14.
Yves Bonnefoy, « La traduction au sens large. A propos d’Edgar Poe et de
ses traducteurs », Littérature, 2008/2, no 150, p. 11.
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
131
Mais comment pénétrer ces débats d’un poète et son traducteur et
de celui-ci avec soi ? Ces événements ne sont pas explicités dans la
traduction que l’on peut dire centrale, celle qui sera publiée avec
souvent l’autre texte en face et donc l’obligation d’être à peu près de
même longueur que lui et d’en accepter beaucoup de la signification
littérale. On peut craindre que la traduction au sens large ne soit
que matière à supputations sans assez de preuves 58.
Yves Bonnefoy illustre ensuite la manière de bien analyser la
traduction en s’interrogeant sur les traductions du « Corbeau »
d’Edgar Allan Poe par Charles Baudelaire et Stéphane Mallarmé.
Les conditions particulières du contexte du Premier Livre appellent
une méthode différente, mais dont le but ultime correspond à l’exigence posée par Yves Bonnefoy, dépasser les supputations et tenter
de rechercher les preuves.
L’entreprise semble d’autant plus périlleuse que la critique doit
composer avec l’absence de modèle stable de la traduction, susceptible de rendre compte systématiquement du processus lui-même,
absence annoncée sans concession par George Steiner lui-même
dans la « Préface à la deuxième édition d’Après Babel » 59 :
[…] il n’y a pas de « théories de la traduction ». Ce dont nous disposons, ce sont des descriptions raisonnées des démarches. Au mieux,
ce que nous trouvons et cherchons, ensuite, à énoncer, ce sont des
narrations de l’expérience vécue, des notations heuristiques ou
exemplaires du travail en chantier (work in progress). Celles-ci n’ont
aucune valeur scientifique. Nos instruments de perception ne sont
pas des théories ni des hypothèses de travail en un sens scientifique,
autrement dit falsifiable, mais ce que j’appelle des « métaphores de
travail ». Sous sa forme la plus haute, la traduction n’a rien à tirer
des diagrammes et organigrammes (mathématiquement) puérils
avancés par de soi-disant théoriciens. Elle est, elle sera toujours, ce
que Wittgenstein appelait un « art exact ».
L’analyse littéraire ne peut envisager évaluer une traduction
sur la base de la capacité de cette dernière à réaliser de façon
optimale le processus défini par LA théorie, puisque celle-ci
n’existe tout simplement pas.
58
59
Yves Bonnefoy, « La traduction au sens large », p. 11.
George Steiner, Après Babel, Paris, Gallimard, 1998, p. 21. La « Préface à la
deuxième édition » dont est extrait le passage cité est datée de 1991.
132
« OVIDE VEUT PARLER »
A défaut d’un modèle stable, l’approche la plus opérationnelle
consiste à se concentrer sur l’échelle des phénomènes à observer.
Dans Dire presque la même chose, Umberto Eco dresse en quelques
lignes l’opposition « fabula/intrigue » qu’il place au cœur de la
théorie de la traduction :
La fabula est la séquence chronologique que le texte peut « monter »
selon une intrigue différente : Je suis revenu à la maison parce
qu’il pleuvait et Puisqu’il pleuvait, je suis revenu à la maison
sont deux Manifestations Linéaires qui véhiculent la même fabula
(j’étais sorti alors qu’il ne pleuvait pas, il s’est mis à pleuvoir, je
suis rentré) à travers une intrigue différente. Evidemment, ni fabula,
ni intrigue ne sont des questions linguistiques, ce sont des structures qui peuvent être réalisées dans un autre système sémiotique,
au sens où l’on peut raconter la même fabula de l’Odyssée, avec la
même intrigue, à travers une paraphrase linguistique, mais aussi à
travers une BD. Dans le cas des résumés, on peut respecter la fabula
en changeant l’intrigue : raconter, par exemple, les péripéties de
l’Odyssée en commençant par celles que, dans le poème, Ulysse
racontera plus tard aux Phéaces.
Nous venons de le voir avec les exemples sur la pluie et le fait de
rentrer chez soi, fabula et intrigue n’existent pas que dans les seuls
textes spécifiquement narratifs. Toutefois, même dans A Silvia de
Leopardi il y a une fabula (il était une jeune fille, voisine d’en face
du poète, le poète l’aimait, elle est morte, le poète se la rappelle avec
une amoureuse nostalgie) et une intrigue (le poète évocateur entre
en scène au début, quand la jeune fille est déjà morte, et il fait peu
à peu revivre la jeune fille dans son souvenir). Il est capital de respecter l’intrigue dans une traduction 60, la preuve en est qu’il n’y
aurait aucune traduction appropriée de A Silvia qui n’en respecterait pas, outre la fabula, l’intrigue. Une version qui altérerait l’ordre
de l’intrigue serait un pur résumé, du type aide-mémoire pour examens qui ferait perdre le sens déchirant de cette souvenance 61.
La distinction établie par Umberto Eco entre « fabula » et
« intrigue » situe très bien le niveau d’intervention du traducteur
par rapport à ce que l’intuition désigne le plus souvent comme
le sens d’un texte et qui devient, dans la terminologie méthodique de Eco, la « fabula ». Ce n’est pas uniquement du sens du
60
61
C’est nous qui soulignons.
Umberto Eco, Dire presque la même chose, Paris, Grasset, 2006, p. 59-60.
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
133
texte dont le traducteur doit se préoccuper, mais également de
l’ordre du montage de ce sens, qui est appelé « intrigue » par Eco.
La notion d’intrigue distingue la traduction d’autres systèmes de
reformulation (tel que « le résumé, du type aide-mémoire pour
examens »), mais s’applique à toutes les formes de traductions,
c’est-à-dire aussi bien aux traductions à l’intérieur d’un système
sémiotique – dont dépend la traduction linguistique – qu’aux traductions d’un système sémiotique à l’autre.
Dès lors qu’on l’applique à la traduction linguistique, la question qui se pose est celle du niveau de définition inférieur de
l’intrigue : le passage d’Eco ne répond pas directement à la question, puisqu’il décrit l’intrigue à trois niveaux très différent, celui
de la phrase (exemple de la pluie), celui de l’organisation du
poème singulier (A Silvia), celui de l’articulation entre les chants
d’une épopée (L’Odyssée). On peut cependant raisonner par
récurrence et poser que, si l’intrigue est systématiquement respectée au niveau de la phrase par le traducteur, elle sera également respectée au niveau du poème et – a fortiori – à celui de
l’articulation entre les chants. Il faut voir cependant que le respect
de l’intrigue au niveau de la phrase n’est pas une condition
nécessaire au respect de l’intrigue à des niveaux supérieurs, ainsi
dans ce passage de la création des vents dans lequel Marot modifie légèrement l’intrigue ovidienne 62 :
Eurus ad Auroram Nabataeaque regna recessit
Persidaque
Le vent Eurus tout premier s’en volla
Vers l’Orient, & occuper alla
Nabathe, & Perse,
et radiis iuga subdita matutinis ;
& les monts, qui s’eslevent
Soubs les rayons, qui au matin se levent.
Vesper et occiduo quae litora sole tepescunt
Proxima sunt Zephyro ;
Zephyrus fut soubs Vesper resident,
Pres des ruisseaulx tiedys de l’Occident.
Scythiam septemque triones
Horrifer inuasit Boreas ;
Boreas froid envahyt la partie
Septentrionne, avecques la Scythie.
62
Les textes soumis à l’analyse seront souvent présentés dans une version
synoptique appliquant le découpage en séquence dont la méthodologie est
expliquée au Chapitre IV « Identifier les unités de la constructio du Premier
Livre».
134
« OVIDE VEUT PARLER »
contraria tellus
Et vers Midy, qui est tout au contraire,
63
Nubibus adsiduis pluuioque madescit ab Austro . Auster moyteux jecta pluye ordinaire 64.
La volonté de Marot de coller à l’intrigue ovidienne apparaît
bien dans tout le passage, puisque les vents apparaissent en français dans l’ordre même du latin : toutefois, lorsqu’il rencontre les
deux verbes inchoatifs « tepescunt » et « madescit », il ne peut
s’en tenir à une intrigue aussi serrée au niveau de la phrase et
choisit de redistribuer passablement les scénarios, puisque :
– pour le zéphire : ce ne sont pas les rives de l’Occident
qui se trouvent près de Zephyrus, mais Zephyrus qui se
trouve sous les rives de l’Occident ;
– pour l’auster : ce n’est pas la terre opposée (c’est-à-dire
le sud ou le midi) qui s’humidifie sous les pluies
d’Auster, mais Auster qui jette de la pluie vers le Midy.
On peut observer que la traduction de Georges Lafaye
conserve quant à elle une intrigue plus proche de celle d’Ovide,
puisqu’elle donne : « Vesper et les rivages attiédis par le couchant
sont voisins du Zéphyre ; […] ; les régions opposées de la terre
sont détrempées sans trêve par les nuages et les pluies de
l’Auster. » 65 Le choix de Marot n’est donc pas une simple question de contraintes grammaticales liées à la difficulté de traduire
en français la spécificité latine que constituent les verbes inchoatifs. Pour autant, il ne remet pas en cause l’intrigue choisie par
Ovide dans la description de la naissance des vents au niveau
supérieur de l’organisation de l’épisode.
Il semble donc possible d’avancer qu’au niveau de la
phrase 66, le traducteur dispose d’une certaine marge de
manœuvre dans le traitement de l’intrigue : s’il ne saurait être
question de continuer de parler de traduction dès lors que le plan
de l’épisode ou le plan général du poème serait remis en cause,
63
64
65
66
v. 61-66, Ovide, TI, p. 9.
v. 121- 130, Marot, TII, p. 411.
Ovide, TI, p. 9.
La notion de phrase n’est pas sans elle-même poser problème au niveau de
la théorie linguistique : elle est utilisée ici dans son acception la plus banale,
sans prise de position théorique à son sujet, parce qu’elle désigne une réalité
grammaticale facilement identifiable par tout lecteur.
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?
135
l’exercice admet une négociation 67 spécifique du traitement de
l’intrigue au niveau de la phrase.
Décider d’aborder la négociation au cœur du travail de Marot
ne fournit pas directement le cadre d’analyse à appliquer. Il s’agit
donc de dégager les conditions de cette négociation sur la base
d’une modélisation explicite du geste du traducteur. Les observations possibles dans le ms. Douce 117 permettent d’envisager
l’élaboration du texte du Premier Livre comme la recherche, par
essais successifs, d’une version française satisfaisante, c’est-àdire, d’une version qui ne nécessite plus de modification. Accepter cette hypothèse revient à considérer que les diverses possibilités expérimentées sont sélectionnées en fonction de l’appréciation
de leur réussite. La première phase de l’analyse consiste par
conséquent à identifier les unités de travail du traducteur constituées par des séquences reliant une partie latine et une partie
française.
67
C’est le terme sous l’enseigne duquel Umberto Eco lui-même place la traduction dans Dire presque la même chose.
CHAPITRE IV
IDENTIFIER LES UNITÉS
DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
S’interroger sur le Premier Livre en tant qu’objet littéraire
implique l’établissement d’un cadre d’analyse dont les caractéristiques générales visent à saisir en propre l’activité de Marot poète
et traducteur. La description de cette activité nécessite à son tour
une base raisonnée à partir de laquelle il devient possible d’articuler les observations.
Cette première phase de l’analyse ne se préoccupe pas prioritairement de la question de la valeur du travail de Marot. Certaines notions souvent évoquées dans l’analyse littéraire de la
traduction sont remarquablement absentes. D’une part, le raisonnement ne fait pas l’hypothèse, même implicite, de l’existence ou
de la possibilité d’une traduction étalon, issue de l’application
des principes de la « bonne traduction » et nécessaire à l’établissement d’un point de comparaison à partir duquel juger de la
version de Marot. D’autre part, l’analyse ne fait pas référence à
la notion de totalité du signifié, habituellement utilisée pour justifier de jugements de valeur sur le texte cible.
En l’absence d’une description complète des processus cognitifs à l’œuvre dans la traduction, l’analyse doit veiller à se montrer aussi économe que possible en matière de présupposés
théoriques. Elle évite en particulier de tenter de faire l’illustration
de telle ou telle théorie de la traduction ou du langage. Inversément, si le cadre établi doit être aussi solide que possible au
niveau théorique, il doit veiller à éviter la tentation de se substituer à la description systématique des mécanismes cognitifs à
l’œuvre dans le passage d’une langue à une autre. L’analyse
systématique vise à mettre à la disposition du commentaire un
objet « Premier Livre » tel qu’il soit possible de lui appliquer les
138
« OVIDE VEUT PARLER »
méthodes littéraires en évitant les pièges tendus par les préjugés
habituels sur la traduction.
Pour ce faire, l’analyse se donne pour objectif de rendre
compte de l’ensemble du texte, sans se contenter d’isoler certains
passages pour une simple revue de détails. Elle cherche avant
tout à repérer les régularités éventuellement présentes dans l’activité du traducteur et/ou dans le texte cible, sans identifier ces
régularités aux mécanismes effectivement à l’œuvre dans le processus de traduction. Bien que préoccupée de l’ensemble du
texte, l’analyse ne prétend pas rendre compte de tous les
niveaux possibles.
A ce stade, l’analyse vise à établir un découpage constituant
les unités pertinentes pour la discussion du travail de Marot traducteur. Celles-ci peuvent être observées à deux niveaux, celui
du travail du traducteur et celui de la langue. Chacun des
niveaux fait l’objet d’une description étendue, afin qu’il soit possible d’énoncer une description complète du geste de Marot. Le
travail du traducteur est l’objet du présent chapitre, alors que le
niveau de la langue sera l’objet du chapitre V qui visera plus
spécifiquement à interroger les approches courantes de la traduction appliquées au Premier Livre.
Un constat relativement simple permet d’ouvrir la réflexion sur
les unités qui constituent le travail du traducteur. Le mot « traduction » renvoie indifféremment en français au processus et à son
résultat : cette caractéristique sémantique met en évidence que le
texte cible (la traduction en tant que résultat) n’existe, sous une
forme stable, que dès lors que le processus de traduction est jugé
satisfaisant par le traducteur. Tant que cela n’est pas le cas, le texte
cible est susceptible de révisions et de transformations qui fondent
la dynamique propre de la technique de la traduction.
Norton repère dans The Scholemaster, traité d’éducation de
l’humaniste anglais Roger Ascham publié à titre posthume en
1570, une allusion au rôle central que Pline accorde à la double
traduction pour la formation, allusion qui, selon Norton met en
évidence la dimension essentiellement constructiviste de la traduction à la Renaissance :
Ascham’s addition to Pliny is important for the way it calls attention to certain views of translation developed during the fifteenth
century and later transmitted into sixteenth-century thought. These
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
139
views tend to see translation fundamentally as a process of construction. When the scholar translates, it is imagined, he works systematically « by little and little », building on the paradigmatic
structures of grammar and moving to assimilate larger syntaxic segments of text from which he reconstructs meaning. As we shall see
later on, construction would play a vital role in notions of French
Renaissance translation. The idea was to work back from the vernacular clause in order to analyse and deconstruct the ordo artificialis
of Latin speech, thus giving rise to the pratice of constructing identified elsewhere by Ascham as an exercise inseparable from grammar
study. So while classroom translation could, in one sense, be thought
of as an act of building up and reconstructing meaning, in another
more profound sense, it implied just the opposite, a breaking apart
of the text’s component structures. (…) Constructio, it could be
assumed, had everything to do with a work of dismantling, reordering, unraveling, and, ultimately, interpretation 1.
L’exercice de la double traduction recommandé par Pline
consiste à traduire du grec au latin, puis du latin au grec. Il s’agit
pour Ascham d’un exercice de grande valeur dans le domaine de
l’apprentissage de la grammaire. Norton s’éloigne un peu de la
notion de double traduction et vise avant tout, au cœur de la
traduction en général, la notion de constructio. Norton retient,
pour caractériser le processus, un travail « by little and little 2 »
visant à reconstuire le sens autour de « larger syntactic segments ». De façon tout à fait remarquable, cependant, Norton
montre la traduction saisie dans un double mouvement à la fois
d’analyse (« breaking apart of the text’s compenents stuctures »)
et de synthèse (« reconstructing meaning »). La constructio qui,
selon lui, caractérise les conceptions de la traduction aux XVe et
XVIe siècles, tout particulièrement dans la tradition française,
recoupe de nombreuses dimensions dépassant nettement la
notion de transfert habituellement associée à la traduction : « dismantling, reordering, unraveling, interpretation ». La notion de
constructio semble également réduire l’opposition « horacianiste/
1
2
Glyn P. Norton, The Ideology and language of translation in Renaissance
France, p. 26.
L’expression vient du texte de Roger Ascham, mais elle vise, chez l’humaniste anglais, l’acquisition de la grammaire.
140
« OVIDE VEUT PARLER »
littéraliste » : d’une part, le travail sur des ensembles syntaxiques
dépassant le simple mot va dans le sens de l’adage d’Horace ;
d’autre part, la rigueur du travail sur la grammaire répond aux
exigences méthodiques d’une traduction littérale.
LE MS. DOUCE 117 ET L’ÉCONOMIE
DE LA TRADUCTION MAROTIQUE
Pour entrer dans la constructio marotique, il importe avant tout
de s’interroger sur la façon de définir, de façon méthodique, les
unités discrètes (« larger syntaxic segments ») autour desquelles
le poète a organisé son travail de traducteur. Un premier niveau
de découpage explicite réside dans l’introduction par Marot de
sous-titres qui n’existent pas dans le texte original d’Ovide et qui
aboutissent à la formation d’unités explicites dans la version du
poète. L’origine des sous-titres est à rechercher dans l’Index que
Regius donne 3 à son édition : Marot partage Le Premier Livre en
s’appuyant largement sur les entrées de l’Index de Regius, alors
même que celui-ci n’y refère pas de façon systématique dans son
commentaire. La pratique de Marot est relativement fluctuante :
toutes les entrées de l’Index de Regius se voient exploitées comme
sous-titres ; parfois deux entrées sont fusionnées dans un soustitre unique ; certains sous-titres sont ajoutés d’autorité par
Marot.
L’examen rapide des variantes que le ms. Douce 117 présente
pour les sous-titres permet de saisir pourquoi les unités découpées par ces derniers ne sont pas déterminantes dans l’économie
du travail du traducteur. Non seulement, la formulation d’un certain nombre de sous-titres varie, mais, surtout, le découpage
induit par ceux du ms. Douce 117 n’est pas exactement le même
que celui de la version publiée : cinq sous-titres présents dans le
ms. Douce 117 n’ont pas été retenus dans les versions imprimées.
La longueur même des parties induites par le découpage
explicite opéré par les sous-titres suffit toutefois à les disqualifier
en tant qu’unités de travail du traducteur. A l’exception d’une
3
Index eorum quae quoque in libro metamorphoseos Ovidii continentur, Regius,
p. 12-16.
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
141
seule, ces parties comportent toutes plusieurs dizaines de vers,
ce qui exclut qu’elles aient été abordées d’une seule traite par le
traducteur. La définition opérationnelle doit articuler les considérations formelles liées aux caractéristiques internes du texte cible
et les enseignements tirés de l’examen des nombreuses variantes
disponibles dans le ms. Douce 117.
L’absence de découpage explicite appelle la définition d’une
méthode d’analyse systématique. Les unités recherchées pour
caractériser le travail du traducteur devront être à même de
rendre compte du jeu du changement et de la stabilité dans la
révision du texte au moment de la publication. Près de 500 vers
du ms. Douce 117 sur les 1552 que compte le Premier Livre présentent des différences d’importance variable par rapport à la
version publiée telle qu’elle apparaît dans l’édition Defaux. Si
certaines modifications sont très limitées et relèvent du simple
travail d’édition, d’autres impliquent des réécritures nettement
plus importantes. La recherche des unités de travail du traducteur doit d’abord prendre en compte les changements les plus
ténus, tels que ceux que l’on trouve dans un passage décrivant
le déluge :
Ovide, v. 286-287
Traduction Lafaye, p.17
Cumque satis arbusta simul pecudesque uirosque avec les récoltes ils [les fleuves]
Tectaque cumque suis rapiunt penetralia sacris. emportent les arbres, les troupeaux, les
hommes, les maisons, les autels domestiques et leurs objets sacrés.
ms. Douce 117, v. 556-559
En ravissant avec le fruict les arbres
Bestes / humains / maison / palais de marbres
Sans espargner / temples et lieux sacrez
Avec leurs dieux / benitz et consacrez
Edition Defaux, v. 561-564
En ravissant avec le fruict les arbres,
Bestes, humains, maisons, palais de marbres,
Sans espargner Temples painctz, & dorés,
Ne leurs grands Dieux sacrés, & adorés.
Les changements enregistrés entre les deux versions présentent l’intérêt de ne toucher presque que des mots : « Avec »
changé en « Ne », « benitz » en « sacrés », etc. Il est tentant de
dépasser rapidement l’enregistrement formel des modifications
pour émettre des hypothèses sur leurs motivations. Manifestement, le travail sur la rime qui voit la paire « dorés / adorés » se
substituer à la paire plus répétitive « sacrez / consacrez » semble
142
« OVIDE VEUT PARLER »
dominer l’ensemble des changements et la version donnée par
l’édition Defaux peut facilement être jugée plus habile : disparition du très commun « lieux » ; effacement de la répétition de
« sacrez » ; syntaxe de la double négation plus fluide dans la
paire « Sans / Ne » que dans la paire « Sans / Avec ».
De telles conclusions masquent cependant la question des
mécanismes impliqués dans les changements voulus par le traducteur. Celui-ci ne peut en effet procéder à un changement quelconque sans courir le risque de voir bouleversée la construction
qu’il doit stabiliser. Les substitutions réalisées à la rime peuvent
conduire à revoir non seulement les deux derniers vers du passage, mais également ceux qui précèdent, si, par exemple, la
construction « sans + infinitif » devait se révéler inadéquate. Par
ailleurs, le traducteur doit en permanence s’assurer que la version qu’il tente d’améliorer continue d’être en adéquation avec le
texte source. La recherche des unités pertinentes pour la description du travail du traducteur commence par prendre en compte
les mécaniques textuelles induites par la situation singulière de
la traduction : l’observation attentive et la description formelle
des changements enregistrés permet d’entrer dans l’analyse de
cette mécanique.
Le passage de « benitz » à « sacrés » constitue formellement le
changement le plus facile à pratiquer : un adjectif qui n’est pas à
la rime se voit substituer un adjectif comptant un nombre de
syllabes identiques. Comme les deux adjectifs ne sont pas à la
rime, le changement n’entraîne pas de problème au niveau de la
versification. Il n’y a pas de difficulté non plus au niveau de la
distribution 4 vis-à-vis du substantif « dieux » dont ils sont épithètes, ce qui permet d’arrêter les changements au niveau de
l’adjectif.
La substitution de « Ne » à « Avec » illustre un contexte légèrement plus complexe. La perte d’une syllabe nécessite une compensation dans le vers : l’ajout de l’adjectif « grands » apporte
une solution pratique, mais qui comporte également ses exi4
Il existe, au niveau du vocabulaire, des solidarités distributives qui
empêchent de substituer les éléments de même nature syntaxique les uns
aux autres sans risque de complication. On dira plutôt « la mer monte » que
« l’océan monte » ; une « mer agitée » plutôt qu’un « océan agité ».
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
143
gences. Il s’agit de trouver un adjectif monosyllabique qui puisse
être distribué devant le substantif dont il est épithète, et qui
n’amène pas de signification inadéquate : « forts » ou « vrais »
seraient, vraisemblablement, moins adaptés. Pour un poète aussi
expérimenté que Marot, la difficulté n’a certes rien d’insurmontable, mais elle illustre, à un niveau très minimal, comment se
pose la question visée par Dolet dans sa cinquième règle. On se
souvient que le théoricien y exige « une liaison, et assemblement
des dictions avec telle douceur, que non seulement l’âme s’en
contente, mais aussi les oreilles en sont toutes ravies, et ne se
fâchent jamais d’une telle harmonie de langage » 5.
Les substitutions à la rime impliquent la prise en compte de
mécanismes encore plus complexes. Il serait périlleux de tenter
de reconstruire l’ordre de la substitution de « dorés / adorés » à
« sacrez / consacrez ». On peut prendre en compte le fait que, la
version latine, « sacris » renvoie aux dieux et non aux temples :
dans ce cas, le changement serait motivé par une lecture plus
attentive de l’original latin. On peut arguer également du caractère éventuellement démodé d’une rime construite sur la répétition « sacrez / consacrez », plutôt conforme aux dispositifs
préconisés par la génération précédente. De telles discussions
n’ont guère de sens à ce stade, puisque l’économie générale du
travail de Marot traducteur n’a pas encore reçu de description
fine.
Au point de vue formel, cependant, certaines questions très
importantes peuvent être posées. En ce qui concerne l’usage de
« dorés », la version retenue est clairement le résultat d’un jeu de
dominos lié à la question de la distribution du vocabulaire. La
simple combinaison « lieux dorés » aboutirait à la construction
d’un espace qui ne serait pas désigné comme spécifiquement religieux et dont il serait difficile de retrouver la référence dans le
texte d’Ovide. Le commentaire de Regius s’arrête quant à lui uniquement sur l’explication de « penetralia cum suis sacris » 6 :
l’humaniste renvoie à une explication de Sextus Pompée qui
indique que les « penetralia » sont les autels sacrés des dieux
(penatium deorum sacraria) à l’intérieur des demeures. La version
5
6
Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 15.
Regius, p. 33.
144
« OVIDE VEUT PARLER »
retenue ne saurait donc se contenter d’une allusion à de vagues
« lieux dorés » que l’imagination serait incapable de saisir habités
par les dieux antiques. La solution retenue par Marot consiste à
associer « dorés » à l’objet « temples » qu’il introduit et qui présente l’avantage d’être explicitement lié à la notion de religion.
Comme cela implique la disparition du monosyllabique « lieux »,
l’adjectif « painctz » assure une compensation permettant de respecter les exigences de la métrique. Le résultat est à la fois visionnaire et fautif. Avant les fouilles de Pompéï, Marot restitue une
Antiquité en couleurs, avec des temples peints et dorés. L’image
poétique entraîne cependant le texte au-delà des autels domestiques visés par Ovide : l’auteur latin n’indique nulle part dans
sa description du déluge la destruction de temples de grande
envergure. A cet égard, la formule des « lieux sacrez » du ms.
Douce 117 laisse une plus grande place à l’image des cultes
privés rendus dans l’Antiquité.
Ce qui pourrait n’être qu’une simple question de cheville
aboutit à éloigner la version française de l’original latin, tout en
lui donnant une valeur expressive plus forte. La discussion d’une
telle « faute » de traduction renvoie à la problématique, classique
en matière de théorie de la traduction, de la prise en compte du
public auquel la traduction est destinée. Pour les Romains auxquels Ovide s’adresse, la destruction des autels domestiques met
en cause véritablement le traitement que la volonté de Jupiter
réserve à des objets sacrés ; pour les Français du XVIe siècle, la
profanation apparaît avec moins de netteté si elle touche uniquement le culte domestique. De façon révélatrice, l’érudition
d’Aneau non seulement accepte la version de Marot, mais insiste
sur l’opposition « profane/sacré » :
Representation imaginaire du degast et pillerie abandonnée, à predateurs n’espargnans ne profane, ny sacré 7.
L’image de temples détruits, même si elle n’est pas référentiellement correcte vis-à-vis de l’original latin, correspond à l’image
ovidienne de la violente colère d’un dieu, prêt à détruire jusqu’aux objets censés lui servir d’habitation, à lui ou aux autres
7
Trois premiers livres, p. 58.
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
145
dieux. L’inconséquence de Jupiter, qu’Ovide ne se prive en principe pas de railler, a peut-être besoin, pour le public français,
de s’en prendre à des temples pour trouver toute sa mesure. Le
problème soulevé par l’apparition des « Temples, painctz, &
dorés » montre, d’une part, avec quelle rapidité, au cours du processus de révision du texte par le traducteur, le respect des exigences de la langue cible peut conduire à s’éloigner de l’original
et, d’autre part, comment une modification d’un volume textuel
modeste peut révéler la finesse d’une version.
La discussion des subsitutions liées à la rime « dorés »/
« adorés » n’est pas épuisée par la constitution de l’expression
« Temples, painctz, & dorés ». Le vers « Avec leurs dieux benitz et
consacrez » pourrait ne connaître aucune modification, puisque
« dorés » rime avec « consacrés ». On imagine cependant que
Marot a pu juger la rime suffisante particulièrement faible et souhaiter une solution phoniquement plus satisfaisante. Le contexte
à analyser est par conséquent celui de la nécessité de trouver,
pour améliorer la rime, un mot de même nature syntaxique, avec
si possible un nombre de syllabes équivalent à celui de « consacrez », et qui puisse offrir la meilleure rime possible avec
« dorés ». A ce titre, « adorés » remplit parfaitement le programme imposé par le contexte et n’entraîne pas les mêmes
modifications que « dorés ». L’intérêt de la solution retenue à la
fois résout et révèle les difficultés induites par la mécanique de
la traduction : toute version réalisée court le risque de se voir
grandement déstabilisée par les modifications les plus ténues.
Etant donné que les variantes discutées sont situées entre le
ms. Douce 117 et l’édition publiée, les modifications observées
entre les deux traductions de l’extrait ci-dessus ressemblent à de
simples révisions au moment de l’impression. L’intérêt du ms.
Douce 117 réside cependant dans le fait qu’il comporte de très
nombreuses modifications de grande ampleur, comme dans le
passage ci-dessous où Jupiter, ayant décidé de détruire par l’eau
plutôt que par le feu, reçoit l’aide de son frère, Neptune :
Ovide, v. 274-275
Traduction Lafaye. p. 16
Nec caelo contenta suo est Iovis ira, sed illum Jupiter ne se contente pas de faire servir à
Caeruleus frater iuuvat auxiliaribus undis. sa colère le ciel, son empire ; mais son frère
azuré lui donne encore les ondes pour
auxiliaires.
146
ms. Douce 117, v. 534-537
« OVIDE VEUT PARLER »
Edition Defaux, v. 537-542
Ni du grant dieu / contente est la rancune
Encor (pour vray) l’ire ouverte, & patente
Du grief pugnir de son ciel / Mais Neptune De Juppiter ne fut assez contente
Son frere cher / prompt secours lui [amayne] Des grandes eaues, que son ciel jetta ;
De undes aydans / à noyer race humaine. Mais Neptunus, son frere, s’appresta
De promptement à son ayde envoyer
Grand renfort d’eaues pour le Monde noyer,
On ne reconnaît entre les deux versions de Marot qu’un
nombre très limité de mots communs : « contente », « ciel »,
« Neptune »/« Neptune »,
« frere »,
« prompt »/« promptement », « noyer ». L’importance du travail de réécriture apparaît
nettement, sans qu’il soit possible d’identifier avec certitude les
motivations du traducteur. On remarque globalement une tendance à rétablir l’ordre des mots français (sujet – verbe – objet)
dans la version publiée, alors que le ms. Douce 117 présente successivement l’inversion du verbe et du sujet « contente est la rancune » ou celle du verbe et de l’objet « prompt secours luy
amayne ». On peut imaginer, sans pouvoir le suivre avec autant
de précision que dans l’extrait précédent, que le mécanisme de
la traduction a produit un effet de domino qui a conduit Marot
à modifier progressivement presque toute sa version.
Ce qu’il faut interroger à ce stade, ce sont les limites de cet
effet de domino : le passage modifié est en effet précédé et suivi
de passages totalement stabilisés. La mise en parallèle du ms.
Douce 117 et de la version publiée telle que la présente l’édition
Defaux découpe des zones de changement dont le volume peut
varier entre un mot singulier et une petite dizaine de vers, sans
qu’aucune réaction en chaîne n’entraîne une remise en cause de
très longs passages. Il faut donc imaginer que le travail du traducteur s’organise autour d’unités dont la stabilité n’est pas
remise en cause par des modifications intervenant dans une autre
unité. Avant que ces unités n’aboutissent au texte retenu pour la
publication, il est probable que de nombreuses substitutions sont
nécessaires et que des versions non abouties se succèdent jusqu’à
la réalisation d’une version stable, jugée satisfaisante par le
traducteur.
On peut tirer de ces observations une première conclusion
selon laquelle le niveau du mot ne saurait être celui des unités
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
147
pertinentes. Au moment du choix d’un mot quel qu’il soit, le
traducteur ne saurait avoir de garantie définitive sur les possibilités offertes par ce mot de résister aux révisions inhérentes au
travail de traduction. Il n’est pas inutile d’indiquer que cette
approche s’appuie sur l’idée, communément mise en avant dans
la théorie de la traduction, d’une concordance lexicale non absolue. On voit ici comment ce que Georges Mounin 8 a pu désigner
comme l’impossibilité théorique de la traduction renvoie à une
dimension que l’on peut qualifier de littéraire, celle du jeu des
variations formelles possibles dans la recherche de la réalisation
d’une signification donnée. L’objet de l’étude des unités au cœur
du travail du traducteur ne vise cependant pas simplement la
parenté entre traduction et dimension littéraire, déjà suffisamment établie au niveau théorique général, mais la définition
d’outils opérationnels pour l’étude du travail d’un poète
traducteur.
L’impossibilité du recours au mot comme unité de base de la
traduction conduit à orienter la recherche vers la définition
d’unités prenant en compte simultanément le texte source et le
texte cible. La question est de savoir quelle forme présentent les
unités telles que le changement de n’importe quel élément d’une
unité donnée limite au maximum la remise en cause d’une autre
unité. Deux caractéristiques fondamentales prenant en compte
texte source et texte cible peuvent être avancées :
1. Clôture informationnelle : l’information contenue dans
le passage source doit se retrouver dans le passage cible.
Il serait maladroit cependant de prétendre mesurer cette
information de façon positive, c’est-à-dire en dressant
deux inventaires séparés des sens respectifs du texte
source et du texte cible pour ensuite tenter d’établir une
concordance entre les deux : George Steiner a montré
dans Après Babel l’impossibilité de tels inventaires 9.
Cette approche reviendrait à poser la question de l’équivalence, dont la théorie de la traduction démontre
qu’elle ne peut être traitée avec la consistance voulue.
Il faut donc aborder la question de façon négative en
8
9
Georges Mounin, Les Problèmes théoriques de la traduction, p. 191.
George Steiner, Après Babel, p. 38.
148
« OVIDE VEUT PARLER »
définissant la clôture comme réalisée lorsqu’aucune
information explicite du passage source ne se trouve
avant ou après le passage cible.
2. Clôture formelle : comme pour la clôture informationnelle, la clôture formelle ne peut être approchée de façon
positive. La simple vérification du respect du programme métrique et rimique dans le texte cible ne suffit
pas pour rendre compte de ce que peut désigner la
notion de clôture formelle. Cette approche reviendrait en
effet à pouvoir désigner n’importe quel passage comme
formellement clos, la version de Marot étant versifiée et
rimée de bout en bout. Il faut donc à nouveau raisonner
par la négative en établissant que la clôture formelle
peut être observée lorsque l’unité se trouve structurée
de telle façon qu’elle implique une contrainte formelle
nulle ou très faible pour le passage se trouvant avant ou
après le passage cible.
Clôture informationnelle et clôture formelle ne sont pas placées sur le même plan. La définition même de la clôture informationnelle implique que l’unité n’est réalisée qu’en fonction de la
clôture : tant que des informations explicites du passage source
sont présentes ailleurs que dans le passage cible candidat, celuici s’allonge. Le processus cesse lorsque la clôture informationnelle est réalisée. La compréhension d’un tel processus ne pose
guère de difficulté.
Au niveau de la clôture formelle, au contraire, la question de
l’évaluation de la force de la contrainte exercée s’avère particulièrement épineuse. On pourrait être tenté d’avancer que la clôture formelle impose au traducteur de toujours traiter des unités
dans lesquelles la partie française se termine sur une rime fermée.
La contrainte posée par la notion de rime, si elle est bien réelle,
ne doit cependant pas être surestimée : l’héritage des Grands
Rhétoriqueurs, tel qu’il peut être mesuré à la lecture du « Rondeau en rimes », conduit plutôt à argumenter que la rime ne
devait pas représenter de contrainte majeure pour Clément
Marot. Une approche purement théorique risque de conduire à
des déterminations arbitraires. La comparaison entre le ms.
Douce 117 et la version publiée permet cependant d’interroger
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
149
la notion de clôture formelle à partir d’exemples spécifiques. Le
premier d’entre eux se trouve dans un extrait du discours avec
lequel Phébus tente de séduire Daphné :
Ovide, v. 521 -524
Traduction Lafaye, p. 25
Inuentum medicina meum est opiferque
[per orbem
Dicor et herbarum subiecta potentia nobis.
Ei mihi, quod nullis amor est sanabilis herbis
Nec prosunt domino, quae prosunt omnibus,
[artes.
La médecine est une de mes inventions ;
dans tout l’univers, on m’appelle secourable et la puissance des plantes m’est soumise. Hélas ! il n’y a point de plantes
capables de guérir l’amour et mon art,
utile à tous, est inutile à son maître.
ms. Douce 117, v. 1022-1029
Edition Defaux, v. 1029-1036
Medecine est la mienne invention
Et si suis dit par toute nation
Pourtant secours. Et la grande puissance
Des herbes est à nostre obeissance
Du tout subjecte. O moy trop miserable
De ce que amour / n’est par herbes curable
Et que les artz qui ung chascun conservent
A leur seigneur ne proffitent et servent.
Medecine est de mon invention,
Et si suis dit par toute nation
Dieu de secours : & la grande puissance
Des herbes est soubs mon obeissance.
O moy chetif, ô moy trop miserable,
De ce, qu’amour n’est par herbes curable,
Et que les arts qui ung chascun conservent
A leur Seigneur ne proffitent, ne servent !
En s’appuyant, pour simplifier, sur la syntaxe, on peut identifier une division nette du passage entre deux phrases entre le
vers 522 et le vers 523 chez Ovide. Dans les versions françaises
du passage, une différence importante peut être notée entre le
ms. Douce 117 et l’édition Defaux à l’endroit même de la séparation. Le vers « Du tout subject. O moy miserable, » devient « O
moy chetif, ô moy trop miserable ». S’il n’est pas difficile
d’admettre la réalisation de la clôture formelle à la rime « obeissance » dans l’édition Defaux, il est important d’expliquer pourquoi elle est réalisée aussi, dans le ms. Douce 117, à la césure
« du tout subject ». En posant que la clôture formelle est réalisée
dès lors que l’unité est structurée de façon à exercer une
contrainte formelle nulle ou la plus faible possible pour le passage qui suit, on peut arguer que les quatre syllabes « du tout
subject », quel que soit le traitement que le traducteur leur
réserve, n’ont qu’un impact très limité sur le traitement à réserver
sur le passage qui suit. En l’espèce, l’effacement des quatre syllabes nécessiterait la recherche d’une solution bien plus complexe
pour les vers qui précèdent (« la grande puissance/Des herbes
est à nostre obeissance/Du tout subject »), puisque la solution
150
« OVIDE VEUT PARLER »
devrait tenir aussi bien de la signification, de la syntaxe et de la
versification (mètre et rime). L’unité de travail de laquelle relève
« du tout subject » est nettement constituée autour de la difficulté
de structurer les quatre vers qui précèdent et dépend beaucoup
moins du vers qui contient les quatre syllabes.
Le traitement du vers « Pourtant secours : & la grande puissance », bien que différent, relève d’une logique identique au
plan de la clôture formelle. Il est possible d’arguer que la ponctuation (. ou :) marque éventuellement une séparation entre
unités de travail, non pas du simple fait de la logique syntaxique,
mais parce que la possibilité du passage de « Dieu de secours »
à « Pourtant secours » dépend nettement des vers qui précèdent
et n’exercent pas de contrainte importante sur la suite du vers.
Le profil des unités présentes dans le travail du traducteur
commence à se dégager. Une précision est cependant nécessaire
pour appréhender leur portée. A supposer que l’on puisse repérer des unités répondant aux critères de clôture informationnelle
et formelle, il faudra résister à la tentation de conclure immédiatement qu’il s’agit du découpage sur lequel Marot a consciemment travaillé : plus précisément, il faudra se garder de penser
que l’objectif premier du traducteur soit la réalisation de ces
unités. Il s’agit en effet de caractéristiques du texte cible qui
peuvent tout à fait apparaître dans la traduction, sans que le traducteur n’ait intentionnellement cherché à les réaliser pour ellesmêmes : elles ressemblent aux cylindres de bois que les Grecs
plaçaient à l’intérieur des colonnes supportant leurs temples.
Garantes de la stabilité des colonnes, elles se plaçaient au niveau
purement technique, sans influencer les choix esthétiques, qui
visaient quant à eux les colonnes. La double observation de la
clôture informationnelle et de la clôture formelle offre un découpage suffisamment rigoureux pour qu’il puisse servir de base à
la révision : la partie latine de la séquence présente une cohérence
telle qu’au moment du retour sur le manuscrit, elle n’est pas
remise en cause pour la réalisation de la nouvelle partie française.
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
151
DÉCOUPER UN PASSAGE EN SÉQUENCES
L’étude de passages isolés du ms. Douce 117 ne constitue pas un
repérage systématique des unités de travail du traducteur. Un
découpage cohérent nécessite la discussion méthodique d’un
choix représentatif de cas de figure. L’ensemble des situations à
considérer sera illustré de façon presque exhaustive à partir d’un
passage du Premier Livre décrivant le déluge. Si l’on part du
découpage que Marot applique en se basant sur la table des
matières de Regius, il est possible d’établir pas à pas le processus
de découpage pour un extrait du passage recevant le sous-titre
« Parachèvement de la Harengue de Juppiter avec la decription
du Déluge » 10 qui compte 112 vers en latin et 222 en français.
La mise en parallèle du texte source et du texte cible permet de voir
immédiatement l’intérêt pour l’analyse de texte de définir des unités
pertinentes à l’intérieur des parties découpées par Marot : après seulement quelques vers latins, il devient impossible de mettre en relation
de façon immédiate les passages latins et les passages français.
Quelques points de repères apparaissent toutefois :
1. Le rapport 112 vers latins – 222 vers français est presque
exactement de 1 pour 2 environ, sans qu’il soit possible
pour autant de rapporter immédiatement tel vers français à tel vers latin, en appliquant une division géométrique tous les deux vers français.
2. Certains vers latins et certains vers français débutent par
des mots dont la correspondance lexicale est quasi absolue : c’est notamment le cas des paires suivantes 11 :
Sed timuit ne forte sacer tot ab igni- Mais il craignit, que du ciel la
bus aether 12
facture 13
Protinus Aeoliis Aquilonem claudit Incontinent aux cavernes d’Eole15
in antris 14
10
11
12
13
14
15
Ovide, TI, v. 240-351 ; Marot, TII, v. 469-690.
Les vers complets sont mis en correspondance, sans présupposer qu’il
s’agisse là d’une unité pertinente.
v. 245, Ovide, TI, p. 16.
v. 497, Marot, TII, p. 422.
v. 262, Ovide, TI, p. 16.
v. 513, Marot, TII, p. 423.
152
« OVIDE VEUT PARLER »
Sic opus est. Aperite domos ac,
mole remota 16,
Iusserat ; hi redeunt ac fontibus ora
relaxant 18
Omnia pontus erant, deerant quoque
litora ponto 20.
Ille supra segetes aut mersae
culmina uillae 22
Flumina subsidunt collesque exire
uidentur 24 ;
Ainsi le fault, & voz maisons
ouvrez 17 :
Ce commandé, s’en revont à grands
courses 19 :
Tout estoit mer, en la mer, qui tout
baigne 21,
L’ung sur les bleds conduyt nefz, &
bateaulx 23
Fleuves on voyt baisser, &
departir 25,
Ces deux premiers constats permettent d’esquisser certaines
caractéristiques des unités à venir.
D’abord, le rapport 1 vers latin pour 2 vers français, observé
sur l’ensemble du passage, pourra servir de point de repère pour
l’examen des niveaux inférieurs : de deux choses l’une, en effet,
soit le rapport n’est que global, et l’on retrouve des rapports
variés 26 au niveau des unités recherchées (1-1, 1-3, 2-5, voir 1-6,
1-7, etc.), soit le rapport est uniformément réparti, et l’on aura
tendance à trouver des unités bâties sur le rapport 1-2. Il existe
toutefois une raison mathématique pour retrouver plutôt des
unités sur le rapport 1-2 : si l’on imagine en effet des unités sur
un rapport 1-3 ou 1-4, par exemple, il faudra soit de nombreuses
unités 1-1, soit de véritables « coupures » dans le passage français, du genre 1-1/2 (soit quatre ou six syllabes, en fonction du
découpage opéré par la césure) ou 1-1/4 (soit à peine plus de
deux syllabes). Un examen rapide des deux textes permet de voir
que l’on ne trouve pratiquement pas de passage français qui
semble nettement raccourci par rapport au passage latin : cela
conduit à conclure que le rapport 1-2 se retrouvera au niveau des
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
v. 279, Ovide, TI, p. 17.
v. 548, Marot, TII, p. 424.
v. 281, Ovide, TI, p. 17.
v. 551, Marot, TII, p. 424.
v. 292, Ovide, TI, p. 17.
v. 573, Marot, TII, p. 424.
v. 295, Ovide, TI, p. 17.
v. 579, Marot, TII, p. 424.
v. 344, Ovide, TI, p. 19.
v. 676, Marot, TII, p. 427.
On peut observer certains de ces rapports chez Guillaume Michel de Tour
ou Octovien de Saint-Gelais.
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
153
unités à venir. On peut donc s’attendre à des unités ayant la
forme : 0.5-1 27, 1-2, 1.5-3, 2-4, 2.5-5, etc.
Ensuite, la présence de mots fortement liés du point de vue
lexical au début de certains vers conduit à s’interroger sur la sensibilité de Marot traducteur à la concordance dans l’ordre des
mots : a priori, cette sensibilité semble faible, puisque l’on a – au
mieux – une dizaine de paires sur une centaine de vers latins,
soit moins de 10 % des débuts de vers. Cependant, les points de
repère manquent pour apprécier ce chiffre à sa juste valeur.
D’une part, l’examen n’a pas été ouvert à des situations dans
lesquelles les deux ou trois premiers mots latins se retrouveraient
en français, fût-ce dans un ordre différent. D’autre part, il n’existe
pas de moyen terme calculé sur la base de la version d’un autre
traducteur pour l’évaluation de la fréquence de concordance possible entre début de vers latin et début de vers français. On peut
avancer tout de même qu’étant donné la fréquence relativement
basse de vers débutant par des mots concordants, le critère ne
saurait être considéré comme exclusif pour définir les unités pertinentes. On peut avancer également que l’ordre des mots est à
prendre en compte dans la discussion des unités pertinentes.
Il est possible de poursuivre le découpage en reprenant la
partie du texte située entre deux vers débutant par des unités
lexicales concordantes, soit :
Sed timuit, ne forte sacer tot ab ignibus aether
Conciperet flammas longusque ardesceret axis.
Esse quoque in fatis reminiscitur adfore tempus
Quo mare, quo tellus correptaque regia caeli
Ardeat, et mundi moles obsessa laboret.
Tela reponuntur manibus fabricata Cyclopum ;
Poena placet diuersa, genus mortale sub undis
Perdere et ex omni nimbos demittere caelo.
Protinus Aeoliis Aquilonem claudit in antris 28
27
28
Mais il craignit, que du ciel la facture
Par tant de feuz ne conceut d’adventure
Quelcque grand’flamme, & que soub[dainement
Bruslé ne fust tout le hault firmament.
Puis luy souvint, qu’il est predestiné
Qu’advenir doibt ung temps determiné,
Que mer, que terre, & la maison prisée
Du ciel luysant ardra toute embrasée,
Et qu’on doibt veoir le tresgrand edifice
Du monde rond en labeur, & supplice.
Lors on cacha les dardz de feu chargés
Des propres mains des Cyclopes forgés,
Et d’une peine au feu toute contraire
Il faut comprendre ici le 0.5 comme un hémistiche composé de 4 ou 6 syllabes, non comme la généralisation d’hémistiches de 5 syllabes.
v. 254-262, Ovide, TI, p. 16.
154
« OVIDE VEUT PARLER »
Luy plaist user : car soubs eaues
veult deffaire
Le mortel genre, & sur les terres toutes
De tout le ciel jecter pluyes, & goutes.
Incontinent aux cavernes d’Eole 29
Etant donné l’obligation mathématique d’avoir des unités
constituées autour du rapport 1-2, on peut – par hypothèse –
laisser une ligne vide entre chaque vers latin. Le résultat est le
suivant :
Sed timuit, ne forte sacer tot ab ignibus aether Mais il craignit, que du ciel la facture
Par tant de feuz ne conceut d’adventure
Conciperet flammas longusque ardesceret axis. Quelcque grand’flamme, & que soub[dainement
Bruslé ne fust tout le hault firmament.
Esse quoque in fatis reminiscitur adfore tempus
Puis luy souvint, qu’il est predestiné
Qu’advenir doibt ung temps determiné,
Quo mare, quo tellus correptaque regia caeli
Que mer, que terre, & la maison prisée
Du ciel luysant ardra toute embrasée,
Ardeat, et mundi moles obsessa laboret.
Et qu’on doibt veoir le tresgrand edifice
Du monde rond en labeur, & supplice.
Tela reponuntur manibus fabricata Cyclopum ; Lors on cacha les dardz de feu chargés
Des propres mains des Cyclopes forgés,
Poena placet diuersa, genus mortale sub undis Et d’une peine au feu toute contraire
Luy plaist user : car soubs eaues
[veult deffaire
Perdere et ex omni nimbos demittere caelo.
Le mortel genre, & sur les terres toutes
De tout le ciel jecter pluyes, & goutes.
Protinus Aeoliis Aquilonem claudit in antris Incontinent aux cavernes d’Eole
Des paires approximatives semblent se former entre les vers
latins et les vers français. Pour vérifier leur consistance, il est
possible d’appliquer le test de la superposition. Celui-ci consiste
à imaginer le texte latin et le texte français en deux lignes continues superposées pour relier ensuite par des traits les unités lexicales latines et françaises les plus évidemment en
correspondance 30. Le test fait apparaître des entrelacements dans
29
30
v. 496-512, Marot, TII, p. 422-423.
Si une référence théorique est ici nécessaire pour modéliser les unités à
mettre en correspondance, on peut s’appuyer sur la notion de Contenu
Nucléaire au cœur de la sémiotique de Umberto Eco. L’intérêt de cette
notion pour l’approche de la traduction est exposé plus loin au moment de
la définition des opérations exercées sur les unités linguistiques. Voir Chapitre V « Interroger le niveau d’analyse courant ».
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
155
lesquelles les liens reliant les unités se croisent, et des zones de
découpage constituées par des vides dans lesquels aucune liaison n’apparaît.
Ces lignes de découpage correspondent à des clôtures informationnelles et désignent donc des correspondances « passage
latin/passage français » candidates au titre d’unités pertinentes.
Ces unités candidates sont reproduites ci-dessous, afin d’affiner
l’analyse avec des considérations liées à la notion de clôture
formelle.
1
Sed timuit, ne forte sacer tot ab ignibus
[aether
Conciperet flammas longusque ardesceret
[axis.
Mais il craignit, que du ciel la facture
Par tant de feuz ne conceut d’adventure
Quelcque grand’flamme, & que soubdainement
Bruslé ne fust tout le hault firmament.
2
Esse quoque in fatis reminiscitur
Puis luy souvint, qu’il est predestiné
3
adfore tempus
Qu’advenir doibt ung temps determiné,
4
Quo mare, quo tellus correptaque regia caeli Que mer, que terre, & la maison prisée
Ardeat,
Du ciel luysant ardra toute embrasée,
5
et mundi moles obsessa laboret.
Et qu’on doibt veoir le tresgrand edifice
Du monde rond en labeur, & supplice.
6
Tela reponuntur manibus fabricata
Lors on cacha les dardz de feu chargés
[Cyclopum ; Des propres mains des Cyclopes forgés,
7
Poena placet diuersa,
Et d’une peine au feu toute contraire
Luy plaist user :
8
genus mortale sub undis
Perdere
car soubs eaues veult deffaire
Le mortel genre,
9
et ex omni nimbos demittere caelo.
& sur les terres toutes
De tout le ciel jecter pluyes, & goutes.
10
Protinus Aeoliis Aquilonem claudit in
Incontinent aux cavernes d’Eole …
[antris …
156
« OVIDE VEUT PARLER »
Les paires formées par la mise en relation d’un passage latin
et d’un passage français sur la base du test de la superposition
seront désormais appelées « séquences » 31. Le découpage en
séquences appelle immédiatement un certain nombre de commentaires.
Avant tout, il est utile de rappeler que cette analyse ne prétend
pas à ce stade évaluer les mises en correspondance lexicales : le
fait de relier par un trait les mots qui, dans la version française,
reprennent de façon évidente les mots latins ne signifie pas ériger
cette correspondance en reconnaissance de l’équivalence au sens
fort que la théorie de la traduction donne à ce mot.
Il s’agit – de façon presque physique – d’établir par quels
moyens Marot recompose en français les éléments du texte latin.
L’analyse porte sur la recherche d’unités dans le travail de traduction, c’est-à-dire de zones de stabilisation. Etant donné l’intégration progressive des éléments constituant la chaîne verbale, le
croisement des traits dans le test de la superposition indique une
progression différenciée du texte latin et du texte français : il
signifie soit qu’un mot latin repousse son correspondant dans la
version française, soit qu’un mot français anticipe sur l’apparition de son correspondant latin. Dans les deux cas, la clôture
informationnelle ne peut être considérée comme réalisée que si
l’unité contient la correspondance entre mot latin et mot français :
pour réaliser la clôture informationnelle, l’unité grandit donc jusqu’au moment où elle contient tous les éléments à l’origine d’un
croisement. L’intérêt du test de la superposition est de permettre
de procéder au découpage en unités de clôture informationnelle
grâce à une méthode extrêmement simple, limitant au maximum
les présupposés théoriques sur le processus suivi par le travail
du traducteur.
La nature propre des séquences informationnellement closes
issues du test de la superposition permet de considérer que
toutes les substitutions éventuellement opérées par le traducteur
à l’intérieur de la séquence n’ont aucune incidence informationnelle sur la séquence qui précède ou qui suit.
31
Les chiffres 1 à 10 apparaissant dans le tableau servent à numéroter les
séquences, de façon à ne pas avoir à les recopier systématiquement dans la
suite de l’analyse.
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
157
On ne peut toutefois conclure que les substitutions à l’intérieur de telles séquences n’ont pas d’incidence formelle. A supposer simplement qu’une substitution implique l’utilisation d’un
mot français comportant une syllabe de plus, la nouvelle stabilisation, qui nécessite une compensation sous une forme ou sous
une autre, peut impliquer des modifications à l’intérieur de la
séquence en cause, ou dans la séquence suivante, dans le cas du
rejet par exemple. C’est la raison pour laquelle la clôture formelle
est envisagée comme la propriété de telle séquence réalisée, non
comme une caractéristique garantie au-delà des toutes les substitutions possibles 32.
Dans le découpage réalisé ci-dessus, la séquence 6 présente un
contexte dans lequel clôture informationnelle et clôture formelle
peuvent être mises en évidence directement à partir du test de la
superposition qui associe un vers latin à deux vers français dont
la rime est fermée. Il s’agit à vrai dire de la situation que l’on
retrouve le plus fréquemment dans le Premier Livre, qui témoigne
d’un passage où s’affirme la maîtrise du traducteur. Celle-ci est
confirmée par le traitement de la rime : on peut en effet constater
que le complément du nom « de feu chargés » qui termine le vers
français de la séquence 6 consiste en la remontée – au niveau
explicite – d’un présupposé concernant les dards forgés par les
Cyclopes dont se sert habituellement Jupiter, à savoir qu’ils sont
constitués de feu. Marot a pu être rendu attentif à la nature foudroyante des traits forgés par les Cyclopes par le commentaire
de Regius :
Tela reponuntur. Fulmina a Cyclopibus confecta. Cyclopes enim Iovi
fulmina confecisse dicuntur. Fuerunt autem populi Siciliae unum in
media fronte oculum habentes 33.
Comme dans le cas des temples peints évoqués plus haut,
mais sur la base d’un exemple référentiellement plus fidèle à la
version d’Ovide, la version française manifeste le souci de Marot
32
33
La consultation du ms. Douce 117 permet cependant de constater que les
séquences définies par la méthode de découpage décrite dans la présente étude
correspondent dans presque tous les cas au découpage établi par la comparaison entre manuscrit et texte imprimé : seules deux exceptions ont été notées, qui
peuvent toutefois être expliquées dans le cadre théorique exposé ici.
Regius, p. 32.
158
« OVIDE VEUT PARLER »
de rendre le texte plus facilement accessible au public français en
établissant explicitement le lien entre les traits des Cyclopes et la
foudre jupitérienne.
La séquence 1 réalise également la clôture formelle dès l’application du test de la superposition : comme elle se termine sur
une rime, elle n’implique pas de contrainte formelle sur la
séquence suivante.
1
Sed timuit, ne forte sacer tot ab ignibus aether Mais il craignit, que du ciel la facture
Conciperet flammas longusque ardesceret axis. Par tant de feuz ne conceut d’adventure
Quelcque grand’flamme, & que
[soubdainement
Bruslé ne fust tout le hault firmament.
Les séquences 4 et 5 réalisent également la clôture formelle,
même si elles ont pour particularité de comporter chacune un
vers latin incomplet.
4
Quo mare, quo tellus correptaque regia caeli
Ardeat,
Que mer, que terre, & la maison prisée
Du ciel luysant ardra toute embrasée,
5
et mundi moles obsessa laboret.
Et qu’on doibt veoir le tresgrand edifice
Du monde rond en labeur, & supplice.
On pourrait être tenté de fusionner les deux séquences pour
n’en considérer qu’une comportant deux vers latins complets :
au vu de la méthode adoptée pour le découpage en séquence, il
n’y a cependant aucune raison de le faire, sauf à considérer (mais
c’est peu probable) que la conjonction de coordination française
dans « qu’on doibt veoir » correspond à l’explicite « quo » du vers
latin qui précède, au lieu d’être simplement une explicitation de
la conjonction latine sous-entendue dans «et mundi moles
obsessa laboret ». La séparation des séquences 4 et 5, issue de la
définition des clôtures informationnelle et formelle, souligne en
réalité très bien que les unités pertinentes pour l’étude de la traduction ne peuvent être définies à partir d’un élément uniquement propre à l’une des deux langues. Avec les séquences 4 et 5,
on voit nettement qu’il n’y a aucune raison de penser que le
traducteur opère forcément vers complet après vers complet.
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
159
Les séquences 2 et 3, ainsi que les séquences 7, 8 présentent
des contextes où la clôture formelle impose de fusionner les
séquences pour prendre en compte la nécessité pour le traducteur
de traiter simultanément deux vers reliés par la rime.
La variante du ms. Douce 117 pour la séquence 9 permet
quant à elle de confirmer que la clôture formelle se trouve réalisée après « Le mortel genre ».
2
Esse quoque in fatis reminiscitur
Puis luy souvint, qu’il est predestiné
3
adfore tempus
7
Poena placet diuersa,
8
Qu’advenir doibt ung temps determiné,
Et d’une peine au feu toute contraire
Luy plaist user :
car soubs eaues veult deffaire
genus mortale sub undis Le mortel genre,
Perdere
9
& sur les terres toutes
et ex omni nimbos demittere caelo. De tout le ciel jecter pluyes, & goutes.
Ovide, v. 260-261
Traduction Lafaye, p. 16
Poena placet diuersa, genus mortale sub
et choisit un châtiment tout différent ; il
[undis décide d’anéantir le genre humain sous
Perdere
les eaux,
et ex omni nimbos demittere caelo. versées par les nuées de tous les points du ciel.
ms. Douce 117, v. 506-509
Edition Defaux, v. 509-512
Et d’une peine au feu toute contraire
Luy playt user. Car soubz eaux veult
[deffaire
Le mortel genre /
Et d’une peine au feu toute contraire
Luy plaist user ; car soubs eaues veult
deffaire
Le mortel genre
Et de tout le ciel cloz
Jecter çà bas les pluies à grandz flotz.
& sur les terres toutes
De tout le ciel jecter pluyes, & goutes.
160
« OVIDE VEUT PARLER »
Le maintien du rejet montre qu’il ne faut pas surestimer la
difficulté représentée par le nombre limité de syllabes dans le
vers qui ouvre la séquence qui suit : la variante enregistrée par
rapport au ms. Douce 117 présente une modification importante
avec le changement de rime (« toutes »/ « goutes » se substituant
à « cloz »/ « flots »), mais elle tient parfaitement dans l’espace
syllabique à disposition.
Il importe de décrire les arbitrages spécifiques de la clôture
formelle, qui impliquent la constitution d’unités tenant compte
de critères propres à l’approche littéraire de la traduction.
Considérée isolément, la clôture informationnelle aboutirait à
des fragments dont il serait difficile de soutenir qu’ils sont
réalisés d’une façon totalement indépendante les uns des
autres : un demi-vers latin pour un vers français, le plus souvent. La réflexion purement formaliste, basée exclusivement sur
la clôture informationnelle, aboutit à un découpage que la
réflexion littéraire, qui prend en compte la clôture formelle,
pousse à dépasser : la reconnaissance des séquences constituant
les unités sur lesquelles travaille le traducteur, aussi méthodique soit-elle, n’implique pas de faire l’économie des enseignements tirés de l’analyse critique classique.
Le découpage définitif devient alors :
1
Sed timuit, ne forte sacer tot ab ignibus aether Mais il craignit, que du ciel la facture
Conciperet flammas longusque ardesceret Par tant de feuz ne conceut d’adventure
axis.
Quelcque grand’flamme, & que
[soubdainement
Bruslé ne fust tout le hault firmament.
2
Esse quoque in fatis reminiscitur adfore Puis luy souvint, qu’il est predestiné
tempus
Qu’advenir doibt ung temps determiné,
3
Quo mare, quo tellus correptaque regia caeli
Ardeat,
Que mer, que terre, & la maison prisée
Du ciel luysant ardra toute embrasée,
4
et mundi moles obsessa laboret.
Et qu’on doibt veoir le tresgrand edifice
Du monde rond en labeur, & supplice.
5
Tela reponuntur manibus fabricata
Lors on cacha les dardz de feu chargés
[Cyclopum ; Des propres mains des Cyclopes forgés,
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
161
6
Poena placet diuersa, genus mortale sub undis Et d’une peine au feu toute contraire
Perdere
Luy plaist user : car soubs eaues veult deffaire
Le mortel genre,
7
et ex omni nimbos demittere caelo.
& sur les terres toutes
De tout le ciel jecter pluyes, & goutes.
8
Protinus Aeoliis Aquilonem claudit in antris Incontinent aux cavernes d’Eole
Avant de poursuivre la discussion des unités de travail du
traducteur, il n’est pas inutile de revenir au détail du test de la
superposition présenté. Procéder à celui-ci permet de mettre sur
la deux caractéristiques très importantes dans les solutions retenues par Marot traducteur, à savoir :
1. L’ordre des mots du français : si, dans la représentation
du test de la superposition, quelques traits mettant en
correspondance le latin et le français se croisent, on
constate également que des traits nettement plus nombreux ne se croisent pas. Cette caractéristique permet
d’établir de façon très rapide que l’ordre des mots en
français tend à correspondre à celui du latin. On prend
toute la mesure d’un tel constat dès lors que l’on se souvient que la réflexion sur la grammaire laisserait
attendre plutôt l’extrême rareté de la correspondance de
l’ordre des mots du latin et du français, le latin fonctionnant selon un schéma Sujet-Objet-Verbe (SOV), alors que
le français suit plutôt un schéma Sujet-Verbe-Objet
(SVO). Il est donc remarquable que le traducteur parvienne à donner une version française dans laquelle la
succession des mots en correspondance suit l’ordre du
latin. Cette observation rejoint, et confirme, celle opérée
dès le début de l’analyse à propos des vers débutant par
des mots correspondants.
2. Les mots ajoutés par Marot : ces mots constituent une
sorte de violation de l’idée même de traduction, puisque
le traducteur ajoute des éléments de son cru, totalement
absents du texte source. On a vu, dans l’exemple des
dards forgés par les Cyclopes, que ces ajouts participent
162
« OVIDE VEUT PARLER »
parfois de façon tout à fait remarquable à la clôture
formelle puisque, dans ce cas-là, l’ajout « de feu chargés » permettait la réalisation de la rime. Une autre
caractéristique de ces ajouts vient de ce que leur apparition peut être expliquée au travers de calculs interprétatifs par l’exploitation du présupposé ou du sousentendu, au sens de Catherine Kerbrat-Orechioni 34.
Pour reprendre l’exemple cité, le feu dont sont chargés
les dards de Jupiter appartient aux présupposés contenus dans leur dénotation : l’ajout de Marot consiste
simplement à rendre explicite une caractéristique qui
reste implicite chez Ovide. De la même façon, mais
suivant un calcul interprétatif différent, le supplice
qu’imposerait la destruction par le feu dont il est question dans la séquence 4 est fortement sous-entendu au
travers de la connotation qu’il faut sélectionner dans
le mot français « labeur » qu’il accompagne ou les
connotations du verbe latin « laboret ». Marot choisit
donc des ajouts, qui, d’une certaine manière, n’ajoutent
rien – ou si peu – à l’information contenue dans la
version latine.
Comprendre l’intérêt des séquences en tant qu’unités de travail de Marot implique d’examiner leur pertinence descriptive en
les contrastant avec les unités de la syntaxe ou de la versification
habituellement considérées dans la description des textes, aussi
bien dans le domaine de la traduction que dans celui de l’analyse littéraire.
LA DIFFÉRENCE AVEC LES UNITÉS DE LA SYNTAXE
ET DE LA VERSIFICATION
La recherche d’unités pertinentes vise à baser le commentaire de
texte sur une description susceptible de prendre en compte les
spécificités techniques de l’exercice. Le commentaire se doit
34
Catherine Kerbrat-Orechionni, L’Implicite, Paris, Armand Colin, 1986.
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
163
d’identifier les logiques intrinsèques du processus de traduction,
de façon à mesurer la spécificité du geste de Marot traducteur.
La nature de la relation entre unités syntaxiques et séquences
de traduction peut être illustrée premièrement à partir de la
séquence dans laquelle Jupiter se rappelle d’une prophétie
annonçant la fin du monde :
Esse quoque in fatis reminiscitur adfore tempus
Puis luy souvint, qu’il est predestiné
Qu’advenir doibt ung temps determiné
La partie latine de la séquence est composée par une principale
et une subordonnée qui ne sont pas séparées par le processus de traduction. La deuxième subordonnée latine « quo mare, quo tellus
correptaque regia caeli ardeat » est quant à elle traitée dans la
séquence suivante. Le découpage en séquences n’est conditionné ni
par le niveau de la phrase complexe, ni par celui de la proposition.
Parfois, une seule composante de la proposition constitue
l’ensemble de la séquence. Le phénomène peut être observé dans
des situations très particulières, comme une apostrophe occupant
tout un vers latin lorsque Deucalion s’adresse à sa femme Pyrrha :
Ovide, v. 351
Edition Defaux, v. 691-692
O soror, o coniunx, o femina sola superstes,
O Chere Espouse, ô ma sœur honnorée,
O femme seulle au monde demourée,
La structure particulière de l’apostrophe pourrait faire penser
à un traitement se rapprochant de celui de la proposition, mais il
est possible d’observer des contextes dans lesquels des composants majeurs de la proposition, comme le sujet, constituent la
totalité de la séquence. C’est le cas dans cet extrait décrivant la
réunion des fleuves (Sperchios, Enipée, Amphrise, Eridan, Eas)
dans la région de Tempé (les passages soulignés indiquent des
séquences à considérer) :
Ovide, v. 579-581
Edition Defaux, v. 1145-1150
Populifer Sperchios et inrequietus Enipeus
Sperche y vint à propos,
Pourtant Peupliers, Enyphe sans repos,
Eridanusque senex lenisque Amphrysos et Aeas,
Moxque amnes alii,
Le doulx Amphrise, & le vieil Apidain
Avec Eas : d’aultres fleuves soubdain
Y sont venuz,
qui, qua tulit impetus illos,
qui, de quelcque costé
Où soyent portés d’impetuosité,
164
« OVIDE VEUT PARLER »
On trouve également des séquences composées sur un élément de la proposition autre que le sujet, par exemple dans un
extrait décrivant l’Age d’Or :
Ovide, v. 98-100
Edition Defaux, v. 191-196
Non tuba directi, non aeris cornua flexi,
Non galeae, non ensis erat ;
Trompes, clerons d’Aerain droit, ou tortu,
L’armet, la lance, & le glaive poinctu
N’estoit encor.
sine militis usu
Mollia securae peragebant otia gentes.
Sans usage, & alarmes
De chevaliers, de pietons, & gensd’armes
Les gens alors seurement en touts cas
Accomplissoyent leurs plaisirs delicats.
Le travail sur les unités isolées de la proposition confirme
une caractéristique importante du processus d’analyse et de
reconstruction auquel se livre le traducteur : la stabilisation
recherchée du côté de la partie française de la version n’est
pas soumise à un niveau unique de la division de la syntaxe
latine. Elle peut, selon les cas, s’appuyer sur la phrase, sur la
proposition ou sur un élément unique de la proposition. En
d’autres termes, le traducteur ne se livre pas à une division syntaxique a priori du texte source (par exemple, en principales et
subordonnées), avant de traiter individuellement les divisions
ainsi définies. Il faut noter par ailleurs que, si le traitement d’éléments uniques de la proposition est beaucoup plus rare que le
traitement d’éléments combinés (sujet-verbe, verbe-complément),
aucune variante n’est notée entre le ms. Douce 117 et la version
publiée en ce qui concerne les exemples discutés ci-dessus. Le
traitement d’éléments syntaxiques isolés semble stabiliser le texte
en tant que tel.
Dès lors qu’est considéré un niveau plus élémentaire de la
syntaxe, celui de l’ordre des mots, des caractéristiques majeures
de la version cible peuvent être mises en évidence. La tendance
du traducteur à conserver en français l’ordre des mots latins a
été observée plus haut. Il est possible également de mettre en
évidence la stabilité de l’ordre des mots au travers des comparaisons avec le ms. Douce 117, comme dans cet extrait décrivant
l’Age d’Or :
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
165
Ovide, v. 107-108
Traduction Lafaye, p. 11
Ver erat aeternum, placidique tepentibus
auris Mulcebant zephyri natos sine
semine flores.
Le printemps était éternel et les paisibles
zéphyrs caressaient de leurs tièdes haleines
les fleurs nées sans semence.
ms. Douce 117, v. 207-210
Edition Defaux, v. 209-212
Le beau printemps / chacun jour florissoit
Et Zephyrus / le bon vent nourrissoit
Par doulx souspirs / et alaines bien duyctes
Les belles fleurs sans semence produictes
Printemps le verd regnoit incessamment,
Et Zephyrus souspirant doulcement
Souefves rendoit par tiedes alenées
Les belles fleurs sans semence bien nées.
La séquence « printemps – zéphyr – fleurs », initiée dans le texte
d’Ovide, se retrouve dans les deux versions de Marot, et même
dans la traduction Lafaye. On se trouve ici au cœur même de la
définition de la traduction : l’intrigue du texte cible, au sens
qu’Umberto Eco donne à ce mot, adhère le plus possible à celle du
texte source. La reproduction d’une intrigue parfaitement équivalente est cependant empêchée par la résistance de la grammaire
française, que Dolet aurait sans doute appelée « harmonie de langage » : dans les trois versions françaises, le complément « sans
semence » suit le nom « fleurs », alors qu’en latin « sine semine »
précède « flores ». Choisir la conformité à l’intrigue source comme
critère de qualité de la traduction constitue une prise de position
esthétique qui peut trouver ses détracteurs chez ceux qui estiment
que la logique de la langue cible doit pouvoir s’imposer totalement. Mesurer les différences de traitement de traitement de
l’intrigue entre texte source et texte cible représente un moyen central de caractériser le geste du traducteur. En ce qui concerne Clément Marot, les variantes observables dans le ms. Douce 117 sont
particulièrement révélatrices. L’ordre des mots transcende parfois
complètement la révision du texte, par exemple dans cette
séquence extraite du discours de Deucalion à Pyrrha :
Ovide, v. 365
Nunc genus in nobis restat mortale
duobus.
Traduction Lafaye, p. 20
Aujourd’hui nous sommes à nous deux tout
ce qui subsiste de la race mortelle ;
ms. Douce 117, v. 712-713
Edition Defaux, v. 717-718
Presentement chere espouse et affine.
Le mortel genre en nous deux reste et fine.
Le Genre humain reste en nous deux, & pour ce
Doit en nous deux prendre fin ou resource ;
166
« OVIDE VEUT PARLER »
La version Lafaye donne une formulation qui ne cherche pas
à reproduire la séquence latine « genus – nobis – restat ». La version ms. Douce 117 et la version publiée telle que la présente
l’édition Defaux présentent toutes deux une formule très proche
de l’original latin où les trois éléments considérés se succèdent
dans l’ordre du texte source. La version publiée peut être considérée comme une tentative de rendre la structure très sophistiquée du vers d’Ovide où « mortale » et « duobus » reprennent
comme en écho « genus » et « nobis » : répétition de « en nous
deux », écho généré par « reste » et « prendre fin ou resource ».
La révision tend à recentrer la version sur l’original latin en insistant sur l’image de Deucalion et Pyrrha désormais seuls au
monde. Il est remarquable toutefois que l’ordre des mots ait été
acquis dès le ms. Douce 117.
Proche de la question de l’ordre des mots, l’observation de
leur position amène à des considérations à cheval sur la syntaxe
et la versification. Certaines figures de construction (rejet, contrerejet) impliquent un traitement spécifique par le traducteur.
L’intérêt de la méthode retenue pour le découpage en séquences
consiste à permettre d’identifier aisément comment la version de
Marot articule syntaxe et versification, comme dans ce passage
où, peu avant le déluge, Jupiter convoque les dieux en son
conseil :
Ovide, v. 244-245
Dicta Iovis pars uoce probant stimulosque
[frementi
Adiciunt,
Traduction Lafaye, p. 15
Parmi les dieux les uns appuient de leurs
avis le discours de Jupiter et aiguillonnent
sa fureur.
ms. Douce 117, v. 474-476
Edition Defaux, v. 477-479
Aucuns des dieux par voix les dictz
Alors de bouche aulcuns des Dieux
[approuvent
[approuvent
De Jupiter / Et stimulent et mouvent
L’arrest donné par Juppiter, & mouvent
Plus son courroux /
Plus son courroux.
Le maintien du rejet répond à l’enjambement liant les deux
vers latins. La révision, du ms. Douce 117 à la version publiée
telle que la présente l’édition Defaux, opérée à l’intérieur de la
séquence, vise à fluidifier la syntaxe française : de façon caractéristique, elle conserve l’arrêt net occasionné par le rejet.
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
167
Au carrefour de la syntaxe et de la versification, les figures de
construction amènent des contextes de choix pour l’observation
de la technique du traducteur. L’importance habituellement attribuée aux unités syntaxiques entre en concurrence avec le formalisme requis par un découpage systématique. Dans un passage
annonçant le déclenchement du déluge peu après la mort de
Lycaon, la prise en compte de la ponctuation et des variantes du
ms. Douce 117 amène un premier découpage :
Ovide, v. 240-242
Traduction Lafaye, p. 15
Occidit una domus ; sed non domus una
perire Digna fuit ; qua terra patet, fera
regnat Erinys ;
In facinus iurasse putes.
Une seule maison a été frappée ; mais plus
d’une maison était digne de périr ; sur
toute l’étendue de la terre règne la sauvage Erinys ;
on dirait une conjuration pour le crime.
ms. Douce 117, v. 466-471
Edition Defaux, v. 469-474
Or est tumbé ung manoir en ruyne
Mais ung manoir / tout seul n’a esté digne
D’estre pery. par tout ou paroit terre
Regne Erynnis aymant peché et guerre.
Or est tumbé ung manoir en ruine
Mais ung manoir tout seul n’a esté digne
D’estre pery : par tout où paroist terre,
Regne Erinnys aymant peché, & guerre.
Et en tous lieux pensez qu’on a juré
De soustenir vice desmesuré.
Et si diriez, que touts ils ont juré
De maintenir vice desmesuré.
On peut être tenté de s’arrêter là. A bien y regarder cependant,
les choses ne sont pas si simples. Le test de la superposition
révèle en effet deux autres zones de découpage. L’une après la
première occurrence de « domus » dans le premier vers latin et
après « ruine » dans le premier vers français ; la seconde après
« fuit » dans le deuxième vers latin et « pery » dans le troisième
vers français. L’application de la notion de clôture formelle aboutit à ne pas retenir la première zone de découpage. Il n’y a cependant aucune raison de ne pas maintenir la deuxième zone de
découpage. Le découpage formellement abouti devient alors :
Occidit una domus ; sed non domus una Or est tumbé ung manoir en ruine
perire Digna fuit ;
Mais ung manoir tout seul n’a esté digne
D’estre pery ;
qua terra patet, fera regnat Erinys ;
par tout où paroist terre,
Regne Erinnys aymant peché, & guerre.
168
« OVIDE VEUT PARLER »
Le respect du rejet par Marot peut être facilement repéré dans
ce découpage conforme à la méthode. Cela étant, la disparition
du rejet était, grâce au découpage en séquences, tout aussi facile
à constater comme dans un extrait discuté plus haut, qui décrit le
moment où Jupiter préfère l’eau au feu pour anéantir le monde :
Ovide, v. 257-258
Edition Defaux, v. 503-504
Quo mare, quo tellus correptaque regia Que mer, que terre, & la maison prisée
caeli Ardeat
Du ciel luysant ardra toute embrasée,
La question du rejet révèle de façon tout à fait nette que les
unités de travail du traducteur ne se définissent pas exclusivement à partir des unités syntaxiques ou métriques du texte
source. Les caractéristiques du texte cible ne sont par conséquent
pas exclusivement déterminées par l’analyse de la version latine :
d’autres facteurs sont à l’œuvre, dont le découpage en séquence
fait pressentir l’existence.
La question de la prise en compte des unités de la versification
révèle des phénomènes tout à fait analogues à ceux observés
pour la syntaxe. La discussion sur la clôture formelle a permis
d’entrevoir le rôle central qu’il faut attribuer à la question de la
rime dans la définition des unités de travail du traducteur. La
comparaison entre le ms. Douce 117 et la version publiée révèle
encore plus nettement, à l’intérieur de séquences constituées en
suivant les règles exposées ci-dessus, comment le travail sur la
rime s’accorde avec l’exigence pragmatique de zones de stabilité
nécessaires pour ainsi dire solidifier la version définitive, ainsi
dans ce passage de la harangue de Jupiter (l’extrait ci-dessous et
ceux qui le suivent sont définis de façon à offrir un contexte minimal ; la partie à discuter est soulignée) :
Ovide, v. 209-201
Traduction Lafaye, p. 14
Ille quidem poenas, curam hanc dimittite,
[soluit.
Quod tamen admissum, quae sit uindicta,
[docebo.
L’homme a payé sa dette ; bannissez à ce
sujet tout inquiétude. Quel que fut son
crime, quelle est la punition, c’est ce que
je vais vous apprendre.
Contigerat nostras infamia temporis aures ;
La renommée des opprobres du siècle avait
frappé mes oreilles ;
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
169
ms. Douce 117, v. 404-409
Les peines a (ne vous chaille) souffertes
Mais quoy qu’il ayt receu telles dessertes
Si vous diray je en resolution
Quel est le cryme et la pugnition.
Edition Defaux, v. 407-412
Les peines a (ne vous chaille) souffertes :
Mais quoy qu’il ait receu telles dessertes,
Si vous diray je en resolution,
Quel est le crime, & la punition.
D’icelluy temps / l’infamie à merveilles
Avoit attainct maintesfois noz oreilles.
De ce dur temps l’infamie à merveilles
Venoit souvent jusques à noz oreilles :
Ou, dans un autre passage de la harangue de Jupiter :
Ovide, v. 190-191
Traduction Lafaye, p. 14
Cuncta prius temptata ; sed inmedicabile
uulnus
[J’ai] tout tenté auparavant, mais la plaie
est incurable et il faut la retrancher avec
le fer, pour que la partie saine ne soit pas
Ense recidendum est, ne pars sincera trahatur. atteinte.
ms. Douce 117, v. 368-371
Edition Defaux, 371-374
Quoy que devant / fault toute chose vraye Quoy que devant fault toute chose vraye
Bien esprouver / mais l’incurable playe
Bien esprouver : mais l’incurable playe
Convient coupper / par espée acerée
Que la par saine/à mal ne soit tirée.
Par glaive fault tousjours coupper à haste,
Que la part saine elle n’infecte & gaste.
Ou encore, toujours dans la harangue de Jupiter :
Ovide, v. 260-261
Traduction Lafaye, p. 16
Poena placet diuersa, genus mortale sub undis
Perdere
et choisit un châtiment tout différent ; il
décide d’anéantir le genre humain sous les
eaux, versées par les nuées de tous les
et ex omni nimbos demittere caelo. points du ciel.
ms. Douce 117, v. 506-509
Edition Defaux, v. 509-512
Et d’une peine au feu toute contraire
Et d’une peine au feu toute contraire
Luy playt user. Car soubz eaux veult
Luy plaist user ; car soubs eaues veult
[deffaire
[deffaire
Le mortel genre /
Le mortel genre,
Et de tout le ciel cloz
Jecter çà bas les pluies à grandz flotz.
& sur les terres toutes
De tout le ciel jecter pluyes, & goutes.
En ce qui concerne l’édition Defaux, les trois passages soulignés ci-dessus ont en commun d’avoir tous été définis sur la base
170
« OVIDE VEUT PARLER »
du découpage en séquences issu de la méthode exposée cidessus. De façon remarquable, les trois séquences découpées
peuvent être mises en correspondance avec les trois variantes
observées dans le ms. Douce 117. Les modifications enregistrées
renvoient au genre d’actions auquel on peut s’attendre chez un
traducteur travaillant sur une version en vers. Dans le premier
passage, il s’agit de modifications mineures qui n’affectent pas la
rime. Dans le deuxième passage, les modifications sont beaucoup
plus importantes, et englobent la rime. Le troisième passage
constitue une espèce mixte, dans laquelle les changements sont
relativement mineurs, le choix du mot à la rime portant l’essentiel de la révision.
La simple comparaison du ms. Douce 117 et de l’édition
Defaux suffirait pour baliser les contextes dans lesquels apparaissent les changements observés, mais elle ne mettrait pas en
évidence le fait que la portée de ces derniers ne dépasse pas
une zone limitée, correspondant à une unité qu’il est à la fois
possible et nécessaire de définir dans le travail du traducteur. Ce
que le découpage en séquences permet d’observer, c’est en
quelque sorte la marge de manœuvre à l’intérieur de laquelle les
modifications ont été réalisées, les briques de la « constructio »
décrite par Norton au cœur de la traduction. La particularité de
ces briques réside dans le fait qu’elles se découpent et se solidifient pendant le processus même de traduction, sans que le traducteur n’ait prédéfini le volume du texte qu’il va traiter.
L’existence du ms. Douce 117 permet de disposer d’un jalon dans
le processus continu de révision dont il faut rendre compte au
cœur de la traduction : les unités autour desquelles ce processus
s’est organisé deviennent alors des traces visibles, facilement
observables.
Si aucun élément syntaxique ne semble déterminant dans la
constitution des séquences, la proportion générale d’un vers latin
pour deux vers français conduit à interroger la pertinence du
recours au vers en tant que mesure de l’unité de travail du traducteur, au-delà de la simple question de la rime. L’hypothèse
d’un Marot produisant vers latin après vers latin un distique
français dont la rime peut être définie sans contrainte trouve de
nombreuses confirmations, notamment dès le début du poème,
au moment de la description du chaos :
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
171
Ovide, v. 5-8
Traduction Lafaye, p. 7
Ante mare et terras et, quod tegit omnia,
[caelum
Avant la mer, la terre et le ciel qui couvre
tout,
Vnus erat toto naturae vultus in orbe,
la nature dans l’univers entier offrait un
seul et même aspect ;
Quem dixere chaos, rudis indigestaque
[moles
on l’a appelé le chaos ; ce n’était qu’une
masse informe et confuse,
Nec quicquam nisi pondus iners congestaque un bloc inerte, un entassement d’éléments
eodem. mal unis et discordants.
ms. Douce 117, v. 9-16
Edition Defaux, v. 9-16
Avant la mer Avant la terre et l’œuvre
Avant la Mer, la Terre, & le grand Oeuvre
Du ciel treshault qui toutes choses cœuvre Du Ciel treshault, qui toutes choses cœuvre
Il y avoit / en tout le monde enorme
Tant seulement / de nature une forme
Il y avoit en tout ce Monde enorme
Tant seullement de Nature une forme,
Dicte Chaos. une chose amassée
Une grandeur rudde et mal entassée.
Dicte Chaos, ung monceau amassé
Gros, grand, & lourd, nullement compassé.
Brief ce n’estoit fors ung poix immobile
Sans aucun art de soy tout inutile
Brief, ce n’estoit qu’une pesanteur vile
Sans aulcun art, une masse immobile
La nécessité de la clôture formelle conduit à découper les
séquences sur le modèle vers latin – distique français, de préférence à un demi vers latin – un vers français : les variantes entre
le ms. Douce 117 et la version publiée trouvent toutes leur place
à l’intérieur des séquences constituées. La traduction prend une
dimension presque ludique : trouver le distique correspondant
au vers latin, dont la rime, définie en dehors de l’alternance entre
rimes masculines et féminines, peut être fixée en toute liberté.
Les variantes recherchées pour la version publiée semblent
faciles, dociles à la volonté du traducteur.
Le jeu de la clôture informationnelle et de la clôture formelle
révèle des structures fort différentes, comme dans ce passage
décrivant l’intervention de Triton à la fin du déluge :
172
« OVIDE VEUT PARLER »
Ovide, v. 330-341
Traduction Lafaye, p. 18-19
1
Nec maris ira manet
Il ne subsiste plus rien des fureurs de la mer ;
2
positoque tricuspide telo déposant son trident, le roi des océans
Mulcet aquas rector pelagi
apaise les flots ;
3
supraque profundum
Extantem atque umeros innato murice
tectum
Caeruleum
Tritona
uocat
conchaeque sonanti
Inspirare iubet fluctusque et flumina signo
Iam revocare dato.
au-dessus des abîmes se dressait le corps
azuré de Triton, les épaules couvertes des
poupres qu’il y a vu naître ; le dieu
l’appelle, lui ordonne de souffler dans sa
conque sonore et de ramener en arrière par
un signal les flots de la mer et les fleuves.
4
Caua bucina sumitur illi
Tortilis,
Triton prend sa trompe, dont la spirale
creuse va en s’élargissant depuis la volutre inférieure,
5
in latum quae turbine crescit ab imo, cette trompe qui, à peine animée de son
Bucina,
souffle
6
quae, medio concepit ubi aera ponto, au milieu de l’océan, fait retentir les
Litora
rivages
7
uoce replet sub utroque iacentia Phoebo. qui s’étendent aux deux bouts de la carrière de Phébus.
8
Tunc quoque, ut ora dei madida rorantia
Alors aussi, dès qu’elle eut touché la
[barba bouche du dieu, toute ruisselante de l’eau
Contigit et cecinit iussos inflata receptus, que distille sa barbe, et transmis par ses
sons éclatants l’ordre de la retraite,
9
Omnibus audita est telluris et aequoris
elle se fit entendre à toutes les eaux de la
[undis, terre et de la mer.
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
ms. Douce 117, v. 644-667
173
Edition Defaux, v. 649-672
1
aussi l’ire et tempeste.
aussi l’ire, & tempeste
De la grant mer / çà bas plus ne se arreste De la marine illec plus ne s’arreste.
2
Puis le recteur de toutes mers conjoinctes Puis Neptune sur la mer president,
En mectant jus son grant sceptre à trois
En mectant jus son grand sceptre, &
[poinctes
[trident
Les eaux appaise
Les eaues appaise,
3
et appaise en l’instant.
Le vert Triton sur la mer creuse [estant]
Le doz couvert de pourpre faict exprès
Sans artifice / Et luy commande après
Souffler dedans sa resonant Bucine
Et rappeller / après avoir faict signe
Fleuves et flotz.
& huche sans chommer
Le verd Triton flotant dessus la mer,
Le dos couvert de pourpre faicte expres
Sans artifice : et luy commande apres
Souffler dedans la resonnant buccine
Et rappeller, apres avoir faict signe,
Fleuves, & flots.
4
Lors Triton prent et charge
Sa trompe creuse et torse en forme large
Lors Triton prend, & charge
Sa trompe creuse entortillée en large,
5
Qui par le bout d’embas croist tout ainsi Et qui du bas vers le hault croist ainsi
Que ung turbillon / Laquelle trompe aussi Qu’ung turbillon : laquelle trompe aussi
6
Après qu’elle a prins air tout au milieu
De la grand mer. Chascun rivaige et lieu
Apres qu’elle a prins aer tout au milieu
De la grand mer, chascun rivage, & lieu
7
Gisans soubz l’ung et soubz l’autre soleil
Elle remplit de son bruyt nompareil
Gisant soubs l’ung, & soubs l’aultre soleil,
Elle remplit de son bruyt non pareil.
8
Laquelle aussi quant elle fut joignante
Contre la bouche à Triton degoutante
Pour la moycteur de sa barbe chargée
Et qu’en enflant la retraicte enchargée
Elle eut sonné /
Laquelle aussi, quand elle fut joignante
Contre la bouche à Triton degoutante
Pour la moyteur de sa barbe chargée,
Et qu’en soufflant la retraicte enchargée
Elle eut sonnée,
9
par tout fut entendue
Des eaux de terre / et de mer estendue
par tout fut entendue
Des eaues de terre, & de mer estendue
174
« OVIDE VEUT PARLER »
Dans les séquences 3, 5 et 6, les exigences de la clôture formelle, autour des rimes « expres/apres » (séquence 3) ou
« milieu / lieu » (séquence 6) commandent de maintenir unies
des zones que la clôture informationnelle aurait séparées. Le
découpage révèle un travail qui n’a plus rien à voir avec le jeu
délicat des distiques.
Certaines formulations semblent à vrai dire assez laborieuses :
dans les séquences 3 et 4, la trompe de Triton fait l’objet d’une
description technique qui peine à faire voir le recul des mers.
L’analyse possible à partir des variantes notées dans le ms. Douce
117 semble confirmer que le passage a donné du fil à retordre au
poète (les vers les plus représentatifs sont soulignés).
Contrairement à Lafaye, Marot ne recompose pas la syntaxe
d’Ovide dans la séquence 3. Pour ce faire, il recompose assez
largement l’intrigue (au sens de Eco) du passage : Ovide fait
apparaître le Triton, en position d’objet, avant le verbe (« vocat »)
qui le met en mouvement ; Marot place le verbe (« appaise »/
« huche ») avant l’objet « verd Triton ». L’évolution du ms. Douce
117 à la version que reflète l’édition Defaux, importante en termes
de versification puisqu’elle touche la rime, ne remet pas en cause
la distribution syntaxique de la séquence. Les séquences 6 et 7 ne
connaissent aucune modification. Alors que, dans la séquence 2,
Marot se montre attentif à clarifier la situation pour le public
français en abandonnant la version « recteur de toutes les mers »
très proche de la formule latine « rector pelagi » pour le plus
explicite « Neptune », il maintient, pour la séquence 8, des versions dont la construction semble inhabituellement lourde : nombreux connecteurs, répétition des pronoms en position de sujet,
participes présents. L’absence de révision pourrait par ailleurs
indiquer que le traducteur ne souhaite par revenir sur un passage
qui a pu lui poser des difficultés.
L’objectif ultime du découpage en séquences vise à fournir à
la discussion critique les unités autour desquelles s’est structuré
le travail du traducteur. Aucune unité syntaxique ou métrique 35
35
Le fait que les unités de travail du traducteur semblent se définir en dehors
de la structure du vers explique pourquoi l’hypothèse de l’influence de
l’hexamètre latin sur le travail du traducteur n’est pas explorée dans la présente étude.
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
175
ne peut être désignée comme point de départ systématique du
processus de traduction réalisant simultanément la clôture informationnelle et la clôture formelle. De façon tout à fait révélatrice,
il est cependant possible d’observer que les changements opérés
par le traducteur à partir du ms. Douce 117 sur divers éléments
de la syntaxe ou de la versification sont contenus dans un volume
de texte correspondant aux séquences définies par la méthode
exposée ci-dessus dans l’édition Defaux. Tout semble indiquer
que la consistance du découpage réalisé sur la base de considérations théoriques peut être confirmée par la consultation du ms.
Douce 117. La confirmation la plus nette réside dans le passage
suivant évoquant l’histoire que Mercure raconte à Argus pour
l’endormir :
Ovide, v. 701-705
Traduction Lafaye, p. 31-32
Et precibus spretis fugisse per auia
à dire comment, insensible à ses prières, la
[nympham, nymphe s’enfuit à travers champs
Donec harenosi placidum Ladonis ad amnem jusqu’à ce qu’elle arrivât aux eaux paiVenerit ;
sibles du Ladon sablonneux ;
hic illam cursum impedientibus undis là, arrêtée dans sa course par les ondes, elle
Vt se mutarent, liquidas orasse sorores ;
avait supplié ses fluides sœurs de ma métaPanaque, cum
morphoser. A l’instant où Pan
ms. Douce 117, v. 1381-1389
Edition Defaux, v. 1389-1397
C’est assavoir (tel priere ensuivante
Mise à despris) la nymphe estre fuyante
Par boys espais /
C’est assçavoir (tel’ priere ennuyante
Mise à despris) La Nymphe estre fuyante
Par boys espaiz,
tant qu’elle vint à l’eau
Doulce et fluant du sablonneux et beau
Fleuve Ladon /
tant que de grand randon
Vint jusque au bort du sablonneux Ladon,
Fleuve arresté :
Et comment à la suycte
Lors que les eaues / empescherent sa fuycte
Ses clairs sœurs pria illecques près
De la muer Aussi [comment] a après
Que Pan
& comment à la suyte,
Lors que les eaues empescharent sa fuyte,
Ses cleres Sœurs pria illecques apres
De la muer : aussi comment apres
Que Pan
Le passage portant les variantes du ms. Douce 117 se détache
au cœur d’une vingtaine de vers rigoureusement identiques. Le
changement d’une version à l’autre est important : seuls quatre
176
« OVIDE VEUT PARLER »
mots sont maintenus (« tant », « sablonneux », « fleuve »,
« Ladon ») ; la rime est touchée. La consultation du ms. Douce
117 révèle un passage très saillant du point de vue des variantes
enregistrées. Il est par conséquent particulièrement révélateur de
constater que la recherche des unités de travail du traducteur,
basée sur le découpage en séquence, aboutit elle aussi à isoler
très exactement le passage en question. La capacité des unités
définies par le découpage de contenir entièrement la mécanique
des modifications impliquées par le travail de la traduction se
trouve confirmée ici de façon particulièrement manifeste 36.
La mise en relation d’un découpage en séquences réalisé sur
la seule base de la méthode exposée ci-dessus et des variantes du
ms. Douce 117 aboutit, dans l’écrasante majorité des cas, à des
confirmations du même type : la rigueur du découpage reçoit
une forme de confirmation empirique dans le fait que la plus
grande partie des révisions tient à l’intérieur du cadre constitué
par les séquences. Les unités définies par le découpage en
séquences fournissent dès lors à l’analyse le cadre stable nécessaire à la formulation d’hypothèses sur le travail du traducteur.
La dimension formelle de la réflexion débouche sur une approche
plus spéculative, visant à caractériser le geste de Marot dans le
Premier Livre. A la base de cette approche apparaissent plusieurs
stratégies identifiées au travers des divers extraits discutés :
1. La quantité de texte contenu dans les unités qui structurent le travail de Marot traducteur ne dépend pas de
caractéristiques intrinsèques du texte source. Marot traducteur tend à stabiliser des unités relativement petites,
mais son geste n’est déterminé de façon systématique
par aucune unité syntaxique ou métrique (vers, proposition, phrase, etc.) unique.
2. Marot traducteur s’autorise l’ajout d’éléments non présents dans le texte source pour réaliser la clôture formelle d’une séquence donnée du texte cible.
36
Par ailleurs, l’expression « Fleuve arresté » pour « placidum amnem » facilite l’interprétation à donner au « sablonneux Ladon » en établissant de
façon implicite la nature tranquille du fleuve. L’observation permet d’établir
que Marot revient à l’original ovidien au moment d’établir la version imprimée. Le même mouvement peut être constaté dans un certain nombre
d’autres séquences.
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE
177
3. Marot traducteur vise à conserver au maximum l’intrigue du texte source, et son geste est largement conditionné par l’ordre des mots dans le texte source.
La réflexion commence à identifier une forme d’intentionnalité
de la traduction. Poser le problème en ces termes revient à opérer
une révolution copernicienne dans l’approche de la traduction.
Le texte cible ne s’explique plus par une simple analyse des
caractéristiques du texte source, caractéristiques supposées définir de façon univoque les choix opérés dans le texte cible. Il s’agit
au contraire de repérer certaines caractéristiques précises du texte
cible qui exercent une influence directe sur les choix opérés par
le traducteur.
CHAPITRE V
INTERROGER LE NIVEAU
D’ANALYSE COURANT
Le contraste entre les unités de la syntaxe et de la versification et
les séquences mises en évidence dans le travail de Marot traducteur a permis une première approche de la technique appliquée
dans l’élaboration du Premier Livre. La rigeur du découpage en
séquences établi notamment au travers de la consultation des
variantes du ms. Douce 117 permet l’observation d’unités pertinentes. Elle invite en outre à approfondir la description en vue
d’accéder au niveau de généralisation utile au commentaire de
texte.
On se rend compte rapidement que le niveau d’analyse le plus
souvent retenu par les commentateurs de la traduction appelle la
comparaison entre les parties du discours. Une telle comparaison
se trouve à l’origine d’un commentaire de Georg Luck 1 qui note
au sujet d’un passage décrivant le déluge :
On constate que Marot a remplacé la phrase latine deus ipse, « luimême » ou bien « le dieu lui-même », par le nom exact du dieu en
question, Neptune. C’est une interprétation pour le bénéfice du lecteur, peut-être tirée d’un commentaire dont Marot se servait.
On retrouve dans cette remarque le schéma le plus habituel
de l’approche critique de la traduction : l’enregistrement d’une
variation sur la base d’une comparaison directe du texte source
et du texte cible à propos d’un mot précis, accompagnée immédiatement d’une hypothèse sur la valeur du changement enregistré (« interprétation pour le bénéfice du lecteur », c’est-à-dire
1
Georg Luck, « Tenerorum lusor amoroum : Marot disciple d’Ovide », p. 72.
180
« OVIDE VEUT PARLER »
compréhension facilitée de l’allusion mythologique) et d’une
hypothèse – exprimée ici avec une certaine légèreté (Regius n’est
pas cité) – sur l’origine possible du changement. Le quoi, le pourquoi et le comment s’associent naturellement pour expliquer le
geste du traducteur.
En reprenant la séquence à laquelle Georg Luck fait allusion,
on constate rapidement que la question ne peut être abordée de
façon aussi définitive :
Ovide, v. 283-284
Edition Defaux, v. 555-558
Ipse tridente suo terram percussit, at illa
Intremuit motuque uias patefecit aquarum.
Neptune adoncq’ de son Sceptre massif
Frappa la terre & du coup excessif
Elle trembla, si que du mouvement
Elle feit voye aux eaues appertement.
Neptune apparaît bien à la place du pronom « ipse », mais on
peut remarquer la transformation du trident en « Sceptre
massif ». Si Marot suit bel et bien la leçon de Regius qui indique :
« Ipse. Neptunus », il néglige complètement la suite du commentaire de l’humaniste qui insiste sur le trident, attribut majeur du
dieu de la mer :
Tridente suo. Ut Jovi fulmen : sic Neptuno tridens attribuitur : quo
dum percussit terram, semper fit terrae motus 2.
Pour deux substantifs consécutifs chez Ovide, Marot utilise
deux stratégies diamétralement opposées : il explicite le pronom
« ipse » par le nom propre « Neptune », mais il masque le trident
sous les traits du « Sceptre massif ». La divergence dans les stratégies est d’autant plus frappante que le commentaire de Regius
– en établissant la comparaison avec Jupiter – éclaire le paradoxe
qui veut que Jupiter tout puissant ait en quelque sorte besoin de
Neptune pour déclencher le déluge : on comprend – à travers le
commentaire – que c’est le trident de Neptune qui est nécessaire
à la cohérence du récit, puisque le trident provoque toujours
(« semper ») des tremblements de terre, lorsqu’il frappe la terre.
De plus, si l’on s’intéresse aux vers précédant la séquence en
question, on constate que Neptune apparaît dix vers plus haut
dans Ovide sous l’expression « frater cerruleus », elle aussi éclai2
Regius, p. 33.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
181
rée par Regius : « Caeruleus frater. Periphrasis Neptuni. » 3 Le
pronom « ipse » constitue la deuxième reprise anaphorique désignant Neptune, la première étant sous-entendue huit vers plus
haut dans un verbe conjugué (« convocat »). Entre la première et
la deuxième reprise anaphorique, le texte est occupé d’abord sur
deux vers par un discours à la deuxième personne du pluriel
dans lequel Neptune ordonne à ses fleuves de sortir de leurs lits,
ensuite, par un court récit de deux vers décrivant à la troisième
personne du pluriel le débordement des cours d’eau. Pour ce qui
est du latin, le pronom « ipse » apparaît comme largement suffisant en tant que rappel anaphorique de Neptune, puisqu’aucun
autre actant n’est évoqué à la troisième personne du singulier
depuis « frater cerruleus ». En ce qui concerne la version française de Marot, elle compte seize vers séparant la première occurrence de « Neptune » de celle de la séquence : un rappel
anaphorique à l’aide de la formule « lui-même frappa » ne serait
en soi pas ambigu, même si la distance avec la première occurrence du mot Neptune peut tout à fait justifier une répétition.
On serait bien en peine, sur la seule base des choix lexicaux
du français, d’arbitrer entre les deux stratégies mises au jour dans
le texte. On peut suivre Luck en considérant que le choix de Neptune est au bénéfice du lecteur, mais on peut argumenter également qu’il faut se demander si le bénéfice est si déterminant,
puisqu’une formule plus proche du latin n’aurait pas généré de
difficulté d’interprétation majeure. Cependant, en suivant Luck
dans l’idée du bénéfice du lecteur par l’éclairage des références
mythologiques, on n’arrive pas à expliquer que le trident se cache
sous le « Sceptre massif » 4. Si l’on choisit une approche plus
génétique décrivant l’influence de Regius sur les choix de Marot,
une autre contradiction se dessine : dans le même vers, Marot
suit Regius en nommant explicitement Neptune et ne suit pas
Regius en ne mentionnant pas le trident. On voit donc comment
la comparaison terme à terme conduit à des questions qu’elle ne
peut trancher, même si elle révèle tout de même au passage des
éléments capitaux pour l’observation du travail du traducteur.
3
4
Regius, p. 32.
On peut exclure l’hypothèse de la non-disponibilité du mot « trident » à
l’époque de la traduction du Premier Livre, puisqu’on retrouve le terme
ailleurs dans le texte (v. 652).
182
« OVIDE VEUT PARLER »
Dans le domaine de la comparaison terme à terme des unités
lexicales – qui, encore une fois, constitue le niveau d’analyse le
plus courant en matière de critique littéraire 5 – toute conclusion
doit être considérée comme risquée sans le recours à une
approche permettant de considérer d’abord l’ensemble du travail
du traducteur.
Fonder cette approche exige d’identifier d’abord les unités linguistiques pertinentes pour la comparaison terme à terme du
texte source et du texte cible. Dans le contexte spécifique de la
traduction, certaines caractéristiques sont à prendre en compte
dans la recherche des unités linguistiques :
1. Les unités recherchées gagneront à être définies de façon
« translinguistique », c’est-à-dire qu’il faut définir des
unités telles qu’il soit possible de les identifier facilement
aussi bien dans le texte source que dans le texte cible.
2. Les unités recherchées doivent permettre de distinguer
différents niveaux de choix pour le traducteur : les déterminants, par exemple, sont en grande partie définis par
le nom qu’ils déterminent, puisqu’ils dépendent de
celui-ci non seulement sur la question du genre et du
nombre, mais également sur le type de relation qu’ils
expriment par rapport à celui-ci (possession, démonstration, etc.). Il en va de même pour les prépositions par
rapport au verbe qui les régit ou au complément qu’elles
introduisent. Il y a des unités de niveau supérieur qui
déterminent des unités de niveau inférieur. La grille
d’analyse de la traduction doit s’attacher avant tout aux
unités de niveau supérieur, puisque les unités de niveau
inférieur dépendent en grande partie des choix réalisés
pour les unités de niveau supérieur.
3. Les unités recherchées visent à constituer une grille permettant d’observer le travail de traducteur, non à théoriser pour
elle-même la langue source ou la langue cible. Il est par
conséquent possible – pour établir cette grille – de renoncer
à observer certaines dimensions de la langue source ou de
5
D’autres niveaux d’analyse sont pris en compte par la théorie de la traduction, mais – appliqués à la critique littéraire – ils substitueraient l’analyse
de la traduction à l’analyse du texte traduit.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
183
la langue cible, puisqu’il ne s’agit pas de donner une description exhaustive des langues respectives.
Les parties du discours telles qu’elles sont énumérées et
décrites dans Le Bon Usage ou dans d’autres descriptions normatives de la langue françaises ne remplissent pas les conditions
énumérées ci-dessus et ne sauraient par conséquent fournir une
liste d’unités pertinentes pour l’étude qu’il faut opérer. Poursuivre l’étude de la technique du traducteur implique de choisir
un modèle syntaxique susceptible d’observer avec rigueur la
construction du texte source et du texte cible.
CHOISIR UN MODÈLE SYNTAXIQUE
La notion d’intrigue ainsi que l’a définie Umberto Eco dans le
cadre de la traduction met en évidence que la négociation centrale à laquelle se livre le traducteur se situe au niveau de la
phrase 6. L’étude du découpage du texte révèle que cette négociation doit tenir compte d’une mécanique spécifique générée par
l’interdépendance de certains éléments : il faut être capable de
discuter l’éventuelle relation entre la sémantique et la syntaxe.
La notion de valence verbale introduite par Lucien Tesnière
apporte les éléments nécessaires à la description de cette mécanique. Marie-José Béguelin résume en quelques lignes la notion
de valence verbale :
[…] tous les verbes n’admettent pas n’importe quel type de complément : ils en sélectionnent, c’est-à-dire en impliquent certains (on
dit aussi que le verbe « crée des places » de compléments). Dans la
mesure où les compléments sélectionnés sont nécessaires à la « fermeture » de la structure verbale, ils entretiennent une relation particulièrement étroite avec le verbe, dont ils constituent la valence. La
métaphore de la valence, d’origine chimique, a été introduite dans
les études linguistiques par Lucien Tesnière, pionnier des études sur
le « nœud verbal ». Par valence, Tesnière entend le nombre d’actants
6
Le terme « phrase » n’est pas sans lui-même poser problème au niveau de
la théorie linguistique : il est utilisé ici dans son acception la plus banale,
sans prise de position théorique à son sujet, parce qu’il désigne une réalité
grammaticale facilement identifiable par tout lecteur.
184
« OVIDE VEUT PARLER »
que le verbe peut régir, les actants étant eux-mêmes définis comme
les êtres ou les choses participant au procès 7.
L’intérêt de la notion de valence consiste à permettre l’identification d’une sorte d’interface entre la fabula et l’intrigue, au
niveau de la phrase simple. On peut considérer en effet que la
notion du procès 8 mis en action par un verbe recoupe presque
parfaitement la notion de fabula : il s’agit au fond de la référence
que la phrase construit dans l’esprit du lecteur. La valence verbale quant à elle traduit le procès/la fabula en distribuant les
actants au niveau syntaxique. Si l’on considère les positions de
Zephyrus et d’Auster dans la traduction de Marot 9, on voit bien
que les actants jouent le même rôle sémantique en latin et en
français (agent de l’action), mais occupent des positions syntaxiques différentes dans les deux langues 10. Le choix d’un verbe
par le traducteur implique donc le choix d’une valence verbale
et, partant, influence directement la question du maintien de
l’intrigue au niveau de la phrase simple.
Pour rendre compte de la traduction en s’appuyant sur la
notion de valence verbale, il est possible d’avancer les catégories
suivantes (qui ne viennent pas directement de Tesnière) :
– le syntagme nominal sujet (SN sujet) 11
– le syntagme nominal appartenant à la valence verbale
(SN dans valence verbale)
7
8
9
10
11
Marie-José Béguelin et alii, De la phrase aux énoncés : grammaire scolaire et
descriptions linguistiques, De Boeck, Bruxelles, 2000, p. 149.
Tesnière lui-même invite à voir chaque verbe comme une petite pièce de
théâtre. Il appelle « procès » l’histoire que raconte cette pièce de théâtre.
Lucien Tesnière, Eléments de syntaxe structurale, deuxième édition, Paris,
Klincksieck, 1982, p. 102.
Voir p. 133.
On peut souhaiter prendre en considération le fait que, dans les deux langues,
les rôles syntaxiques relèvent de descriptions différentes : le latin, avec la
notion de cas ; le français, avec celle de complément. Il faudrait alors dire : la
position syntaxique des termes en latin et en français est telle qu’elle ne met
pas en relation les positions syntaxiques dont on reconnaît habituellement la
parenté, puisque, en français, les termes « Zephyrus » et « Auster » occupent
des positions de sujet qui ne correspondent pas à des nominatifs latins.
Tesnière place à l’origine le sujet à égalité avec les autres actants, et le situe par
conséquent DANS la valence verbale. Il n’est pas suivi en cela par les typologies
actuelles, raison pour laquelle nous ne définissons pas le sujet comme SN dans
valence verbale. Voir Marie-José Béguelin, De la phrase aux énoncés, p. 150.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
185
– le syntagme nominal n’appartenant pas à la valence verbale (SN hors valence verbale)
– le verbe
La notion de syntagme nominal indique que la grille est articulée sur les niveaux supérieurs de l’organisation du travail du
traducteur : la notion de syntagme permet de subsumer d’autres
éléments syntaxiques, tels que l’article, le déterminant, l’adjectif
qualificatif, ou le complément de nom (lui-même avec ses éléments subsumés). La notion de syntagme verbal n’est cependant
pas retenue en ce qui concerne le verbe pour éviter la confusion
avec certaines descriptions grammaticales qui opposent le
groupe verbal (le verbe et ses compléments valenciels ou non)
avec le sujet grammatical. Il va de soi cependant que l’unité
« verbe » peut être de nature syntagmatique dans le cas des
temps composés ou du passif, par exemple.
A ces quatre unités axées autour de la notion de valence verbale, il est utile d’ajouter deux autres éléments, à savoir :
– l’adverbe
– le connecteur
Les deux unités peuvent naturellement présenter une nature
syntagmatique, c’est-à-dire être composées de plusieurs unités de
la chaîne verbale. L’adverbe, qui est une partie du discours à part
entière aussi bien en latin qu’en français, ne pose pas de problème
particulier, sauf dans la situation où il apparaît comme modificateur d’un adjectif à l’intérieur d’un syntagme nominal : dans ce cas,
il ne sera pas traité comme une unité à part entière, mais dans le
cadre global du syntagme considéré, de façon à obéir à la règle
définie plus haut qui demande de ne s’intéresser qu’aux unités de
niveau supérieur. La catégorie « connecteur » réunit les conjonctions de coordination, les conjonctions de subordination et les pronoms relatifs : en ce qui concerne ces derniers – qui possèdent en
réalité une double nature de connecteur et de pronom – l’observation du travail du traducteur amène à priviliégier la composante
« connecteur » sur la composante « pronom » 12.
12
Pour des raisons de seuil de décidabilité, les adverbes qui font office de
connecteur sont traités dans la catégorie « adverbe ». On se trouve en effet
pour ces situations face à un continuum, et il serait particulièrement difficile
186
« OVIDE VEUT PARLER »
La grille de six éléments ainsi constituée établit une correspondance entre texte source et texte cible à un niveau tel qu’il est
possible d’enregistrer de façon systématique les variations que le
traducteur fait subir aux principaux composants linguistiques du
texte source. Cette grille est relativement conforme à la typologie
des compléments de la sphère verbale (ci-dessous Fig. I) que propose Marie-José Béguelin 13 dans un ouvrage qui fait notamment
le point sur la façon dont les avancées les plus récentes des théories syntaxiques peuvent être exploitées en vue d’une présentation à un public plus large (en particulier, à l’usage des
enseignants). La typologie proposée par Marie-José Béguelin se
présente comme suit :
Fig. I – Béguelin et alli : les compléments de la sphère verbale
On remarque immédiatement que la grille proposée pour
l’étude de la traduction ne retient pas la notion de complément
« non intégré ». Il s’agit d’éléments que certains spécialistes
« considèrent comme des énoncés autonomes que seules nos
habitudes de ponctuation et la prééminence accordée à la phrase
graphique conduisent à mettre au nombre des compléments » 14.
Dans les exemples proposés par Marie-José Béguelin, on retrouve
des éléments tels que (la liste n’est pas exhaustive) : selon la loi,
en principe, en un mot, à mon avis. En raison des habitudes de
ponctuation – qui touchent également le texte latin pour lequel
13
14
de déterminer a priori quel genre d’adverbe doit être traité comme connecteur et quel genre d’adverbe peut être traité comme adverbe.
Marie-José Béguelin, De la phrase aux énoncés, p. 147.
Marie-José Béguelin, De la phrase aux énoncés, p. 149.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
187
la ponctuation est le plus souvent recomposée sur le modèle de
la ponctuation moderne – l’identification des compléments non
intégrés, aussi bien dans le texte source que dans le texte cible,
peut s’avérer particulièrement difficile, raison pour laquelle il a
semblé plus pertinent de les assimiler à la catégorie « SN hors
valence verbale » 15.
Du côté du latin, la question des compléments non intégrés
semble renvoyer plus spécifiquement à la question de l’ablatif
absolu : à bien des égards, cette forme très spécifique à la langue
latine pourrait être considérée comme un énoncé autonome. Il se
trouve cependant qu’ici aussi, les habitudes de ponctuation des
éditions modernes intègrent l’ablatif absolu à la phrase simple.
Pour cette même raison, il semble approprié de traiter l’ablatif
absolu au rang des SN hors valence verbale : comme le but visé
par la grille d’analyse est l’observation du travail du traducteur
et non la description en soi de la langue source ou de la langue
cible, il semble superflu de prétendre résoudre ici le statut spécifique de l’ablatif absolu.
L’interjection, certes assez rare dans le texte d’Ovide, pourrait
être traitée elle-aussi au rang des compléments non intégrés.
Etant donné la rareté du phénomène dans la forme écrite et versifiée que constitue le poème d’Ovide, il est assimilé à l’adverbe,
quitte à nouveau à revenir à la question spécifique de l’interjection, si le besoin se faisait sentir, c’est-à-dire si certaines irrégularités du système devaient être reliées à la question spécifique de
l’interjection.
Un avantage important de la grille établie réside dans sa
compatibilité avec la description des parties du discours par les
grammairiens du XVIe siècle. Il ne s’agit certes pas de prétendre
que ces derniers, voire Marot lui-même, aient en aucune manière
eu l’intuition de la théorie moderne des compléments : celle-ci
dérive notamment de préoccupations hautement étrangères aux
premiers grammairiens du français. Cependant, en projetant la
grille d’analyse retenue sur la description des parties du discours
15
En cas de besoin, l’informatisation des données permet de revenir aux textes
pour délimiter une division entre compléments intégrés non valenciels et
compléments non valenciels, et procéder aux vérifications statistiques
nécessaires.
188
« OVIDE VEUT PARLER »
développées au XVIe siècle, on constate que les unités visées par
la grille d’analyse utilisées pouvaient toutes être identifiées par
le traducteur sur la base des théories de son temps.
D’une part, en effet, l’assimilation de l’adjectif au nom, la
connaissance de la rection de l’article et des autres déterminants
par le nom, ainsi que la connaissance du cas génitif latin poussent
à constituer des syntagmes nominaux équivalents à ceux que
définit la grille d’analyse retenue qui s’appuie quant à elle sur
les théories récentes en matière de syntaxe. Mieux : la connaissance du système des cas latins et les diverses tentatives d’application de ce système à la langue française elle-même permettent
de postuler une différenciation des divers syntagmes constitués
en fonction de la référence aux divers cas latins. Cette différenciation – avant même la constitution de la théorie des compléments 16 – permet d’affirmer de façon quasi certaine que le
traducteur ne pouvait pas confondre les trois catégories : SN
sujet, SN dans valence verbale et SN hors valence verbale.
D’autre part, l’identification du verbe, de l’adverbe et de la
conjonction en tant que parties différentes du discours par les
grammairiens du XVIe siècle permet d’affirmer que le traducteur
ne pouvait pas les confondre avec les syntagmes nominaux considérés par ailleurs dans la grille d’analyse établie pour l’observation de son travail. Par conséquent, contrairement aux séquences
qui n’émergent qu’en lien avec une hypothèse concernant la
façon dont le traducteur organise son travail, les unités de la
grille d’analyse mise au point pour l’étude des composants linguistiques du processus de la traduction possèdent un caractère
plus indépendant de la spéculation sur le travail du traducteur,
puisqu’elles peuvent être mises en lien avec des unités que les
grammairiens du temps de Marot n’auraient pas pu confondre.
Pour autant, il serait faux de considérer que ces unités modélisent de façon directe le travail du traducteur ou, en d’autres
termes, qu’elles mettent directement en contact avec les processus cognitifs à l’œuvre dans le processus de traduction. Elles
constituent simplement une représentation de la langue source et
16
« la notion de complément n’est pas très ancienne dans la tradition grammaticale où elle est venue remplacer le régime de la grammaire latine. » MarieJosé Béguelin, De la phrase aux énoncés, p. 142.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
189
de la langue cible telle qu’il devient possible de délimiter – en
vue de les comparer de la façon la plus systématique possible –
les diverses parties du texte source et du texte cible.
DES UNITÉS LINGUISTIQUES AUX OPÉRATIONS
Une fois définies de façon opérationnelle les unités linguistiques
du texte source et du texte cible qui doivent être mises en relation, il devient possible de mesurer de façon systématique les
différences enregistrées entre les deux versions. Un appareil
d’analyse relativement simple suffit pour caractériser les différences enregistrées, il est basé sur quatre résultats primitifs :
maintien, augmentation, suppression, transformation.
Avant de définir de façon formelle l’outil de mesure utilisé, il
peut être souhaitable de substituer la notion d’opérations à celle
de résultats. Appeler « opérations » les résultats enregistrés
permet à l’intuition de suivre plus facilement la dynamique de
l’analyse. La non-connaissance exhaustive du processus cognitif
de la traduction interdit cependant de prétendre mettre au jour
la réelle infrastructure éventuellement sous-jacente dans le processus de traduction en vue, par exemple, de programmer un
ordinateur imitant le style de Marot traducteur. Les moyens
actuels dont dispose la recherche lui permettent tout au plus de
rendre compte de rides à la surface du texte, laissant imaginer
les courants profonds éventuellement à l’œuvre. Comme la
surface du texte, qu’Umberto Eco appelle « manifestation
linéaire » 17 est le terrain de la critique littéraire, celle-ci est dans
son rôle quand elle établit de façon aussi systématique que possible les conditions de la négociation que mène le traducteur, sans
chercher à définir l’algorithme unique qu’il applique.
Les résultats que l’analyse vise à identifier – et qui seront
désormais appelés « opérations » – sont définis par la combinaison d’une opération primitive et d’une unité linguistique telle
que définie plus haut. Les opérations primitives retenues sont au
nombre de quatre : ajout, maintien, suppression, transformation.
17
Umberto Eco, Dire presque la même chose, p. 57.
190
« OVIDE VEUT PARLER »
La définition formelle de ces quatre primitives se réfère en priorité à la notion de Contenu Nucléaire qu’Umberto Eco définit
dans son ouvrage important sur la référence, Kant et l’ornithorynque 18, et qu’il reprend dans son ouvrage sur la traduction,
Dire presque la même chose :
Nous ignorons ce que quelqu’un a à l’esprit quand il reconnaît un
rat ou comprend le mot rat. Nous ne le savons qu’après que ce
quelqu’un a interprété le mot rat (fût-ce en indiquant du doigt le
rat ou le dessin d’un rat) pour permettre à quelqu’un d’autre, qui
n’a jamais vu de rats, de les reconnaître. Nous ignorons ce qui se
passe dans la tête de celui qui reconnaît un rat, mais nous savons à
travers quels interprétants quelqu’un explique aux autres ce qu’est
un rat. Cet ensemble d’interprétations exprimées, je l’appellerai le
Contenu Nucléaire du mot rat. Le Contenu Nucléaire est visible,
confrontable intersubjectivement parce qu’il est physiquement
exprimé par des sons, et, si nécessaire, des images, des gestes, voire
des sculptures en bronze.
Le Contenu Nucléaire, ainsi que le Type Cognitif qu’il interprète, ne
représente pas tout ce que nous savons sur une unité de contenu
donnée. Il représente les notions minimales, les qualités requises élémentaires pour reconnaître un objet donné ou comprendre un
concept donné – et comprendre l’expression linguistique correspondante 19.
L’intérêt de la notion de Contenu Nucléaire est son caractère
minimal, donc visible, confrontable intersubjectivement : l’analyse de la traduction doit en effet veiller à ne pas se perdre dans
le marais cognitif qui caractérise le processus, et qui développe à
l’infini la question de savoir si une équivalence a été ou non établie, dès lors que l’on considère l’interprétation maximale d’un
terme.
Autour de la notion de Contenu Nucléaire, les opérations primitives se définissent comme suit :
1. Maintien : l’unité linguistique française et l’unité linguistique latine que l’analyse met en rapport partagent le
18
19
Umberto Eco, Kant et l’ornithorynque, Paris, p. 169-304.
Umberto Eco, Dire presque la même chose, p. 103-104.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
191
même Contenu Nucléaire et la même position syntaxique et sont constituées du même nombre d’éléments
de la chaîne verbale 20.
2. Ajout : une partie de l’unité linguistique française et
l’unité linguistique latine partagent le même Contenu
Nucléaire et la même position syntaxique, mais l’unité
linguistique française comporte un nombre plus important d’éléments de la chaîne verbale. Dans certains cas,
l’unité linguistique française ne peut être mise en rapport avec une unité latine explicite 21 : il s’agit alors d’un
ajout pur et simple qui se distingue, dans la série des
opérations d’ajout, à l’augmentation.
3. Suppression : l’unité linguistique française et une partie
de l’unité linguistique latine partagent le même Contenu
Nucléaire et la même position syntaxique, mais l’unité
linguistique latine comporte un nombre plus important
d’éléments de la chaîne verbale. Dans certains cas,
aucune unité linguistique française ne rend compte
d’une unité latine 22.
4. Transformation : l’unité linguistique française et l’unité
linguistique latine ne partagent par le même Contenu
Nucléaire et/ou la même position syntaxique. Seul le
contexte permet au lecteur de calculer une interprétation
identique pour les deux unités linguistiques, ainsi que
pour le procès dont elles sont les actants, particulièrement si celui-ci ne repose pas sur la même valence
verbale.
Les quatre opérations primitives se combinent avec les six
unités linguistiques pour composer vingt-quatre opérations
20
21
22
Pour le décompte, les articles et les prépositions construisant le complément
du nom sont laissés de côté.
L’analyse fera la différence entre l’ajout – augmentation et le pur ajout en
fonction de l’existence ou non d’une unité linguistique latine correspondante.
L’analyse fera la différence entre l’ajout – diminution et la pure suppression
en fonction de l’existence ou non d’une unité linguistique française correspondante.
192
« OVIDE VEUT PARLER »
complexes 23. Pour chacune des séquences définies lors de la description du travail du traducteur, les opérations ont été enregistrées dans une base de données informatique, ce qui permet le
dénombrement systématique et rapide des éléments observés.
Il convient toutefois de souligner que – si le dénombrement
fait appel à l’outil informatique – l’observation, elle, n’est pas le
fruit d’un algorithme automatique, mais d’un étiquetage humain.
Cela signifie qu’il existe une marge d’erreur réelle liée soit à
l’oubli d’éléments, soit à des erreurs d’enregistrement (confusion
dans l’analyse, faute de frappe). Les données enregistrées ont
bien évidemment été vérifiées à plusieurs reprises, mais il n’est
pas possible de prétendre disposer de données totalement
exemptes de confusion. Les résultats obtenus doivent donc être
traités en prenant en compte une marge d’erreur raisonnable.
C’est pourquoi, seuls les phénomènes statistiques franchement
accusés seront pris en compte.
Les 24 opérations complexes issues de la combinaison de 6
unités avec 4 opérations sont toutes réalisées, mais les fréquences
enregistrées s’avèrent très variables. Le tableau ci-dessus propose
le dénombrement de l’ensemble des opérations. La colonne de
gauche présente les opérations en suivant un classement alphabétique correspondant à la façon dont les opérations sont extraites
de la base de données. La colonne de droite propose un classement dans l’ordre décroissant du nombre d’occurrences enregistrées.
Classement alphabétique
Classement par fréquence
Opérations complexes
Total
Opérations complexes
Total
Ajout adverbe
180
Maintien verbe
668
Ajout connecteur
168
Ajout verbe
333
Ajout SN dans valence verbale 300
Maintien connecteur
323
Ajout SN hors valence verbale 237
Maintien SN dans valence
verbale
310
23
Les opérations complexes peuvent être désignée selon deux conventions différentes (par exemple pour l’opération composée de l’opération primitive
« maintien » et de l’unité « sujet » : l’opération « maintien sujet » ou le maintien du sujet.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
193
Ajout SN sujet
189
Ajout SN dans valence verbale 300
Ajout verbe
333
Ajout SN hors valence verbale 237
Maintien adverbe
143
Maintien SN sujet
224
Maintien connecteur
323
Maintien SN hors valence
verbale
218
Maintien SN dans valence
verbale
310
Ajout SN sujet
189
Maintien SN hors valence
verbale
218
Ajout adverbe
180
Maintien sn sujet
224
Ajout connecteur
168
Maintien verbe
668
Transformation verbe
151
Suppression adverbe
30
Maintien adverbe
143
Suppression connecteur
49
Transformation SN sujet
130
Suppression SN dans valence 31
verbale
Transformation SN dans
valence verbale
123
Suppression SN hors valence 13
verbale
Transformation SN hors
valence verbale
101
Suppression SN sujet
37
Transformation connecteur
79
Suppression verbe
28
Suppression connecteur
49
Transformation adverbe
48
Transformation adverbe
48
Transformation connecteur
79
Suppression SN sujet
37
Transformation SN dans
valence verbale
123
Suppression SN dans valence 31
verbale
Transformation SN hors
valence verbale
101
Suppression adverbe
30
Transformation SN sujet
130
Suppression verbe
28
Transformation verbe
151
Suppression SN hors valence
verbale
13
Total
4113
Total
4113
La prise en considération de la fréquence des opérations relevées permet une série d’observations de premier niveau situant
le cadre général de l’analyse.
On peut remarquer d’abord que le nombre moyen d’occurrences d’une opération est environ 170 : aucune opération liée à
la transformation ou la suppression ne dépasse ce nombre
194
« OVIDE VEUT PARLER »
d’occurrences, alors que toutes les opérations liées à l’ajout et au
maintien sont au-dessus, à l’exception du maintien de l’adverbe
qui enregistre tout de même un score de 146.
Le classement par ordre alphabétique fait apparaître une
logique de distribution des opérations complexes par type d’opération primitive, plutôt que par unité, qui est révélatrice dans la
mesure où elle ne dépend pas du nombre d’occurrences des
unités linguistiques dans le texte source. En d’autres termes, la
position des opérations en fonction de la moyenne n’est pas décidée par la nature du texte source, mais par les actions relevées
dans le processus de traduction. La hiérarchie des opérations qui
apparaît alors nettement est la suivante : maintien > ajout > transformation > suppression.
Le faible score obtenu par les opérations de suppression n’est
en soi guère suprenant : on imagine bien que le cœur du travail
du traducteur consiste à maintenir la part la plus importante possible du texte source dans le texte cible. Un traducteur qui effacerait systématiquement des parts importantes du texte cible
apparaîtrait comme niant l’essence même de la traduction.
Cependant, il y a plus à tirer de cette observation : étant donné
la façon dont a été définie la notion, la faible occurrence des opérations de suppression permet d’exclure une autre hypothèse
dans le travail de Marot traducteur, à savoir le transfert des
contenus nucléaires d’une unité linguistique à une autre, comme
dans la séquence suivante :
Ovide, v. 556
Edition Defaux, v. 1099-1100
Oscula dat ligno ; refugit tamen oscula lignum. Il baise l’arbre, & tout ce nonobstant,
A ses baisers l’arbre va resistant.
Le sens « baiser » dans « oscula » (SN dans la valence verbale)
passe dans le verbe français « baiser ». Le contenu nucléaire du
SN est transféré dans celui du verbe. On note que dans ce cas,
l’analyse enregistre la suppression du SN hors valence verbale et
la transformation du verbe. Le faible nombre de suppressions
globalement enregistré permet d’exclure le transfert de Contenu
Nucléaire comme forme importante de la traduction marotique.
La proximité entre le latin et le français explique sans doute
largement que Marot n’ait pas eu à jouer sur le transfert des
Contenus Nucléaires, mais le fait de pouvoir exclure statistique-
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
195
ment que cette pratique soit récurrente chez Marot permet de
mieux en apprécier les rares occurrences. Celles-ci font en effet
partie des options retenues par Marot et doivent, à ce titre, être
situées dans la technique qu’il applique.
L’opération la plus fréquente – « maintien du verbe » – obtient
un score particulièrement élevé de 668 occurrences. Cette prééminence de l’opération « maintien du verbe » permet d’approcher
de façon plus précise la question du traitement de l’intrigue au
niveau de la phrase par le Marot traducteur. On se souvient que
le maintien de l’intrigue est une condition nécessaire de la traduction selon Umberto Eco et qu’au niveau de la phrase l’intrigue peut ou non être maintenue sans que soient remis en
question les niveaux supérieurs de l’intrigue que sont le poème
singulier (soit les épisodes narratifs dans Les Métamorphoses) et
l’organisation des chants de l’épopée (soit la succession des épisodes dans Les Métamorphoses). Le nombre très important
d’occurrences du maintien du verbe permet d’établir que Marot
traduit en maintenant aussi fortement que possible l’intrigue au
niveau de la phrase. Cette tendance est confirmée par le score très
élevé qu’obtient également l’opération « maintien du SN dans la
valence verbale » : contrairement au sujet – qui est souvent en
ellipse dans la langue de Marot – ou au SN hors de la valence
verbale, le SN dans la valence verbale est un constituant le plus
souvent obligatoire du procès (au sens de Tesnière) qu’organise
la valence verbale. Le score élevé de l’opération « maintien du
SN dans la valence verbale », comme celle de maintien du verbe,
apparaît logique dans un contexte de conservation de l’intrigue
au niveau de la phrase.
Le non-redécoupage des Contenus Nucléaires, ainsi que la
prééminence des opérations de maintien permettent d’établir que
la plus grande partie du travail de Marot traducteur s’appuie sur
un respect relativement strict du texte source. De ce point de vue,
Marot s’écarte assez nettement de l’adage d’Horace qui conseille
de renoncer au « mot à mot », dans la mesure où ce dernier est
compris en termes de tendance, et non en termes absolus. On se
souvient cependant de la difficulté de situer le travail de Marot
en prenant en compte l’opposition de « horacianisme/littéralisme » 24 au cœur de la synthèse de Norton, difficulté apparue
24
Voir p. 106.
196
« OVIDE VEUT PARLER »
au moment de comparer la première églogue de Marot et celle
de Guillaume Michel de Tour. Il faut bien voir que le problème
provient, en dernière analyse, du présupposé selon lequel il est
possible de passer, sous la forme de la déduction, du contexte
intellectuel à la réalisation textuelle : la date des traductions de
Marot les rend contemporaines de la plus forte influence de
l’horacianisme en France 25, alors que les deux premiers livres
des Métamorphoses par Marot sont repris avec la traduction du
Livre III par Aneau que Norton désigne comme un parangon du
littéralisme 26. Le décompte systématique des opérations permet
de situer la question dans un cadre plus révélateur : si plus du
tiers des opérations réalisées est liée au maintien (1800 environ
sur environ 4100), l’analyse révèle une quantité d’autres opérations effectuées par le traducteur. Le caractère « entre deux » du
travail de Marot peut en quelque sorte être quantifié, et l’on comprend pourquoi il n’est pas si facile de décider comment situer
ce travail dans l’opposition « horacianisme/littéralisme » exploitée par Norton.
DÉNOMBREMENT DE L’AJOUT
ET COMMENTAIRES CRITIQUES
La question de l’ajout a été identifiée dans plusieurs articles
consacrés au Premier Livre, ce qui offre l’occasion de contraster la
méthode d’analyse appliquée dans la présente étude aux
approches plus classiques. La mise en parallèle du texte d’Ovide
et de celui de Marot fait rapidement apparaître un rapport de un
vers latin pour deux vers français qui donne une idée approximative du volume d’ajout opéré par le traducteur. L’observation doit
être mise en relation avec le fait que l’ « Epigramme de Salmonius
mys de Latin en Françoys » 27 présente un rapport de un vers
français pour un vers latin : il est par conséquent impossible de
conclure à une nécessité a priori d’une version française nécessi25
26
27
Glyn P. Norton, The Ideology and language of translation in Renaissance
France, p. 60.
Glyn P. Norton, The Ideology and language of translation in Renaissance France,
p. 115-122.
Marot, TII, p. 271.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
197
tant deux vers français pour un vers latin, en raison d’un rapport
fixe entre les deux langues. Ce premier enseignement peut être
corroboré par quelques vérifications rapides qui permettent de se
rendre compte que le volume pris par la version française n’est
pas lié non plus aux éléments français « obligatoires », tels que
les articles, par exemple. L’analyse serrée de l’approche de l’ajout
dans des articles basés sur des extraits du Premier Livre permet
au contraire de se rendre compte à quel point il est nécessaire
d’envisager la question au sein du système général de la traduction chez Marot.
Dans son étude consacrée aux traductions des Métamorphoses
en France du XVe au XVIIIe siècle, Ghislaine Amielle 28 se livre à
un rapide examen du travail de Marot à travers la description de
l’Age de Fer, examen dans lequel elle fait essentiellement ressortir
le recours à l’ajout :
La traduction de Marot est à l’inverse remarquable d’exactitude, si
l’on excepte les termes de remplissage dont elle fourmille. Certains
permettent la rime, tels total, flaterie, maistre, lune, partiz, malheurs, nuisant, et oste. D’autres et notamment les synonymes
casse et rompt, emble et oste et l’accumulation sont nécessaires
pour obtenir la mesure, le nombre oratoire voulu. Marot étoffe au
besoin le texte, sans doute aussi pour l’éclaircir. Il éprouve ainsi le
désir d’expliciter l’animosité du fils envers son père. Il mentionne
encore le nom familièrement donné à Astrée, de peur qu’on ne la
reconnaisse pas. Quelques-unes parmi ces chevilles visent à l’amplification rhétorique du poème :
Lors Guerre sort, qui par ces deux Metaux
Fait des combats inhumains et brutaux,
Et casse, et rompt de main sanguinolente,
Armes cliquans soubz force violente.
Une gradation résulte de la juxtaposition des adjectifs fins, cautz
et deceptifs, appliquée aux mesureurs, comprenons les arpenteurs.
Cette accumulation n’a pas pour unique but de conférer de la copia
à la traduction, elle revêt par ailleurs une connotation morale de
même que l’épithète de richesse, vaines, l’introduction d’avarice, de
mondaine opulence, et le développement déjà cité. Il n’existe ici
28
Ghislaine Amielle, Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses
d’Ovide, p. 246-248.
198
« OVIDE VEUT PARLER »
aucune interférence chrétienne, aucune glose intertextuelle. Néanmoins, les procédés rhétoriques auxquels le poète a recours (personnification de Pitié), concourent à donner l’impression d’une peinture
subjective de l’Age de Fer, encore qu’en apparence Marot ne semble
que renchérir sur l’original. La proscription de références trop précises aux réalités antiques – des périphrases désignent le Styx et
l’aconit – indique que le public visé, peu versé dans les lettres
anciennes, ne peut appréhender de telles sources sans le recours des
schèmes médiévaux véhiculés par les rééditions du Grand Olympe,
texte concurrent de celui de Marot.
Le commentaire de Ghislaine Amielle associe très directement
certaines valeurs aux ajouts de Marot traducteur. On notera en
particulier :
– l’ajout considéré comme une cheville pure et simple :
« termes de remplissage » à la rime ou pour soutenir le
rythme
– l’ajout considéré comme une plus value esthétique : gradation résultant de la juxtaposition des adjectifs « fins »,
« cautz » et « deceptifs »
– l’ajout considéré comme une modification du sens du
texte : connotations morales de certains adjectifs, peinture « subjective » de l’Age de Fer
– l’ajout considéré comme une adaptation au goût du
public visé : personnifications des valeurs morales, périphrases pour le Styx et l’aconit
Il ne s’agit pas en priorité de contester la pertinence de l’analyse
de Ghislaine Amielle sur les points observés, mais de se demander
si l’ensemble du commentaire repose sur une vision cohérente du
travail du traducteur. La contradiction entre les deux premières
valeurs attribuées à l’ajout est ici remarquable : cheville besogneuse lorsqu’il apparaît à la rime, il acquiert une forme de
noblesse s’il ajoute une figure de rhétorique – la gradation – qui
n’était pas dans Ovide. Manifestement, la critique applique ici une
sorte de système de bons et de mauvais points, sans chercher à évaluer la valeur en soi des versions adoptées par le traducteur, qui
peuvent avoir – au-delà de la cheville – une valeur propre. L’observation plus précise des ajouts auxquels se livre Marot permettra
d’enrichir sensiblement la perception du phénomène.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
199
Les remarques de Ghislaine Amielle sur la modification du sens
du texte et l’adaptation aux goûts du public vont également dans
le sens d’une prise en compte plus globale de l’ajout. Elles dessinent une sorte d’intention commune à l’ensemble des éléments
mis au jour, qui vise à livrer d’Ovide une version plus explicite,
en particulier pour les lecteurs contemporains. Les connotations
morales – qu’à juste titre Ghislaine Amielle n’identifie pas à une
interprétation chrétienne – produites par les ajouts vont dans le
sens général du texte d’Ovide dont elles soulignent la portée,
alors que les personnifications et les périphrases le rendent plus
accessible pour le public visé. Au-delà des facilités techniques
ponctuelles, on devine une intention plus générale du traducteur,
intention d’ailleurs exprimée très clairement dans la dédicace du
Premier Livre au travers de l’appel à l’utilité impérative d’une
version exempte de glose et proche de la lettre. L’étude de l’ajout,
puis de l’ensemble des dispositifs techniques utilisés par Marot,
permettra de voir plus précisément avec quels procédés techniques le poète met en œuvre cette déclaration d’intention.
D’autres critiques ont, à l’occasion du Colloque Clément Marot
« Prince des poëtes françois » traité de la question de l’ajout dans le
Premier Livre : Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant 29
ont décrit « l’évolution des programmes narratifs dans les Métamorphoses », alors que Pierre Maréchaux 30 met en lumière dans
« l’arrière-fable » les emprunts nombreux de Marot à Regius. Les
deux articles s’appuient – avec des méthodologies très différentes
– sur l’observation d’ajouts réalisés par le traducteur. Revenir
rapidement aux arguments centraux de chaque commentaire
permet d’en mesurer la pertinence face aux données statistiques
issues de l’informatisation des données.
Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant appuient leur
recherche sur une comparaison systématique de certains passages clés :
Notre hypothèse suppose un écart entre l’original et la traduction,
et le constate par la comparaison systématique entre les deux textes.
29
30
Jean-Claude Moisan, Marie-Claude Malenfant, « D’Ovide à Marot : l’évolution des programmes narratifs dans les Métamorphoses », Actes Cahors,
p. 91-105.
Pierre Maréchaux, « L’arrière-fable ».
200
« OVIDE VEUT PARLER »
L’objectif est alors de voir comment la traduction fonctionne et pourquoi certaines modifications s’y intègrent en s’interrogeant sur les
« objectifs » déclarés du texte d’origine et sur la récurrence de certains « réflexes » à l’égard du texte d’origine, comme par exemple,
chez Marot, ces interventions fréquentes au chapitre des transitions,
de l’explicitation des liens familiaux entre les personnages, de
l’expression des liens de causalité ou encore, de la précision de la
consécution narratives 31.
Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant recherchent
ensuite, au-delà des ajouts explicatifs du type « paraphrase » ou
« glose », les transformations pouvant avoir « un impact sur la
trame narrative » 32. Ils proposent alors de montrer quel est l’effet
des modifications opérées par le traducteur sur « chacune des
parties du déroulement narratif manipulation – compétence – performance – sanction 33». Plusieurs passages, tels que la querelle entre
Phébus et Cupidon, celle entre Phaéton et Epaphus, la colère de
Junon contre Io et Callisto ou le discours de Mercure à Argus
sont ensuite analysés pour illustrer en quoi la traduction de
Marot constitue un « travail poétique rigoureux dont le motif,
plus ou moins conscient, est de rendre plus vraisemblables certains comportements, plus pitoyables certaines situations, plus
merveilleuses certaines métamorphoses… » 34
Comme pour Ghislaine Amielle, ce n’est pas l’analyse critique
en soi des passages de la traduction de Marot par Jean-Claude
Moisan et Marie-Claude Malenfant qui doit être examinée, mais
la capacité de cette analyse à rendre compte de la cohérence du
travail du traducteur. L’article de Jean-Claude Moisan et MarieClaude Malenfant repose tout entier sur deux principes d’analyse qui orientent le commentaire :
1. sélection des phénomènes d’ajout, de préference à tout
autre phénomène
2. focalisation sur les parties du déroulement narratif :
manipulation – compétence – performance – sanction
31
32
33
34
Jean-Claude
Jean-Claude
Jean-Claude
Jean-Claude
Moisan,
Moisan,
Moisan,
Moisan,
Marie-Claude
Marie-Claude
Marie-Claude
Marie-Claude
Malenfant,
Malenfant,
Malenfant,
Malenfant,
« D’Ovide
« D’Ovide
« D’Ovide
« D’Ovide
à
à
à
à
Marot »,
Marot »,
Marot »,
Marot »,
p.
p.
p.
p.
94.
96.
98.
104.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
201
A partir de ces deux principes, le commentaire établit simplement la capacité de Marot à ajouter au texte d’Ovide des éléments cohérents avec le déroulement narratif voulu par le poète
latin : à nouveau donc, le commentaire s’oriente très vite vers
une appréciation qualitative du travail de Marot, la différence
avec Ghislaine Amielle étant que Jean-Claude Moisan et MarieClaude Malenfant semblent mieux intentionnés vis-à-vis de
Marot.
En soi, cependant, l’approche des deux critiques a pour conséquence d’éclairer de façon un peu hâtive certains aspects du travail de Marot. Certaines difficultés caractéristiques apparaissent
dans le commentaire qu’ils proposent du discours que Mercure
aurait pu tenir à Argus, soit le passage :
Ovide, v. 700-712
Edition Defaux, v. 1388-1412
1
estabat uerba referre
Brief, mainte aultre adventure
Restoit encor à dire par Mercure,
2
Et precibus spretis fugisse per auia nympham, C’est assçavoir (tel’ priere ennuyante
Mise à despris) La Nymphe estre fuyante
Par boys espaiz,
3
Donec harenosi placidum Ladonis ad amnem
tant que de grand randon
Venerit ;
Vint jusque au bort du sablonneux Ladon,
Fleuve arresté :
4
hic illam cursum impedientibus undis,
& comment à la suyte,
Vt se mutarent, liquidas orasse sorores ;
Lors que les eaues empescharent sa fuyte,
Panaque, cum
Ses cleres sœurs pria illecques pres
De la muer : aussi comment apres
Que Pan
5
prensam sibi iam Syringa putaret,
cuyda Syringue par luy prise,
Corpore pro nymphae
En lieu du corps de la Nymphe requise,
6
calamos tenuisse palustres ; Tint en ses mains des cannes, & roseaux
Croissants autour des paludz, & des eaux.
7
Dumque ibi suspirat, motos in harundine Comment aussi, quand dedans anhela,
uentos
Le vent esmeu dedans ces cannes là
202
« OVIDE VEUT PARLER »
8
Effecisse sonum tenuem similemque querenti ; Y feit ung son delicat en voix faincte
Semblable à cil d’ung cueur, qui faict sa
[plaincte
9
Arte noua vocisque deum dulcedine captum : Et comment Pan surpris du son predict,
« Hoc mihi colloquium tecum » dixisse
Et du doulx art tout nouveau luy a dit :
« manebit » ; Cestuy parler, & chant, en qui te deulx
Sera commun tousjours entre nous deux.
10
Atque ita disparibus calamis conpagine cerae Aussi comment, pour eternel renom,
Inter se iunctis nomen tenuisse puellae.
Deslors retint, & donna le droit nom
De la pucelle à ces flustes rurales,
Joinctes de cyre en grandeur inegalles.
Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant proposent un
commentaire basé sur une interprétation métatextuelle de
l’ouverture des premiers vers du passage :
Les modifications sur la consécution narrative, ainsi que leur
disposition même, peuvent également avoir un impact sur le parcours narratif des personnages. L’un des exemples les plus
convaincants est le discours que Mercure aurait pu tenir à Argus
si celui-ci ne s’était endormi. Ovide, dans la version de Regius
écrit : « Restabat plura referre » que Marot traduit assez fidèlement par « Maint autre adventure / Restoit encor à dire ». Mais
il prendra alors à la lettre ce « plura » en multipliant, des vers
1387 à 1412, les ajouts, du simple mot au vers entier : épithètes,
appositions, adverbes, relatives explicatives, compléments circonstantiels, comme si la longueur du récit ajoutait encore à la
résistance de la nymphe au désir de Pan. D’autant que dans cet
exercice de copia, Marot choisit des images qui accentuent le
champ sémantique de la fuite de la nymphe (le « ne pas vouloirfaire » : Syrinx fuit par « bois espaiz » et « de grand randon »)
et du désir du dieu Pan (le « vouloir faire » : la « Nymphe »
devient requise dans le texte français) 35.
Encore une fois, il ne s’agit pas de remettre en cause la valeur
de l’analyse des éléments ponctuels, mais la vision d’ensemble
que le commentaire donne du passage. Celui-ci met en lumière
35
Jean-Claude Moisan, Marie-Claude Malenfant, « D’Ovide à Marot », p. 103.
203
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
une volonté de Marot de « multiplier » les ajouts. Il est possible
d’observer d’emblée que le passage met en relation 13 vers latins
pour 26 vers français, et ne déroge pas conséquent en aucune
manière à la proportion observée systématiquement dans le Premier Livre. Il n’y a donc a priori aucune raison de penser que
Marot ait plus ajouté dans ce passage qu’ailleurs dans le texte.
En soi, le volume d’ajout caractérise le travail de Marot vis-à-vis
de celui d’autres traducteurs, mais ce qui est en cause ici, c’est la
réalité d’un exercice de copia d’un volume inhabituel dans
l’extrait considéré.
On peut toutefois observer l’origine de l’effet de copia
évoqué par les deux critiques en comparant les fréquences
relatives des opérations observées dans l’ensemble de la traduction avec les fréquences relevées dans le passage pris en
compte. Les formules appliquées pour le calcul des fréquences
s’énoncent comme suit :
Soit, à l’intérieur du Premier Livre ou dans l’extrait considéré :
1. apop : le nombre d’apparitions d’une opération
2. totop : le nombre total d’opérations
Fréquence dans le Premier Livre = apop / totop
Opérations
Fréquence dans
Premier Livre
Fréquence dans
l’extrait
Ajout adverbe
0.04
0.03
Ajout connecteur
0.04
0.10
Ajout SN dans valence verbale
0.07
0.10
Ajout SN hors valence verbale
0.06
0.15
Ajout SN sujet
0.05
0.015
Ajout verbe
0.08
0.015
Maintien adverbe
0.03
Maintien connecteur
0.08
0.03
Maintien SN dans valence verbale
0.08
0.05
Maintien SN hors valence verbale
0.05
0.06
Maintien SN sujet
0.05
0.08
204
« OVIDE VEUT PARLER »
Maintien verbe
0.16
0.2
Maintien adverbe
0.01
Suppression adverbe
0.01
0.02
Suppression connecteur
0.01
0.03
Suppression SN dans valence verbale
0.01
Suppression SN hors valence verbale
0.005
Suppression SN sujet
0.01
Suppression verbe
0.01
Transformation adverbe
0.01
0.03
Transformation connecteur
0.02
0.03
Transformation SN dans valence verbale
0.03
0.03
Transformation SN hors valence verbale
0.02
0.015
Transformation SN sujet
0.03
0.015
Transformation verbe
0.04
La comparaison de la fréquence relative des opérations entre
le Premier Livre et l’extrait permet de voir que les opérations
« ajout connecteur », « ajout SN dans valence verbale » et « ajout
SN hors valence verbale » enregistrent un nombre d’occurrences
supérieur à la moyenne. Alors que les opérations « ajout
adverbe », « ajout SN sujet » et « ajout verbe » présentent quant
à elles des fréquences nettement au-dessous de la moyenne. Si
Marot n’ajoute pas plus, il ajoute en revanche tout à fait différemment dans ce passage par rapport au reste du Premier Livre. Il est
utile d’examiner plus avant les ajouts spécifiques réalisés.
En ce qui concerne l’ajout dans la valence verbale, l’écart entre
extrait et moyenne du Premier Livre se réduit en fait à une occurrence de plus. Il serait tout à fait gratuit de tenter une explication
à un phénomène aussi évanescent. Il s’agit donc de rendre
compte des opérations « ajout SN hors valence verbale » et de
« ajout connecteur ».
Il est possible de quantifier en nombre d’occurrences la
déviance de l’opération « ajout SN hors valence verbale » : si
une fréquence de 0.15 correspond à 10 occurrences, une fréquence de 0.06 – le taux général – correspond à 4 occurences.
L’étude statistique du Premier Livre permet également d’établir
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
205
un rapport de 50/50 36 entre les augmentations 37 et les ajouts
purs 38 pour l’opération « ajout SN hors valence verbale ». En
considérant qu’il y a dans le passage 6 occurrences de plus de
l’opération par rapport à ce qui aurait pu être calculé sur la base
de la moyenne, on pourrait s’attendre à voir 3 opérations d’augmentation et 3 ajouts purs.
Le passage dénombre cinq occurrences de l’opération « ajout
SN hors valence verbale » qui sont des purs ajouts du traducteur.
En comparaison avec les moyennes enregistrées pour le Premier
Livre, cela représente 3 occurrences supplémentaires. Il est donc
possible d’affiner l’orientation donnée par Marot aux ajouts qu’il
fait dans le passage. Il a eu recours nettement plus souvent que
dans le Premier Livre à l’ajout pur et simple de SN hors valence
verbale, tout en contrôlant le volume global des ajouts, de telle
sorte qu’il n’aboutisse pas à une augmentation significative du
nombre de vers français.
Il n’est pas inutile dès lors d’observer de plus près les opérations effectivement réalisées, pour mieux saisir l’action de Marot
traducteur. En ce qui concerne, les purs ajouts de SN hors valence
verbale, les occurrences suivantes sont à considérer :
1.
2.
3.
4.
5.
Séquence
Séquence
Séquence
Séquence
Séquence
1 : « par Mercure », à la rime
3 : « de grand randon », à la rime
6 : « en ses mains »
8 : « en voix faincte », à la rime
10 : « pour eternel renom », à la rime
Seul l’ajout no 2 a été commenté spécifiquement par JeanClaude Moisan et Marie-Claude Malenfant, mais les autres participent évidemment de la multiplication des ajouts qu’ils
évoquent. Il y a fort à parier, cependant, qu’une analyse menée
dans l’esprit de celle de Ghislaine Amielle verrait avant tout dans
cette collection une série de chevilles pures et simples. Il suffit de
36
37
38
Le rapport exactement enregistré est 51/49. Pour le raisonnement qui suit,
il est préférable d’arrondir à 50/50.
Augmentation : l’unité linguistique existe dans le texte source, et elle est
augmentée par le traducteur.
Ajout pur : l’unité linguistique n’existe pas dans le texte source, elle est
purement et simplement introduite par le traducteur.
206
« OVIDE VEUT PARLER »
noter ici que l’intensification de l’ajout au niveau du SN hors
valence verbale correspond – dans cette liste – à trois occurrences,
même s’il n’est pas possible de préciser lesquelles.
Les occurrences de l’opération « ajout SN hors valence verbale » qui sont des augmentations de l’unité linguistique du texte
source sont les suivantes :
1
Séq. 2
precibus spretis
tel’ priere ennuyante mise à depris
2
Séq. 2
per auia
par boys espaiz
3
Séq. 3
ad haresoni Ladonis amnem placidum au bort du sablonneux Ladon,
fleuve arresté
4
Séq. 5
Corpore pro Nymphae
en lieu du corps de la Nymphe
requise
5
Séq. 9
Arte nova vocis dudelcine
du son predict et du doux art nouveau
Seule l’augmentation no 4 apparaît à la rime.
Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant ont explicitement fait allusion aux augmentations no 2 et no 4 dans leur commentaire. Le fait de rendre « auia » par « boys espaiz » constituet-il véritablement l’intensification dont parlent les deux critiques ? Le commentaire de Regius transforme le mot latin en
adjectif : « Per avia. p[er] loca invia. » 39 Le choix de Marot ne
touche donc pas véritablement l’ajout de l’adjectif « espaiz » qui
rend finalement assez bien le sens « impraticable, impénétrable » 40, mais plutôt le choix du nom « bois » qui n’est pas véritablement présent chez Ovide 41 : Marot a-t-il véritablement
surenchéri sur l’idée d’Ovide d’une fuite à travers « des lieux
sans chemin » ou, plus simplement, donné une image de ce que
pouvait être ces lieux ? Incontestablement, il y a une part d’interprétation dans la version de Marot, mais va-t-elle uniquement
dans le sens de la multiplication des ajouts ? Quant à l’adjectif
« requise » qui apparaît dans la séquence 5, sa présence à la rime
interdit de voir dans le renforcement de la narration le seul et
unique motif de l’ajout : il ne s’agit pas non plus, d’ailleurs, de
le réduire à une simple cheville. Il suffit pour le moment de noter
39
40
41
Regius, p. 46.
Gaffiot, Dictionnaire abrégé Latin-Français, Paris, Hachette, 1936.
Lafaye donne « à travers champs » dans Ovide, TI.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
207
que cet ajout n’est pas d’une nature si inhabituelle dans les pratiques courantes de Marot traducteur.
L’opération « ajout connecteur » enregistre quant à elle un
écart de 4 occurrences : elle est utilisée 7 fois, alors que la
moyenne du Premier Livre conduit à calculer 3 occurences. Or, on
constate parmi les 7 occurrences de l’opération, la présence de 4
« comment » (séquences 4, 7, 9) : toutes ces occurences sont liées
à l’expression du discours indirect en français qu’il est plus explicite de construire à l’aide d’une subordonnée introduite par une
conjonction que par une infinitive. Moisan et Malenfant ont
remarqué ces occurrences et donnent le commentaire suivant :
Mais surtout Marot construira ce discours indirect, que devait dire
Mercure […], en sections de longueur relativement égales, toutes
introduites par l’adverbe « comment » en position d’anaphore.
Construction qui met en relief l’ordonnance de ce récit, depuis la
fuite de Syrinx, sa métamorphose, jusqu’à la prise de possession de
l’attribut par Pan 42.
Le commentaire des deux critiques est légitime, s’il s’agit de
commenter l’effet des choix opérés par Marot : incontestablement,
le recours à l’anaphore met en évidence le caractère de récit
enchâssé du discours de Mercure. Le point qui semble contestable
est l’idée, certes plutôt sous-entendue qu’exprimée explicitement
par Moisan et Malenfant, que l’apparition des « comment » soit
exclusivement liée à cette volonté. Le contexte syntaxique de leur
apparition doit également être pris en compte. Il n’est pas possible
de lier la variation enregistrée du nombre d’ajouts de connecteurs
uniquement à l’idée qu’elle constitue une augmentation induite
par le plura du début, il faut prendre en compte la structure liée
au discours indirect en tant que forme syntaxique. Ce qui apparaît
alors, c’est un dispositif qui permet de situer le discours de Mercure en dehors du récit de la mort d’Argus.
Les opérations « ajout SN hors valence verbale » et « ajout
connecteur » ne constituent certes pas les seuls ajouts que l’on
trouve dans le passage. Il faut voir cependant que le reste des
ajouts présente, pour chaque unité syntaxique, des taux inférieurs à la moyenne enregistrée dans le Premier Livre. En d’autres
42
Jean-Claude Moisan, Marie-Claude Malenfant, « D’Ovide à Marot », p. 103.
208
« OVIDE VEUT PARLER »
termes, la singularité du passage que décrivent Moisan et Malenfant est essentiellement contenue dans les variations enregistrées
au niveau des SN hors valence verbale et des connecteurs. Après
examen des données du texte, il semble impossible de suivre
Moisan et Malenfant lorsqu’ils écrivent que Marot prend le plura
à la lettre en « multipliant les ajouts ». Il y a certes dans le passage
une orientation différente des ajouts, mais globalement ceux-ci
ne sont pas véritablement plus nombreux ou plus saillants que
dans le reste du texte. On peut naturellement inférer que Marot
a exploité l’idée d’un discours à augmenter puisqu’il s’agit de ce
que Mercure aurait dit en plus, mais il est exagéré de soutenir
que tous les dispositifs à l’œuvre dans le passage dépendent
exclusivement de cette intuition.
Ce dernier point semble capital dans l’étude de la traduction.
Les faits commentés par Moisan et Malenfant existent bel et bien,
mais il est réducteur de les identifier uniquement à l’intensification des indicateurs de déroulement narratif. Ils appartiennent à
un système plus large qui n’est pas uniquement conditionné à la
question de la progression narrative. Il est tout à fait naturel
qu’elle soit intensifiée par une méthode qui fait une place importante à l’ajout. Pour autant, la description de cette intensification
ne peut à elle seule rendre compte du phénomène de l’ajout. Les
deux critiques semblent être tombés dans un piège courant en
matière d’étude de la traduction : quelle que soit la grille d’analyse appliquée à l’exercice, des résultats probants peuvent être
enregistrés, mais la question est de savoir dans quelle mesure la
grille choisie est susceptible de rendre compte de la cohérence du
travail du traducteur.
L’article de Pierre Maréchaux intitulé « L’arrière-fable » ne
traite pas prioritairement des ajouts de Clément Marot dans sa
traduction, mais plus généralement de la dette du poète français
envers les humanistes italiens Regius et Dal Pozzo. A la fin de
l’article, toutefois, Pierre Maréchaux, à la suite d’autres critiques
dont Jean-Claude Moisan 43, s’intéresse plus particulièrement aux
43
Jean-Claude Moisan, « Clément Marot et Raphaël Regius : l’insertion de la
glose et du commentaire dans la traduction des Métamorphoses d’Ovide »,
Acta Conventus Neo-Latini Hafniensis, Proceedings of the Eigth International
Congress of Neo-Latin Studies, Copenhagen 12 to 17 August 1991, Rhoda Schnur
(ed.), Medieval and Renaissance Text Studies, Tempe, Arizona, 1997, 685697. Dans cet article, Jean-Claude Moisan indique également une thèse non
publiée qui traite du rapport à Regius : Hermann Voll, Clément Marots Meta-
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
209
réalisations textuelles que Marot tire de l’édition de Regius. Sans
nier totalement l’existence d’ajouts liés à d’autres sources, Pierre
Maréchaux présente des exemples où la version du Premier Livre
est si proche du commentaire de Regius qu’il est difficile de ne
pas inférer que Marot tente systématiquement d’introduire le
commentaire de l’humaniste dans sa traduction : on est tenté
d’étendre la formule « la traduction opère une fusion du texte et
de sa glose » à chaque écart entre le texte source et le texte cible.
Il est donc utile de rappeler que certains écarts ne doivent rien
à la glose régienne : par exemple, dans ce passage de la création
du monde que Marot place dans une section qu’il intitule à la
suite de Regius « Chaos mué en quatre éléments » :
Ovide, v. 15
Edition Defaux, v. 33-34
Vtque erat et tellus illic et pontus et aer,
Et quelcque part où fust la terre, illec
Estoit le feu, l’air, & la mer avec.
La version de Marot fait apparaître le feu là où Ovide ne cite
que la terre, la mer et l’air. Supposer que Marot suit systématiquement Regius laisse attendre que le commentaire de Regius
constitue la source inspirant l’ajout du quatrième élément, mais
il n’en est rien. Après une longue explication de l’histoire
d’Amphitrite, l’humaniste passe au vers qui suit celui où apparaissent les éléments, sans consacrer à ce dernier aucun commentaire. Commentant le passage de façon générale, Lavinius compte
quant à lui que le monde crée à partir du chaos compte quatre
éléments : « In quatuor itaque elementa chaos transmutans
deos » 44. L’ajout est d’autant plus étonnant que, dans les vers qui
suivent, Ovide continue de ne faire allusion qu’à la triade « terre
– mer – air ». Il faut donc bien admettre, dans ce passage, une
autonomie du poète vis-à-vis de Regius. La question reste
ouverte de savoir si Marot a été influencé par le commentaire de
44
morphoseübersetzung. Untersuchung zu Marots Übersetzungstechnik, Erlangen,
1954. La thèse a été signalée à Jean-Claude Moisan par Henri Lamarque de
l’université de Toulouse. Moisan indique que la perspective de la thèse n’est
pas la sienne : il ne la cite pas dans son édition des Trois premiers livres.
Metamorphoseos libri XV ; in eosdem libros Raphaelis Regii luculentissime enarrationes, neque non Lactantii et Petri Lavinii commentarii, non ante impressi, B. de
Bindonibus, Venise, 1540, IIvo.
210
« OVIDE VEUT PARLER »
Lavinius 45. Ce qu’il faut voir, c’est que, s’il est incontestable que
Marot a utilisé l’édition et le commentaire de Regius pour sa traduction, il est beaucoup plus hasardeux d’imaginer une dette
trop systématique de Marot aux formules de Regius. Il convient
donc de ne pas généraliser les exemples de Pierre Maréchaux à
la totalité de l’ajout marotique. Cela dit, l’emprunt à la glose
régienne constitue incontestablement une forme marquante des
ajouts auxquels procède Marot.
Les trois commentaires examinés ont pour trait commun de
chercher à définir une caractéristique dominante aux ajouts de
Marot : plutôt besogneux pour Ghislaine Amielle, orientés avant
tout vers le soutien de la trame narrative pour Jean-Claude
Moisan et Marie-Claude Malenfant, érudits pour Pierre Maréchaux. Sans doute ces dimensions existent-elles toutes, mais
aucune ne peut rendre compte à elle seule de l’ensemble des
ajouts que l’analyse peut enregistrer.
ÉTUDE SYSTÉMATIQUE DE L’AJOUT
La recherche d’une base commune à partir de laquelle établir
une description performante des ajouts de Marot débute avec le
constat que tous les ajouts marotiques se basent sur une dimension implicite du texte d’Ovide, dimension implicite que la version du poète français rend explicite. Il n’y a en soi rien de
révolutionnaire à partir du principe que les ajouts proviennent
d’une interprétation du traducteur : Jean-Claude Moisan et
Marie-Claude Malenfant quant à eux concluent leur article en
expliquant que les traducteurs « rendent [ainsi] palpable, l’acte de
lecture, leur acte de lecture, peut-être tout acte de lecture » 46. Ce
qu’il s’agit de mettre en évidence, ce sont les différentes structures possibles du calcul interprétatif auquel se livre le poète
dans les ajouts auxquels il procède : pour ce faire, la distinction
45
46
La liste des éditions établie par Anne Moss identifie des éditions de Regius
augmentée du commentaire de Lavinions dès 1510. Voir Ann Moss, Ovid in
Renaissance France. A survey of the latin editions of Ovid and commentaries printed in France before 1600, The Warburg Institute, University of London, 1982,
p. 66-71.
Jean-Claude Moisan, Marie-Claude Malenfant, « D’Ovide à Marot », p. 105.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
211
établie par Catherine Kerbrat-Orechioni entre présupposés et
sous-entendu 47 permet d’établir une typologie solide au niveau
théorique. Cette typologie des structures a l’avantage de ne pas
postuler a priori une fonction spécifique de l’ajout, mais de révéler, d’une part, la nature commune de tous les ajouts marotiques
et, d’autre part, les différentes structures linguistiques permettant
d’en expliquer la réalisation 48. Une fois les formes de l’ajout
décrites avec rigueur, il deviendra possible de placer le phénomène à sa juste place dans l’économie de la traduction marotique.
Les ajouts peuvent être classés en quatre catégories consistantes :
1. Ajouts par tautologie
2. Ajouts par logique du récit
3. Ajouts par reprise d’éléments explicites présents dans
le contexte
4. Ajouts par érudition
La première catégorie d’ajouts en constitue pour ainsi dire le
« degré zéro ». Elle intervient lorsque la version française
s’appuie purement et simplement sur les présupposés habituels
du mot sur lequel porte l’ajout, par exemple, dans cette séquence
qui décrit les créatures sous-marines pendant le déluge :
Ovide, v. 300-302
Traduction Lafaye, p. 17
Nunc ibi deformes ponunt sua corpora
[phocae.
Mirantur sub aqua lucos urbesque domosque
Nereides siluasque tenent delphines
des phoques posent leurs corps informes.
Les Néréides s’émerveillent de voir au fond
des eaux des parcs, des villes, des maisons ;
les dauphins habitent des forêts.
ms. Douce 117, v. 582-588
Edition Defaux, v. 589-594
Là maintenant balleines monstrueuses
Posent leurs corps / les nymphes vertueuses
Regnans en mer qu’on nomme Nereydes
Grand merveille ont de veoir soubz eaux
[liquides
Foretz / citez / et maisons de hault poix.
Les beaux daulphins / tiennent les champs
[et boys
Là maintenant Balaines monstrueuses
Posent leurs corps. Les Nymphes vertueuses
Regnants en mer, & belles Nereides
S’estonnent fort de veoir soubs Eaues
[liquides
Forestz, maisons, villages & citez.
Par les Daulphins les boys sont habités,
47
48
Catherine Kerbrat-Orechioni, L’Implicite, Paris, Armand Colin, 1986.
L’analyse laisse de côté les ajouts induits purement et simplement par les
contraintes linguistiques : articles, temps verbaux composés, etc.
212
« OVIDE VEUT PARLER »
Ou, dans cette séquence qui décrit l’Age d’Or :
Ovide, v. 112
Traduction Lafaye, p. 17
Flauaque de uiridi stillabant ilice mella.
Et l’yeuse au vert feuillage distillait le
[miel blond.
ms. Douce 117, v. 217-218
Edition Defaux, v. 219-220
Et le doulx miel / dont lors chascun goustoit
Du chesne verd / tout jaulne degoutoit.
Et le doulx miel, dont lors chascun goustoit
Des arbres verds tout jaulne degoustoit.
Nul besoin pour Marot de consulter Regius ou toute autre
forme de glose pour déduire que les eaux sont liquides, ou le
miel, doux. L’information rendue explicite par l’ajout est tirée
directement des présupposés liés aux noms dont les adjectifs sont
épithètes. Il est par ailleurs important de noter que tous ces ajouts
sont aussi bien présents dans le ms. Douce 117 qu’ajoutés lors de
la révision : le procédé semble relever d’une pratique courante et
non du souci de la révision. Considérés isolément, ces ajouts portant sur l’adjectif épithète pourraient conduire à postuler, au
cœur de la traduction marotique, un dispositif du type « épithète
homérique ». La notion semble d’autant plus mériter l’attention
qu’elle relève de l’épithète de nature, une forme de copia que
Du Bellay refuse aux vrais poètes 49. Tout semble appeler une
évaluation du dispositif sur la base de théories esthétiques exogènes : on peut imaginer trouver des arguments établissant la
douceur du style marotique ou sa médiocrité. La discussion ne
ferait cependant pas justice à l’ensemble du geste de Marot. La
catégorie d’ajout considérée ne porte que sur une partie fortement minoritaire des opérations observées dans la traduction du
Premier Livre. La catégorie « ajout par tautologie » réunit de plus
des réalisations qui dépassent la pure et simple épithète de
nature. L’intérêt d’une description complète de la technique
appliquée par Marot consiste à ne pas convoquer trop vite les
théories esthétiques exogènes pour juger de son travail.
Le caractère tautologique de l’ajout apparaît très proche de
l’épithète de nature lorsque le processus porte sur un présupposé
dont l’explicitation, aisée pour les lettrés du temps, relève néan49
Olivier Millet, « Commentaire », Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration
de la langue française, p. 228-229.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
213
moins, au point de vue linguistique, d’une forme de progression
rhématique. Dans la séquence ci-dessous qui décrit la naissance
des vents, on peut admettre qu’il soit utile de confirmer la nature
du vent Eurus à un public qui découvre les Métamorphoses :
Ovide, v. 61-62
Traduction Lafaye, p. 9
Eurus ad Auroram Nabataeaque regna
recessit Persidaque
L’Eurus se retira vers l’Aurore, le royaume
des Nabatéens
ms. Douce 117, v. 117-118
Edition Defaux, v. 121-123
L’ung c’est Eurus qui en orient perce
Les regnes haulx de Nabate et de Perse
Le vent Eurus tout premier s’en volla
Vers l’Orient, & occuper alla
Nabathe, & Perse,
L’ajout par tautologie est également à l’origine des nombreuses géminations notées par les critiques, comme dans cette
séquence décrivant la création du monde :
Ovide, v. 22
Traduction Lafaye, p. 8
Nam caelo terras et terris abscidit undas
il sépara du ciel la terre, de la terre les eaux
ms. Douce 117, v. 41-42
Edition Defaux, v. 45-46
Car terre adonc du ciel desempara.
De terre aussi / les eaux il separa
Car terre adoncq du Ciel desempara,
De terre aussi les eaues il separa,
Ou, dans le récit de la naissance des vents :
Ovide, v. 58-60
uix nunc obsistitur illis,
Cum sua quisque regant diuerso flamina tractu,
Quin lanient mundum ; tanta est discordia
fratrum.
Traduction Lafaye, p. 9
aujourd’hui encore, quoiqu’ils règnent
chacun dans une contrée différente, on a
beaucoup de peine à les empêcher de
déchirer le monde, si grande est la discorde entre ces frères.
ms. Douce 117, v. 109-116
Edition Defaux, v. 113-120
A iceulx ventz / dieu n’a permis d’aller.
Confusement par la voye de l’air
Et non obstant que chascun d’eulx exerce
Ses soufflemens / en region diverse.
Encore à peine on peult (quant s’esvertuent
Y resister) qu’ilz ne rompent et ruent
Le monde jus /par bouffemens austeres.
Tant est discorde entre ces quatre freres.
Tant terrible est la discorde des freres.
A iceulx ventz Dieu n’a permis d’aller
Confusement par la voye de l’aer,
Et nonobstant, que chascun d’eulx exerce
Ses soufflemens en region diverse
Encor à peine on peult (quand s’esvertuent)
Y resister, qu’ilz ne rompent, & ruent
Le monde jus par bouffemens austeres,
Tant terrible est la discorde des freres.
214
« OVIDE VEUT PARLER »
Ou, dans une séquence extraite de la description du déluge :
Ovide, v. 328-329
Traduction Lafaye, p. 18
Nubila disiecit nimbisque aquilone remotis
Et caelo terras ostendit et aethera terris.
il dissipe les nuages et, chassant les
brouillards au souffle de l’Aquilon, il
montre la terre au ciel et le ciel à la terre.
ms. Douce 117, v. 640-644
Edition Defaux, v. 645-649
Cela voyant / les nues qui tant pleurent
Il separa / Et quant les pluyes furent
Par Aquilon / chassées en mainctz lieux
La terre au ciel / et aux terres les cieulx
Il va monstrer /
Cela voyant, les nues, qui tant plurent
Rompt, & separe. Et quand les pluyes furent
Par Aquilon chassées en maints lieux,
Aux cieulx la terre, à la terre les cieulx
Il va monstrer :
Une occurrence donne même à la gémination un facteur trois
dans un passage qui décrit la génération spontanée des animaux
après le retrait des eaux :
Ovide, v. 430-431
Traduction Lafaye, p. 22
Quippe ubi temperiem sumpsere umorque En effet, lorsque l’humidité et la chaleur se
calorque, sont combinées l’une avec l’autre,
Concipiunt et ab his oriuntur cuncta duobus ; elles conçoivent ; c’est de ces deux principes que naissent tous les êtres ;
ms. Douce 117, v. 840-843
Edition Defaux, v. 845-848
Certes après que humeur de froit esprise
Et chaleur aspre ont attrempance prise
Certes apres qu’humeur de froit esprinse,
Et chaleur aspre ont attrempance prinse
Produisans sont et concoyvent et portent
Et de ces deux toutes les choses sortent
Produisant sont, & conçoyvent, & portent,
Et de ces deux toutes les choses sortent.
Pierre Maréchaux accorde à la gémination une importance
cardinale :
(…) une des modalités de la translation marotique réside dans cette
variation, qui se veut copie détachée. Par émulation et par jeu autonymique, Marot rivalise avec la copia d’Ovide en instituant cet
ordre de la synonymie, ce dénivellement de la qualification. C’est
donc une grande richesse de cette métamorphose marotique que de
varier le niveau auquel un même objet peut être perçu, libérant les
secrets du sens. Chaque geminatio est le creuset d’une herméneutique discrète, car ces transgressions issues de Regius sont en fait
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
215
de rares résurgences de la tropologie ou de l’histoire telle qu’elles
transparaissent dans les commentaires latins fécondés par la mythographie antique et médiévale 50.
Pierre Maréchaux ne donne pas de description d’extrait contenant des géminations. Si l’on se rapporte aux exemples cités cidessus, on s’aperçoit que Regius ne propose un commentaire en
geminatio que pour le récit de la naissance des vents : « Quin
lanient mundum. dissipent. ac dilacerent. » 51 Il n’est certes pas
besoin que toutes les géminations trouvent leur origine dans
Regius pour confirmer l’influence de ce dernier dans le procédé.
Ce qui compte, c’est de situer le dispositif dans l’ensemble de
l’économie technique du Premier Livre. Le commentaire de Maréchaux est à ce titre relativement plus précis, puisqu’il mentionne
« une des modalités » produisant de « rares résurgences » : la
nuance est importante, car elle pose la question d’une forme de
copia dans une version qui n’est pas véritablement copieuse. A
nouveau, le risque est grand de se saisir trop vite de l’argument
pour juger de la valeur esthétique du Premier Livre. Jugera-t-on
alors que le dispositif, au travers de la copia qu’il apporte, constitue
l’une des rares réussites de la version de Marot ? Insistera-t-on au
contraire sur la valeur herméneutique du procédé qui témoigne de
la profondeur de vue du traducteur ? Impossible de décider de la
question sans situer le procédé dans l’ensemble du geste de Marot
traducteur. A ce titre, les autres catégories d’ajout permettent de
saisir plus précisément les fonctions du procédé.
La deuxième catégorie porte sur des ajouts pour lequel le
calcul interprétatif réalisé par le traducteur pour déterminer les
éléments à ajouter fait appel avant tout à la logique interne de
l’histoire racontée, par exemple, dans cette séquence qui décrit la
séparation des éléments (air, terre et feu) au moment de la création du monde :
Ovide, v. 26-28
Traduction Lafaye, p. 8
Ignea conuexi uis et sine pondere caeli
Emicuit summaque locum sibi fecit in arce.
Proximus est aer
La substance ignée et impondérable de la
voûte céleste s’élança et se fit une place
dans les régions supérieures. L’air est ce
qui en approche le plus
50
51
Pierre Maréchaux, « L’arrière-fable », p. 88-89.
Regius, p. 22.
216
« OVIDE VEUT PARLER »
ms. Douce 117, v. 49-52
Edition Defaux, v. 53-56
Du ciel couché la force du feu clere
Sans aucun poix / eut splendeur qui esclere
Et print son siege / au degré treshaultain.
Quant est de l’air / il a son lieu certain
Le feu sans poix du Ciel courbe, & tout rond,
Fut à monter naturellement prompt,
Et occupa le degré plus haultain.
L’air le suyvit qui n’en est pas loingtain,
Le mécanisme repose toujours sur le jeu des présupposés, à
ceci près que ceux-ci ne sont pas exclusivement portés par le mot
sur lequel porte l’ajout. L’adverbe « naturellement » est calculé
selon le schéma suivant : élément sans poids, le feu est comme
plus logiquement porté à monter. La consultation du ms. Douce
117 révèle une version fort différente : d’un texte à l’autre, le
texte gagne une clarté, dans laquelle l’adverbe « naturellement »
semble expliciter les logiques de la mécanique céleste.
La catégorie d’ajout par logique du récit touche très souvent les
connecteurs, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de rendre une
tournure très latinisante. Ainsi, lors de la fuite de Lycaon, le déponent « nanciscor – nactus » utilisé dans un rôle de participiale est
rendu par l’ajout d’un connecteur (conjonction de subordination) :
Ovide, v. 232-233
Traduction Lafaye, p. 15
Territus ipse fugit nactusque silentia ruris
Epouvanté, il s’enfuit et, après avoir gagné
la campagne silencieuse,
Exululat frustraque loqui conatur :
il se met à hurler; en vain il s’efforce de parler.
ms. Douce 117, v. 450-453
Alors s’en fuyt troublé de peur terrible
Et aussi tout qu’il sentit l’air paisible
Des champs et boys /
Edition Defaux, v. 453-456
Adonc s’enfuyt, troublé de peur terrible :
Et aussi tost, qu’il sentit l’air paisible
Des champs & boys,
de huller luy fut force /
de hurler luy fut force,
Car pourneant à parler il s’efforce.
Car pour neant à parler il s’efforce.
La version de Marot ajoute une connotation de cause à effet entre
le silence de la campagne et le hurlement de Lycaon. On peut
penser que Marot – sensible à la contradiction voulue par Ovide
entre le silence de la campagne innocente et le hurlement de Lycaon
coupable – a voulu inférer une relation de cause à effet, l’environnement paisible se révélant insupportable pour le monstre. Il est également remarquable qu’à ce stade, Marot ne cherche pas à rendre
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
217
également la vision de Regius selon lequel il faut considérer qu’à ce
stade, Lycaon était déjà devenu loup : « Exululat. Valde ululat. Iam
enim in lupum fuerat conversus. Nam ululare : quod facticium est
verbum, luporum est proprium. » 52
La logique du récit amène également l’ajout d’actants dont
l’existence est induite par le déroulement même de l’action,
comme dans ce passage de la naissance des vents dans lequel la
logique de l’image poétique se révèle le guide sûr de Marot
traducteur :
Ovide, v. 58-60
Traduction Lafaye, p. 9
uix nunc obsistitur illis,
Cum sua quisque regant diuerso flamina
[tractu,
Quin lanient mundum ; tanta est discordia
[fratrum.
aujourd’hui encore, quoiqu’ils règnent
chacun dans une contrée différente, on a
beaucoup de peine à les empêcher de déchirer le monde, si grande est la discorde entre
ces frères.
ms. Douce 117, v. 109-116
Edition Defaux, v. 113-120
A iceulx ventz / dieu n’a permis d’aller.
Confusement par la voye de l’air
Et non obstant que chascun d’eulx exerce
Ses soufflemens / en region diverse.
Encore à peine on peult (quant s’esvertuent
Y resister) qu’ilz ne rompent et ruent
Le monde jus /par bouffemens austeres.
Tant est discorde entre ces quatre freres.
A iceulx ventz Dieu n’a permis d’aller
Confusement par la voye de l’aer,
Et nonobstant, que chascun d’eulx exerce
Ses soufflemens en region diverse
Encor à peine on peult (quand s’esvertuent)
Y resister, qu’ilz ne rompent, & ruent
Le monde jus par bouffemens austeres,
Tant terrible est la discorde des freres.
Les « bouffemens austeres » ne correspondent à rien de défini
chez Ovide : il s’agit d’un sous-entendu que le traducteur induit
à partir de la violence des vents décrite par le passage. Ce n’est
pas le commentaire de Regius, qui s’intéresse pourtant à de nombreux éléments du passage, qui amène Marot aux « bouffemens
austeres » : il y vient plus sûrement en se représentant la scène
qui laisse entendre le fracas provoqué par ces vents premiers auxquels rien ne résiste. L’ajout révèle ici directement l’imaginaire
du poète qui se place mentalement face à la scène qu’il décrit.
Un procédé qui se révélera courant se fait jour ici, qu’aucune
théorie exogène n’aurait conduit à investiguer.
Ailleurs, le même genre de structure laisse deviner chez Marot
un imaginaire presque totalement libéré du texte d’Ovide :
52
Regius, p. 31.
218
« OVIDE VEUT PARLER »
Ovide, v. 601
Traduction Lafaye, p. 28
Interea medios Iuno despexit in agros
Cependant Junon abaissa ses regards sur
[la campagne.
ms. Douce 117, v. 1181-1182
Edition Defaux, v. 1189-1190
Ce temps pendant / Juno des cours
Ce temps pendant, Juno, des Courts
[hautaines
[haultaines
Regarde embas au milieu des grandz
Regard[e] en bas au millieu des grands
[plaines
[plaines :
Le verbe « despexit » indique un regard qui vient du haut :
Marot choisit de nous dresser de Junon le portrait d’une reine au
milieu de sa cour. L’imaginaire du poète prend si puissamment
le dessus qu’il combine en une image le sens littéral et le sens
figuré auxquels réfère le commentaire de Regius : « Despexit.
Dehorsum aspexit. Alibi despicere contemnere est. » 53
La troisième catégorie comprend les ajouts pour lequel le
calcul interprétatif fait appel à des éléments explicites présents
dans le contexte immédiat de l’ajout, comme dans ce passage où
Junon s’interroge sur les intentions de son mari au moment où il
tente de séduire Io :
Ovide, v. 623
Traduction Lafaye, p. 29
timuitque Iovem et fuit anxia furti, elle se méfia de Jupiter et redouta un larcin
ms. Douce 117, v. 1225-1226
Edition Defaux, v. 1233-1234
Et craignyt grandement
Que Jupiter luy print furtivement
& craignit grandement
Que Juppiter luy print furtivement
Le terme latin « furti » est rendu par le verbe « print », qui est
dénué – dans son acception générale – de la dimension de vol, de malhonnêteté. L’ajout de l’adverbe « furtivement » – qui est, tant dans la
forme que sur le fond, beaucoup plus proche du latin « furti » – complète le verbe « print » et en oriente le sens. On notera que l’on se
trouve ici en présence d’une situation relativement rare dans lequel
un Contenu Nucléaire est transféré d’une unité linguistique à l’autre.
L’ajout par calcul interprétatif peut servir à une intensification
poétique, comme dans ce passage de la description de l’Age du Fer
dans lequel est décrite la naissance de l’exploitation des mines :
53
Regius, p. 43.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
Ovide, v. 410
219
Traduction Lafaye, p. 21
Quae modo uena fuit sub eodem nomine
ce qui était veine subsiste sous le même nom
[mansit ;
ms. Douce 117, v. 800-801
Edition Defaux, v. 805-806
Ce qui estoit veyne de pierre à l’heure
Ce qui estoit veine de pierre à l’heure,
Fut veine d’homme, & soubs son nom
Fut veyne d’homme / Et soubz son nom
[demeure
[demeure.
La « veine d’homme » est complètement implicite chez Ovide :
en l’explicitant, Marot redonne à la « veine de pierre » toute sa
valeur sémantique. Il confirme au passage le commentaire de
Regius qui éclaire la métaphore des « vena » de pierre : « Venae
autem in venas. Nam & lapidis venas suas habent. » 54 Une fois
de plus, l’imaginaire du poète parvient à lier dans une formule
unique un ensemble d’éléments issus d’un intense calcul interprétatif : considérer l’ajout comme une simple cheville au service
du mètre ne rendrait pas compte du travail effectué par le
traducteur.
La quatrième et dernière catégorie est celle pour laquelle le
calcul interprétatif repose sur l’érudition au sens large, qu’elle
soit ou non exprimée explicitement dans un commentaire du
type de celui de Regius. Pierre Maréchaux a proposé des
exemples dans lesquels Marot semble presque « recopier »
Regius ; il y a aussi des occurrences dans lesquelles Marot semble
pratiquer avant l’heure l’innutrition exigée par Du Bellay, par
exemple au moment de décrire le chaos avant la naissance des
mers :
Ovide, v. 13-14
Traduction Lafaye, p. 7
nec bracchia longo
Margine terrarum porrexerat Amphitrite.
Amphitrite n’avait pas étendu ses bras
tout le long des rivages.
ms. Douce 117, v. 25-28
Edition Defaux, v. 29-32
la grand fille des eaux
La grand’fille immortelle
Amphitrite / ses liquides ruisseaulx
De l’Ocean, Amphitrite la belle
Et bras de mer / n’estendoit pas encores.
N’estendoit pas ses bras marins encores
Aux longues fins de la terre ainsi que ores. Aux longues fins de la Terre, ainsi que ores :
Regius – qui consacre un long commentaire à l’histoire
d’Amphitrite – éclaire la métaphore de « bracchia » d’une façon
54
Regius, p. 37.
220
« OVIDE VEUT PARLER »
relativement fastidieuse : « Nec brachia longo. Hoc est. Nec ullus
Oceanus mediterranea maria effecerat : quae oceani bracchia esse
videntur. » 55 La consultation du ms. Douce 117 montre comment
Marot déplace le centre de gravité de la métaphore du comparé
(la mer) au comparant (anthropomorphisme de la déesse) : Marot
réussit une inculturation discrète de la vision du monde latine
dans la langue française, et parvient avec un seul adjectif à résumer l’ensemble du commentaire de l’humaniste, tout en rendant
pleine justice à l’imaginaire antique. Renvoyer purement et simplement à l’érudition ne rendrait pas ici compte de la part qui
revient en propre à Marot.
Poète tout autant que traducteur, Marot parvient à identifier
chez Regius les termes qui vont lui permettre de dire en peu de
mots ce que l’humaniste développe dans un commentaire important, ainsi pour la création de la terre :
Ovide, v. 29
Traduction Lafaye, p. 8
Densior his tellus elementaque grandia
la terre, plus dense, entraîna avec elle les
[traxit éléments massifs et se tassa sous son
propre poids.
ms. Douce 117, v. 55-57
Edition Defaux, v. 59-61
En espesseur la terre les surpasse
Et si tira/ la matiere plus crasse
Des elemens /
En espoisseur la terre les surpasse,
Et emporta la matiere la plus crasse
Du lourd morceau
Ovide explique la répartition des éléments en partant de leurs
natures propres : l’élément le plus léger, le feu, occupe la voûte
céleste ; l’air – à peine plus lourd – le suit ; quant à la terre, elle
se met en place par contraste avec l’air et le feu, ainsi que
l’indiquent les deux comparatifs latin « densior » et « grandior ».
Regius, qui tient à restituer à la fable tout son sens, donne un
commentaire détaillé de ce vers :
Densior his tellus. hoc est. crassior et gravior. Elementaque grandia
traxit : hoc est : partes magnas et graviores ex illo acervo secum
traxit. Proprie autem illo verbo traxit usus est poeta. Nam vi
quadam naturali [omnia] gravia et ponderosa dehorsum trahuntur.
55
Regius, p. 19.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
221
Elementa vero p[ro] partibus posuit. Nam elementum est : ex quo
primo prodeunt quae fiunt : et in quod extremum resolvuntur 56.
Marot n’entre pas dans les considérations de Regius à propos
de la valeur poétique du verbe « traxit », mais il le maintient dans
le verbe « emporta ». Ce maintien impose de rendre l’ensemble
de l’idée d’Ovide dans un seul SN dans la valence verbale. Marot
identifie dans le commentaire de l’humaniste des moyens linguistiques qui lui permettent de procéder de façon aussi économique
que possible : d’une part, l’adjectif « crasse » pour « grandia » ;
d’autre part, la saturation du comparatif par l’ajout du complément « lourd morceau » qui reprend « aceruo » chez Regius. Loin
de suivre servilement le commentaire de Regius, l’imaginaire de
Marot le dissèque, le digère pour produire une version française
véritablement nourrie de l’érudition humaniste.
Parfois, l’ajout révèle la façon dont Marot envisage la mythologie, ainsi dans cet extrait du récit de Jupiter descendu sur
terre pour punir Lycaon :
Ovide, v. 213
Traduction Lafaye, p. 14
Et deus humana lustro sub imagine terras.
et, après avoir déguisé ma divinité sous la
figure humaine, je me mets à parcourir
la terre.
ms. Douce 117, v. 412-413
Et circuy le terrestre dommaine
Estant vray dieu dessoubz figure humaine /
Edition Defaux, v. 415-416
Et circuy le terrestre dommaine,
Estant vray Dieu dessoubz figure humaine.
Regius ne rappelle en rien la royauté du plus puissant des
dieux, et pourtant Marot donne à la terre le caractère de propriété
de Jupiter, en l’évoquant comme son « dommaine ». Certains verront peut-être dans cet ajout un trait médiévalisant de la traduction de Marot : ce serait oublier que, dans la France de 1530,
l’incarnation par excellence du pouvoir, c’est toujours le roi.
Si les quatre types d’ajout décrits plus haut permettent de
décrire avec précision un certain nombre de versions françaises,
ils ne constituent pas des mécanismes toujours identifiables de
façon univoque. On peut citer en effet un certain nombre de
56
Regius, p. 20.
222
« OVIDE VEUT PARLER »
séquences dans lesquelles l’ajout peut relever de plusieurs types,
par exemple lorsqu’Apollon se vante d’être l’inventeur de la
musique :
Ovide, v. 518
per me concordant carmina neruis.
ms. Douce 117, v. 1016-1017
Traduction Lafaye, p. 25
moi qui marie le chant aux sons des cordes.
Edition Defaux, v. 1023-1024
Par moy encor / maint beau vers poetique Par moy encor maint beau vers Poëtique
Accorde au son des cordes de Musique :
Acorde au son des cordes de musique
Il est difficile de dire si la « Musique » doit être considérée
comme une pure tautologie, les cordes produisant les sons
concordant avec les vers étant forcément musicales, ou si, au
contraire, l’image d’Apollon telle que la construit l’intertexte
induit forcément la présence d’un instrument à corde. Regius
quant à lui tient à préciser : « hoc est musicae et harmoniae ego
sum inventor » 57. Les catégories ne sont en soi pas contradictoires : elles décrivent des mécanismes de calcul interprétatif par
lesquels Marot identifie des éléments implicites dans le texte
d’Ovide et les exploite dans sa version. L’explication d’un ajout
par un mode de calcul interprétatif donné revient à la formulation d’une hypothèse : il importe que les hypothèses soient
construites selon un modèle systématique, mais cela n’exclut pas
qu’il soit parfois possible de formuler plusieurs hypothèses pour
un ajout donné. Par ailleurs, la multiplicité des hypothèses ne
remet pas en cause le processus général d’explicitation d’éléments implicites : rendre compte de ce mouvement général
importe dans la mesure où il permet de voir comment l’ajout met
la version au service de l’original latin.
Les situations dans lesquelles il est difficile de définir avec
certitude quel type de calcul interprétatif est à considérer comme
décisif dans l’élaboration de la version française conduisent à
envisager les quatre catégories d’ajout comme les degrés d’un
continuum contenu entre les deux extrêmes de la tautologie et
de l’intertexte érudit le plus large. Les diverses catégories s’échelonnent alors dans le sens d’un lien toujours plus lâche avec les
57
Regius, p. 40.
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
223
présupposés stricts du texte d’Ovide et d’un recours toujours
grandissant à des sous-entendus induits à partir d’éléments plus
diffus du texte qui vont de la représentation mentale de la scène
décrite à la prise en compte directe du commentaire érudit.
L’idée d’un continuum sous-tendant l’ensemble des phénomènes d’ajout permet de voir comment l’opération a priori très
générale d’explicitation aboutit à des réalisations concrètes très
différentes. Le commentaire critique gagne en rigueur s’il tient
compte du fait que les manifestations très diverses de l’ajout
dérivent en réalité de la capacité générale au calcul d’implicite.
Dessiner une constante dans les observations multiples qu’il est
possible de formuler à propos de l’ajout évite de tomber dans le
piège du marais cognitif qui conduit à exagérer l’importance des
hypothèses formulées à partir d’une dimension théorique
exogène.
Dans l’unité que présente le traitement de l’implicite par
Marot, on voit se dessiner des processus clairement différenciés
qui permettent – en contexte – de reconstruire le calcul auquel
s’est livré le traducteur. Ces processus – tautologie, exploitation
de la logique du texte, appui sur un élément du contexte ou érudition – peuvent être mis en parallèle avec des fonctions mises
au jour par les critiques : cheville, renforcement de la stratégie
narrative, mythographie. La question est donc de savoir si ces
fonctions conditionnent les processus appliqués. Il est très délicat
d’attribuer une intention esthétique aux phénomènes observés,
sans avoir à admettre une multitude de fonctions, dont certaines
peuvent se révéler contradictoires d’un passage à l’autre :
comment expliquer l’ajout à partir de la seule cheville ou de la
seule volonté mythographique ? comment admettre que le traducteur applique simultanément des stratégies de remplissage et
des stratégies visant à intégrer à son texte l’héritage humaniste ?
Il semble plus raisonnable de poser que les phénomènes observés
ne sont pas fonction de stratégies que le traducteur s’impose a
priori, mais varient en fonction de la façon dont – en contexte –
le poète calcule sa version à partir du sens implicite qu’il perçoit
chez Ovide. Chaque type de calcul est en soi légitime et la variété
des types révèle avant tout les compétences multiples du traducteur. Certes, le recours à un type de calcul donné pour un ajout
spécifique renseigne bien sur la lecture qu’il fait d’un passage
224
« OVIDE VEUT PARLER »
particulier, mais il ne saurait renvoyer de façon directe à un projet
totalisant de sa traduction.
Il se révèle plus fécond de considérer certaines caractéristiques
intrinsèques de l’ajout apparues à l’occasion de son étude systématique et qui renseignent en profondeur sur le geste de Marot
traducteur. L’ajout s’avère incontestablement lié au projet éditorial que Marot décrit dans la préface de sa version du Premier
Livre et qui est habité totalement par l’idée de rendre Ovide
accessible au lecteur contemporain, en particulier au public de la
cour. La multiplicité des compétences dont fait preuve le traducteur ne remet pas en cause le profil général de son travail : l’ajout
s’appuie sur de nombreuses ressources linguistiques, mais il vise
avant tout à donner du texte d’Ovide la version la plus accessible
possible. Le texte traduit est le résultat de la mise en œuvre de
nombreuses ressources que le public visé ne possède certainement pas et que le travail du traducteur cherche à rendre imperceptibles en soi.
Par l’ajout, Marot traducteur se donne de surcroît une autonomie et une autorité qui dépassent celles de tous les commentateurs, puisqu’il se pose en arbitre des gloses et choisit ce qu’il
souhaite ajouter à son texte en fonction de paramètres qui ne se
résument pas à l’apport maximum d’information érudite. Cette
autorité témoigne d’une attitude originale vis-à-vis de la culture
humaniste, puisqu’elle ne retient pas le commentaire érudit
comme finalité, mais comme moyen au service d’un discours clairement orienté vers le public de cour. Celle-ci fut pour Marot,
une « maîtresse d’école ». Avec la traduction, Marot pousse le raisonnement un peu plus loin : présenter le savoir dans une forme
telle qu’il n’y ait plus besoin de maître pour pouvoir l’appréhender ou – mieux – de telle façon que le maître s’efface complètement devant le savoir qu’il met à disposition du public. Cette
motivation se distingue nettement de l’exercice de la copia, souvent invoquée par les critiques pour expliquer la pratique de
l’ajout chez les traducteurs de la Renaissance.
Au plan technique, la mise en évidence de la mécanique du
calcul interprétatif au cœur des processus de l’ajout amène à
saisir que celui-ci possède une dimension « littérale » dans la
mesure où il renvoie toujours à une lecture possible du texte
d’Ovide. La notion d’ajout « littéral » n’est pas sans poser pro-
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT
225
blème, puisque le littéralisme consisterait justement à renoncer à
l’ajout. Elle rend cependant compte de ce que l’ajout n’appartient
pas en propre au traducteur, mais repose aussi sur un substrat
qui vient du texte source ou de son interprétation. Si, quantitativement, l’ajout ne représente en gros qu’un tiers du traitement
du Premier Livre, la dynamique profonde dont il témoigne met
sur la piste de l’équilibre fondamental du geste de Marot
traducteur.
CHAPITRE VI
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
Marot, « Ovide français » (Defaux 1), Marot, « Regius français »
(Maréchaux 2) : la valorisation du travail de Marot traducteur
semble devoir passer par la référence à un modèle incontestable
dans un domaine autre que la traduction. Le plus souvent, il est
clair que le souci de l’illustration du poète l’emporte sur la question du texte en tant que tel. Quelques remarques au sujet de la
parenté « Ovide/Marot » ou du traitement de la mythologie dans
le Premier Livre mettent sur la voie de la façon dont s’est posée
jusqu’ici la question de la poétique dans la traduction de Marot.
Prolongeant la proposition de Gérard Defaux pour qui « le
vrai modèle de Marot, ce n’est pas Virgile, mais Ovide» 3, George
Luck 4 dresse, aux plans biographique et littéraire, un inventaire
des parallèles qui font de Marot le « disciple » d’Ovide. Au sujet
du Premier Livre, George Luck indique toutefois de façon quelque
peu sybilline :
Il faut admirer le courage de Marot d’aborder la traduction des
Métamorphoses, un poème épique qui n’en est pas un, mais plutôt
une succession brillante d’épisodes, une célébration de la transformation comme principe cosmique et poétique 5.
L’allusion au courage de Marot laisse entendre que le traitement des Métamorphoses implique une autre forme de talent
1
2
3
4
5
« Marot se dit enfin prêt à être notre Maro, voire notre Homère. Mais il se
trompe : il aura été notre Ovide. », note à l’épître « A Monsieur d’Anguyen »
avec laquelle Defaux commente une proposition de Marot de traduire Virgile ou Homère. Marot, TII, p. 1298.
Pierre Maréchaux, « L’arrière-fable », p. 90.
Marot, TII, p. 1191.
Georg Luck, « Tenerorum lusor amoroum : Marot disciple d’Ovide ».
Georg Luck, « Tenerorum lusor amoroum : Marot disciple d’Ovide », p. 71.
228
« OVIDE VEUT PARLER »
poétique que les jeux intertextuels auquel le poète français se
livre avec la poésie amoureuse du maître latin.
Guy Demerson note quant à lui la vocation clairement « pédagogique et culturelle » de l’entreprise des traductions de Marot,
vocation qui exige du poète un effort créatif différent d’autres
exploitations de la fable :
[…] il [Marot] retrouve le sens profond du mythe : représentation
collective où s’expriment les aspirations d’une communauté, un
besoin politique d’affirmer son identité et sa force, ses valeurs sacrées
qui donnent un sens à son aventure terrestre 6.
La traduction d’un ouvrage de la dimension des Métamorphoses modifie les règles du jeu intertextuel : le mythe ne peut
plus être convoqué avec la même légèreté que pour la production
personnelle. Le poète doit tenir compte de ce que Barthélemy
Aneau appelle « l’intelligence de voie ». Le programme marotique est à ce titre sans ambiguïté :
Oultre plus, tel lit en maint passage les noms d’Apollo, Daphné,
Pyramus, & Tisbée, qui a l’Histoyre aussi loing de l’esprit, que les
noms pres de la bouche : ce que pas ainsi n’yroit, si en facille vulgaire
estoit mise ceste belle Metamorphose. Laquelle aux Poëtes vulgaires, & aux Painctres seroit tresproffitable 7.
La stratégie poétique de Marot s’éloigne cependant sensiblement de la méthode anelienne qui ajoute une glose en marge
de la traduction. Pour mettre son Ovide « au vuyde », Marot ne
s’autorise qu’une version en vers soignée.
Il y a dans ce choix quelque chose de consubstantiel à la rhétorique de la présence que Gérard Defaux a décrite au cœur de
l’œuvre du poète. La recherche de clarté domine un programme
esthétique tout entier orienté vers la production d’une version
française embrassant la subtilité d’Ovide sans imposer d’effort
particulier au lecteur. Les ressources de l’érudition appuient le
plus souvent cette recherche, mais le poète sait rester souverain
dans la définition de la version à retenir. La langue latine n’est
pas sans poser certaines difficultés, face auxquelles le poète doit
6
7
Guy Demerson, « Marot Mythographe », p. 39.
Marot, TII, p. 406.
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
229
parfois totalement changer de technique. Et s’il n’oublie jamais
ses propres capacités poétiques, Marot sait également renoncer
aux artifices gratuits.
LA CLARTÉ
Dans l’article séminal intitulé « Rhétorique, silence et liberté »,
Gérard Defaux éclaire une interrogation centrale au cœur de la
poésie marotique, qui met en évidence le paradoxe induit par la
recherche d’une poésie libérée d’elle-même dès lors que seule la
modestie du style garantit la liberté du poète :
On voit du coup en quoi cette conception éthique et substantialiste
du langage ne peut que poser à Marot des problèmes insurmontables.
En admettant en effet qu’il soit à la limite possible de concevoir
l’idée d’une poésie fondée sur une recherche de la simplicité, et de la
sincérité et du dépouillement, d’une poésie refusant aussi bien toute
contrainte formelle que sonore, toute artificialité rhétorique, que dire
en revanche d’une poésie qui, comme informée par une sourde
méfiance à l’égard du langage, perpétuellement travaillée par le désir
de « sy peu parler », subrepticement tend au silence comme à sa
propre fin ? Car, au-delà de toutes ces conventions qui le figent, le
rendent impropre à l’expression du vécu personnel, c’est bien en
définitive de soi que, chez Marot, le langage cherche à se libérer 8.
Appliquée à la traduction, l’analyse de Defaux conduit à faire
chez Marot l’hypothèse d’une éthique en deux temps : premier
temps, il faut traduire ; deuxième temps, puisqu’il faut traduire,
la manière de traduire doit rechercher la simplicité et le
dépouillement.
Il faut traduire. Les motivations tant politiques que financières
sont nombreuses. La recherche du succès auprès d’un public qui
s’ouvre toujours plus à la culture antique est également tout à
fait légitime. Si l’on suit Defaux lorsqu’il décrit la méfiance de
Marot vis-à-vis du langage poétique, on peut faire aussi une
hypothèse plus intime : traduire, ce n’est pas ajouter à la poésie
8
Gérard Defaux, « Rhétorique, silence et liberté dans l’œuvre de Marot »,
BHR, tome XLVI, 1984, no 2, p. 312.
230
« OVIDE VEUT PARLER »
par la seule vanité d’une création personnelle, c’est se mettre au
service d’un projet poétique moins suspect de superficialité.
La manière de traduire doit rechercher la simplicité et le
dépouillement. La recherche fondamentale du poète telle que la
décrit Gérard Defaux se trouve en harmonie avec de nombreux
points de la théorie de Dolet, notamment au sujet de l’exigence
de la conservation des mots du français commun. En conservant
l’hypothèse d’un rapport de Marot au langage tel que le décrit
Defaux, on conçoit aisément que le poète a pu être attiré par la
dimension pour ainsi dire désintéressée de l’exercice de la traduction, dont la valeur et la motivation dépassent la simple reconnaissance du talent du traducteur.
Minimal et désintéressé, l’exercice de la traduction recèle également chez Marot une dimension altruiste dans le souci
d’instruire le lecteur : comme le rappelle Guy Demerson : « il
[Marot] n’a pas la prétention de révéler le corpus fabuleux
d’Ovide, mais bien de préciser, de clarifier la culture de l’Intelligentsia. » 9
L’examen du geste de Marot traducteur a mis en évidence la
prééminence des opérations de maintien. On peut voir dans cette
technique une forme de simplicité, puisqu’elle implique, dans un
certain sens, une limitation des modifications induites par le processus de traduction. Réduire l’éthique de la traduction à la
recherche de cette simplicité conduirait cependant à juger que les
recours nombreux aux opérations d’ajout, de transformation ou
de suppression sont autant de renoncements de la part du poète.
La distinction entre technique et esthétique doit ici s’appliquer
à plein. L’impératif poétique répondant réellement aux exigences
de dépouillement et de simplicité ne s’exprime pas seulement
dans les choix techniques les plus évidents. La réflexion sur les
mécanismes à l’œuvre dans le processus de traduction vise précisément à éviter de confondre l’exigence esthétique et les moyens
de sa réalisation. Parmi les passages commentés au titre de la
technique du traducteur, la séquence dans laquelle Marot décrit
les traits avec lesquels Jupiter aurait pu mettre le feu au monde
permet d’illustrer la problématique :
9
Guy Demerson, « Marot mythographe », p. 31.
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
Ovide, v. 259
231
Edition Defaux, v. 507-508
Tela reponuntur manibus fabricata
Lors on cacha les dardz de feu chargés
[Cyclopum ; Des propres mains des Cyclopes forgés,
L’ajout auquel se livre Marot souligne le raisonnement à l’origine du revirement de Jupiter, qui songe un moment à punir les
humains de ses propres mains, mais préfère demander l’aide de
son frère Neptune pour provoquer le déluge, craignant que le feu
ne finisse par gagner le firmament où résident les dieux. Au travers d’un ajout témoignant aussi bien de sa perception de l’imaginaire antique que de son attention au commentaire de Regius,
Marot conduit le lecteur français vers une compréhension plus
aisée de la logique du récit ovidien. Le poète sait recourir à un
dispositif sophistiqué pour que la lecture soit facilitée. L’impératif
auquel il se soumet ne vise pas la simplicité des processus requis
pour la production du texte, mais la clarté, en favorisant la
réception.
Au service de la clarté, la main de Marot se montre souvent
plus discrète que dans la séquence des foudres de Jupiter, en
particulier dans le traitement des connecteurs :
Ovide, v. 675
Traduction Lafaye, p. 31
et dépose ses ailes ; il ne garde que sa baguette.
Et posuit pennas ; tantummodo uirga
[retenta est :
ms. Douce 117, v. 1329-1330
Edition Defaux, v. 1336-1337
Semblablement des esles se desnue
Et seulement sa verge a retenue
Semblablement des aesles se desnue,
Et seullement sa verge a retenue.
Le passage évoque la descente de Mercure sur terre : pour ne
pas être reconnu, le dieu se défait des signes qui le distinguent.
Dans la séquence précédente, il a ôté son chapeau et, dans celleci, il se départ de ses ailes. Ovide connecte en utilisant simplement « et », que Marot transforme en l’adverbe « semblablement ». Le choix de « semblablement » au lieu de « et » permet de
faire comprendre l’unité d’intention dans les actions de Mercure :
l’anaphore « semblablement »/ « seullement » quant à elle met
en évidence l’importance du fait que Mercure garde son bâton,
qui lui sert à se faire passer pour un berger. Un dispositif à la
fois discret et sophistiqué facilite la tâche du lecteur français.
Le style volontiers elliptique d’Ovide occasionne des passages
où le traitement du connecteur s’avère crucial pour maintenir
232
« OVIDE VEUT PARLER »
l’agrément de la lecture, par exemple dans ce passage où le commentaire explique à quel point il est difficile pour Daphné de
défendre sa chasteté :
Ovide, v. 488-489
Traduction Lafaye, p. 24
Ille quidem obsequitur ; sed te decor iste
[quod optas
Esse uetat uotoque tuo tua forma
[repugnat.
il consent ; mais tu as trop de charmes,
Daphné, pour qu’il en soit comme tu le
souhaites et ta beauté fait obstacle à tes
vœux.
ms. Douce 117, v. 956-960
Edition Defaux, v. 961-964
Son pere adonc ung si grand dieu ensuyt
Mais (ô Daphné) beaulté que tant reluyt
Te deffend estre ainsi que es desirante
Et à ton veu / ta forme est repugnante.
Lors (ô Daphné) vray est, qu’ à ta demande
Ton pere entend : mais ceste beaulté grande
A ton vouloir ne donne aulcun adveu,
Et ta forme est repugnante à ton vœu.
La situation argumentative est ici particulièrement complexe,
puisqu’elle mulitiplie les contradictions : opposition première
entre la prière que Daphné fait à son père de demeurer vierge et
la volonté de ce dernier de la voir se marier (« Debes mihi, filia,
nepotes. » 10) ; opposition entre cette volonté première et la
concession faite par Pénée au début de la séquence ; opposition
entre la beauté de Daphné et sa volonté de ne pas se marier. La
séquence considérée a pour fonction de déplacer la question du
niveau familial (désaccord père/fille) au niveau cosmique (la
beauté physique indissociable de l’hymen). Elle se construit sur
une double réorientation argumentative : la première marquée
par « quidem » qui marque le changement d’avis de Pénée, la
seconde marquée par « sed » qui marque le passage du niveau
familial au niveau cosmique. Les traductions habituelles de
« quidem » en français moderne, telles que « certes » 11 ou « assurément », ne possèdent pas un sens concessif assez fort pour clarifier l’orientation argumentative. Il est remarquable par ailleurs
que dans le Premier Livre, Marot – qui a utilisé l’adverbe « certes »
à quatre reprises – ne l’a jamais choisi en lien avec la traduction
de « quidem ». Au contraire, l’adverbe latin – qui apparaît lui
aussi quatre fois – est rendu par : « pour vray », « ne vous
10
11
v. 482, Ovide, TI, p. 24.
C’est le premier terme que donne Gaffiot dans l’article « quidem ».
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
233
chaille », « vray est que » et, à une occasion, supprimé. La
construction « vray est que » – qu’il est possible de coordonner
directement avec la proposition suivante – permet de marquer la
concession et d’assurer la clarification voulue dans une situation
argumentative particulièrement complexe.
D’autres modifications, induites par la construction syntaxique choisie, peuvent être observées dans la même séquence :
ajout d’un SN dans la valence verbale (« ta demande ») et augmentation du SN sujet (« ille » devient « ton père »). L’indépendante latine est transformée en phrase complexe (principale –
subordonnée) : la relative « quod optas » disparaît et devient un
SN hors valence verbale « à ton vouloir ». Le traducteur accepte
donc une réécriture importante de la séquence : la variante présentée par le ms. Douce 117 permet de prendre toute la mesure
de l’effet produit par les transformations apportées par Marot.
Une réécriture de cette ampleur constitue un cas prototypique de
micro-stratégie rare dans l’économie technique du Premier Livre :
une stratégie rare, mais non contradictoire avec le projet fondamental, est appliquée par le traducteur. L’exemple illustre parfaitement l’intérêt d’une distinction aussi nette que possible entre
observation de la technique et évaluation esthétique.
Un autre exemple témoigne bien de la façon dont Marot sait
abandonner l’inertie du maintien pour explorer les divers degrés
de la transformation, toujours au service de la clarté. Le jeu des
catégories syntaxiques et des Contenus Nucléaires multiplie les
réalisations qui renoncent au mot à mot dans une séquence qui
décrit Daphné poursuivie par Apollon :
Ovide, v. 527
Traduction Lafaye, p. 25
Tum quoque uisa decens ; nudabant
toujours aussi belle à ses yeux, les vents
[corpora uenti dévoilaient sa nudité.
ms. Douce 117, v. 1034-1035
Lors en fuyant mout belle se monstroit
Le vent / par coup ses membres descouvroit
Edition Defaux, v. 1041-1042
Lors en fuyant moult gente se monstroit :
Le vent par coups ses membres descouvroit,
La version française éclaire le caractère paradoxal de la fuite
de Daphné : en tentant d’échapper à Apollon, Daphné devient
plus belle et le désir d’Apollon, plus grand ; en cherchant la sécurité pour elle, Daphné augmente les causes mêmes du danger. Le
« quoque » latin souvent passe-partout – la traduction Lafaye ne
234
« OVIDE VEUT PARLER »
le retient pas – est ici transformé par Marot en un gérondif qui
éclaire le sens du processus. La transformation dit ici nettement
l’autorité du traducteur qui choisit une version sans s’astreindre
au mot à mot : ce type de réalisation donne une illustration
concrète de ce que peut être l’application de l’adage d’Horace ou
de la troisième règle de Dolet dans la manière de Marot.
L’autorité du traducteur au service de la clarté s’affirme également dans des ajouts particulièrement marqués, comme dans ce
passage où Junon découvre Io transformée en vache :
Ovide, v. 612-614
Traduction Lafaye, p. 28-29
Bos quoque formosa est ; speciem
[Saturnia vaccae,
Quamquam inuita, probat nec non et
[cuius et unde,
Quoue sit armento, ueri quasi nescia, quaerit.
Juppiter
Même ainsi, elle est belle encore ; la fille de
Saturne, quoique à contre-cœur, admire la
perfection de ses formes. « A qui appartient cette génisse ? d’où vient-elle, et de
quel troupeau ? » demande Junon, comme
si elle ignorait la vérité.
ms. Douce 117, v. 1203-1208
Edition Defaux, v. 1211-1216
Belle de corps / comme Yo fut en vis
Adonc Juno quoy que ce fust envis)
En estima la forme et le poil beau
Et si s’enquiert à qui / de quel troppeau
Et d’où elle est comme non congnoissant
La verité / Jupiter dieu puissant
Belle de corps, comme Yo fut en vis.
Adonc Juno (quoy que ce fust envis)
En estima la forme, & le poil beau,
Et si s’enquiert, à qui, de quel trouppeau,
Et d’où elle est, comme non congnoissant
La verité. Juppiter Dieu puissant,
La substitution d’une subordonnée à un simple adverbe
tranche nettement avec les habitudes du traducteur. Le
« quoque » d’Ovide concentre un fort sous-entendu qui renvoie
à la beauté de Io avant sa métamorphose. Marot dévide tout le
fil de l’implicite pour donner une version totalement explicite,
même si elle n’a plus rien à voir avec le texte source. Très rare
dans le Premier Livre, l’exemple est précieux en ce qu’il fait voir
la force de l’exigence de clarté, poussant le traducteur à modifier
sa technique.
Un autre exemple montre même Marot qui remet en cause
jusqu’aux limites de l’exercice de la traduction :
Ovide, v. 138-140
sed itum est in uiscera terrae,
Quasque recondiderat Stygiisque admouerat
[umbris
Effodiuntur opes, inritamenta malorum.
Traduction Lafaye, p. 12
mais il pénétra jusque dans ses entrailles ;
il en arracha ce qu’elle y avait caché, ce
qu’elle avait relégué près des ombres du
Styx, les trésors qui provoquent nos maux.
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
ms. Douce 117, v. 269-272
Mais jusqu’au fons des entrailles allerent
De terre basse où prindrent et fouillerent
Tous les tresors /et opulences vaines
Qu’elle cachoit en ses profondes veines
235
Edition Defaux, v. 271-274
Mais jusque au fond des entrailles allarent
De berre basse, où prindrent, & fouillarent
Les grands thresors, & les richesses vaines,
Qu’elle cachoit en ses profondes veines :
Si les « profondes veines » peuvent être considérées comme
un équivalent possible de « umbris », la référence au Styx n’apparaît pas dans la version de Marot : la disparition est d’autant plus
étonnante que Regius 12 souligne que certains situent les Enfers
au centre de la terre et que Marot lui-même ne cherche pas à
éviter de donner une valeur morale à l’extraction des métaux
précieux : « richesses vaines » (v. 273-Defaux), « incitements à
tous maulx » (v. 276-Defaux). Une piste possible pourrait être justement la volonté de Marot d’éviter une confusion entre les
Enfers antiques et l’enfer chrétien. La référence ovidienne au Styx
dénote le lieu éloigné, profond, pas forcément le lieu maléfique :
du point de vue de la dénotation géographique, l’effacement du
Styx ne nuit aucunement à la compréhension du passage par le
lecteur français. Mieux : l’absence de référence au Styx est susceptible de focaliser le lecteur français avant tout sur la géographie
décrite par le texte, alors que son maintien risque plutôt de
brouiller les interprétations. Il n’est d’ailleurs pas inintéressant
de noter que le long commentaire 13 de Lavinius qui fait le lien
entre l’âge du fer et les temps bibliques qui suivent l’histoire de
Caïn n’exploite absolument pas l’allusion au Styx.
On retrouve une approche relativement identique de la question au début de la harangue de Jupiter :
Ovide, v. 187-189
Nunc mihi, qua totum Nereus circumsonat
[orbem,
Perdendum est mortale genus. Per
[flumina iuro
Infera sub terras Stygio labentia luco,
12
13
Traduction Lafaye, p. 13
Ajourd’hui, dans tout le globe que Nérée
entoure de ses flots retentissants, il me faut
anéantir le genre humain. J’en jure par les
fleuves infernaux, qui, sous la terre, baignant le bois du Styx,
Regius, p. 26.
Metamorphoseos libri XV ; in eosdem libros Raphaelis Regii luculentissime enarrationes, neque non Lactantii et Petri Lavinii commentarii, non ante impressi,
IXvo-Xro.
236
« OVIDE VEUT PARLER »
ms. Douce 117, v. 362-367
Mais maintenant / en toute voye et trace
Par où la mer / le monde entier embrasse.
Perdre et tuer me fault pour son injure
Le mortel genre. Et qu’ainsi soit j’enjure
Des bas enfers les fleuves plains d’encombres
Coulans soubz terre aux stigieuses ombres.
Edition Defaux, v. 365-370
Mais maintenant, en toute voye, & trasse
Par où la mer le monde entier embrasse,
Perdre, & tuer me fault (pour son injure)
Le mortel genre : & qu’ainsi soit, j’en jure
Des bas enfers les eaux noyres, & creuses,
Coulans soubs terre aux forestz
[tenebreuses :
De façon tout à fait remarquable, la référence directe au Styx,
présente dans le ms. Douce 117, disparaît au profit d’une description plus référentielle qui rétablit l’idée du bois du Styx
(« foretz tenebreuses »).
La double disparition du Styx relevée ci-dessus rend d’autant
plus intéressant son maintien au moment de sa troisième mention
lors de la métamorphose de Io.
Ovide, v. 734-737
Traduction Lafaye, p. 33
Coniugis ille suae conplexus colla lacertis, [Jupiter] la [Junon] conjure de mettre un
Finiat ut poenas tandem rogat : « in » que terme à un si long châtiment : « Pour
[« futurum » l’avenir, lui dit-il,
Pone metus ; « inquit » numquam tibi causa bannis toute crainte ; jamais elle ne te cau[doloris sera de chagrin ; »
Haec erit,
et Stygias iubet hoc audire paludes. et il prend les étangs du Styx à témoin de
son serment.
ms. Douce 117, v. 1448-1454
Edition Defaux, v. 1546-1462
la priant de sa grace
Vueille de Yo finablement finir
La grande peine. Et quant à l’avenir
la priant, que de grâce
Vueille de Yo finablement finir
La grande peine. Et quant à l’advenir,
De moy (dit il) toute craincte demetz
Car ceste cy ne te fera jamais
Cause de dueil /
De moy (dist il) toute craincte demects :
Car ceste cy ne te sera jamais
Cause de dueil.
et aux stigieux fleuves
Et aux Stygieux fleuves
Commande ouy / cestuy serment pour preuves. Commanda ouyr cestuy serment pour preuves.
La référence directe au Styx n’est pas contradictoire avec les
constats précédents : l’enjeu de représentation physique précise
cède devant la nécessité d’une référence mythologique claire, le
serment nécessitant la référence à un lieu sacré. L’impératif de
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
237
clarté se réalise avec des moyens différents de ceux observés plus
haut, mais il continue de se faire sentir. Au passage, le maintien
d’une référence directe au Styx permet d’écarter l’hypothèse d’une
auto-censure marotique dans les disparitions discutées plus haut.
La force de l’impératif de clarté s’exprime dans les variations
de la technique de Marot traducteur : si le souci de précision
référentielle peut s’exprimer le plus souvent au travers de formes
dans lesquelles le traducteur s’appuie sur des opérations de
maintien, le poète possède les ressources créatives nécessaires
pour inventer d’autres formes au service de la poétique qu’il a
choisie. La force de cette dernière s’affirme également dans le
double rapport à l’érudition et à la langue latine.
LE RAPPORT À L’ÉRUDITION
On trouve sous la plume de Pierre Maréchaux qui évoque la dette
de Marot envers Regius des exemples qui donnent l’impression
que le poète écrit sous la dictée de l’humaniste 14 :
[…]citons « aethereo sidera » (I, 424) qui appelle la glose régienne
« igneo sole » (édition Tacuino, C). A son exemple, Marot écrit :
« eschauffé du soleil » (v. 843). Autre exemple : l’expression ovidienne « innuptae aemula » (I, 476) est expliquée par ces mots :
« imitatix Dianae » (ibid, fo 22ro) : Marot s’en inspire et écrit :
« en imitant la Pucelle Diane » (v. 938). Comme on l’observe ici,
la traduction opère une fusion du texte et de sa glose. Marot est
coutumier du fait : le « in flammas abiit » d’Ovide (I, 495), crédité
de la note « enflammatus est amore » (fo 22vo), donne chez Marot :
« … Ainsi Phébus en flamme / S’en va reduict, et d’Amour qui
l’enflamme / Par tout son cœur se brûle … » (v. 975-977) 15.
Le commentaire latin et la version française présentent, dans
les exemples choisis, des parentés non seulement sémantiques,
mais aussi phoniques : l’elocutio française elle-même semble toute
entière gouvernée par le commentaire érudit.
14
15
Le passage, déjà évoqué plus haut, est reproduit ici pour souligner la proximité entre le lexique régien et les formes retenues par Marot.
Pierre Maréchaux, « L’arrière-fable », p. 89.
238
« OVIDE VEUT PARLER »
L’article de Jean-Claude Moisan, intitulé « Clément Marot et
Raphaël Regius » élargit la discussion à d’autres horizons : dimension avant tout poétique du travail de Marot, déconstruction de
l’image de Marot ignorant le latin, défense du Premier Livre contre
les critiques d’Aneau, formes variées de l’insertion de la glose et du
commentaire de la traduction, notamment autour de la question de
l’onomastique. Jean-Claude Moisan conclut avec des remarques qui
interrogent directement le rapport « érudition / traduction » :
Peut-on toujours prétendre que la glose est frileusement réfugiée
dans la seule marge du texte ou que la traduction, quand elle est
créatrice, provocatrice, en un mot plus libre, n’est que le résultat de
la fantaisie d’un Marot ignorant le latin ? Pourquoi ne pas y voir
plutôt le résultat d’un travail important de re-création, où le nouveau texte produit (collage industrieux entre texte et intertexte)
porte jusqu’à un certain point un sens nouveau ou du moins un
sens modifié, fruit d’une lecture du texte ancien, lui-même éclairé
par de multiples lectures, dont le traducteur se sert comme s’il
s’agissait de textes interdépendants et où il est permis de puiser pour
éclairer ou agrémenter le texte principal. Car cette comparaison avec
la glose de Regius n’éclaire pas tous les passages où Marot explique,
commente, amplifie et renforce le texte d’Ovide 16.
Les remarques de Moisan ouvrent deux perspectives alternatives à l’influence de Regius : d’une part, l’autonomie du traducteur par rapport à la glose (« re-création », « sens nouveau ») ;
d’autre part, l’éventuelle existence de sources différentes de Regius
(« multiples lectures ») 17. Les deux perspectives se rejoignent pour
construire l’image de l’autorité que le traducteur entend exercer
sur sa version. L’étude de la technique de l’ajout a permis d’établir
que, considéré dans totalité, celui-ci relève de mécanismes de
16
17
Jean-Claude Moisan, « Clément Marot et Raphaël Regius : l’insertion de la glose
et du commentaire dans la traduction des Métamorphoses d’Ovide », p. 696.
Le paragraphe se termine avec cette remarque de Moisan : « Mais la question se pose de savoir si Marot pour sa traduction a travaillé avec un seul
texte glosé, celui de Regius, ou s’il en a consulté plusieurs. » La remarque
de Moisan pose la question d’une enquête exhaustive sur l’exploitation par
Marot des commentaires qui s’ajoutent à celui de Regius à partir de 1510. A
supposer que celle-ci révèle que les arbitrages de Marot vis-à-vis du commentaire de Regius suivent d’autre commentateurs, la souveraineté des
choix de Marot resterait affirmée.
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
239
calcul interprétatif qui n’exploitent pas seulement l’érudition, mais
aussi la tautologie, la logique du récit, ou des éléments explicites
présents dans le texte. Dès lors que l’autonomie du traducteur
apparaît manifeste dans la part de sa technique (l’ajout) tendanciellement la plus associée à l’érudition, il semble légitime d’interroger l’ensemble du texte à la recherche d’éléments dans lesquels
le traducteur s’affranchit nettement de la glose érudite.
Le premier signe d’une distance entre Marot et Regius a pu
être observé dans le traitement des sous-titres introduits par le
poète dans le Premier Livre : non seulement, tous ne se trouvent
pas chez l’humaniste italien, mais des différences peuvent être
enregistrées tant dans la version publiée que dans le ms. Douce
117 18. L’introduction même de sous-titres à l’intérieur du texte
du Premier Livre ne relève pas de Regius, puisque les sous-titres
de ce dernier se trouvent dans l’index de son livre et ne sont par
repris dans le corps du texte. L’usage que Marot fait des soustitres de Regius relève plus de l’exploitation libre d’un matériel
intertextuel, que de l’introduction de l’autorité d’une glose.
Des signes encore plus nets de l’autonomie de Marot vis-à-vis
du commentaire de Regius se trouvent au cœur même du texte
du Premier Livre. On trouve des situations dans lesquelles le poète
choisit parmi les nombreuses précisions présentes dans le commentaire de l’humaniste, comme dans cette description du Parnasse au début de l’histoire de Deucalion et Pyrrha :
Ovide, v. 316-317
Traduction Lafaye, p. 18
Mons ibi verticibus petit arduus astra
Là une montagne escarpée élève jusqu’aux
[duobus, astres sa double cîme : on l’appelle le
Nomine Parnasus,
Parnasse ;
ms. Douce 117, v. 616-618
Edition Defaux, v. 621-623
En ce pays / Parnassus le hault mont
Tendant au ciel / se dresse contremont
A double croppe
En ce pays Parnassus le hault mont
Tendant au ciel se dresse contre mont
A double croppe,
La version de Marot renvoie clairement à la Phocide, évoquée
par Ovide quelques vers plus haut (« Separat Aonios Oetaeis
Phocis a aruis ») et qui constitue l’un des nombreux éléments que
Regius reprend à propos du Parnasse :
18
Voir p. 151.
240
« OVIDE VEUT PARLER »
Mons nomine Parnassus. Parnassus mons est Phocidis a Parnasso
antiquissimo uate cognominatus : Vir Parnassius. Parnassiacus.
Parnassias parnassis et parnasseus derivantur. Prius aut[em] Larnassos fuit appellat[us] quod illuc Deucalionis arca quae graece
λάρναξ dicitur fuerit appulsa. Petit astra. Tendit in altum sidera
versus. Duobus verticibus. Duobus cacuminibus : quorum alterum
Tithoreum, Alterum hymapeum appellat Herodotus. Quamvis Servius Heliconem & Cytheronem putet : quos Boeotiea montes esse
constat longae a Parnasso distantes. Parnassus autem totus & Apollini & mussisae Baccho est consecratus 19.
La glose régienne mélange à l’éclaircissement du référent (souligné dans l’extrait ci-dessus) les considérations lexicales, les rappels mythologiques. Marot ne retient que les éléments servant la
description du Parnasse. La recherche de l’intégralité du référentiel ovidien éloigne a fortiori la version marotique du parallèle
que peuvent dresser certains commentateurs, dont Lavinius 20,
entre le Parnasse et le mont où s’échoue l’arche de Noé. Si JeanClaude Moisan découvre dans l’édition Regius des commentaires
qui prennent « la forme du commentaire physique, mythologique, parfois philosophique, ou encore de l’explication littérale » 21, c’est bien souverainement que le poète choisit entre les
dimensions qu’il exploite pour sa version.
L’indépendance de Marot s’affirme encore plus nettement
lorsqu’il s’éloigne délibérément du commentaire humaniste :
Ovide, v. 747
Traduction Lafaye, p. 33
Nunc dea linigera colitur celeberrima turba,
Maintenant c’est une déesse, à qui la
foule vêtue de lin rend de toutes parts
un culte solennel.
ms. Douce 117, v. 1473-1475
Edition Defaux, v. 1481-1482
Or maintenant en deesse honnorée
Elle est du peuple en Egypte adorée
Or maintenant en Déesse honnorée
Elle est du peuple en Egypte adorée,
Ovide désigne Io par la périphrase « dea linigera », la déesse
vêtue de lin, périphrase que le commentaire de Regius éclaire très
19
20
21
Regius, p. 34.
Metamorphoseos libri XV ; in eosdem libros Raphaelis Regii luculentissime enarrationes, neque non Lactantii et Petri Lavinii commentarii, non ante impressi, XIXvo.
Jean-Claude Moisan, « Clément Marot et Raphaël Regius : l’insertion de la glose
et du commentaire dans la traduction des Métamorphoses d’Ovide », p. 691.
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
241
longuement pour associer explicitement Io à la déesse égyptienne
Isis :
Nunc dea nunc inquit Io pro dea Iside colitur ab aegyptiis lineas
vetes gestantibus. Isidis namque sacerdotes lineis vestibus utebantur. Isidem vero aegyptii : ut tradit Diodorus, lunam esse putant :
ut Osiridem solem interpretarique antiquam sumpto nomine ab
aeterno & antiquo illius ortu. Addunt illi cornua propter aspectum.
Sic enim videtur quo tempore primis diebus apparet : tum quia bos
illi ab aeyptiis sacrificatur. Quidam autem Isidem Iovis aegyptii
regis filiam fuisse : eandemque cum cerere esse. Quae ab osiride
fratre uxor accepta multa contulerit ad usum vitae humanae. Prima
enim triticum & hordeum : quae prius incognita hominibus casu
inter caeteras herbas oriebantur : invenisse fertur. Leges qoque
Isidem statuisse ferunt : quibus iusticia atque omnibus servaretur
atque injuria timore poenae sublatis. Hac de causa prisci graeci
Isidem legiferam appellarunt : tanquam primam legum inventricem.
Osiride autem marito interjecto iurasse dicitur Isis se nulli alii nupturam : ac iusto deinceps imperio regnasse beneficiisque in populos
omnis alios reges superasse : ac post obitum deorum honores consecutam : & in Vulcani templo apud Memphim sepultam fuisse. Afferunt autem aegyptii : id quod fere poetae omnes testantur : Isidem
plurima invenisse ad morbos medicamenta : medicaeque arti multum
contulisse ac in deorum quoque numerum relatam gaudere hominum culta inque eorum valitudine precipue uersari. Quin etiam in
somnis palam iis opitulari : quos censuerit dignos et qui illius monitis obtemperent : praeter opinionem curari etiam quorum medici
salutem desperarint. Visu quoque aut alia quapiam corporis parte
debiles illius deae nomen implorantes in prisitinam restitui valitudinem. Signa vero horum esse dicunt : non graecas fabellas : sed opera
per totum namque terrarum orbem Isidem coli propter manifestas
illius morborum curationes. Haec & multo plura de Iside Diodorus.
Caeterum Ovidi opus graecorum figmenta sectatur 22.
Malgré l’abondant commentaire de l’humaniste, un des plus
longs de l’ouvrage, Marot réduit la périphrase au simple pronom
« elle » et renonce à expliciter la relation entre Isis et Io, sans pour
autant l’exclure. Marot a pu considérer, comme pour le Styx, que
la précision référentielle pouvait nuire à la dynamique du texte
22
Regius, p. 48.
242
« OVIDE VEUT PARLER »
d’Ovide qui vise une transition douce vers l’épisode de Phaéton,
fils du soleil, qui a le même âge qu’Epaphus, fils de Io et Jupiter.
Marot applique, à nouveau contre le commentaire de Regius,
une stratégie identique en ce qui concerne la technicité de
l’aconit :
Ovide, v. 147
Traduction Lafaye, p. 12
Lurida terribiles miscent aconita nouercae ;
d’affreuses marâtres mélangent les sucs
livides de l’aconit ;
ms. Douce 117, v. 287-288
Edition Defaux, v. 289-290
D’ung faulx voloir / les marastres terribles
Meslent venins / noirs / mortelz et horribles
Par mal talent les marastres terribles
Meslent souvent venins froids, et
[horribles :
Le commentaire de Regius renvoie précisément à l’aconit en
tant que plante dont on fait le poison : « Aconita. Venena. Nam
aconitum herba est maxime venenosa ex spuma cerberi canis
primum in cotibus nata, unde et nomem accepit. » 23 Marot se
contente de l’hyperonyme « venins » suggéré par Regius et ne
donne pas à sa version la précision référentielle du texte d’Ovide.
Le procédé semble relever de la volonté de ne pas charger la
version française d’éléments inutilement « techniques », même
s’il pourrait également s’apparenter à la faute de traduction pure
et simple : la finesse de la lecture de Regius par Marot dans
d’autres contextes fait cependant préférer l’hypothèse de
l’expression de l’indépendance du traducteur, d’autant plus que
les trois exemples considérés (Styx, Isis, aconit) répondent tous à
l’exigence de clarté posée par la poétique marotique. La prise en
compte de l’ensemble du geste de Marot permet d’en saisir la
cohérence, notamment parce qu’elle conduit à situer les dispositifs techniques les uns par rapport aux autres.
Une formule, relativement incongrue, semble affirmer explicitement l’autorité du poète vis-à-vis de la glose :
Ovide, v. 422
Traduction Lafaye, p. 22
Sic ubi deseruit madidos septemfluus agros
Nilus
Ainsi, quand le Nil aux sept embouchures
a quitté les champs inondés
23
Regius, p. 27.
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
243
ms. Douce 117, v. 824-826
Edition Defaux, v. 829-831
Qu’il soit ainsi quant l’eau du Nil qui court
Par sept canaulx a delaissé tout court
Les champs moillés
Qu’il soit ainsi, quand l’eaue du Nil, qui court
Par sept tuyaulx a delaissé tout court
Les champs mouillés,
L’expression utilisée par Marot « Qu’il soit ainsi » ne semble
pas facile à rendre dans une forme grammaticale du français
moderne. Il se peut qu’elle cache en fait la trace d’un très long
commentaire de Regius qui situe avec précision le rôle supposé
du Nil dans l’économie de la création des animaux :
Exemplo declarat reliqua animalia ex terra sponte fuisse orta. Nilus
autem fluvius singulis quibusque annis aegyptum inundans foecundam non solum frumento : sed variorum quoque animalium eam
reddit. Septenfluus idcirco dicitur quod septem hostiis in mare erumpit : quorum nomina haec a Diodoro memorantur. Pellusiacum quod
ad orientem vergit. Paniticum. Mendelum phaniticum. Sebeniticum.
Bolbiticum. Canopicum. Nili autem ortus adeo est incertus : ut
ipsum aftopoti 24 id est ortam e tenebris aquam vocet. Sane Nilus
varis nominibus fuit appelatus. Nam primum a cursus velocitate
profonditateque quae aquarum Aquila fuit vocatus. Deinde ab
Aegypto rege Aegyptus. Tum a Nilo rege Nilus 25.
Le commentaire, à nouveau très long, pose une question de
taille : les variations du nom du Nil justifient pour l’humaniste
italien un doute sur la description des sept lits du fleuve par
Diodore. Il se peut que Marot ait cherché à s’appuyer sur le « sic »
pour réaliser une sorte d’acte de langage qui tranche la question
du lien entre le Nil et la naissance des animaux dans un fleuve
aux sept lits, alors que Georges Lafaye – qui n’a peut-être pas
consulté Regius au sujet du Nil – donne simplement :
La terre enfanta d’elle-même les autres animaux sous des formes
diverses, lorsque l’humidité qu’elle retenait encore se fut échauffée
sous les feux du soleil, lorsque la chaleur eut enflé la fange et
les eaux marécageuses, lorsque les germes féconds des choses,
nourris par un sol vivifiant, se développèrent comme dans le sein
d’une mère et prirent avec le temps des figures différentes. Ainsi,
24
25
En grec, quelque chose qui coule de soi-même. Le terme apparaît en alphabet latin chez Regius.
Regius, p. 37.
244
« OVIDE VEUT PARLER »
quand le Nil aux sept embouchures a quitté les champs inondés
et ramené ses flots dans leur ancien lit, quand du haut des airs
l’astre du jour a fait sentir sa flamme au limon récent, les cultivateurs, en retournant la glèbe, y trouvent un très grand nombre
d’animaux 26 ;
L’examen de l’ensemble du passage dans la traduction de
Georges Lafaye permet de voir que celle-ci place l’épisode du Nil
dans une suite de propositions subordonnées circonstancielles de
temps au sein desquelles aucun doute ne peut subsister sur
l’identité du Nil. La version de Marot – qui isole le Nil au sein
de la série en le faisant dépendre de l’intrigante principale « Qu’il
en soit ainsi » – marque une sorte de rupture dans l’énumération
des divers cadres temporels et suggère un statut de quasi hypothèse sur le rôle du Nil dans la création des animaux. La version
retenue par Marot n’est pas des plus simples à expliquer, mais il
est cependant assez net qu’il n’a pas jugé le « sic » de ce passage
aussi insignifiant que d’autres adverbes latins qu’il n’hésite pas
à supprimer purement et simplement dans d’autres contextes.
L’examen du rapport de Marot au commentaire de Regius
conduit à mettre en évidence l’autorité que le poète semble exercer dans le traitement des éléments d’érudition qu’il exploite
chez l’humaniste italien. La description de la technique de Marot
traducteur avait également mis sur la piste de formes d’ajout ne
relevant pas purement de l’exploitation de gloses érudites. Ces
constats ne sont pas de nature à remettre en cause les descriptions précédentes de l’importance du commentaire de Regius
pour l’entreprise du Premier Livre, mais ils conduisent à appréhender la question sous un autre angle.
Etant donné le préjugé, tout aussi ancien qu’infondé, qui met
en cause la maîtrise du latin par Marot, la mise au jour de références humanistes semble un passage obligé pour défendre le
Premier Livre contre ceux qui, à la suite d’Aneau, doutent des
compétences de Marot traducteur :
[…] Aneau nous livre le fond de sa pensée : Marot n’excellait pas
dans ce genre si particulier qu’est la traduction. Il n’avait pas une
26
Ovide, TI, p. 22.
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
245
connaissance approfondie du latin, dont il n’a pas su restituer les
tournures. Nous ne pouvons qu’abonder dans son sens 27.
La description d’un Marot capable de saisir les nuances du
commentaire savant de Regius annule la prémisse Marotus latine
nescivit qui pousse à conclure à l’insuffisance du Premier Livre. La
méthode présente cependant le désavantage de provoquer une
illusion d’optique selon laquelle la seule valeur de la version de
Marot consiste à intégrer le commentaire de l’humaniste. Lecteur
attentif d’Ovide, Marot a très souvent trouvé chez Regius une
confirmation et une extension de sa propre lecture : pour autant,
il n’a jamais délégué à l’humaniste les arbitrages nécessaires à la
réalisation du poème qu’il destinait à un public qui n’était pas
celui de Regius. La posture du poète-traducteur est ici très nettement souveraine par rapport à l’érudition : dans le Premier Livre
de la Metamorphose, celle-ci est au service de la poésie, et non
l’inverse. Loin d’être une déclaration de guerre, la distance assumée face à l’érudition participe, en dernière analyse, de la
recherche du silence. S’il pratique le dépouillement pour sa
propre langue, le poète-traducteur est fondé à protéger également sa version contre le bruit de la glose érudite.
LE RAPPORT AU LATIN
Dans le contexte de la traduction du latin au français, langue
source et langue cible ont ceci de spécifique qu’une part importante du vocabulaire de la langue cible dérive de la langue
source. Cette situation peut laisser penser que le passage d’une
langue à l’autre est facilité : l’immense majorité des mots latins
ayant passé en français, il devrait être possible de s’appuyer sur
l’étymologie pour établir un système d’équivalence relativement
stable : pater/père, mare/mer, esse/être, etc.
Pour autant, latin et français possèdent certaines caractéristiques tout à fait contrastées, aussi bien sur le plan sémantique
que le plan syntaxique. Le tableau ci-dessous donne les principales différences à considérer.
27
Ghislaine Amielle, Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses
d’Ovide, p. 143.
246
« OVIDE VEUT PARLER »
Latin
Français
Sémantique Système relativement complet
de déclinaison et construction
du sens « analytique » à partir
des éléments isolés.
Syntaxe
Absence de déclinaison et
construction du sens de nature
« synthétique » en fonction de
suites d’éléments.
Ordre des mots relativement Ordre des mots contraint et
peu contraint et présentant le succession
sujet-verbe-objet
plus souvent une succession (SVO) pour le français.
sujet-objet-verbe (SOV).
Ces dimensions divergentes entre les deux langues contredisent largement l’idée d’une langue cible dont tous les éléments
pourraient être aisément dérivés de la langue source. Dans ces
conditions, il est impossible de déterminer a priori si une
approche littéraliste doit être considérée comme plus accessible
dans la traduction du latin en français que dans celles d’autres
langues en français. En l’absence d’un rapport standard entre
latin et français pouvant servir d’étalon, il est tout de même possible d’approfondir l’analyse en l’orientant vers des contextes
dans lesquels la question du rapport au latin se pose de façon
particulièrement saillante.
Deux formes propres à la langue latine, l’ablatif absolu et
l’inchoatif, appellent l’attention a priori. Dans un passage décrivant la famine décimant les survivants du déluge, le traitement
de l’ablatif absolu conduit par exemple Marot à une redistribution complète des rôles syntaxiques, par ailleurs assez rare dans
le reste de la version. :
Ovide, v. 312
Traduction Lafaye, p. 18
Illos longa domant inopi ieiunia uictu.
Périssent faute de nourriture, victimes d’un
long jeûne.
ms. Douce 117, v. 608-609
Edition Defaux, v. 613-614
Le long jeusner / les dompte et fait delivres
Le long jeusner de tel’ façon les mine,
D’ame et d’esprit / par souffrecte de vivres. Qu’à la parfin tombent morts de famine.
Le latin « inopi » signifie littéralement « la nourriture étant en
très petite quantité ». L’ensemble de la phrase pourrait être traduit par « le long jeûne les décime, la nourriture étant en très
petite quantité ». La version de Marot explicite nettement le lien
247
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
de causalité entre la famine et la mort, mais surtout réorganise
complètement la syntaxe, introduisant une subordonnée
conjonctive qui prend nettement la place de l’ablatif absolu
latin, qui, tel quel, ne sonne pas très « français ». Le ms. Douce
117 donne une variante à la fois moins audacieuse et moins
explicite qui met en évidence l’importance de la reconstruction
finalement retenue.
Le traitement de l’aspect inchoatif amène lui aussi à des
reconstructions syntaxiques importantes :
Ovide, v. 63-64
Traduction Lafaye, p. 9
Vesper et occiduo quae litora sole tepescunt
Proxima sunt Zephyro ;
Vesper et les rivages attiédis par le soleil
couchant sont voisins du Zéphyre ;
ms. Douce 117, 121-122
Les tiedes eaux / où l’occident aspire
Et le doulx Vespre aprochent de Zephire.
Edition Defaux, 125-126
Zephyrus fut soubs Vesper resident
Pres des ruisseaulx tiedys de l’Occident.
La différence entre les trois versions françaises suffit à illustrer
la difficulté de rendre l’inchoatif latin. Plus distante du texte
d’Ovide que les deux autres, la version finalement retenue par
Marot bouscule les rôles syntaxiques tout en maintenant les
valeurs actantielles au sein de l’intrigue du texte original. Il s’agit
là d’une approche en quelque sorte virtuose de la traduction qui
n’est pas la plus fréquente le Premier Livre où dominent habituellement les opérations de maintien.
Au-delà des contextes saillants de l’ablatif absolu et de l’inchoatif, l’observation de la technique du traducteur révèle quant à
elle la prééminence des opérations de maintien qui suggère une
correspondance plus serrée du latin et du français. L’indexation
systématique des opérations utilisées par le traducteur permet
également de repérer les contextes dans lesquels le latin n’est pas
facilement reproductible en français, et tout particulièrement de
donner une idée du volume de texte concerné. Même s’il s’avère
que celui-ci est largement minoritaire, certaines dimensions irréductibles du latin existent bel et bien, et elles peuvent être identifiées avec précision.
On peut retrouver des formes de redistribution de la syntaxe
en dehors du traitement de l’ablatif absolu et l’inchoatif. Ainsi,
lors de la description de la fuite de Daphné :
248
« OVIDE VEUT PARLER »
Ovide, v. 539
hic spe celer, illa timore
Traduction Lafaye, p. 26
[emportés] l’un par l’espoir, l’autre par la
[crainte.
ms. Douce 117, v. 1058-1059
Edition Defaux, v. 1065-1066
Il court souple et legier
En esperance. Elle en crainte et dangier
Espoir le rend fort legier à la suyte,
Craincte la rend fort legiere à la fuyte :
Contrairement au ms. Douce 117, la version retenue par Marot
pour la publication redistribue les rôles syntaxiques. Il faut mesurer toute la distance entre la construction latine, toute d’ellipse et
de parataxe, et l’exigence de liaison qui s’impose dans la version
française. La formule d’Ovide vise à éclairer la comparaison entre
la fuite de Daphné devant Apollon et celle du lièvre devant le
« chien des Gaule » 28. Cependant, comme si le fait d’éclairer une
comparaison relevait de la maladresse poétique, Ovide choisit
une formulation rythmée, construite sur une double opposition
(« hic/illa » et « spe / timore ») dont la logique tient en un seul
adjectif « celer » signifiant lui-même la rapidité. La version du
ms. Douce 117, tout autant que la traduction Lafaye, conserve
une partie de la construction latine en maintenant « esperance/
espoir » et « craincte / crainte » en position de SN hors de la
valence verbale. Le dispositif éclaire la comparaison, mais perd
la nervosité de l’original. La version retenue pour la publication,
grâce à la redistribution des rôles syntaxiques, remplace les liaisons par une sorte de contre-anaphore : les deux vers se distinguent presque uniquement par les mots qui les ouvrent,
soulignant l’opposition entre l’espoir et la crainte.
Le travail de Marot sur le latin ne se limite pas, dans la
séquence considérée, à la redéfinition de la forme syntaxique par
la redistribution des actants. Il s’appuie également sur les ressources du style pour rendre l’effet de l’original. L’invention poétique s’affiche avec force, mais elle ne doit pas empêcher de
constater la finesse de la lecture marotique. La solution retenue
dans le passage ci-dessus répond simultanément aux quatre premières règles de La Manière : sans s’écarter des « mots du
commun » français, sans s’astreindre au mot à mot, mais en respectant tout de même l’intrigue latine au plus près, Marot trouve
28
Formule retenue par Georges Lafaye pour rendre « Gallicus canis ».
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
249
une voie subtile qui révèle une compréhension de toutes les
dimensions de la langue source.
Le traitement des connecteurs amène le traducteur à se
confronter à la dimension elliptique de la langue latine, par
exemple dans cette séquence où Neptune déclenche le déluge :
Ovide, v. 283
Traduction Lafaye, p. 17
Ipse tridente suo terram percussit ; at illa
Intremuit motuque uias patefecit aquarum.
Le dieu lui-même a frappé la terre de son
trident ; elle a tremblé et par cette secousse
a ouvert les retraites des eaux.
ms. Douce 117, v. 550-553
Edition Defaux, v. 554-558
Neptune adonc / de son sceptre massif
Frappa la terre / Et du coup excessif
Elle trembla. Si que du mouvement
Des eaux ouvrent la voye appertement.
Neptune adoncq’ de son Sceptre massif
Frappa la terre, & du coup excessif
Elle trembla, si que du mouvement
Elle feit voye aux eaues appertement.
Le passage du latin « -que » à « si que » suggère bien la relation de cause à effet entre le tremblement de la terre et l’ouverture
des eaux. La nature syntaxique de la proposition introduite par
le connecteur s’en trouve cependant modifiée : la proposition
indépendante latine devient subordonnée en français. Il n’est pas
question d’ébaucher ici des réflexions sur la correspondance
entre les diverses constructions de la phrase complexe en latin et
en français. Il suffit d’observer que le traducteur choisit une version et sélectionne une interprétation (ici, la relation de cause à
effet) parmi les nuances de l’original. Le latin fourmille en effet
de mots de liaison dont la surface sémantique pose problème
au français :
Ovide, v. 586-587
Traduction Lafaye, p. 27-28
sed quam non inuenit usquam,
Esse putat nusquam
mais, ne la trouvant nulle part, il croit
qu’elle n’est nulle part
ms. Douce 117, v. 1152-1154
Edition Defaux, v. 1159-1161
Mais pour autant que point ne la percoit
En aucun lieu / cuide qu’elle ne soit
En aucun lieu.
Mais pour aultant que point ne l’apperçoit
En aulcun lieu, cuide qu’elle ne soit
En aulcun lieu,
Le passage du relatif à la conjonction de subordination permet
de donner une version française plus explicite qu’avec le recours
à un relatif : celui-ci ne possède en effet pas en français le pouvoir
250
« OVIDE VEUT PARLER »
de suggestion souvent exploité en latin. Marot traducteur choisit
d’assumer un choix qui précise, sans se perdre en formules
évasives.
Un procédé tout à fait analogue peut être observé dans le traitement de certains verbes, dans une séquence qui décrit la fin
du déluge :
Ovide, v. 343
Traduction Lafaye, p. 19
Iam mare litus habet, plenos capit alueus
Maintenant la mer a des rivages ; les
[amnes, fleuves rentrent dans leur lit, où ils
coulent à pleins bords.
ms. Douce 117, v. 670-671
Edition Defaux, v. 675-676
Desjà la mer / prent bours et rives neufves
Chascun canal / se remplit de ses fleuves.
Desjà la mer prend borts, & rives neufves,
Chascun canal se remplit de ses fleuves,
La substitution de « se remplit » à « capit » avec au passage
l’intégration de certains sèmes de « plenos » dans le verbe français témoigne d’une pratique de la traduction dans laquelle le
traducteur s’autorise une redistribution des Contenus Nucléaires
dans le but manifeste de donner une version française plus intelligible. La difficulté posée par le passage apparaît dans la
remarque – toute référentielle – de Regius qui témoigne de
l’éventuelle nécessité de la clarification : « Iam mare litora habet
quo paulo ante carebat » 29. On constate d’ailleurs que – fonctionnellement – la transformation produit ici un effet d’explicitation
comparable à celui de l’ajout. Dans la transformation, l’art du
traducteur consiste à opérer un changement tel qu’il ne remette
– si possible – pas en cause la structure actantielle, de façon à ne
pas créer d’effet domino, la transformation du verbe entraînant
la transformation des divers actants, jusqu’à faire risquer une
version très éloignée de la source. La substitution de « se remplit » à « capit » n’est ici possible qu’avec l’usage – peu habituel
– de remplit en forme pronominale.
Marot semble prendre plus de précautions pour décrire la
fuite de Daphné :
29
Regius, p. 35.
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
Ovide, v. 528
251
Traduction Lafaye, p. 25
Obuiaque aduersas uibrabant flamina
Leur souffle, venant sur elle en sens
[uestes, contraire, agitait ses vêtements
ms. Douce 117, v. 1036-1037
Edition Defaux, v. 1043-1044
Et volleter faisoit en obviant
Le sien habit en l’air contrariant.
Et volleter faisoit ses vestements,
Qui resistoyent contre les soufflements :
Dans la version d’Ovide les vêtements de Daphné s’agitent
(« vibrabant ») sous l’effet de la course de la nymphe : Marot,
confronté à la nécessité de rendre un verbe latin actif dont le sens
est en réalité passif, choisit d’expliciter le rapport de cause à effet
entre la course et l’agitation des vêtements et donne « faisoit volleter ». La transformation remplit tout à fait son office d’explicitation : la version d’Ovide avait cependant l’avantage de permettre
l’ajout d’un prédicat aux vêtements « obvia adversas flamina » :
pris dans la logique du français, Marot ne peut tout résumer dans
une seule proposition et choisit d’ajouter une relative. La version
du ms. Douce 117, syntaxiquement plus proche de l’original latin,
se perd en prédicats, un peu comme la traduction de Georges
Lafaye, pour une fois, très nettement moins accessible que celle
du poète.
Proches de celles causées par l’ellipse, les difficultés posées
par la surface sémantique du lexique latin imposent au traducteur de trouver des solutions également pour des questions aussi
simples que la position du sujet syntaxique :
Ovide, v. 30-31
Traduction Lafaye (p. 8)
Et pressa est grauitate sua ; circumfluus
et se tassa sous son propre poids ; l’eau
[umor répandue alentour occupa la dernière place
Vltima possedit solidumque coercuit orbem. et emprisonna le monde solide.
ms. Douce 117, v. 57-60
Edition Defaux, v. 61-64
dont la force pesante
dont en bas s’avalla
De soy la presse / et touchant l’eaue fluante Par pesanteur. Puis la mer s’en alla
Aux derniers lieux / fist son profond amas Aux derniers lieux sa demourance querre
Et tint liez les terrestres climatz.
Environnant de tous costez la terre.
L’adjectif « circumfluus » disparaît dans la version publiée et
le sens qu’il porte se retrouve de façon explicite dans une autre
unité linguistique (« environnant »). La variante ms. Douce 117
porte la trace d’une tentative de maintien : on note cependant
252
« OVIDE VEUT PARLER »
toute la difficulté de la surdétermination du latin, « fluante » ne
rendant pas exactement « circumfluus ». On a l’impression de
pouvoir saisir en direct la négociation qui voit la recherche de
proximité avec le latin s’incliner devant l’exigence de clarté.
Dans une autre séquence située au moment de la création du
monde, on peut même voir la difficulté de traduire un latinisme
générer l’ensemble de la construction française :
Ovide, v. 87-88
Traduction Lafaye, p. 10
Sic, modo quae fuerat rudis et sine imagine, Ainsi la terre, qui naguère était grossière et
[tellus informe, revêtit par cette métamorphose des
Induit ignotas hominum conuersa figuras. figures d’hommes jusqu’alors inconnues.
ms. Douce 117, v. 167-170
Edition Defaux, v. 169-172
La terre ainsi / qui sans ymage née
Fut / et sans art de rien en bien tournée
Print des humains les figures [venues]
Auparavant à elle non [congnues.]
La terre doncq n’agueres desnuée
D’art, & d’ymage ainsi fut transmuée,
Et se couvrit d’hommes d’elle venuz,
Qui luy estoient nouveaulx & incongnuz.
Le participe passé « conversa » hérite du latin une valeur de
verbe relativement forte, sur laquelle peut s’appuyer le calcul
interprétatif qui révèle que la terre informe se transforme de
façon à recevoir les hommes. Il est très difficile en français de
conserver à un participe passé une valeur verbale suffisante pour
que le calcul interprétatif puisse demeurer fluide : Marot préfère
donc ajouter un verbe correspondant à la partie du SN sujet qu’il
supprime, de façon à décrire le processus de façon plus élégante.
A nouveau, le ms. Douce 117 donne une version plus proche du
latin qui s’incline devant une construction plus favorable à la
compréhension en français.
La francisation peut prendre la forme du renoncement pur
et simple à la sophistication latine, comme dans cette séquence
décrivant la création des êtres nés du sang des géants :
Ovide, v. 159-160
Traduction Lafaye, p. 12
Et, ne nulla suae stirpis monimenta
et elle en forma, pour ne pas voir finir les
[manerent, derniers rejetons de sa race, d’autres êtres
In faciem uertisse hominum.
à la face humaine.
ms. Douce 117, v. 311-312
Edition Defaux, v. 313-314
Et pour garder enseigne de la race
En fit de corps / portans humaine face.
Et pour garder enseigne de la race
En feit des corps portant humaine face :
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
253
La double négation « ne nulla » dans la version d’Ovide
constitue un latinisme relativement difficile à rendre en français :
Marot tourne élégamment la difficulté en ayant recours à un
verbe d’action « garder » pour remplacer le verbe d’état
« manerent ». Cependant, pour conserver également la structure
syntaxique avec une subordonnée, le verbe d’action exigerait
d’ajouter un sujet, par conséquent de faire apparaître dans la version française un actant supplémentaire par rapport au texte
latin. Marot tourne à nouveau la difficulté en ayant recours à une
infinitive : le résultat n’a cependant rien à voir avec la subtile
contre-anaphore « espoir/craincte », même s’il est vrai que la
perte de la double négation ne s’avère pas cruciale.
Le renoncement peut porter sur des subtilités argumentatives,
comme dans ce passage qui décrit la naissance des vents :
Ovide, v. 57-58
Traduction Lafaye, p. 9
His quoque non passim mundi fabricator Aux vents eux-mêmes l’architecte du
[habendum monde ne livra pas indistinctement
Aera permisit ;
l’empire de l’air ;
ms. Douce 117, v. 109-110
A iceulx ventz / dieu n’a permis d’aller.
Confusement par la voye de l’air
Edition Defaux, v. 113-114
A iceulx ventz Dieu n’a permis d’aller
Confusement par la voye de l’aer :
Après avoir indiqué qu’en tant qu’élément, l’air reçoit les
brouillards, les nuages, les tonnerres, les vents, la foudre et les
éclairs, Ovide précise ici que les vents (« his quoque ») ne sont
pas libres de souffler n’importe où. Le démonstratif « his » renvoie à « ventos » qui termine le vers précédent : il n’est donc
pas possible – dans la version latine – de faire une quelconque
confusion sur le référent de « his ». On hésite dès lors à décrire
avec exactitude le sens de « quoque » et l’on est obligé de reconnaître un latinisme que le français peine à imiter : la suppression
que choisit Marot n’est pas la moins bonne façon de traiter la
situation en laissant simplement le récit se développer sans chercher à y surajouter une orientation argumentative en lien avec
l’usage de l’adverbe.
La même simplicité peut également porter sur les nuances
sémantiques, par exemple lorsqu’il s’agit de démêler la confusion
des sentiments de Daphné :
254
Ovide, v. 480
« OVIDE VEUT PARLER »
Traduction Lafaye, p. 24
Nec quid Hymen, quid Amor, quid sint
qu’est-ce que l’hymen, l’amour, le
[conubia, curat. mariage ? elle ne se soucie pas de le savoir
ms. Douce 117, v. 940-941
Edition Defaux, v. 945-946
Et ne luy chault savoir que c’est de nopces
De mariage amours et tel negoces.
Et ne luy chault sçavoir, que c’est de nopces
N’aussi d’ung tas d’amoureuses negoces.
Le texte d’Ovide énumère trois formes de relation entre les
hommes et les femmes : à travers les dieux « Hymen » et
« Amor » il évoque successivement le mariage et le sentiment
amoureux, alors que les relations intimes sont évoquées par le
nom commun « conubia », forme poétique consacrée. Le texte
source est ainsi très codifié, et il serait difficile de reprendre en
français un code aussi lié à la culture latine : Marot choisit donc
de laisser complètement de côté le système de cryptage ovidien 30
et de donner au public français le message déchiffré, sous le couvert de ce qui préfigure presque déjà les « belles infidèles ».
Le traitement de formes très spécifiques du latin par Marot
semble aux antipodes du soin du détail que réclame l’érudition
de Barthélemy Aneau. Il est cependant remarquable de constater
que l’humaniste, qui n’hésite pas à corriger la version de Marot
lorsqu’il la juge infidèle au latin, ne propose aucune variante
significative 31 aux exemples discutés ci-dessus. On peut
d’ailleurs s’interroger sur la solution qu’Aneau donne à la dimension inchoative du verbe au moment de la description des vents :
contraria tellus Et very Midy, qui est tout son contraire
Nubibus assuiduis pluvioque madescit ab Le pluvieux Auster se voulut traire33.
[Austro32.
L’étrange formule pronominale retenue pour rendre « madescit » semble une demi-mesure en comparaison avec la formule
clairement active choisie par Marot : « Auster moiteux jetta
pluye ordinaire ».
30
31
32
33
La version retenue suit la solution que Dolet recommande à propos de la
distinction animus/anima (voir p. 115).
Un seul amendement d’Aneau concerne le corpus discuté dans cette partie :
l’humaniste donne « dont en bas devalla » au lieu de « dont en bas s’avalla ».
Trois premiers livres, p. 87.
v. 65-66, Ovide, TI, p. 9.
Trois premiers livres, p. 87.
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
255
Les critiques du philologue au sujet de la version de Marot
ne rendent qu’imparfaitement compte du rapport général que le
Premier Livre entretient avec la langue latine. L’observation des
solutions retenues par Marot dans des contextes rendus difficiles
par le génie propre de la langue latine met en évidence une
défense délibérée de la langue française contre les pièges de la
surtraduction 34. Si le traducteur perçoit parfaitement les nuances
du texte source, il choisit de le traiter dans un français exempt
de tout maniérisme. Le flair du poète s’avère un guide infiniment
plus efficace que la prétention de l’écolier limousin, sans le
conduire tout à fait aux libertés des « belles infidèles ».
Il importe de rappeler que le trait le plus remarquable du traitement du latin dans le Premier Livre reste la forte prééminence
des versions qui font correspondre des termes aux Contenus
Nucléaires équivalents. Les stratégies observées ci-dessus, qui
relèvent d’une technique différente, permettent cependant de
confirmer que la fluidité de la version française ne vient pas simplement de la « ressemblance » entre le latin et le français,
puisque le poète s’avère capable de la conserver, même dans des
contextes particulièrement périlleux.
L’INVENTION POÉTIQUE
Rien n’indique qu’il soit légitime de parler de poésie dans l’exercice hautement contraint de la traduction. Du Bellay interdit
l’exercice aux poètes avec des arguments qu’il est impossible de
rejeter totalement. Rien n’empêche cependant de porter la discussion au plan de l’observation du Premier Livre, qui, en tant que
traduction d’un poète, est par définition candidat à receler à tout
le moins quelques traces de ce que l’on pourrait appeler l’invention poétique.
Dès lors qu’il est question d’enquêter sur la poésie dans la
traduction, l’observation critique marque une tendance très nette
à rechercher une forme de créativité telle qu’elle exploite l’existence d’un jeu au sein des mécanismes de la traduction, jeu susceptible de générer l’espace nécessaire à l’affirmation d’une
34
Selon l’expression que l’on trouve dans Georges Mounin, Les Problèmes théoriques de la traduction, Paris, Gallimard, 1963, p. 191.
256
« OVIDE VEUT PARLER »
forme originale. Il est possible d’identifier dans le Premier Livre
de telles marques du discours poétique.
Les figures de style marquées dans la version originale
mettent le traducteur au défi de répondre. Le passage de la métamorphose de Lycaon, déjà examiné dans le contexte de l’Ovide
moralisé, permet d’ouvrir la discussion avec un contexte prototypique :
Ovide, v. 232-233
Traduction Lafaye, p. 15
Territus ipse fugit nactusque silentia ruris,
Epouvanté, il s’enfuit et, après avoir gagné
la campagne silencieuse,
Exululat frustraque loqui conatur :
il se met à hurler ; en vain il s’efforce de parler.
ms. Douce 117, v. 450-453
Edition Defaux, v. 453-456
a
Alors s’en fuyt troublé de peur terrible
Et aussi tout qu’il sentit l’air paisible
Des champs et boys /
Adonc s’enfuyt, troublé de peur terrible :
Et aussi tost, qu’il sentit l’air paisible
Des champs & boys,
de huller luy fut force /
de hurler luy fut force,
Car pourneant à parler il s’efforce.
Car pour neant à parler il s’efforce.
Ovide utilise simultanément l’allitération des /l/ et l’assonance des /u/ pour déshumaniser le cri de Lycaon et suggérer
l’avance de sa transformation en loup. Le procédé questionne
l’arbitraire du signe en abolissant la distance entre le mot et la
chose. Marot ne s’y trompe pas, et, non seulement il retient les
figures de l’allitération et de l’assonance, mais il va jusqu’à recourir aux mêmes sonorités (/l/ et /u/).
La situation semble résumer toutes les caractéristiques du traitement poétique de la traduction : une caractéristique formelle
clairement identifiée dans le texte source est rendue par un dispositif rigoureusement semblable dans le texte cible. Elargir la
réflexion sur le passage conduit cependant à voir toute la complexité de la question poétique. Il faut revenir à l’objection centrale de Du Bellay contre la traduction, la question de l’elocutio.
De ce point de vue, le jeu sur les sonorités n’est pas la seule
dimension à prendre en compte. La question de l’elocutio doit
être étendue à l’examen de la stratégie mise en place pour la
représentation de la métamorphose de Lycaon. Ovide choisit de
présenter le cri de Lycaon, avant les éléments physiques de la
métamorphose :
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
Ovide, v. 232-237
257
Edition Defaux, v. 453-460
1
Territus ipse fugit nactusque silentia ruris Adonc s’enfuyt troublé de peur terrible :
Et aussi tost, qu’il sentit l’air paisible
Des champs, & boys,
2
Exululat frustraque loqui conatur :
2
de hurler luy fut force,
Car pour neant à parler il s’efforce.
3
3
ab ipso Son museau prend la fureur du premier,
Colligit os rabiem solitaeque cupidine caedis Et du desir de meurtres coustumier,
Vititur in pecudes
Sur les aigneaulx or en use,
4
4
et nunc quoque sanguine gaudet.
5
In uillos abeunt uestes, in crura lacerti ;
& jouyt,
Et de veoir sang encores s’esjouyt.
5
Ses vestemens poil de beste devindrent.
Et ses deux bras façon de cuisses prindrent.
6
6
Fit lupus et ueteris seruat uestigia formae ; Il fut faict Loup, & la marcque conforme
Retient encor de sa premiere forme :
La dynamique de la transformation est celle qui s’applique à
travers tout le poème d’Ovide : la métamorphose s’exerce sur certaines caratéristiques de l’être métamorphosé (l’héliotrope continue de suivre Phébus) ou conserve certaines caractéristiques de
l’être transformé (Io devenue vache reste belle). Dans cette dynamique, le moment du hurlement dans la campagne, bien qu’inscrit
dans la logique du récit (Lycaon chassé de sa maison réduite en
cendres par Jupiter s’enfuit dans la campagne), renvoie au topos de
la bestialité de l’individu solitaire et constitue une sorte de moyen
terme de la transformation. Le discours poétique signale cet élément de déshumanisation en invoquant le hurlement de Lycaon,
qui déclenche le processus de transformation.
Le travail d’elocutio au nom duquel Du Bellay récuse la dimension poétique de la traduction consiste précisément à mettre en
mots, le plus souvent en mots imagés, les logiques intrinsèques
des situations décrites. Dans le cas de l’épisode de Lycaon, l’origine de l’image de l’homme-loup solitaire revient à Ovide. On
258
« OVIDE VEUT PARLER »
remarque toutefois le traitement que Marot réserve au connecteur
dans « natusque » (séquence 1) : le poète choisit pour la version
française « aussi tost que » une conjonction de subordination
exprimant la succession temporelle avec une forte connotation de
cause à effet. Même s’il n’est pas à l’origine de l’elocutio du texte
source, le traducteur doit rendre compte de sa préservation dans
le texte cible. Comme souvent, guidé par la recherche de clarté,
Marot rend explicite une logique implicite du texte ovidien, il se
montre capable d’en saisir toute la dimension et d’évaluer les
moyens linguistiques nécessaires à la rendre dans le texte cible.
L’exercice implique de mobiliser de nombreuses compétences
tant linguistiques que littéraires. Les risques encourus sont aussi
nombreux que les critiques habituelles sur les traductions de
poèmes : platitude, obscurité, mauvaise interprétation de l’original, maladresse de l’expression, etc.
Dans certains passages du Premier Livre, Marot semble capable
d’une elocutio presque détachée de l’original ovidien. L’adresse
d’Apollon à Daphné appartient à cette catégorie :
Ovide, v. 504
Traduction Lafaye, p. 24-25
Nympha, precor, Penei, mane ; non insequor O nymphe, je t’en prie, fille du Pénée,
[hostis ; arrête ; ce n’est pas un ennemi qui te
poursuit ;
ms. Douce 117, v. 988-989
Edition Defaux, v. 995-996
Je te pry Nymphe / arreste ung peu [tes] pas
Comme ennemy après toy ne cours pas
Je te pry Nymphe arreste ung peu tes pas.
Comme ennemy apres toy ne cours pas :
Chez Ovide, la parataxe exprime l’arrêt qu’Apollon exige de
Daphné. La construction analytique du latin permet de placer les
éléments les uns à côté des autres sans risquer la confusion.
Marot – qu’on a vu confronté à une difficulté analogue dans le
passage « crainte »/ « espoir » 35 – choisit de s’appuyer sur un
effet sonore basé sur l’allitération des consonnes explosives /t/
et /p/ qui détache les syllabes les unes des autres comme si la
course de Daphné se décomposait en marche ralentie. L’allitération conçue par Marot préfigure celle qu’utilisera Baudelaire dans
le deuxième hémistiche du célèbre incipit de « Recueillement » :
35
Voir p. 248.
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
259
« Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille » 36. Marot
a parfaitement vu la nécessité de l’elocutio ovidienne, mais sans
doute aussi l’impossibilité de la rendre telle quelle en français.
Son instinct poétique l’entraîne vers une solution à la fois originale et conforme à l’esprit du français.
La version de Marot réalise parfois un potentiel poétique
laissé un peu en friche par Ovide, comme dans le passage relatant le dilemme de Jupiter qui tente de dérober Io à Junon :
Ovide, v. 617-619
Traduction Lafaye, p. 29
Quid faciat ? crudele suos addicere amores ;
Que peut faire le dieu ? Il est cruel de
livrer l’objet de son amour ;
Non dare, suspectum est. Pudor est, qui
ne pas le donner est suspect. Si la honte le
[suadeat illinc, persuade d’un côté,
Hinc dissuadet amor. Victus pudor esset
de l’autre l’amour le dissuade. La honte eût
[amore ; bien été vaincue par l’amour ;
ms. Douce 117, v. 1213-1218
Edition Defaux, v. 1221-1226
Que pourra il or faire ou devenir
C’est craulté / ses amours forbannir
Que pourra il or faire, ou devenir ?
C’est cruaulté, ses amours forbannyr.
Ne luy donnant / la faict souppeçonner
Honte en après l’incite à luy donner
Ne luy donnant la faict soupeçonner,
Honte en apres l’incite à luy donner.
Puis amour est à l’en divertir prompte.
Brief par amour eust esté vaincue honte
Puis Amour est à l’en divertir prompte
Et en effect Amour eust vaincu honte :
Ovide construit le passage sur deux logiques. D’un côté, il
organise un jeu subtile entre la versification et la syntaxe : les
problématiques ouvertes dans un vers sont closes dans le suivant. D’un autre côté, il marque l’opposition « pudor » vs
« amor » par la double répétition des termes, rappelés par l’opposition des pronoms « illinc » vs « hinc ». La dynamique induite
par l’incapacité du vers à contenir la réflexion entre en contradiction avec le retour des termes du raisonnement. La version de
Marot, dans laquelle deux vers français rendent un vers latin,
tend à faire disparaître les structures proches de l’enjambement
36
Charles Baudelaire, « Recueillement », Les Fleurs du Mal, Paris, Classiques
Garnier, 1961, p. 189.
260
« OVIDE VEUT PARLER »
utilisées par Ovide, même si elle maintien l’opposition entre les
termes clés « honte » et « Amour ». Dans la séquence centrale,
Marot remplace le double verbe « être » par des verbes d’action
« faict soupeçonner » et « incite » organisés autour d’une quasi
épanadiplose de « donnant » à « donner ». Les limites des vers
sont plus marquées que chez Ovide, mais l’intensité des
réflexions de Jupiter est dramatiquement augmentée. A l’opposition entre les valeurs morales, la version française substitue une
sorte de tempête sous un crâne. L’idée de Jupiter vaçillant vient
incontestablement d’Ovide, mais le poète latin montre un raisonneur, alors que Marot, dévidant tout le potentiel de l’idée d’un
dieu hésitant, décide de dépeindre un amant aux abois. Le choix
interprétatif assumé ici par Marot se distingue nettement du
reproche (apparu sous la plume d’Aneau, mais repris jusqu’à
Ghislaine Amielle) d’un traitement médiévalisant de la matière
antique : Jean-Claude Moisan a certes étudié de manière systématique le traitement réservé à l’onomastique ovidienne et mis en
évidence que Marot préfère en général désigner les dieux par
leur nom latin, plutôt que par toute forme d’appellation antonomastique 37. A bien y regarder, la façon dont Marot semble envisager Jupiter montre qu’au-delà du maintien du patronyme, le
poète s’autorise à exploiter le potentiel mythologique en suivant
sa sensibilité (ou celle de son temps), sans se soucier des valeurs
allégoriques établies par la tradition.
La subtilité de l’elocutio marotique exige une lecture attentive
même dans des contextes dont la portée risque d’être supposée
moindre :
Ovide, v. 565
Traduction Lafaye, p. 27
Tu quoque perpetuos semper gere frondis de même la tienne [ta chevelure] sera tou[honores. jours parée d’un feuillage inaltérable.
ms. Douce 117, v. 1110-1111
Edition Defaux, v. 1117-1118
Vueilles aussi porter en chascun eage
Perpetuel honneur de verd feuillage.
Vueilles aussi porter en chascun eage
Perpetuel honneur de vert fueillage.
37
Jean-Claude Moisan, « Clément Marot et Raphaël Regius : l’insertion de la
glose et du commentaire dans la traduction des Métamorphoses d’Ovide »,
p. 691.
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
261
La position à la rime du terme « eage » qui se substitue au
latin « semper » incite à évoquer la cheville pour justifier une
transformation qui permet la rime « eage »/« feuillage ». Ce dernier terme conceptuellement proche du latin « frondis » semble
gouverner les choix lexicaux du français. La finesse avec laquelle
Marot traite les ajouts à la rime incite cependant à y regarder de
plus près. Le choix « d’eage » suggère une sorte d’enracinement
dans le temps de Daphné devenue laurier que l’on ne retrouve
pas forcément dans le « semper » latin, plus abstrait. La question
qui se pose est moins celle du conditionnement d’« eage » par
« feuillage » que celle du subtil rendement des mots choisis à
la rime.
Si les passages commentés jusqu’ici ont en commun de contenir des réussites formelles presqu’indépendantes du contexte de
la traduction, l’observation des dispositifs techniques a déjà
révélé plus haut des versions dans lesquelles l’invention marotique prend délibérément le pas sur les impératifs de l’exercice.
La description de la naissance des vents fait passer un grand
souffle sur la distribution des actants. Avant le déclenchement du
déluge, la foudre de Jupiter redevient subitement brûlante. Quant
les eaux recouvrent la terre, les autels privés grandissent jusqu’à
devenir des temples pour souligner la violence de la colère du
dieu. L’ellipse latine trouve un pendant inventif dans une syntagmatique française capable de traduire les courses conjointes de
l’espoir et de la crainte.
L’idée d’un exercice de la traduction exempt de recherche au
niveau de l’elocutio trouve une contradiction nette dans de nombreux passages du Premier Livre qui constituent comme une sorte
de réponse par l’acte aux préventions théoriques. L’examen attentif du texte conduit à prendre Marot au sérieux lorsqu’il met la
traduction sur le même plan que la poésie dans la dédicace à
François Ier :
Et pour ce faire, mis en avant (comme pour mon Roy) tout ce, que
je peus, & tant importunay les Muses, qu’elles (en fin) offrirent à
ma plume inventions nouvelles, & antiques, luy donnant le choys
ou de tourner en nostre langue aulcune chose de la Latine, ou
d’escrire œuvre nouvelle par cy devant non jamais veuë 38.
38
Marot, TII, p. 405.
262
« OVIDE VEUT PARLER »
Dans un chiasme qui dit l’impossibilité de séparer « inventions nouvelles, & antiques », les muses invitent le poète à s’engager pour la traduction avec la même confiance que pour une
« œuvre nouvelle ». L’ensemble de la dédicace décrit ensuite la
métamorphose de Marot en poète à l’occasion de la traduction
d’Ovide. Yves Bonnefoy, lui-même traducteur et poète, est un
guide particulièrement sûr pour éclairer le rôle éminent de la
traduction dans la naissance d’un poète : « La poésie, à se faire
traduction de la poésie, se fait conscience de soi et confiance en
soi. » 39
S’agissant de la traduction des Métamorphoses, Marot explicite
le motif de la transformation par la traduction dans un étourdissant jeu de miroirs :
Et a voulu Ovide ainsi [Métamorphoses] intituler son Livre,
contenant quinze Volumes, pource qu’en icelluy il transforme les
ungs en arbres, les aultres en pierres, les aultres en bestes, & les
aultres en aultres formes. Et pour ceste mesme cause, je me suis
pensé trop entreprendre de vouloir transmuer celuy, qui les aultres
transmue. Et apres j’ay contrepensé, que double louange peult venir
de transmuer ung transmueur, comme d’assaillir ung assailleur, de
tromper ung trompeur, & mocquer ung mocqueur 40.
L’entreprise du Premier Livre se voit définie par une formule
audacieuse et irrésistible : « transmuer celuy, qui les aultres transmue. » Métamorphose et traduction se rejoignent certes dans
l’idée de transformation, mais la première possède une dimension surnaturelle, magique dont la seconde est en principe
dépourvue. La difficulté est cependant médiatisée par le rôle que
Marot attribue à Ovide lui-même : c’est en effet le poète (et non
un dieu) qui transforme en « arbres », en « pierres », en « bestes »
ou en « aultres formes ». « Transmueur » devient ainsi référentiellement synonyme de « poète » et la formule « transmuer ung
transmueur » désigne dès lors avec précision l’exercice qui
consiste à devenir poète pour traduire un poète. Yves Bonnefoy
donne une description plus factuelle de cet exercice :
Le travail mot par mot du traducteur est mieux à même qu’aucune
autre approche critique de se faire l’écoute des pensées, conscientes
39
40
Yves Bonnefoy, « La traduction au sens large », p. 11.
Marot, TII, p. 406.
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
263
ou non, qui ont aidé le poème à s’orienter vers la poésie ou l’ont
empêché de le faire. Il peut être une discussion avec l’auteur en ce
lieu de soi où ce dernier s’est voulu poète, et a fait pour cela des
choix qui aident à comprendre les limites si ce ne sont pas les
manœuvres de l’intellection conceptuelle. Il sera aussi une discussion du traducteur avec sa propre pensée. Traduisant il réfléchira, il
évoluera, même dans sa façon d’être 41.
L’évocation de la métamorphose vécue à l’occasion du Premier
Livre ne relève pas de la simple coquetterie : elle exprime la « discussion » que Marot a tenue avec Ovide, discussion au terme de
laquelle le fils de Jean se sent capable briguer le titre de poète
auprès du roi.
Admettre l’importance de l’expérience intérieure que représente la traduction du Premier Livre ne signifie pas encore être
capable de décrire cette expérience dans sa totalité, comme
l’indique Yves Bonnefoy :
Au total, la traduction n’est pas seulement le texte auquel le
traducteur aura consenti, pour finir — auquel il se sera résigné —, mais l’ensemble des réflexions et des décisions qui ont
préparé ce texte avec, tôt après ou en même temps, des conséquences dans sa propre œuvre, à divers niveaux de conscience.
C’est cette traduction « au sens large » que je crois qu’il importe
d’étudier plutôt que le détail des pages qui portent le nom de
traduction, et qui ne sont qu’un aspect parmi d’autres du travail
bien plus vaste qui a eu lieu 42.
L’étude de la traduction ne doit pas se limiter « au détail des
pages » du texte cible. Même lorsque le commentaire parvient
à identifier les réussites manifestes de l’elocutio marotique, il
ne décrit que la partie visible d’un « travail bien plus vaste ».
Yves Bonnefoy propose avant tout d’étudier la traduction « au
sens large » dans l’ensemble de la production du poètetraducteur.
[…] le traducteur qui est poète a une œuvre que l’on peut lire. Et
parmi ses écrits, poème ou proses, fictions ou réflexions théoriques
41
42
Yves Bonnefoy, « La traduction au sens large », p. 11.
Yves Bonnefoy, « La traduction au sens large », p. 11.
264
« OVIDE VEUT PARLER »
sur des sujets de diverses sortes, ne pourra-t-on constater qu’il en
est qui reprennent à leur façon des questions nées de sa lecture de
l’autre, de sa réflexion sur ce rapport aux dialectiques de la langue,
de la parole ? 43
Les questions que Bonnefoy pose au travail du poète-traducteur appellent à rechercher les traces d’une négociation tout à fait
analogue à celle que décrit Umberto Eco. Le texte publié est celui
auquel le traducteur a « consenti » ou s’est « résigné ». Le processus implique un « ensemble de réflexions et de décisions ». Les
remarques d’Yves Bonnefoy ne détachent pas le travail de la traduction par le poète du cadre général de la traduction. Les observations possibles dans le texte traduit appartiennent de plein
droit au travail du poète. Les éléments saillants de l’elocutio auxquels s’attache la critique classique 44 ne constituent qu’un aspect
de l’invention poétique à l’œuvre dans le Premier Livre. Celle-ci
innerve l’ensemble du texte. Il n’y a aucune raison de penser que
Marot ne soit poète qu’à l’occasion de quelques réussites
formelles.
Surtout, il faut éviter d’appréhender le travail du poète-traducteur sur la seule base des passages que pourraient retenir les
anthologies. La plus grande partie des passages commentés au
titre de la poétique du Premier Livre ne ressortent pas de la technique appliquée le plus souvent par Marot pour faire qu’Ovide
« parle ». Pour autant, ils permettent de saisir les éléments qui
orientent les prises de décision du poète. Lorsque le dispositif
technique habituel risque de trahir le projet fondamental du Premier Livre, Marot sait trouver d’autres ressources. Cela ne signifie
pas que les techniques les plus habituelles soient insuffisantes.
Au contraire, certains passages tout à fait ordinaires au titre de
la technique de Marot traducteur dégagent une impression de
facilité presque miraculeuse. Ainsi, de l’instauration des jeux
pythiques :
43
44
Yves Bonnefoy, « La traduction au sens large », p. 12.
On peut penser à la thèse soutenue (mais non publiée) par Hermann Voll à
Erlangen en 1954, Clément Marots Metamorphoseübersetzung. Untersuchung zu
Marots Übersetzungstechnik : l’étude s’intéresse prioritairement aux écarts,
tels que les développements (Erweiterungen), suppressions (Weglassungen),
modifications (Änderungen), voire fautes de traduction (Fehlübersetzungen).
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
265
Ovide, v. 445-449
Edition Defaux, v. 875-884
Neue operis famam possit delere uetustas,
Et puis affin, que vieil temps advenir
Ne sceust du faict la memoire te[r]nir,
Instituit sacros celebri certamine ludos,
Il establit sacrés jeuz & esbats
Solennisés par triumphants combats,
Pythia perdomitae serpentis nomine dictos.
Phyties dicts du nom du grand Phyton,
Serpent vaincu ; pour cela les feit on
Hic iuuenum quicumque manu pedibusue En celluy pris quiconque jeune enfant
[rotaue A lucte, à course ou à char triumphant
Vicerat aesculeae capiebat frondis
Estoit vainqueur, par honneur singulier,
[honorem ; Prenoit chappeau de fueilles de meslier ;
Ou du portrait de Daphné en vierge méprisant le mariage :
Ovide, v. 477-484
Edition Defaux, v. 939-954
Vitta coercebat positos sine lege capillos.
D’ung seul bandeau ses cheveulx mal en ordre
Serroit au chef, sans les lyer, ne tordre.
Multi illam petiere ; illa, aversata petentes, Plusieurs l’ont quise à l’espouser tendants,
Mais toujours feit reffus aux demandants.
Inpatiens expersque uiri nemora auia
[lustrat
Sans vouloir homme, & du plaisir exempte,
Va par les boys, qui n’ont chemin, ne sente,
Nec quid Hymen, quid Amor, quid sint
Et ne luy chault sçavoir que c’est de nopces
[conubia, curat. N’aussi d’ung tas d’amoureuses negoces.
Saepe pater dixit : « Generum mihi, filia, Son pere aussi luy a dit maintesfois,
[debes. » Ma chere fille, ung gendre tu me dois :
Saepe pater dixit : « Debes mihi, nata,
Et luy a dit (cent foys blasmant ses vœuz)
[nepotes. » Tu me doibs, fille, enfants, & beaulx nepveuz.
Illa, uelut crimen taedas exosa iugales,
Elle abhorrant mariage aussi fort
Que si ce fust ung crime vil, & ord,
Pulchra uerecundo suffuderat ora rubore
Entremesloit parmy sa face blonde
Une rougeur honteuse, & vereconde :
Le découpage systématique et l’analyse statistique montrent
qu’il est possible de concevoir ce genre de passages comme le
prototype possible de la séquence de traduction marotique.
266
« OVIDE VEUT PARLER »
L’idée qui se fait jour est alors celle d’un distique propre à l’exercice de la traduction. Les distiques sur lesquels travaille le poètetraducteur respectent formellement des contraintes pragmatiques : concision et métrique. Ils offrent également un cadre
favorable à des contraintes esthétiques (correspondance expressive, équivalence d’information, économie, micro-syntaxe), les
deux vers français représentant un volume de texte offrant au
poète de vraies marges de manœuvre expressives. Pour autant,
Marot n’enferme pas toute sa version dans des distiques : il les
laisse devenir quatrains, joue avec les enjambements, trouve parfois la clôture de la séquence au sixième vers seulement.
Pour l’héritier des Grands Rhétoriqueurs, le distique de traduction présente l’intérêt d’une forme à la fois fixe et plastique.
Forme fixe, le distique porte une hypothèse formelle conforme
au projet poétique ; forme plastique, il peut être déformé ou combiné, aboutir à des suites plus longues. Le distique ne constitue
pas une fin en soi, mais une sorte de force d’attraction agrégeant
progressivement les essais auxquels se livre l’invention poétique.
Il peut également servir de point de départ au commentaire critique, à partir duquel il devient possible de retracer les négociations menées pour la stabilisation du texte cible. Les diverses
formes observées apparaissent alors comme les solutions apportées et assumées par Marot à l’audacieuse équation qu’il pose à
la fin de la dédicace à François Ier : « Ovide veut parler » 45.
La formule omet remarquablement de citer la langue cible ;
elle dévoile, en dernière analyse, le fond du projet poétique du
Premier Livre : donner au texte d’Ovide non pas un équivalent
savant et ampoulé porté par une langue inutilement recherchée,
à l’image de celle de l’écolier limousin, mais une version aussi
accessible que la parole vivante. Face à la présence que le Premier
Livre s’efforce de réaliser, la question de la langue cible semble
presque secondaire. Pour autant, Marot doit conduire son projet
au travers d’un travail spécifique sur la langue française, dont le
commentaire critique doit rendre compte avec rigueur.
Observer que la technique dominante appliquée par Marot
(prédominance des opérations de maintien, respect optimal de
l’ordre des mots, etc .), et la rupture avec celles-ci (opérations de
45
Marot, TII, p. 407.
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR
267
transformation ou de suppression, reconstructions syntaxiques,
etc.) sont subordonnées au même projet conduit à apprécier les
séquences supposément banales au même titre que les passages
plus recherchés en tant que réalisations littéraires. Le jeu des opérations à la recherche de la juste version dit alors mieux que toute
appréciation esthétique la forme que prend l’exigence expressive
pour Clément Marot. La stratégie dominante et les micro-stratégies qui s’en distinguent rendent compte du geste total.
Le domaine de l’analyse se voit alors augmenté par la valorisation d’éléments qui échappent à l’approche par sondages ponctuels. Il devient possible non seulement de dire si un passage
donné relève ou non de la technique habituelle du traducteur,
mais surtout d’apprécier chaque passage en tant que forme issue
de la réflexion poétique de Marot.
Cet élargissement du champ des observations peut servir de
base à l’étude de ce qu’Yves Bonnefoy appelle la « traduction au
sens large », en particulier par la prise en considération des
autres traductions de Marot ou d’autres versions des Métamorphoses proches du Premier Livre dans le temps. La méthode du
découpage en séquences et l’hypothèse que ces dernières constituent les unités de travail du traducteur permettent d’ouvrir la
discussion avec des repères performants.
CHAPITRE VII
APRÈS LE PREMIER LIVRE
Mesurer l’influence du Premier Livre en tant que réalisation littéraire implique de le situer vis-à-vis des traductions qui le suivent,
celles de Marot et celles des autres traducteurs. Il est cependant
utile d’identifier au préalable les principales caractéristiques des
réalisations précédentes.
Publiée à Paris en 1509 1, la traduction de l’Enéide par Octovien
de Saint-Gelais constitue l’entreprise de traduction poétique en
français la plus importante avant le Premier Livre. L’application
du découpage par superposition révèle immédiatement une technique de traduction tout à fait différente de celle de Clément
Marot. Le passage sélectionné raconte un prodige au cours
duquel des gouttes de sang suintent des branches avec lesquelles
Enée entend orner l’autel de Vénus :
Virgile, Enéide, Livre III, v. 19-34 2
1
Sacra Dionææ matri Divisque ferebam
auspicibus coeptorum operum, superoque
[nitentem
2
cælicolum regi mactabam in litore taurum.
Forte fuit iuxta tumulus, quo cornea summo
uirgulta et densis hastilibus horrida myrtus.
1
2
Saint-Gelais, feuillet di vo
Si proposai faire aux dieux sacrifice,
Car le principe me fut assez propice.
Si fis occire sur ce port un taureau,
Et là auprès y avoit un tombeau
Environné d’arbres de maintes fortes
Cormiers de myrtes que la terre y apporte.
Les énéydes de Virgille, translatez de latin en françois, par messire Octavian
de Sainct Gelais, reveues et cottez par maistre Jehan d’Yvry, 1509. L’édition
est disponible sur Gallica avec l’identifiant ark :/12148/bpt6k71496m.
Virgile, Enéide, Livres I-IV, éd. et trad. Jacques Perret, Paris, Les Belles
Lettres, 1981, p. 76.
270
« OVIDE VEUT PARLER »
3
Accessi viridemque ab humo conuellere
Là m’en allai cuidant branches cueillir
[siluam Et verts rameaux à mes mains recueillir
conatus,
4
ramis tegerem ut frondentibus aras, Pour faire feu et digne couverture
Au sacrifice comme par droiture.
5
horrendum et dictu video mirabile monstrum.
Nam quæ prima solo ruptis radicibus arbos
uellitur, huic atro liquuntur sanguine guttæ,
et terram tabo maculant. Mihi frigidus
[horror
membra quatit gelidusque coit formidine
[sanguis.
Vis je lors là un monstre moult divers,
Car du premier arbre vis à l’envers
Acoup issir de sang noir grosses gouttes
Dont je perdis alors mes forces toutes
Et du grand peur devins froid et transi
Considérant que peut estre ceci.
6
Rursus et alterius lentum conuellere
Pas ne cessai pourtant ains plus fort tâche
[uimen Savoir que c’est et autres branches arrache
Insequor et causas penitus tentare
[latentis :
7
ater et alterius sequitur de cortice sanguis. De laquelle sortit pareillement
Et dégoutta du sang moult largement.
L’extrait présente deux types de manières : dans les
séquences 3, 4 et 7, le rapport deux vers français pour un vers
latin est observé, alors que dans les séquences 1, 2, 5 et 6, la
version de la langue cible est plus concentrée. Cette deuxième
manière tient plus à la disparition pure et simple de Contenus
Nucléaires présents dans le texte de Virgile. La séquence 1
permet d’observer plusieurs formes d’abandons : les différents
dieux évoqués par le poète latin (« Sacra Dionææ matri
Divisque ») sont regroupés dans un terme générique (« aux
dieux ») ; le contre-rejet du deuxième vers (« superoque nitentem ») est effacé ; le complément hors valence verbale (« auspicibus coeptorum operum ») exprimant l’objet recherché par le
sacrifice est rendu par une formule généralisante qui rend de
façon assez libre l’idée de la faveur des dieux. Des procédés
du même type peuvent être observés aussi dans les séquences
2, 5 et 6 ; on peut retenir, en autres choses, la disparition
complète du destinataire du sacrifice (« caelicolum regi »), des
racines (« ruptis radicibus ») d’où jaillit le sang noir, de la
APRÈS LE PREMIER LIVRE
271
malédiction (« tabo ») répandue sur la terre, ou encore de la
recherche des causes du mystère (« causas penitus latentes »).
Thomas Brückner, qui a réalisé l’étude la plus importante de
l’entreprise de Saint-Gelais, place les fréquentes suppressions
au cœur de la manière saintgelienne :
Bei der Übertragung der einzelnen Verse indes nimmt sich der Rhétoriqueur einige Freiheiten, welche die Übersetzungskritik mit Kategorien wie Auslassung, ungenaue bzw. falsche Übersetzung,
Verkürzung, sehr freie Wiedergabe beschreibt. Es scheint, dass ein
Wort-für-Wort Vergleich zum Teil erhebliche Abweichungen ergäbe.
[…] Die Wiedergabe des Vergilschen brevitas bereitet dem Übersetzer offensichtlich Schwierigkeiten 3.
Les libertés prises par le traducteur ne doivent pas conduire
à un jugement trop hâtif : l’étude approfondie du travail de
Marot met en évidence que les questions esthétiques en lien
avec la traduction gagnent à être abordées avec prudence.
Revenir aux séquences 3, 4 et 7 permet d’observer d’autres
caractéristiques du travail de Saint-Gelais. Les séquences 3 et
4 offrent des versions dans lesquelles le texte français amène
des éléments supplémentaires, fruits de l’interprétation du traducteur : la surprise qui attend Enée est préparée par un rappel
de son intention première par la mention « cuidant branches
cueillir » ; l’usage des branches qui servent à immoler par le
feu est rappelé de façon explicite. Les ajouts révèlent une lecture précise et soucieuse de rendre la progression logique perceptible au lecteur. La marque de la technique saintgelienne ne
réside pas dans la simple diminution du texte source, mais
plutôt dans l’alternance entre deux manières, l’une résumante,
l’autre explicative.
Un autre passage permet d’observer une troisième manière où
la réécriture semble repousser les limites de la définition même
de la traduction, au moment où Enée et ses compagnons abordent l’île de Délos :
3
Thomas Brückner, Die erste französische Aeneis. Untersuchungen zu Octovien
de Saint-Gelais’ Übersetzung ; mit einer kritischen Edition des VI. Buches (Studia
humaniora ; 9), Düsseldorf, Verlag Droste, 1987, p. 149.
272
« OVIDE VEUT PARLER »
Virgile, Enéide, Livre 3, v. 73-83 4
1
Sacra mari colitur medio gratissima tellus
2
Nereidum matri et Neptuno Aegaeo,
3
quam pius arquitenens oras et litora circum
errantem Mycono e celsa Gyaroque reuinxit,
immotamque coli dedit et contemnere uentos.
4
Huc feror,
Saint-Gelais, feuillets dii ro - dii vo
Dedans la mer y eut une grand île
Où la terre fut plaisante et fertile.
Là Neptunus prévoit honneurs placides
Aussi la mere jadis de Néréides.
Celle belle île en son commencement
Etait sujette à divers tremblement,
Vent et tempête [rude] la traitaient,
Mais sont atteints ceux qui y habitaient,
Dont Appollo voyant telles ruines
Il colloqua deux montagnes voisines
Dont aux manants [futur] repos donne.
Par ce moyen fut le vent contempne
Et fut ainsi l’île ferme et stable,
Non plus au moins sujette et muable.
Le droit [à tous] car bien eûmes assez
Fait de pays pour en être lassés.
5
haec fessos tuto placidissima portu
accipit ;
Celle belle terre doncques plaisante et
[belle
Tous nous reçut sans point être rebelle
Et doucement par grâcieux support
Recueillis fûmes trestous dedans ce port.
6
egressi ueneramur Apollinis urbem.
7
Rex Anius, rex idem hominum Phoebique
sacerdos,
uittis et sacra redimitus tempora lauro
occurrit ;
4
Virgile, Enéide, Livres I-IV, p. 78.
Hors des navires promptement nous
[yssimes,
A la cité d’Appollo honneur fîmes.
Le roi du lieu nous vint alors devant,
Dit Aiyus, authentique [et] savant
Roi pour certain et de Phébus fut prêtre.
Si chef [avoit], pouvait apparaître
Corné de vignes et couvert de lauriers.
Cil nous reçut ainsi que familiers,
APRÈS LE PREMIER LIVRE
273
8
ueterem Anchisen agnouit amicum.
9
Iungimus hospitio dextras et tecta subimus.
Bien reconnut l’amitié ancienne
De mon viel père et de la gent troyenne.
Ainsi entrâmes joyeux en son hôtel
Bien connaissant son vouloir être tel.
Dans la séquence 3, l’intrigue de Virgile est substantiellement
restructurée dans la version de Saint-Gelais : la difficulté engendrée par la construction relative latine (« quam errantem ») est
contournée par la mise en place d’indépendantes en français. La
séquence 4 met la partie latine en relation avec une partie française qui n’en est pas véritablement la traduction : Virgile indique
simplement qu’Enée se dirige en direction de l’île, alors que
Saint-Gelais donne une explication psychologique donnant au
héros le droit de se reposer. La séquence 9 présente encore une
autre forme de réécriture : le symbole des mains droites jointes
(« jungimus dextras ») est rendu par sa signification, celle de
l’accueil donné (« bien connaissant son vouloir être tel »).
Les diverses manières auxquelles a recours Saint-Gelais
s’inscrivent toutes dans la ligne de la mise en garde d’Horace
contre le mot à mot. L’impératif semble, comme chez Marot, celui
de l’accessibilité pour le public français. Le traducteur assume la
part d’interprétation qui lui revient et décide de ce que le lecteur
doit comprendre. Celui-ci accède à l’histoire d’Enée, sans être
confronté directement aux aspérités du texte latin. Même s’il est
délicat de juger d’un texte du volume des Enéides de Saint-Gelais
sur la base de quelques dizaines de vers seulement, la diversité
des formes observées permet d’esquisser une hypothèse : comme
chez Marot, les stratégies parfois surprenantes appliquées par le
traducteur ne sont pas de nature à mettre en cause sa connaissance du latin ou ses qualités de poète, mais plutôt sa conception
de la traduction.
Contrairement à Marot, dont la version suit souvent au plus
près l’original latin, Saint-Gelais s’affranchit volontiers du détail
de son modèle. Il renonce certes presque totalement à la glose (il
reste quelques indications en marge) propre à la manière médiévale, mais il semble renoncer également à l’objectif d’une version
dans laquelle il disparaisse au profit d’un Virgile parlant français.
Invoquer le refus horacianiste du mot à mot n’est pas suffisant
274
« OVIDE VEUT PARLER »
pour cerner véritablement les contours de l’entreprise saintgelienne : Marot lui aussi sait ne pas « s’asservir » à une traduction
à la lettre. Il faut s’orienter plutôt vers une définition de la traduction comme un modeste exercice de réécriture, que Saint-Gelais
entend rendre acceptable bien plus par le contexte de sa réalisation ou l’importance de sa source que par une quelconque revendication esthétique :
Telle matière et tel propos me sembla lors assez conforme au temps
moderne, voire et aux choses qui ores sont, si pensay sans plus
muser jeter ma charrue légère en ce fertile pourpris pour en tirer
grains et substance. Et conclus lors d’ardant désir si force au cœur
ne me défaut icelluy livre translater de bon latin haut et insigne
de mot à mot et au plus près et de le mettre en langue française
et vulgaire 5.
La fin du passage et l’allusion à une version « au plus près »
confirment bien toute la difficulté de rendre opérationnel l’adage
d’Horace pour la discussion des textes de traduction du premier
seizième siècle. Le système d’opposition qui sous-tend la
réflexion de Saint-Gelais permet par contre d’entrer dans le présupposé fondamental : d’un côté, le « fertile pourpris », le « latin
haut et insigne » ; de l’autre, la « charrue légère », la « langue
française et vulgaire ». L’entreprise du traducteur moderne
semble placée d’emblée dans un univers de possibles, et donc
dans un niveau d’exigence, tout bonnement inférieur à celui de
l’original. Saint-Gelais se montre dans ses Eneydes, tout simplement parce qu’il estime impossible que Virgile y apparaisse véritablement. Le traducteur se voit gratifié d’un laisser-passer, parce
qu’il faut bien occuper la place dans laquelle il semble impossible
de faire vivre l’original.
Même si elle est très différente dans sa réalisation concrète, la
stratégie appliquée par Guillaume Michel de Tour pour la première églogue participe des mêmes présupposés. Le recours à un
français surnourri dit lui aussi la défiance envers les possibilités
5
Octovien de Saint-Gelais, « Prologue », Les énéydes de Virgille, translatez de
latin en françois, reveues et cottez par maistre Jehan d’Yvry, 1509, feuillet
aii ro. Le contexte du passage est intéressant : il constitue au plus un dixième
d’un prologue orienté tout entier vers la louange du souverain, Louis XII.
APRÈS LE PREMIER LIVRE
275
de la langue vernaculaire. La fortune critique du portrait de l’écolier limousin explique sans doute pourquoi la tentative n’a guère
trouvé d’écho dans le domaine français, alors même que la théorie de la traduction pourrait admettre des recherches formelles
visant à établir une langue façonnée à l’aune du texte source 6.
Le choix opéré par Marot ne renvoie cependant pas simplement à une confiance aveugle dans les possibilités d’illustration
de la langue française ; il dit avant tout une exigence plus fondamentale de la poésie marotique, celle d’une présence habitant le
poème. La solution consistant à admettre la présence du traducteur au vu de l’impossibilité d’intégrer l’auteur original ne saurait cependant être retenue, puisqu’elle serait « éthiquement »
inacceptable dans la logique du silence décrite par Gérard
Defaux 7. La déontologie qui naît de cette exigence est celle-là
même de la traduction moderne : l’engagement total du traducteur implique sa disparition illocutoire. La tâche impossible du
poète dans le contexte de la traduction consiste à combler le
déficit littéraire redouté entre la version française et son modèle
latin. L’abandon assumé de Saint-Gelais présente l’avantage
d’une solution raisonnable. Marot quant à lui juge sans doute
plus honorable la recherche délibérée d’une version conforme à
l’utopie d’un Ovide parlant français.
La comparaison avec le travail de Saint-Gelais révèle en dernière analyse que les catégories générales du commentaire critique, à commencer par la référence à l’adage horacien, s’avèrent
hautement insuffisantes pour rendre compte de la spécificité de
l’entreprise du Premier Livre : si Marot peut avoir recours à des
techniques présentant des caractéristiques semblables à celles de
Saint-Gelais, telles que la redistribution de Contenus Nucléaires
ou l’ajout à fonction explicative, il applique des formes et des
proportions qui donnent au Premier Livre une dimension tout à
fait différente de celle des Eneydes. Il importe donc de demeurer
au niveau de l’analyse de texte, si l’on entend mesurer avec un
tant soit peu de précision l’influence exercée par la technique
marotique dans des entreprises postérieures au Premier Livre :
6
7
A l’image des recherches de Jean Tardieu sur le vers accentuel inspiré par
Hölderlin.
Gérard Defaux, « Rhétorique, silence et liberté dans l’œuvre de Marot ».
276
« OVIDE VEUT PARLER »
l’observation de la technique doit être axée sur le repérage
méthodique des phénomènes les plus fréquents, non uniquement
sur celui des phénomènes les plus saillants. Comme Marot est
son premier successeur dans le domaine de la traduction des
textes majeurs, il est logique de débuter par l’observation de
l’évolution des techniques dans le corpus marotique.
LES AUTRES TRADUCTIONS DE MAROT
La série de traductions qui débute avec le Premier Livre procède
à une exploration remarquable des principales tendances esthétiques et intellectuelles du début du XVIe siècle. La liste des textes
traduits par Marot après Le Premier Livre ressemble à un manifeste en faveur des idées nouvelles. Rien de littéraire, on l’a vu
plus haut, ne semble étranger à Marot traducteur : les littératures
latine (Ovide), grecque (Musée), moderne (Pétrarque), néo-latine
(Erasme) et religieuse (Psaumes) font toutes l’objet de l’attention
du poète. Les enseignements tirés de l’analyse du Premier Livre
permettent de disposer d’une grille utile pour évaluer l’évolution
de la technique marotique 8 au travers d’une entreprise sans équivalent contemporain par la variété des sources traitées et des
contextes stylistico-linguistiques.
S’il n’est pas le plus proche par la situation chronologique, le
Second Livre de la Metamorphose constitue évidemment l’entreprise
de traduction la plus comparable au Premier Livre par le contexte
de sa réalisation : même auteur source, même format de texte
cible (décasyllabes rimés), même approche épistémologique. Une
différence importante marque toutefois le dispositif : Marot abandonne complètement la technique des sous-titres inspirés de
l’index de Regius. Le texte se déroule sans interruption du début
à la fin du livre. Le test de la superposition révèle des distiques
8
En ce qui concerne les traductions qui précèdent le Premier Livre, la Première
Eglogue de Virgile, dont Gérard Defaux date la composition vers 1512
(Marot, TI, p. 413) semble porter les prémices de la technique marotique
(voir plus haut). Quant aux traductions néo-latines (Tristes vers et Oraison
contemplative), l’étude systématique des textes révèle des structures tout à
fait analogues à celles observées dans le Premier Livre. Voir à ce sujet : David
Claivaz, Marot enchaîné, Studia Neophilologica, 77, 2005, 188-209.
277
APRÈS LE PREMIER LIVRE
tout à fait semblables à ceux relevés dans le Premier Livre, par
exemple dans un passage décrivant les saisons siégeant autour
d’Apollon au moment où Phaéton gagne le palais de son père :
Ovide, Métamorphoses, Livre II
v. 26-30 9
Marot, Le Second Livre
v. 51-57 10
Verque nouum stabat cinctum florente
Là est debout Printemps, le nouveau né,
[corona, Qui d’ung chappeau de fleurs est
couronné.
Stabat nuda Aestas et spicea serta gerebat, Là est sur pieds l’Esté nud sans chemise,
D’espics de bled la couronne au chef mise,
Stabat et Autumnus, calcatis sordidus uuis
Autumne aussi, qui les membres tachés
Avoit par tout de raisins escachés,
Et glacialis Hiems, canos hirsuta capillos.
Avec Yver, qui tremble & qui frissonne,
Et dont le poil tout chenu herissonne.
On retrouve facilement dans le passage le souci de l’ordre des
mots, aussi bien que celui de la symétrie des effets : l’anaphore
« Là est » correspond au « stabat » latin, même si, peut-être par
crainte de monotonie, elle n’est pas répétée trois fois. Le distique
de traduction semble être à ce point maîtrisé qu’il efface certaines
particularités du texte original :
Ovide, Métamorphoses, Livre II
v. 401-408 11
Marot, Le Second Livre
v. 737-752 12
At pater omnipotens ingentia moenia caeli Le tout Puissant adoncq de toutes pars
Circuit et,
A tournoyé du ciel les haultz rempars,
ne quid labefactum uiribus ignis Pour visiter avecques providence
Corruat, explorat.
Si le feu a rien mys en decadence.
Quae postquam firma suique Puis quand il veit que de chascun quartier
Roboris esse videt,
Tout estoit seur, ferme & en son entier,
Perspicit.
9
10
11
12
terras hominumque labores Du ciel s’en vint aussi bas que nous sommes
Pour veoir la terre, & le labeur des hommes.
Ovide, TI, p. 38.
Marot, TII, p. 453.
Ovide, TI, p. 50.
Marot, TII, p. 471.
278
« OVIDE VEUT PARLER »
Arcadiae tamen est inpensior illi
Cura suae ;
Mais par sus tout il myt son estudie
A reparer son pays d’Arcadie,
fontesque et nondum audentia labi Et restablir les fleuves, & ruisseaux,
Flumina restituit,
Qui n’osoyent faire encor couler leurs eaux.
Arboribus,
dat terrae gramina, frondes Herbes, & fleurs à la terre rendit,
Fueilles, & fruicts sur les arbres pendit,
laesasque iubet reuirescere siluas. Et les forestz gastées de l’ardeur
Feit revestir de nouvelle verdeur.
Le passage raconte le soin que prend Jupiter à inspecter le
ciel, puis à réparer la terre après les dégâts occasionnés par la
course folle de Phaéton. Les rejets utilisés par Ovide expriment
la continuité de l’action de Jupiter qui ne connaît pas de repos
jusqu’au rétablissement de sa création. La version de Marot
s’articule autour de distiques parfaitement composés, sans retenir la figure de construction qui se trouve au cœur du texte
original. La technique appliquée par le traducteur semble ici
s’imposer contre l’expressivité de la source. Dans des contextes
analogues, l’étude du Premier Livre avait montré Marot jouant
volontiers du rejet et du contre-rejet pour répondre à la subtilité d’Ovide. Au travers du passage ci-dessus, Le Second Livre
semble laisser s’affirmer une tendance à la normalisation,
l’efficacité avérée de la technique du distique entraînant le
traducteur à une version plus standarisée, celle à laquelle parvient celui qui « sait » traduire. En Marot, le traducteur semble
désormais capable de s’affranchir de la puissance créatrice du
poète.
L’habileté de ce dernier ne tarde cependant pas à réapparaître,
si le contexte l’exige. Quelques vers après avoir réparé le monde,
Jupiter tombe amoureux de Callisto ; la crainte de la colère de
Junon le fait hésiter un peu, les circonstances de la rencontre avec
Callisto (« custode vacantem » 13) permettent à Jupiter d’espérer
pouvoir agir en toute impunité :
13
v. 422, Ovide, TI, p. 51.
279
APRÈS LE PREMIER LIVRE
Ovide, Métamorphoses, Livre II
v. 423-424 14
Marot, Le Second Livre
v. 779-782 15
« Hoc certe furtum coniunx mea nesciet » Ja (ce dit il) ne sçaura mon espouse
[inquit Ce coup d’emblée, & n’en sera jalouse,
« Aut si rescierit, sunt, o sunt iurgia tanti ! » Ou si le sçait, elle aura beau s’en plaindre.
Sont les courroux des Dames tant à craindre ?
Comme il a appris à ne pas sous-estimer son épouse, Jupiter
doit cependant prendre en compte l’hypothèse qu’elle parvienne
à découvrir la vérité (« si rescierit ») : tout à son désir, le dieu
séducteur éloigne ses craintes par une formule aussi elliptique
que définitive. Georges Lafaye donne une version un peu didactique : « ou, si elle l’apprend, un tel prix me paie, oh ! oui, un tel
prix me paie bien de ses querelles. » 16 On ne saurait dire si le
Jupiter d’Ovide est véritablement capable d’une pensée aussi
rationnelle au moment d’exercer ses charmes. Marot choisit une
formule dans laquelle on retrouve les préjugés de son temps et
qui exprime plus directement le mépris du risque dont peut faire
preuve celui que son désir entraîne. L’audace sourit au traducteur, puisqu’elle est non seulement acceptée, mais aussi commentée par le sévère Barthélemy Aneau qui indique en marge du
vers : « Ire de femme n’est redoutable » 17. Il est remarquable que
le commentaire de l’humaniste semble se baser nettement plus
sur la version de Marot que sur l’original d’Ovide. La note 18 de
Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant indique un écho
éventuel dans l’Imagination poétique de Barthélemy Aneau :
« Quand se venger des peres point ne peuvent / […] CRUEL
sexe, à vengence importent / Autant qu’il est de vengence
appetent ». L’hypothèse semble cependant fragile : il faudrait
admettre que le savant Aneau, qui sait se montrer particulièrement pointu quand il s’agit d’évaluer le texte de Marot, accepte
une version sur la seule base d’une conviction générale. Sans
doute vaut-il mieux invoquer l’efficace finesse de la formule de
Marot qui livre une sorte de lecture du for intérieur de Jupiter
tout à fait dans la ligne du portrait à charge dressé par Ovide.
14
15
16
17
18
Ovide, TI, p. 51.
Marot, TII, p. 472.
Ovide, TI, p. 51.
Trois premiers livres, p. 150.
Trois premiers livres, p. 197.
280
« OVIDE VEUT PARLER »
L’impression de normalisation que donne Le Second Livre ne
doit pas amener à conclure à une traduction rigide ou négligée.
Il semble naturel de retrouver la technique mise au point dans Le
Premier Livre appliquée de façon pour ainsi dire classique dans la
suite du projet de traduction des Métamorphoses, mais il n’y a
aucune raison de penser que Marot devienne subitement moins
exigeant vis-à-vis de sa version. L’étude systématique du Premier
Livre a par ailleurs démontré que seules des observations menées
à grande échelle permettent de saisir toute la dimension d’une
entreprise de traduction. L’évaluation fine du Second Livre nécessiterait une analyse de cette profondeur, mais il est possible
d’avancer à ce stade que Marot semble fidèle à une technique
avec laquelle il a rencontré le succès.
Malgré la lointaine présence d’Ovide dans l’intertexte, le
contexte éditorial de L’Histoire de Leander et Hero présente des
caractéristiques remarquablement différentes de l’entreprise du
Premier Livre. Alors que ce dernier constitue une sorte de territoire conquis par le vernaculaire sur le pré carré humaniste, le
passage en français du texte de Musée ressemble plus à un délice
autorisé par les nouvelles pratiques littéraires qui apparaissent
dans le premier seizième siècle.
Le passage de Musée en français suppose avant tout la traduction du texte en latin. Celle-ci est originellement l’œuvre de
Marcus Musurus pour le compte d’Alde Manuce 19. L’incunable
de l’académie aldine est à l’origine d’un nombre important de
rééditions : le répertoire de Friedrich Adolph Ebert 20 recense cinq
éditions entre la première publication aldine et le volume parisien de 1538. Parallèlement à cet engouement pour la traduction
aldine, le texte de Musée connaît en France dans les premières
années du XVIe siècle une série importante d’éditions : il paraît
une première fois sous la forme d’une paraphrase attribuée à
Guillaume de la Mare (Mara) à Paris en 1511, puis accompagné
d’un commentaire attribué à Joannes Vatellus (Vatelle) en 1514 21.
19
20
21
L’incunable porte le numéro M25737 dans le Gesamtkatalog der Wiegendrucke
(GW) ou le numéro im00880000 dans le Incunabula Short Title Catalogue
(ISTC).
Friedrich Adolph Ebert, A General Bibliographical Dictionary, Volume 3,
Oxford University Press, 1837.
Jean-Eudes Girot, « Clément Marot, traducteur de Musée », Actes Cahors,
p. 122.
APRÈS LE PREMIER LIVRE
281
L’ensemble du corpus – traduction aldine, paraphrase et commentaire – est repris dans un volume unique publié en 1538 par
Christian Wechel. Le texte de Musée apparaît comme le type de
production littéraire rendu possible par le développement des
idées nouvelles : grâce à l’industrie éditoriale des grands lettrés,
un corpus nouveau devient facilement disponible. Si le volume
publié par Wechel s’inscrit dans cette dynamique nouvelle, il
n’est pas sans poser certains problèmes d’autorité : on y trouve
en effet d’un côté l’attribution précise d’une paraphrase et d’un
commentaire, respectivement à Mara et Vatelle, alors que d’un
autre côté, la traduction latine publiée n’est que très indirectement reliée à Marcus Musurus par la reproduction de deux épigrammes du Crétois.
Grâce au volume publié chez Christian Wechel, Marot dispose
du matériel dont il a besoin pour aborder un texte grec. Le soustitre pour l’édition de 1541 chez Sébastien Gryphe renseigne sur
certains aspects de l’entreprise de Marot :
L’HISTOIRE DE LEANDER ET DE HERO,
Premierement faict en Grec par
Musaeus poëte tresancien :
et depuis mis de Latin
en François par
Clement Marot 22
On remarque d’abord une erreur commise par Marot sur l’origine du texte. L’adverbe « premierement » attribue la paternité
du texte à Musée « poëte tresancien » : Marot suit sans doute le
commentaire de Vatelle qui attribue faussement le texte au Musée
mythique en lieu et place de Musée le grammairien qui vécut
autour du Ve siècle après Jésus-Christ. Reconnaître en Musée
l’auteur premier d’une histoire qui se trouve par ailleurs dans les
Héroïdes 23 d’Ovide implique de situer la composition avant le
Ier siècle avant Jésus-Christ. Une telle hypothèse n’est compatible
qu’avec l’attribution du texte au Musée mythique.
Apparaît ensuite explicitement un décalage, qui touche à la
discontinuité entre Musée et Marot : le premier rédige en grec,
22
23
Marot, TII, p. 499.
La lettre de Léandre à Hero est attribuée à Ovide. Il existe un doute sur
l’attribution de la lettre de Hero à Léandre.
282
« OVIDE VEUT PARLER »
alors que le second traduit du latin au français. Il manque à la
séquence le passage du grec au latin. On peut imaginer que la
difficulté à identifier l’identité du traducteur dans le volume
publié par Wechel ait conduit Marot, si sensible à la question de
l’autorité sur les textes, à préférer l’ellipse à la méprise.
Il faut par ailleurs reconnaître au sous-titre de Marot la qualité
de marquer de façon relativement claire la séparation entre l’original grec et le texte français. La traduction du grec avance en
France bien plus lentement que celle du latin. Il faut se souvenir
en effet que jusqu’aux années 1540, les traducteurs français de
textes grecs (Seyssel, Tory, Salel) travaillent presqu’exclusivement
sur des textes intermédiaires en latin, ainsi que le rappelle Paul
Chavy :
Soyons cependant sans illusion, si une des versions citées (Electre 24)
a été faite directement sur l’original grec, si deux ou trois se sont
référées au texte grec, toutes les autres ont utilisé exclusivement des
versions latines venues d’Italie 25.
Allié à la transparence du sous-titre, ce constat conduit à
nuancer l’idée d’un Marot cherchant à s’afficher en helléniste,
idée que Gérard Defaux lui-même semble s’être forcé à
envisager :
Il est malgré tout possible que Marot ait été poussé vers cette fable
par un autre motif, celui de la « doctrine » et du « savoir ». Le besoin
d’élargir son horizon culturel, de fréquenter les sources grecques –
même, comme c’est le cas ici, à travers un filtre latin –, de gagner
en maîtrise et en réputation, tout cela a dû aussi jouer un certain
rôle dans son choix 26.
Jean-Eudes Girot se montre plus catégorique encore pour
questionner le portrait d’un Marot hellénisant :
[..] la traduction de l’œuvre de Musée [reflète] l’engouement pour
l’hellénisme à la fin des années vingt. Pourtant, il est difficile de
24
25
26
Chavy fait allusion à la traduction de Lazare de Baïf. Auparavant, il a cité,
parmi les traducteur du grec au français, Geoffroy Tory, Claude de Seyssel,
Antoine Macault.
Chavy, Paul, « Les traductions humanistes au début de la Renaissance française : traductions médiévales, traductions modernes », p. 287.
Marot, TII, p. 1196.
APRÈS LE PREMIER LIVRE
283
mettre Marot sur le même plan qu’un Antoine de Macault, par
exemple, traducteur en français de l’autre grand succès scolaire de
la littérature grecque, Le grand combat des ratz et des grenouilles que Wechel publie en 1540. Marot est un poète, et l’on
peut supposer que son choix repose avant tout sur des critères
poétiques 27.
Bien plus que le prestige de la source grecque, la force intrinsèque de L’Histoire de Leander et Hero doit être soulignée : après
Ovide, Musée et Marot, le thème a pu aussi bien retenir l’attention de poètes de l’importance de Schiller ou Byron, qu’inspirer
toute une série de chansons populaires d’époques et de situations
géographiques différentes 28. La façon délibérée dont le sous-titre
retenu par Marot attribue « l’histoire » à Musée met également
en évidence, on l’a vu, la valeur du texte original. Le potentiel
littéraire de celui-ci est incontestable : images fortes du bonheur
des amants et des dangers de la traversée, tension conservée tout
au long du récit montrant Léandre traverser l’Hellespont, double
tragédie finale. Le rapport du traducteur à l’original est sans
doute plus marqué par la densité poétique du récit de Musée que
par la recherche d’une posture d’helléniste.
Il faut souligner par ailleurs l’avantage que représente le matériel rendu disponible par le volume publié par Christian Wechel
en 1538 : Marot dispose d’un appareil critique tout à fait comparable à celui qu’il a utilisé pour le Premier Livre, puisque le texte
latin se voit accompagné de commentaires érudits. L’abondance
du corpus utilisé par Marot conduit à interroger la nature même
de l’exercice auquel il se livre en rédigeant L’Histoire de Leander
et Hero. Jean-Eudes Girot met en évidence que toutes les composantes de l’opuscule de Wechel sont exploitées : la traduction de
Musurus, la paraphrase de Mara, et le commentaire de Vatelle.
Trois cas de figure sont observés par le critique : la paraphrase et
le commentaire l’emportent sur la traduction ; le commentaire
l’emporte sur la paraphrase et la traduction ; la traduction
l’emporte sur le commentaire et la paraphrase 29.
27
28
29
Jean-Eudes Girot, « Clément Marot, traducteur de Musée », p. 131-132.
Voir à ce sujet Thierry Sandre, La Touchante Aventure de Héro et Léandre,
Amiens, Librairie Edgar Malfère, 1924.
Jean-Eudes Girot, « Clément Marot traducteur de Musée », p. 123-124.
284
« OVIDE VEUT PARLER »
Le recours à l’érudition pour l’élaboration d’une version assurant l’interprétation la plus exacte possible du texte source constitue l’une des pratiques observées dans le Premier Livre. Dès lors
que le texte source n’est pas directement accessible au traducteur,
il est légitime de se demander si la version proposée par Marot
constitue une traduction à partir du texte de Musurus ou plutôt
une reconstruction à partir des éléments présents dans l’opuscule
Wechel. La question est d’autant plus légitime que Jean-Eudes
Girot ne quantifie pas les pratiques qu’il observe et qu’elle se
posera également pour la traduction des Psaumes. La connaissance de la technique de Marot traducteur acquise grâce à l’étude
du Premier Livre constitue dans ce débat un atout de premier
ordre.
Le texte de Marcus Musurus présente des caractéristiques relativement proches de celles des Métamorphoses : séquences narratives réparties sur plusieurs vers, présence de discours direct,
langue accessible. Il n’est par conséquent guère surprenant de
voir Marot travailler sur des distiques de traduction présentant
des caractères analogues à ceux qui ont pu être observés dans Le
Premier Livre, par exemple dans cet extrait du discours de Leander à Hero :
Marcus Musurus 30, p. 10
Marot, v. 255-260 31
1
Veneris ut sacerdos, exerce Veneus opera : Tu te dys fille à Venus consacrée,
Fais doncq cela, qui à Venus aggrée.
2
Huc ades, initiare nuptialibus legibus deae : Vien vien m’amye, & d’une amour esgalle
Entrons tous deux en sa loy conjugalle :
3
Virginem non decet administrare Veneri : Ce n’est pas chose aux vierges bien propice
D’administrer à Venus sacrifice.
Comme cela a pu être observé à de nombreuses reprises,
Marot met un soin tout particulier à conserver l’ordre des mots
30
31
Museai Opusculum de Herone et Leandro, Paris, Christian Wechel, 1538.
L’ouvrage n’est pas paginé. Plusieurs éditions sont disponibles sur Google
Books. La pagination proposée est celle issue du document au format pdf
après téléchargement du document Google Books à l’adresse http://
books.google.ch/books ?id=GihLf2ALKK4C&hl=fr le 23 juillet 2013.
Marot, TII, p. 506.
285
APRÈS LE PREMIER LIVRE
latins dans la version française : on peut relever en particulier les
séquences « Veneris […] sacerdos »/« à Venus consacrée »,
« exerce Veneus »/« fais […| à Venus », « initiare nuptialibus
legibus »/« entrons […] en sa loy conjugalle », « Virginem […]
decet »/« aux vierges bien propice », « administrare Veneri »/
« administrer à Venus ». Les ajouts qui peuvent être observés
relèvent du processus d’explicitation auquel Marot a souvent
recours dans le Premier Livre : dans la séquence 2, les deux ajouts
« d’une amour esgalle » et « tous deux » relèvent de la tautologie,
tant il est vrai que l’essence des noces consiste à rapprocher deux
êtres ; dans la même séquence, l’ajout « m’amye » relève de la
logique du récit, puisque Léandre s’adresse à Héro.
Pour le même passage, la comparaison avec la paraphrase de
Mara laisse peu de doutes sur la prééminence de la version de
Musurus :
Mara 32, p. 42-43
Marot, v. 255-260 33
1
Debet amoris opus Veneris tractare
Tu te dys fille à Venus consacrée,
[sacerdos Fais doncq cela, qui à Venus aggrée.
2
Huc agè concelebra Cytherea mystica mecum Vien vien m’amye, & d’une amour esgalle
Sacra, maritales liceat concludere leges.
Entrons tous deux en sa loy conjugalle :
3
Haud decet innuptam nuptae servir Dionae,
Ce n’est pas chose aux vierges bien propice
D’administrer à Venus sacrifice.
Dans la séquence 1, la paraphrase de Mara mérite pleinement
son nom : alors que la parataxe de la version de Musurus établit
de façon implicite le rapport de cause à effet entre la condition
de prétresse de Vénus et le service à rendre à Vénus (l’union
amoureuse), la paraphrase explicite le rapport avec le verbe
« debet ». Dans les séquences 2 et 3, Mara fait apparaître Vénus
32
33
Musaei vetustissimi poetae Opusculum de amoribus Leandri et Herûs Guilielmo de
Mara paraphraste ; eruditis Ioannis Vatelli Coeniliensis commentarijs enarratum,
Paris, Christian Wechel, 1538. La pagination proposée est celle issue du
document au format pdf après téléchargement du document Google Books
le 23 juillet 2013 à l’adresse http://books.google.ch/books?id=dJF0HvC_
K9oC&hl=fr.
Marot, TII, p. 506.
286
« OVIDE VEUT PARLER »
sous d’autres noms. (« Cytherea », « Dionae »), alors que Musurus s’en tient à Vénus. Marot choisit très nettement de suivre
Musurus, parfaitement fidèle en cela à la déontologie qu’il
défend à travers tout le Premier Livre.
Des observations analogues peuvent être faites dans le reste
du texte. S’il est incontestable que Marot a consulté l’ensemble
du corpus Wechel, et que, comme dans le Premier Livre, il s’appuie
à l’occasion sur certains éléments d’érudition, il semble raisonnable de voir dans L’Histoire de Leander et Hero, une traduction
basée sur le texte de Marcus Musurus.
Plusieurs séquences donnent cependant l’impression que le
distique ne constitue plus un point d’appui tout à fait aussi
nécessaire que pour la traduction d’Ovide. On trouve ainsi des
distiques dans lesquels des vers entiers semblent ajoutés, d’autres
constitués par la disparition pure et simple d’un vers latin. C’est
le cas dans les deux séquences qui suivent, la première, extraite
d’une réplique de Héro à Léandre, la seconde, du portrait de
Héro :
Marcus Musurus 34, p. 10
Marot, v. 225-226 35
Alia ito via, meamque dimitte vestem
Croyez qu’ici fort mal vous addressez
Allez ailleurs, & ma robbe laissez,
et
Marcus Musurus 36, p. 10
Marot, v. 251-252 37
Beatus qui te plantavit, & beata quae
Bienheureux est celuy qui te planta,
[peperit mater, Et pleine d’heur, celle qui t’enfanta :
Venter, qui te enixus est, felicissimus :
PAS DE TRADUCTION
Les vers de Musée dans la version de Musurus ne présentent
sans doute pas la densité de ceux d’Ovide. Dans la première
séquence, Marot semble déroger à la pratique de l’ajout
« motivé » pour se laisser aller à une cheville occupant tout le
premier vers ; dans la deuxième séquence, il a pu juger que
l’image du ventre n’ajoutait pas grand-chose à celles de l’union
34
35
36
37
Museai Opusculum de Herone et Leandro.
Marot, TII, p. 506.
Museai Opusculum de Herone et Leandro.
Marot, TII, p. 506.
287
APRÈS LE PREMIER LIVRE
charnelle et de la parturition présentes dans le vers précédent.
Jean-Eudes Girot a noté 38 des libertés analogues prises en
d’autres occasions :
Alors qu’il faut en moyenne près de deux décasyllabes pour un hexamètre, le passage de la tempête est presque rendu vers pour vers, ce
qui a pour conséquence d’accélérer le rythme de la narration du
poème de Marot par rapport à l’original. De même rend-il vers pour
vers certaines sentences pour en faire des véritables maximes.
Léandre trouve de bon augure les reproches d’Hero.
Car lors que femme à ung amant conteste
Son contester signe d’amour atteste 39.
Les remarques de Jean-Eude Girot confirment les observations
faites à propos de l’invention poétique dans le Premier Livre :
Marot s’autorise à changer de technique dès lors qu’il s’agit de
donner une version littérairement plus aboutie. Pour autant,
l’observation du Premier Livre révèle également qu’il s’agit d’une
pratique minoritaire dans la technique de Marot traducteur.
La liberté de Marot vis-à-vis de la pratique du distique de
traduction apparaît de façon particulièrement nette pour un vers
central, tant par sa forme que par son origine ovidienne :
Marcus Musurus 40, p. 14
Marot, v. 457-460 41
Splendentemque festinabat semper adversus Tirant tousjours vers la clere lanterne :
[lucernam Et tellement en la mer se gouverne
Ipse remex, ipse classis, ipse sibi navis.
Que luy tout seul navigant vers sa Dame
Estoit la nef, son passeur, & sa rame.
Le passage semble constituer une séquence dans laquelle
quatre vers français sont nécessaires pour rendre deux vers latins.
A bien y regarder, cependant, on voit que le premier vers de
la partie latine est contenu tout entier dans le premier vers de la
38
39
40
41
Jean-Eudes Girot, « Clément Marot traducteur de Musée », p. 126.
Il n’est pas inutile de contraster ici la traduction et la paraphrase. Musurus
(p. 10) écrit : Etenim cum iuvenibus minantur foemine / Venerearum consuctudinum per se nuncie sunt mine. Mara (p. 42) donne : Foemina namque viro iuveni
si quando minatur, / Nuncia sunt veneris, terrentia verba, minaeque. L’équilibre
de la version de Marot doit manifestement plus à la traduction aldine qu’à
la paraphrase parisienne.
Museai Opusculum de Herone et Leandro.
Marot, TII, p. 512.
288
« OVIDE VEUT PARLER »
partie française, alors que le deuxième vers latin, et l’intense
image poétique qu’il porte, tient presque (le sujet est rejeté dans
le vers précédent) dans le quatrième vers de la partie française.
Marot rompt avec sa technique habituelle, qui aurait consisté à
répartir la matière sur deux vers, mais il maintient la formule de
Musurus. L’exercice de style marotique est d’autant plus important que le vers signe la relation entre Ovide et Musée. On trouve
en effet chez le poète latin, la formule « Idem navigium, navita,
vector, ero 42 » que Musée a reprise sous la forme : « αὐτὸς ἐὼν
ἐρέτης » 43. La paraphrase de Mara dans le volume de Wechel
retient elle aussi la formule : « Ipse fui remex, navisque, ac portitor idem. » La virtuosité de Marot contraste avec le commentaire
relativement plat de Vatelle :
Remex ] q pro remis, utebatur manibus. Navisq ; ac portitor idem]
Quod itidem graece, ἀυτὸς ἐὼν ἐρέτης, ἀυτόσολος, ἀυτόματος.i.
ipse existens remex, ipse portitor sui, seu classis, ipse navis 44.
Contrairement à Regius qui renvoie aussi souvent que possible aux auteurs et qui n’hésite pas à décrire la dimension allégorique d’une image, Vatelle se contente d’indiquer le lien avec
l’original de Musée sur la base de la paraphrase de Mara, sans
aucune allusion à Ovide.
La maîtrise affichée par Marot dans la traduction de l’ouverture du poème permet d’imaginer le plaisir que le poète a pu
prendre au dialogue entre la version de Musurus qui lui sert de
texte source, et les lectures que reflète le métatexte issu de la
paraphrase et du commentaire 45 :
42
43
44
45
Thierry Sandre, La Touchante Aventure de Héro et Léandre, p. 133.
Formule que Thierry Sandre traduit par « il était à la fois son rameur et sa
barque ». Thierry Sandre, La Touchante Aventure de Héro et Léandre, p. 80.
Musaei vetustissimi poetae Opusculum de amoribus Leandri et Herûs Guilielmo de
Mara paraphraste ; eruditis Ioannis Vatelli Coeniliensis commentarijs enarratum,
p. 71.
Jean-Eudes Girot donne de ce dialogue une description tout à fait suggestive. Jean-Eude Girot, « Marot traducteur de Musée », p. 124-125.
289
APRÈS LE PREMIER LIVRE
Marcus Musurus 46, p. 6
1
Dic Dea occultorum testem lucernam
[amorum
2
Et nocturum natatorem per mare vectarum
[nuptiarum
3
Et coitum tenebrosum, quem non vidit
[immortalis aurora
4
Et Sestum & Abydum,
Marot, v. 1-30 47
Muse, dy moy le flambeau, qu’on feit luyre,
Pour les Amours secretes mieulx conduyre :
Dy moy l’Amant, qui nouant en la mer,
Allait de nuict les nopces consommer :
Et le nocturne embrassement receu,
Qui d’Aurora ne fut oncq apperceu,
Ne descouvert.
Declaire moy au reste
Les murs d’Abide, & la grand’ tour de Seste :
5
ubi nuptiae nocturne Herus, Là où Hero par Amour tant osa,
Que Leander de nuict elle espousa
6
Natantemque Leandrum simul & lucernam
[audio
7
Lucernam annunciantem nuncium Veneris
Herus nocte nubeneis nuptias ornantem
[nuntia.
8
Lucerna amoris simulacru, qua debuit
[aetherius Juppiter
Nocturnum post officium ducere ad
[confortium astroru,
9
Ac ipsam appellasse sponsas ornantem
[stellam amorum.
10
Quoniam fuit ministra amatoriarum
[curarum,
Nunciumque servavit insomnum nuptiarum
Antequam molestus flatus flaret inimicus
[ventus.
46
47
J’oy Leander desjà nouer, ce semble
Et flamboyer le flambeau tout ensemble,
Flambeau luysant annonçant la nouvelle
De seure Amour, & qui d’Hero la belle
Toute la nuict la feste decora,
Quand le doulx fruict des nopces savoura.
Flambeau d’Amour, le signal mys expres,
Que Juppiter debvoit planter aupres
Des Astres clers, pour le hault benefice
D’avoir si bien de nuict faict son office,
Et le nommer l’estoille bien heureuse,
Favorisant toute espouse amoureuse,
Car il servit Amour en ses negoces,
Et si saulva cestuy là, qui aux nopces
Alla, & vint, par les undes souvent,
Ains que le fort, & trop malheureux vent
Se fust esmeu.
Museai Opusculum de Herone et Leandro.
Marot, TII, p. 501.
290
11
Sed eia mihi canenti unum concine finem
Lucerne extincte, & pereuntis Leandri.
« OVIDE VEUT PARLER »
Vien doncq ma Muse, affin
De me chanter le tout jusqu’à la fin :
Qu[i] telle fut, que par ung seul esclandre
Elle estaignit le flambeau, & Leandre.
La technique habituelle de Marot, qui joue habilement de
l’économie, du maintien des Contenus Nucléaires et des rôles
actantiels, d’ajouts favorisant l’explicitation, de l’observation de
l’ordre des mots, se retrouve nettement dans les séquences 1, 2,
6, 9, comme dans les séquences, plus longues, mais de même
proportion, 8 et 11. Aux séquences 3, 4 et 5, le poète sait augmenter la partie française, de façon à assurer la clarté du propos, tout
en maintenant le rythme mesuré du récitatif : « Dy moi.. Dy moi
… Declaire moy … Flambeau … Flambeau … Vien doncq ». Aux
séquences 10 et 11, c’est au contraire le jeu sur les contractions
qui maintient la cadence : d’abord, quatre vers français (au lieu
de six) pour trois vers latins, puis finalement un seul vers français
pour résumer la fin tragique de l’histoire, « elle estaignit le flambeau, & Leandre ».
A la séquence 7, une transformation aussi discrète qu’essentielle invite une nouvelle voix dans le dialogue entre Marot et ses
sources : Venus devenant « seure Amour », L’Histoire de Leander
et Hero se voit située dans la perspective de la quête spirituelle
au travers d’une formule qui rappelle celle de « Ferme Amour »,
que le poète partage avec Marguerite de Navarre. Pour Defaux 48,
cette quête constitue la motivation de Marot pour la traduction
de Musée ; plus perplexe, Girot indique quand à lui que Marot
partage peut-être « une lecture chrétienne de la fable » 49, tout en
rappelant 50 que certains éléments de la traduction trahissent
plutôt la domination de fol amour : Hero est décrite comme une
« personne insensée », « de bons sens despourveuë », « pleine de
son plaisir ». Les enseignements tirés de l’étude du Premier Livre
conduisent plutôt à avancer que les ajouts de Marot, de « seure
Amour » au portrait de Héro évoqué par Jean-Eudes Girot,
marquent une volonté de servir toute la complexité de l’original :
48
49
50
Marot, TII, p. 1195.
Jean-Eudes Girot, « Marot, traducteur de Musée », p. 134.
Jean-Eudes Girot, « Marot, traducteur de Musée », p. 136.
APRÈS LE PREMIER LIVRE
291
pour exploiter toutes les facettes du motif d’un amour partagé et
à la fois dangereux, le poète-traducteur se donne le droit de
conserver au texte toute sa densité, sans chercher à imposer
l’autorité d’un traducteur gloseur.
Le dernier exemple majeur de traduction d’un texte source
versifié est constitué par les sonnets de Pétrarque dont Gérard
Defaux 51 situe la composition après le retour de Ferrare et
pour lesquels Marot se montre plus que jamais traducteur et
poète. Publiés dans un mince opuscule par Gilles Corrozet en
1539, les six poèmes traduits par Clément Marot ont été retenus
à plus d’un titre. Ils renvoient d’abord à la question générale
du pétrarquisme de Marot ; ils constituent ensuite une pièce
importante dans l’enquête sur l’introduction du sonnet en
France ; ils sont à l’origine enfin de la notion de forme
« marotique ».
Le portrait de Marot en poète pétrarquiste a été dressé pour
la première fois par Claude-Albert Mayer et Dana BentleyCranch dans un article séminal paru en 1966. La conclusion de
l’article vise à établir, contre la théorie de Joseph Vianey 52 qui lie
la dimension pétrarquiste de l’œuvre de Marot au séjour à
Ferrare, le caractère précoce de l’influence de Pétrarque :
L’étude des épigrammes de Marot nous amène donc à la conclusion
que le pétrarquisme, loin d’avoir été contracté pendant son séjour
en Italie constitue l’une des principales inspirations de sa poésie
d’amour dans sa jeunesse et avant son exil. Après son retour d’Italie,
cette source est plus ou moins tarie 53.
Le débat lancé autour du pétrarquisme stucture d’une certaine
façon l’essentiel de la réflexion autour de l’œuvre de Marot, ainsi
que le suggère Anwyl Williams :
In recent criticism on Clément Marot it could be said, simplifiying
somewhat, that there have been two main points of debate : (i) is
Marot a medieval or a Renaissance poet ? and (ii) is Marot’s poetry
good ? Given a whole series of humanist assumptions about the
51
52
53
Marot, TII, p. 1193.
Joseph Vianey, Le Pétrarquisme en France au XVIe siècle, Montpellier, 1909.
Claude-Albert Mayer, Dana Bentley-Cranch, « Clément Marot, poète pétrarquiste », BHR, Tome XXVIII, Tome I, 1966, p. 51.
292
« OVIDE VEUT PARLER »
nature of poetry (« humanism, resplendent and still exceedingly
bright after the lapse of three centuries »), the two questions are not
unrelated, and the idea that Renaissance poetry marks an improvement on late medieval is still very much alive 54.
Les travaux de Gérard Defaux, qui s’inscrivent dans une
réévaluation générale de la période du règne de François Ier,
ont révélé des enjeux bien différents. Tirer toutes les conséquences de cette évolution pour l’évaluation de l’influence de
Pétrarque chez Marot impliquerait une approche dépassant très
largement le cadre de la présente étude. La traduction des
sonnets par Marot présente cependant certaines caractéristiques
techniques qu’il est intéressant d’examiner à la lumière de la
double question de l’apparition et de la définition du sonnet
en France.
Désigner le premier sonnet français pose un certain nombre
de problèmes que résume Jacques Roubaud :
Doit-on choisir le premier sonnet reconnaissable comme tel, composé
et désigné comme sonnet ? Il s’agit dans ce cas selon toute vraisemblance du poème 55 de Marot que je reproduis en no 1 de ce choix.
Mais ce sonnet est resté manuscrit. Si on désire un texte imprimé,
on trouve, toujours de Marot, le poème composé pour « le May des
Imprimeurs » de Lyon et publié en 1538 dans une édition des
Œuvres ; mais ce sonnet n’est pas annoncé comme un sonnet ; il
apparaît au « deuxième livre des Epigrammes ». L’année suivante,
sans doute, Marot (toujours) publie, comme étant des sonnets, six
traductions de Pétrarque ; mais ce sont des traductions (qu’une tradition critique ancienne, quoique peu estimable, s’obstine à exclure
du champ de la poésie d’une langue). On en vient alors, si on veut,
au premier sonnet français désigné, imprimé et original : le voici, il
date de 1541 56.
54
55
56
Anwyl Williams., « Clément Marot and Petrarchism : critical progress ? »,
French Studies, Volumee XXXIX, No 1, 1985, p. 1-17. La citation entre guillemets est tirée de : Franco Simone, The French Renaissance : Medieval Tradition
and Italian Influence in Shaping the Renaissance in France, trans. H. Gaston
Hall, London, 1969, p. 18.
Clément Marot, « Sonnet à Madame de Ferrare », Marot, TII, p. 297.
Soleil du soleil, Anthologie du sonnet français de Marot à Malherbe, édition de
Jacques Roubaud, Paris, Gallimard, 1990, p. 16.
APRÈS LE PREMIER LIVRE
293
Jacques Roubaud cite ensuite le sonnet « Au Lecteur » placé
par Nicolas de Herberay en ouverture du Second livre de Amadis
de Gaule, mais il donne à son ouvrage le sous-titre Anthologie du
sonnet français de Marot à Malherbe, non sans avoir indiqué que les
dates des sonnets de Mellin de Saint-Gelais sont trop imprécises
pour désigner ce dernier comme l’auteur du « premier sonnet
français ».
La théorie de la versification semble quant à elle avoir fait son
choix en appelant « marotique » la forme du sonnet caractérisée
par des rimes organisées selon le schéma : ABBA ABBA CCD
EED. Ce schéma, utilisé par Marot uniquement pour ses traductions, se distingue également de ceux appliqués par Herberay
ou dans les trois premiers poèmes de Saint-Gelais 57 que Jacques
Roubaud situe entre 1540 ou 1546. Le fait que l’adjectif « italien »
soit parfois utilisé à la place de l’adjectif « marotique », bien que
l’Italie ne connût pas la forme ABBA ABBA CCD EED, constitue
une autre façon de confirmer l’influence décisive des traductions
de Pétrarque. La théorie de la versification semble considérer que
l’opuscule publié par Corrozet joue un rôle central dans la définition du sonnet en France.
Revenir au texte des sonnets traduits permet d’observer la
naissance de la forme marotique au moment même où elle se
constitue. Les enseignements tirés de l’analyse du Premier Livre
se révèlent alors décisifs pour sonder les négociations de Marot
avec l’original italien. A priori, l’entreprise des Six Sonnets
semble plus modeste que celle du Premier Livre : le traducteur
choisit un nombre limité de pièces ; le volume du texte source
retenu compte moins d’une centaine de vers ; les textes relèvent
d’une culture moderne considérée par Pétrarque lui-même
comme plus élémentaire que la grande culture antique ; la
langue source, encore jeune, ne présente pas les mêmes subtilités que le latin d’Ovide. Dans certains vers, il semble que
le simple mot à mot soit suffisant pour donner une version
française satisfaisante :
57
Soleil du soleil, p. 24.
294
Chi vuol veder quantunque pò Natura 58
Da’ piú belli occhi, et dal piú chiaro viso 60
Sol un conforto a le mie pene aspetto 62
« OVIDE VEUT PARLER »
Qui vouldra veoir tout ce que peult
[Nature 59.
Des plus beaux yeulx, & du plus clair
[visage 61
Ung seul confort attendant à mon dueil 63
Le double maintien de l’ordre des mots et des Contenus
Nucléaires semble pouvoir être appliqué de façon rigoureuse,
tout en respectant la proportion obligée d’un vers français pour
un vers italien. L’observation de la clôture formelle et de la clôture informationnelle permet cependant de mettre clairement en
évidence un passage pour lequel Marot choisit de recomposer
passablement le texte source. La séquence rappelle alors plus nettement les aménagements appliqués dans le Premier Livre :
CCCXLVI, v. 1-4 64
Sonnet V, v. 1-4 65
Li angeli electi e l’anime beate
cittadine del cielo, il primo giorno
che madonna passò, le fur intorno
piene di meraviglia et di pietate.
Le premier jour que trespassa la belle,
Les purs espritz, les anges precieux,
Sainctes et sainctz, citoiens des haultz cieux,
Tous esbahis vindrent à l’entour d’elle.
L’ordre des mots, tout spécialement pour les deux premiers
vers se voit bouleversé ; un ajout « sainctes et sainctz » et une
suppression « tous esbahis » pour « piene di meraviglio e di pietate » rompent avec les maintiens systématiques observés le plus
souvent dans les autres vers. Une complexité propre à la traduction du sonnet doit être envisagée, qui a pu conduire Marot à
accepter une version moins respectueuse des contraintes observées ailleurs. Le texte source ne présentant pas la complexité des
passages les plus ardus du Premier Livre, la question se pose de
l’origine de la difficulté rencontrée par le traducteur. Deux vers
extrait d’un autre sonnet mettent sur la piste des exigences
propres du sonnet :
58
59
60
61
62
63
64
65
CCXLVIII, v. 1. Francesco Petrarca, Canzoniere, éd Roberto Antonelli, Gianfranco Contini, Daniele Ponchiroli, Torino, Einaudi, 1964, p. 312.
Sonnet III, v. 1, Marot, TII, p. 495.
CCCXLVIII, v. 1. Francesco Petrarca, Canzoniere, p. 431.
Sonnet VI, v. 1, Marot, TII, p. 497.
CCCXLVIII, v. 12. Francesco Petrarca, Canzoniere, p. 431.
Sonnet VI, v. 12, Marot, TII, p. 497.
Francesco Petrarca, Canzoniere, p. 429.
Marot, TII, p. 496.
295
APRÈS LE PREMIER LIVRE
CCCXLVIII, v. 2-3 66
Sonnet VI, v. 2-3 67
che mai splendesse, e da’ piú bei capelli,
che facean l’oro e ’l sol parer men belli,
Qui oncques fut, & des beaux cheveulx longs,
Qui faisoient l’or et le soleil moins blondz
Le choix de l’adjectif « blondz », si adroit qu’il semble dépasser l’habileté du texte source, signale un passage dans lequel le
traducteur se voit obligé de sortir par le haut d’une situation
délicate. Alors que Pétrarque joue sur l’opposition « bei »/
« belli » pour exprimer la rivalité entre la beauté de Laure et
celles du soleil et de l’or, Marot maintient l’adjectif « beaux » dans
le premier vers, mais il renonce au parallélisme logique et lui
substitue un adjectif de couleur fortement motivé : la perception
visuelle est chargée de remplacer la construction conceptuelle.
L’étude du Premier Livre a montré que l’invention poétique vient
généralement au secours du traducteur lorsque les contraintes
deviennent particulièrement pesantes : ce fut sans doute le cas
pour le choix de « blondz » qui, placé à la rime du troisième vers
du sonnet, conditionne les rimes des vers 2, 5 et 6. Contrairement
au relativement confortable distique de traduction auquel Marot
a le plus souvent recours pour traduire le latin, la difficulté
propre de la traduction des sonnets réside dans le conditionnement réciproque des rimes dans les deux quatrains. L’observation
du sonnet CLXI révèle les exigences de cette mécanique :
Sonnet CLXI 68
Sonnet II 69
O passi sparsi, o pensier’ vaghi et pronti,
o tenace memoria, o fero ardore,
o possente desire, debil core,
oi occhi miei, occhi on già, ma fonti !
O
O
O
O
O fronde, onor de le famose fronti,
o sola insegna al gemino valore !
O factiosa vita, o dolce errore,
che mi fate ir cercando piagge et monti !
O branche, honneur des vainqueurs capitaines,
O seulle enseigne aux poetes duisante,
O doulce erreur, qui soubz vie cuisante
Me faict aller cherchant & montz & plaine,
66
67
68
69
Francesco Petrarca, Canzoniere, p. 431.
Marot, TII, p. 497.
Francesco Petrarca, Canzoniere, p. 217.
Marot, TII, p. 495.
pas espars, O pensées soubdaines
aspre ardeur, O memoire tenante,
cueur debille, O volunté puissante,
vous mes yeulx, non plus yeulx mais
[fontaines
296
« OVIDE VEUT PARLER »
O bel viso, ove Amore inseme pose
gli sproni e ’l fren, ond’el mi punge e volve,
come a lui piace, e calcitrar non vale !
O beau visage où amour met la bride
Et l’esperon, dont il me poinct & guide
Comme il luy plaist, et deffense y est vaine,
O animi gentili et amorose,
O gentilz cueurs & âmes amoureuses
s’alcuna à ’l mondo, e voi nude ombre e polve, S’il en fut oncq, et vous umbres paoureuses,
deh ristate a veder quale è ’l mio male.
Arrestez-vous, pour veoir quelle est ma peine.
Construit presqu’intégralement sur la parataxe, le texte
source présente relativement peu de contraintes syntaxiques
dans les deux premiers quatrains. En ce qui concerne le choix
des rimes, le contraste est particulièrement frappant entre les
rimes en /-ante/ et les rimes en /-aine/. En ce qui concerne
les premières, Marot semble contourner la difficulté en se
contentant de sélectionner des adjectifs plus ou moins précisément reliés à l’original italien. En ce qui concerne les secondes,
la situation présente plus d’exigences : au centre de celles-ci,
la nécessité de rendre, au quatrième vers, l’image des yeux qui
deviennent fontaine. Pour maintenir le mot « fontaine » à la
rime du quatrième vers, Marot doit trouver trois autres rimes
en /– aine/ pour rendre des éléments du texte source. Au vers
8, « plaine » s’impose facilement pour « piagge » ; au vers 1,
« soubdaines » rend adroitement « pronti » ; au vers 5, Marot
laisse à nouveau parler son invention poétique et, avec l’image
des « vainqueurs capitaines » trouve un cas particulier donnant
de façon métonymique une sorte de visage au générique
« famose fronti ». La difficulté propre à la traduction apparaît
avant tout dans les conditionnements réciproques des rimes,
des éléments lexicaux et des positions dans le vers. Cette difficulté est à prendre en compte pour analyser le schéma de
rimes que retient Marot pour le sizain.
Revenir à ce qui a sans doute constitué le tout premier sonnet
rédigé par Marot permet de saisir la spécifité du schéma retenu
pour la traduction de Pétrarque :
Sonnet à Mme de Ferrare
Me souvenant de tes bontez divines
Suis en douleur, princesse, à ton absence ;
Et si languy quant suis en ta presence,
Voyant ce lys au milieu des espines.
O la doulceur des doulceurs feminines
APRÈS LE PREMIER LIVRE
297
O cueur sans fiel, o race d’excellence,
O traictement remply de violance,
Qui s’endurçist pres des choses benignes
Si sera tu de la main soustenue
De l’eternel, comme sa cher tenue ;
Et tes nuysans auront honte et reproche.
Courage, dame, en l’air je voy la nue
Qui ça et là s’ecarte et diminue,
Pour faire place au beau temps qui s’approche 70
Les rimes s’organisent autour d’un schéma 71 ABBA ABBA
CCD CCD qui présente des ressemblances marquées avec celui
qui est appliqué dans les sonnets : le sizain s’ouvre sur des rimes
suivies ; les quatres derniers vers forment des rimes embrassées.
Il existe cependant une différence importante : dans le « Sonnet
à Mme de Ferrare », les six derniers vers ne contiennent que les
deux rimes /-nue/ et /–roche/, alors que les sonnets traduits de
Pétrarque, à l’image de leur modèle italien, font apparaître trois
rimes dans le sizain. Comparée à la forme du « Sonnet à Madame
de Ferrare », la forme dite marotique apparaît liée à la traduction
par une caractéristique techniques intrinsèque : les deux distiques formés par les rimes suivies permettent au traducteur de
recourir à une structure dont il a expérimenté la souplesse dans
la traduction d’Ovide. Le respect strict du schéma utilisé par
Pétrarque (CDE-CDE) risquerait au contraire de placer le traducteur face aux difficultés constatées dans les quatrains, en raison
de la nécessité de concilier rimes distantes (toutes le sont dans le
70
71
Marot, TII, p. 297
Ce schéma est utilisé par Marot également dans le « Sonnet de la difference
du Roy et de l’empereur » (contenu dans le manuscrit de Chantilly et resté
inédit jusqu’au XIXe siècle). Dans le sonnet « Pour le May Planté par les
Imprimeurs de Lyon devant le Logis du Seigneur Trivule » publié pour la
première fois dans l’édition Dolet en 1538, Marot utilise le schéma utilisé
pour la traduction des sonnets de Pétrarque. Mellin de Saint-Gelais recourt
quant à lui deux fois à des schémas présentant seulement deux rimes pour
le sizain, dans le sonnet « A une dame » de 1543, dans l’ « Advertissement
sur les jugements d’Astrologie à une studieuse damoyselle » de 1546, et dans
les deux sonnets parus en 1555, « D’un présent de roses » et « Il n’est point
tant de barques à Venise ». Toutes ces pièces sont reproduites dans Soleil du
Soleil, Anthologie du sonnet français de Marot à Malherbe, édition Jacques
Roubaud, Paris, Gallimard, 1990.
298
« OVIDE VEUT PARLER »
texte source) et respect de l’ordre des mots dans le texte traduit.
La forme marotique dont l’importance dépasse la question de la
traduction semble ainsi issue d’un type de négociation analogue
à ceux qui ont pu être observés dans le Premier Livre.
Fluidité et clarté ne devaient pas manquer au rendez-vous
particulier que représente la traduction d’Erasme. Si l’entreprise
du Premier Livre implique une forme de distanciation avec
l’essence de la tradition humaniste, les trois Colloques relèvent de
l’alliance objective entre inspiration évangélique et humanisme,
abondamment décrite par les travaux de Gérard Defaux :
[…] Erasme, et Marot derrière Erasme, développent l’attaque la plus
dévastatrice qui se puisse imaginer non seulement contre l’ignorance
crasse, la paillardise éhontée, la gloutonnerie et la rapacité des gens
d’Eglise, mais aussi et surtout contre un type de « religion » qui n’a
de religion que le nom et qui est le fruit d’une loi et de règles toutes
humaines : « religion nouvelle », qui asservit le chrétien au lieu de
le libérer, qui le soumet à des pratiques contraires à la nature et à
l’évangile, qui le contraint à un genre de vie abêtissant et retire toute
dimension spirituelle à son existence. C’est ici l’essence même de
l’évangile qui s’exprime, sous les dehors apparemment anodins et
légers d’un dialogue de comédie 72.
Marot trouve en Erasme un frère en convictions, mais il doit
inventer la formule susceptible de rendre le charme particulier
des Colloques, tout entier de rythme, d’esprit et de simplicité.
Pour les trois textes d’Erasme qu’il traduit 73, Abbatis et Eruditae 74,
Virgo μισόγαμος 75 et Virgo poenitens 76, Marot recourt à l’octosyl72
73
74
75
76
Marot, TII, p. 1200.
Les deux premiers colloques paraissent en 1548 dans un opuscule intitulé
Colloque d’Erasme traduict de Latin en François, traduigt de latin en Francois par
Clement Marot intitule Abbatis et Eruditae […] Colloque d’Erasme, traduigt de
latin en francois par Clement Marot intitule virgo . Les dates de composition ne
sont pas définies avec précision : Defaux suppose une date entre 1537 et
1541, sans exclure une composition pendant la période 1528-1534 (Marot,
TII, p. 1198). Le troisième est publié pour la première fois en 1856 par P.
Lacour. Voir Marot, TII, p. 1198.
Erasme, Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, vol. I, tome 3, éd. L.E.
Halkin, F. Bierlaire, R. Hoven, Amsterdam, North-Holland Publishing Company, 1972, p. 403-408.
Erasme, Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, p. 298-297.
Erasme, Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, p. 298-300.
299
APRÈS LE PREMIER LIVRE
labe en rimes suivies. Comme l’original latin est en prose, la
question des unités de travail du traducteur se pose de façon fort
différente que dans le Premier Livre. Le traitement des tours de
parole permet d’observer la dimension ludique que Marot donne
à sa version.
La relation rime/tour de parole peut s’organiser a priori selon
deux structures :
– rimes closes : AA CTDP 77 BB
– rimes encadrantes : A CTDP A
Dès lors qu’est envisagée la possibilité d’un rejet (x), deux
autres structures peuvent apparaître :
– rimes closes avec rejet : AA+x CTDP (-x)+BB
– rimes encadrantes avec rejet : A+x CTDP (-x)+A
Dans les Colloques, il est possible de trouver toutes les formes
représentées :
1. rimes closes : AA CTDP BB
Virgo μισόγαμος 78, p. 292 79
La vierge mesprisant mariage, v. 229-236,
(Marot, TII, p. 537)
Ca :
Licet, at non perinde tuto.
Catherine :
Eu :
Imo, ut ego arbitror, ali- Clement :
quanto tutius, quamd apud
illos crassos, semper cibo,
distentos monachos.
77
78
79
Il est ainsi
Mais non trop seurement aussi.
Dictes vous ? mais le plus souvent
Plus a seurté qu’en un couvent
Parmy ces diables de porceaux
De moines, remplis de morceaux.
CTDP pour « Changement de Tour De Parole ».
Les interlocuteurs sont Catarina et Eubulus.
Erasme, Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami. Tous les extraits sont cités
à partir de cette édition. Pour ne pas alourdir l’appareil bibliographique,
seul le numéro de page est indiqué à côté du titre du colloque dans le corps
du texte.
300
« OVIDE VEUT PARLER »
2. rimes encadrantes : A CTDP A
Abbatis et Eruditae 80, p. 403
L’abbé et la femme savante, v. 15–21, (Marot,
TII, p. 518)
Ma : An soli Gallice scripti libri Ysabeau :
docent sapientiam ?
[..|
Mais dictes moy en conscience ;
N’apprend on sagesse ou science
Qu’en livres françois seulement ?
An : Sed decet hoc heroinas, ut L’Abbé :
habeant quo delectent
ocium.
Cela n’appartient nullement
Qu’à princesses de hault affaire,
Quand elles en sçavent que faire
Pour recreer un peu leurs armes.
3. rimes closes avec rejet : AA+x CTDP (-x)+BB
Abbatis et Eruditae, p. 403
L’abbé et la femme savante, v. 9-13 (Marot,
TII, p. 518)
Ma : Tu tantus natu, tum abbas Ysabeau :
et aulicus, nunquam vidisti
libros in aedibus heroinarum ?
[..|
Et dea, vous qui estes si vieux
Abbé nourry en seigneurie,
Veistes vous jamais librairie
Chés les grands dames ?
An :
Si ay si,
Tout en beau François : mais ceux cy
Ce sont livres Latins, & Grecz.
Vidi, sed Gallice scriptos : L’Abbé :
hic video Graecos et Latinos.
4. rimes encadrantes avec rejet : A+x CTDP (-x)+A
Virgo poenitens 81 , p. 298
La vierge repentie, v. 18-25 (Marot, TII, p. 551)
Eu :
Quas aues heic video ?
Clement :
Ca :
Est illius collegii patriarcha. L’Abbé :
Ne subducito te, iam perpotarunt, accumbe paulisper,
Quel oiseau de mauvais presaige
Voy je là, qui jaze en crieur
De vieulx drappeaux ?
C’est le prieur
De ce couvent que vous savez ;
Je vous prie, si haste n’avez,
Ne bougez & m’en vueillez croyre
Ilz s’en vont achever de boyre.
Seez vous un peu ici pres.
Les changements de tours de parole sont des contextes particulièrement importants, puisqu’ils constituent des marques de
80
81
Les interlocuteurs sont Magdalia et Antronius.
Les interlocuteurs sont Catarina et Eubulus.
APRÈS LE PREMIER LIVRE
301
clôture issues directement du texte d’Erasme. Il est particulièrement intéressant de noter que Marot n’a que très rarement
recours à la structure en rimes closes (AA CTDP BB). On note
par ailleurs la structure quelque peu singulière de l’occurrence
présentée ci-dessus, puisque le premier vers de la rime en /–si/
est lui-même incomplet. Marot choisit donc très majoritairement
les modes de transition les plus contraints, puisque dans toutes
les structures qu’il retient le premier vers du tour de parole reçoit
de ce qui le précède une contrainte rimique (dans les rimes encadrantes) ou métrique (dans les rimes closes avec rejet et les rimes
encadrantes avec rejet). Le jeu sur la contrainte rimique dans les
rimes encadrantes ressemble par ailleurs beaucoup au dispositif
utilisé par Marot, fort vraisemblablement avant la traduction des
Colloques, pour ses Coq à l’asne dans lesquels le passage d’une
séquence à l’autre, qui peut représenter un changement de tour
de parole 82, intervient systématiquement entre deux rimes suivies. Le procédé relève également des conventions de l’écriture
théâtrale médiévale.
A bien des égards, le traitement des tours de parole indique
une technique dont la stratégie se distingue de celle du Premier
Livre : alors que pour Ovide, Marot articule son travail autour de
la forme du distique, en vue de conserver une marge de
manœuvre maximale de séquence en séquence, il choisit de traiter délibérément les tours de parole des Colloques avec des formes
qui augmentent l’interpédendance entre les différentes composantes de la version française. Ce choix qui, du côté technique
complique la tâche du traducteur, aboutit à un rythme qui
exprime également toute sa maîtrise à rendre la vie de l’original,
en particulier dans les passages où les tours de parole alternent
à un rythme rapide, comme à l’ouverture du colloque Virgo
μισόγαμος :
Clement
82
Bien aise suis de voir la fin
Du soupper (Catherine), à fin
D’aller se pourmener ensemble :
Car, veu la saison, il me semble
Qu’il n’est chose plus delectable.
David Claivaz, Ce que j’ay oublié d’y mettre, Editions universitaires Fribourg
Suisse, p. 78-81.
302
« OVIDE VEUT PARLER »
Catherine
Je vieillissois aussi à table :
Et si m’ennuyois d’estre assise.
Clement
Qu’il faict beau temps, quand je m’advise :
Voyez, voyez, tout à la ronde,
Comment le monde rit à la ronde,
Comment le monde rit au monde,
Aussi est il en sa jeunesse.
Catherine
Vous dictes vray.
Clement
Et pour quoy est ce
Que vostre printemps, çà & là,
Ne rit aussi ?
Catherine
Pourquoy cela ?
Clement
Pource que vous n’estes pas bien gaye,
A mon gré.
Catherine
Paroist-il que j’aye
Aussi visage que le mien
Accoustumé ?
Clement
Voulez vous bien,
Sans que vostre œil soit esblouy,
Que je vous monstre à vous ?
Catherine
Ouy.
Clement
Voyez vous bien là ceste rose,
Qui s’est tout retraicte & close
Vers le soir ?
Catherine
Je la voy. Et puis :
Vous voulez dire que je suis
Ainsi decheue ?
Clement
83
Toute telle.
Catherine
La comparaison est plus belle
Que propre.
Clement
Si ne m’en croyez,
Mirez vous bien, & vous voyez
En ce ruisseau : mais dictes moy
Pourquoy avec si grand esmoy
Durant le souper souspiriez ? 83
v. 1-31, Marot, TII, p. 530-531.
303
APRÈS LE PREMIER LIVRE
En raison de la construction en rejets et en rimes encadrantes,
chaque prise de parole semble reliée à ce qui précède : un lien subtil
et vivant court sous les échanges et plonge le dialogue dans une
atmosphère de complicité. Il en va de même lorsque les interlocuteurs s’opposent dans le colloque Abbatis et Eruditae. Le dispositif
choisi pour les échanges de tours de parole reflète la légèreté
qu’Erasme lui-même souhaite conserver aux Colloquia. Du point de
vue de la technique de la traduction, le traitement des tours de
parole permet de supposer que le passage de la prose à l’octosyllabe ne pose pas de grande difficulté à Marot, et que les contraintes
de l’exercice sont fort différentes de celle du Premier Livre.
La liberté que lui donne le recours à l’octosyllabe ne rend pas
Marot fondamentalement moins sensible aux caractéristiques de
l’original. Par exemple, lorsque le propos d’Erasme se fait plus
nettement polémique, la version de Marot serre de près le rythme
de l’original latin :
Virgo μισόγαμος, p. 296
La vierge mesprisant mariage, v. 584-604 84
Eu : 1
Quae est igitur ista noua religio,
Clement
84
Je suis fort envieux
De sçavoir donc comment s’appelle
Ceste religion nouvelle
2
quae facit irritum,
Qui rend ainsi de nul effect
3
quod et naturae lex fanxit
Ce que loy de nature a faict
4
et vetus lex docuit,
Ce qu’enseigne la loy antique
5
et Evangelica lex comprobauit
Et ce qu’apprend l’evangelique
6
et Apostolica doctrina confirmauit ?
Et l’apostolique conferme
[…]
[…]
7
Atqui istud dogma nec naturae
sensus approbat, nec veterum leges,
nec Moyses ipse, nec Evangelica,
aut Apostolica doctrina.
Raison humaine toutefois,
Ne les loix les plus anciennes
Ne Moise dedans les siennes,
Ne l’evangile, ne canon.
Marot, TII, p. 548.
304
« OVIDE VEUT PARLER »
Les nombreuses constructions anaphoriques de l’original latin
sont sytématiquement rendues par Marot dans la version française : à chaque fois, les informations contenues dans la partie
latine trouvent leur place sans difficulté dans les octosyllabes de la
version française. Quand le texte source n’impose pas la mécanique du vers, la technique de Marot explore des structures
inédites dans lesquelles le jeu des négociations semble renouvelé.
Dans les nombreux écarts légers qu’il note entre l’original et la traduction, Jean Céard identifie cependant une dynamique analogue
à celle du Premier Livre : « traducteur, Marot adapte habilement le
texte à un public français et censé n’être pas tenu de saisir des allusions trop enveloppées ou trop savantes. » 85 L’intention demeure
la même, mais la technique, moins régulière et plus indépendante
du texte source, révèle une maîtrise différente de l’exercice.
Si la traduction d’Erasme témoigne d’une sensibilité aux idées
évangéliques, la traduction des psaumes engage toute la personne de Marot. Gérard Defaux décrit une part grandissante du
silence requis pour le travail sur les psaumes à partir de l’année
1541 :
Tout se passe en fait comme si Marot n’avait plus d’autre existence
que celle que lui procurent les rééditions de ses ouvrages qui
paraissent à Paris et à Lyon, à un rythme de plus en plus soutenu.
Sa popularité est plus grande que jamais, et l’éclipse est d’autant
plus symbolique. Elle dit bien cet effacement du moi et de son discours, ce désir, à travers les traductions d’Ovide, de Museus ou
d’Erasme, de faire parler quelqu’un d’autre, de n’être tout au plus
qu’un porte-parole, un instrument, ce silence, – et ici je pense aux
Psaumes – du « rien » face au « Tout », ce silence du poète qui,
parvenu au bout de sa quête, a enfin trouvé ce qu’il cherchait 86.
Rendre compte de la signification des Psaumes dans l’œuvre
de Marot exige une étude dépassant largement le cadre de
l’observation de la technique de la traduction, notamment parce
que le texte lui-même présente une dimension largement supérieur à celle d’une simple traduction. La traduction de Marot est
à l’origine du Psautier huguenot, monument culturel dont la
85
86
Jean Céard, « Marot traducteur d’Erasme », Actes Cahors, p. 117.
Marot, TI, p. CLVII.
APRÈS LE PREMIER LIVRE
305
dimension historique s’étend de la politique éditoriale de Calvin
aux bûchers des guerres de religion. L’étude complète de la poétique des Psaumes implique la prise en compte de la dimension
musicale du genre. Surtout, la description des sources sur lesquelles s’appuie le travail de Marot oblige à pénétrer l’épaisse
forêt des premières versions de la Bible en français, de Lefèvre
d’Etaples à Olivétan. La plupart de ces questions est traitée par
Catherine Reuben dans une importante monographie 87. Au
point de vue de la technique de la traduction qui constitue la
perspective de la présente étude, les Psaumes présentent un
contexte relativement proche de celui de L’Histoire de Leander et
Hero conduisant à interroger la nature profonde de l’exercice
entre traduction et reconstitution.
On rencontre dans le chapitre que Catherine Reuben consacre
à la question des sources la galerie de tous les portraits des lettrés
préoccupés de questions bibliques au début du XVIe siècle :
Guillaume Briçonnet, Jacques Lefèvre d’Etaples, Conrad Pellican,
Martin Bucer, Vatable, Olivétan, Campensis. La notion de sources
est cependant à distinguer de celle de texte source. Catherine
Reuben souligne à juste titre le caractère particulier de l’original
hébreux : « la langue hébraïque est très concise par comparaison
avec les versions en latin et français. » 88 Elle pose, à titre d’hypothèse personnelle, que Marot pouvait connaître l’alphabet
hébraïque, reconnaître les mots qui reviennent souvent dans le
psautier (« âme », « bons », « méchants », divers noms de Dieu),
et par conséquent accéder aux psaumes dans l’original. La lecture
adoptée à partir de ces prémisses ne privilégie aucun texte à titre
de source, mais superpose simplement la version de Marot à
d’autres textes ayant pu l’inspirer : texte hébreux, Olivétan,
Bucer, Quincuplex de Lefèvre d’Etaples, Compensis. La méthode
adoptée par Catherine Reuben permet de repérer systématiquement, dans le texte de Marot, les emprunts et influences, mais
elle n’explique pas à proprement parler la technique utilisée par
Marot. Il faut imaginer une reconstruction complète à partir de
87
88
Catherine Reuben, La Traduction des Psaumes de David par Clément Marot,
Paris, Champion, 2000.
Catherine Reuben, La Traduction des Psaumes de David par Clément Marot,
p. 76.
306
« OVIDE VEUT PARLER »
fragments épars, qui tranche avec la technique observée dans
toutes les autres traductions du poète.
Or, on se souvient tout particulièrement que, dans le contexte
relativement analogue de la traduction de Musée, Marot, privé
d’un accès direct à l’original, s’appuie largement sur la version
de Musurus, sans procéder à une reconstruction complète. Il
semble donc légitime d’appuyer l’analyse sur un texte source
identifié. Gérard Defaux se montre, à ce titre, bien plus positif
que Catherine Reuben :
[…] pour effectuer son travail, Marot s’est appuyé sur la version
latine de Jérôme connue sous le nom de Psalterium hebraicum ou
iuxta Hebraeos, c’est-à-dire sur la traduction latine que Jérôme, en
393, a faite directement à partir de l’original hébreux des Psaumes 89.
La remarque de Gérard Defaux identifie un texte plus plastique qu’il ne paraît : dans le Quincuplex 90 de Lefèvre d’Etaples,
le Psalterium hebraicum est reproduit de façon synoptique avec
le Psalterium gallicum et le Psalterium romanum du même Saint
Jérôme 91 : il est toutefois à noter que le texte du Psalterium gallicum 92 est très largement identique à celui de Psalterium romanum
et que le Quincuplex de Lefèvre d’Etaples signale les écarts, relativement peu nombreux, entre les deux versions. La relative plasticité du Quincuplex n’interdit pas de le considérer comme le texte
source de la traduction des psaumes par Marot. L’identification
d’un texte source ne limite aucunement la discussion des
influences sur le modèle adopté par Catherine Reuben. Elle présente cependant l’avantage d’aborder la question de la technique
du traducteur. Il semble en effet raisonnable de considérer que
Marot a eu recours, pour les Psaumes, à une technique proche de
celle qu’il utilise dans toutes ses autres traductions à la même
époque. Un rapide examen des circonstances éditoriales indique
d’ailleurs une intéressante convergence entre le début du travail
sur les psaumes et le Premier Livre.
89
90
91
92
Marot, TII, p. 1217.
Jacques Lefèvre d’Etaples (Jacobus Faber Stapulens), Quincuplex psalterium :
gallicum, romanum, hebraicum, vetus, concilatum, Henri Estienne, 1509.
Guy Bédouelle, Le Quincuplex Psalterium de Lefèvre d’Etaples : un guide de
lecture, Genève, Droz, 1979.
Guy Bédouelle, Le Quincuplex Psalterium de Lefèvre d’Etaples, p. 44.
307
APRÈS LE PREMIER LIVRE
La chronologie de la traduction des Psaumes s’étend sur les
quinze dernières années de la vie du poète. Marot travaille sur
« Le Sixiesme Psaulme de David » vraisemblablement de façon
parallèle à la traduction du Premier Livre, puisque les principaux
éditeurs de Marot situent la composition à des dates relativement
proches de celles de la traduction d’Ovide, Mayer, vers 1527 et
Defaux, plutôt vers 1531. Le texte paraît d’abord en plaquette,
avant d’être repris dans La Suite de l’Adolescence clementine. Un
volume intitulé Les Psaumes de David est donné à Anvers chez
Antoine de Gois en 1541 : il comporte trente pièces et reproduit
le « Sixiesme Psaulme » paru une dizaine d’années auparavant.
L’édition des Cinquante Psaumes publiée à Genève en 1543 par
Jean Gérard reprend l’ensemble des textes parus à Anvers en y
ajoutant vingt textes supplémentaires. Le fait que le travail de
Marot débute avant (ou en même temps que) la traduction des
Métamorphoses autorise à faire l’hypothèse de l’utilité des enseignements tirés du Premier Livre pour l’évaluation de l’évolution
de la technique du traducteur des Psaumes.
Paru une dizaine d’années avant le volume publié à Anvers,
« Le Sixiesme Psaulme » peut être considéré comme une première manière du travail sur le texte de David. De nombreux
éléments techniques rappellent le Premier Livre :
Psalterium gallicum 93, VI, 6ro
Marot, Psaume Sixiesme, verset 7 94
7. Turbatus est a furore oculus meus : Mon œil pleurant sans cesse
De despit, & destresse,
inveteravi inter omnes inimicos meos 95.
En ung grand trouble est mys :
Il est envieilly d’ire
De veoir entour moy rire
Mes plus grands ennemys.
93
94
95
Jacques Lefèvre d’Etaples (Jacobus Faber Stapulens), Quincuplex psalterium :
gallicum, romanum, hebraicum, vetus, concilatum, Henri Estienne, 1509. Tous les
extraits sont cités à partir du Psalterium gallicum. Les variantes significatives
notées dans le Psalterium hebraicum ou le Psalterium romanicum sont indiquées en note. Pour ne pas alourdir l’appareil bibliographique, le numéro
du psaume est indiqué en chiffres romains et le numéro de page est indiqué
en chiffres arabes à côté du titre du colloque dans le corps du texte.
Marot, TII, p. 573.
Le Psalterium hebraicum donne : Caligauit prae amaritudine oculus meus :
consumptus sum ab uniuersis hostibus meis.
308
« OVIDE VEUT PARLER »
La correspondance « un verset/une strophe » structure
l’ensemble de la version. Le procédé est nettement plus rigide
que la tendance au distique observée pour la traduction d’Ovide,
puisque les parties latine et française sont déterminées l’une par
l’autre de façon fixe. La disposition des rimes qui forment le
sizain AABCCB ajoute une forme de contrainte nouvelle. Le
maintien des assonances /e/ et /i/ du latin « inveteravi » dans
le français « envielly d’ire » témoigne d’une sensibilité du traducteur à la forme identique à celle qui a pu être observée dans le
Premier Livre. On observe cependant une forte tendance à l’ajout :
« sans cesse », « de despit, & destresse », « grand », « veoir entour
moy rire », « plus grands ». Le procédé de la gémination
(« despit, & destresse ») signe un type d’ajout déjà observé dans
la traduction d’Ovide, mais « veoir entour moy rire » semble relever d’une interprétation plus large du texte biblique, interprétation que l’on trouve également dans la première strophe :
Psalterium gallicum, VI, 6ro
Marot, Psaume Sixiesme, verset 1 96
1. Domine, ne in furore tuo arguas me : Je te supplie, Ô Sire,
neque in ira tua corripias me 97.
Ne reprendre en ton ire
Moy, qui t’ay irrité :
N’en ta fureur terrible
Me punir de l’orrible
Tourment, qu’ay merité.
La double expression de la culpabilité induite par les ajouts
« Moy, qui t’ay irrité » et « de l’orrible Tourment, qu’ay merité »
ne cadre pas avec l’argument donné en préambule, qui renvoie
plutôt à la maladie de l’auteur :
David malade à l’extrêmité, a horreur de la mort, desire avant que
mourir, glorifier encores le nom de Dieu : puis tout acoup se resjouyt
de sa convalescence, & de la honte de ceulx qui s’attendent à sa
mort. Pseaulme propre pour les malades 98.
Induire une relation de cause à effet entre la maladie et la
faute ne constitue a priori pas une interprétation particulièrement
96
97
98
Version de La Suite. Marot, TI, p. 392.
Le Psalterium romanicum donne : Domine in ira tua arguas me : neque in furore
tuo corripias me.
Marot, TII, p. 572.
APRÈS LE PREMIER LIVRE
309
audacieuse au regard du principe général des psaumes qui voit
la créature en appeler de toute son imperfection à son Créateur.
Il faut se souvenir toutefois qu’il s’agit de la parole de Dieu, et
non d’un quelconque texte profane. Même pour un ajout relativement anodin, l’enquête implique de vérifier les sources. Il faut
bien voir cependant qu’une fois identifiées les sources et
influences possibles, la discussion sur l’origine exacte d’un ajout
s’éloigne de la question de technique du traducteur pour aborder
celle de l’interprétation qu’il donne au texte biblique. Au plan de
la technique, il suffit, à ce stade, de remarquer que l’art de Marot
traducteur des Psaumes se distingue par la marge de manœuvre
plus importante qu’il se donne en comparaison avec celle qu’il
s’est accordée dans le Premier Livre, de façon à disposer d’un
espace suffisant pour accueillir les interprétations des sources
qu’il consulte. Les libertés prises par Marot dans le « Sixiesme
Psaulme » amènent Defaux à soutenir certaines réserves d’Aneau
sur le classement de l’exercice dans la catégorie de la traduction :
On comprend, à comparer le texte latin, à la traduction de Marot
que B. Aneau ait pu dire que Marot avait mieux « entendu » les
psaumes que les Metamorphoses d’Ovide et que « à son plaisir à la
suycte de Campense 99 », il les avait « paraphrasez bien doulcement
plutost que translatez » 100.
La qualification du travail de Marot pour les Psaumes dépend
des critères appliqués : en matière de description de la traduction,
l’opinion d’Aneau a plutôt tendance à varier. Les enseignements
tirés de l’observation du Premier Livre permettent plutôt d’avancer que la question du maintien de l’intrigue originelle importe
bien plus que le volume de l’ajout dans la définition de la traduction. A ce titre, le respect de la progression donnée par le texte
source suffit à ancrer le travail sur les Psaumes du côté de la traduction. Au point de vue technique, une double distinction se
99
100
Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant indiquent qu’Aneau fait
référence à l’ouvrage de Jan Van Campen, « Psalmorum omnium iuxta
hebraicum paraphrastica interpretatio » paru en 1532. Ils rappellent que
Michel Jeanneret réfute une influence importante de Van Campen sur Marot.
Trois premiers livres, p. 38.
Marot, TII, p. 1227.
310
« OVIDE VEUT PARLER »
dessine par rapport au Premier Livre : d’une part, la forme strophique est plus rigide ; d’autre part, le volume d’ajout est plus
grand.
Un sondage dans les pièces parues à partir de 1541 permet de
voir se dessiner dans la technique du traducteur une évolution
marquant une maîtrise grandissante. Dans le « Pseaulme
Unzieme, à deux coupletz differents de chant, chascun couplet
d’ung verset », les contraintes formelles augmentent, alors que le
traducteur semble vouloir diminuer sa marge de manœuvre :
Psalterium gallicum, X, 14vo
Marot, Psaume Unziesme, versets 1-4 101
1. In Domino confido ; quomodo dicitis 1. Vu que tu tout en Dieu mon cueur s’appuye,
animae meae / transmigra in montem Je m’esbahy, comment de vostre mont,
sicut passer ? 102
Plutost qu’oyseau dictes que je m’enfuye.
2. Quoniam ecce peccatores intenderunt
arcum / paraverunt sagittas suas in
pharetra : ut sagittent in obscuro rectos
corde 103.
2. Vray est que l’arc les malings tendu m’ont,
Et sur la corde ont assis leurs sagettes,
Pour contre ceulx, qui de cueur justes sont,
Les descocher, jusques en leurs cachettes.
3. Quoniam quae pefecisti destruxerunt : 3. Mais on verra bien tost à neant mise
L’intention de telz malicieux,
justus autem autem quid fecit ? 104
Quel’ faulte aussi a le juste commise ?
4. Dominus in templo sancto suo : domi- 4. Sachez que Dieu a son Palays aux cieulx :
nus in coelo sedes eius[.]
Dessus son Throsne est l’Eternel Monarque :
5. Oculi eius in pauperem respiciunt : pal- Là hault assis, il voyt tout de ses yeulx,
pebrae eius interrogant filios hominum 105. Et son regard les humains note, & marque.
La correspondance « un verset/une strophe » est complexifiée
par le recours à deux formes de strophe différentes, les tercets
alternant avec les quatrains. Le schéma des rimes forme des
couples « un tercet/un quatrain » dans lesquels la rime centrale
101
102
103
104
105
Marot, TII, p. 584
Le Psalterium hebraicum donne : In domino speraui : quomodo dicitis animae
meae / transuola in montem ut auis.
Le Psalterium hebraicum donne : Qui ecce impii tetenderunt arcum / posuerunt
sagittam suam super neruum : vt sagittent in abscondito recto corde.
Le Psalterium hebraicum donne : Quia leges dissipatae sunt : justus quid operatus est ?
Le Psalterium hebraicum donne : Dominus in templo suo : dominus in caelo thronus eius. Oculi eius vident : palpebrae eios probant filios hominum.
APRÈS LE PREMIER LIVRE
311
du tercet est reprise dans le premier vers du quatrain qui suit,
un peu à la manière de la rime tierce de la Divine Comédie. Malgré
ces contraintes formelles élevées, le traducteur ne multiplie plus
les ajouts et développe des approches plus subtiles. Dans la première strophe, le contenu nucléaire « animae meae » passe dans
le premier vers « en mon cueur », ce qui permet au traducteur
d’utiliser à sa place le simple pronom personnel « je ». Marot
semble systématiser des voies explorées de façon ponctuelle dans
Leander et Hero, ou dans les Colloques d’Erasme. Un passage du
« Pseaulme premier, à deux versetz pour couplet à chanter »
laisse entrevoir les difficultés éventuellement rencontrées par le
traducteur. Pour ce psaume, Marot établit une correspondance
« deux versets/une strophe », cette dernière sur le schéma
AABBCC. Le traitement de la première strophe révèle un dispositif particulier :
Psalterium gallicum, I, 1ro
Marot, Psaume Premier, versets 1-4 106
1. Beatus vir, qui non abiit in concilio 1. Qui au conseil des malings n’a esté,
impiorum / & in via peccatorum non Qui n’est au trac des pecheurs arresté,
stetit : et in cathedra pestilentiae non sedit. Qui des mocqueurs au banc place n’a prise :
2. Sed in lege domini voluntas ejus : & in 2. Mais nuict, & jour, la Loy
lege ejus meditabitur die ac nocte.
[contemple, & prise
De l’Eternel, & en est desireux :
Certainement cestuy là est heureux.
3. Et erit tanquam lignum quod plantatum 3. Et si sera semblable à l’arbrisseau
est secus decursus aquarum : quod fruc- Planté au long d’ung clair courant ruisseau,
Et qui son fruict en sa saison apporte,
tum suum dabit in tempore suo 107 :
4. Et folium ejus non defluet : et omnia 4. Duquel aussi la fueille ne chet morte :
Si qu’ung tel homme, & tout ce qu’il fera,
quaecumque faciet prosperabuntur 108.
Tousjours heureux, & prospere sera.
« Beatus » qui ouvre le premier verset ne réapparaît qu’à la fin
de la strophe suivante avec « heureux » qui ferme le derniers
vers. Le dispositif semble suggérer un traitement global des deux
106
107
108
Marot, TII, p. 563.
Le Psalterium hebraicum donne : Et erit tanquam lignum transplantatum : iuxta
riuolos aquarum. Quod fructum suum dabit in tempore suo /
Le Psalterium hebraicum donne : & folium eius non defluet : et omne quod fecerit prosperabitur.
312
« OVIDE VEUT PARLER »
versets en fonction de la strophe, conditionné par le choix de la
correspondance « deux versets/une strophe » et par le schéma
des rimes de cette dernière. Le quatrième vers de la strophe se
voit en effet doublement contraint par la rime du troisième vers
et par le contenu du deuxième tercet. Marot parvient à respecter
l’ordre des mots dans tout le poème, à l’exception de « beatus »
pour la première strophe, qui marque sans doute une solution
dont le caractère exceptionnel dit la maîtrise acquise par Marot
traducteur.
En utilisant comme étalon les techniques appliquées dans le
Premier Livre, l’évolution qui peut être observée dans les Psaumes
permet de mesurer la confiance prise par le traducteur. Celui-ci
semble cesser de recourir largement aux ajouts, alors même qu’il
travaille avec des formes de versification plus complexes. Le
silence que Defaux évoque au cœur de la traduction des psaumes
s’illustre, au plan de la technique, comme un abandon par le
traducteur des marges de manœuvre qu’il avait l’habitude de se
ménager. Il s’agit pour lui de trouver la voie la plus directe du
texte biblique à la forme exigée par le chant. Les variations explorées depuis Le Premier Livre nourrissent l’elocutio requise pour
les Psaumes.
Les caractéristiques relevées dans le Premier Livre permettent
d’ailleurs de percevoir nettement, au travers de la totalité du
corpus psalmique traduit après 1534, une série d’invariants dans
la manière marotique. Au premier rang de ces invariants apparaît
la prééminence du texte source en tant que tel : même lorsque
Marot traite des textes pour lesquels il dispose d’un commentaire
abondant, il préfère la traduction à la reconstitution. L’exercice
semble marqué avant tout par la conscience de la valeur éminente de l’elocutio originale, qui pèse sur toutes les déterminations du texte cible. La première place accordée au texte source
n’implique cependant pas d’écarter les sources érudites susceptibles d’éclairer la négociation à laquelle doit se livrer le traducteur : Marot l’autodidacte se montre attentif à tous les éléments
qui peuvent légitimer les interprétations qu’il retient. Ni cellesci, ni la forme propre du texte source ne sauraient cependant
justifier la production d’une version difficile pour le lecteur français : l’objectif ultime du poète de François Ier consiste à ce que
les auteurs traduits parlent français. L’équation qu’il s’agit de
APRÈS LE PREMIER LIVRE
313
résoudre comporte clairement trois variables : elocutio source,
commentaire érudit, version « en facille vulgaire » 109. La formule
n’est guère originale si on la compare à la déontologie du traducteur d’aujourd’hui, mais elle permet de marquer la distance de
Marot à d’autres traducteurs : dans la première modernité, ceuxci sont souvent tentés de recourir à une langue plus ou moins
artificielle (Guillaume Michel de Tour), de maintenir visible le
commentaire (Aneau), avant d’explorer une elocutio complètement originale (« belles infidèles »).
Ce que permet la connaissance approfondie du Premier Livre,
ce n’est cependant pas simplement l’énonciation de l’équation
générale de la manière marotique, c’est aussi, et surtout, au travers de l’évaluation en contexte des solutions adoptées par le
traducteur, de mettre en évidence certaines structures marquantes des réalisations ultérieures : le traitement du rapport
syntaxe-versification, la marge de manœuvre choisie en matière
d’ajout ou le maintien des déterminations fondamentales du
texte source.
Il est possible également d’observer l’évolution de la technique du traducteur au travers de l’abandon par ce dernier de
certaines stratégies appliquées dans le Premier Livre (rapport
un vers latin pour deux vers français, définition variable du
volume de texte source traité, dépassement du distique en tant
que forme utile à l’optimisation du texte cible). Or, la question
de l’évolution du traducteur renvoie, compte-tenu du réflexe
critique qui exige d’interroger en permanance la valeur des
réalisations littéraires, à celle de ses éventuels progrès. Il faut
voir cependant que le choix d’une technique ne peut être
évalué indépendamment du texte auquel celle-ci s’applique.
Juger de la réussite du Premier Livre sur la base des autres
réalisations postérieures à 1534 n’a guère de sens, il est nettement plus fécond de confronter l’Ovide de Marot à celui
d’autres traducteurs.
109
Marot, TII, p. 406.
314
« OVIDE VEUT PARLER »
LES AUTRES TRADUCTIONS EN VERS APRÈS MAROT
Le succès éditorial du Premier Livre ne signifie pas la disparition
des traductions des Métamorphoses en prose : Ghislaine
Amielle 110 rend compte d’une importante série de traductions en
prose aux XVIIe et XVIIIe siècles. A l’opposé, on ne compte que
trois versions en vers dignes d’intérêt. La première version qui
donne en vers la totalité des quinze livres d’Ovide est l’œuvre
de François Habert 111 en 1557. Avant même la parution de cette
traduction, la connaissance de l’entreprise d’Habert décourage
Aneau de se lancer dans une version complète : l’auteur du Quintil Horacien se contente d’une édition des deux livres traduits par
Marot, accompagnée de sa propre version du Troisième Livre en
1556. Il faut ensuite attendre 1697 pour retrouver une version
significative des Métamorphoses en vers sous la plume de
Thomas Corneille 112.
L’observation des techniques appliquées par Habert, Aneau et
Corneille permet de dresser un tableau sommaire de l’évolution
de la traduction d’Ovide après Marot, tableau qui permet de
confirmer la description donnée au geste de Marot traducteur au
travers du contraste avec les négociations menées par d’autres
traducteurs significatifs. François Habert et Thomas Corneille
ayant donné des versions intégrales du texte d’Ovide, il est possible de comparer directement leurs versions avec celles de
Marot. En ce qui concerne Barthélemy Aneau, la comparaison ne
saurait être directe, raison pour laquelle il est particulièrement
utile de disposer de critères d’observation indépendants de la
comparaison directe entre les textes. L’approche par la comparaison à partir de passages choisis dans le Premier Livre ne saurait
évidemment constituer une étude systématique des versions de
Habert, Aneau et Corneille. Il n’en est pas mois vrai que certaines
110
111
112
Ghislaine Amielle, Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses
d’Ovide, p. 268-284.
François Habert, Les quinze livres de la métamorphose d’Ovide interprétés en
rimes françoises, selon la phrase latine, Paris, Jacques Keruer, 1557. L’édition est
disponible sur Gallica. Dans la suite, les extraits de cette édition seront désignés simplement par le numéro de page à côté de la mention de l’auteur.
Les Métamorphoses d’Ovide, mises en vers françois, par T. Corneille, Paris, J-B.
Coignard, 1697. Les trois tomes sont disponibles sur Gallica.
315
APRÈS LE PREMIER LIVRE
hypothèses formulées au sujet de la version de Marot gagnent à
être examinées au travers des contrastes relevés avec le travail
d’autres traducteurs.
Comparer à celle de Marot la version d’Ovide que donne
François Habert permet de saisir son autonomie poétique. Robert
Cottrell décrit François Habert à la fois comme le plus ardent
représentant de la « génération Marot » et comme un poète à
part entière :
Aucun de ces poètes ne s’est enrôlé dans les milices marotiques avec
plus de ferveur que François Habert. Aucun n’a été plus fidèle à
Marot, et aucun n’a été plus infatigable dans ses efforts pour présenter et divulguer, texte après texte, la doctrine marotique. L’œuvre
d’Habert fait donc partie de ce que Defaux appelle « la réforme du
discours poétique » initiée par Marot. Mais la poésie d’Habert, bien
que pleine d’allusions non seulement aux textes de Marot mais aussi
aux textes auxquels Marot lui-même fait allusion dans ses propres
poèmes, constitue un monde discursif tout à fait distinct de celui
de Marot 113.
On peut revenir sur les séquences décrivant le moment où
Jupiter décide de détruire le monde :
Ovide, v. 240-243 114
Marot, v. 469-476 115
1
Occidit una domus ; sed non domus una Or est tumbé ung manoir en ruine
[perire Mais ung manoir tout seul n’a esté digne
Digna fuit ;
D’estre pery :
2
qua terra patet, fera regnat Erinys ;
113
114
115
par tout où paroist terre,
Regne Erinnys aymant peché, & guerre.
Robert Cottrell, « Rhétorique et foi dans “Le Temple de Vertu” de François
Habert », La Génération Marot. Poètes français et néo-latins. 1515-1550, Actes
du Colloque international de Baltimore, 1996, éd. Gérard Defaux, Paris,
Champion, 1997, p. 487.
Les citations des Métamorphoses dans cette partie se réfèrent toutes à Ovide,
TI. La référence ne sera par conséquent plus rappelée.
Les citations du Premier Livre dans ce chapitre renvoient toutes à Marot, TII.
La référence par conséquent ne sera plus rappelée.
316
« OVIDE VEUT PARLER »
3
In facinus iurasse putes.
Et si diriez, que touts ilz ont juré
De maintenir vice desmesuré.
4
Dent ocius omnes, Touts doncques soyent par peine meritée
Quas meruere pati (sic stat sententia),
Punys acoup, c’est sentence arrestée.
[poenas.
Ovide, v. 240-243
5
Occidit una domus ;
Habert, p. 34.
Or est périe une seule maison
Qui pleine était de meurtre et trahison,
6
Digna fuit ;
sed non domus una perire Mais il n’était pas du tout nécessaire
De seulement une maison défaire.
7
Car en tout lieu que la terre s’étend
qua terra patet, fera regnat Erinys ; Le genre humain à discorde prétend,
8
In facinus iurasse putes.
Vous jugeriez toute la gent mortelle
Jà consentir à forfaiture telle
9
Dent ocius omnes, Dont chacun soit (car il l’a mérité)
Quas meruere pati (sic stat sententia), poenas. Pour tout puni de son iniquité,
A ce ne faut point mettre répugnance
C’est mon arrêt et dernière ordonnance.
Alors que Marot semble soucieux de conserver au maximum
le jeu de la versification et de la syntaxe en conservant le rejet
de l’original latin dans les séquences 1 et 2, Habert donne une
version dans laquelle le français semble imposer nettement sa
propre logique : dans les séquences 5 et 6, deux vers français
correspondent à des parties de vers latin, ce qui génère des
distiques installant l’harmonie de la versification et de la syntaxe. Suivant la deuxième règle de Dolet, Habert cherche une
version respectant les particularités de la langue cible. L’exigence de celle-ci semble désormais suffisamment forte pour en
quelque sorte s’imposer à l’original latin : le renoncement aux
317
APRÈS LE PREMIER LIVRE
rejets s’accompagne d’ajouts plus volumineux (« Qui était
pleine de meurtre et de trahison » – séquence 5 ou « A ce ne
faut point mettre répugnance » – séquence 9), du déserrement
de la figure construite à partir de la répétition de « maison »
aux séquences 5 et 6. La distance prise avec l’original latin
conduit Habert à négocier contre les sous-entendus du très
latin « non domus una » : la version de la séquence 6, correcte
en termes de logique formelle, peine à faire inférer nettement
la conclusion « il faut détruire plus de maisons ».
Plus d’un siècle sépare la version de Habert de celle de
Thomas Corneille : à la fin du XVIIe siècle, la langue française voit
se clore une des périodes les plus brillantes de sa littérature et la
question de son avenir se crisallise autour de la Querelle des
Anciens et des Modernes, dont la logique intrinsèque possède de
nombreux parallèles avec la question de la traduction. Observer
la version que donne Thomas Corneille de l’extrait discuté cidessus permet de prendre la mesure de l’évolution de la technique du traducteur :
Ovide, v. 240-243
Thomas Corneille 116, p. 21
10
Occidit una domus ; sed non domus una perire La flamme m’a vengé d’une maison infâme.
Digna fuit ;
Mais plus d’une maison a mérité la
[flamme.
11
qua terra patet, fera regnat Erinys ; Par tout où de la terre on voit l’accès ouvert,
De la fière Erynnis le dur règne est
[souffert.
12
In facinus iurasse putes.
Il semble qu’à l’envy, chacun armé pour elle,
Cherche en courant au crime à lui marquer
[son zele.
13
Dent ocius omnes, J’en ay donné l’arrêt, plus, plus d’impunité,
Quas meruere pati (sic stat sententia),
C’est trop, tous périront, ils l’ont tous mérité.
[poenas.
116
Thomas Corneille, Les Métamorphoses d’Ovide mises en vers francois, Tome I,
Liège, Jean François Broncat, 1698, p. 21. Dans la suite, les extraits de cette
édition seront désignés simplement par le numéro de page à côté de la
mention de l’auteur.
318
« OVIDE VEUT PARLER »
Appuyé sur l’ample base de l’alexandrin, Thomas Corneille
donne une version dont on a l’impression qu’elle vise à éclairer
dans leur totalité les sous-entendus que perçoit le traducteur,
afin de proposer au lecteur une version pour ainsi dire révélée.
Cette manière de faire n’exclut pas la sensibilité aux caractéristiques formelles du texte source, comme en témoigne le
chiasme « flamme – maison – maison – flamme » qui réalise
en quelque sorte une forme latente perceptible dans l’original
latin « occidit – domus – domus – perire ». Elle sait également
s’éloigner du texte cible pour proposer une version plus accessible : « non domus una » est rendu par le très naturel « plus
d’une maison ». Les ajouts font la part belle à des adjectifs qui
semblent issus de la grande tragédie française : « la fière Erynnis », « le dur règne » ; certains alexandrins possèdent l’amplitude des vers qui font, au théâtre, vibrer le public parisien :
chacun « cherche en courant au crime à lui marquer son zèle. »
Ovide non seulement parle français, mais il semble avoir suivi
toutes les saisons parisiennes depuis 1650.
La comparaison entre la version de Marot et celle de Corneille permet de percevoir une différence nette entre la langue
du Premier Livre et celle des Métamorphoses d’Ovide mises en vers
français. Dans la version de Marot, la distance entre le français
d’aujourd’hui et celui de 1530 rend difficile la perception de
l’équilibre entre la prise en compte des caractéristiques du texte
source et la production d’un texte accessible et conforme au
goût du public contemporain. La version de Thomas Corneille,
toute entière habitée par le bon usage qui, depuis Vaugelas,
gouverne le français, trouverait à l’inverse sans peine sa place
dans les modèles discutés dans les écoles de traduction.
L’observation du détail des versions données par Marot, Habert
et Aneau permet d’échapper au préjugé normatif et de mettre
en évidence la valeur des traductions en langue du XVIe siècle.
La comparaison entre les versions de la mort de Narcisse
que donnent Corneille et Barthélemy Aneau, interprète pointu
de l’original latin, confirme une différence fondamentale dans
la technique des traducteurs :
319
APRÈS LE PREMIER LIVRE
Ovide, Liber III, v. 504-510
Aneau, Tiers Livre, v. 1029-1043 117
1
Tum quoque se, postquam est inferna sedes Encore apres que par la mort finale
[receptus, Il fut receu à la cour infernale.
2
In Stygia spectabat acqua. Planxere sorores
Naides
Il se mira en Styx, fleuve de pleurs.
Fort l’ont plouré les Naïades ses sœurs.
3
et sectos fratri posuere capillos ;
Et leurs cheveux couppez pour le deuil faire
Ont epanduz sur le corps de leur frere.
4
Planxerunt dryades ; plangentibus adsonat Fort l’ont ploré les Naïades des bois
[Echo. Et à leurs plainctz respond d’Echo la voix.
5
Iamque rogum quassasque faces feretrumque Ja apprestoient le feu, et la lumiere
[parabant ; De vains flambeaux, et la mortelle bière.
6
Nusquam corpus erat ; croceum pro corpore Mais quoy ? le corps cerché avec grand pleur
[florem Point ne se treuve. Ains, trouvent une fleur
Inueniunt foliis medium cingentibus albis. Au lieu du corps, dedans rouge et jaunette
Ceincte dehors de feuille blanche et nette.
Même s’il ne retient pas la figure du rejet pour la séquence
2, Aneau applique une technique fort comparable à celle observée dans le Premier Livre. Le respect de l’ordre des mots latins
peut être observé avec une très grande netteté dans les
séquences 2, 3 et 4 ; la valence verbale est conservée de façon
très systématique.
La version de Thomas Corneille présente une technique sensiblement différente :
117
Trois premiers livres, p. 235-236.
320
« OVIDE VEUT PARLER »
Ovide, Liber III, v. 504-510
Thomas Corneille, Livre III, p. 189
7
Tum quoque se, postquam est inferna sedes Jusque dans les Enfers chargé d’inquiétude
[receptus, De l’erreur qui le flatte il garde l’habitude,
8
In Stygia spectabat acqua.
Et dans les eaux du Styx qu’il n’abandonne
[pas
De l’ombre de son ombre il cherche les appâts.
9
Planxere sorores Les Naïades ses sœurs, que sa mort désespère
Naides et sectos fratri posuere capillos ;
Se coupent les cheveux, les jettent sur leur
[frère,
Et par tout ce qui fait éclater la douleur
Déplorent à l’envi l’excès de son malheur.
10
Planxerunt dryades ;
Les Dryades pour lui marquent même
[tendresse
On les entend se plaindre, & soupirer sans
[cesse,
11
plangentibus adsonat Echo. Tandis qu’à leurs soupirs Echo prêtant sa
[voix
Les portes d’antre en antre au plus profond
[du bois.
12
Iamque rogum quassasque faces feretrumque Pour les derniers honneurs leur zèle se
[parabant ;
[déclare.
Les torches, le cercueil, déjà tout se prépare ;
13
Nusquam corpus erat ;
Mais en vain on s’empresse à dresser un
[bûcher,
Son corps s’évanouit, on a beau le chercher.
14
croceum pro corpore florem Une fleur seulement est trouvée en sa place,
Inueniunt foliis medium cingentibus albis. Jaune, mais au milieu d’un blanc que rien
[n’efface,
Et qui semble répondre à la vivacité
De ce teint, dont lui-même admira la
[beauté.
Le test de la superposition révèle des séquences qui semblent
définies avant tout par le découpage syntaxique de la partie
latine : l’unité de travail du traducteur semble négliger les vers
latins, au profit de la seule proposition. La partie française de la
321
APRÈS LE PREMIER LIVRE
séquence propose des intrigues dont la construction ne s’efforce
plus de suivre l’original latin. L’ordre des mots latin, la valence
des verbes du texte source, la limitation du volume des ajouts
n’exercent plus de contrainte apparente sur la version retenue.
Le travail sur la langue auquel se livre Aneau rejoint la
manière de Marot. La différence manifeste entre la technique
appliquée par Marot et Aneau, d’une part, et celle de Thomas
Corneille, d’autre part, conduit à réévaluer l’impression de
langue non encore aboutie donnée par les versions du XVIe siècle.
Il apparaît en effet que le rythme du texte, la progression de
l’intrigue, les relations syntaxiques sont très directement conditionnées par l’original latin. Si la possibilité de l’ellipse du sujet
renvoie à la souplesse de la langue du temps de Marot, le texte
en tant que tel doit sans doute plus au respect de l’original
qu’aux seules limites induites par la jeunesse de la langue. La
traduction de Thomas Corneille renvoie à l’expérience de la
langue classique, ce qui peut conduire à la juger de prime abord
plus acceptable, parce que plus conforme au bon usage. A bien
y regarder, cependant, les versions de Marot et d’Aneau ne sont
pas simplement l’expression d’une langue non encore régulée.
L’état de la langue au moment de la rédaction du Premier Livre
ne doit pas détourner du défi poétique que représente la traduction d’Ovide. Il est possible d’aborder la question en examinant
comment Habert et Corneille ont traité les passages dans lesquels
Marot poète a dû faire appel aux ressources de son invention. La
description de la naissance des vents met tous les traducteurs au
défi d’un passage particulièrement dense sur le plan de l’information cosmographiques :
Ovide, v. 61-66
Marot, v. 121-130
Eurus ad Auroram Nabataeaque regna
Le vent Eurus tout premier s’en volla
[recessit Vers l’Orient, & occuper alla
Persidaque
Nabathe, & Perse,
et radiis iuga subdita matutinis ;
& les monts qui s’eslevent
Soubs les rayons, qui au matin se levent.
Vesper et occiduo quae litora sole tepescunt Zephyrus fut soubs Vesper resident
Proxima sunt Zephyro ;
Pres des ruisseaulx tiedys de l’Occident.
322
« OVIDE VEUT PARLER »
Scythiam septemque triones Boreas froid envahyt la partie
Horrifer inuasit Boreas ;
Septentrionne, avecques la Scythie.
contraria tellus Et vers Midy, qui est tout au contraire,
Nubibus assiduis pluuioque madescit ab
Auster moyteux jecta pluye ordinaire.
[Austro.
Habert, 17-18
Corneille, p. 5
Eure dès lors son soufflement exerce
En Orient, près de Nabathe et Perse,
Eurus alla souffler où le Soleil se lève,
Et sur les monts situés en hauts lieux
Qui sont prochains du soleil radieux.
Zéphyre vent à Eure tout contraire
En Occident tôt s’en alla retraire,
L’aimable et doux Zéphire où sa course
[s’achève,
Et Boréas va saisir la partie
Des sept Trions, en la froide Scythie.
Par le rude Aquilon le Nord fut refroidi,
L’humide Auster à l’opposite alla
Vers le Midi, et souffle encores là.
Et les brouillards d’Auster couvrirent le
[Midi.
Ni Habert, ni Corneille ne retiennent les rejets qui rythment le
récit original et suggèrent la mise en place progressive des éléments au moment de la création du monde. Marot conserve le premier rejet, puis son jeu devient plus subtil, consistant à redistribuer
les rôles syntaxiques des actants dépendant des verbes inchoatifs 118. Habert et Corneille utilisent une technique analogue, mais
la précision référentielle du Premier Livre contraste avec celle des
versions ultérieures : les « rayons, qui au matin se levent »,
« Vesper », « les ruisseaux tiedys de l’Occident », la « pluye ordinaire », qui ne sont pas des ajouts, disparaissent tous, aussi bien
chez Habert que chez Corneille. Dans leurs versions, la cosmographie ovidienne se trouve normalisée, envisageant Ovide au travers
d’une connaissance encyclopédique, qui décrit le monde alors qu’il
est en place, sans chercher à retrouver la rafraîchissante incertitude
de son commencement, qui n’intéresse peut-être plus des publics
désormais connaisseurs des Métamorphoses.
Ce regard « en toute connaissance de cause » sur le texte
d’Ovide apparaît plus nettement encore la version que Thomas
118
Voir p. 308.
323
APRÈS LE PREMIER LIVRE
Corneille donne du dilemme de Jupiter qui se demande s’il doit
ou non mettre Io entre les mains de Junon :
Ovide, v. 617-619
Marot, v. 1221-1226
Quid faciat ? crudele suos addicere amores ;
Que pourra il or faire, ou devenir ?
C’est cruaulté, ses amours forbannyr.
Non dare, suspectum est. Pudor est, qui
Ne luy donnant la faict soupeçonner,
[suadeat illinc, Honte en apres l’incite à luy donner.
Hinc dissuadet amor. Victus pudor esset
Puis Amour est à l’en divertir prompte
[amore ; Et en effect Amour eust vaincu honte :
Habert, p. 65
Corneille, p. 52
Que fera-il ? trop cruel il serait
Quand ses amours ainsi délasserait,
Que faire pour Io quand son crime l’accuse ?
S’il accorde, il la perd : il se perd, s’il refuse
Ce qu’on chérit le plus coûte bien à donner,
Mais s’il n’y consent pas, il se fait soupçonner.
Il voit des deux côtés tout ce qu’il appréhende
Ce que défend l’amour, la honte le demande,
Et d’autre part si ce don il refuse,
Junon pourrait se douter de sa ruse,
Puis il serait tout honteux & confus
En lui faisant de si peu le refus
Et dans cette cruelle et dure extrêmité
Sur la honte l’amour l’eût sans doute emporté,
D’autre côté, du don il se déporte
Pour l’amour grand qu’à cette nymphe
[il porte,
François Habert semble vouloir dévider le raisonnement de
Jupiter en explicitant les relations de cause à effet . Chaque paire de
vers exprime une causalité : abandon de l’amour – cruauté ; refus
du don – soupçon de Junon ; refus du don – honte ; amour – refus
du don. Le souci de clarté contraste avec la tension dramatique que
produit, dans la version de Marot, l’incursion rapide dans le discours indirect libre (« C’est cruaulté, ses amours forbannyr »). Priviliégiant respectivement l’affect ou la logique, ni Marot, ni Habert
n’en appellent à la figure du dilemme, mais celle-ci porte en français le nom de Corneille. Un alexandrin construit comme une horloge de précision en témoigne : « S’il accorde, il la perd : il se perd,
s’il refuse. » L’opposition « accorde »/« refuse » encadre la répétition, formant une structure quasi chiasmatique ; au centre du vers,
l’opposition « la »/ « se » résume l’enjeu de la situation, trahir ou
souffrir ; la répétition du pronom « il » exprime le mouvement
rapide de la pensée prise au piège. Les vers qui suivent alternent
324
« OVIDE VEUT PARLER »
les sentences qui résument le dilemme (« Ce qu’on chérit le plus
coûte bien à donner », « Il voit des deux côtés tout ce qu’il appréhende. ») et l’expression des oppositions (« Mais s’il n’y consent
pas, il se fait soupçonner », « Ce que défend l’amour, la honte le
demande »). La maîtrise de ce qui deviendrait au théâtre un monologue produit une version dans laquelle Jupiter apparaît en
majesté, quand l’original ovidien dépeint plutôt un mari volage
pris au piège. Le dilemme offre à Thomas Corneille une situation
propice au déploiement de la rhétorique à laquelle son public est
habitué, ce qui le conduit à donner une version qui ne reprend
qu’une partie des particularités de l’original.
La marque la plus spécifique de la traduction marotique réside
dans l’effacement du poète au profit d’une déontologie de la traduction qui voit le texte cible se passer de raffinements jugés
inutiles au profit de la restitution aussi modeste que possible des
caractéristiques du texte source. Le portait de Daphné est, par
exemple, l’occasion pour Marot de porter cette déontologie au
plus haut niveau poétique. Ouvrir l’analyse aux autres versions
offre une mise en abyme de l’art du traducteur et permet de voir
comment les différentes versions semblent aller toujours plus
dans le sens d’un Ovide à confirmer, plutôt qu’à faire découvrir.
Ovide, v. 478-484
Marot, v. 939-954
Vitta coercebat positos sine lege capillos.
D’ung seul bandeau ses cheveulx mal en ordre
Serroit au chef, sans les lyer, ne tordre.
Multi illam petiere ; illa auersata petentes, Plusieurs l’ont quise à l’espouser tendants,
Mais toujours feit reffus aux demandants.
Inpatiens expersque uiri nemora auia lustrat
Sans vouloir homme, & du plaisir exempte,
Va par les boys, qui n’ont chemin, ne sente,
Nec quid Hymen, quid Amor, quid sint
Et ne luy chault sçavoir que c’est de nopces
[connubia curat. N’aussi d’ung tas d’amoureuses negoces.
Saepe pater dixit : « Generum mihi, filia, Son pere aussi luy a dit maintesfois,
[debes. » Ma chere fille, ung gendre tu me dois :
Et luy a dit (cent foys blasmant ses vœuz) :
Saepe pater dixit : « Debes mihi, nata,
Tu me doibs, fille, enfants, & beaulx nepveuz.
[nepotes. »
325
APRÈS LE PREMIER LIVRE
Illa, uelut crimen taedas exosa iugales,
Elle abhorrant mariage aussi fort
Que si ce fust ung crime vil, & ord,
Pulchra uerecundo suffuderat ora rubore
Entremesloit parmy sa face blonde
Une rougeur honteuse, & vereconde :
Habert, 53-54
Thomas Corneille, 39-40
Elle portait ses cheveux deliés
Sans ordre épars, et d’un ruban liés,
Ses cheveux que toujours, dédaignant
[leur parure,
Elle laissait tomber sans ordre & sans frisure,
Attachés d’un cordon, leur unique ornement,
Sur son col, sur ses bras pendaient
[négligemment.
Dans cette négligence, elle était préférable
A tout ce que peut l’art ajouter à l’aimable.
De maints seigneurs, pour sa beauté exquise
En mariage elle a été requise,
Mais elle met en rigoureux mépris
Tous les amants de sa beauté surpris,
Aussi de mille amants elle reçut les vœux ;
Mais on la vit toujours insensible pour eux,
Et sans jamais être d’homme amoureuse,
Allait parmi mainte forêt ombreuse,
Et témoignant sans cesse une haine obstinée
Pour tout ce qui semblait lui parler d’hyménée,
Des plus sombres forêts les sauvages détours
Faisaient sa seule joie, et ses seules
Souventesfois son père lui a dit
[amours.
Tu dois ma fille, avoir sans contredit
Penée en murmurait, et s’ennuyant
Un bon époux, fille belle & bien née
[d’attendre,
Maints beaux enfants me dois de ta lignée Il est temps, disait-il de me choisir un gendre,
Ma fille, songe enfin à contenter mes vœux.
Daphné qui lors haine en son cœur imprime Je te dois un époux, tu me dois des neveux.
De mariage autant comme d’un crime,
Elle à qui le dessein d’un choix si légitime
Donnait la même horreur qu’aurait pu
En augmentant sa beauté nompareille
[faire un crime
D’une couleur honteusement vermeille,
Rougissait, et ce rouge augmentant sa beauté
Mettait plus de brillant à plus de majesté.
N’ayant souci d’amours en son courage,
Fuyant Hymen le dieu de mariage,
La version de Habert présente une tendance à l’intensification,
voire à l’hyperbole qui fixe le charme inexplicable de la nymphe
dans les formules déjà presque stéréotypées de la beauté froide :
Daphné se voit qualifiée de « beauté exquise », puis de « beauté
nompareille » ; son cœur est habité par la « haine » du mariage.
La volonté d’expliciter fait oublier au traducteur que l’original
326
« OVIDE VEUT PARLER »
peut contenir une part d’incongruité, la belle ne cherchant ni à
être belle, ni à être aimée. Pour Thomas Corneille, cette part
d’incongruité devait avoir disparu depuis longtemps sous les
multiples adaptations de l’histoire de Daphné dans le domaine
français. L’évocation de la farouche nymphe appelle irrésistiblement le morceau de bravoure qui tourne à la leçon d’élégance,
magistralement ponctuée par une maxime distinguant « l’art »
de « l’aimable ».
La situation de Marot, aux origines du français en littérature,
lui permet sans doute d’aborder la traduction d’Ovide avec une
liberté dont ne disposent plus ses successeurs. Un texte fondateur
comme Les Métamorphoses pénètre une langue et sa littérature au
travers d’une intertextualité qui dépasse très largement le cadre
de sa traduction. Plus le temps passe, plus grandissent les
attentes que doit intégrer le traducteur : la connaissance du texte
source s’enrichit de toutes les interprétations issues de sa diffusion que celle-ci s’appelle « traduction », « imitation », « adaptation » ou « commentaire » ; la langue cible s’alourdit de la
littérature ; ses formes, ses figures deviennent autant de codes,
de gages qu’il s’agit de donner aux initiés.
La comparaison avec la version de Thomas Corneille permet de
comprendre en quoi Marot est, à deux moments distincts du siècle,
doublement passeur. Marot fait d’abord le pari que la cour est prête
à vibrer durablement des passions des Métamorphoses. Le continent
que Marot découvre ne se situe pas aux origines du texte qu’il traduit, mais dans le public qui reçoit sa version. Marot est convaincu
de l’existence d’un nouveau monde, parce qu’il est en train de
l’inventer. Cependant, s’il est passeur d’abord pour ceux « qui
n’ont la langue latine » 119, il pense aussi aux « Poëtes vulgaires, &
aux Painctres » 120, c’est-à-dire à une deuxième façon d’être passeur. Un signe net que le Premier Livre finit par dépasser le seul
public de la cour pour atteindre les cercles lettrés peut être perçu à
partir de la description du chaos dans la Sepmaine de Du Bartas :
Ce premier monde estoit une forme sans forme,
Une pile confuse, un meslange difforme,
D’Abismes un abisme, un corps mal compassé.
119
120
Marot, TII, p. 406.
Marot, TII, p. 406.
APRÈS LE PREMIER LIVRE
327
Un Chaos de Chaos, un tas mal entassé :
Où tous les élémens se logeoyent pesle-mesle :
Où le liquide avoit avec le sec querelle,
Le rond avec l’aigu, le froid avec le chaud,
Le dur avec le mol, le bas avec le haut,
L’amer avec le doux : bref durant ceste guerre
La terre estoit au ciel et le ciel à la terre 121.
Deux choix lexicaux semblent renvoyer directement à Clément
Marot : « compassé » se trouve deux fois dans le Premier Livre
en position d’adjectif épithète pour qualifier le monde naissant ;
« guerre » représente également un choix marotique visant à
rendre le plus neutre « pugnabant » que l’on trouve chez Ovide.
Deux générations de lettrés après la parution du Premier Livre,
Marot traducteur devient passeur pour les savants eux-mêmes,
dès lors que, pour un livre de l’ambition de la Sepmaine, l’auteur
choisit de faire passer le dialogue avec Ovide au travers d’une
version française.
Au temps de Thomas Corneille, le dialogue avec l’Antiquité
se déroule de façon majoritaire au sein de la langue vernaculaire.
Ovide parle désormais français.
121
Du Bartas, La Sepmaine ou Création du monde, éd. Yvonne Bellenger, Paris,
Nizet, 1981, v. 223-232.
CONCLUSION
Caractériser avec précision le geste du traducteur sur la base du
Premier Livre permet de fixer un jalon décisif dans l’histoire de la
traduction en France. Les exigences qu’articule la version de
Marot posent le canon moderne de l’exercice pour le domaine
français. La voie qu’explore le poète de François Ier le conduit sur
tous les terrains où se définissent les contours d’une expérience
littéraire nouvelle.
La voie de Marot se distingue d’abord par le souci des sources.
Auteur en proie à l’indélicatesse des imprimeurs, éditeur
d’ouvrages dont il se sent particulièrement proche, Marot se
trouve à la pointe du combat naissant pour le respect du texte.
Jamais avant lui, un traducteur profane du domaine français ne
s’est autant préoccupé de l’intégrité du texte source. Les auteurs
de l’Ovide moralisé appliquent une grille d’analyse assez nettement détachée de la culture antique ; Claude de Seyssel lui-même
traduit Xenophon au travers d’un texte latin. Marot exploite au
contraire systématiquement les ressources dont il peut disposer :
Regius pour Les Métamorphoses ; paraphrase de Mara et commentaire de Vatelle pour Leander et Hero ; travail des grands traducteurs de la Bible pour les psaumes. La méthode appliquée pour
l’établissement et la compréhension du texte reprend les principes développés par les grands lettrés, mais elle porte sur un
contexte qui n’intéresse pas ces derniers en priorité.
Il faut souligner l’originalité de la démarche marotique : dans
la dédicace à François Ier, le poète marque avec modestie la distance qui le sépare de la grande culture humaniste. C’est à partir
d’une position nouvelle qu’il exploite avec finesse l’érudition que
l’époque met à sa disposition. Auteur autant que traducteur,
Marot assume la nécessité de la traduction pour le public de cour
et ose l’entraîner au-delà du projet humaniste tel que pouvait
l’envisager le Mouseïon voulu par Guillaume Budé.
L’autonomie dont Marot fait parfois preuve vis-à-vis du
commentaire de Regius établit de sucroît un cadre tout à fait
330
« OVIDE VEUT PARLER »
nouveau, à partir duquel le poète vernaculaire établit souverainement sa version. L’exercice de la traduction investit dès lors un
domaine qui n’est pas uniquement celui du service de l’érudition : il faut admettre chez le poète qui traduit une forme d’inspiration qui s’impose à l’enseignement des savants. Bien des modes
de faire s’offrent alors : pour le meilleur ou pour le pire, le traducteur s’attribue une responsabilité nouvelle dans un champ élargi,
qui va du texte destiné à l’enseignement jusqu’à des formes
proches de la création originale. L’abandon de la glose signe
l’affirmation assumée du caractère nécessairement limité de
l’exercice, alors que les divers ajouts métatextuels et commentaires relèvent d’un exercice cherchant à compenser la perte
inévitablement induite par la traduction. En ce qui concerne Les
Métamorphoses, l’histoire littéraire donne raison au traducteur qui
s’en tient à des versions « au vuyde » : la manière Aneau, qui
admet un commentaire dans les marges, ne fait pas école.
L’étude méthodique du texte du Premier Livre montre que
Marot, tout jaloux qu’il soit de son autonomie, choisit une déontologie qui, au final, limite plutôt les interventions du poète au
profit d’une composition qui prend en compte prioritairement les
déterminations du texte source. Marot épouse une posture de
traducteur qui met les compétences du poète au service du texte
source. Rendre compte de l’invention poétique dans les réalisations de Marot interroge aussi bien les moyens de description de
la traductologie que ceux des études littéraires.
Point n’est besoin de théoriser les préceptes au travers desquels
généraliser la pratique utilisée avec succès dans le Premier Livre :
Etienne Dolet s’en est très largement chargé dans La Manière de bien
traduire d’une langue en l’autre. Si l’on en croit la préface que l’humaniste donne à son texte, la genèse de La Manière est chronologiquement très voisine de la première publication de la version de
Marot. L’édition du Premier Livre que donne à une date encore plus
voisine, en 1538, l’auteur du Ciceronianus est accompagnée d’une
épître latine qui dit son éblouissement : « Aequet ? superest potius
Poëtam principem / Longè omnium Versum facili » 1. Il est
d’usage de considérer avec prudence les pièces liminaires, en particulier lorsque l’intérêt pécunier de l’auteur, pour le coup égale1
Marot, TII, p. 403.
CONCLUSION
331
ment éditeur du volume, est directement en cause. On peut tout de
même se demander si, concernant le très entier Dolet, le compliment ne recèle pas plus de sincérité qu’à l’accoutumée. L’étude
méthodique du Premier Livre établit de façon systématique la
conformité de la manière Marot avec celle préconisée par Dolet.
Norton, qui tient à faire débuter la pratique littéraliste à la publication de La Manière, ne fait pas grand cas du travail de Marot, mais
il cite comme parangon du littéralisme les traductions de Barthélemy Aneau, qui n’apporte que de rares modifications au Premier
Livre dans l’édition qu’il donne en 1556 et dont la technique se
révèle très voisine de celle de Marot.
La caractérisation précise du geste de Marot traducteur
implique de prendre du recul vis-à-vis de la question du mot à mot,
si souvent évoquée au sujet de l’exercice de la traduction, tout particulièrement dans les premières années du XVIe siècle. La formule
d’Horace pose un critère à la fois difficilement contestable et peu
opérationnel en termes d’analyse de texte : le terme extrême qui la
borne (le « mot à mot ») ne saurait rendre compte d’une quelconque réalisation concrète, comme le montre Borges dans Pierre
Ménard. Aucun traducteur, pas plus Octovien de Saint-Gelais,
Guillaume Michel de Tour que Barthélemy Aneau, ne donne de
version fidèle mot pour mot : l’évaluation se situe toujours dans
une question de degré, et il importe de disposer des moyens de
mesurer avec le plus de précision possible le rapport entre texte
source et texte cible. En l’absence de cette mesure, le commentaire
tend à convoquer le critère du mot à mot de façon opportuniste
pour appuyer ce qui ne constitue qu’une impression le plus souvent fondée dans une conviction a prori issue des préjugés de l’histoire littéraire.
Dès lors qu’il est mesuré avec précision, le texte du Premier Livre
révèle des formes dominantes pour lesquelles le poète fait moins
appel à son invention qu’au respect d’une économie spécifique,
basée sur le respect de l’ordre des mots, le maintien des rôles syntaxiques, la production d’une version syntaxiquement conforme à la
logique de la langue cible. La réalisation marotique défie l’imagination du critique : celui-ci doit admettre le miracle d’une version
arbitrant vers après vers toutes les variantes possibles en vue de la
réalisation d’un texte habité par le silence du traducteur.
Lorsqu’elle est battue en brèche, la technique du traducteur se
voit relayée par l’invention du poète. Les formes alors observées
332
« OVIDE VEUT PARLER »
se distinguent des tendances dominantes, mais elles poursuivent
un objectif qui s’avère conforme à l’idéal dominant le reste du
texte. Les extraits que le regard critique classique n’aurait sans
doute pas manqués se voient situés à l’intérieur d’un système
auquel ils échappent sans le remettre en cause.
La connaissance précise de la technique appliquée dans le Premier Livre permet de donner une description opérationnelle de ce
que Norton enregistre au niveau théorique sous la désignation
de literalist temper 2 sans se donner la peine de caractériser la
notion sur des réalisations textuelles concrètes.
En l’absence de modèle cognitif susceptible de rendre compte
du processus exact de la traduction, l’utilité de la description de
Norton n’est certes pas à négliger. Toutefois, l’opposition « horacianiste/littéraliste » reposant sur la prise en compte du critère
du mot à mot, la question de la place du Premier Livre dans l’élaboration du paradigme littéraliste présente moins d’intérêt que
la question de l’effacement du texte dans l’histoire de la traduction en France qui contraste avec la place éminente occupée par
La Manière qui, d’une certaine façon, participe des mêmes préoccupations. Si le court traité de Dolet continue d’être discuté dans
toutes les études sur l’histoire de la traduction, les allusions au
Premier Livre restent rares, voire inexistantes.
Les critères qu’utilise Antoine Berman 3 pour cerner les
contours de ce qu’il qualifie de « grande traduction » peuvent
servir de point de départ à la réflexion sur le destin de l’entreprise de Marot dans l’histoire de la traduction. En résumé, ces
critères sont les suivants :
1. La grande traduction constitue un événement dans la
langue cible : elle fait date dans l’histoire de la langue.
2. La grande traduction se distingue par son haut degré de
« systématicité textuelle ».
3. La grande traduction échappe au veillissement.
4. La grande traduction est le lieu d’une rencontre entre la
langue de l’original et celle du traducteur : la langue
2
3
Glyn P. Norton, The Ideology and language of translation in Renaissance France,
p. 113-184.
Antoine Berman, Jacques Amyot traducteur français, p. 148.
CONCLUSION
333
source influence la langue cible au travers de la
traduction.
5. La grande traduction crée un lien intense avec l’original,
qui se mesure à l’impact sur la culture réceptrice.
6. La grande traduction constitue pour l’activité traduisante un précédent incontournable.
Un peu plus loin 4, Antoine Berman ajoute encore que la
grande traduction se doit d’être une traduction complète. A bien
y regarder, les critères exposés ci-dessus relèvent de deux catégories différentes : d’une part, les critères qui expriment des attentes
vis-à-vis de la version réalisée (2, 4, 5) ; d’autre part, les critères
qui exposent l’effet d’une grande traduction (1, 3, 6). Le septième
critère relève quant à lui plutôt de la première catégorie, mais il
possède une sorte de lien direct avec les critères de la seconde
catégorie : en soi, la traduction complète du corpus attribué à un
auteur ou, simplement, d’un ouvrage d’un volume important,
remplit presque automatiquement les critères 1 et 6. Situer le Premier Livre sur la grille d’Antoine Berman implique de discuter en
priorité les critères 2, 4 et 5, puisque les critères 1, 3 et 6 constituent plutôt les conséquences heureuses de la satisfaction des
autres critères.
Si l’observation fine de la version de Marot permet d’avancer
que celle-ci atteint un très haut degré de systématicité textuelle
(critère 2), la question de la rencontre entre langue source et
langue cible (critère 4) et celle de l’impact sur la culture réceptrice
(critère 5) renvoient directement à la double absence du Premier
Livre dans l’histoire de la traduction et dans l’histoire littéraire en
France. Comparer l’entreprise de Marot avec l’Authorized Version
ou King James Bible sur la question des critères 4 et 5 permet de
saisir les raisons de l’effacement du Premier Livre de l’horizon de
la traductologie.
La comparaison entre le Premier Livre et la King James Bible
peut paraître incongrue : il y a très loin de la traduction partielle
d’un auteur certes majeur du corpus antique à la traduction complète du fondement même de la religion chrétienne. L’entreprise
proposée par le roi Jacques dès 1604 n’occupe pas moins de six
4
Antoine Berman, Jacques Amyot traducteur français, p. 168.
334
« OVIDE VEUT PARLER »
compagnies réunissant la fine fleur de l’humanisme anglais entre
Oxford, Cambridge et Westminster, dans le but avoué de proposer une traduction anglaise susceptible, par sa qualité, d’apaiser
les intenses querelles religieuses du temps. La méthode de travail
adoptée associe l’érudition, la définition de règles de traduction
explicites et l’harmonisation du résultat final au travers d’une
réunion générale (General Meeting) qui dure trois ans (de 1608 à
1610). Le résultat constitue non seulement la version de la Bible
la plus importante du domaine anglais, mais également un texte
qui exerce une influence majeure sur l’évolution de la langue
anglaise :
Already, then, in 1682, there was a certain kindling of the aesthetic
enthusiasm for the KJB which would become the keynote of many
modern literary-minded people who have no truck with Bible content
– stylistic eminence to the KJB (and its accompanying Prayer Book),
which the self-styled Anglican constitutionalist the Revd Dr Jonathan
Swift offered as linguistic example in his 1712 Proposal for Correcting, Improving and Ascertaining the English Tongue. […]
« I am persuaded that the Translators of the Bible were Masters of
an English style much fitter for that Work » of keeping the English
Language simple (plain and pure), than any other of « our present
Writings » 5.
Le sérieux du travail de Marot, la qualité de sa version, le
succès éditorial de son ouvrage, l’intérêt du poète lui-même pour
la législation de la langue française pouvaient raisonnablement
faire espérer une influence du Premier Livre sur le développement
du français. Face à l’influence durable et reconnue de la King
James Bible, la « decoration grande » que Marot propose dans la
dédicace tout comme l’illustration de la langue française à travers
la traduction qu’appelle Sébillet apparaissent comme des aspirations finalement modestes.
Il apparaît d’emblée qu’en dehors de toute dimension formelle, un élément du contexte de l’entreprise de Marot diffère
très sensiblement de celui de la King James Bible. Le principe de
l’autorisation royale garantit à cette dernière non seulement une
5
Peter McCullough and Valentine Cunningham, « Afterlives of the King
James Bible 1611-1769 », Manifold Greatness – The Making of the King James
Bible, éd. Helen Moore et Julian Reid, Oxford, Bodleian Library, 2011, p. 152.
CONCLUSION
335
diffusion plus large, mais surtout plus durable : en dehors de
toute considération sur la valeur stylistique du texte, sa reconnaissance en tant que version autorisée interdit de lui substituer
un autre texte pendant plusieurs siècles. La valeur de la traduction en tant que modèle de langue anglaise se trouve ainsi figé,
rendant plus évidente sa valeur normative. La vérification du
critère 4 se révèle par conséquent nettement plus évidente en ce
qui concerne la King James Bible.
En suivant le raisonnement de Berman tel qu’il s’exprime à
travers le critère 5, on peut avancer aussi que c’est en choisissant
de recourir à un français fortement enraciné dans les habitudes
de ses contemporains, parfaitement à l’opposé, par exemple, de
l’idiome exotique de l’écolier limousin, que Marot donne incontestablement à son texte une durée de péremption bien plus limitée que celle de l’anglais de la King James Bible. L’observation
stricte de la deuxième règle de Dolet, qui recommande d’exploiter avant tout les ressources propres de la langue cible, conduit
à un texte trop ancré dans son temps pour exercer une influence
durable. Il est tout à fait remarquable de constater que pour la
King James Bible, les choix stylistiques, qui visent un texte compréhensible du plus grand nombre, recherchent une proximité linguistique aussi grande que possible avec l’original :
It is striking that the KJB translators, like the Good News team,
wanted the Bible to be understood by the « very vulgar » or the
common people ; for Smith and his colleagues, however, this meant
not mediating between the Hebrew original and the English reader,
through paraphrase or « dynamic equivalence », but presenting the
reader with an English text that was as formally and literally identical to the Hebrew as possible 6.
Il est évidemment difficile d’imaginer une version du Premier
Livre dans le style latinisant de Guillaume Michel de Tour
connaissant une fortune supérieure à celle de la version de Marot.
Il est vrai cependant que la méthode peut être appliquée avec
plus de finesse : l’étude de la traduction en particulier rend
6
Hanibal Hamlin, Judith Maltby et Helen Moore, « The 1611 King James Bible
and its Cultural Politics », Manifold Greatness – The Making of the King James
Bible, p. 127.
336
« OVIDE VEUT PARLER »
compte sous le terme de « foreignization » 7 du potentiel de
l’approche consistant à ne pas suivre totalement la deuxième
règle de Dolet. Le « lien intense » avec l’original, requis par le
critère 5 de Berman, semble souffrir d’une version trop parfaitement intégrée à la langue cible.
Le statut éditorial et le choix d’une version qui penche délibérément vers la langue cible expliquent, dans le modèle de
Berman, la disparition du Premier Livre de l’histoire de la traduction. Au-delà des préoccupations propres à la traductologie, le
parti pris d’un Ovide qui « parle » amène à considérer plus en
profondeur la relative discrétion littéraire du Premier Livre. Sur
cette question, c’est une dimension fondamentale de l’approche
critique qu’il faut interroger, à savoir la façon dont la réception
d’abord, la critique littéraire ensuite, identifient la valeur d’un
corpus. Ce n’est alors plus la destinée de la King James Bible, mais
la renommée de celles qu’il est convenu d’appeler, dans la tradition française, les « belles infidèles », qui doit servir de prototype
pour comprendre le fonctionnement du processus qui conduit à
la reconnaissance de la valeur littéraire d’une traduction.
Avant Roger Zuber, c’est Georges Mounin qui utilise l’expression « belles infidèles », dans un ouvrage 8 dans lequel il s’efforce
de construire l’horizon de la traduction au-delà de la sentence
rendue contre elle par Joachim Du Bellay, qui pose l’impossibilité
de « belles fidèles » en raison de l’unicité de l’elocutio poétique.
Si elle est formulée dans le contexte spécifique de la réflexion
littéraire, l’aporie dressée par la Défense participe d’une difficulté
fondamentale à rendre compte non pas simplement de la qualité,
mais plus généralement de la possibilité de la traduction. Nombreux sont les problèmes linguistiques qui conduisent à interroger la possibilité même de la traduction. George Mounin refuse
d’abandonner cette dernière à la perplexité des théoriciens :
On a dressé jusqu’ici l’inventaire, aussi objectivement et aussi
complètement que possible, de toutes les observations de la linguistique contemporaine qui semblent asseoir définitivement l’opinion
que la traduction n’est théoriquement pas possible. Il reste à considérer pourquoi et comment, et surtout dans quelle mesure et dans
7
8
Jeremy Munday, Introducing translation studies, p. 146.
Mounin, Georges, Les Belles Infidèles.
CONCLUSION
337
quelles limites, l’opération pratique des traducteurs est, elle, relativement possible 9.
Avant l’inventaire des problèmes théoriques de la traduction,
la formule « belles infidèles » vise à détacher la description de la
traduction de la notion de fidélité à l’origine de la plus grande
partie des impasses théoriques. Au plan de l’intuition critique,
elle s’oppose au préjugé qui tend à identifier la bonne traduction
à la traduction fidèle. La formule de Mounin libère totalement la
réflexion littéraire, vu qu’elle pose que les traductions peuvent
être « belles, même si infidèles ».
Ce n’est toutefois pas le sens qu’il faut donner à l’expression
dans l’ouvrage de Roger Zuber : d’une part, elle désigne avant
tout un genre dans la production française des années 1625-1650,
qui trouve sa dénomination dans une expression de Gilles
Ménage 10 ; d’autre part, la thèse que défend Roger Zuber
consiste à souligner que « la pratique des belles infidèles marque
un moment essentiel dans la prise de conscience par les français
des pouvoirs de leur prose » 11. En suivant la logique de l’analyse
conduite par Roger Zuber, on s’aperçoit que ce sont avant tout
les passages dans lesquels les traducteurs s’éloignent délibérément du texte source qui retiennent l’attention du critique et
fournissent les exemples qui nourrissent la réflexion littéraire. La
formule qui s’applique devient dès lors « belles, parce qu’infidèles ». Le commentaire s’attache à des éléments saillants dans la
traduction qui répondent à des éléments saillants repérés depuis
longtemps dans la prose du XVIIe siècle.
Or, il se trouve que la première version française des Métamorphoses est marquée par l’extrême liberté dont dispose son auteur
en matière de norme linguistique. Il en résulte une relative
absence des points de repères qui orientent habituellement le
commentaire critique : l’entrée du texte dans le corpus jugé d’intérêt littéraire nécessite une grille d’analyse distincte de celles
9
10
11
Georges Mounin, Les Problèmes théoriques de la traduction, p. 191.
Jane Elisabeth Wilhelm, « Ecrire entre les langues : traduction et genre chez
Nancy Huston », Palimpsestes [En ligne], 22 | 2009, mis en ligne le 01 octobre
2011, consulté le 01 avril 2013. URL : http://palimpsestes.revues.org/207,
p. 1.
Roger Zuber, Les « belles infidèles » et la formation du goût classique, Paris, Albin
Michel, 1995, p. 415.
338
« OVIDE VEUT PARLER »
appliquées habituellement. La manière retenue par Marot pour
ses traductions relève d’une formule pour laquelle la réflexion
littéraire se trouve moins bien outillée : « belles, parce qu’aussi
peu infidèles que possible. » Le commentaire continue certes à
repérer des marques dont il peut postuler l’existence a priori :
pour Marot, une part importante des interrogations a pu se baser
sur la question de la maîtrise du latin, partant des préjugés dérivant de la formule Marotus latine nescivit, préjugés relayés très
tôt par Barthélemy Aneau, mais repris au XXe siècle encore par
Ghislaine Amielle, pour établir progressivement le caractère
érudit qui caractérise la traduction du Premier Livre (Moisan, Malenfant, Maréchaux). Tant que la traductologie demeure incapable
de définir le processus cognitif à l’origine de la traduction, le
commentaire critique se trouve confronté à la difficulté qui
consiste à mesurer un écart par rapport à un étalon indéfinissable. L’observation ne peut cependant pas se contenter des
saillances repérées par la traductologie qui se focalise de préférence sur les obstacles à la parfaite transparence de la traduction.
L’étude systématique de la technique du traducteur conduit à
établir un standard, qui, s’il n’est pas LE standard recherché par
la définition du processus cognitif à l’origine de la traduction,
représente tout de même un point de repère fondamental, permettant de caractériser la manière propre de Marot. L’objet à discuter n’est pas postulé uniquement sur la base des saillances que
le commentaire critique sait habituellement reconnaître, mais sur
la base du contraste entre des processus dont les fréquences relatives permettent non seulement d’explorer toutes les nuances de
la version retenue, mais surtout de commencer à expliquer les
formes réalisées et sélectionnées. Les termes de la négociation
marotique pertinents pour l’explication du Premier Livre peuvent
être identifiés avec certitude.
La dimension littéraire qui peut être observée prend dès lors
une orientation nouvelle. Ce ne sont plus simplement les formes
habituellement saillantes ou les jugements métatextuels qui sont
au cœur de l’analyse, mais le travail fondamental sur la langue,
parfois même indépendamment de son impact sur d’autres réalisations contemporaines ou postérieures. Marot forge une version
qui doit répondre simultanément à de multiples impératifs, sans
pouvoir s’appuyer sur une littérature riche de succès égalant la
réputation des grands textes antiques.
CONCLUSION
339
Mesuré systématiquement, le Premier Livre révèle une
construction souple dans laquelle un faisceau d’indices convergents dessine une logique dans la négociation du traducteur.
Celle-ci se manifeste avant tout dans l’omniprésente conscience
formelle qui identifie et arbitre en permanence les enjeux de la
version à donner. Ce qui semble décisif pour l’intégration de la
traduction dans le champ littéraire, c’est, plus opérationnellement, la possibilité de détacher l’exercice de la vision qui, en
dernière analyse, continue de le réduire à un mécanisme à la
fois inexplicable et absolu. Il est temps d’appréhender l’exercice
comme un espace constitué avant tout par les choix du traducteur dans un cadre dont le fonctionnement cognitif peut recevoir
un début de description systématique. L’échec annoncé de la traduction en tant que restitution de l’original devient une proposition textuelle susceptible d’être évaluée en tant que telle, sur la
base de critères ne visant pas en priorité la question de
l’équivalence.
ANNEXE
MS. DOUCE 117
La présente édition a été réalisée avec l’aide et sous la supervision de Mme Simone de Reyff, Professeur de l’Université de
Fribourg, dont les avis et suggestions ont été déterminants tant
pour la révision du texte que pour les commentaires.
DESCRIPTION DU MANUSCRIT
Le volume contient la dédicace à François Ier, ainsi que la traduction du Livre I des Métamorphoses par Clément Marot : il est
conservé dans la collection Douce de la Bodleian Library.
Deuxième de couverture
Une notice imprimée donne la description du volume :
Le Premier Livre des Transformations d’Ovide, MS. on vellum, with
12 beautifully illuminated Miniatures the size of the page, dedicated
to Francis I. by Clement Marot, being the presentation copy to Francis, and in the original binding, morocco, 4to.
Sur la deuxième de couverture, on trouve également :
– un timbre portant la mention : S.C. 21691
– une mention manuscrite à l’encre « Douce ms. 117 », probablement ajoutée au moment de l’acquisition
– un ex-libris « Francis Douce » avec blason, éventuellement original (avis de la bibliothécaire en charge des collections avant 1800, Eva Oldeska)
– une mention à la main à la mine de plomb « Map catalogued / f6 » : l’intégration de ce ms. au répertoire des
342
« OVIDE VEUT PARLER »
cartes géographiques s’explique par la miniature de la
page 6v° représentant la carte des vents
Le timbre S.C. 21691 renvoie à :
F. MADAN
Summary Catalogue of Western MSS in the Bodleian Library
19th century collections to 1850 part II
NOS 18454 – 24330
L’article consacré au ms. Douce 117 indique :
21691
In French, on parchment : written in the first half of the 16th cent.
In France : 9 ¼ X 6 1/8 in., iii + 48 leaves ; illuminated ; binding,
gold ornament on brown leather, contemporary French work, rather
worn.
At end : – « Fin du premiere livre des Transformations Dovide », a
translation into French verse of the first book des Metamorphoses :
by Clément Marot (d. 1544), whose dedicatory epistle to Francis I
is prefixed. This is no doubt the presentation copy to the king, and
contains twelve large miniatures illustrating the poem.
Now MS. Douce 117.
Format
Reliure
Hauteur : 232 mm.
Largeur : 152 mm.
Pages
Hauteur : 222 mm.
Largeur : 150 mm.
Le volume compte 104 pages. Les trois premières feuilles, ainsi
que les trois dernières feuilles semblent d’une matière différente
MS. DOUCE 117
343
(papier – vérification faite à la lampe à UV par Eva Oldezka) du
parchemin (velin) qui constitue l’essentiel du volume. Les pages
illustrées sont protégées par une feuille de papier fin, probablement ajoutées au moment de la reliure (Eva Oldezka). La différence de matériel entre le parchemin et le papier ne conduit pas
forcément à remettre en cause le caractère original de la couverture (Eva Oldezka).
La numérotation suit la logique i, ii, iii pour les trois premiers
feuillets, puis 1 à 48 pour les feuillets suivants. Il faut remarquer
toutefois qu’un feuillet n’est pas numéroté entre 47 et 48 ; il
appartient à la série des feuilles en papier.
Cette numérotation, apparemment à la mine de plomb et non
à l’encre, a été ajoutée par un conservateur (hypothèse confirmée
par Eva Oldezka). La numérotation n’apparaît en principe pas
sur les pages contenant des illustrations, à l’exception du
feuillet 10r°.
On note encore une inscription à la mine de plomb sur le v°
de la première page de garde, en haut à gauche : 25 January
(leçon conjecturale). A la même hauteur, sur la droite : 10297. En
comparant le tracé des chiffres, on s’avise que la main qui a
rédigé cette inscription n’est manifestement pas celle qui a paginé
le texte.
92 pages sur parchemin (velin) constituent le manuscrit à proprement parler. Il est difficile de dire, sans endommager le
volume, s’il s’agit de 13 cahiers in quarto. Les feuillets 1 à 45 sont
tous occupés par du texte ou des illustrations. Les feuillets 45v°,
46r° et 46r° sont blancs, mais déjà réglés. Ce réglage couvre une
surface de 105 sur 168 mm. Chaque page porte 24 lignes distantes
de 7 mm. Ce nombre demeure constant pour les vers et pour
la prose.
Langue et écriture
La qualité d’ensemble de la réalisation désigne un copiste soigneux et compétent. On relève très peu de fautes. L’ensemble de
la composition est très élaboré.
L’écriture se caractérise par des /a/ à simple ove, ainsi que
par des /b/, des /h/ et des /l/ dépourvus de boucle. Il s’agit
d’une gothique litera hybrida selon la classification de LieftinckGumbert-Derolez.
344
« OVIDE VEUT PARLER »
La ponctuation est relativement rare : les points sont loin
d’être systématiques ; on relève un seul point d’interrogation et
l’absence totale de virgule ; les parenthèses marquant une incise
apparaissent de façon régulière. On remarque cependant une
structuration importante du texte au moyen d’éléments alternatifs à la ponctuation :
– barres obliques rythmant le texte ; voire doubles barres
dans la dédicace en prose
– pieds de mouche
– lettrines
Ces éléments sont reproduits systématiquement par l’édition.
Au point de vue du soin apporté à l’écriture, on peut relever :
– alternance du bleu et du rouge pour les lettrines et les
pieds de mouche
– coloration des sous-titres avec également dominantes de
bleu et de rouge
– présence d’une hiérarchie dans l’ornementation, les
lettrines associées à une illustration étant les plus ornées
Plusieurs vers ajoutés en marge ou au bas de la page suggèrent un travail étroitement contrôlé. En revanche, il n’y a pas
de ratures.
ILLUSTRATIONS
Le manuscrit est orné de 12 illustrations. L’édition se contente
des les énumérer, car elles sont disponibles en ligne sur la base
de donnée LUNA de la Bodleian Library (critères de recherche :
Luna, Bodleian, ms. Douce 117).
Richard Cooper 1 a donné un commentaire des illustrations.
1. Chaos transformé en quatre elementz. (mention sur la page
qui précède)
3v° < inscription « chaos », pas de vers associé>
1
Richard Cooper, « Marot et Ovide : un nouveau manuscrit à peinture du
premier livre des Métamorphoses traduit par Marot », Actes Cahors, 306-321.
MS. DOUCE 117
345
2. Le Ciel et la terre divisez par cinq Zones. (mention sur la
page qui précède)
6r° < roue des vents, trois vers associés>
3. Les Regions : des quatre Ventz. (mention sur la page qui
précède)
7v° <terre avec allégories des quatre vents, trois vers associés>
4. L’origine de l’Homme & comment Prometheus le feit de
terre. (mention sur la page qui précède)
9r° <Prometheus en homme fait de terre, trois vers associés>
5. Description des quatre eages. (mention sur la page illustrée)
10r° <Description des quatre eages = titre de la vignette – quadrant
avec les quatre âges, aucun vers, mais titre de la vignette>
6. Le sang des geans transformé en hommes cruelz. Et Licaon
en loup. (mention sur la page qui précède)
13 v° <Lycaon transformé en loup, trois vers associés>
7. Description de la venue et de la retraicte du deluge et
comment les pierres furent transformées en corps humains. (mention sur la page qui précède)
18 r° <Deucalion et Pirrha, trois vers associés>
8. La terre en diverses figures d’animaulx Et le serpent Phiton
occis. (mention sur la page qui précède)
26 r° <Apollon tuant Phyton, trois vers associés>
9. L’amour de Phebus envers la belle Daphné laquelle devint
laurier. Avecques description des sagettes de Cupido. (mention
sur la page qui précède)
28 v° <Daphne en train de se transformer en laurier, trois vers
associés>
10. Comment Jupiter transmua la Nymphe Yo en une vache
blanche laquelle Juno bailla en garde a Argus qui avoit cent
yeulx. (mention sur la page qui précède)
34r° <Jupiter et Io, trois vers associés>
346
« OVIDE VEUT PARLER »
11. De Mercure : envoyé sur terre pour endormir et tuer Argus
et comment Juno unist les yeulx d’iceluy Argus en la queue d’ung
paon Avec la fable de la Nymphe siringue. (mention sur la page
qui précède)
39r° <Mercure, Junon, Argus, trois vers associés>
12. Comment Yo vache reprint sa premiere forme de nymphe et
fut deesse. Et comment Epaphus filz de Jupiter et d’elle injuria
Phaeton filz du soleil et de la Nymphe Clymene. (mention sur la
page qui précède)
42r° <Yo vache, femme et nymphe/Phaeton et Epaphus, quatre vers
associés>
PRINCIPES D’ÉDITION
La transcription du texte obéit aux principes suivants :
– Maintien de la ponctuation d’origine, y compris / et //
– Cette ponctuation n’est toutefois pas systématique. Le
copiste a tendance à l’omettre en fin de vers, à la césure,
ou devant une majuscule. Pour faciliter la lecture du
texte, une ponctuation est proposée entre [ ], qui tient
compte à la fois des usages du copiste et des solutions
adoptées dans l’édition originale. Nous suppléons au
point manquant devant une majuscule ouvrant une nouvelle phrase. Nous maintenons les points utilisés par le
copiste, sauf lorsque la ponctuation trahit manifestement
le sens du texte.
– Maintien des majuscules, même lorsqu’elles ne
répondent pas aux pratiques actuelles
– Ajout de majuscules à tous les noms propres
– Distinction, conformément à l’usage, de i/j et u/v
– Accentuation uniformisée des monosyllabes à, là, près
etc. ainsi que régularisation de l’accent aigu en position
finale, -é, -ée
– Résolution de l’éperluette
– Régularisation de l’usage de l’apostrophe ; l’on pour lon,
d’Argus pour Dargus, etc.
– Les adjonctions ou modifications de l’éditeur figurent
toujours entre [ ]
MS. DOUCE 117
347
Lorsque l’établissement du texte a nécessité la consultation
d’une version publiée, référence a été faite au texte du Premier Livre
présenté dans les Oeuvres Complètes éditées par Gérard Defaux.
Celui-ci reproduit l’édition Dolet de 1543 qu’il considère comme
« la version définitive de cette traduction ». (Marot, TII, p. 1189).
L’analyse raisonnée de la tradition éditoriale des œuvres de
Clément Marot proposée par Defaux est en tout point convaincante. Le recours à son édition critique se présentait par conséquent comme une solution pratique et pertinente. A l’usage, nous
avons cependant constaté que certaines hypothèse ne pouvaient
être que partiellement vérifiées sur la base de l’édition Defaux. La
situation est acceptable dans la mesure où il s’agit ici avant tout de
mettre au net le texte du ms. Douce 117 en vue d’illustrer la thèse
défendue au sujet du travail de Marot traducteur.
Nous proposons en note une clarification lexicale lorsque la
leçon du ms. diffère du texte édité par Defaux, ou lorsque ce
dernier n’inclut pas dans son glossaire un terme qui appelle
explication.
RENDU DES CARACTÉRISTIQUES FORMELLES
DU MANUSCRIT
La pagination figurant sur l’original est indiquée dans la
marge de gauche.
Dans les parties en prose, les fins de page sont marquées par
||.
Les pieds de mouche sont marqués en couleur avec précision de
la couleur par ¶ (= pied de mouche sur fond bleu) ou ¶ (= pied de
mouche sur fond rouge).
Les lettrines sont indiquées par une capitale en gras. Leur
reproduction accessible par la base de données Luna permet de
se faire une idée relativement précise des motifs utilisés. La présente liste indique l’alternance des couleurs.
3r°
Mes : lettrine de couleur bleu-gris sur fond doré.
348
« OVIDE VEUT PARLER »
4r°
Avant : lettrine de couleur bleu-gris sur fond doré avec motif
de fleurs et de feuilles.
4v°
Ainsi : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif
abstrait rappelant des branches ou des flammes.
5r°
En tel façon : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec
motif abstrait rappelant des branches ou des flammes.
6r°
Et tout ainsi : lettrine de couleur bleu-gris sur fond doré.
7v°
L’ung : lettrine de couleur gris-blanc sur fond dorée avec motif
de fleurs.
9r°
La trop : lettrine de couleur gris-blanc sur fond doré avec motif
de fleurs.
10v°
L’eage : lettrine de couleur gris-blanc sur fond doré avec motif
de fleurs.
11r°
Le beau : lettrine de couleur dorée sur fond bleu.
11v°
Puis : lettrine de couleur dorée sur fond rouge.
12r°
Apres : lettrine de couleur dorée sur fond bleu.
Le : lettrine de couleur dorée sur fond rouge.
13v°
Aussi : lettrine de couleur blanc-gris sur fond doré avec motif
abstrait rappelant des branches ou des flammes.
MS. DOUCE 117
349
14v°
Or : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif de
fleurs.
15r°
Je : lettre de couleur dorée sur fond rouge avec motif abstrait
rappelant des branches ou des flammes.
16r°
Ainsy : lettrine de couleur dorée sur fond bleu.
16v°
Les : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif abstrait rappelant des branches ou des flammes.
17v°
Alors : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif
abstrait rappelant des branches ou des flammes.
18r°
Or : lettrine de couleur gris-blanc sur fond doré avec motif
de fleurs.
21r°
Or : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif de
fleurs.
23r°
O Chere espouse : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec
motif de fleurs.
25r°
Lors : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif de
fleurs.
27r°
Doncques : lettrine de couleur gris-bleu sur fond doré avec
motif de leurs.
350
« OVIDE VEUT PARLER »
28v°
Amour : lettrine de couleur gris-blanc sur fond doré avec motif
de fleur.
31r°
Je te pry : lettrine de couleur dorée sur fond bleu.
34r°
En Thessalie : lettrine de couleur gris-blanc sur fond doré avec
motif de fleurs.
39r°
Lors : lettrine de couleur gris-blanc sur fond doré avec motif
de fleurs.
40r°
Lors : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif de
fleurs.
41r°
Ainsi : lettrine de couleur dorée sur fond bleu avec motif abstrait rappelant des branches ou des flammes.
42r°
Soudain : lettrine de couleur bleu-gris très clair sur fond dorée
avec motif de fleurs.
43r°
Or : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif de
fleurs.
MS. DOUCE 117
351
1r° ¶ Au tresillustre et treschrestien roy de France
Françoys premier de ce nom. Clement Marot
De Cahors en Quercy treshumble salut en deue obeissance
Long temps avant que vostre liberalité royalle m’eust faict
successeur de l’estat de mon pere. Le mien plus affecté et non
petit desir / Avoit tousjours esté Sire / de pouvoir faire œuvre
en mon petit labeur poetique qui tant vous agreast / que par
là je peusse devenir au fort 2 le nombre de voz domestiques.
Et pour ce faire mis en avant (comme pour mon roy) le tout
ce que je peu / Et tant importunay les muses /qu’elles en fin
offrirent à ma plume rudellecte inventions nouvelles et
antiques luy donnant le choys / Ou d’escrire œuvre recente et
non encores veue / ou de tourner en nostre langue aucune
chose de la latine. ¶ Lors je consideray que à prince de hault
esperit haultes choses affierent / Et tant je me fiay en mes
propres inventions / que pour vous trop basses ne les sentisse.
Parquoy les laissant reposer jectay l’œil sur les livres latins
1v° dont la gravité des sentences / et le plaisir de la lecture || (si
peu que je y comprens) m’ont espris mes esperitz / mené ma
main / et admusé 3 ma muse. Que dis je amusée. Mais incitée
à renouveller pour vous en faire offre / l’une des plus latines
antiquités / et des plus // antiques latinitez. Entre lesquelles
celle de la metamorphose d’Ovide / me sembla la plus belle.
Tant pour la grand doulceur du stille / que pour le grant
nombre des propos tumbans de l’ung en l’autre / par liaisons
si artificielles / qu’il semble que tout ne soit que ung. et toutesfois ayseement [(] et peult estre point) ne se trouvera livre qui
tant de diverses choses racompte. ¶ Parquoy sire : Si la nature
en la diversité se resjouyt / là ne se devra elle melencollier. ¶
Pour ces raisons et aultres mainctes deliberay mectre main à
la besongne / et de tout mon pouvoir suyvre et contrefaire la
veine du noble poete Ovyde / pour mieulx faire entendre à
ceulx et celles qui n’ont la langue latine / de quelle sorte il
escripvoit / et quelle difference peult estre entre les anciens et
2r° || les modernes.¶ Oultreplus / tel list en mainct passaige les
noms de Apollo / et Daphné : Pyramus et Thysbée et d’aultres
2
3
Au fort au sens de « en fin de compte ».
Admuser au sens de « occuper, capter l’intérêt de quelqu’un » (DMF).
352
« OVIDE VEUT PARLER »
/ Qui a l’histoire aussi loing de l’esperit que les noms //près
de la bouche. Ce que pas ainsi ne iroit Si en facille vulgaire
estoit mise ceste belle metamorphose. Laquelle pour autres
causes trop longues à descrire ne seroit petite decoration à
nostre langue. Veu mesment que l’[arrogance] a Grecque / a
bien daigné la traduire en la sienne. Or est ainsi que metamorphose est une diction grecque / vulgairement signiffiant
transformation / Et a volu Ovyde ainsi intituler son livre
contenant quinze volumes / pource que en Iceluy il transforme les ungs en arbres / les autres en pierres / les autres en
bestes / et les autres en autres formes. Et pour ceste mesme
cause je me suis pensé trop entreprendre de vouloir // transmuer celuy qui les aultres transmue. Et après j’ay contrepensé
que double louenge peult venir de transmuer ung transmueur. Comme d’assaillir ung assailleur : Ou de chocquer
ung bon choqueur 4. Mais pour rendre l’œuvre presentable à
tante majesté fauldroit premierement || que vostre plusque
humaine puissance transmuast la muse de Marot en celle de
2v° Maro. Toutesfoys telle qu’elle est (soubz la confiance du vostre
accoustumé bon recueil) Elle par maniere d’essay traduyt et
parachevé de ces quinze livres le premier. Dont au chasteau
d’Amboyse vous en pleust ouyr quelque commencement. Si
l’eschantillon vous plaist par temps aurez la piece entiere :
---------------¶ Car la plume du petit ouvrier / ne -------------------------desire voller / sinon là où le
vent de vostre royalle
bouche le voul
dra poulser
Et
à tant
me tairay.
Ovide veut parler : ~
a
lanugace
4
Choqueur n’est pas attesté dans le DMF au sens dérivé de choquer, « heurter,
assaillir ». Peut-être une création lexicale appelée par le jeu des dérivations
en série.
353
MS. DOUCE 117
3ro
¶ Intention d’Ovide. Et sa
priere envers les
Dieux.
1 Mes volentez sont toutes animées ----De dire au long les formes transformées
3 En nouveaulx corps O dieu qui tout scavez
Puis qu’en ce point changées les avez --------Favorisez à mon commencement -------------6 Et deduysez continuellement ----------------Les miens propoz depuys le premier naistre
Du monde rond jusque au temps de mon estre.
¶ Chaos
transformé
En quatre elementz : ~
3vo Illustr. 1
4vo
9 Avant la mer Avant la terre et l’œuvre
Du ciel treshault qui toutes choses cœuvre
Il y avoit / en tout le monde enorme
12 Tant seulement / de nature une forme
Dicte Chaos. une chose amassée
Une grandeur rudde et mal entassée.
15 Brief ce n’estoit fors ung poix immobile
Sans aucun art de soy tout inutile
Et la semence aux choses mal conjoinctes
18 Avec discord en ce poix mesmes joinctes.
¶ Aucun soleil encores au bas monde
N’eslargissoit lumiere pure et munde.
21 La lune aussi par nuictz tristes et mornes
En son croissant les deux nouvelles cornes
Ne reparoit 5 [. L]a terre compassée a
24 En l’air espars ne pendoit ballancée
a
Nous supprimons le point.
5
Réparer au sens de « orner, fréquenter » (DMF).
354
« OVIDE VEUT PARLER »
27
30
4ro
33
36
39
42
45
48
51
54
5ro
Soubz son droit poix la grand fille des eaux
Amphitrite / ses liquides ruisseaulx
Et bras de mer / n’estendoit pas encores a
Aux longues fins de la terre ainsi que ores.
Et quelque part où fut terre fichée
Là estoit l’air / et la mer atachée.
Ainsi estoit toute la terre instable
L’air sans clarté / la mer non navigable
Chose qui fust de forme ne usoit 6
Et oultre plus l’ung aux autres nuysoit /
Car froit au chault menoit guerre et rumeur
Tout en ung corps / et le sec à l’humeur.
Avec le dur le mol se combactoit
Et le pesant au legier debatoit
¶ Mais dieu avec / la meilleure nature
D’icelle noyse appaisa la poincture :
Car terre adonc du ciel desempara 7.
De terre aussi / les eaux il separa
Et mist à part (pour mieulx faire leur paix)
Le ciel tout pur / d’avecques l’air espais.
¶ Tout lequel cas / quant il l’eut desmeslé
Et rué hors / du lourd monceau meslé
Il va lyer / en concorde paisible.
Chascun apart / en sa place duysible.
¶ Du ciel couché la force du feu clere
Sans aucun poix / eut splendeur qui esclere
Et print son siege / au degré treshaultain.
Quant est de l’air / il a son lieu certain
Prochain du feu / et de legier moment 8
Ressemble a luy / trop plus que autre element.
¶ En espesseur la terre les surpasse
a
Nous supprimons le point.
6
Vers hypométrique ; l’hypothèse « ne usoit » trisyllabique n’est pas tenable,
en raison notamment de la rime équivoque.
Desemparer au sens de « retirer, séparer » (DMF).
Moment au sens de « mouvement » (DMF).
7
8
355
MS. DOUCE 117
Et si tira/ la matiere plus crasse
57 Des elemens / dont la force pesante
De soy la presse / et touchant l’eaue fluante
Aux derniers lieux / fist son profond amas
60 Et tint liez les terrestres climatz.
En tel façon (quiconques ayt esté
Celuy des dieux) la sienne majesté
63 Couppa la masse / ainsi bien disposée
Et la reduyt en membres composée.
5vo
¶ Premierement / la terre il fit au moule
66 Forme et façon d’une tresgrande boule
A celle fin qu’en son poix juste et droit
Egalle fut / par un chascun endroit.
69 Puis çà et là les grandz mers espandit
Et par grandz ventz enflées les rendit
Leur commandant / d’environner par unde
72 Le grand entour / de toute terre ronde.
Parmy laquelle adjousta grandz estangs
Gros lacz profondz et fontaines sortans
75 Et puis seignit / de rivaiges oblicques
Les fleuves grandz coulans et aquatiques
Qui d’une part / en la terre se boyvent.
78 Autres plusieurs en la mer se reçoyvent.
Et là receuz les grandz havres et ports
Battent en lieu / de rivages et bortz.
81 ¶ Les champs voulut estendre et descouvrir
Boys et forestz / de feuilles se couvrir.
Ung chascun val en pendant se baisser
84 Faisant en hault les montaignes dressée.
¶ Le
Ciel et
La terre
Divisez par cinq
Zones.
356
« OVIDE VEUT PARLER »
6ro Illustr. 2
87
o
6v
90
93
96
Et tout ainsi / que les cercles et zones
Sont divisans les hautains cieulx et trones
Deux à la dextre / et sur senestre deux
Dont le cinquiesme est le plus ardant d’eulx
Par tel façon / et [en] a semblable nombre
Dieu distingua / terre pesante et sombre.
Et qu’ainsi soit en ses proportions
Tient et occupe autant de regions
Dont la moyenne habiter on ne peult
Par l’ardant chault qui en celle se meult.
Deux de ceulx là / cœuvre la haulte neige
Et entre l’une et l’autre il mist le siege
De deux encor que luy qui tout ouvroit
Admodera par chault meslé de froid.
99 ¶ Sur tout cela / le gros air apparoist
Lequel d’autant comme plus legier est b
Que terre et l’eau d’autant il est pesant
102 Plus que le feu / tant subtil et luysant
105
108
7ro
111
114
a
b
c
¶ En celuy air / les nues et nuées
Voulut ensemble estre constituées.
Tonnerre aussi / et tempestes soudaines
Troublans acoup / les pensées humaines
Semblablement / les impetueux ventz
Faisans la fouldre et le froid esmouvans.
¶ A iceulx ventz / dieu n’a permis d’aller c
Confusement par la voye de l’air
Et non obstant que chascun d’eulx exerce
Ses soufflemens / en region diverse.
Encore à peine on peult (quant s’esvertuent
Y resister) qu’ilz ne rompent et ruent
Ajouté pour respecter le nombre de syllabes.
Nous supprimons le point.
Nous supprimons le point.
357
MS. DOUCE 117
Le monde jus /par bouffemens austeres 9.
Tant est discorde entre ces quatre freres.
¶ Les Regions :
des quatre
Ventz.
7vo Illustr. 3
8ro
117 L’ung c’est Eurus qui en orient perce
Les regnes haulx de Nabate et de Perse
Fait son cours là où les montz s’eslievent 10
120 Subgectz aux rais / qui au matin se lievent
¶ Les tiedes eaux / où l’occident aspire
Et le doulx Vespre aprochent de Zephire.
123 ¶ Puis Boreas /envahit la partie
Septemptrione / en singlant vers Scitye.
¶ Et au contraire Auster vent estourdy
126 Mouille la terre / estant sur le mydi :
D’autant qu’il est / à la pluye subgect
Par les vapeurs / qui la font leur obgect.
129 ¶ Parsus cela l’ouvrier celestiel.
Mis et crea l’air liquide du ciel
Sans pesanteur et qui ne tient en rien
132 De l’espesseur et brouas terrien.
¶ A peine ainsy eut en certains limites 11
Lors discerné / choses grans et petites
135 Que par le ciel pour les nuictz rendre nectes
Vont commancer à luyre les planectes
Qui de tout temps / [pressées] a et tachées 12.
a
pressés
9
Austere au sens de « impitoyable ».
Vers hypométrique.
Le DMF ne mentionne pas la possibilité de limite au masculin, mais celle-ci
est attestée. Voir Marguerite de Navarre, Les Prisons II, v. 135.
Au sens spécial de « pourvu de telle ou telle qualité ». Le terme forme avec
« pressées » une gémination qui correspond au pressa de l’original (v. 70).
10
11
12
358
« OVIDE VEUT PARLER »
138 Soubz celle masse avoyent esté cachées.
¶ Aussi affin que Region aucune
Vuyde ne fust d’animaulx : à chascune
141 Propres et duytz les estoilles et signes a
Et des haultz dieux les formes tresinsignes
Tindrent le ciel[,] [aux] b habitables eaux
144 Furent en part poissons fraiz nectz et beaulx
La terre après / print les bestes sauvaiges
Et l’air agile / oiseaulx de tous plumaiges.
8vo
¶ L’origine
de l’homme
Et comment
Prometheus
le fit de
terre.
9ro Illustr. 4
9vo
a
b
13
147 La trop plus saincte et noble creature
Capable plus de hault sens par nature
Et qui sur tout / pouvoit avoir puissance
150 Restoit encor / Or print l’homme naissance[.]
Ou 13 l’ouvrier grant / de tous biens origine
Le composa /de semence divine/
153 Ou terre adonc / nouvelle et separée
Tout freschement de la part etherée
Avoit retins semence supernelle
156 Du ciel qui print sa facture avec elle
Laquelle après Prometheus mesla
En eau de fleuve / et puis formée l’a
Nous supprimons le point.
les
L’édition Defaux donne où. La consultation d’Ovide montre qu’il s’agit bien
de la conjonction de coordination qui fait paire avec celle du vers 153, et
rend ainsi le latin « siue … siue ». Le texte source indique clairement qu’il
existe deux hypothèses sur l’origine de l’homme : soit provenance directe
du créateur, soit réutilisation par Prométhée de la terre imbibée de ciel.
359
MS. DOUCE 117
159 Au propre ymaige / et semblable effigie
Des cieulx /par qui / toute chose est regie
¶ Et neautmoins 14 que tout autre animal
162 Aye tousjours son regard principal
Contre la terre / A l’homme dieu donna
La face haulte / et si luy ordonna
165 De veoir le ciel / Et ses yeux clervoyans
Eslever droit aux estoilles raians.
¶ La terre ainsi / qui sans ymage née
168 Fut / et sans art de rien en bien tournée
Print des humains les figures [venues] a
Auparavant à elle non [congnues.] b
¶ Les quatre eages.
10ro Illustr. 5
10vo
¶ Description des quatre eages.
¶ L’eage doré.
171 L’eage doré sur tous resplendissant.
Fut le premier au monde florissant
Auquel chacun sans correcteur ne loy
174 De son bon gré /gardoit justice et foy.
¶ En peine et peur aucun ne souloit vivre
Loix menassans ne se gravoyent en cuyvre
177 Fiché en murs. Povres gens sans reffuge
Ne redoubtoyent la face de leur juge
Mais en seurté se sçavoyent accointer
180 Sans qu’il faillut juge à les appointer.
¶ L’arbre du pin charpenté et fendu
N’estoit encor / des haultz montz descendu
183 Sur les grandz eaux en forme de gallée
a
b
14
venuees
cognuues
Neautmoins : la forme est attestée (DMF).
360
« OVIDE VEUT PARLER »
186
189
11ro
192
195
198
201
204
207
210
213
216
a
b
leur
plains grains
Pour en pays estrange faire allée.
¶ Hommes mortelz ne congnoissoient à l’heure
Fors seulement le lieu de leur demeure.
¶ Fossez profondz ou murs de grans effors
N’envyronnoyent encor villes et fors.
Trompes / cleron d’arain droit ou tortu
L’armet / la lance et le glaive poinctu
N’estoit pour lors. Sans usaige et alarmes
De chevalliers / de pietons ou gensdarmes.
Les gens alors seurement en tous cas
Accomplissoient / [leurs] a plaisirs delicatz.
¶ La terre aussi / non froissée et ferue
Par homme aucun / du soc de la charrue
Sans qu’on y eust / ou semé ou planté
Donnoit de soy tous biens à grand planté.
Et les vivans / contens de la pasture
Produicte alors / sans labeur ou culture
Cuilloyent les fruictz de sauvaiges pommiers
Fraises aux montz / les cormes aux cormiers
Pareillement / les meures qui sont joinctes
Contre buissons / plains d’espines et poinctes
Avec le gland / qui leur tomboit à gré
Du large chesne / à Jupiter sacré.
Le beau printemps / chacun jour florissoit
Et Zephyrus / le bon vent nourrissoit
Par doulx souspirs / et alaines bien duyctes
Les belles fleurs sans semence produictes
¶ Terre portoit / les fruictz / tost et à point
Sans cultiver : le champ sans estre point
Renouvellé / par tout devenoit blanc
Quant les espiz / plains [de] b grain bel et franc
Estoyent sechez. Fleuves de laict coulloyent
Fleuves divins / jà sur la terre alloyent.
361
MS. DOUCE 117
11vo
¶ Et le doulx miel / dont lors chascun goustoit
Du chesne verd / tout jaulne degoutoit.
¶ L’eage d’argent.
219 Puis quant Saturne hors du beau regne mis
Fut au profond / de tenebres transmys
Soubz Jupiter / estoit l’humaine gent.
222 Et en ce temps / survint l’eage d’argent
Qui est plus bas / que l’or tressouverain.
Aussi plus hault / et riche que l’arain.
225 ¶ Ce Jupiter / abaissa la vertu
Du beau printemps / qui tousjours avoit eu
Son cours entier. Et soubz luy fut l’année
228 En quatre pars reduicte et ordonnée
En froid yver / et en esté qui tonne
En cort primptemps et inegal autumne.
231 ¶ Adoncques l’air / brulé de seiche ardeur.
Eut en esté blanche et clere splendeur
Puis en maintz lieux pendit la glace froide
234 Que vent d’iver / rendit estraincte et roide.
Lors on entra / pour chaulx et froidz yvernes
Dessoubz maisons / Maisons furent cavernes.
237 Arbres espais / fresche ramée à force 15
Et verdzs oziers / joincts avecques escorce.
¶ Puis de Ceres / les graines secourables
240 Des longs seillons / de terres labourables
Couvertes sont / et furent beufs puissans
Pressez du joug au labeur mugissans.
12ro
¶ L’eage d’arain.
243 Après cestuy troiziesme succeda
L’eage d’arain / qui les deux exceda
15
A force au sens de « avec effort ».
362
« OVIDE VEUT PARLER »
D’engin mauvais / et plus audacieux
246 Aux armes fut. Non pourtant vicieux.
¶ L’eage de fer
249
252
255
12vo
258
261
264
267
270
273
16
Le dernier est de fer dur et roillé.
Où tout soubdain chascun vice broillé
Se vint fourrer comme en l’eage total 16
Accomparé / au plus meschant metal.
Honneste honte / et verité certaine
Avecques soy /prindrent fuycte loingtaine
Au lieu desquelz / entrerent flaterie
Deception / trahison / menterie
Et folle amour / desir et violence
D’acquerir biens / et mondaine opulence,
¶ Telle avarice adonc le plus souvent
Pour acquerir mectoit voilles au vent.
Lors malcongnu du nautonnier et maistre
Et maincte nef dont le boys souloit estre
Planté debout / sur montaignes cornues
Nageoit / saultoit / par vagues incongnues.
La terre aussi devant à tous commune
Comme clarté de soleil / air et lune
Fut divisée en bornes et partiz
Par mesureurs / fins caults et deceptifs.
¶ Ne seulement terrestres creatures
Chercherent bledz et autres nourritures
Mais jusqu’au fons des entrailles allerent
De terre basse où prindrent et fouillerent
Tous les tresors /et opulences vaines
Qu’elle cachoit en ses profondes veines
Comme metal / et pierres de valeurs
Incitement à tous maulx et malheurs.
¶ Jà hors de terre estoit le fer nuysant
Total au sens de « définitif, qui ne laisse place à rien d’autre ».
363
MS. DOUCE 117
276 Avecque l’or trop plus que fer cuysant
Lors guerre sort qui par ces deux metaulx
Combat et faict alarmes cruentaulx 17
279 Et casse et rompt de main sanguinolente
Armes clicquants / soubz force violente.
¶ On vit desjà / de ce qu’on emble et oste
282 Chez l’hostellier n’est point asseuré l’hoste
Ne le beau pere avecques le sien gendre.
Petite amour / entre freres s’engendre
285 Le mari s’offre / à la mort de sa femme
Femme au mary fait semblable diffame
D’ung faulx voloir / les marastres terribles
288 Meslent venins / noirs / mortelz et horribles
Le filz afin / qu’en biens mondains prospere
Souhaicte mort (avant ses jours) son pere.
291 ¶ Dame pitié / gist vaincue et [oultrée] a
Justice aussi / la noble vierge Astrée
Seule et derniere / après tous dieux sublimes
294 Terre laissa / taincte de sang et crymes.
13ro
¶ Le sang des geans transformé
en hommes cruelz. Et Licaon en loup.
13vo Illustr. 6
14ro
Aussi affin que le ciel etheré
Ne fust (de soy) plus que terre asseuré
297 Les fiers geans comme on dit affecterent
Regner aux cieulx / et contremont dresserent
(Pour y monter) mainte montaigne myse
300 L’une sur l’autre / Adoncques par transmise
Fouldre du ciel / l’omnipotent facteur
Du mont Olympe abatit la chaleur
303 Et desbrisa / en ruyne fort grosse
a
outré
17
Cruentaulx, forme plurielle d’un présupposé *cruental, est un dérivé (propre
à Marot ?) du verbe cruenter, « ensanglanter » (DMF).
364
« OVIDE VEUT PARLER »
306
309
312
315
318
321
14vo
324
Pelion mont / assiz sur celuy de Osse.
¶ Quant pour son poix ces corps faulx et cruelz
Furent gisans / desrompuz et tuez /
La terre fut / moillée en façon telle
De moult de sang des geans enfans d’elle
Que comme on dit trempée s’enyvra
Puis en ce sang / tout chault / ame livra
Et pour garder enseigne de la race
En fit [des] a corps / portans humaine face.
Mais ceste gent / fut aspre 18 et despiteuse 19
Blasmant les dieux / de meurdres convoyteuse
Si qu’à la voir / bien l’eusses devinée
Du cruel sang de geans / estre née.
¶ Cecy voyant des haulx cieulx Jupiter
Crye / gemyt / se prent à despiter.
Et en comptant (comme un cryme allegué)
Le nouveau fait / non encore divulgué
Des bancquet plains / [de horeur] b
[espoventable
Que Licaon preparoit à sa table.
Dedans son cueur ire va concepvoir
Et son concile appelle haultement
Dont les mandez vindrent subitement.
¶ Description du cercle laicté.
Or une voye / est haulte et manifeste
327 Là sus au lieu / serain / clair / et celeste
Semblante à laict dont lactée on l’appelle
Facile à veoir / pour sa blancheur tant belle.
330 Par ceste voye / est le chemin des dieux
a
b
18
19
de
dehreur
Aspre au sens de « cruel ».
Despiteuse au sens de « révoltée, blasphématoire ».
365
MS. DOUCE 117
333
336
339
15ro
342
345
348
351
Pour droit aller aux trosnes radieux
Du grant tonant et sa maison royalle
¶ Des nobles dieux / superieurs / la salle
Celebrée 20 est / et hantée en son estre 21
A huys ouvers / sur dextre et à senestre
¶ Les moindres dieux / en divers lieux
[s’assirent
Et les puissans leur riches sieges misrent
Vers le hault bout / brief telle est ceste place
Que (qui aurait de tout dire l’audace)
Je ne craindroys l’avoir dicte en tous lieux
Maison divine ou palais des grandz cieulx
¶ Donc quant les dieux / furent en ordre assiz
Aux sieges bas / faictz de marbres massifz /
Jupiter mys / aux plus hault de gloire
Et appuié sur son sceptre d’yvoire
Comme indigné / par trois foys / voire quatre
De son grand chief / fit branler et debattre
L’horrible poil du quel par son pouvoir
Fit terre / mer / et estoilles mouvoir
Puis tout despit / deslie ouvre et desbouche
En tel façon son indignée bouche.
¶ Oraison de Jupiter.
Je ne fuz onc / pour le regne mondain
Plus triste en cueur / de l’oraige soudain
354 Auquel geans / ayans serpentins piedz
Furent tous prestz (quant fumes espiez)
De tendre et mectre au ciel recreatif
337 Chascun cent bras / pour le rendre captif
¶ Car neautmoins que l’ennemy fut tant
20
21
Usage proche du latin celebrare au sens de « réunir en grand nombre ».
Le sens « demeure, habitation » apparaît plus nettement dans la leçon du
manuscrit que dans l’édition Defaux : Fut frequentée alors par tout son estre
(v. 337).
366
« OVIDE VEUT PARLER »
360
15vo
363
366
369
372
375
378
381
384
16ro
387
a
b
22
23
24
25
Cruel et fier / celle guerre pourtant
Ne dependoit / que d’une seulle suycte
Et d’une ligue / en fin par mort destruicte.
Mais maintenant / en toute voye et trace
Par où la mer / le monde entier embrasse[,] a
Perdre et tuer me fault pour son injure
Le mortel genre. Et qu’ainsi soit j’enjure 22
Des bas enfers les fleuves plains d’encombres
Coulans soubz terre aux stigieuses ombres.
Quoy que devant 23 / fault toute chose vraye
Bien esprouver / mais l’incurable playe
Convient coupper / par espée acerée
Que la [part] b saine/à mal ne soit tirée.
¶ J’ay en forests /et sur fleuves antiques
Mes demy dieux / et mes faunes rustiques
Satyres gays / nymphes nobles compaignes
Et mes silvans / residens aux montaignes
Lesquelz d’autant / que ne les sentons dignes
D’avoir encor les gloires celestines
Souffrons aumoins / que seurement et bien
Ils puissent vivre en terre / que du myen
Leur ay donnée. O dieux intercesseurs
Les pensés vous embas 24 estre assez seurs
Quant Licaon / noté de felomnie
A conspiré fallace et villennie
Encontre moy. qui par puissance eterne
La fouldre et vous / en hault tiens et gouverne
¶ Lors tous ensemble en fremissant murmurent
Et Jupiter d’ardent desir qu’il 25 eurent
Virgule à la place du point.
par
Enjure est attesté au sens de « prêter serment » (DMF), ce qui remet en question la leçon de Defaux : « j’en jure ».
Devant au sens de « au préalable » (DMF).
Embas au sens de « en-bas ».
La graphie « il » pour le pronom pluriel est encore en usage.
367
MS. DOUCE 117
Vont suppliant qu’en torment vueille mectre
Cil qui oza telles choses commectre.
¶ Comparaison A la faveur
¶ D’Auguste Cesar
390 Ainsy du temps / que la cruelle main
D’aucuns voulut / ternir le nom romain
Tendant au sang Cesarien espandre
393 Pour la terreur d’ung tant subtil esclandre
Fut l’humain genre aprement estonné
Et tout le monde à horreur adonné.
396 ¶ Et la pitié des tiens / O preux Auguste
Ne te fut pas / moins aggréable et juste
Que ceste cy / à Juppiter insigne
399 Lequel après avoir par voix et signe
Reffraint leur cry chascun d’eulx tint sillence.
Le bruyt cesse par la grave excellence
402 Du hault regent de rechef tout despit
D’un tel propos la sillence 26 rompit.
¶ Suyte de l’oraison de Juppiter
16vo
405
408
411
414
26
27
Les peines a (ne vous chaille) souffertes
Mais quoy qu’il ayt receu telles dessertes
Si vous diray je en resolution
Quel est le cryme et la pugnition.
¶ D’icelluy temps / l’infamie à merveilles
Avoit attainct maintesfois noz oreilles.
Lequel rapport desirant estre faulx
Subit 27 descens des cieulx luysans et haultz
Et circuy le terrestre dommaine
Estant vray dieu dessoubz figure humaine /
¶ Fort long seroit vous dire (ô dieux sublimes)
Sillence au féminin est encore couramment en usage.
Usage adverbial de l’adjectif qualificatif (voir ci-dessous v. 780).
368
« OVIDE VEUT PARLER »
417
420
423
426
17ro
429
432
435
438
441
444
28
29
Combien par tout il fut trouvé de crymes.
Brief l’infamie et le bruit plain d’opprobre
Bien moindre fut que la verité propre [.]
¶ De Menalus traversay les passaiges
Craintz pour les trouz des grandz bestes
[sauvaiges
28
Et les haultz puys du froit mont Liceus
Et Cillene / Quant cela passé euz
Du Roy d’Arcade es lieux me vien renger
Et en sa court dangereuse aloger 29
Entre tout droit au point que la serée
Tire la nuict d’un peu de jour parée
¶ Par signes lors / monstray que j’estoys dieu
Venu en terre / Et le peuple du lieu
A m’adorer jà commence et me invocque.
Mais Licaon d’entrée raille et mocque
Leurs doulx priers en disant : Par ung grief
Et cler peril j’esprouveray de brief
Si mortel est ce dieu cy qu’on redoubte
Et ne sera ce qui en est en doubte.
¶ Puis quant serois la nuyt en pesant somme
A me tuer / s’apreste ce faulx homme
De mort subite / icelle experience
De verité luy plaist de impacience.
¶ Et non content est de si griesve coulpe
Mais d’ung poignal la gorge il ouvre et couppe
A ung / qui là fut en otage mys
De par les gens / de Molosse transmys.
Et l’une part des membres de ce corps
Va faire cuyre ainsi à demi mors.
En eau boillant / rendant l’autre partie
Puys au sens de « hauteur, colline, montagne ». On peut se demander s’il
ne s’agit pas d’une erreur du copiste, appelée par le contexte. La variante
de l’édition Defaux est conforme au texte d’Ovide.
Le manuscrit confirme l’idée que Jupiter vient se loger dans la cour du roi
d’Arcadie, sans créer d’épithète syntagmatique. La leçon que propose
Defaux est, à ce titre, trompeuse : Et en sa Court dangereuse à loger (v. 425).
369
MS. DOUCE 117
Sur ardant feu de gros charbons / rostie.
Lesquelz sur table ensemble mect et pose.
447 Dont par grand feu qui vengea telle chose
Sur le seigneur / tumbay la maculée
Orde maison digne d’estre bruslée.
¶ Licaon transformé en loup.
17vo
450 Alors s’en fuyt troublé de peur terrible
Et aussi tout 30 qu’il sentit l’air paisible
Des champs et boys / de huller luy fut force /
453 Car pourneant à parler il s’efforce.
Son museau prent / la fureur du premier
Et du desir de meurdres coustumier
456 Sur les aigneaulx. Or en use et jouyst
Et de voir sang / encores s’esjouyt.
Ses vestemens / poil de beste devindrent
459 Et ses deux bras façon de cuysses prindrent.
Il fut faict loup / Et la marque conforme
Retient encor / de sa premiere forme.
462 Tel poil viellard / et tel frayeur de vis
Encores a [.] semblables yeulx tous vifz a
Ardent en luy/ Brief tel figure porte
465 De cruaulté comme en premiere sorte.
¶ Desription de la venue et de la
retraicte du deluge et comment
les pierres furent transformées
en corps humains.
18ro Illustr. 7
Or est tumbé ung manoir en ruyne
Mais ung manoir / tout seul n’a esté digne
468 D’estre pery. Par tout où paroit terre
a
Nous supprimons le point.
30
Graphie pour tost correspondant à la prononciation « ouiste ».
370
« OVIDE VEUT PARLER »
18vo
471
474
477
480
483
486
489
492
19ro
495
498
501
31
32
Regne Erynnis aymant peché et guerre.
Et en tous lieux pensez qu’on a juré
De soustenir vice desmesuré.
Souffrent donc tous leur peine meritée.
Subitement / c’est sentence arrestée.
¶ Aucuns des dieux par voix les dictz approuvent
De Jupiter / Et stimulent et mouvent
Plus son courroux / Les autres si bien temptent
Les repugnans 31 que à cela se consentent
¶ Ce neautmoins du genre humain la perte
A tous ensemble est douleur tresapperte
Et demander vont à Jupiter / quelle
Forme adviendra sur la terre après que elle
Sera privée aussi d’hommes mortelz
Qui portera / l’encens sur les aultelz
Et si la terre / aux bestes veult bailler
Pour la destruire / et du tout depoiller.
¶ Alors deffend Jupiter et commande
A ung chascun / qui tel chose demande
De n’avoir peur / disant qu’à ce besoing
De toute chose / il a la cure et soing 32
Et leur promect lignée non semblable
Au premier peuple en naissance admirable
¶ Soudain devoit pour mectre humains en pouldre
Par toute terre espandre ardente fouldre.
Mais il craignyt que du ciel la facture
Par tant de feux ne conceut d’aventure
Maincte grand flamme / Et que soudainement
Bruslé ne fut / tout le hault firmament.
Puis leur souvint / qu’il est predestiné
Que advenir doit ung temps determiné
Que mer que terre / et la maison prisée
Du ciel luysant / ardra toute embrasée
Repugnans au sens de « ceux qui sont d’un avis contraire ».
La leçon du ms. Douce 117 résout l’hypométrie de la leçon Defaux : De toute
chose il a cure, & soing (v. 492).
371
MS. DOUCE 117
504
507
510
513
516
19v
o
519
522
525
528
531
534
33
Et qu’on doit voir / du monde l’edifice
(Plain de grand œuvre) en labeur et supplice.
¶ Lors on cacha les dars de feu chargez
Des propres mains des Ciclopes forgez
Et d’une peine au feu toute contraire
Luy playt user. Car soubz eaux veult deffaire
Le mortel genre / Et de tout le ciel cloz
Jecter çà bas les pluies à grandz flotz.
¶ Incontinent aux cavernes de Eole
Il enferma ung vent qui soudain volle
Dict Aquilon / pareillement estuye
Tous ventz chassans la nue induicte à pluye
Et mist Nothus hors des fosses cruelles.
¶ Lors / Nothus volle avec ses moyctes aelles
Son vis terrible est couvert ceste foys
D’oscurité noyre comme la pois.
Sa barbe poise / en pluye superflue 33 /
De ses cheveulx tous chenuz / eau deflue
Dessus son front / grandes moyteurs se bouctent
Son sein distille / et ses plumes degouctent.
Puis quant il eut / çà et là / nuées mainctes
Pendant en l’air dedans sa main estrainctes
Gros bruyt se faict / Esclers en terre habondent
Et du hault ciel / pluyes espesses fondent.
¶ Iris aussi / de Juno messaigiere
Vestant coleur / diverse et estrangiere
Tire et conçoit / grandes eaux et menues
En apportant norrissement aux nues.
¶ Dont renversez / sont les bledz à oultrance
Perdue gist la plourée esperance
Des laboureurs / Et fut pery adoncq
Le labeur vain de tout l’an grand et long.
¶ Ni du grant dieu / contente est la rancune
Du grief pugnir de son ciel / Mais Neptune
Superflue au sens de « abondant, excessif ».
372
« OVIDE VEUT PARLER »
537
540
o
20r
543
546
549
552
555
558
561
564
Son frere cher / prompt secours lui [amayne] a
De undes aydans / à noyer race humaine.
Tous ses ruisseaux lors il convoque et mande
Lesquelz entrez dedans la maison grande
De leur seigneur. Neptune dire vient.
¶ Pour le present user ne nous convient
De long propos / Vous 34 force descouvrez
Ainsi le fault / Et vous maisons ouvrez
Puis en ostant voz obstacles et bondes
Laschez la bride à vos cours 35 furibondes.
¶ Ce commandé / s’en revont à grandz courses
Tous les ruysseaux / l’entrée de leurs sourses.
Laschent à plein / Et d’ung cours effrené
Tout alentour / des grandz mers ont tourné.
Neptune adonc / de son sceptre massif
Frappa la terre / Et du coup excessif
Elle trembla. Si que du mouvement
Des eaux ouvrent la voye appertement.
¶ Si vont courant tous fleuves espanduz
Parmy les champs / ouvers et estanduz
En ravissant avec le fruict les arbres
Bestes / humains / maison / palais de marbres
Sans espargner / temples et lieux sacrez
Avec leurs dieux / benitz et consacrez
¶ Et ainsi est / que aucun logis debout
Soit demouré / en resistant du tout
A si grant mal / Toutefois l’eau plus haulte
Couvre le fest / et par dessus luy saulte
Consequamment / grosses tours submergées
a
amayine
34
La graphie vous de l’adjectif possessif correspond à une prononciation
« ouiste ». Cette tendance observée plus haut n’est pourtant pas systématique chez le copise, ainsi que l’attestent entre autres les v. 544 et 545.
Jeu de mots : les fleuves présentés comme des dieux tiennent une cour.
L’édition Defaux donne une leçon qui annulle complètement l’image : Laschez la bride à voz eaues furibondes (v. 550).
35
373
MS. DOUCE 117
20vo
567
570
573
576
579
582
585
588
o
21r
591
594
Cachées sont soubz les eaux desgorgées.
¶ Aussi la mer / et terre aucunement
Entre elles deux / n’avoit separement
Tout estoit mer / Et la mer qui tout baigne
N’a aucuns portz / l’un (pour se saulver) gaigne
Quelque haut mont / l’autre tout destourbé
Se siet dedans ung [navire] a courbé.
Et droit au lieu il tire l’adviron
Où labouroit naguieres environ.
¶ L’ung sur les bledz conduit nefz et bateaux
Ou sur le hault des villes et chasteaulx
Qui sont noyez / L’autre sur les grandz ormes
Prent à la main / poisson de mainctes formes
L’ancre de mer se fiche au pré tout verd
Fortune ainsy l’a volu et souffert
¶ Bateaux courbés / couvrent les beaux vignobles
Gisans soubz l’eau / et plusieurs terres nobles.
Et au lieu propre où les greles chevrectes
Souloyent brouter naguieres les herbectes
Là maintenant balleines monstrueuses
Posent leurs corps / les nymphes vertueuses
Regnans en mer qu’on nomme Nereydes
Grand merveille ont de veoir soubz eaux liquides
Foretz / citez / et maisons de hault poix.
Les beaux daulphins / tiennent les champs et boys
Et en courant / parmy les haulx rameaux
Heurtent mainct tronc / agité des grands eaux
¶ Le loup cruel / noue 36 entre les brebiz
La mer soustient / lyons jaulnes ou biz
Tigres legiers / porte l’eau undoyante
De rien ne sert la fource 37 fouldroyante
Au dur sanglier ny les jambes agilles
a
naviere
36
Noue : forme « ouiste » de noer qui a le sens de "nager" (DMF).
Le copiste utilise une graphie « ouiste » pour "force".
37
374
« OVIDE VEUT PARLER »
597 Au cerf ravy par les undes mobiles.
Et quant l’oyseau vaguant a bien cerché
Terres et arbre /où puisse être branché
600 En la fin tumbe en la mer amassée
Tant a du vol chascune esle lassée.
¶ Jà de la mer la maitrise/ à grandz brasses
603 Avoit couvert et mottes et terrasses
Vagues aussy / qui de nouveau flottoyent
Les summitez des montaignes battoyent.
606 Brief la pluspart des gens en grand soucy
Finit par eau / Ceulx dont l’eau prent mercy
Le long jeusner / les dompte et fait delivres
609 D’ame et d’esprit / par souffrecte 38 de vivres.
21vo
612
615
618
621
624
627
Or separés sont les champs tresantiques
Aonyens / d’avecques les Attiques
De par Phocis terre grasse / J’entens
Quant terre estoit / Mais en iceluy temps
La pluspart d’elle / estoit mer haulte et drue
En ung grant champ d’eau soudainement crue.
¶ En ce pays / Parnassus le hault mont
Tendant au ciel / se dresse contremont
A double croppe Et les nues surpasse
De sa haulteur. Sur le quel mont et place
Pource que mer / couvroit le demeurant
Deucalion / y aborda courant
En une nef / qui grande n’estoit mye
Avec Pirrha son espouse et amye.
¶ Le dieux / du mont / et nymphes coricides
Ilz adoroyent / invoquans [leurs] a aydes 39
Themys disant / tout ce qui advenoit
Laquelle adonc des oracles tenoit
a
à leurs
38
Souffrecte au sens de « pénurie » (DMF).
Diérèse réclamée par la rime et la mesure du vers.
39
375
MS. DOUCE 117
630
633
22ro
636
639
642
645
648
651
654
657
660
Les temples sainctz / oncques ne fut vivant
Meilleur que cil / ne de plus ensuivant
Vraye equité / Et n’eut onc au monde ame
Plus honorant les dieux que icelle dame.
¶ Quant Jupiter ce bas monde vit estre
Ung large estang de paludz qu’il fit croistre
Et ne rester de tant de milles d’hommes
Maintenant qu’ung sur la terre où nous sommes
Et ne rester de tant de milles femmes
Maintenant que une / ensemble sans diffames
A nul nuysans / Seuletz ensemble mys
Là adorans la deesse Themys.
Cela voyant / les nues qui tant pleurent 40
Il separa / Et quant les pluyes furent
Par Aquilon / chassées en mainctz lieux
La terre au ciel / et aux terres les cieulx
Il va monstrer / aussi l’ire et tempeste.
De la grant mer / çà bas plus ne se arreste
Puis le recteur de toutes mers conjoinctes
En mectant jus son grant sceptre à trois poinctes
Les eaux appaise / et appaise en l’instant.
Le vert Triton sur la mer creuse [estant] a
Le doz couvert de pourpre faict exprès
Sans artifice / Et luy commande après
Souffler dedans sa resonant Bucine
Et rappeller / après avoir faict signe
Fleuves et flotz. Lors Triton prent et charge
Sa trompe creuse et torse en forme large
Qui par le bout d’embas croist tout ainsi
Que ung turbillon / Laquelle trompe aussi
Après qu’elle a prins air tout au milieu
De la grand mer. Chascun rivaige et lieu
Gisans soubz l’ung et soubz l’autre soleil
a
est (vers ajouté en marge ; le dernier mot est tronqué par la rognure de la page).
40
Pleurent : v. « pleuvoir » au passé simple.
376
« OVIDE VEUT PARLER »
22vo
663
666
669
672
675
678
681
684
23ro
Elle remplit de son bruyt nompareil
¶ Laquelle aussi quant elle fut joignante
Contre la bouche à Triton degoutante
Pour la moycteur de sa barbe chargée
Et qu’en enflant la retraicte enchargée
Elle eut sonné / par tout fut entendue
Des eaux de terre / et de mer estendue
Et celles eaux / qui l’oyrent corner
Contraignyt lors toutes de retourner
¶ Desjà la mer / prent bours 41 et rives neufves
Chascun canal / se remplit de ses fleuves.
Fleuves sont veuz baisser et departir
Et hors de l’eau / les montaignes sortir
Terre s’eslieve / et les lieux qui paroissent
Croissent ainsi / comme les eaux decroissent.
¶ Longs jours après / boys et foretz moillées
Monstrent leur syme / et haulteur despoillées
De feuille et fruict / Et tiennent des eaux franches
Le lymon gras / demouré sur les branches
¶ Jà peult on veoir tout pays despourveu
Lequel / quant fut par Deucalion veu
Large et ouvert / Et que terrestre voye
Myse en desert / faisoit sillence coye
Ayant aux yeulx les larmes souspira
Parlant ainsi à sa femme Pirrha.
¶ Oraison de Deucalion à Pirrha
O Chere espouse O ma sœur honnorée
687 O femme seule au monde demourée
Que commun sang puis parenté germaine
Et mariage eut joincte à moy prochaine
690 Et à present / joincte à moy de rechief
Par ce peril / et dangereux meschief
41
Le copise utilise une graphie « ouiste » pour bors.
MS. DOUCE 117
377
De toute terre / et pays evident
693 De l’orient / et de tout l’occident
Nous deux seulletz sommes tourbe de monde.
Le residu / possede mer profonde
696 Et n’est encore la fiance et durée
De nostre vie assez bien asseurée
Ores aussi / les nues qui cy hantent
699 Nostre pensée asprement espouventent
¶ Si par fortune eschappée sans moy
Fusses des eaux / Quel couraige or en toy
702 Fut demouré : O chetive et dolente
Comme eusses tu tel crainte violente
Seulle souffert ? qui te fust consoleur
705 Pour supporter maintenant ta douleur.
Certes (croy moy) si mer t’avoit ravie
Je te suivroys / Et mer auroit ma vie.
708 Que pleust aux dieux / que un si grant pouvoir
[j’eusse
Que par les ars de mon pere je peusse
Renouveller / toute gent consommée
711 Et mectre esprit dedans terre formée.
Presentement chere espouse et affine 42.
Le mortel genre en nous deux reste et fine 43 a.
714 Et des humains /demourons l’exemplaire
Aux dieux puissans / ainsi a volu plaire.
¶ Tel motz disoit / et vont pleurant ensemble
717 Puis d’ung bon vueil / supplier bon leur semble
Themis [celeste] b et soubz divins miracles
[Cercher] c secours en ses sacrez oracles.
720 Lors [n’ont] d tardé / aux cephisides undes
23vo
a
b
c
d
42
43
Vers ajouté au bas de la page. Sa place est indiquée dans le texte par un appel
spécifique.
celestes
Cerches
non
Affine : amie, object d’une alliance affective (DMF).
Finer : emploi absolu, s’achever (DMF).
378
« OVIDE VEUT PARLER »
723
726
729
24ro
732
735
738
741
744
747
750
753
a
b
retirés
tirés
Ensemble vont / non liquides et mundes
Encor du tout / mais bien jà [retirées] a
Au droit canal duquel s’estoient [tirées] b
¶ Après avoir espandu de bon cueur
Dessus leurs chefs et robes la liqueur
Sacrifiée. Ilz tournent leur addresse
Droit vers le temple à la sacre deesse
Dont les sommetz et voultes se gastoient
De laide mousse. Et les autelz estoyent
Sans sacrifice. Aussi les feux estainctz.
¶ Quant les degrés du temple eurent actainctz
Ung chascun d’eulx s’encline contre terre
Et tout craintif / baise la froide pierre
Disant ainsy. Si aux claires maisons
Les dieux vaincuz / par justes oraisons
Sont amoliz. Et si courroux et ire
Fleschit en eulx. Helas vuellés nous dire
Dame Themis / par quel art ou sçavoir
Repairable est / la perte que peulx veoir
De nostre genre. Et aux choses noyées
Tes aydes soyent par doulceur octroyées.
¶ A donc s’esmeut ce divin simulacre
Et leur respond / partez du temple sacre
Couvrez vos chiefz / en devotions sainctes
Et desliez vos robbes qui sont saintes
Après gectez souvent delà le dos
De vostre antique et grant mere les os.
¶ Lors esbahiz demeurent longuement
Et puis Pirrha parlant premierement
Rompt la sillence / et d’obeir refuse
Aux motz et ditz dont celle deesse use
En la priant d’une craintifve face
Devotement qu’en ce pardon luy face.
379
MS. DOUCE 117
24v
o
756
759
762
765
768
771
774
777
25ro
Et d’offencer crainct de sa mere l’ame
Jectant ses os et de luy faire blasme
¶ Tandis entre eulx revolvent et remirent
Les motz obscurs de l’oracle que ouyrent
Soubz couverture ambigue donné
Deucalion de Prometheus né
Rend en après par beaulx dictz confortée
Dame Pirrha fille de Epymethee
En luy disant / ou nos sens nous deçoyvent
Ou les haulx dieux en eulx pitié conçoyvent
Et ne font faire ou vice ou chose amere
A mon advis la terre est la grant mere
Les os sont dictz / selon le mien recors
Les pierres que a terre dedans son corps.
Et commandé nous est de les lancer
Outre le dos. Combien qu’en bon penser
Pirrha fut meue à cause de l’augure
Que [son] a mary bien expose et figure[,] b
Ce nonobstant son espoir est douteux
Et moult encor se deffient tous deux
Du mot celeste. En après vont disant
Mais que nuyra l’espreuve en ce faisant
¶ Ce dit s’en vont du temps où se humilient
Cœuvrent leurs chefs et leurs robes deslient
Et derriere eulx gectent les pierres dures.
Qu’on leur a dit à toutes adventures.
¶ Les pierres transformées
en hommes et femmes : ~.
780 Lors tout subit 44. Mais qui le pourra croire
Si pour tesmoing n’en est l’antique hystoire
a
b
44
sont
Virgule à la place du point.
Voir ci-dessus v. 411.
380
« OVIDE VEUT PARLER »
783
786
789
792
795
25vo
798
801
804
807
810
Les pierres ont commancé à laisser
Leur dureté et rigueur abaisser
A s’amollir et en amollissant
Prendre figure humaine paroissant
¶ Incontinent que croissance leur vint
Et que nature en icelles devint
Plus doulce et tendre / Aucune forme d’homme
On y peult veoir non pas entiere comme
Celle de nous / Mais ainsi que esbauchée
D’ung marbre dur / non assez bien touchée
Et ressembloit du tout à ces images
Mal entaillez et rudes en ouvrages
Ce neautmoins / des pierres la partye
Qui fut terreuse ou molle est amoistye
D’aucune humeur / elle fut transformée
En chair et sang / d’homme ou femme formée.
Ce qui est dur et point ne flechissoit
En ossemens tout se convertissoit
Ce qui estoit veyne de pierre à l’heure
Fut veyne d’homme / Et soubz son nom demeure
Si qu’en brief temps / les pierres amassées
Qui par les mains de l’homme sont lancées
Des hommes ont (par le voloir de dieux)
Prins la figure en corps / en face et de yeulx
Aussi du ject de la femme [esgairée] a
La femme fut reffaiste et repairée
Et [de] là vient que sommes (comme appert)
Ung genre dur / aux gros labeurs expert
Et bien donnons entiere congnoissance
D’où nous sortons et de quelle naissance.
¶ La terre en diverses
figures d’animaulx / Et le
serpent Phiton occis.
a
esagarée
MS. DOUCE 117
26ro Illustr. 8
813
26vo
816
819
822
825
828
831
834
837
27ro
840
843
a
son
381
Terre engendra tous aultres animaulx
De son vueil propre / en formes non egaulx
Et dès que l’eau de deluge laissée
Fut de l’ardeur du soleil oppressée
Fanges bourbiers / et paludz se formerent
Et par le chault / en espesseur s’enflerent
¶ Semblablement / les semences des choses
Concevans fruict nourries et encloses
En terre grace à produyre propice
Comme au giron / de leur mere et nourrice
Vindrent à croistre et demourance y tindrent
Si longuement que aucune forme prindrent
¶ Qu’il soit ainsi quant l’eau du Nil qui court
Par sept canaulx a delaissé tout court
Les champs moillés et chascun sien ruisseau
Rendu dedans son antique vaisseau.
Après aussi que le lymon tout fraiz
Est fort bruslé du soleil et ses raiz
Les paisans plusieurs animaulx trouvent
Faictz et creez des moctes qui se couvent
En corps vivans. En ces mottes assés
Sont d’animaulx naguieres commancez
Pour le brief temps de leur tout nouveau naistre
D’aultres aussi mainteffoys voit on estre
Tous imparfaictz qui a demy [sont] a nez
D’espaule / teste / ou jambe tronçonnez
Et du corps mesme imparfaict / l’une part
Bien souvent vit l’autre est terre sans art.
¶ Certes après que humeur de froit esprise
Et chaleur aspre ont attrempance prise
Produisans sont et conçoyvent et portent
Et de ces deux toutes les choses sortent
Et quoi que feu à l’eau contraire soit
Humide chault toutes choses conçoit
382
« OVIDE VEUT PARLER »
846 Et par ainsi concorde discordante
A geniture est apte et concordante.
¶ La mort de Phiton
dont vindrent les Jeux
nommez phities : ~
849
852
855
27vo
858
861
Doncques après que la terre moillée
Et du nouveau deluge fort souillée
Fut eschauffée en la claire splendeur
Du chault soleil / et par haultaine ardeur
Elle myst hors especes innombrables
Et d’une part / les figures vivables
Refit adonc jadis mortes des eaux
De l’aultre part crea monstres nouveaulx
¶ O fier Phiton / tresgrand / ort / et infect
Terre vouldroit certes ne t’avoir faict
Mais toutesfois elle dont s’en repent
T’engendra lors. O incongneu serpent
Au peuple neuf aussi crainte donnoys
Tant large lieu de montaigne tenois.
¶ Or Apollo tenant pour faire allarmes
L’arc et la fleche / et qui de telles armes
864 Par cy devant ne usoit jamais que contre
Chevres fuyans / ou dains à sa [rencontre] a
Ce gros serpent / rua mort estendu
867 Par les coups noirs du venin espandu
Soubz mille traictz tirez à tel secousse
Dont vuydée 45 fut presque la sienne trousse.
870 ¶ Et puis affin que vieil temps advenir
Ne sceust du faict la memoire ternir
a
Recontre
45
L’exigence du mètre suppose l’apocope du /e/ final. On peut aussi imaginer
une leçon amendée : [vuyde].
383
MS. DOUCE 117
Il establit sacrez jeux et esbatz
873 Solemnisez par triumphans combatz
Phitiez dit du nom du fier Phyton
Serpent vaincu / pour cela les fit on.
876 ¶ En celuy prix quiconques jeune enfant
A lucte / à course ou à chair 46 triumphant
Estoit vainqueur / Par honneur singulier
879 Prenoit chappeau de fueille de meslier
Car le laurier encores ne regnoit
Et en ce temps / Phebus environnoit
882 Sa blonde teste au long poil bien seante
De chascun arbre et fueille verdoyante.
28ro
¶ L’amour de Phebus envers la
belle Daphné laquelle devint
laurier. Avecques de
scription des
sagettes
de
Cupido :
28vo Illustr. 9
885
29ro
888
891
894
46
Amour premiere au cueur de Phebus née
Ce fut Daphné fille au fleuve Penée
Laquelle amour d’aucun cas d’adventure
Ne luy survint. Mais de l’ire et poincture
De Cupido / Phebus tout glorieux
D’avoir vaincu le serpent furieux
Vit Cupido d’une corde nerveuse
Bandant son arc de corne sumptueuse
Si luy a dit Dy moy à quel fin portes /
Enfant lascif / ces riches armes fortes
Ce noble port qui sur ton col se assiet
Mieulx en escharpe en nos espaules siet
Qui en pouvons donner playes certaines
Variante graphique de « char » attestée par le DMF.
384
« OVIDE VEUT PARLER »
897 Aux ennemys / aux bestes inhumaines
Qui puis ung peu par sagectes sans nombre
Ruasmes jus Phiton remply d’encombre
900 Serpent enflé qui tant d’arpans de terre
De son grant ventre occupe foulle et serre.
¶ Tien toy content de irriter en clamours
903 De ton brandon ne sçay quelles amours
Et desormais ne approprie à toy mesmes
Ainsi à tort noz louanges suspremes
906 Lors luy repond de Venus le fils cher.
¶ Fiche ton arc tout ce qu’il peut ficher
O dieu Phebus / le mien te fichera
909 Ainsi ton bruyt du mien est et sera.
Moindre / d’autant que bestes en tout lieu
Plus foibles sont et plus basses que ung dieu
912 Ainsi disoit / et quant en ses vollées
Eut [tranché] a l’air / des esles esbranlées
Il se planta / prompt et legier dessus
915 L’[obscur] b summet du hault mont Parnassus
Et de sa trousse où mect ses dars pervers
En tira deux d’ouvraiges tous divers
918 L’ung chasse amour / et l’autre l’amour crée
Tout doré est celuy qui la procrée
Et a ferrure ague / claire et coincte.
921 Cil qui la chasse est rebouché de poincte
Et a du plomb tout confict en amer
Dessoubz le bout / Cupido dieu d’aymer
924 Ficha ce traict qui est de mercy vuyde
Contre Daphné la nymphe peneide.
Et du doré les moelles il blessa
927 Du dieu Phebus par ses os qu’il perça.
¶ Subitement l’ung ayme / et l’autre non
Ains va fuyant d’amoureuse le non
29vo
a
b
trancher
obsur
MS. DOUCE 117
385
930 Prenant plaisir d’habiter par les fosses
Des boys espais. Et [de vaines] a peaulx grosses
D’animaulx pris / faire robe et vesture.
933 En ensuivant Dyane vierge pure
¶ D’ung seul bandeau / ses cheveux mal en ordre
Serroyt au chief sans les lier ou tordre
936 Mainctz l’ont requise à l’espouser tendants
Mais reffusé / a tous les demandans.
¶ Sans souffrir homme / et du plaisir exempte
939 Tournoye et court les boys sans voye ou sente
Et ne luy chault savoir que c’est de nopces
De mariage amours et tel[s] negoces.
942 Son pere aussi / luy a dit maintesfois
Ma chere fille / ung gendre tu me doys.
Souvent son père / à elle a dit or sus
945 Tu me doys fille enfans de toy yssus
Elle ayant 47 les nuptiales festes
Ne plus ne moins que crymes deshonnestes
948 Entremeslant sa belle face blonde
Avec ung peu de rougeur verecunde b
Et en joignant ses bras doulx et poliz
951 Au col du pere avec regardz joliz
Mon geniteur trescher (ce luy dit elle)
Fais moy ce bien / que je use d’eternelle
954 Virginité / Jupiter l’ymmortel
Fit bien jadis à Dyane ung don tel.
¶ Son pere adonc ung si grand dieu ensuyt
957 Mais (ô Daphné) beaulté que tant reluyt
Te deffend estre ainsi que es desirante
Et à ton veu / ta forme est repugnante.
960 ¶ Phebus qui voyt Daphné lez ung boscaige
30ro
30vo
a
b
47
Leçon conjecturale : t.o. davaines ou davames.
Nous supprimons le point.
Ayant est un graphie pour hayant (du verbe hayr), ce qui justifie l’hémistique
à quatre syllabes.
386
« OVIDE VEUT PARLER »
963
966
969
972
975
978
981
31ro
984
987
Ayme et desire avoir son mariage :
Ce qu’il desire espere quoy que soit
Mais son oracle à la fin le deçoyt
¶ Et tout ainsi que le chaume sec ard
Quant on a mys les espis à l’escart
Comme buissons ardent par nuyt obscure
D’aucuns brandons que ung passant d’aventure
En se esclairant a approchez trop près
D’iceulx buissons / ou les y laisse après
Qui 48 voit le jour / ainsi Phebus en flamme
S’en va reduyt : et d’amour qui l’enflamme
Par tout son cueur / se brusle et se destruict
En en espoir nourrit amour sans fruict.
¶ Pendre regarde / au blanc col de Daphné
Les beaulx cheveux de son chef non orné.
Mais (ce dit il) Dieux que seroit ce encores
De ce poil là si pigné estoit ores.
Ses clars yeulx voit / deux estoilles semblans
Voyt la bouchete et ses chastes semblans 49
Qui d’assés près / ne sont veuz à sa guise
Ses doits [longuets] a/ et ses mains blanches prise
Ses bras massifs / et espaules charnues
Plus qu’à demy descouvertes et nues.
Se autre chose est caché [dessoubz] b l’habit
Meilleur la pense[.] Elle court plus subit
Que vent legier / et ne prent pied la belle
Aux motz de cil qui en ce point l’apelle.
¶ La priere de Phebus
A la Nymphe Daphné.
a
b
48
49
longués
soubz
« Qui » graphie courante pour « qu’il ».
Semblans : subsantif qui signifie « apparence » (DMF).
MS. DOUCE 117
990
993
996
999
31vo
1002
1005
1008
1011
1014
1017
a
b
c
d
te
et
Refain
et
387
Je te pry Nymphe / arreste ung peu [tes] a pas
Comme ennemy après toy ne cours pas
Nymphe demeure. Ainsi la brebiecte
Fuit le fier loup / Et la biche foyblecte
Le fort lyon Ainsi les columbelles
Vont fuyant l’aigle / avec fremissans esles.
Ainsi chacun de ses hayneux prent fuycte
Mais vraye amour / [est] b cause de ma suyte.
¶ O que j’ay peur que tumbes et que espines
Poignent tes piedz / et tes jambes / non dignes
D’avoir blessure. O moy plain de malheur
Si cause estois / de ton mal et doleur
¶ Là où tu fuys / sont trop aspres endroitz
Ne cours si fort[.] Je te prie et me croys
[Refreins] c ta fuyte et va plus lentement
Je te suivray aussi plus doulcement.
¶ Enquiers au moins à qui tu plays amie
D’une montaigne habitant ne suis mie
Ny ung pasteur. Point ne garde ou fais paistre
Tropeaux icy / comme ung rude champaistre
Tu ne sçaiz point / sotte tu ne sçaiz point
Qui est celluy que tu fuiz en ce point
Pource me suiz La puissant ysle / Clare
Delphe / Thenede / et aussi de Patare
Le grant palais me sert et obtempere.
Jupiter est mon geniteur et pere
Tout ce qui est sera et a esté
Aux hommes [est] d par moy manifesté.
¶ Par moy encor / maint beau vers poetique
Acorde au son des cordes de musique
Nostre sagecte est pour vray bien certaine
Mais une aultre est trop plus seure et soudaine
388
« OVIDE VEUT PARLER »
1020 La quelle a fait playe en mon triste cueur
Dont n’avoit onc Amour esté vainqueur.
¶ Medecine est la mienne invention
1023 Et si suis dit par toute nation
Pourtant 50 secours. Et la grande puissance
Des herbes est à nostre obeissance
1026 Du tout subjecte. O moy trop miserable
De ce que amour / n’est par herbes curable
Et que les artz qui ung chascun conservent
1029 A leur seigneur ne proffitent et servent.
¶ Alors Daphné d’un cours craintif se tire
Loing de Phebus qui voloit encore dire
1032 Mainctz autres motz / Et laissa sur ces faictz
[Avecque] a luy ses propos imparfaicts.
Lors en fuyant mout belle se monstroit
1035 Le vent / par coup ses membres descouvroit
Et volleter faisoit en obviant
Le sien habit en l’air contrariant.
1038 Le vent legier aussi chassoit arriere
Ses beaulx cheveulx espandus par derriere
¶ Sa beaulté est par sa fuicte augmentée
1041 Mais le dieu plain de jeunesse temptée
Plus endurer ne peult à ce bessoing
Perdre et jecter son beau parler au loing
1044 Ains comme amour l’amoneste et poursuit
D’ung pas legier / les trasses d’elle suyt.
¶ Et tout ainsi / que quant le chien gallique
1047 Qu’on dit levrier / en ung plain champ rustique
A veu le lievre Et au pied l’ung conclud
Gaigner sa proye / et l’autre son salut.
1050 Le chien legier de près le semble joindre
Et pense bien jà le tenir et poindre
Puis de sa gule ouverte large et gloutte
32ro
32vo
a
Avec
50
Le graphiste utilise une graphie « ouiste » pour portant.
MS. DOUCE 117
389
1053 Rase ses piedz lors le lievre est en doubte
S’il est point prins / et d’icelle morsure
Eschappe et fuit et par fuite non seure
1056 Laisse du chien la grand bouche mordant
¶ Ainsi est il du dieu Phebus ardant
Et de la vierge Il court souple et legier
1059 En esperance. Elle en crainte et dangier
Mais le suyvant va de plus soudain cours
Car solagé est des esles d’amours :
1062 Dont toujours va sans voloir faire arrest
Et près du dos et des tallons paroist
De là fuiant si qu’à la grosse allaine
1065 Ses beaux cheveulx tous espars il alaine.
¶ Quant de Daphné la force fut esprise
Pale devint. Et vaincue et surprise
1068 Par le travail de si soudaine course
En regardant de Peneus la source
Dit. O mon pere ayde mon cueur tout las
1071 Si puissance est en ventz fleuves et lacz
Puis dit. O terre or me pers et efface
En transformant ma figure et ma face
1074 Par qui trop plaiz ou la transgloutiz vive 51
Elle qui est de mon enuy motive.
¶ Ceste priere ainsi finie à peine
1077 Grand pasmoison luy surprent membre et veine
De son cueur fut la peau molle ou toillete 52
Ceincte de tendre escorce verdellete.
33ro
51
52
L’origine de l’image de l’engloutissement n’est pas dans le texte d’Ovide
reproduit par l’édition Lafaye, mais se trouve dans l’édition Regius : (…) ou
la transgloutiz vive / Elle qui est de mon enuy motive pour tellus ait hisce : (…)
vel istam / Quae facit ut laedar. (Regius, p. 41). L’édition Defaux conserve
l’image dans les mêmes termes que le ms. Douce 117.
L’édition Defaux donne : De son cueur fut la subtile toilette (v. 1085). Aucune
des deux versions ne parvient à exprimer clairement l’idée que rend de
façon troublante l’illustration du manuscrit, d’une transformation qui a lieu
sous l’habit de Daphné. Cette « toilette de cœur », traduction de praecordia
(= poitrine, sein), pourrait correspondre à ce qu’on appelle aujourd’hui un
cache-cœur.
390
33vo
« OVIDE VEUT PARLER »
1080 En feuilles lors croissent ses cheveulx beaulx
Et ses deux bras en branches et rameaulx
Le pied qui fut tant prompt avec la plante
1083 En tige morne et racine se plante.
D’ung arbre entier son chief la haulteur a
Et la verdeur / seule luy demoura
1086 ¶ Phebus aussi l’arbre ayma dès adonc
Et quant eut mis sa dextre sur le tronc
Encor sentoit le cueur de la pucelle
1089 Se demener. Soubz l’escorce nouvelle
¶ En embrassant aussi ses rameaulx verts.
Comme eut bien faict ses membres descouvers
1092 Il baise l’arbre. Et tout ce nonobstant
A ses baisers l’arbre va resistant.
¶ Auquel Phebus a dit puisque impossible
1095 Est que tu soys mon espouse sensible
Certainement mon arbre approprié
Seras du tout et à moy dedyé.
1098 ¶ O verd laurier tousjours t’aura ma harpe
Ma claire teste et ma trousse en escharpe
Et si seras des capitaines gloire
1101 Tout resjouiz quant triumphe et victoire
Chanteront hault les claires voix et trompes
Et qu’on verra les grandz et longues pompes
1104 Au Capitolle[.] Aux consacrez posteaulx
Seras debout devant les grandz portaulx
Fealle garde. Et au los de ton regne
1107 Entrelassé seras au tour du chesne.
¶ Et tout ainsi que mon beau chef doré
Est toujours jeune / et de poil decoré
1110 Vueilles aussi porter en chascun eage
Perpetuel honneur de verd feuillage.
Ces motz finiz le laurier se y consent
1113 En ses rameaulx qui sont faictz de recent
Et si sembloit branler en sorte honneste
Sa summité comme on branle la teste.
391
MS. DOUCE 117
¶ Comment Jupiter transmua la Nymphe
Yo en une vache blanche / laquelle Juno bailla
en garde à Argus qui avoit cent yeulx.
34ro Illustr. 10 1116 En Thessalie ung beau pourpris fleuronne
Que une forest haulte et droicte environne
Nommée Tempe 53. Lieux de plaisir requis.
o
34v
1119 Parmy lequel Peneus fleuve exquis
Sortant du pied de Pindus grand montaigne
D’eaux ecumans le pays tourne et baigne.
1122 ¶ D’un roide cours/ [les] a nues embrumées
Va conduisant qui petites fumées
Jectent aussi. Et va si roidement
1125 Contre les rocs que du redondement
Les boys arrouse. Et de son bruit qui sonne
Les lieux plus loing que ses voisins estonne
1128 ¶ Là la maison / là le siege l’on treuve
Et lieu secret de Peneus grand fleuve
Là comme roy residant en ses terres
1131 En sa caverne estant faicte de pierres
Gardoit Justice aux undes là fluantes
Pareillement aux nymphes habitantes
1134 En celles eaux. Premier sont là venuz
Tous les prochains fleuves de luy congnuz
Non bien sachans / si chere luy feront
1137 Ou pour sa fille / ilz le consolleront
Que perdue a. Sperche y vint à propos
Portant peupliers. Enyphe sans repos[.]
1140 Le doulx Amphrise. Et le viel Apidain
Avec Eas. D’autres fleuves soudain
Y sont venuz qui de quelque costé
o
35r
1143 Où soient portez d’impetuosité
a
Le
53
Ce vers présente la seule césure épique de cette version. Le texte remanié
pour l’édition la supprimera (Defaux, v. 1125).
392
« OVIDE VEUT PARLER »
1146
1149
1152
1155
1158
1161
1164
35vo
1167
1170
1173
1176
En la mer font leur undes retourner
Quant lassez sont de courir et tourner.
¶ Le fleuve Inache / apart soy tout faché
Seul est absent / Et au profond caché
De son grant creux l’eau par larmes augmente
Et tout chetif / sa fille Yo lamente
Comme perdue / Il ne scet si en vie
Elle est au monde (ou aux enfers) ravie.
Mais pour autant que point ne la perçoit
En aucun lieu / cuide qu’elle ne soit
En aucun lieu. Et craint en ses espritz
Que pirement encores ne luy soit pris.
¶ Or quelque foys Jupiter eternel
La vit venir du fleuve paternel
Si luy a dit / O vierge bien formée
De Jupiter tresdigne d’estre aimée
Et qui dois faire un jour par grand delict
Je ne say qui bienheureux en ton lict
¶ Ce temps pendant que le soleil treshault
Est au milieu du monde ardant et chault
Viens à l’ombrage en ce boys de grant monstre
Ou en cestuy[.] Et tous deux les luy monstre.
¶ Et si tu crains [entrer] a seulete aux creuses
Fousses 54 et trouz de bestes dangereuses
Croy qu’à seurté yras doresnavant
Soubz les secretz des forestz / moy devant
Qui suis ung dieu / non point de moindres dieux
Mais qui en main / le grant sceptre des cieulx
Tiens et possede / Et qui darde et envoie
Fouldres vagans / en maincte place et voye
Ne me fuy point. Or fuyoit elle fort
Et jà de Lerne avoit (par son effort)
Oultrepassé les pastiz et les plains
a
entre
54
Le copiste utilise une graphie « ouiste » pour fosses.
MS. DOUCE 117
1179
1182
1185
1188
36ro
1191
1194
1197
1200
1203
a
b
55
393
Quant Jupiter couvrit terre estendue
D’obscurité parmy l’air espandue
Retint la fuyte à Yo jeune d’eage
Et par ardeur ravit son pucellaige.
¶ Ce temps pendant / Juno des cours hautaines
Regarde embas au milieu des grandz plaines
Si s’esbahyt dont les nues subites
Soubz le jour cler avoyent au bas limites
Faict et formé la face de la nuyt
Et bien jugea que d’aucun fleuve induyt
A grandz moyteurs ne sont faictes ces nues
Ne de l’humeur de terre en l’air venues
¶ Puis çà et là regarde d’œil marry
Où estre peult Jupiter son mary.
Comme sachant les emblées secrettes
Du sien espoux / tant de fois en cachetes
D’elle surpris / lequel quant apperceu
Ne l’a au ciel / Ou mon cueur est deceu
(Dit elle alors) ou je suis offencée
¶ Puis du hault ciel soudainement baissée
Se plante en terre et commande aux [nuées] a
Loing s’en aller / d’obscurté 55 desnuées.
Mais Jupiter / qui bon temps se donnoit
[Prevoyoit] b bien / que sa femme venoyt
Et jà avoit de Yo fille de Inache
Mué la forme en une blanche vache
Belle de corps / comme Yo fut en vis
¶ Adonc Juno quoy que ce fust envis)
En estima la forme et le poil beau
nues
Prevoit
Forme attestée par le DMF. La graphie obscurté explicite la prononciation
trisyllabique qui est de mise pour garantir la correction du mètre. La leçon
que propose Defaux, qui rétablit la graphie obscurité, aboutit à un vers de
onze syllabes : Loing s’en aller d’obscurité desnuées (v. 1206). Moisan qui suit
l’édition d’Aneau donne obscurté (Trois premiers livres, p. 75).
394
« OVIDE VEUT PARLER »
1206 Et si s’enquiert à qui / de quel troppeau
Et d’où elle est comme non congnoissant
La verité / Jupiter dieu puissant
1209 Dit (en mentant) qu’elle est née de terre
A celle fin / que l’on cesse d’enquerre
S’il l’a poinct faicte / Et puis Juno la grande
1212 Fille à Saturne / en pur don luy demande.
¶ Que pourra il or faire ou devenir [ ?]
C’est craulté / ses amours forbannir
1215 Ne luy donnant / la faict souppeçonner
Honte en après l’incite à luy donner
Puis amour est à l’en divertir prompte.
1218 ¶ Brief par amour eust esté vaincue honte
Mais si la vache ung don qui peu montoit
Eust refusée à celle qui estoit
1221 Sa femme et sœur / sembler eust peu adoncques
Visiblement que vache ne fut oncques.
¶ Après qu’il eut donné sa concubine
1224 Toute sa peur soubdain Juno divine
Ne despoilla /Et craignyt grandement
Que Jupiter luy print furtivement
1227 Jusques à tant qu’es mains de Argus l’eust mise
Filz de Aristor / pour en garde estre prise.
¶ Or tout le chef avoit celuy Argus
1230 Environné de cent yeulx bien Agus
Qui deux à deux / à leur tour sommeillans
Prenoit repos tous les autres veillans
1233 Gardoient Yo. Et en faisant bon guet
Demouroyent tous arrestez en aguet.
¶ En quelque lieu où [fust] a Yo la belle
1236 Incessamment regardoit devers elle
Devant ses yeulx Yo toujours il voyt
Quoy que la face ailleurs tournée avoit
1239 ¶ Quant le jour luyt il seuffre qu’elle paisse
36vo
37ro
a
fut
395
MS. DOUCE 117
1242
1245
1248
1251
1254
1257
1260
37vo
1263
1266
1269
1272
a
b
c
Quant le soleil est soubs la terre espesse
L’enferme et clost Et d’ung rude chevestre
Serre son col qui n’a merité d’estre
Ainsi traicté / de fueille d’arbre dure
Et d’herbe amere elle prent sa pasture
Puis la pouvrecte en lieu de molle couche
Toute la nuyt / dessus la terre couche
N’ayant toujours de la paille qu’à peine
Et boit de l’eau de bourbier toute plaine.
¶ Quant elle aussi / qui si fort se doloit
Devers Argus / ses bras tendre vouloit
S’humiliant[.] Las la doulcete et tendre
N’a aucun bras qu’à Argus puisse tendre a
Et s’efforsant lamenter de sa gorge
Ung cry de vache en mugissant desgorge
Tant que du son en crainte se bouta
Et de sa voix propre s’espoventa.
¶ Après s’en vint aux rives de son pere
Le fleuve Inache où en soulas prospere
Souloit jouer / souvent avec pucelles
Et quant en l’eau veit ses cornes nouvelles
Eut grande peur / et de [la] b craincte extresme
S’effarouchoit et s’en fuyoit soymesme.
¶ Ignorans sont les Naiades encore
Voire Inachus / Le fleuve mesme ignore
Qui elle soit / Mais pour [les] c rendre seurs
Suivoyt son pere [et] si suyvoyt ses seurs [.]
Estre touchée assés elle souffroit
Et à Iceulx tous esbahiz se offroit
¶ Le bon veillard Inachus à jonchées
Luy presenta des herbes arrachées.
Soudain ses mains elle luy vint lecher
Baisant la paulme à son pere trescher
Vers ajouté en marge.
de crainte
le
396
« OVIDE VEUT PARLER »
1275
1278
1281
1284
38ro
1287
1290
1293
1296
1299
1302
1305
a
b
Et retenir onc ses larmes ne sceult
Et se orendroit de parler la grace heust
Elle eust requis secours et aide aucune
Et recité son nom et sa forune
¶ En lieu de motz la lectre que imprima
Son pied en terre / adoncques exprima
Parfaictement / et mist en descouvrance
Du corps mué la triste demonstrance.
¶ O moy chetif (cria lors esperdu
Son pere Inache) et aux cornes pendu
Aussi au col de la vache luysante
En son poil blanc / et en dueil gemissante.
O moy chetif (dit il par plusieurs foys)
N’est ce pas toy ma fille que je voys.
Ainsi querrant par chascune contrée
Pas ne es trouvée / ançoys es rancontrée
¶ Brief par avant [mon] a gemir estoit moindre
Las tu te taiz / ne rendz / et ne peulx rendre
A mon parler parolles reciproques
Tant seulement aigres souspirs evocques
Du cueur parfond et ce que faire peultz
Au mien parler mugis comme les beufz
¶ Las je pouvret ignorant tout ce mal
Te preparoys cierge et lict nuptial
D’ung gendre fut l’espoir premier de moy
Et le second de veoir enfans de toy
Or d’ung troppeau / mary te fault avoir
Et d’ung troppeau quelque filz concevoir b
Et n’est possible à moy que finir face
Tant de douleurs / par mot qui tout efface
Ains estre dieu ce m’est nuysante chose
Et de la mort / la porte à moy forclose
Prolonge/ et faict le mien regret durable
non
Vers ajouté en marge.
397
MS. DOUCE 117
En eage et temps / [eterne] a et perdurable
¶ Comme Inachus disoit son desconfort
1308 Archus 56 se lieve / et en le poussant fort
Meyne par force en pasturaiges mainctz
La povre fille arrachée des mains
1311 De son cher pere / Et puis occupe et gaigne
Legierement le hault d’une montaigne
Assez loingtaine où se siet et accule
1314 Et là seant toutes pars specule.
38vo
¶ De
Mercure :
envoyé sur terre pour
endormir et tuer Argus et comment
Juno unist les yeulx d’iceluy Argus en la
queue d’ung paon Avec la fable
de la Nymphe Siringue
39ro Illustr. 11
1317
39v
o
1320
1323
1326
1329
Lors Jupiter recteur des dieux celestes
Plus endurer ne peult tant de molestes
A celle Yo du bon Phorone extraicte
Si appella son fils que une parfaicte
Clere Pleiade eut en enfantement
Mercure eut non / Luy fist commandement
D’occire Argus. Si ne demoura guieres
Mercure à prendre aux piedz esles legieres
En main puissante aussi / sa verge preste
D’endormir gens / et son chappeau en teste.
¶ Tantost après / que cestuy dieu Mercure
Eust disposé tout cela par grant cure
D’ung hault manoir de son pere saulta
Jusques en terre où son chappeau osta
Semblablement des esles se desnue
a
eternel
56
Archus : graphie modifiée pour Argus.
398
« OVIDE VEUT PARLER »
Et seulement sa verge a retenue
1332 ¶ D’icelle verge et s’en venant convoye
Brebis en troppe à travers champs s’en voye
Comme ung pasteur chantant de chalummeaux
1335 Faict et contruictz de pailles ou rouseaux
¶ Argus vacher (de Juno tout espris)
Du son de l’art nouvellement appris
Luy dit ainsi.
¶ Argus parlant à Mercure
40ro
1338
1341
1344
1347
1350
1353
1356
Quiconques soys approche
Tu pourras bien te seoir sur ceste roche
Avecques moy En autre lieu du monde
L’herbe n’est point pour certain plus fecunde
Pour le bestial tu vois aussi l’ombraige
Bon aux pasteurs / en cestuy pasturaige.
¶ Mercure adonc se assist [au] a près Argus
Tint et passa et propoz et arguts
Le jour coulant / parlant de plusieurs poinctz
Et en chantant de ces chalumaux joinctz
L’ung avec l’autre A surmonter il tasche
Les yeux d’Argus gardans Yo la vache
Et toutesfoys Argus vaincre s’efforce
Le doulx sommeil / amollissant sa force
Voire et combien que repos gracieux
Il a receu de l’une part des yeulx /
Ce nonobstant veille de l’autre part
S’enquiert aussi pourquoi et par quel art
Trouvée fut la fluste dont chantoit
Car puis ung peu / inventée elle estoit.
¶ Siringue convertie en Roseau
a
aut
399
MS. DOUCE 117
1359
40v
o
1362
1365
1368
1371
1374
1377
1380
1383
41ro
1386
1389
a
comme
Lors dit Mercure Aux montz gelez d’Arcade
En Nonacris sur toute Amadriade
Une Naiade y eut tresrenommée.
Syringue estoit / par les Nymphes nommée
¶ Non une foys / mais par diverses tires
Icelle avoit mocqué plusieurs satires
Qui la suivoyent et tous les dieux avecques
Du boys umbreux et champ fertil d’ilecques
¶ En venerie et virginal noblesse
Elle ensuivoyt Diane la deesse
De l’isle Ortige et accoustrée et ceincte
A la façon de ceste noble saincte.
Mainctz eust deceu / et pour Dyane aussi
Prendre on l’eust peu / ne fut que ceste cy
Avoit ung arc de corne decoré
Et ceste là en avoit ung doré.
Encore ainsi mainctes gens decevoit.
¶ Or le dieu Pan ung jour venir la voyt
Du mont Licée / Et ayant ceinct sa teste
De pin agu / luy fit telle requeste.
¶ O noble Nymphe / obtempere au pleisir
D’ung dieu qui a / grant voloir et desir
De t’espouser. Brief mainte autre adventure
Restoit encore à dire par Mercure
C’est assavoir (tel priere ensuivante
Mise à despris) la nymphe estre fuyante
Par boys espais / tant qu’elle vint à l’eau
Doulce et fluant du sablonneux et beau
Fleuve Ladon / Et comment à la suycte
Lors que les eaues / empescherent sa fuycte
Ses claires sœurs pria illecques près
De la muer Aussi [comment] a après
Que Pan cuyda Siringue par luy prise
En lieu du corps / de la Nymphe requise
400
« OVIDE VEUT PARLER »
1392
1395
1398
1401
1404
Tint en ses mains des cannes de roseaux
Croissans au tour des paludz et des eaux
Comment aussi quant dedans enhela
Le vent esmeu dedans ces cannes là
Y fit ung son delicat en voix faincte
Semblable à cil d’ung cueur qui faict sa plaincte
Et comment Pan surpris du son predict
Et du doulx art tout nouveau luy a dit
Cestuy parler et chant en qui te deulx
Sera commun tousjours entre nous deux
Aussi comment pour eternel renom
Dès lor reluyt / et donna le droit nom
De la pucelle à ces fustes ruralles
Joinctes de cire en grandeur inegalles.
¶ La mort de Argus : ~
41vo
1407
1410
1413
1416
1419
a
Ainsi pour vray que Mercure devoit
Dire telz motz les yeulx d’Argus il voit
Tous succomber et sa lumiere forte
De grant sommeil envelopée et morte
¶ Soudain sa voix refraignyt et cessa
Et puis d’Argus le dormir renforça
Adoulcissant de la verge charmée
Les yeulx foiblets de sa teste assommée.
¶ Lors tout subit d’ung glaive renversé
Baissant lechef en dormant l’a blessé
Au propre endroit auquel est joincte et proche
La teste au col puis du hault de la roche
Le jecte aval et le mont hault et droit
Soille de sang[.] ainsi es orendroit
Gisant par terre a O Argus qui vivois
Et la clarté qu’en cent yeulx tu avois
Est or estaincte / et la seule obscurté
Nous supprimons le point.
401
MS. DOUCE 117
1422 De mort surprent / cent yeulx et leur clarté.
¶ Adonc Juno les prent tous / et les [fiche] a
Dessus la plume au paon son oyseau riche
1425 Et luy emplit toute la queue de yeulx
Clairs et luysans comme estoilles des cieulx.
¶ Comment Yo vache reprint sa premiere forme
de Nymphe et fut deesse. Et comment Epaphus
filz de Jupiter et d’elle / injuria / Phaeton filz
du soleil et de la Nymphe Clymene :
42ro Illustr. 12
42vo
a
fiches
Soudain Juno en ire ardente brusle
1428 Et du courroux le temps ne dissimule
Car Erynnis qui est horrible raige
Mist au devant des yeulx et du couraige
1431 D’icelle Yo. et cacha l’incensée
Maint aiguillon secret en sa pensée
Espouvantant par raige furibunde
1434 La povre Yo suyvant par tout le monde
¶ O fleuve Nil en grant labeur et plaindre
Tu luy restoys le dernier à attaindre
1437 Auquel pourtant à la fin elle arrive
Et en posant / tout autour de la rive
Ses deux genoulz / se veautra en sa place
1440 ¶ Et en levant sa telle quelle face
Vers le haut ciel / renversant en arriere
Son col de vache / en piteuse priere
1443 En larmes d’œil et en gemissemens
Et en plaintifs / et gros mugissemens
Elle sembloit à Jupiter crier
1446 Et de ces maulx fin final luy prier.
¶ Lors Jupiter de ses deux bras embrasse
Sa femme au col la priant de sa grace
1449 Vueille de Yo finablement finir
402
« OVIDE VEUT PARLER »
1452
43ro
1455
1458
1461
1464
1467
1470
La grande peine. Et quant à l’avenir
De moy (dit il) toute craincte demetz
Car ceste cy ne te sera jamais
Cause de dueil / et aux stigieux fleuves
Commande ouy / cestuy serment pour preuves.
Quant Juno eut appaisé la poincture
Yo reprint sa premiere stature
Et faicte fut / ceque devant estoit.
¶ Du corps s’en fuit le poil qu’elle vestoit
Lors lui descroit / des cornes la grandeur
Moindre devient de ses yeulx la rondeur
Gueule et museau / plus petitz luy deviennent
Espaules bras / et les mains luy reviennent
L’ongle 57 de vache / en nouveaux piedz et mains
Fut divisée en cinq ongles humains.
¶ Brief rien n’y eut de la vache / sur elle
Fors seulement la blancheur naturelle[.]
Et tout debout / fut la nymphe plantée
Du cheminer de deux piedz contentée
N’osant parler que de sa gorge ne ysse
Mugissemens comme d’une genisse
Et avec craincte essayoit à redire
Ce qu’autresfois elle s’estoit ouy 58 dire.
¶ Le debat de Phaeton
Et de Epaphus : ~
1473 Or maintenant en deesse honnorée
Elle est du peuple en Egypte adorée
Parquoy en elle Epaphus on pourpense
1476 Estre engendré de la noble semence
De Jupiter. Et brief en lieux certains
Cestuy Epaphe / a ses temples haultains
1479 Faitz à l’honneur de son père et de luy.
43vo
57
58
Ongle peut encore être un substantif féminin (DMF).
Il faut supposer une prononciation monosyllabique de ouy.
MS. DOUCE 117
1482
1485
1488
1491
1494
1497
44ro
1500
1503
1506
1509
1512
1515
403
¶ Or en ce temps / vray est qu’à iceluy
Estoit egal de cueur / d’eage et de puissance
Ung qui avoit du soleil prins naissance
Dit Phaeton / qui jadis devisant
De ces grant faictz / Et honneur non faisant
A Epaphus / en gloire se mectoit
Dont le soleil son propre pere estoit
¶ Ce que Epaphus ne peult pas bonnement
Lors endurer / et lui dit plainement
¶ O povre sot / tu metz foy et credit
A tout cela que ta mere te dit
Et te tiens fier/ et louenge / retiens
D’ung père fainct /qui pour vray ne t’est riens
¶ Lors Phaeton rougit d’ouir ce dire
Et refraignit de vergoigne son ire
Puis s’en corut à Climene sa mere
Luy rapporter l’injure tant amere
Et si luy dit / chere mere au suplus
Cela de quoy tu te dois douloir plus
C’est que rien n’ay repliqué sur l’injure
Car quant à moy / je suis de ma nature
Doulx et courtoys / et l’autre insupportant
Et oultrageux / Mais j’ay honte pourtant
Dont tel opprobre on m’a peu imputer
Et que sur champ / ne l’ay peu confuter
¶ Donc si creé suis de ligne celeste
Monstre à present le signe manifeste
D’ung genre tel / tant digne et precieux
En maintenant / que je suis des haulx cieux.
¶ Ces motz finiz / ses deux bras avança
Et de sa mere au col les enlassa
La suppliant par son chef tant chery
Et par celuy de Merops son mary
Et en l’honneur des nopces de ses seurs
De luy donner signes certains et seurs
De son vray père / En effet à grant peine
404
« OVIDE VEUT PARLER »
Sçait on lequel / a plus esmeu Climene [:]
Ou le prier par son filz proposé
1518 Ou le despit du reproche imposé
¶ Les bras au ciel lors tendit et leva
En regardant le soleil elle va
1521 Dire ces mots.
¶ Le serment que Clymene
Faict à son filz Phaeton.
44vo
1524
1527
1530
1533
1536
1539
1542
45ro
Par la lumiere saincte
De luysans rais environnée et seincte
Qui nous voit bien / et qui entend noz voix
Je jure filz que ce soleil que voys
Et qui le monde illumine et tempere
T’a engendré / et que c’est ton vray père.
Si menterie en mes propoz je mectz
Je me consens qu’il face que jamais
Je ne le voye / Et que ceste lumiere
Soit maintenant à mes yeulx la derniere.
¶ Or tu n’as pas grant affaire à congnoistre
La demourance à ton père et son estre
Car la maison dont il se lieve et part
Est fort voisine à nostre terre et part
Si aller là tu desires et quiers
Pars dès ceste heure et à luy t’en enquiers.
¶ Quant Phaeton / de sa mere eut ouy
Ung tel propos / soudain tout resjouy
Il saulte en l’air / esperant en soymesmes
Oultre passer / les regions supresmes
¶ Brief son pays / de Ethiope il traverse
Et les Indoys / gisans soubz la diverse
Chaleur du ciel / Et promptement de là
En la maison de son cler père alla.
¶ Fin du premier livre
Des transformations d’Ovide
BIBLIOGRAPHIE
Les ouvrages dont la notice est marquée d’un * sont disponibles
sur Gallica. Ceux dont la notice est marquée d’un ** sont disponibles sur Google Books.
ÉDITIONS ET TRADUCTIONS DES MÉTAMORPHOSES
Les notices sont présentées dans l’ordre chronologique de la
rédaction ou de la traduction.
Ovide, Les Métamorphoses, Tome I, Livres I-V, éd. et trad. Georges
Lafaye, Paris, Les Belles Lettres, 1999
Ovide, Les Métamorphoses, éd. Georges Lafaye, trad. Olivier Sers, Paris,
Les Belles Lettres, 2009
Bersuire Pierre ; Valois, Thomas, Metamorphosis Ovidiana Moraliter a
Magistro Thoma Walleys Anglico de prosessione predicatorum sanctissimo
patre Dominico explanata, Paris, Josse Bade, 1509.*
La bible des poëtes, Métamorphose [d’Ovide moralisée par Thomas Walleys
et traduite par Colard Manson], Paris, A. Vérard*
Metamorphosis cum integris ac emendanssimis Raphaelis Regii enarrationibus, Venetiis, Augustino Barbadico, 1497*
Le Grand Olympe des histoires poétiques du prince de poésie Ovide Naso en
sa Métamorphose, œuvre authentique de hault artifice, pleine de honneste
récréation, traduyct de latin en françoys et imprimé nouvellement, Lyon,
Romain Morin, 1532*
Le Premier Livre des Transformations d’Ovide, manuscrit sur velin orné de
12 miniatures de la taille de la page, dédié à François Ier par Clément
Marot, copie présentée à François Ier dans la reliure originale, marocain, in-4o. Conservé à aux Bodleian Libraries (ms. Douce 117)
Marot, Clément, Le Premier Livre de la Metamorphose d’Ovide, Œuvres complètes, Tome II, éd. Gérard Defaux, Paris, Bordas, 1993, 403-451
406
« OVIDE VEUT PARLER »
Marot, Clément, Le Second Livre de la Metamorphose d’Ovide, Œuvres
complètes, Tome II, éd. Gérard Defaux, Paris, Bordas, 1993, 452-515
Marot, Clément, Aneau, Barthélemy, Les trois premiers livres de la Métamorphose d’Ovide, éd. Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant,
Paris, Champion, 1997
Metamorphoseos libri XV ; in eosdem libros Raphaelis Regii luculentissime
enarrationes, neque non Lactantii et Petri Lavinii commentarii, non ante
impressi, B. de Bindonibus, Venise, 1540*
Deffrans, Christophle, Les Histoires des poetes comprinses au Grand Olimpe
en ensuyvant les Métamorphoses d’Ovide, Niort, Thomas Porteau, 1595
Habert, François, Les quinze livres de la métamorphose d’Ovide interprétés
en rimes françoises, selon la phrase latine, Paris, Jacques Keruer, 1557**
Corneille, Thomas, Les Métamorphoses d’Ovide, mises en vers françois,
Paris, J-B. Coignard, 1697**
Corneille, Thomas, Les Métamorphoses d’Ovide mises en vers francois, Tome
I, Liège, Jean François Broncat, 1698**
OUVRAGES AVANT 1700
Boileau, Nicolas, Satires, Epitres, Art poétique, éd. Jean-Pierre Collinet,
Paris, Gallimard, 1985
Castellion, Sébastien, Dialogues sacrés = Dialogi sacri : (premier livre), éd.
David Amherdt et Yves Giraud, Genève, Droz, 2004
Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, Lyon,
Etienne Dolet, 1549*
Du Bartas, La Sepmaine ou Création du monde, éd. Yvonne Bellenger, Paris,
Nizet, 1981
Du Bellay, Joachim, La Deffence, et illustration de la langue française,
Œuvres complètes, publiées sous la direction d’O. Millet, vol. 1, éd.
Olivier Millet et Francis Goyet, Paris, Champion, 2003
Du Bellay, Joachim, Le quatriesme livre de l’Enéide / traduict en vers françoys.
La complaincte de Didon à Enée, prinse d’Ovide, autres œuvres de l’invention
du traducteur / par J. D. B. A., Paris, Vincent Certenas, 1552 *
Erasme, Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, vol. I, tome 3, éd. L.E.
Halkin ; F. Bierlaire ; R. Hoven, Amsterdam, North-Holland Publishing Company, 1972
Estienne Robert, Dictionnaire françois-latin : autrement dict les mots françois, avec les manières duser diceulx, tournez en latin, Paris, Robert
Estienne, 1539*
BIBLIOGRAPHIE
407
Estienne, Robert, Traicté de la grammaire françoise, Paris, Robert
Estienne, 1569*
Horace, Oeuvres, éd. et trad. François Richard, Paris, Garnier, 1967
L’art d’amours, éd. Bruno Roy, Leiden, Brill, 1974
Les Grammairiens du XVIe siècle, éd. Charles Livert, Paris, Didier, 1859*
Lefèvre d’Etaples, Jacques, (Jacobus Faber Stapulens), Quincuplex psalterium : gallicum, romanum, hebraicum, vetus, concilatum, Henri
Estienne, 1509**
Meigret, Louis, Le tretté de la grammere françoeze, Paris, Christian
Wechel, 1550*
Marguerite de Navarre, Les Prisons, éd. Simone Glasson, Genève,
Droz, 1978
Marguerite de Navarre, L’Histoire des Satyres, et Nymphes de Dyane. Les
Quatre Dames et les quatre Gentilzhommes. La Coche , Œuvres complètes
publiées sous la direction de Nicole Cazauran, Tome V, éd. André
Gendre ; Loris Petris ; Simone de Reyff, Paris, Champion, 2012
Marot, Clément, Œuvres, Tome I, éd. Georges Guiffrey, Paris, Jean
Schmit, 1899
Marot, Clément, L’Adolescence clémentine, éd. Verdun-Louis Saulnier,
Paris, Armond Colin, 1958
Marot, Clément, Les Traductions, Œuvres complètes, VI, éd. Claude-Albert
Mayer, Genève, Slatkine, 1980.
Marot, Clément, Œuvres complètes, Tome I, éd. Gérard Defaux, Paris,
Bordas, 1990
Marot, Clément, Œuvres complètes, Tome II, éd. Gérard Defaux, Paris,
Bordas, 1993
Musaei Opusculum de Herone et Leandro, Paris, Christian Wechel, 1538**
Musaei vetustissimi poetae Opusculum de amoribus Leandri et Herûs Guilielmo de Mara paraphraste ; eruditis Ioannis Vatelli Coeniliensis commentarijs enarratum, Paris, Christian Wechel, 1538**
Œuvres complètes de Bossuet, Paris, Outhenin-Chalandres Fils, Lille,
L. Lefort, 1840
Palsgrave, John, L’Eclaircissement de la langue française, éd. F. Génin,
Paris, Imprimerie nationale, 1852 *
Petrarca, Francesco, Canzoniere, éd. Roberto Antonelli ; Gianfranco
Contini ; Daniele Ponchiroli, Torino, Einaudi, 1964
Pétrarque, Je vois sans yeux et sans bouche, je crie, vingt-quatre sonnets
traduits par Yves Bonnefoy, accompagné de dessins originaux de Gérard
Titus-Carmel, Paris, Galilée, 2011
408
« OVIDE VEUT PARLER »
Pétrarque, Les Œuvres vulgaires de Françoys Petrarque, mis en Françoys
par Vasquin Philieul, Avignon, Barthelemy Bonhomme, 1555*
Saint-Gelais, Octovien de, Les énéydes de Virgille, translatez de latin en
françois, reveues et cottez par maistre Jehan d’Yvry, 1509*
Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Paris, Livre de
Poche, 1990
Virgile, Enéide, Livres I-IV, éd. et trad. Jacques Perret, Paris, Les Belles
Lettres, 1981
ÉTUDES
Adams, Alison, « The Translator’s Role in Sixteenth-Century Editions
of Alciati », BHR, Tome LII, 2, 1990, 369-383
Amielle, Ghislaine, Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses d’Ovide, illustrées et publiées en France à la fin du XVe siècle et au
XVIe siècle, Paris, Touzot, 1988
Armstrong, Elisabeth, « Notes on the works of Guillaume Michel, dit
de Tours », BHR, Tome XXXI, 2, 1969, 257-281
« Art poétiques de la Renaissance », Nouvelle Revue du XVIe siècle,
18/1, 2000
Aulotte, René, « Une défense manuscrite de la langue française au
XVIe siècle », BHR, Tome XXVII, 2, 513-522
Balibar, Renée, Le Colinguisme, Paris, PUF, 1993
Balmas, E., « Guillaume Guéroult traducteur des Psaumes », RHLF,
1967/4, 707-725
Bédouelle, Guy, Le Quincuplex Psalterium de Lefèvre d’Etaples : un guide
de lecture, Genève, Droz, 1979
Bédouelle, Guy, « Le Myrouer de Vérité (1532). Une traduction de propagande », BHR, Tome L, 3, 1988, 671-681
Bédouelle, Guy ; de Reyff, Simone, « Anne de Marquets et Claude
d’Espence : Enigmes », Religion et littérature à la Renaissance. Mélanges
en l’honneur de Franco Giacone, éd. François Roudaut, Paris, Classiques Garnier, 2012, 749-781
Béguelin, Marie-José et alii, De la phrase aux énoncés : grammaire scolaire
et descriptions linguistiques, De Boeck, Bruxelles, 2000
Bellanger, Yvonne, « Ronsard et le décasyllabe », BHR, Tome XLIV, 3,
1982, 493-520
BIBLIOGRAPHIE
409
Bentley-Cranch, Dana, « Further additions to the iconography of
Clément Marot », BHR, Tome XXVI, 2, 1964, 419-423
Berchtold, Jacques, « Le poète-rat : Villon, Erasme, ou les secrètes
alliances de la prison dans l’épître A son amy Lyon de Clément
Marot », BHR, Tome L, 1, 1988, 57-76
Berman, Antoine, Jacques Amyot – traducteur français, Paris, Belin, 2012
Berriot-Salvadore, Evelyne, « L’emploi du temps d’une écolière à
Anvers en 1580, d’après La Guirlande des Jeunes filles, par Gabriel
Meurier », BHR, Tome XLIV, 3, 1982, 533-544
Berthon, Guillaume, « Les débuts de Dolet comme libraire (Marot,
1538) », Etienne Dolet. 1509-2009, éd. Michèle Clément, Genève, Droz,
2012, 325-341
Biot, Brigitte, « Un projet innovant pour un collège humaniste. Le Formulaire et Institution du Collège de la Trinité de Lyon par Barthélemy
Aneau (4 mai 1540) : Edition intégrale et commentaire, BHR, Tome
LVI, 2, 1994, 445-464
Billaz, André, « Voltaire traducteur de Shakespeare et de la Bible : philosophie implicite d’une pratique traductrice », RHLF, 1997/3, 372-380
Blanchard, Joël, « Quelques églogues latines à la fin du Moyen âge :
Pétrarque et ses émules français », BHR, Tome XLIV, 2, 1982, 331-340
Blum-Cuny, Pascale, « Traduire le sacré : le Psaultier de Blaise de Vigenère », BHR, Tome LIV, 2, 1992, 441-449
Boillat, Alain, Deux traductions de La chevelure de Bérénice de Claude
Simon : paramètres pour l’analyse de traductions littéraires, Lausanne,
Centre de traduction littéraire, 1999
Bonnefoy, Yves, « La traduction au sens large. A propos d’Edgar Poe et
de ses traducteurs », Littérature, 2008/2, no 150, 9-24
Borges, Jorge Luis, « Le livre de sable », Le livre de sable, Paris, Gallimard,
1978, 137-144
Borges, Jorge Luis, « Pierre Ménard, auteur du Quichotte », Fictions,
Paris, Gallimard, 1983, 41-52
Brault, Gérard, J. « Ung abysme de science : on the interpretation of Gargantua’s letter to Pantagruel», BHR, Tome XXVIII, 3, 1966, 615-632
Brown, Cynthia J. « The Confrontation between Printer and Author in
early Sixteenth-Century France : another example of Michel Le
Noir’s unethical printing Practices », BHR, Tome LIII, 1 1991, 105-118
Brown, Peter F ; Cocke, John ; Della Pietra, Stephen A. ; Della Pietra,
Vincent J. ; Jelinek, Fredrick ; Lafferty, John D. ; Mercer, Robert L. ;
410
« OVIDE VEUT PARLER »
Roossin, Paul S., « A Statistical Approach to Machine Translation »,
Computational Linguistics, Volume 16, no 2, 1990, 79-85
Brückner, Thomas, Die erste französische Aeneis. Untersuchungen zu Octovien de Saint-Gelais’ Übersetzung ; mit einer kritischen Edition des VI.
Buches (Studia humaniora ; 9), Düsseldorf, Verlag Droste, 1987
Brunot, Ferdinand, Histoire de la langue française des origines à 1900, T. I
– De l’époque latine à la Renaissance, Paris, Armand Colin, 1905*
Brunot, Ferdinand, Histoire de la langue française des origines à 1900, T. II
– Le Seizième Siècle, Paris, Armand Colin, 1927, (2e édition revue
et corrigée)*
Burger, André « De Virgile à Guillaume IX, naissance d’un mètre »,
BHR, Tome XIII, 2, 1951, 121-136
Cave, Terence ; Jeanneret, Michel ; Rigolot, François, « Sur la prétendue
transparence de Rabelais », RHLF, 1986/4, 709-716
Cave, Terence, Pré-histoires. Textes troublés au seuil de la modernité,
Genève, Droz, 1999
Céard, Jean, « De Babel à la Pentecôte : la transformation du mythe de
la confusion des langues au XVIe siècle », BHR, Tome XLII, 3, 1980,
577-594
Céard, Jean, « Marot, traducteur d’Erasme », Clément Marot, Prince des
poëtes françois. 1496-1996, Actes du Colloque international de Cahors
en Quercy, 1996, éd. Gérard Defaux et Michel Simonin, Paris, Champion, 1997, 107-120
Cerquiglini-Toulet, Jacqueline, « La fortune du Roman de la Rose à
l’époque de Clément Marot », Clément Marot, Prince des poëtes françois. 1496-1996, Actes du Colloque international de Cahors en
Quercy, 1996, éd. Gérard Defaux et Michel Simonin, Paris, Champion, 1997, 143-164
Chastel, André, « Leçon terminale », BHR, Tome XLVIII, 2, 1986, 305-318
Chavy, Paul, « Les traductions humanistes au début de la Renaissance
française : traductions médiévales, traductions modernes », Canadian
Review of Comparative Literature, 1981/8, no 2, 284-306
Chavy, Paul, « Depuis quand traduit-on en français ? », BHR, Tome
XLIV, 2, 1982, 361-362
Chomarat, Jacques, Grammaire et rhétorique chez Erasme, Genève, Droz,
1999
Claivaz, David, Ce que j’ay oublié d’y mettre, Editions universitaires Fribourg Suisse, 2001
BIBLIOGRAPHIE
411
Claivaz, David, « Marot enchaîné », Studia Neophilologica/77, 2005, 188209
Clark, J. E., « An early sixteenth-century art poétique by Guillaume
Télin », BHR, Tome XXXI, 1, 1969, 129-133
Clément Marot, Prince des poëtes françois. 1496-1996, Actes du Colloque
international de Cahors en Quercy, 1996, éd. Gérard Defaux et
Michel Simonin, Paris, Champion, 1997
Clive, H.P., « A forgotten Marot manuscript », BHR, Tome XLV, 2, 1983,
325-326
Clive, H.P., « Who was Marot’s Savoyard friend ? », BHR, Tome XVLVII,
2, 1985, 415-420
Colombat, Bernard, La Grammaire latine en France à la Renaissance et à
l’âge classique, Grenoble, ELLUG, 1999
Colombat, Bernard, assisté de Elisabeth Lazcano, Corpus représentatif des
grammaires et des traditions linguistiques, Paris, SHESL, 1998-2000,
vol. 1
Commision Romande de Mathématiques, Probabilités, Editions du Tricorne, 2008
Compagnon, Antoine, Le Démon de la théorie, Paris, Seuil, 1998.
Cooper, Richard, « Marot et Ovide : un nouveau manuscrit à peinture
du premier livre des Métamorphoses traduit par Marot », Clément
Marot, Prince des poëtes françois. 1496-1996, Actes du Colloque international de Cahors en Quercy, 1996, éd. Gérard Defaux et Michel
Simonin, Paris, Champion, 1997, 301-321
Cottrell, Robert, « Rhétorique et foi dans Le Temple de Vertu de François
Habert », La Génération Marot. Poètes français et néo-latins. 1515-1550,
Actes du Colloque international de Baltimore, 1996, éd. Gérard
Defaux, Paris, Champion, 1997, 487-500
Croizy-Naquet, Catherine, « L’Ovide moralisé ou Ovide revisité : de
métamorphose en anamorphose », Cahiers de recherches médiévales et
humanistes, 9 | 2002, [En ligne], mis en ligne le 04 septembre 2007.
URL : http://crm.revues.org//76. Consulté le 20 novembre 2011
Cullière, Alain, « La Grammatica gallica de Jean Serre (1598) », BHR,
Tome XLIX, 2, 1987, 341-353
Dassonville, Michel, « De l’unité de la Deffence et illustration de la langue
françoyse », BHR, Tome XXVII, 1, 1965, 96-107
De Cornulier, Benoît, « Sébillet contre l’italianisme métrique », RHLF
2005/1, 189-199.
412
« OVIDE VEUT PARLER »
Defaux, Gérard, « Rhétorique, silence et liberté dans l’œuvre de Marot »,
BHR, tome XLVI, 2, 1984, 299-322
Defaux, Gérard, « D’un problème l’autre : l’herméneutique de l’altior
sensus et captatio lectoris dans le Prologue de Gargantua », RHLF,
1985/2, 195-216
Defaux, Gérard, « Sur la prétendue pluralité du prologue de Gargantua :
Réponse d’un positiviste naïf à trois illustres et treschevaleureux
champions », RHLF, 1986/4, 716-722
Defaux, Gérard, « Parole et Ecriture dans les Essais de Montaigne »,
RHLF, 1990/6, 859-882
Defaux, Gérard, Lestringant, Frank, « Marot et le problème de l’évangélisme : à propos de trois articles récents de C.A. Mayer », BHR, LIV,
1, 1992, 125-130
Defaux, Gérard : « Marot, traducteur des Psaumes : du nouveau sur
l’édition anonyme (et genevoise) de 1543 », BHR, Tome LVI, I, 1994,
59-82
Delègue, Yves, « La littérature en questions (quelques remarques encore
sur l’Histoire littéraire) », RHLF, 2002/1, 3-14
Dexter, Greta, « L’imagination poétique (à propos de Barthélemy
Aneau) », BHR, Tome XXXVII, I, 1975, 49-62
Dictionnaire du Moyen Français, version 2012 (DMF 2012). ATILF – CNRS &
Université de Lorraine. Site internet : http://www.atilf.fr/dmf.
Dimmick, Jeremy, « Ovid in the Middle Ages : authority and poetry »,
The Cambridge Companion to Ovid, éd. Philip Hardie, Cambridge University Press, 2002, 264-287
DuBruck, Edelgard, « On Pierre Rivière translator of the Narrenschiff »,
BHR, Tome XLI, 1, 1979, 109-110
Dupède, Jean, « Autour du Collège de Presles. Testaments : Ramus,
Talon et Péna », BHR, Tome XLII, 1, 1980, 123-137
Dupède, Jean ; Hamon, Philippe, « Humanistes en famille : les Meigret », BHR, Tome LII, 2, 1990, 333-344
Ebert, Friedrich Adolph, A General Bibliographical Dictionary, Volume 3,
Oxford University Press, 1837
Eco, Umberto, Kant et l’ornithorynque, Paris, Le Livre de Poche, 1999
Eco, Umberto, Dire presque la même chose, Grasset, Paris, 2006
Elaut, L., « Erasme, traducteur de Galien », BHR, Tome XX, 1958, 36-43
Elnécavé Claudine, Les Didascalies de Jean Tardieu, Paris, L’Harmattan,
2001
BIBLIOGRAPHIE
413
Engammare, Max, L’ordre du temps : l’invention de la ponctualité au
XVIe siècle, Genève, Droz, 2004
Etienne Dolet. 1509-2009, éd. Michèle Clément, Genève, Droz, 2012
Evans, Kathryn J., « Two latins poems by Jean Dorat », BHR, Tome XLVI,
1, 1984, 153-156.
Ferradou, Carine, « La Réflexion sur le pouvoir du langage dans plusieurs colloques d’Erasme, le Lucien batave », Bulletin de l’Association
d’étude sur l’humanisme, la réforme et la renaissance, n°58, 2004, 59-88
Françon, Marcel, « L’Enfer de Clément Marot », BHR, Tome XXIX, 1,
1967, 157-158
Françon, Marcel, « Notes sur le vocabulaire (poète, poésie, humaniste,
traduire, cavillation) », BHR, Tome XXIX, 1, 1967, 159-162
Françon, Marcel, « Note sur la diffusion de l’italianisme en France au
XVIe siècle », BHR, Tome XLII, 3, 1980, p. 658
Fumaroli, Marc, L’Age de l’éloquence, Paris, Albin Michel, 1994
Gadoffre, Gilbert, La Révolution culturelle dans la France des humanistes,
Paris, Droz, 1997
Gaffiot, Dictionnaire abrégé Latin-Français, Paris, Hachette, 1936
Gaudu, F. « Un manuscrit de la traduction du premier livre des Métamorphoses par Marot », Revue du Seizième Siècle, 11, 1924, 258-269
Génetiot, Alain, « Rhétorique et poésie lyrique », Dix-septième siècle 3/
2007, no 236, 521-548
Genette, Gérard, Palimpsestes, Paris, Seuil 1982
Girot, Jean-Eudes, « Clément Marot traducteur de Musée », Clément
Marot, Prince des poëtes françois. 1496-1996, Actes du Colloque international de Cahors en Quercy, 1996, éd. Gérard Defaux et Michel
Simonin, Paris, Champion, 1997, 121-137
Glidden, Hope, « Huges Salel, Dame Poésie et la traduction
d’Homère », La Génération Marot. Poètes français et néo-latins. 15151550, Actes du Colloque international de Baltimore, 1996, éd. Gérard
Defaux, Paris, Champion, 1997, 513-525
Godenne, René, « Etienne Jodelle, traducteur de Virgile », BHR, Tome
XXXI, 1, 1969, 195-205
Gravelle, Sarah Stever, « Lorenzo Vallas’s comparison of Latin and
Greek and the Humanist Background », BHR, Tome XLIV, 2, 1982,
269-289
Greenblatt, Stephen, The Swerwe. How the World Became modern, New
York – London, W.W. Norton and company, 2011.
414
« OVIDE VEUT PARLER »
Guillerm, Luce, « L’auteur, les modèles, et le pouvoir ou la topique de
la traduction au XVIe siècle en France », Revue des Sciences Humaines,
Tome LII, no 180, 1980, 5-31
Guillerm, Luce, Sujet de l’écriture et traduction autour de 1540, Lille, Atelier national, Reproduction des Thèses, 1988
Guthmüller, Bodo, « Die literarische Übersetzung im Bezugsfeld Original-Leser (Am Beispiel italienischer Übersetzungen der Metamorphosen Ovids im 16. Jahrhundert) », BHR, Tome XXXVI, 2, 1974, 233-251
Hausmann, Franz Josef, Louis Meigret, humaniste et linguiste, Tübingen,
Narr, 1980
Hennebert, François, Histoire des traductions françaises d’auteurs grecs et
latins, Amsterdam, Grüner, 1968
Heyerick, Koenraad, « Les sens d’une métamorphose. », Revue de littérature comparée, 2005/3, no 315, 273-293
Hofstadter, Douglas, Le Ton beau de Marot, New York, Basic Books, 1997
Hofstadter, Douglas, Gödel, Escher, Bach, Paris, Dunod, 2000
Hoggan, Yvonne, « Aspects du bilinguisme littéraire chez Du Bellay : le
traitement poétique des thèmes de l’exil », BHR, Tome XLIV, 1, 1982,
65-79
Honeste, Marie-Luce, « Antoine du Saix pédagogue humaniste, émule
d’Erasme », BHR, LIV, 3, 661-689
Huchon, Mireille, Le Français de la Renaissance, Paris, PUF, 1988
Huchon, Mireille, Histoire de la langue française, Paris, Livre de Poche,
2002
Huchon, Mireille, « La prose d’art sous François Ier : illustrations et
conventions », RHLF, 2004/2, p. 283-303
Hunkeler, Thomas, Le Vif du sens, Paris, Droz, 2003
Hurtado, Albin, La notion de fidélité en traduction, Paris, Didier, 1940
Jacopin, Paul ; Lagrée, Jacqueline, Erasme – Humanisme et langage, Paris,
PUF, 1996
Jeanneret, Michel, « Clément Marot traducteur des Psaumes entre le
néo-platonisme et la réforme », BHR, Tome XXVII, 3, 1965, 629-643
Johns, Francis A., « Clément Marot’s Pseaumes octante-trois… 1551 :
Report on a surviving copy », BHR, Tome, XXX, 2, 351-354
Johns, Francis A., « An unrecorded set of Works by Clément Marot of
1535 : some corrections to C. A. Mayer’s Critical Edition », BHR,
Tome XVLVII, 2, 1985, 389-394
BIBLIOGRAPHIE
415
Johns, Francis A., « Notes on two unreported Editions of Clément Marot
by Denys de Harsy », 1534-1535, BHR, Tome L, 1, 1988, 87-93
Joukovsky-Micha, Françoise, « La guerre des dieux et des géants chez
les poètes français du XVIe siècle », BHR, XXIX, 2, 1967, 55-92
Joukovsky-Micha, Françoise, « Clément et Jean Marot », BHR, Tome
XXIX, 3, 1967, 557-565
Kager, René, Optimality Theory, Cambridge University Press, 1999
Kalwies, Howard H., « Marot’s De la Ville de Lyon. The problem of
Authenticity », BHR, Tome XXXVI, 2, 1974, 321-324
Kalwies, Howard H., « The first verse translation of the Iliad in Renaissance France », BHR, Tome XL, 3, 1978, 597-607
Kebrat-Orechionni, Catherine, L’Implicite, Paris, Armand Colin, 1986
Labarthe, Olivier, « Jean Gérard, l’imprimeur des Cinquante Pseaumes de
Marot», BHR, Tome XXXV, 3, 1973, 547-561
La France de la Renaissance. Histoire et Dictionnaire, éd. Arlette Jouanna ;
Philippe Hamon ; Dominique Biloghi ; Guy Le Thiec, Paris, Robert
Laffon, 2001.
La Génération Marot. Poètes français et néo-latins. 1515-1550, Actes du Colloque international de Baltimore, 1996, éd. Gérard Defaux, Paris,
Champion, 1997
La Notion de genre à la Renaissance, dir. Guy Demerson, Genève,
Slatkine, 1984
Larose, Robert, Théories contemporaines de la traduction, Sillery, PU
Québec, 1989
Le Clech-Charton, Sylvie « Les Epître dédicatoires et les Secrétaires du
roi (1515-1547), ou le portrait de l’honnête homme au siècle de la
Renaissance », BHR, Tome LI, 3, 1989, 537-552
Lecointe, Jean, « Structures hiérarchiques et théorie critique à la Renaissance », BHR, Tome LII, 3, 1990, 529-560
Lecointe, Jean, L’Idéal et la différence. La perception de la personnalité littéraire à la Renaissance, Genève, Droz, 1993
Le Hir, Yves, « Sur un manuscrit inédit de Th. Sébillet », BHR, Volume
LIV, 2, 1992, 477-480
Lestringant, Frank, « Renaissance ou XVIe siècle ? Une modernité étranglée », RHLF, 2002/5, 759-769
Le Modèle à la Renaissance, études réunies et présentées par C. Balavoine,
J. Lafond, P. Laurens, Paris, Librairie philsophique J. Vrin, 1986
Le Pouvoir des livres à la Renaissance, Colloque de l’Ecole des Chartes de
mai 1997, Genève, Droz, 1998
416
« OVIDE VEUT PARLER »
Ley, Klaus, « Traduction ou transformation ? L’Hymne au soleil de Giovanni Della Casa, mis en français par J. Du Bellay », BHR, Tome
XLVI, 2, 1984, 421-428
Lindeman, Yehudi, « Translation in the Renaissance : A Context and a
map », Canadian Review of Comparative Literature, 1981/8, no 2, 204216
Lire et traduire à la Renaissance, Colloque de l’Ecole des Chartes d’avril
1996, Genève, Droz, 1998
Lloyd-Jones, K., « Etienne Dolet, fidèle traducteur de lui-même », BHR,
Tome XXXV, 2, 1973, 315-322
Lombez, Christine, « Dissimulation et assimilation poétiques », Littérature, 2006/1, no 141, 92-100
Longeon, Claude, Premiers combats pour la langue française, Paris, Livre
de Poche, 1989
Luck, Georg, « Terrorum lusor amorum : Marot disciple d’Ovide », Clément Marot, Prince des poëtes françois. 1496-1996, Actes du Colloque
international de Cahors en Quercy, 1996, éd. Gérard Defaux et
Michel Simonin, Paris, Champion, 1997, 67-76
Maira, Daniel, « La Découverte du tombeau de Laure entre mythe littéraire et diplomatie », RHLF, 2003/1, 3-15
Manifold Greatness – The Making of the King James Bible, éd. Helen Moore
et Julian Reid, Oxford, Bodleian Library, 2011
Mansell, Richard R, « Optimality Theory Applied to the Analysis of
Verse Translation », [En Ligne], date de mise en ligne non mentionnée. URL : roa.rutgers.edu/article/view/675. Consulté le 15 mars
2013.
Margolin, Jean-Claude, « Les jeux à la Renaissance », BHR, XLIII, 2,
1981, 347-353
Maréchaux, Pierre, « L’arrière-fable : la préface de Marot à la Metamorphose et les commentaires latins d’Ovide », Clément Marot, Prince des
poëtes françois. 1496-1996, Actes du Colloque international de Cahors
en Quercy, 1996, éd. Gérard Defaux et Michel Simonin, Paris, Champion, 1997, 77-92
Marsh, David, « Lorenzo Valla in Naples : The Translation from Xenophon’s Cyropaedia », BHR, XLVI, 2, 1984
Marzac, Nicole, « The Note-Books of Pierre Gautier : The academic and
social life of a sixteenth century student in Paris and Burgundy »,
BHR, Tome XXXVI, 3, 1974, 621-628
BIBLIOGRAPHIE
417
Maser, Simone, « Baïf, traducteur des Psaumes », BHR, Tome XXXVIII,
2, 1976, 285-297
Maskell, David, « Robert Gaguin and Thomas More, translators of Pico
della Mirandola », BHR, Tome XXXVII, 1, 1975, 63-68
Mason, Shirley, « Viret adapted by Viret : the re-use of De la Difference
in Viret’s later Works », BHR, Tome L, 3, 1988, 623-635
Mayer, Claude-Albert, « Encore une édition inconnue de Marot », BHR,
Tome XXVII, 3, 1965, 669-671
Mayer, Claude-Albert ; Bentley-Cranch, Dana, « Clément Marot, poète
pétrarquiste », BHR, Tome XXVIII, Tome I, 1966, 32-51
Mayer, Claude-Albert, « Marot et Celle qui fut s’Amye », BHR, Tome
XXVIII, 2, 1966, 369-376
Mayer, Claude-Albert, « Un manuscrit important pour le texte de
Marot », BHR, Tome XXVIII, 2, 1966, 417-426
Mayer, Claude-Albert, « Les œuvres de Marot : L’économie de l’édition
critique », BHR, Tome XXIX, 2, 1967, 357-372
Mayer, Claude-Albert, « Le premier sonnet français », RHLF, 1967/3,
481-493
Mayer, Claude-Albert ; Smith Pauline M., « La première épigramme
française : Clément Marot, Jean Bouchet et Michel d’Amboise. Définition, sources, antériorité », BHR, Tome XXXII, 3, 1970, 579-602
Mayer, Claude-Albert, « Prolégomènes à l’édition critique des Psaumes
de Clément Marot », BHR, Tome XXXV, 1, 1973, 55-71
Mayer, Claude-Albert, « Sur l’épigramme de Marot A Monsieur Crassus
(Epigramme CCXL) », BHR, Tome XLVIII, 2, 1986, 419-420
Mayer, Claude-Albert, « Le séjour de Marot en Savoie », RHLF, 1988/6,
1035-1046
McCarthy, John, A Thematic Guide to Optimality Theory, Cambridge University Press, 2002
McClelland, John, « Sonnet ou quatorzain ? Marot et le choix d’une
forme poétique », RHLF, 1973/4, 591-607
Moisan, Jean-Claude, « Clément Marot et Raphaël Regius : l’insertion de
la glose et du commentaire dans la traduction des Métamorphoses
d’Ovide », Acta Conventus Neo-Latini Hafniensis, Proceedings of the
Eigth International Congress of Neo-Latin Studies, Copenhagen 12 to 17
August 1991, éd. Rhoda Schnur, Medieval and Renaissance Text Studies, Tempe, Arizona, 1997, 685-697
418
« OVIDE VEUT PARLER »
Moisan, Jean-Claude, Malenfant Marie-Claude, « D’Ovide à Marot :
l’évolution des programmes narratifs dans les Métamorphoses », Clément Marot, Prince des poëtes françois. 1496-1996, Actes du Colloque
international de Cahors en Quercy, 1996, éd. Gérard Defaux et
Michel Simonin, Paris, Champion, 1997, 93-105
Monferran, Jean-Charles ; Rosenthal, Olivia, « Le Poème héroïque dans
les arts poétiques français de la Renaissance : genre à part entière ou
manière d’illustrer la langue ? », RHLF, 2000/2, 201-216
Mora, Francine, « Deux réception des Métamorphoses au XIVe et au
XVe siècle – Quelques remarques sur le traitement de la fable et de
son exégèse dans l’Ovide moralisé en vers et sa première mise
en prose », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 9 | 2002,
[En ligne], mis en ligne le 04 septembre 2007. URL : http://
crm.revues.org//76. Consulté le 20 novembre 2011
Moss, Ann, Ovid in Renaissance France : a survey of the Latin editions of
Ovid and commentaries printed in France before 1600, Warburg Institute,
University of London, 1982
Moss, Ann, « Being in Two Minds : the Bilingual Factors in Renaissance
Writing », Acta Conventus Neo-Latini Hafniensis, Proceedings of the
Eigth International Congress of Neo-Latin Studies, Copenhagen 12 to 17
August 1991, éd. Rhoda Schnur, Medieval and Renaissance Text Studies, Tempe, Arizona, 1997, 61-74
Mounin, Georges, Les Belles Infidèles, Paris, Cahiers du Sud, 1955
Mounin, Georges, Les Problèmes théoriques de la traduction, Paris, Gallimard, 1963
Mühlethaler, Jean-Claude, « Entre amour et politique : métamorphoses
ovidiennes à la fin du Moyen Âge », Cahiers de recherches médiévales
et humanistes, 9 | 2002, [En ligne], mis en ligne le 04 septembre 2007.
URL : http://crm.revues.org//76. Consulté le 20 novembre 2011
Munday, Jeremy, Introducing translation studies, London and New York,
Routledge, 2001
Neruda, Pablo, J’avoue que j’ai vécu, Paris, Gallimard, 1975
Norton, Glyn P., The Ideology and language of translation in Renaissance
France, Genève, Droz, 1984
Optimality Theory. An overview, éd. Diana Archangeli et D. Terence Langendoen, Oxford, Blackwell Publishers, 1997
Oseki-Dépré, Inès, « Parallèle et horizon d’attente », Revue de littérature
comparée 2001/2, no 298, 275-283
Oseki-Dépré, Inès, « Théories et pratiques de la traduction littéraire en
France », Le Français aujourd’hui, 2003/3, no 142, p. 12
BIBLIOGRAPHIE
419
Pergnier, Maurice, Les fondements sociolinguistiques de la traduction, PU
Lille, 1993
Poétiques de la Renaissance, dir. Perrine Galand-Hallyn et Fernand
Hallyn, Genève, Droz, 2001
Pollet, J. V., « Bucer et l’école », BHR, Tome XXVI, 3, 1964, 559-572
Possamai-Perez, Marylène, « Les Dieux d’Ovide moralisés dans un
poème du commencement du XIVe siècle », Bien dire et bien apprendre,
t. 12, 1994, 203-214
Possamai-Perez, Marylène, L’Ovide moralisé, Paris, Champion, 2006
Possamai-Pérez, Marylène, « Ovide au Moyen-âge », 2008, [En ligne],
mis en ligne le 28 avril 2009 URL : http://halshs.archivesouvertes.fr/halshs-00379427/fr. Consulté le 20 novembre 2011
Post, R. R., « Quelques précisions sur l’année de la naissance d’Erasme
(1469) et sur son éducation », BHR, Tome XXVI, 3, 1964, 489-509
Pouilloux, Jean-Yves, « Problèmes de traduction : L. Le Roy et le Xe livre
de la République », BHR, Tome XXXI, 1, 1969, 47-66
Preisig, Florian, « Marot et la traduction de la première églogue », Clément Marot, Prince des poëtes françois. 1496-1996, Actes du Colloque
international de Cahors en Quercy, 1996, éd. Gérard Defaux et
Michel Simonin, Paris, Champion, 1997, 49-56.
Preisig, Florian, Clément Marot et les métamorphoses de l’auteur à l’aube de
la Renaissance, Paris, Droz, 2004
Rawles, Stephen, « An un-recorded edition of the works of Clément
Marot printed by Denis Janot », BHR, XXXVIII, 3, 1976, 485-488
Reid, Jonathan A., King’s Sister – Queen of Dissent. Marguerite de Navarre
(1492-1549) and her Evangelical Network, Leiden-Boston, Brill, 2009
Rener, Frederick M., Interpretatio : language and translation from Cicero to
Tytler, Amsterdam – Atlanta GA, Rodopi, 1989
Reuben, Catherine, La Traduction des Psaumes de David par Clément Marot,
Paris, Champion, 2000
Ribémont, Bernard, « L’Ovide moralisé et la tradition encyclopédique
médiévale », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 9 | 2002,
[En ligne], mis en ligne le 04 septembre 2007. URL : http://
crm.revues.org//76. Consulté le 20 novembre 2011
Rickard, Peter, La Langue française au seizième siècle / Etude suivie de textes,
Cambridge University Press, 1968
Rigolot, François, « Ronsard et Muret : les pièces liminaires aux
« Amours » de 1553 », RHLF, 1988/1, 3-16
420
« OVIDE VEUT PARLER »
Rigolot, François, « Clément Marot et l’émergence de la conscience littéraire au XVIe siècle », La Génération Marot. Poètes français et néo-latins.
1515-1550, Actes du Colloque international de Baltimore, 1996, éd.
Gérard Defaux, Paris, Champion, 1997, 21-34
Rigolot, François, Le texte de la Renaissance, Genève, Droz, 1982
Robey, David, « Humanism and education in the early Quattrocento :
The De ingenuis moribus of P. P. Vergerio », BHR, Tome XLII, 1, 1980,
27-58
Rouget, Jean, « La Bibliothèque d’Antoine du Verdier et la question poétique : vers une première réception de La Pléiade à la fin du
XVIe siècle », RHLF, 2002/4, 531-544
Routledge Encyclopedia of Translation Studies, éd. Mona Baker, London
and New York, Routledge, 2000
Salama-Carr, Myriam, « French tradition », Routledge Encyclopedia of
Translation Studies, éd. Mona Baker, London and New York, Routledge, 2000, 409-417
Sandre, Thierry, La Touchante Aventure de Héro et Léandre, Amiens, Librairie Edgar Malfère, 1924
Saulnier, Verdun-Louis, « Marguerite de Navarre, Catherine de Médicis
et les Psaumes de Marot. Autour de la lettre dite de Villemadon »,
BHR, Tome XXXVII, 3, 1975, 349-376
Scollen, Christine M., « Octovien de Saint-Gelais’ translation of the
Aeneid : poetry or propaganda ? », BHR, Tome XXXIX, 2, 1977, 253261
Screech, M.A., « Greek in the College trilingue of Paris and the Collegium
Trilinguae at Louvain : A propos of Professor O. Reverdin’s Lecture at
the Collège de France », BHR, Tome XLVIII, 1, 1986, 85-90
Screech, M. A., « Il a mangé le lard (What Marot said and what Marot
meant) », BHR, Tome XXVI, 2, 1964, 363-364
Secret, F., « La traduction de L’Axiochus par Guillaume Postel », BHR,
Tome XXVIII, 1, 1966, 109-111
Sharratt, Peter, « Ronsard et Pindare : un écho de la voix de Dorat »,
BHR, XXXIX, 1, 1977, 97-114
Skenazi, Cynthia, « De Virgile à Marot : L’Eglogue au roy, soubs les noms
de Pan & Robin », Clément Marot, Prince des poëtes françois. 1496-1996,
Actes du Colloque international de Cahors en Quercy, 1996, éd.
Gérard Defaux et Michel Simonin, Paris, Champion, 1997, 57-66
Smith, Pauline M, « Marot et la Tourve (Eglogue I) », BHR, Tome XLIX,
2, 1987, 367-369
BIBLIOGRAPHIE
421
Soleil du soleil, Anthologie du sonnet français de Marot à Malherbe, éd.
Jacques Roubaud, Paris, Gallimard, 1990
Steiner, Georges, Après Babel, Paris, Gallimard, 1998
Sukic, Christine, « Ample transmigration : George Chapman, traducteur
d’Homère en anglais », Etudes anglaises 2007/1, 3-14.
Telle, Emile V., « L’éloge parallèle de Charles-Quint et de François Ier »,
BHR, Tome XXXVI, 3, 1974, 611-612
Telle, Emile V., « Epître de Dolet à son édition des Tusculanes », BHR,
Tome XLI, 1, 1979, 99-107
Telle, Emile V., « Un manifeste anti-irénique à la veille de la SaintBarthélémy. », BHR, LIII, 3, 1991, 695-707
Tesnière, Lucien, Eléments de syntaxe structurale, deuxième édition, Paris,
Klincksieck, 1982
The Cambridge Companion to Ovid, éd. Philip Hardie, Cambridge University Press, 2002
Thomas, David H., « Notes sur les premières traductions françaises des
Dialogues de Jean-Louis Vivès », BHR, XLVI, 1, 1984, 131-151
Traduction et adaptation en France à la fin du Moyen Age et à la Renaissance,
éd. Charles Brucker, Paris, Champion, 1997
Trinquet, Roger, « Nouveaux aperçus sur les débuts du Collège de
Guyenne. De Jean de Tartas à André de Gouvéa », BHR, Tome XXVI,
3, 1964, 510-558
Tripet, Arnaud, « Situation de Pétrarque », BHR, XXVIII, 1, 1966, 7-25
Trudeau, Danielle, « L’ordonnance de Villers-Cotterêts et la langue française : histoire ou interprétation ? », BHR, tome XLV, 3, 1983, 461-472
Van Elslande, Jean-Pierre, « Philologie et pédagogie : sœurs ennemies
et complices de toujours », RHLF, 2014/4, 771-787.
Vianey, Joseph, Le Pétrarquisme en France au XVIe siècle, Montpellier, 1909
Voll, Hermann, Clément Marots Metamorphoseübersetzung. Untersuchung
zu Marots Übersetzungstechnik, Erlangen, 1954 (thèse non publiée)
Weber, Henri, La création poétique, Paris, Nizet, 1955
Weinberg, Bernard, Critical Prefaces of the French Renaissance, Evanston,
Northwestern University Press, 1950
Wilhelm, Jane Elisabeth, « Ecrire entre les langues : traduction et genre
chez Nancy Huston », Palimpsestes [En ligne], 22 | 2009, mis en ligne
le 01 octobre 2011, URL : http://palimpsestes.revues.org/207.
Consulté le 01 avril 2013.
422
« OVIDE VEUT PARLER »
Williams, Anwyl, « Clément Marot and Petrarchism : critical progress ? », French Studies, Volume XXXIX, no 1, 1985, 1-17
Worth, Valérie, « A bilingual edition of Cicero’s Epistolae ad familiares »,
BHR, Tome L, 1, 1988, 77-80
Worth, Valérie, Practising translation in Renaissance France : the example of
Etienne Dolet, Oxford, Clarendon press, 1988
Zaercher, Véronique, « Entre dispute et conciliation : stratégies et figures
du « consensus » dans le dialogue de la seconde moitié du
XVIe siècle », RHLF, 2001/5, 1331-1348
Zuber, Roger, Les « belles infidèles » et la formation du goût classique, Paris,
Albin Michel, 1995
INDEX NOMINUM
A
Alexandre le Grand, 45
Amherdt, David, 70
Amielle, Ghislaine, 29n, 33n, 40,
197, 198, 199, 200, 201, 205, 210,
260, 314, 338
Amyot, Jacques, 130
Aneau, Barthélemy, 24, 26, 27n, 46,
47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 129, 144,
196, 228, 238, 244, 245, 254, 260,
279, 309, 312, 314, 318, 321, 330,
331, 338
Apulée, 83
Aristote, 66
Ascham, Roger, 138, 139
Auguste, 78
B
Bade, Josse, 29n
Baudelaire, Charles, 131, 258
Béguelin, Marie-José, 183, 186,
188n
Bembo, Pietro, 66
Bentley-Cranch, Dana, 291
Berman, Antoine, 81, 102, 121, 130,
332, 333, 335, 336
Beroalde, Philippe, 27n
Berquin, Louis de, 56
Bersuire, Pierre, 39, 40, 48
Boileau, Nicolas, 85
Bonnefoy, Yves, 130, 131, 262, 263,
264, 267
Borges, Jorge Luis, 35, 127, 331
Bovelles, Charles de, 66
Boyssoné, Jean de, 28, 85, 86
Briçonnet, Guillaume, 305
Brückner, Thomas, 271
Bruni, Leonardo, 54, 66, 81, 110,
115n
Bruno, Giordano, 81
Brunot, Ferdinand, 100
Bucer, Martin, 305
Budé, Guillaume, 21, 29, 55, 56, 57,
58, 59, 60, 61, 62, 63, 66, 80, 91,
329
Byron, George Gordon, Lord, 283
C
Calepino, Ambrogio, 87n
Calvin, Jean, 305
Campensis (Jan Van Campen),
305, 309
Castellion, Sébastien, 70
Céard, Jean, 72, 304
Cellini, Benvenuto, 80
Cerquiglini-Toulet, Jacqueline, 103
Cervantès, Miguel, 53
César, Jules, 66
Chapman, George, 130
Charles Quint, 78, 79
Chavy, Paul, 48, 82, 282
Chomsky, Noam, 119
Chrétien de Troyes, 31
Chrysolas, Manuel, 54
Cicéron, 28n, 66, 71, 85, 90, 109,
110, 115, 117, 124
424
« OVIDE VEUT PARLER »
Claude de France, 79
Clément VII, 79
Clive, H. P., 78
Colin, Jacques, 60
Colombat, Bernard, 70, 71
Cooper, Richard, 23, 73, 74
Cordier, Mathurin, 70
Corneille, Thomas, 24, 314, 317,
318, 319, 321, 322, 323, 324, 326,
327
Corrozet, Gilles, 291, 293
Cottrell, Robert, 315
Crinito, Pietro, 29n
Croizy-Naquet, Catherine, 36
D
d’Espence, Claude, 69
Dal Pozzo, Francisco, 208
David, 307, 308
de Marquets, Anne, 69
de Reyff, Simone, 39
Defaux, Gérard, 13, 15n, 28n, 64,
73, 74n, 75, 77, 78, 85, 86, 88, 98,
128, 129, 141, 142, 149, 166, 169,
170, 174, 175, 227, 228, 229, 230,
275, 282, 290, 291, 292, 298, 298n,
304, 306, 307, 309, 312, 315
Del Sarto, Andrea, 80
Delexi, Jacques, 28n, 85, 86
Demerson, Guy, 86, 228, 230
Démosthène, 66, 124
Des Masures, Louis, 49
Dimmick, Jeremy, 30, 31, 32
Diodore, 241, 243
Dolet, Etienne, 17, 18, 22, 64, 65,
69, 71, 91, 105, 110, 111, 112, 113,
114, 115, 116, 117, 119, 120, 121,
124, 143, 165, 230, 234, 297n, 316,
330, 331, 332, 335, 336
Dorat, Jean, 69, 90
Dostoïevski, Fedor, 84
Du Bartas, Guillaume, 326
Du Bellay, Guillaume (Monseigneur
de Langeais), 64
Du Bellay, Joachim, 23, 49, 64, 65,
69, 71, 85, 105, 114, 122, 123, 124,
125, 126, 127, 212, 219, 255, 256,
257, 336
Du Pré, Galliot, 76
Dubois, Jacques, 66, 92, 93, 95
E
Ebert, Friedrich Adolph, 280
Eco, Umberto, 21n, 132, 133, 154n,
165, 174, 183, 189, 190, 195, 264
Eléonore de Habsbourg, 74, 79
Erasme, 21, 54, 55, 57, 58, 59, 63,
71, 77, 276, 298, 300, 303, 304
Estienne, Robert, 92, 93, 95, 96, 97
Ezéchiel, 41
F
Ficin, Marcile, 57
Florio, John, 130
François Ier, 14, 15n, 16, 22, 24, 25,
53, 54, 55, 56, 57, 59, 60, 61, 64,
72, 74, 75, 77, 78, 79, 80, 82, 83,
84, 86, 87, 89, 91, 110, 261, 266,
292, 312, 329
Fumaroli, Marc, 71
G
Gadoffre, Gilbert, 29, 55, 56, 57, 58,
59, 63, 79, 91
Galland, Pierre, 91
Gaudu, F., 23n, 74
Genette, Gérard, 116n
Gérard, Jean, 307
Giraud, Yves, 70
Girot, Jean-Eudes, 282, 283, 284,
287, 290
Gois, Antoine de, 307
425
INDEX NOMINUM
Grands Rhétoriqueurs, 28, 108n,
148
Gravelle, Sarah Stever, 57n
Greenblatt, Stephen, 22, 126, 127
Grévin, Jacques, 69
Gryphe, Sébastien, 29n, 281
Guillaume Michel de Tour, 24, 65,
107, 108, 109, 121, 196, 274, 312,
331, 335
Guillerm, Luce, 61, 62
Gundolf, Friedrich, 128
H
Habert, François, 24, 49, 314, 315,
316, 317, 318, 321, 322, 323, 325
Herberay, Nicolas de, 293
Hérodote, 66, 240
Héroët, Antoine, 57
Hölderlin, Friedrich, 67n, 117,
275n
Homère, 66, 76, 124, 130, 227n
Horace, 106, 108, 109, 110, 117, 119,
140, 234, 273, 274, 331
Hugo, Victor, 13, 129
Humboldt, Wilhelm, 119
Hunkeler, Thomas, 57
I
Isocrate, 66
J
Jacopin, Paul, 55
Jakobson, Roman, 119
Jeanneret, Michel, 309n
K
Keats, John, 130
Kerbrat-Orechioni, Catherine, 162,
211
L
La Pléiade, 63, 64, 122, 123, 128
Lafaye, Georges, 134, 166, 174,
206n, 243, 244, 248, 251, 279
Lagrée, Jacqueline, 55
Lamarque, Henri, 209
Laure, 295
Lavinius, 27n, 209, 210, 235, 240
Lefèvre d’Etaples, Jacques, 66, 305
Lemaire de Belges, Jean, 53, 88, 89
Léonard de Vinci, 80
Leopardi, Giacomo, 132
Lestringant, Frank, 92, 101
Longeon, Claude, 69
Louis XII, 60, 80, 89
Lucain, 44
Lucien, 82
Luck, Georg, 89, 179, 180, 181, 227
M
Macault, Antoine de, 283
Magnien, Michel, 28n, 85, 86
Malenfant, Marie-Claude, 199,
200, 201, 202, 205, 206, 207, 208,
210, 279, 309n, 338
Mallarmé, Stéphane, 131
Manetti, Giannozzo, 54, 81
Manuce, Alde, 280
Mara, Guillaume de, 280, 281, 285,
288, 329
Maréchaux, Pierre, 25n, 86, 199,
208, 209, 210, 214, 215, 219, 227,
237, 338
Marguerite de Navarre, 89, 290
Marie de France, 31, 32
Marot, Jean, 14, 15, 28, 88, 89, 263
Mathieu, Abel, 100,
Mayer, Claude-Albert, 15n, 73, 291,
307
Meigret, Louis, 20n, 92, 93, 95, 98,
100
426
« OVIDE VEUT PARLER »
Ménage, Gilles, 337
Millet, Olivier, 64, 114, 122
Moisan, Jean-Claude, 50, 199, 200,
201, 202, 205, 206, 207, 208, 210,
237, 240, 260, 279, 309n, 338
Moïse, 303
Monferran, Jean-Charles, 68
Moss, Ann, 27n, 48, 210
Mounin, Georges, 118, 125, 147,
255n, 336, 337
Mühlethaler, Jean-Claude, 34
Musée, 77, 128, 276, 280, 281, 283,
286, 288, 290, 304, 306
Musurus, Marcus, 280, 281, 283,
284, 285, 286, 288, 306
N
Norton, Glyn P., 54, 106, 110, 117,
138, 139, 170, 195, 196, 331, 332
O
Olivétan, Pierre, 305
P
Palsgrave, John, 92, 93, 95, 96, 98
Palude, Maxime, 27n, 29n
Parrhasius, 27n
Peletier du Mans, Jacques, 21, 67,
93
Pellican, Conrad, 305
Pétrarque, 22, 66, 69, 77, 80, 81, 82,
124, 276, 291, 292, 293, 294, 295,
296, 297,297n
Philippe II, 78
Pindare, 90
Platon, 45, 57, 66
Pline, 138, 139,
Poe, Edgar Allan, 131
Pornas, Francois, 51
Pornas, Leonard, 51
Possamai-Perez, Marylène, 30, 31,
32, 35, 36, 37
R
Rabelais, François, 85, 91, 107
Ramée, Pierre de la, 100
Regius, 26, 27, 58, 86, 87, 140,
151, 157, 180, 181, 199, 202,
208, 209, 210, 212, 214, 215,
218, 219, 220, 221, 222, 227,
235, 237, 238, 239, 240, 242,
245, 250, 276, 288, 329
Reuben, Catherine, 305, 306
Rhodiginus, 27n
Rickard, Peter, 83
Roffet, Pierre, 13
Ronsard, Pierre de, 85, 90
Rosenthal, Olivia, 68
Roubaud, Jacques, 292, 293
143,
205,
217,
231,
244,
S
Saint Jérôme, 54, 55
Saint-Gelais, Mellin de, 293, 297n
Saint-Gelais, Octovien de, 24, 49,
65, 83, 110, 269, 271, 273, 274,
275, 331
Salel, Hugues, 282
Salluste, 66
Salmonius, 76
Salutati, 22
Sandre, Thierry, 288
Sannazare, Jacques, 66
Saulnier, Verdun-Louis, 107
Saussure, Ferdinand de, 119
Schiller, Friedrich, 283
Schlegel, August Wilhelm, 128
Sebastiano, Fausto, 81
Sébillet, Thomas, 21, 67, 68
Sextus Pompée, 143
Seyssel, Claude de, 60, 61, 62, 83,
110, 282, 329
427
INDEX NOMINUM
Shakespeare, William, 69, 84, 116,
117, 128
Sharratt, Peter, 90
Simonin, Michel, 28n
Sophron, 45
Steiner, George, 92, 110, 115, 116,
119, 128, 131, 147,
Suetone, 83
Swift, Jonathan, 334
Vianey, Joseph, 291
Vierge Marie, 35, 36
Villon, François, 102, 103
Virgile, 16, 66, 76, 83, 88, 107, 108,
121, 122, 124, 125, 227, 270, 273,
274
Vivès, 70
Vogüé, Melchior de, 84
Voll, Hermann, 208n, 264n
Voltaire, 84
T
Tardieu, Jean, 67n, 117, 275n
Tesnière, Lucien, 183, 184, 195
Thomas, David H., 70
Thucydide, 66
Tory, Geoffroy, 282
W
Wechel, Christian, 281, 282, 283,
284, 286, 288
Whorf, Benjamin Lee, 119
Williams, Anwyl, 291
Wittgenstein, Ludwig, 131
V
Valla, Lorenzo, 57n, 60
Vatable, François, 305
Vatelle, Jean, 280, 281, 283, 288, 329
Vaugelas, Claude Favre de, 92,
101, 318
X
Xenophon, 326
Z
Zuber, Roger, 71, 101, 130, 336, 337
INDEX RERUM
A
A Silvia, 132, 133
Abbatis et Eruditae, 298, 300, 303
Abide, 289
Actéon, 15n, 37, 39
Adam, 43
Advertissement sur les jugements
d’Astrologie à une studieuse
damoyselle (Mellin de SaintGelais), 297n
Affaire des Placards, 76
Age d’Or, 164
Age de Fer, 197, 198, 218
Amarillis, 107, 108
Amboise, 15n, 16, 73, 80
Amphitrite, 46, 47, 209, 219
Amphrysos, 163
Angleterre, 84
Anius, 272
Antileguleitas, 28n, 84
Anvers, 307
Après Babel, 115, 131, 147
Aquilon, 214, 322
Arcadie, 43, 278
Argus, 43, 175, 200, 201, 202, 207
Ars d’amours, 32
Art d’aimer (Ovide), 32
Art Poétique (Boileau), 85
Art Poétique (Horace), 106, 112
Art poétique (Peletier), 67
Art poétique françois (Sébillet), 68
Astrée, 197
Athéna, 56
Aurore, 289
Auster, 134, 184, 254, 322
B
Bacchus, 42, 240
Béotie, 240
Bible des poëtes, 21, 25, 40, 41, 42,
44, 45, 46, 47, 48, 50, 52
Bible, 41, 305, 329
Blois (château), 80
Bodleian Libraries, 23, 74
Boreas, 133
Bucoliques (traduction de
Guillaume Michel), 65, 83
C
Cahors, 88
Caïn, 235
Callisto, 200, 278
Cambridge, 334
Chambord (château), 80
Chaos, 170, 171, 209, 327
Ciceronianus (Dolet), 28, 58, 330
Cinquante Psaumes (traduction de
Marot), 77, 307
Cligès (Chrétien de Troyes), 31
Colloques d’Erasme (traduction de
Marot), 77, 298, 299, 300, 301
Colloquia (Erasme), 303, 311
Colloquia (Mathurin Cordier), 70
Commentarii linguae latinae (Budé),
55
Crète, 43
430
« OVIDE VEUT PARLER »
Cupidon, 200
Cybèle, 42
Cyclopes, 153, 154, 155, 157, 158,
160, 161, 231
Cymbeline (Shakespeare), 115
Danaé, 39
Daphné, 25, 35, 36, 37, 43, 44, 46,
47, 102, 149, 228, 232, 233, 247,
248, 250, 251, 253, 258, 261, 265,
324, 325, 326,
De Honesta disciplina (Crinito), 29n
De Imitatione ciceroniana (Dolet), 71
De Interpretazione recta (Bruni),
81n, 115n
De Oratore (Cicéron), 123
De Philologia (Budé), 56,
De Poetis latinis (Crinito), 29n
De Rerum Natura, 126,
Défense et illustration de la langue
française, 64, 65, 69, 105, 114, 122,
123, 124, 125, 336,
Délos, 271
Déploration sur le Trespas de Messire
Florimond Robertet, 76
Deucalion, 39, 43, 163, 165, 166,
239, 240
Dialogi sacri (Castellion), 70
Diane, 42, 43, 237
Diodore de Sicile (traduction de
Claude de Seyssel), 83
Discours de Démosthène et d’Eschine
(Cicéron), 109
Divine Comédie, 311
Dizain « Sur le Thucydide de
Claude de Seyssel », 60
Don Quichotte, 53
Dryades, 319, 320
Egypte, 241, 243
Enée, 269, 271, 273
Enéide (traduction de SaintGelais), 49, 65, 110, 269, 273, 274
Enéide, 49, 68, 83, 122, 275
Enipée, 163
Eole, 151, 153, 154, 155, 161
Epaphus, 43, 200, 242
Epigramme de Salmonius mys de
Latin en Françoys, 15n, 77, 196
Epigramme « Plaise au roy de
congé me donner », 77
Epistolae ad familiares (Cicéron, édition Dolet), 71
Epître « A Monseigneur de Langeais » (Dolet), 64, 65
Epître « A Monseigneur de Lorraine
nouvellement venu à Paris », 19,
73, 74
Epître « A ses Disciples », 98
Epître « A un grand nombre de
frères », 88
Epître « Au Roy », 89
Epître « Au tresvertueux prince,
François, Daulphin de France »,
86
Epître du Coq en Lasne à Lyon Jamet
de Sansay en Poictou, 76, 301
Epître « Plaise au roy congé me
donner », 87
Eridan, 163
Erinys, 167, 315, 316, 317, 318
Escorial, 78
Esculape, 42
Espagne, 56
Europe, 80
Eurus, 133, 213, 321, 322
Exercitatio linguae Latinae sive Colloquia (Vivès), 70
E
F
D
Eas, 163
Echo, 108, 319, 320
Ferrare, 75, 76, 77, 291
Fontainebleau, 78
431
INDEX RERUM
France, 59, 62, 76, 78, 79, 80, 81, 88,
293, 329
G
Genèse, 37, 126
Genève, 77, 307
Géorgiques (traduction de
Guillaume Michel), 65, 83
Grand Olympe, 21, 26, 40, 41, 44, 45,
46, 47, 48, 65, 110, 198
Grèce, 66
Guerre de Troye, 33, 42
H
Habsbourg (dynastie), 80
Hamlet, 84, 126
Hellespont, 283
Hercule, 42
Héro, 285, 286, 287, 289, 290
Héroïdes, 33, 281
Histoire Ancienne jusqu’à César, 33
Histoire de Leander et Hero, 77, 128,
129, 280, 281, 283, 284, 286, 290,
305, 311, 329
I
Iliade, 45, 68, 126
Imagination poétique, 48, 279
Inachus, 43
Io, 200, 218, 234, 236, 240, 241, 242,
257, 259, 323
Isis, 241, 242
Italie, 43, 44, 76, 79, 81, 82, 100,
282, 291
J
Janus, 43
Jugement de Minos, 15
Junon, 42, 43, 200, 218, 234, 236,
259, 278, 323
Jupiter, 42, 43, 44, 144, 145,
151, 157, 162, 163, 166, 168,
180, 218, 221, 230, 231, 234,
236, 241, 242, 259, 260, 278,
289, 315, 323, 324
146,
169,
235,
279,
K
King James Bible, 333, 334, 335, 336
L
L’Adolescence clementine, 13, 75, 76,
81, 88, 102
L’Ane
d’or
(traduction
de
Guillaume Michel), 83
L’Enfer, 76, 88
La Manière de bien traduire d’une
langue en l’autre, 64, 65, 71, 91,
102, 105, 110, 111, 115, 121, 330,
331, 332
La Mort de César, tragédie de Voltaire, 84
La Suite de l’Adolescence, 13, 76, 81,
307
Ladon, 175, 176, 201
Lancelot, 32
Le Banquet, 57
Le Bon Usage (Goose/Grévisse),
94, 183
Le Chant des Visions de Pétrarque,
15n, 77, 80, 81, 82
Le Corbeau (Edgar Allan Poe), 131
Le grand combat des ratz et des grenouilles, 283
Le Roman de la Rose (édition
Marot), 102
Le Sixiesme Psaulme de David, 307,
309
Léandre, 284, 285, 286, 287, 289,
290
Les belles infidèles (corpus), 105,
130, 336, 337
432
« OVIDE VEUT PARLER »
Les Prisons (Marguerite de
Navarre), 39
Les Psaumes de David (Marot), 307
Les Trois Premiers Livres de la Metamorphose d’Ovide (Aneau), 48,
49, 51, 52
Livre des rois, 41
Londres, 84
Louvre, 55
Luna, base de données, 74
Lycaon, 37, 38, 43, 44, 45, 46,167,
216, 217, 221, 256, 257
Lyon, 71, 75, 304
N
Nabathe, 133, 213, 321, 322
Naïades, 319, 320
Naples, 33
Narcisse, 318
Neptune, 42, 145, 146, 172, 173,
174, 179, 180, 181, 231, 249, 272
Nérac, 76
Nérée, 235
Néréides, 210, 272
Nil, 242, 243, 244
Noé, 240
Nouveau Testament (traduction
d’Erasme), 54, 63
M
Macbeth, 117
Madrid, 79
Marignan, 79
Mars, 42
Memphis (Egypte), 241
Mercure, 42, 43, 175, 200, 201, 202,
205, 207, 208, 231
Métamorphoses d’Ovide mise en vers
français (traduction de Thomas
Corneille), 318,
Métamorphoses, 14, 15, 19, 25, 27,
29, 30, 31, 33, 37, 38, 40, 41, 44,
47, 48, 49, 52, 53, 57, 65, 71, 78,
84, 87, 195, 196, 197, 199, 213,
227, 228, 262, 267, 280, 284, 307,
314, 322, 326, 329, 330, 337
Milan, 79
Minerve, 42
Mouseïon, 55, 56, 57, 61, 329
ms. Douce 117, 23, 74, 140, 141,
144, 145, 146, 148, 149, 151, 157n,
159, 160, 164, 165, 166, 167, 168,
170, 171, 174, 175, 176, 179, 212,
216, 220, 233, 235, 239, 247, 248,
251, 252
O
Odyssée, 132, 133
Œuvres de François Villon (édition
Marot), 76, 102, 103
Oraison contemplative devant le crucifix, 15n, 77, 82, 276
Orateur français (Dolet), 65, 66, 67,
111, 114, 115
Orationes (Dolet), 71
Ovide moralisé, 21, 26, 33, 35, 36, 37,
38, 39, 40, 41, 44, 46, 47, 48, 50,
52, 83, 329
Ovidius moralizatus, 32, 40, 48
Oxford, 334
P
Paix de Cambrais, 79
Palimpsestes (Genette), 116n
Pan, 42, 175, 201, 202, 207
Pandectes (Budé), 62
Pantagruel, 108
Paris, 75, 78, 304
Parnasse, 239, 240
Pavie, 79, 80
Pénée, 232, 258
433
INDEX RERUM
Perse, 133, 213, 321, 322
Phaéton, 43, 200, 242, 277, 278
Phébus (Apollon), 25, 42, 43, 47, 51,
102, 149, 172, 194, 200, 222, 228,
233, 240, 248, 257, 258, 272, 277
Phocide, 239
Pierre Ménard (Borges), 35, 53,
127, 331
Pluton, 42
Pompéï, 144
Posthumus, 115
Première églogue, 15n, 77, 88, 107,
195, 274, 276n
Préparation de voie à la lecture, et
intelligence de la Metamorphose
d’Ovide (Aneau), 26, 51, 52
Psalterium gallicum, 306
Psalterium hebraicum, 306
Psalterium romanum, 306
Psaumes, 77, 276, 284, 304, 305, 306,
309, 312, 329
Psautier huguenot, 304
Pseaulme premier, à deux versetz
pour couplet à chanter, 311
Pseaulme Unzieme, à deux coupletz
differents de chant, chascun couplet
d’ung verset, 310
Pyrame et Thisbé, 16n, 25, 102, 228
Pyrrha, 43, 163, 165, 166, 239
Pythia, 47
Python, 43, 265
S
Querelle des Anciens et des
Modernes, 67n, 317
Quincuplex (Lefèvre d’Etaples),
305, 306
Quintil Horacien, 314
Saturne, 42, 43, 44, 234
Savoie, 19, 77
Scythie, 133, 322
Second livre de Amadis de Gaule, 293
Second Livre de la Metamorphose
d’Ovide, 76, 78, 276, 278, 280
Sémélé, 39
Sepmaine (Du Bartas), 326, 327
Septième guerre d’Italie, 79
Seste, 289
Sicile, 157
Six livres de la Métamorphose (traduction de Habert), 49
Six sonnets (traduction de Marot),
76, 293
Sonnet à Mme de Ferrare, 296, 297
Sonnet « A une dame » (SaintGelais), 297n
Sonnet « Au Lecteur » (Nicolas de
Herberay), 293
Sonnet « D’un présent de roses »
(Saint-Gelais), 297n
Sonnet de la différence du Roy et de
l’empereur (Marot), 297n
Sonnet « Il n’est point tant de
barques à Venise » (SaintGelais), 297n
Sonnet Pour le May Planté par les
Imprimeurs de Lyon devant le
Logis
du
Seigneur
Trivule
(Marot), 297n
Sperche, 163
Styx, 198, 235, 236, 237, 241, 242,
319, 320
Syrinx, 43, 175, 201, 202, 207
R
T
Q
Recueillement (Baudelaire), 258
Rome, 66
Rondeau en rimes, 148
Tempé, 163
Temple de Cupido, 15
The Scholemaster (Roger Ascham), 138
434
« OVIDE VEUT PARLER »
Thémis, 43
Thucydide (traduction de Claude
de Seyssel), 60, 61, 83
Titan, 43
Tityre, 107, 108, 109
Tombeau de Laure, 75, 80
Traité de Madrid, 79
Trente Psaumes (traduction de
Marot), 77, 307
Tristes vers, 15n, 77, 82, 276n
Triton, 171, 172, 173, 174
Troisième Livre (traduction de Barthélemy Aneau), 314
Turin, 77
Tusculanes, 115
U
Ulysse, 132
Vesper, 133, 134, 247, 321, 322
Vies (traduction de Guillaume
Michel), 83
Virgo poenitens, 298, 300
Virgo μισόγαμος, 298, 299, 301, 303
Vulcain, 42, 241
Vulgate, 55
W
Westminster, 334
X
Xénophon (traduction de Claude
de Seyssel), 83
Z
V
Venise, 76
Vénus, 42, 43, 269, 284, 285, 286, 290
Zephyrus, 133, 134, 165, 184, 247,
321, 322
CRÉDITS
Le ms. Douce 117 est publié avec l’aimable autorisation des
Bodleian Libraries (Université d’Oxford).
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS.........................................................................
9
ABRÉVIATIONS ET ADAPTATIONS.........................................
11
INTRODUCTION ...........................................................................
Transmuer ung transmueur.....................................................
Œuvre en mon labeur Poëtique..............................................
13
13
18
CHAPITRE PREMIER
QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU
PREMIER LIVRE.............................................................................
25
Autour de l’Ovide moralisé .......................................................
Humanisme et traduction ........................................................
« Decoration grande en nostre langue »................................
30
53
64
CHAPITRE II
LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION
MAROTIQUE ..................................................................................
73
Une situation chronologique doublement stratégique .......
Les outils du traducteur...........................................................
75
84
CHAPITRE III
LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES
POÈTES ?.......................................................................................... 105
Une analyse encore pertinente aujourd’hui : Dolet ............ 111
L’aporie fondamentale : Du Bellay......................................... 122
Réfuter Du Bellay ...................................................................... 126
438
« OVIDE VEUT PARLER »
CHAPITRE IV
IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU
PREMIER LIVRE............................................................................. 137
Le ms. Douce 117 et l’économie de la traduction
marotique................................................................................ 140
Découper un passage en séquences ....................................... 151
La différence avec les unités de la syntaxe et de la
versification ............................................................................ 162
CHAPITRE V
INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT ........... 179
Choisir un modèle syntaxique ................................................
Des unités linguistiques aux opérations ...............................
Dénombrement de l’ajout et commentaires critiques .........
Etude systématique de l’ajout .................................................
183
189
196
210
CHAPITRE VI
RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR ........................ 227
La clarté.......................................................................................
Le rapport à l’érudition............................................................
Le rapport au latin ....................................................................
L’invention poétique .................................................................
229
237
245
255
CHAPITRE VII
APRÈS LE PREMIER LIVRE......................................................... 269
Les autres traductions de Marot............................................. 276
Les autres traductions en vers après Marot ......................... 314
CONCLUSION................................................................................ 329
ANNEXE
MS DOUCE 17 ................................................................................ 341
BIBLIOGRAPHIE............................................................................ 405
INDEX NOMINUM ....................................................................... 423
INDEX RERUM............................................................................... 429
CRÉDITS .......................................................................................... 435
Mise en page par
Pixellence/Meta-systems
59100 Roubaix