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LIBRAIRIE DROZ Ce travail est sous licence Creative Commons Attribution - pas d’utilisation commerciale - pas de modification 2.5 Suisse License. Pour obtenir une copie de la licence visitez http://creativecommons.org/licenses/ by-nc-nd/2.5/ch/ ou envoyez une lettre à Creative Commons, PO Box 1866, Mountain View, CA 94042, USA. This work is licensed under the Creative Commons Attribution - No commercial use - No modification 2.5 Suisse License. To view a copy of this license, visit http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.5/ch/ or send a letter to Creative Commons, PO Box 1866, Mountain View, CA 94042, USA. Pour toutes informations supplémentaires, merci de contacter l'éditeur : droits@droz.org For any additional information, please contact the publisher : rights@droz.org 11, rue Firmin Massot |1206 Genève-GE|0041 (0)22 346 66 66 (t)|0041(0)22 347 23 91(f)| droz@droz.org – www.droz.org Cahiers d’Humanisme et Renaissance No 134 David CLAIVAZ « OVIDE VEUT PARLER » Les négociations de Clément Marot traducteur DROZ Le présent ouvrage découle de la thèse de doctorat approuvée par la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg le 2 avril 2014. Il est publié avec le soutien du Conseil de l’Université de Fribourg et du Fonds national suisse de la recherche scientifique dans le cadre du projet pilote OAPEN-CH. www.droz.org ISBN : 978-2-600-04709-8 ISBN PDF : 978-2-600-14709-5 ISBN EPUB : 978-2-600-34709-9 ISSN : 1422-5581 This work is licensed under the Creative Commons Attribution No commercial use - No modification 2.5 Suisse License. To view a copy of this license, visit http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.5/ch/ or send a letter to Creative Commons, PO Box 1866, Mountain View, CA 94042, USA. © 2016 by Librairie Droz S.A., 11, rue Firmin-Massot, Genève. Ore legar populi perque omnia secula fama, Siquid habent ueri uatum preasagia : uiuam. On me lira de siècle en siècle, et s’il est vrai Qu’un poète peut voir l’avenir, je vivrai. Publius Ovidius Naso Metamorphoseon, Liber XV 1 Ménard, je me rappelle, déclarait que blâmer et faire l’éloge sont des opérations sentimentales qui n’ont rien à voir avec la critique. Jorge Luis Borges 2 It is a capital mistake to theorize before one has data. Insensibly one begins to twist facts to suit theories, instead of theories to suit facts. Sherlock Holmes 3 1 2 3 Ovide, Les Métamorphoses, éd. Georges Lafaye, trad. Olivier Sers, Paris, Les Belles Lettres, 2009, p. 754-755. Jorge Luis Borges, « Pierre Ménard, auteur du Quichotte », Fictions, Paris, Gallimard, 1983, p. 43. Arthur Conan Doyle, « A scandal in Bohemia », The Complete Sherlock Holmes, TheCompleteWorksCollection (Kindle Store), 2012, location 4260. A ma famille REMERCIEMENTS Je tiens à remercier en premier le professeur Thomas Hunkeler de l’Université de Fribourg pour le soutien et l’attention dont il a fait preuve à toutes les étapes de ma recherche. J’ai été à la fois touché et impressionné par la densité, la chaleur et la simplicité qu’il a su donner à nos échanges, à chacune de nos rencontres. Je suis tout spécialement reconnaissant à Mme Simone de Reyff : présente littéralement au premier jour de mes études à l’université de Fribourg, elle m’a accompagné jusqu’à leur terme actuel, avec un passage inoubliable par Oxford. Je m’incline devant sa passion du texte qui n’a d’égal que sa générosité. Je salue la mémoire du professeur Giraud qui a mis à ma disposition sa bibliothèque personnelle, ainsi qu’un volumineux fonds documentaire composé de nombreux numéros de la RHLF et de la BHR. Je lui dois également d’avoir pu publier les deux premières étapes de mon cheminement marotique. J’aimerais dire aussi à quel point je suis privilégié d’avoir pu bénéficier d’enseignements de haute tenue. Il y eut d’abord le Troisième Cycle de linguistique BENEFRI sous la direction de Marie-José Béguelin, Alain Berrendonner et Marc Bonhomme : nombre d’intuitions au cœur de mon travail sont nées de la rencontre avec les chercheurs invités. Quelques années plus tard, l’Ecole Doctorale CUSO, organisée conjointement par Frédéric Tinguely, Jean-Pierre Van Elslande et Thomas Hunkeler, a facilité la délicate transition des intuitions documentées à la rédaction définitive. Enfin, j’ai trouvé dans le Programme Doctoral CUSO le souffle nécessaire dans la dernière ligne droite. Je veux témoigner aussi ma gratitude à ceux dont les avis ont compté dans les moments de fondation : Joël Gapany, dont les interpellations épistémologiques m’ont hanté jusqu’à la consultation du ms. Douce 117 ; Claude Bourqui, dont je partage l’éthique de la recherche et de l’enseignement ; Françoise Revaz, pour qui linguistique et littérature sont amies. 10 « OVIDE VEUT PARLER » J’adresse un salut fraternel à ceux qui ont cheminé ou cheminent encore sur la route du doctorat : Laurence Benetti, Gilles Corminbœuf, Peter Frei, Romain Beuchat, François Friche, Sabine Houmard, Lucas Giossi. Je recommande pour leur accueil Colin Harris et son équipe des Special Collections des Bodleian Libraries, avec un clin d’œil à Christophe de Reyff, irremplaçable compagnon de voyage. Je dois une fière chandelle à ceux dont le conseil et l’expertise ont assisté les finitions : Pierre Schuwey, latiniste, pour la révision des textes pour lesquels j’ai eu recours à des éditions originales ; Anne-Véronique Wiget, traductrice, pour la vérification du texte français et la discussion des intuitions sur son art ; Benjamin Camprubi, mathématicien, pour la révision des hypothèses statistiques ; Frédéric Bitschnau, professeur, pour son œil impeccable à tous les niveaux de relecture ; Jean-Damien Sondag, helléniste, pour la correction des citations du grec. Trois personnes, enfin, m’ont supporté à tous les sens du terme tout au long de ma recherche : Noé, qui n’était pas né quand elle a débuté ; Léa, qui entreprendra bientôt les siennes, et Francesca, par qui tout tient bon. ABRÉVIATIONS ET ADAPTATIONS Sauf indication contraire, les citations et références renvoient aux sources suivantes : Actes Cahors Clément Marot, Prince des poëtes françois. 1496-1996, Actes du Colloque international de Cahors en Quercy, 1996, éd. Gérard Defaux et Michel Simonin, Paris, Champion, 1997. BHR Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance. DMF Dictionnaire du Moyen Français, version 2012 (DMF 2012). ATILF – CNRS & Université de Lorraine. Site internet : http://www.atilf.fr/dmf. Marot, TI Clément Marot, Œuvres complètes, Tome I, éd. Gérard Defaux, Paris, Bordas, 1990. Marot, TII Clément Marot, Œuvres complètes, Tome II, éd. Gérard Defaux, Paris, Bordas, 1993. ms. Douce 117 Le Premier Livre des Transformations d’Ovide, manuscrit sur velin orné de 12 miniatures de la taille de la page, dédié à François Ier par Clément Marot, copie présentée à François Ier dans la reliure originale, marocain, in-4o. Conservé aux Bodleian Libraries. Ovide, TI Ovide, Les Métamorphoses, Tome I, Livres I-V, éd. et trad. Georges Lafaye, Paris, Les Belles Lettres, 1999. Regius Metamorphosis cum integris ac emendanssimis Raphaelis Regii enarrationibus, Venetiis, Augustino Barbadico, 1497. L’ouvrage consulté est disponible sur Gallica (identifiant : ark :/12148/bpt6k60834q). Comme l’ouvrage n’est pas paginé, le numéro de page renvoie au numéro de page du fichier au format pdf généré par Gallica lors du téléchargement du texte au mois de mars 2013. 12 « OVIDE VEUT PARLER » RHLF Revue d’histoire littéraire de la France. Trois premiers livres Clément Marot, Barthélemy Aneau, Les trois premiers livres de la Métamorphose d’Ovide, éd. Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant, Paris, Champion, 1997. En ce qui concerne les éditions françaises des XVe, XVIe et XVIIe siècles disponibles en ligne, le texte cité est adapté par l’ajout d’éléments de ponctuation et des accents, la régularisation des majuscules et l’adoption des graphies modernes, sauf dans les cas où les termes ne sont plus usités. INTRODUCTION TRANSMUER UNG TRANSMUEUR Implication de l’auteur, souci de la précision éditoriale, succès de librairie, tout est moderne dans les circonstances de la publication du Premier Livre de la Metamorphose d’Ovide qui paraît en 1534 chez la veuve de Pierre Roffet 1. Gérard Defaux souligne que l’ouvrage appartient, avec L’Adolescence clementine et La Suite de l’Adolescence, à une série dont Marot en personne supervise la réalisation, après avoir compris le risque que font courir les approximations d’imprimeurs lyonnais ou parisiens. L’éditeur moderne de Marot inscrit dans un même mouvement le succès des trois entreprises : La publication de ces trois recueils, qui connurent un succès de librairie foudroyant, indiscutablement l’un des plus grands, sinon le plus grand, du siècle, fit plus que jamais de lui [Marot] le poètephare de sa génération, un modèle vénéré de ses pairs et un créateur qui, tout en enrichissant la poésie française d’une sève toute humaniste et toute classique, en l’ouvrant à des influences que jusque-là elle n’avait pas connues, sut rester malgré tout un poète populaire – sans doute, avec Victor Hugo, le poète le plus authentiquement populaire que la France ait jamais connu 2. Le rapprochement entre le Premier Livre et les deux Adolescences doit être interrogé avec attention. Certaines formules ne sont pas sans poser de grandes difficultés théoriques. Il ne va pas de soi – en ce qui concerne la traduction d’Ovide – d’avancer 1 2 Marot, TI, p. CXVIII. Ce n’est pas cette édition que donne Defaux. Marot, TI, p. CXVIII. 14 « OVIDE VEUT PARLER » qu’il s’agit d’ouvrir la poésie française à des « influences que jusque-là, elle n’avait pas connues ». Il n’est pas évident non plus de soutenir que la « sève toute humaniste » par laquelle Marot est censé enrichir la poésie française relève – pour ce qui touche la traduction – des pratiques ou des théories de ceux que l’histoire littéraire désigne sous le nom d’humanistes. Donner au Premier Livre sa juste place dans la carrière de Marot, aussi bien que dans les grandes interrogations de la première modernité, implique un regard rigoureux et renouvelé sur l’entreprise. L’œil est attiré d’abord par le portrait que Clément Marot dresse de lui-même dans la dédicace 3 du Premier Livre de la Metamorphose à François Ier. Une lecture attentive à la voix de l’auteur révèle le récit discret d’une métamorphose. Marot se montre soucieux de rendre compte de la transformation de celui qui n’était pas encore le successeur de son père en un poète capable de « transmuer ung transmueur » 4, transformation qui présuppose non seulement la connaissance des écueils théoriques questionnant le statut de la traduction, mais aussi la maîtrise d’une pratique poétique susceptible de donner une version française « présentable à si grande majesté » 5. Aborder la dédicace au fil de cette transformation conduit à mettre au jour une lecture pénétrante des Métamorphoses par Marot et donne la clé de la composition d’une dédicace qui réécrit Ovide par les moyens d’une invention « au deuxième degré », avant de le réécrire par les moyens de la traduction. La manière singulière dont Ovide joue avec les versions canoniques des mythes pour en extraire des fragments qu’il intègre ensuite dans des récits réorganisés par lui est reprise par Marot qui se sert des interrogations sur la traduction pour nourrir le récit de sa propre transformation. La dédicace situe le point de départ de cette transformation en un temps relativement peu défini, « long temps avant » que le roi n’ait fait Marot « successeur de l’estat de [son] père » 6 . A vrai dire, il semble que l’origine de la métamorphose se confonde 3 4 5 6 Les références qui sont faites ici renvoient à l’édition Defaux (Marot, TII, p. 405-407). l. 55-56, Marot, TII, p. 406. l. 58, Marot, TII, p. 406. l. 1-2, Marot, TII, p. 405. INTRODUCTION 15 avec la naissance de la vocation du poète, voire avec sa naissance tout court : « le mien plus affectionné (& non petit) désir avoit tous jours esté (Sire) de pouvoir faire œuvre en mon labeur Poëtique, qui tant vous aggreast » 7. La suite du récit peut rendre perplexe le lecteur attentif et connaisseur de l’œuvre de Marot : le poète raconte en effet que les muses lui donnèrent « le choys ou de tourner en nostre langue aulcune chose de la Latine, ou d’escrire œuvre nouvelle par cy non jamais veuë » 8. Si la production marotique avant le Premier Livre comprend bien quelques traductions 9, ainsi que quelques pièces directement inspirées de l’Antiquité, comme Le Temple de Cupido 10 ou Le Jugement de Minos 11, celles-ci ne représentent certes pas l’essentiel de la production qui consiste – avant 1531 12 – en épîtres, ballades, rondeaux et autres formes héritées des poètes de la génération de Jean Marot. Si l’on admet cependant que Marot procède à la manière d’Ovide, on peut imaginer qu’il développe l’argument de son récit à partir d’un détail signifiant 13 : pratiquant une sorte de dissection que n’aurait pas reniée le poète latin, Marot choisit de relire sa propre histoire et d’y sélectionner les éléments nécessaires à la fable qu’il construit. 7 8 9 10 11 12 13 l. 3-5, Marot, TII, p. 405. l. 10-12, Marot, TII, p. 405. Gérard Defaux ne les reproduit pas dans la section du Tome II des Œuvres complètes consacrée à la traduction. On les trouve cependant disséminées dans les Tomes I et II : il s’agit de La Premiere Eglogue des Bucoliques de Virgile (Marot, TI, 21-26), Les Tristes Vers de Philippe Beroalde (Marot, TI, 55-59), Oraison contemplative devant le crucifix (Marot, TI, 55-64), Epigramme de Salmonius mys de Latin en Françoys (Marot, TII, 271), Le Chant des Visions de Pétrarque (Marot, TI, 347-349). Marot, TI, 27-42 Marot, TI, 43-54. La date exacte de la composition du Premier Livre est très incertaine : Defaux tient pour certain qu’elle se situe avant 1531 et rejette l’hypothèse d’une composition antérieure, hypothèse avancée par Mayer qui se base sur la présence conjointe de Marot et François Ier à Amboise en 1526 pour situer l’éventuelle première lecture évoquée à la fin de la dédicace cette année-là (voir Marot, TII, 1188 et 1192). On pense ici au procédé utilisé par Ovide par exemple pour l’histoire d’Actéon : l’amour d’Actéon pour ses chiens semble évoqué de façon gratuite au début de l’épisode, mais il devient une clé importante de sa conclusion. 16 « OVIDE VEUT PARLER » Même pratiquée depuis « long temps », la lecture de la poésie latine ne suffit pas à garantir le succès du traducteur pour qui c’est peut-être « trop entreprendre de vouloir transmuer celluy, qui les aultres transmue » 14. Le succès serait cependant assuré, si un dieu décidait de donner au prince de la langue vulgaire les moyens d’y ajouter « decoration grande » 15. Le poète s’en remet donc – en dernier recours, mais suivant un jeu de mot qu’il affectionne – au roi, lui demandant que sa « plus humaine puissance transmu[e] la Muse de Marot en celle de Maro ». Dans un subtil mouvement de captatio, Marot ne confirme pas que la transformation s’est finalement réalisée et se contente de placer son œuvre « soubs la confiance de [l’] accoustumé bon recueil » 16 du roi, rappelant tout de même qu’au « Chasteau d’Amboyse, il [lui] en pleut ouyr, quelcque commencement. » 17 Libre au lecteur par conséquent de décider si la métamorphose a finalement eu lieu, mais quel lecteur oserait contredire le jugement du roi ? Ainsi, même si la modestie obligatoire dans le contexte de la dédicace interdit à Marot de décrire une métamorphose totalement achevée, qui signifierait son couronnement en tant que poète, le texte liminaire du Premier Livre développe bel et bien un argument structuré très exactement comme certaines fables 18 des Métamorphoses : un mortel (Marot) est transformé par un dieu (François Ier) ; celui-ci choisit une forme de transformation qui permet au mortel de conserver une caractéristique qui le définit (la poésie) ; la métamorphose est actionnée par le dieu au bénéfice du mortel dans un contexte périlleux pour ce dernier (la traduction d’une œuvre fondatrice). L’application de la méthode ovidienne dans la dédicace dépasse cependant le simple jeu d’esprit, puisqu’à l’image de son modèle latin, le poète fait en sorte que sa fable génère des interprétations au travers des questions qu’elle pose à la théorie de la traduction. L’évaluation littéraire du Premier Livre s’impose d’autant plus que la dédicace – si habile à jouer de la fable pour situer le geste 14 15 16 17 18 l. 53-54, Marot, TII, p. 406. l. 44, Marot, TII, p. 406. l. 61-62, Marot, TII, p. 407. l. 65-66, Marot, TII, p. 407. L’histoire de Pyrame et Thisbé peut être considérée comme le prototype du genre de transformation évoquée ici, que l’on pourrait qualifier de « bienveillante ». 17 INTRODUCTION du poète – pose en réalité sans la résoudre la question de la valeur poétique du travail de Marot. Le jeu de la captatio implique certes que le poète n’évoque pas de façon explicite la réussite de sa transformation personnelle, qui marquerait la réussite de son poème. Pour autant, l’usage du terme « transformation » pour traduire le grec « Metamorphose », associé à l’identification de la métamorphose à la traduction (« transmuer ung transmueur ») amène par transitivité l’assimilation de la traduction à une transformation : cette conception de l’exercice met l’accent sur la différence entre texte source et texte cible, le premier devant être transformé pour devenir le second. La notion d’équivalence – souvent placée au centre de la réflexion sur la traduction – semble laissée de côté. Le terme « traduction » lui-même n’apparaît qu’à la toute fin du texte sous la forme du participe passé « traduict », la dédicace lui préférant d’autres verbes : « tourner », « contrefaire », « faire entendre, & sçavoir à ceulx, qui n’ont la langue Latine, de quelle sorte il escipvoyt », « si en facille vulgaire estoit mise ceste belle Metamorphose ». Marot construit un réseau de désignations qui problématise l’exercice auquel il se livre : sa version ne se réduit pas à l’équivalent français du texte d’Ovide. La richesse sémantique engendrée par la multiplication des désignations attire l’attention sur la difficulté de saisir l’ensemble des aspects du processus de la traduction, et rend moins décisive la question du jugement de valeur sur le poème lui-même. Cette question se trouve cependant abordée de façon beaucoup plus directe dans une pièce liminaire qu’Etienne Dolet avait placée en tête de son édition 19 : STEPHANUS DOLETVS IN LIBRUM PRIMUM METAMORPHOSEOS OVIDII Gallicum Factum à Clemente Maroto Mirum fuit, quae narrat Ovidius, corpora Alia in alia tam mirificè Mutata : sed nihilo minus mirum est, Librum Ovidij tam mirificè 19 Marot, TII, p. 403. 18 « OVIDE VEUT PARLER » Versum ingenio Maroti, ut aequet Gallico Sermone sermonem Latium : Aequet ? superest potius Poëtam principem Longè omnium Versu facili, Venaque divite, seu canat Amoris iocos, Seu quidpiam aliud gravius. La pièce s’ouvre sur un argument semblable à celui de la dédicace, le parallélisme entre les transformations racontées par Ovide et la transformation du livre latin en livre français par Clément Marot. Elle se poursuit cependant par des louanges relativement inattendues sous la plume du très cicéronien Dolet : non seulement Marot égale la langue latine par la langue française, mais plutôt il la surpasse. L’appareil métatextuel constitué autour du Premier Livre par les pièces de Marot et Dolet tient habilement en équilibre trois opinions qui en réalité s’excluent les unes les autres : vis-à-vis du poème d’Ovide, la valeur de la version de Marot ne peut être simultanément indécidable, égale et supérieure. Peu sensible aux hiérarchies esthétiques, la critique préférera sans doute subsumer les deux dernières possibilités sous la question unique de la réussite de l’entreprise de Marot traducteur. On peut bien évidemment laisser chaque lecteur libre de définir la valeur qu’il attribue au poème de Marot : la critique professionnelle ne manque d’ailleurs pas de jugements à l’emporte-pièce au sujet du Premier Livre. L’effort de recherche qu’implique l’examen de la question sur une base plus systématique entraîne cependant la réflexion vers la tâche ardue et passionnante consistant à définir les conditions d’une poétique de la traduction marotique. ŒUVRE EN MON LABEUR POËTIQUE Dans le choix donné par les muses « de tourner en nostre langue aulcune chose de la Latine, ou d’escrire œuvre nouvelle par cy non jamais veuë 20 », la dédicace à la fois distingue et relie traduction et création originale. La critique a depuis longtemps montré 20 l. 10-12, Marot, TII, p. 405. INTRODUCTION 19 avec quelle prudence il faut aborder la notion de poésie dans le contexte de l’époque, soulignant notamment toute la distance qui peut exister avec les conceptions issues du romantisme. Elle se doit donc d’aborder la question de la traduction avec le même souci de ne pas laisser les préconceptions esthétiques orienter l’analyse d’un geste dont Marot, dans la dédicace, exprime la valeur, sans détailler la pratique. Une épître, rédigée en 1544 pendant l’exil en Savoie en vue d’obtenir le pardon du roi, donne, au sujet de la pratique, un point de départ prometteur : Plaise au roy congé me donner D’aller faire le tiers d’Ovide, Et quelzques deniers ordonner Pour l’escrire, couvrir, orner. Apres que l’auray mis en vuyde 21, Le geste consistant à donner une version française du troisième livre des Métamorphoses est caractérisé par deux temps : dans l’ordre où ils s’articulent dans les faits (et non dans l’épître), le premier consiste à mettre Ovide « en vuyde » ; le second, à « escrire, couvrir, orner » 22. Le temps initial est désigné par une métaphore difficile à interpréter, l’expression n’étant pas devenue idiomatique. Elle entre cependant dans un axe paradigmatique dans lequel le DMF en ligne donne notamment : mettre en conte (= donner une forme littéraire), mettre en devise (= s’exprimer sur quelque chose), mettre en forme (= rédiger). Il faut noter par ailleurs que l’expression se trouve déjà dans une forme à peu près analogue dans l’épître « A Monseigneur de Lorraine nouvellement venu à Paris » : Et te suplly prendre en gré le present, Que je te fay de ce translaté Livre, Lequel (pour vray) hardiment je te livre, Pour ce que point le sens n’en est yssu De mon cerveau : ains a esté tissu Subtilement par la Muse d’Ovide : 21 22 Clément Marot, « Au Roy », Marot, TII, p. 710. On devine que, dans l’esprit de Marot, l’entreprise doit aboutir à un manuscrit d’apparat. 20 « OVIDE VEUT PARLER » Que pleust à Dieu l’avoir tout mis au vuyde Pour t’en faire offre 23. La rime avec « Ovide » explique la variante choisie pour la préposition et indique peut-être comment l’inspiration marotique a premièrement forgé l’expression. Reste qu’en l’absence d’un lien attesté entre l’adjectif « vuyde » et l’idée de la traduction, le sens à donner à l’expression demeure en partie spéculatif. On trouve chez Meigret un usage du verbe « vuyder » qui met sur la piste d’une dimension descriptive ou analytique : Or faut il entendre que pour la nécessité du bâtiment de notre langage, il y peut entretenir huit parties outre les articles : qui sont le nom, le pronom, le verbe, le participe, la préposition, l’adverbe, la conjonction et l’interjection. Mais avant que de vuyder rien de huit parties, nous dépêcherons les articles 24. Le DMF en ligne confirme au figuré un sens « évacuer, lever, régler » pour vider (une difficulté, une résistance). La mise « au vuyde » de l’original pourrait s’apparenter au « facille vulgaire » évoqué dans la dédicace et signifier la recherche d’une version accessible sans difficulé au lecteur. A tout le moins, l’expression confirme l’identification par Marot d’une activité propre à l’exercice de la traduction. La critique littéraire tend à laisser à la traductologie le soin de rendre compte de cette activité spécifique pour se concentrer exclusivement sur les éléments qu’elle traite habituellement : sources, théories esthétiques, modèles rhétoriques, enjeux éditoriaux 25. Un regard nouveau sur le Premier Livre, et la question plus générale de la traduction d’un poète, implique d’aborder de façon systématique l’articulation entre la technique et l’art de Marot traducteur. Du fait de son appartenance à un corpus largement négligé par la l’histoire de la traduction en France, celui des traductions en vers parues entre 1520 et 1540, le caractère unique de l’entreprise marotique n’a pas été suffisamment souligné. 23 24 25 v. 38-45, Marot, TI, p. 294-295. Louis Meigret, Le tretté de la grammere françoeze, Paris, Christian Wechel, 1550, 19ro – 19vo. Réciproquement, l’axe choisi pour la présente étude explique que ces éléments n’y seront abordés que marginalement. INTRODUCTION 21 L’enquête à mener sur celui-ci implique l’adoption d’une méthode inédite, basée sur l’étude systématique du Premier Livre, en vue de révéler la nature exacte du geste de Marot traducteur. L’originalité de l’approche appliquée consiste à tenir compte de toutes les complexités du texte, sans chercher à les figer dans un modèle rigide, pour embrasser le mouvement de la négociation 26 au travers de laquelle Marot élabore sa version. Suivre le fil théorique de la dédicace amène à s’attarder d’abord sur trois horizons à partir desquels le caractère unique du Premier Livre se détache : la moralisation d’Ovide, le projet humaniste, l’illustration de la langue française. La distance entre la tradition ouverte par l’Ovide moralisé et le projet marotique semble conforme à la représentation habituelle de la Renaissance : si l’on considère cependant que, de La bible des poëtes au Grand Olympe, les Métamorphoses continuent, aux alentours de 1530, d’être lues dans des versions dont le canon semble fort éloigné du renouveau humaniste, la singularité du geste de Marot se comprend non seulement vis-à-vis des pratiques médiévales, mais aussi vis-à-vis des tentatives parfaitement contemporaines. L’audace du Premier Livre apparaît d’autant plus nettement que l’entreprise ne cadre pas non plus parfaitement avec le projet des grands lettrés du temps, tel qu’il peut être compris par exemple au travers des réalisations de Budé. Il n’est pas possible de voir dans la traduction des Métamorphoses en français le volet français du projet humaniste, tout simplement parce que ce volet ne présuppose pas le recours à la langue vernaculaire. Si l’entreprise de Marot se place dans une forme de « translatio linguae » qui suivrait la translatio imperii, l’idée d’une telle translatio est loin d’être acquise aux alentours de 1530, alors même que les grands lettrés, Erasme en tête, continuent de concevoir parfaitement la poursuite de la domination du latin. Si certains théoriciens, comme Sébillet ou Jacques Peletier du Mans, ont pu, quelques années après le Premier Livre, envisager l’idée d’une illustration de la langue française par la traduction, leurs positions ne constituent pas, loin s’en faut, la doxa d’une république des lettres évoluant à son aise dans une situation marquée du sceau du colinguisme. 26 Le recours à la notion de négociation pour penser la traduction est ici inspiré par Umberto Eco, Dire presque la même chose, Paris, Grasset, 2006. 22 « OVIDE VEUT PARLER » La singularité de l’entreprise du Premier Livre, dont Marot semble parfaitement conscient dans sa dédicace à François Ier, appelle à enquêter sur l’origine du projet non pas dans les grands courants d’idées, mais dans les conditions matérielles de la traduction marotique. Apparaît alors une chronologie marquée par l’infléchissement de la politique royale en faveur des lettres, aussi bien que par l’admiration personnelle du roi envers les réalisations italiennes et leur maître à penser, d’ailleurs à la fois poète et traducteur, Pétrarque. Encouragé par l’enthousiasme royal, Marot a-t-il pu saisir que l’humaniste italien vibrait d’un projet plus large que le simple retour à l’Antiquité, ainsi que le rappelle, par exemple, Stephen Greenblatt ? To prove its worth, Petrarch and Salutati both insisted, the whole entreprise of humanism had not merely to generate passable imitations of the classical style but to serve a larger ethical end. And to do it needed to live fully and vibrantly in the present 27. Loin des préoccupations des érudits qui se centrent sur l’imitation des anciens, le poète de François Ier a pu sentir que la compréhension profonde du projet de Pétrarque pouvait appeler, au plan de la traduction, le recours au français. La vitalité même du modèle italien, au-delà des textes théoriques, indique sans doute suffisamment la voie à suivre. Aucun autre auteur ne dispose des atouts de Marot pour faire souffler sur la traduction le vent du vernaculaire. Sa formation, sans doute en grande partie autodidacte, lui permet de disposer d’une maîtrise du latin qui le rend sensible à la cause de ceux « qui n’ont la langue Latine » 28. L’état encore émergent de la réflexion grammaticale donne au poète toute autorité pour choisir, selon le vœu de Dolet, les formes établissant pour la langue française les « proprietés, translations en diction, locutions, subtilités, & vehemences à elle particulieres » 29. L’expérience de Marot en tant qu’éditeur de textes pallie largement l’inexistence de formation spécifique de traducteur. 27 28 29 Stephen Greenblatt, The Swerve. How the World Became modern, New York – London, W.W. Norton and company, 2011, p. 123. l. 35-36, Marot, TII, p. 406. Etienne Dolet, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, Lyon, Etienne Dolet, 1549, p. 12-13. INTRODUCTION 23 A mesure que la connaissance de la période découpe le profil du Premier Livre grandit la nécessité de son évaluation en tant que réalisation littéraire. Dolet se révèle un guide sûr pour établir qu’aucune des dimensions fondamentales de la technique de la traduction n’était hors de portée de la réflexion dans le premier XVIe siècle et pour identifier la dimension littéraire des compétences requises chez le traducteur. Reste que l’aporie de l’unicité de l’elocutio poétique rendue incoutournable dans le domaine français par Du Bellay continue de poser la question des limites de l’exercice. Au final, seul l’examen du Premier Livre en tant que réalisation textuelle peut donner au texte la place qu’il mérite dans l’histoire de la traduction. Les outils appliqués jusqu’ici par la critique n’ont pas permis de dégager avec la précision voulue le profil de l’entreprise marotique : les rares études consacrées à la question de la traduction chez Marot n’ont pas cherché à décrire de façon opérationnelle la nature profonde de l’exercice. Plusieurs ressources nouvelles doivent être appelées en renfort. D’abord, il y a le manuscrit mis au jour par Richard Cooper 30 aux Bodleian Libraries : ce texte, répertorié sous le nom de ms. Douce 117 31, présente des variantes pour plus de 500 vers, ce qui permet à la spéculation théorique de disposer du corpus nécessaire à la vérification empirique des hypothèses qu’elle formule, en particulier en matière de définition des unités qui se trouvent au cœur du travail du traducteur 32. C’est cependant surtout l’adoption et l’application d’une méthode d’analyse nouvelle et originale qui permettent de cerner au plus près le geste de Marot. 30 31 32 Richard Cooper, « Marot et Ovide : un nouveau manuscrit à peinture du premier livre des Métamorphoses traduit par Marot », Actes Cahors, 101119. Il ne s’agit pas de la seule version manuscrite du texte. Un autre manuscrit, vendu en 1957 dans le cadre de la vente de la collection du Docteur LucienGraux, a disparu et n’est connu aujourd’hui presque plus que par le catalogue de vente. F. Gaudu a publié une partie des variantes du manuscrit dans un article paru en 1924 : les variantes proposées par F. Gaudu sont identiques à celles du ms. Douce 117. F. Gaudu, « Un manuscrit de la traduction du premier livre des Métamorphoses par Marot », Revue du Seizième Siècle, 11, 1924, 258-269. Etant donné l’importance des variantes du ms. Douce 117 pour la discussion des résultats de cette étude et le caractère relativement peu accessible de l’ouvrage, une édition du texte est donnée en annexe de l’édition électronique. 24 « OVIDE VEUT PARLER » Cette méthode commence par établir de façon systématique la nature des unités qui composent le travail du traducteur. L’examen du texte révèle que celles-ci ne sauraient se résumer à une seule sorte d’unité syntaxique ou métrique. Au contraire, il faut prendre en compte la nature même de l’exercice de la traduction pour découper le texte du Premier Livre à partir des séquences autour desquelles se stabilise le travail de Marot. Appuyée sur des extraits méthodiquement constitués, l’analyse peut révéler les logiques qui commandent la technique du traducteur et dégager ensuite les véritables impératifs qui orientent la démarche du poète. L’image qui se dégage alors surprend par la subtile dialectique qu’elle établit entre les passages issus du maintien des caractéristiques du texte source et ceux où la maîtrise poétique de Marot doit bouleverser toutes les stratégies pour donner une version satisfaisante. Une connaissance nouvelle de l’exercice de la traduction poétique se fait jour : caractérisée par le caractère exemplaire des résultats qu’elle enregistre, la méthode d’analyse appliquée permet à la fois de mieux cerner l’art de Marot dans ses autres traductions et de le contraster avec ceux d’autres traducteurs proches par l’époque (Octovien de Saint-Gelais, Guillaume Michel de Tour), le sujet (Thomas Corneille) ou les deux (Bartélemy Aneau, François Habert). Au final, il s’agit de susciter une métamorphose que la dédicace à François Ier n’aborde pas : celle de la place de la traduction dans l’œuvre de Marot. Les préjugés de la critique tendent à reléguer souvent la traduction au rang d’un exercice subalterne, mystérieusement excusable lorsqu’il est conduit par un auteur majeur, mais le plus souvent condamné à grossir le flot des réalisations mineures. L’étude systématique du Premier Livre n’a rien d’un exercice obligé d’admiration face à une réalisation au statut esthétique indéfini, elle vise la traduction d’un poète en tant qu’activité proprement littéraire. CHAPITRE PREMIER QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE La dédicace a été lue jusqu’ici au fil d’une interprétation qui semble ressortir plus de « l’élégant badinage » que de l’analyase théorique. D’autres lectures 1 sont possibles, qui révèlent que la dédicace rivalise avec la plupart des textes théoriques qui la précèdent. Il suffit de s’arrêter sur quelques formules centrales pour qu’apparaisse l’inventaire très éclairé des problèmes théoriques de la traduction. L’évocation de l’utilité d’une version française des Métamorphoses semble de prime abord un passage obligé dans une dédicace à François Ier : Oultre plus, tel lit en maint passage les noms d’Apollo, Daphné, Pyramus et Tisbée, qui a l’Histoyre aussi loin de l’esprit, que les noms pres de la bouche : ce que pas ainsi n’yroit, si en facille vulgaire estoit mise ceste belle Metamorphose. Laquelle aux Poëtes vulgaires, & aux Painctres seroit tresproffitable : & aussi decoration grande en nostre langue 2. Marot tient cependant à décrire clairement la valeur d’une version exempte de glose et proche de la lettre des Métamorphoses. Il pose comme une évidence le bénéfice que peuvent tirer d’une traduction française « ceulx, qui n’ont la langue Latine » 3. Il faut voir cependant que le public français disposait – dès 1494 – d’une version en langue vernaculaire avec La bible des poëtes, adaptation dont le succès est à l’origine d’une seconde version intitulée Le 1 2 3 Par exemple : Pierre Maréchaux, « L’arrière-fable : la préface de Marot à la Metamorphose et les commentaires latins d’Ovide », Actes Cahors, p. 77-92. l. 38-44, Marot, TII, p. 406. l. 35-36, Marot, TII, p. 406. 26 « OVIDE VEUT PARLER » grand Olympe des histoires poétiques du prince de poésie Ovide Naso en sa Métamorphose, en 1530. En feignant d’ignorer le phénomène éditorial que constituent ces publications, inscrites dans la tradition de l’Ovide moralisé, Marot situe son travail dans une exigence nouvelle vis-à-vis de la traduction : rapprocher l’esprit de l’histoire implique le recours à une technique qui ne dépend pas uniquement de l’usage de la langue vernaculaire. La question qui se pose dès lors, et qui continuera de préoccuper Barthélemy Aneau dans sa « Preparation de voie à la lecture, et intelligence de la Metamorphose d’Ovide, et de tous poëtes fabuleux » 4, consiste à déterminer la capacité d’une traduction à conserver au texte cible la richesse allégorique du texte source. Aborder cette question, c’est commencer à mesurer la force du geste de Marot traducteur dans le contexte de la réception d’Ovide dans le premier seizième siècle. L’ambition de donner au public français une version susceptible de corriger les erreurs de représentation des fables d’Ovide appelle cependant une méthode nouvelle dans l’approche des textes anciens. Pour une entreprise telle que le Premier Livre, celleci prend la forme de l’édition des Métamorphoses que donne en 1493 l’humaniste italien Raffaele Regio (Regius). L’ouvrage se présente sous la forme d’un commentaire systématique qui éclaire, en latin, le sens littéral, les sources littéraires, les allusions mythologiques, voire l’interprétation allégorique du texte d’Ovide. De nombreuses formes retenues par le Premier Livre, ainsi que deux variantes de l’édition Regius 5, habituellement 4 5 Trois premiers livres, p. 7. L’édition Lafaye donne au vers 547 : « Qua nimium placui, mutando perde figuram. » (Ovide, TI, p. 26). L’édition Regius présente la variante suivante : « Qua nimium placui : tellus ait hisce : vel istam / Quae facit ut laedar : mutando perde figuram. » (Regius, p. 41). La traduction de Marot, aux vers 1079 à 1082, correspond clairement à l’édition Regius : « Puis dit : O terre, or me perds, & efface / En transmuant ma figure, & ma face, / Par qui trop plais : ou la transgloutis vifve, / Elle, qui est de mon ennuy motifve. » (Marot, TII, p. 438). L’édition Lafaye donne au vers 700 : « Telia uerba refert … Restabat uerba referre ». (Ovide, TI, p. 31). L’édition Regius présente la variante suivante : « Talia uerba refert. Tibi nubere nympha uolentis / Votis cede dei. Restabat plura referre. » (Regius, p. 46). La traduction de Marot, aux vers 1384-1388, correspond là aussi clairement à l’édition Regius : « […] luy feit telle requeste. / O noble Nymphe, obtempere au plaisir / D’ung Dieu, qui a grand vouloir, & desir / De t’espouser. Brief, mainte aultre adventure / Restoit encore à dire par Mercure. » (Marot, TII, p. 447). QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 27 absentes du canon des Métamorphoses, mais traduites par Marot, ne laissent aucun doute sur le fait que le Quercinois a très largement exploité l’ouvrage de l’humaniste italien 6. Nul doute que Marot trouve dans l’essor de l’humanisme le modèle et l’application par excellence des nouvelles préoccupations philologiques. Il ne se fait d’ailleurs pas faute d’exposer ses propres capacités en matière d’étymologie, lorsqu’il rappelle que « Metamorphose est une diction Grecque, vulgairement signifiant transformation 7. » Plus subtilement, il parvient également à témoigner de son érudition en évoquant l’existence d’une version grecque des Métamorphoses dont il a sans doute découvert l’existence chez Regius 8 : « veu mesmement, que l’arrogance Grecque l’a bien voulu mectre en la sienne. » 9 La question du rapport de Marot à l’humanisme a cependant été le plus souvent abordée sur la base de la question de sa maîtrise de la langue latine. Dans la dédicace, le poète semble donner lui-même le bâton pour se faire battre en reconnaissant les limites de sa compréhension des textes anciens : Parquoy (les laissant reposer) jectay l’œil sur les livres Latins : dont la gravité des sentences, & le plaisir de la lecture (si peu, que j’y 6 7 8 9 Il est plus difficile de déterminer dans quelle édition Marot a consulté Regius. Ann Moss recense 17 éditions avant 1534 (1496, 1497, 1501, 1504, 1506 (2), 1510, 1510*, 1511*, 1512*, 1513*, 1515, 1516*, 1518*, 1518**,1524**, 1527**, 1528**). A partir de 1511, le commentaire de l’humaniste italien est le plus souvent complété par d’autres contributions. Le plus souvent, il s’agit de celle de Lavinius, dominicain, qui commente le Livre I (dates marquées d’un *). L’édition de 1518, réimprimée à de nombreuses reprises, réunit, en plus de celles de Regius et Lavinius, les contributions d’autres commentateurs parmi lesquels Philippe Beroalde ou les humanistes italiens Parrhasius ou Rhodiginus (dates marquées d’un **). Voir Ann Moss, Ovid in Renaissance France. A survey of the latin editions of Ovid and commentaries printed in France before 1600, The Warburg Institute, University of London, 1982, 66-71. Seul invariant des diverses éditions et très souvent référentiel, le commentaire de Regius est retenu en priorité par la présente étude. l. 47-48, Marot, TII, p. 406. Trois premiers livres, p. 36, note 102. La note indique que l’édition Regius est à l’origine d’une remarque de Barthélemy Aneau dans son épître liminaire : « les superbes Grecz qui tout autre langue et art (mesmement la Poësie) desprisent comme Barbare au regard de la leur : toutesfois ont bien daigné translater la Metamorphose Ovidiane en leur langue comme digne d’icelle, et d’estre illustrée, et leuë par hommes Grecz. ». Marot a pu trouver son anecdote à d’autres sources, notamment dans une traduction du moine byzantin Palude. l. 45-46, Marot, TII, p. 406. 28 « OVIDE VEUT PARLER » comprins) m’ont esprins mes Esprits, mené ma main, & amusé ma muse 10. La restriction opérée par la deuxième parenthèse sonne comme un lointain écho à la formule – sans doute involontairement cruelle – de Jean de Boyssoné Marotus latine nescivit 11. La modestie affichée par Marot dans sa dédicace ne tient pas de la seule captatio : dès lors qu’il évoque pour ainsi dire publiquement la consultation des ouvrages latins, a fortiori dans le contexte de la traduction, le poète se doit de situer son travail vis-à-vis de celui des humanistes qui se revendiquent comme les seuls arbitres des questions philologiques. Marot choisit d’avouer ses limites entre parenthèses et de recouvrir son aveu de trois dérivations qui le situent en tant qu’héritier des Grands Rhétoriqueurs. Rappelant son statut de maître de la langue française, il parvient à éviter aussi bien la confrontation que l’assimilation, conscient que son travail vise un objectif différent de celui des humanistes : alors que ces derniers se donnent pour but premier l’édition des textes anciens dans des versions aussi fidèles que possibles, le fils de Jean Marot vise le passage des textes anciens dans la langue vernaculaire. D’une certaine façon, il n’y a pas plus opposés que les objectifs respectifs de l’humaniste et du traducteur. La question du rôle joué par les méthodes humanistes d’édition des textes dans l’élaboration de l’esthétique et de la technique de la traduction chez Marot doit être posée en tenant compte du fait que l’analyse met en rapport des projets opposés dans leurs finalités respectives. La distinction entre le projet d’édition humaniste et celui de la traduction marotique se révèle particulièrement nette dans la question de la langue de référence : alors que les débats les plus passionnés autour du Ciceronianus ne remettent pas en cause 10 11 l. 16-20, Marot, TII, p. 405. L’origine de l’expression et sa portée ont été discutées dans les détails par Gérard Defaux, Michel Simonin et Michel Magnien : il ressort de cette discussion que la formule ne vise pas de façon générale la maîtrise du latin par Marot, mais le rôle que Jacques Delexi fait jouer à Marot dans un dialogue de nature juridique, intitulé Antileguleitas, qui voit le poète disserter savamment dans la pure langue de Cicéron sur des expressions juridiques latines. Déduire de la formule que Marot ne maîtrisait pas le latin tient de la surinterprétation, voir à ce sujet : Actes Cahors, p. 819-824. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 29 l’usage du latin en tant que langue centrale de la république des lettres, Marot explique qu’une version en « facille vulgaire » 12 est nécessaire pour l’édification des poètes – certes vernaculaires – et des peintres. Le recours au français indique que celui-ci a désormais vocation à assumer un rôle nouveau. L’allusion à la traduction en grec des Métamorphoses évoquée plus haut doit être abordée dans le même sens : rappeler que « l’arrogance Grecque 13 » a daigné produire une version d’Ovide 14 pour justifier une traduction française, c’est mettre les deux langues sur le même plan, et par là même, laisser peut-être entendre qu’il est temps pour le français de succéder au latin, comme celui-ci avait auparavant succédé au grec. Pour Marot, la translatio studii ne peut s’arrêter à ce que Gilbert Gadoffre appelle la « révolution culturelle » de Budé 15, pour qui l’objectif central consistait à installer à Paris un centre d’études antiques où règneraient le grec et le latin. Dans la dédicace, le poète semble même se livrer à une véritable défense et illustration de la langue française, posant que la traduction peut apporter « decoration grande en nostre langue » 16. Envisager l’expression dans le contexte de la translatio studii révèle une complexité dont il faut rendre compte. La justesse avec laquelle, dans la dédicace, Marot situe son entreprise vis-à-vis des questions littéraires dominant son temps invite à s’attarder sur ces éléments pour saisir la précision quasi chirurgicale avec laquelle Marot semble négocier la place de son entreprise dans les interstices de trois horizons dont aucun ne semble adéquat pour encadrer totalement le geste du poète. Saisir par contraste les contours de la réalisation de Marot s’avère d’autant plus important que l’évaluation de la traduction 12 13 14 15 16 l. 41, Marot, TII, p. 406. l. 45, Marot, TII, p. 406. Ghislaine Amielle évoque pour cette traduction Maxime Palude, moine byzantin du XIIe siècle : la traduction est mentionnée dans une vie d’Ovide contenue dans le recueil, De poetis latinis, de Crinito, paru à Florence en 1505. Le texte fut ensuite édité par Josse Bade dans un ouvrage intitulé De honesta disciplina en 1510, 1513, 1516 et 1525 et, sous un titre analogue, chez Sébastien Gryphe en 1543. Voir Ghislaine Amielle, Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses d’Ovide, Paris, Touzot, 1989, p. 79. Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, Paris, Droz, 1997. l. 44, Marot, TII, p. 406. 30 « OVIDE VEUT PARLER » d’un poète est loin de constituer une entreprise pour laquelle la critique dispose d’outils éprouvés et de points de comparaison consistants. Il est impossible, en particulier, d’admettre a priori que la traduction d’un poème génère un autre poème : laisser le Premier Livre se découper sur le fond d’importantes questions littéraires qui lui sont contemporaines permet d’en préciser les contours en explorant les décalages qui marquent sa singularité vis-à-vis d’autres expériences déjà balisées par le commentaire critique. AUTOUR DE L’OVIDE MORALISÉ Vivam (je vivrai) 17 : l’épilogue des Métamorphoses se termine sur un cri qui ne doit pas tromper le lecteur moderne. Ovide espérait avant tout garantir son œuvre contre les outrages du pouvoir impérial. Il ne pouvait pas imaginer que disparaîtrait un jour totalement la puissance romaine et qu’il serait, malgré cela, encore tout à fait vivant plus de douze siècles après avoir achevé son récit, vivant, c’est-à-dire mouvant et complexe pour le cadre de référence médiéval, comme le résume Jeremy Dimmick : […] however culturally central he becomes, he is never fully restored from his Augustan exile, and remains an archpriest of transgression, whether sexual, political or theological. It is in this powerfully ambivalent role of the auctor at odds with auctoritas, just as much as (and indeed inseparable from) his expertise on mythology and sexuality, that he is the most precious to the poets 18. Aux XIIIe et XIVe siècles, la vie du texte ovidien requiert – dans un traitement que l’on peut appeler de façon très générale « moralisation » – un rappel à l’ordre préalable à tout plaisir de la lecture. Marylène Possamai-Pérez signale ainsi que, malgré le statut incontestable d’auctor reconnu à Ovide : 17 18 Ovide, Les Métamorphoses, éd. Georges Lafaye, trad. Olivier Sers, Paris, Les Belles Lettres, 2009, Livre XV, p. 754-755. Jeremy Dimmick, « Ovid in the Middle Ages : authority and poetry», The Cambridge Companion to Ovid, éd. Philip Hardie, Cambrigde University Press, 2002, p. 264. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 31 […] les médiévaux avaient aussi à justifier l’attrait que la matière même des poèmes ovidiens, traités et lettres d’amour, fables mythologiques exerçait sur eux, et c’est cette valeur morale et philosophique, cette prescience de la Révélation chrétienne qui leur a permis cette justification, qui a permis de sauver de l’oubli ou de la destruction les poèmes ovidiens 19. Toutes les formes de réécriture, et en particulier la traduction, se heurtent à l’époque à cette conscience de la nécessaire moralisation d’un auteur païen, non pas uniquement par méfiance envers ses convictions religieuses, mais dans le but de révéler sa dimension préchrétienne. A bien des égards, la destinée du corpus ovidien peut représenter le prototype du traitement réservé à la pensée antique dans les siècles qui précèdent l’avènement de l’humanisme. Le cas d’Ovide se distingue cependant de celui d’autres auteurs par la combinaison unique des sujets qui dominent sa production : d’une part, la poésie amoureuse implique une dimension d’incessante réactualisation subjective qui la conduit à se détacher irrésistiblement du système philosophique qui la produit ; d’autre part, la synthèse historico-mythologique réalisée par Les Métamorphoses semble a priori non soluble dans la pensée chrétienne. Chacune des deux composantes majeures de la poésie ovidienne suffirait en vérité à elle seule à lui interdire de paraître au sein du canon acceptable aux yeux de la pensée chrétienne. Du destin de la poésie amoureuse à celui réservé aux Métamorphoses, plusieurs dispositifs témoignent de l’approche circonspecte à laquelle ont finalement consenti les auteurs médiévaux. La poésie amoureuse d’Ovide pénètre le domaine français dans le milieu du XIIe siècle : Marylène Possamai-Pérez 20 rappelle l’apparition des motifs ovidiens dans le prologue du Cligès de Chrétien de Troyes, alors que Jeremy Dimmick signale 21 l’allusion à un livre d’Ovide dans un lai de Marie de France. La plus grande partie des ovidiana de Chrétien ayant été perdue, il 19 20 21 Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », 2008, [En ligne], mis en ligne le 28 avril 2009. URL : http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs00379427/fr. Consulté le 20 novembre 2011, p. 1. Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », p. 2. Jeremy Dimmick, « Ovid in the Middle Ages : authority and poetry », p. 264. 32 « OVIDE VEUT PARLER » est impossible de dire quel traitement l’auteur de Lancelot avait réservé à Ovide, mais l’interprétation du lai de Marie de France, dont le sujet tourne autour de l’autodafé d’un ouvrage d’Ovide, amène Jeremy Dimmick à conclure : If Ovid is an auctor, he is one who reveals auctoritas to be a powersource, exploited and contested, rather than the stable, central authority of Scripture, and Marie’s ecphrasis reveals this at an intimately allusive level. […] The possessive husband’s tower, with its effort at containing and controlling Ovid’s book, is a prototype for all medieval efforts to appropriate him, deploying (and where necessary critiquing) the poems and their author to serve their own interests and neutralize competing ones 22. Le commentaire de Jeremy Dimmick ne vise pas uniquement la traduction : il vise également, dans le domaine latin, les nombreux accessus introduisant à l’œuvre d’Ovide. La volonté de conserver le contrôle sur la production d’Ovide inspire la totalité des adaptations et des commentaires, s’étendant de la poésie amoureuse à l’Ovidius moralizatus, voire au commentaire de Regius. L’histoire encore en grande partie à écrire des traductions de la poésie amoureuse d’Ovide au Moyen-âge offre une illustration des libertés prises par les auteurs dans le but de s’approprier la matière ovidienne. L’Art d’aimer – qui est parfois considéré comme l’origine de la disgrâce d’Ovide – fait d’abord l’objet de « translations » le plus souvent partielles proposant, selon Marylène Possamai-Perez, une « imitation d’Ovide qui sacrifie aux conventions courtoises » 23. Il est ensuite traduit de façon plus littérale et associé à une abondante glose dans une version intitulée l’Ars d’amours 24 : le Livre III – adressé aux femmes – n’apparaît cependant que dans le manuscrit le plus tardif et n’est sans doute pas l’œuvre du traducteur des Livres I et II. Marylène Possamai-Perez explique clairement l’oubli initial du Livre III par la « répugnance des moralistes médiévaux à s’adresser directement aux femmes » 25. Au moins le texte finit-il par être traduit 22 23 24 25 Jeremy Dimmick, « Ovid in the Middle Ages : authority and poetry », p. 266. Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », p. 3. L’art d’amours, éd. Bruno Roy, Leiden, Brill, 1974. Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », p. 4. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 33 en tant que tel, ce qui ne fut pas le cas des Héroïdes : celles-ci ne connaissent une adaptation en langue vernaculaire que dans le cadre de la deuxième version en prose de l’Histoire Ancienne jusqu’à César, composée à Naples dans le deuxième quart du XIVe siècle et qui se sert des Héroïdes françaises pour illustrer la guerre de Troye 26. Le traitement réservé aux Métamorphoses dans l’Ovide moralisé témoigne d’une approche nettement plus ambitieuse, visant à ancrer solidement l’ensemble de la mythologie dans l’imaginaire chrétien : [Ovide moralisé] is more than a translation and commentary on the Metamorphoses: it is a vernacular summa of an entire tradition – not just a French Ovidius maior, but an Ovidius maximus 27. Rédigé au début du XIVe siècle 28 par un auteur dont l’identité n’est pas établie avec certitude, l’Ovide moralisé en vers constitue la première version complète des Métamorphoses en langue romane. La critique approche généralement la structure de l’ouvrage qui compte environ 72 000 octosyllabes en distinguant la présentation des fables 29 et l’allégorèse : on peut estimer qu’un tiers de l’ouvrage est consacré aux fables d’Ovide, alors que deux tiers reviennent à l’allégorèse. L’analyse porte le plus souvent sur la description de cette dernière, cherchant à en dégager la ou les natures (religieuse 30, encyclopédique 31), tentant d’en qualifier les techniques 32. Etant donné l’importance de la 26 27 28 29 30 31 32 Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », p. 5. Jeremy Dimmick, « Ovid in the Middle Ages : authority and poetry », p. 279. Ghislaine Amielle donne la date 1316-1328. Voir Ghislaine Amielle, Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses d’Ovide, p. 37. Le terme est utlisé dans Marylène Possamai-Perez, L’Ovide moralisé, Paris, Champion, 2006. Il est préférable à ceux, plus problématiques au plan théorique, de traduction et de translation utilisés par d’autres auteurs. Marylène Possamai-Perez, « Les Dieux d’Ovide moralisés dans un poème du commencement du XIVe siècle », Bien dire et bien apprendre, t. 12, 1994, 203-214. Bernard Ribémont, « L’Ovide moralisé et la tradition encyclopédique médiévale », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 9 | 2002, [En ligne], mis en ligne le 04 septembre 2007. URL : http://crm.revues.org//76. Consulté le 20 novembre 2011, p. 1. Francine Mora, « Deux réceptions des Métamorphoses au XIVe et au XVe siècle – Quelques remarques sur le traitement de la fable et de son exégèse dans l’Ovide moralisé en vers et sa première mise en prose », Cahiers 34 « OVIDE VEUT PARLER » moralisation, notamment en termes de volume, certains commentaires interrogent directement l’application de la notion de traduction pour qualifier l’entreprise. Catherine Croizy-Naquet note ainsi : Le respect du texte ovidien ne résiste pas cependant au profond remaniement qu’exerce au plan structurel l’auteur. Alors qu’Ovide fait converger tous ses effets sur les métamorphoses, sans s’écarter jamais de son sujet, l’écrivain médiéval les relègue à l’arrière-plan, voire les sacrifie 33. Jean-Claude Mühlethaler quant à lui rappelle nettement la dimension de traduction : Pour le public médiéval, l’Ovide moralisé est une translation des Métamorphoses. A l’exception d’ajouts, souvent importants, il respecte l’ordre des fables et suit d’assez près sa source pour pouvoir être considéré, même par un lecteur moderne, comme une traduction 34. Deux caractéristiques explicites définissent la traduction dans le commentaire de Jean-Claude Mühlethaler : le respect de l’ordre des fables et la proximité avec la source, c’est-à-dire la traduction comme processus et la traduction comme résultat de ce processus. Chacune des deux caractéristiques pose son lot de problèmes : du côté du processus, il n’existe pas de modèle précis des opérations cognitives à l’œuvre dans la traduction, même si la représentation du processus comme un transfert introduite par Eugène Nida 35 tend à faire croire le contraire ; du côté du résul- 33 34 35 de recherches médiévales et humanistes, 9 | 2002, [En ligne], mis en ligne le 04 septembre 2007. URL : http://crm.revues.org//76. Consulté le 20 novembre 2011. Catherine Croizy-Naquet, « L’Ovide moralisé ou Ovide revisité : de métamorphose en anamorphose », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 9 | 2002, [En ligne], mis en ligne le 04 septembre 2007. URL : http:// crm.revues.org//76. Consulté le 20 novembre 2011, p. 2. Jean-Claude Mühlethaler, « Entre amour et politique : métamorphoses ovidiennes à la fin du Moyen Âge », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 9 | 2002, [En ligne], mis en ligne le 04 septembre 2007. URL : http:// crm.revues.org//76. Consulté le 20 novembre 2011, p. 1. Jeremy Munday, Introducing translation studies, London and New York, Routledge, 2001, p. 40. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 35 tat, la notion de proximité renvoie à celle d’équivalence dont le sort théorique a été scellé par le Pierre Ménard de Borges. L’examen méthodique de la question du genre de l’Ovide moralisé butte en dernière analyse sur les problèmes théoriques de la traduction. En abordant la présentation des fables sans a priori sur la définition de la traduction, l’analyse met en évidence un rapport plus étroit qu’il ne paraît avec l’exercice de l’allégorèse. Un court extrait du Livre I – la métamorphose de Daphné – dont Marylène PossamaiPerez souligne qu’il est « très fidèle » à Ovide, permet de cerner rapidement les contours du traitement réservé aux fables : Vix prece finita, torpor grauis occupat artus, Mollia cinguntur tenui praecordia libro, In frondem crines, in ramos bracchia crescunt ; Pes modo tam uelox pigris radicibus haeret, Ora cacumen habent ; remanet nitor unus [in illa. 36 A paine ot dit ce que je di, Que tous lis cors li enroidi ; Ses ventres, qui pas n’iert ençains, Fu tous de tenvre escorce çains ; Ses crins dorez et flamboians Devindrent fueilles verdoians : Ses bras sont en lons rams. muez : Tous ses cours li est tresmuez : Li piez isneaus de la meschine Fu tenus a ferme racine. S’el fu bele avant en cors, Elle est arbre aussi bele encors. 37 Le lecteur moderne n’a aucune peine à identifier un traitement répondant en de nombreux points à ce qu’il attend habituellement d’une traduction. Bien que relativement discrète, une pratique de l’ajout apparaît cependant, qui ne correspond pas à la technique banale qui permet au traducteur de préciser le sens d’une expression lorsqu’il est impossible de trouver le mot juste ou, plus simplement, d’introduire une cheville. Marylène Possamai-Perez pense identifier avec précision cette technique au travers de certains ajouts rapprochant assez nettement Daphné de la Vierge Marie : rappel de la virginité de la nymphe (« qui pas n’iert ençains »), allusion à la couleur de ses cheveux flamboyants comme une auréole, corps transfiguré en un élément échappant à la putréfaction (« fueille verdoians »). Les exemples retenus par 36 37 v. 548-552, Ovide, TI, p. 26. Marylène Possamai-Perez, L’Ovide moralisé, p. 28. 36 « OVIDE VEUT PARLER » Marylène Possamai-Perez ne sont pas sans poser certaines questions qui tiennent à la difficulté de cerner avec précision toutes les interprétations possibles : la virginité de la nymphe ne constitue pas par définition une anticipation de celle de la Vierge ; il faut faire la part du topos dans l’association des cheveux flamboyants à une auréole ; l’allusion à la putréfaction à partir de la description du feuillage naissant frise la surinterprétation. En laissant à Marylène Possamai-Perez le crédit d’une interprétation conforme à l’ensemble de l’Ovide moralisé, la pratique de l’ajout qui peut être observée dans la traduction renvoie à celle de l’allégorèse, présente plus généralement dans la glose : le sens ajouté ne provient pas d’un calcul interprétatif basé sur les présupposés de la culture romaine, mais de la présence inférée de ce que Catherine Croizy-Naquet appelle une « vérité transcendante, enclose dans une perception chrétienne du monde » 38. L’idée de l’existence d’une telle vérité dérive directement de l’image d’Ovide au Moyen-âge telle que la résume Marylène Possamai-Perez : [Ovide] devient un modèle pour les techniques littéraires, mais aussi, et c’est plus surprenant, pour sa pensée : se développe alors le mythe d’un poète « pré-chrétien » (le fait que les Métamorphoses commencent par un récit de déluge a été senti comme une sorte de préscience de la Révélation chrétienne), et celui d’un Ovide philosophe d’être un nouvel Ovide, à la fois poète et philosophe 39. L’hypothèse interprétative sur laquelle s’appuie l’auteur de l’Ovide moralisé en rapprochant Daphné de la Vierge Marie tire très exactement les conséquences de l’idée qu’Ovide écrit sous une sorte d’inspiration de la Révélation chrétienne. Ce qu’il faut interroger, ce n’est toutefois pas tant la question d’une lecture chrétienne d’Ovide, en soi conforme à la perception médiévale de l’Antiquité, que l’opposition établie par la critique moderne entre présentation des fables et allégorèse. Celle-ci ne rend pas suffisamment compte de la constante interprétative qui relie les 38 39 Catherine Croizy-Naquet, « L’Ovide moralisé ou Ovide revisité : de métamorphose en anamorphose, Cahiers de recherches médiévales et humanistes », p. 2. Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », p. 1 QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 37 deux composantes de l’ouvrage. La signification métadiscursive que l’allégorèse vise à donner aux Métamorphoses apparaît également dans le traitement des fables elles-mêmes. Les dispositifs peuvent d’ailleurs excéder nettement les quelques ajouts identifiés dans la transformation de Daphné. Marylène PossamaiPerez 40 révèle ainsi le dispositif très sophistiqué qui vise à donner une dimension véritablement christique au personnage d’Actéon. Le traitement de la Genèse 41 implique la prise en charge du polythéisme d’Ovide – dont le poème s’ouvre par une invocation sans équivoque auX dieuX (« di ») – par un dispositif permettant une intégration aussi adéquate que possible dans le monothéisme chrétien. La composition de l’ouvrage ne se résume donc pas à la juxtaposition, au sein d’une entité unique, de la glose, habituelle dans le contexte médiéval de la traduction, à une traduction des Métamorphoses pour ainsi dire conforme aux attentes modernes en matière de traduction. Si, en effet, la traductologie ne conteste pas la part d’interprétation inhérente à l’exercice, les conditions dans lesquelles doit s’exercer cette interprétation ne sont pas celles de l’Ovide moralisé. La déontologie du traducteur moderne requiert que ce dernier établisse sa version en référence au contexte historico-poétique du texte source en excluant du texte cible toute autre visée interprétative. En dernière analyse, c’est moins la présence d’un commentaire ajouté que le traitement même des fables qui distingue l’horizon de l’Ovide moralisé de celui du Premier Livre. La distance entre les deux horizons ne doit cependant pas conduire à mettre en cause les qualités de traducteur de l’auteur de l’Ovide moralisé. La version qu’il donne de la transformation de Lycaon laisse apparaître rapidement sa maîtrise du latin et ses qualités littéraires : 40 41 Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », p. 17-21. Francine Mora, « Deux réceptions des Métamorphoses au XIVe et au XVe siècle – Quelques remarques sur le traitement de la fable et de son exégèse dans l’Ovide moralisé en vers et sa première mise en prose », p. 5-7. 38 « OVIDE VEUT PARLER » Exululat frustraque loqui conatur : ab ipso Colligit os rabiem solitaeque cupidine caedis Vtitur in pecudes et nunc quoque sanguine [gaudet. In uillos abeunt vestes, in crura lacerti ; Fit lupus et ueteris seruat uestigia formae. Canities eadem est, eadem uiolenta uultus, Idem oculi lucent, eadem feritatis imago est 42. Quand cuidoit parler, si ullot, Et de la grant ire qu’il ot Li prist une angoisseuse rage, Encore angoisse, encore enrage Des simples bestes devourer, Et, si come il seult acorer Les gens et mengier, il core Les beste et menjuë encore. Encor les escorce et desrobe. En pel fu muee sa robe ; Ses bras sont cuisses devenu ; Encor il a le poil chanu ; Il est fais leuz malz et nuisans : Encor a il les leus luisans, S’est plains de rage et de mauté, Si com il ot ançois esté 43. Non seulement, la version française reprend dans l’ordre l’ensemble des éléments saillants du texte source (le cri, les poils, les membres, les yeux, le visage) dans un récit qui ne souffre d’aucune lourdeur, mais surtout elle identifie parfaitement la logique profonde de la métamorphose décrite par Ovide, qui veut que la transformation de Lycaon exacerbe dans la figure du loup la cruauté même que Jupiter vise à punir. Présent cinq fois dans le passage, l’adverbe « encore », qu’orchestrent en écho les paronomases « acorer » et «core », souligne le lien entre le loup qui va naître et l’horreur des actions passées de Lycaon. Les champs sémantiques de la colère (« ulloit », « ire », « rage », « enrage ») et de la chasse (« devourer », « acorer », « escorce », « desrobe ») sont exploités pour fixer ce lien dans une orgie de cruauté qui souligne la justice du sort réservé à Lycaon. La maîtrise de la traduction dont témoigne l’auteur de l’Ovide moralisé interdit d’évoquer une quelconque forme de maladresse primitive pour expliquer les libertés prises dans la présentation des fables. Celles-ci se trouvent au cœur même d’une démarche délibérée qui consiste à identifier et à exprimer – quitte à le transformer profondément – tout indice potentiel d’une préscience de la Révélation chrétienne dans le récit même des Métamorphoses, 42 43 v. 233-239, Ovide, TI, p. 15. Marylène Possamai-Pérez, « Ovide au Moyen-âge », p. 11. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 39 indépendamment des commentaires qui pourront le gloser. Le raisonnement qui sous-tend cette démarche repose sur les mêmes présupposés théoriques que l’allégorèse elle-même : tout élément présent dans la fable d’Ovide est susceptible d’être compris à la lumière de l’allégorie de la Révélation chrétienne à laquelle aucun discours ne saurait échapper. Associée à sa dimension de philosophe, la réputation de poète préchrétien d’Ovide fait de lui le candidat désigné pour une interprétation chrétienne. Pour ce qui est de la présentation des fables, l’auteur de l’Ovide moralisé ne voyait aucune difficulté à se donner en quelque sorte le droit d’aider le poète latin à faire émerger le sens des histoires qu’il raconte, non seulement dans un commentaire détaché de celles-ci, mais dans la trame même de leur récit. Le fait que celui-ci demeure encore très largement identifiable dans la version ainsi produite ne suffit cependant pas à maintenir l’exercice dans l’horizon de la traduction moderne. Celui-ci interdit de faire franchir au texte cible le pas que le texte source ne franchit pas : aussi préchrétien qu’on ait pu le juger, Ovide n’est pas un auteur chrétien. L’Ovide moralisé réalise une forme de réécriture située au-delà ce que désigne le concept moderne de traduction, mais qui relève d’une lecture du poète latin qui a perduré au moins jusque dans la première moitié du XVIe. Simone de Reyff décrit un passage des Prisons 44 qui manifeste clairement que Marguerite de Navarre elle-même continue de lire le poète latin comme un précurseur de la pensée chrétienne : Lorsque le temple du savoir patiemment édifié par le prisonnier cède à l’illumination du feu divin, les livres dispersés révèlent enfin leur secret. […] Le narrateur invoque à l’appui de cette révélation toute une série d’épisodes des Métamorphoses – des malheurs de Deucalion au châtiment d’Actéon, de la pluie d’or qui féconde Danaé à l’embrasement insoutenable auquel succombe Sémélé – , dont chacun contribue à éclairer les mystères de l’amour divin. Cette lecture qui, délibérément, « laisse l’escorce » pour « prendre la mouelle » s’inscrit sans contexte dans la tradition de Pierre Bersuire et de l’Ovide moralisé, au risque de trahir un regard un peu suranné 45. 44 45 Marguerite de Navarre, Les Prisons, éd. Simone Glasson, Genève, Droz, 1978, p. 164-167. Simone de Reyff, « Introduction à l’Histoire des Satires, et nymphes de Dyane », Marguerite de Navarre, Œuvres complètes publiées sous la direction de Nicole Cazauran, Tome V, éd. André Gendre, Loris Petris, Simone de Reyff, Paris, Champion, 2012, p. 18. 40 « OVIDE VEUT PARLER » L’orientation du travail de Marot traducteur se détache de façon assez nette de l’horizon de l’Ovide moralisé. Non seulement, le Premier Livre isole complètement la présentation des fables de leur glose, mais, surtout, il relève d’une pratique de la traduction basée sur une interprétation du poème latin refusant toute inférence téléologique. Marot rend en quelque sorte Ovide à luimême en renonçant à l’éclairer sur la base de la Révélation chrétienne. Poète, Marot envisage avant tout les Métamorphoses comme un texte dont la force se situe dans le rapport unique qu’il établit avec les histoires qu’il raconte : il importe de faire en sorte que le lecteur n’ait plus les fables des Métamorphoses « loin de l’esprit » 46, conformément au motif de l’utilité du Premier Livre établi par la dédicace. Le respect du détail des récits composés par Ovide devient avec Marot la pierre d’angle du travail du traducteur : les ajouts visant à faire émerger la dimension chrétienne postulée par l’auteur de l’Ovide moralisé cessent d’être légitimes. Vu de loin, le geste de Marot traducteur semble cadrer très exactement avec le cœur même du projet de la Renaissance, souvent résumé à la redécouverte de l’Antiquité. Il faut cependant faire la part de simplification diachronique que recèlerait un tel résumé. D’une part, le traitement de la matière ovidienne au temps de Marot génère toute une série de succès d’édition dont il est difficile de soutenir qu’ils relèvent de la traduction, comme La bible des poëtes (1484, réédité en 1493, 1523 et 1531) ou le Grand Olympe (1532). D’autre part, rien ne dit que la traduction en langue vernaculaire participe véritablement du projet humaniste d’édition des textes de l’Antiquité. Dans Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses d’Ovide, illustrées et publiées en France à la fin du XVe siècle et au XVIe siècle, Ghislaine Amielle établit une généalogie 47 qui rattache à la double ascendance de l’Ovidius Morazilatus de Pierre Bersuire rédigé au XIVe siècle et d’un remaniement en prose de l’Ovide moralisé situé vers 1466-1467 aussi bien La bible des poëtes que le Grand Olympe : les deux ouvrages se distinguent cependant sur 46 47 Marot, TII, p. 406. Ghislaine Amielle, Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses p. 37. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 41 un point essentiel, puisque le Grand Olympe vise à « débarrasser les Métamorphoses d’un pesant appareil doctrinal qui interdisait, dans La bible des poëtes, toute lecture sensible ou simplement littérale du poème » 48. La composition de La bible des poëtes présente un caractère remarquablement méthodique qui indique à lui seul qu’il n’est plus possible d’aborder les Métamorphoses avec la confiance herméneutique dont témoigne l’auteur de l’Ovide moralisé. L’ouvrage débute par un « Prologue » dans lequel l’auteur expose à la fois les raisons qui le poussent à donner cette version des Métamorphoses et la méthode utilisée. Basé sur l’existence de fables à l’intérieur même de la Bible, l’argument qui motive l’adaptation d’Ovide indique qu’une interprétation des textes profanes selon une méthode parallèle à celle de l’interprétation des écritures peut les rendre profitables : Combien que les fictions de aucuns vulgaires soient réputées choses vaines et fabulatoires auxquelles ne faut ajouter aucune foi, si n’est-il pas pourtant raisonnable que du tout on les rejette, car comme par expérience nous voyons la Sainte Ecriture en plusieurs lieux est vue user de similitudes et fables, ainsi comme au Livre des Rois est récitée la fable du roi des arbres, en Ezéchiel, de l’aigle qui feint emporter la moelle du cèdre. Notre Seigneur aussi faisant en la terre les prédications selon le témoignage de ses évangélistes est vu user en plusieurs lieux de similitudes paraboliques et paroles saintes, non pas pour vouloir induire son peuple à croire la fiction, mais pour plus facilement leur donner à entendre la vérité sous celle fiction enclose. Vrai est aussi que jamais de poète ou orateur de haute éloquence ne fut bonnement prise fable qui ne fût exemplaire ou couverture d’aucune vérité, parquoy les sages et grands clercs ne les ont point rejetées, mais d’elles ont tiré allégoriquement / moralement / historialement ou réellement vérité moulte profitable 49. Une double négation dans la phrase qui exprime la valeur des fables d’Ovide dit à elle seule à quel point le chemin est long du fabuliste à la vérité acceptable : 48 49 Ghislaine Amielle, Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses p. 94. « Feuillet du Prologue », La bible des poëtes. Métamorphose [d’Ovide moralisée par Thomas Walleys et traduite par Colard Manson], Paris, A. Vérard, Aii ro. Il y a trois éditions électroniques disponibles sur Gallica. L’édition citée ici, 42 « OVIDE VEUT PARLER » [Ovide] qui si grand poète fut que son livre par antonomase excellente est appelé la Bible des poètes n’y assembla point les fictions qui y sont qu’elles ne fussent réductives à aucune vérité ainsi comme bien appert en son livre où évidentement le montre de la guerre aux Troyens 50. L’idée d’un Ovide préchrétien semble d’ailleurs totalement abandonnée lorsqu’on lit : Bonne chose utile et profitable est d’être enseigné de son ennemy, parquoy tirer vérité de fable et poétique fiction est profitable 51. Prudemment, le « Prologue » se termine sur l’annonce d’une série de feuillets consacrés à la description des divers dieux païens dans le but manifeste de les rendre compatibles avec une lecture chrétienne : […] cestuy livre contient plusieurs fables esquelles est faite mention d’aucuns noms de dieu en dieux et déesses ainsi que les anciens feignaient pluralité de dieux : et à ceux qui avaient aulcune singulière vertu ou prééminence plus que autres assignaient déité 52. Dix-sept feuillets suivent le « Prologue » pour donner la description et figure (illustration) des principaux dieux de la mythologie : Saturne, Jupiter, Mars, Apollon, Vénus, Mercure, Diane, Minerve, Junon, Cybèle, Neptune, Pan, Bacchus, Pluton, Vulcain, Hercule et Esculape. Les descriptions alternent le rappel des exploits des dieux et l’interprétation morale de ces derniers. L’iconographie habituellement associée aux dieux apparaît dans des vignettes dont la portée symbolique est également commentée. Un index simplement nommé « La Table » suit les feuillets consacrés à la description des dieux et passe en revue les épisodes des différents livres qui seront traités 53 : « La Table » divise chaque livre en chapitres, ainsi pour le Livre I : 50 51 52 53 reconnaissable parce qu’elle est sans date, est liée à l’identifiant ark :/12148/ bpt6k709675. « Feuillet du Prologue », La bible des poëtes. Métamorphose, Aii vo. « Feuillet du Prologue », La bible des poëtes. Métamorphose, Aii vo. « Feuillet du Prologue », La bible des poëtes. Métamorphose, Aii vo. Dans le « Prologue », l’auteur a averti le lecteur qu’il avait laissé certaines fables mineures de côté. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 43 Cy commence la table de ce présent livre intitulé Ovide Métamorphose. Et premièrement l’intitulacion du livre au feuillet premier. ¶ Comment Dieu créa le firmament. Et le trébuchement des mauvais anges en enfer. Et comment il créa l’homme à sa semblance / feuillet ii. ¶ De la création de toutes les bêtes. Et de la dignité de l’âme humaine. Et de la transgression d’Adam / feuillet iii. ¶ Comment Ovide l’acteur de ce présent livre entre en sa matière. Et premièrement du roi Saturne, de sa femme et des ses enfants / feuillet iii. ¶ Comment Jupiter retourna d’Arcade en Crète dont il débouta Saturne son père et lui ôta les génitoires dont fut engendrée Venus / feuillet iiii. ¶ Comment après que Saturne fut exilé de Crète, il arriva en Italie où le roi Janus le reçut à grand honneur / feuillet iiii. ¶ Comment Titan frère de Saturne mut guerre contre Jupiter et fut vaincu en bataille / feuillet iiii. ¶ Comment Jupiter s’en alla en Arcade où il mua le roi Lycaon en un loup / feuillet iiii. ¶ Comment Jupiter assembla tous les dieux et si leur dit qu’il voulait détruire tout le monde / feuillet vi. ¶ Comment Jupiter fit le monde périr par eau / feuillet vi. ¶ Comment Deucalion et Pyrrha la femme restaurèrent tout le monde. Et de la réponse que Thémis la Déesse leur fit / feuillet vii. ¶ Comment Phébus occit le serpent Python. Et de l’amour qu’il eut à Daphné la pucelle qui devient laurier / feuillet vii. ¶ Comment Jupiter aima Io la fille Inachus. Et comment il la mua en vache pour la peur de Junon sa femme, laquelle Junon bailla ladite vache à garder à Argus / feuillet vii. ¶ Comment le flaiol fut premièrement trouvé par la mutation de la belle Syrinx / feuillet ix. ¶ Comment Mercurius occit Argus. Et comment les yeux furent mis en la queue du paon de Diane / feuillet x. ¶ Du débat qui sourdit entre Epaphus et Phaéton son compagnon qui se disait fils de Phébus / feuillet xi 54. On ne reconnaît qu’avec peine les premiers épisodes du Livre I dans le sommaire que propose « La Table » : le titre « Comment Ovide lacteur de ce présent livre entre la matière » indique peu 54 « La Table », La bible des poëtes. Métamorphose, Ciiii ro. 44 « OVIDE VEUT PARLER » ou prou le moment où le texte commence à se rapprocher l’original ovidien, ou tout au moins la mythologie latine, l’épisode de la chute de Saturne ne se trouvant pas dans Les Métamorphoses. Le début du livre n’est pour autant pas totalement inventé par l’auteur de La bible des poëtes : il consiste plutôt en un savant dosage de parties héritées d’Ovide et d’extraits de la Bible. A partir de l’épisode de l’arrivée de Saturne en Italie, le texte distingue plus clairement les récits des commentaires, en ajoutant des titres tels que « Sens moral », « Alegorie », « Sens historial ». Rien ne semble laissé au hasard pour permettre au lecteur d’apprendre de ces « ennemis » que sont les fables et l’imagination poétique. La dimension littéraire des Métamorphoses n’est pas au centre des préoccupations de l’auteur de La bible des poëtes qui indique dans le « Prologue » : Oultreplus l’étude des anciens poètes et orateurs était de solicitement couvrir les histoires et choses que réellement ils savaient être vraies sous fables et fiction de poésie parquoy Lucain est mieux dit historiographe que poète et n’est pas de raison que les beaux dits et fables des anciens poètes où tant de belles vérités sont closes soient réprouvées sans respect de nulle valeur 55. La valeur du texte d’Ovide est à rechercher dans les vérités qu’il contient, sans que la dimension poétique ait véritablement à être prise en compte. Le récit de la transformation de Lycaon par Jupiter que l’auteur de l’Ovide moralisé avait rendu avec talent est tout à fait révélateur. La version de La bible des poëtes tient en une formule laconique : « mais j’ai de lui pris si griève vengeance que je lui ai mué la forme humaine en ravissant loup » 56. Il en va de même pour la transformation de Daphné : « Et tantôt la Déesse ouit la prière, si la convertit et mua en laurier » 57. Etant donné l’épais matériel éditorial qui sépare La bible des poëtes de l’original ovidien, il semble vain de tenter d’évaluer ici un phénomène de traduction. 55 56 57 « Feuillet du Prologue », La bible des poëtes. Métamorphose, Aii ro. « Feuillet du Premier Livre de Ovide », La bible des poëtes. Métamorphose, vi ro. « Feuillet du Premier Livre de Ovide », La bible des poëtes. Métamorphose, viii ro. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 45 Trois décennies plus tard, le programme du Grand Olympe semble mettre au contraire l’accent sur la restitution de la poésie ovidienne : Mais entre tous le prix en a remporté l’amoureux poète Ovide en ses transformations : œuvre de si grand prix et de tant de grâce que les Grecs l’on traduit en leur langue. Ce que aussi dernièrement a été fait en la langue Française : digne que tel livre soit par icelle lu selon le naturel du livre sans allégories : lesquelles mieux que ailleurs sont traitées par Fulgence en ses Mythologies ; lequel avec céleste faveur au premier jour parlera François 58. Retrouver le « naturel du livre » appelle une manière de traduire qui semble infiniment plus moderne que celle de La bible des poëtes. Eclairer la portée exacte de l’expression dans son contexte constituerait cependant une entreprise particulièrement périlleuse. Fort heureusement, le reste du passage indique assez clairement dans quelle direction est orientée le projet du traducteur. Quelques lignes avant le passage cité, l’évocation de Platon exigeant un volume de Sophron comme oreiller alors qu’il voyait « les limites de la vie » ou d’Alexandre endormi sur l’Iliade interdit toute équivoque : la lecture d’Ovide doit être envisagée pour le plaisir qu’elle procure. La question qui se pose dès lors est celle de la réussite du projet poétique en tant que tel. Le texte en prose du Grand Olympe reproduit certes avec soin la progression narrative des fables d’Ovide, mais il procède le plus souvent de façon paraphrastique à partir du texte de La bible des poëtes et peine à saisir le souffle du texte latin. A nouveau, l’épisode de Lycaon est révélateur : Le cruel, voyant le feu prestement obéir à mon commandement, et mettre en exécution par toute sa maison la vengeance méritée, épouvanté prit fuite, et se retira errant par les bois, et hurlant comme un loup qui déjà à demi était. Et perdu avait parole quand ses robes furent muées en peau velue, les bras en cuisses, toutefois la blanche veillesse qu’il avait lui demeura, les yeux étincelants, et la même 58 Le Grand Olympe des histoires poétiques du prince de poésie Ovide Naso en sa Métamorphose, œuvre authentique de hault artifice, pleine de honneste récréation. Traduyct de latin en françoys et imprimé nouvellement, Lyon, Romain Morin, 1532, ai vo. Il y a deux éditions électroniques disponibles sur Gallica. L’édition citée ici est liée à l’identifiant ark :/12148/btv1b8600297j. 46 « OVIDE VEUT PARLER » cruauté, et en despuis l’ardeur qu’il avoit de meurtrir, exerce envers les simples brebis, et a joie de sang épandu 59. On n’identifie pas d’exploitation directe de l’original ovidien. Chez le poète latin, Lycaon qui hurle tente en vain de continuer à parler et ne comprend pas le sort qui l’attend ; sa bouche désormais partiellement inutile devient un pur instrument de carnage ; finalement, la transformation en loup dit la forme ultime de la cruauté de Lycaon. De son côté, la version de la métamorphose de Daphné en laurier reprend mot pour mot le texte de La bible des poëtes : « Et tantôt la déesse ouit la prière, si la convertit & mua en laurier » 60. Tout se passe comme si la simple reprise des éléments référentiels du texte d’Ovide trouvés dans La bible des poëtes suffisait à rendre le plaisir du texte : or, si la prose du Grand Olympe est tout à fait fluide, elle est aveugle aux pertes occasionnées par un renoncement radical à l’épaisseur de l’expression originale. Ainsi, au commencement du monde, l’évocation purement géographique des éléments permet d’illustrer en quoi la rédaction se distingue d’une traduction : Nec circumfuso pendebat in aere tellus Ponderibus librata suis, nec brachia longo Margine terrarum porrexerat Amphitrite 61. Encore la terre soutenue de son poids et pendue au milieu des éléments n’était mise à son fil et plomb solide, et sise en sa rondeur sphérique. Encore la grand mer n’avait étendu ses longs & larges bras à l’entour de la terre 62. Ovide désigne la mer en évoquant la déesse Amphitrite : la représentation de la mer englobante au travers d’une figure mythologique ne relève certes pas du système interprétatif jugé nécessaire par les auteurs de l’Ovide moralisé ou de La bible des poëtes. Elle met cependant en évidence la polysémie de « brachia », jusqu’à faire avancer à Barthélemy Aneau une étymologie 59 60 61 62 Le Grand Olympe des histoires poétiques du prince de poésie Ovide Naso, Le Premier Livre, Feuillet XI vo. Le Grand Olympe des histoires poétiques du prince de poésie Ovide Naso, Le Premier Livre, Feuillet XV ro. v. 13-14, Ovide, TI, p. 7. Le Grand Olympe des histoires poétiques du prince de poésie Ovide Naso, Le Premier Livre, Feuillet III ro. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 47 quelque peu fantaisiste pour le nom « Amphitrite » : « Amphitrite signifie rasant la terre tout au tour, qu’est la grand mer. » 63 La version du Grand Olympe conserve certes le mot « bras », mais avec beaucoup moins de relief. L’abandon de l’allusion mythologique conduit à négliger un caractère essentiel de la poésie d’Ovide, construite précisément pour tirer partie de la capacité du langage à dépasser ce qu’Aneau appelle « la simple et nue declaration des choses » 64. La distance avec le texte original d’Ovide qui caractérise le Grand Olympe a pour effet d’effacer des indices importants pour l’interprétation du texte, même lorsqu’il désigne de façon tout à fait transparente le référent du texte source, en donnant « la mer » pour « Amphitrite ». Or, le jeu avec ces indices est l’un des charmes les plus évidents de la poésie des Métamorphoses : par exemple, lorsque le poète rappelle l’institution des jeux pythiques par Apollon, il fait remarquer que les vainqueurs étaient couronnés par des feuilles de chêne, le laurier n’existant pas encore (« Nondum laurus erat » 65) ; ce faisant, il prépare implicitement la transition vers la transformation de Daphné dont le récit va suivre. En verbalisant explicitement cette transition, le Grand Olympe commet une maladresse en quelque sorte inverse à celle de l’effacement d’un indice, sa transformation en information précise : Et en signe d’icelle victoire établit un jeu qu’il fit appeler la fête Pythia. Et était une course de jeunes gens, et celui qui mieux fuirait aurait couronne de néflier, car en ce temps n’était point encore de laurier, car s’il en eût été Phebus l’eût porté pour la victoire qu’il avait eue. Et l’occasion pourquoi le laurier vient premièrement, je le compterai prestement 66. Si le système de commentaires intégrés de l’Ovide moralisé ou de La bible des poëtes est situé très nettement en dehors de l’horizon de la traduction moderne, le rapport du Grand Olympe au texte original l’est tout autant. En réalité, ce que recherche le 63 64 65 66 Trois premiers livres, p. 42. Barthélemy Aneau, « Préparation de voie », Trois premiers livres, p. 7. Ovide, TI, v. 450. Le Grand Olympe des histoires poétiques du prince de poésie Ovide Naso, Le Premier Livre, Feuillet XIIII ro. 48 « OVIDE VEUT PARLER » Grand Olympe, c’est une forme libre de réécriture permettant d’introduire dans le texte des Métamorphoses une copia porteuse d’interprétations moins déterminées par l’original latin. Paul Chavy souligne que le projet n’est pas dénué d’une ambition littéraire qui a pu plaire aux lecteurs du temps de Marot : […] des deux autres [versions], laquelle représente le mieux les tendances nouvelles ? Laquelle est digne de la Renaissance ? Nous penchons aujourd’hui pour celle de Marot ; elle nous paraît obéir davantage au goût de l’authentique, que nous attribuons, peut-être un peu généreusement, à l’humanisme du XVIe siècle. Mais tel n’était pas, semble-t-il, l’avis des contemporains : la relève de l’indigente Bible des poètes, ce ne sont pas des traductions comme celle de Marot qui l’ont assurée, sobres et relativement exactes, c’est la luxuriante paraphrase du Grand Olympe, où les mythes païens prolifèrent sur le poème d’Ovide, comme jadis les interprétations chrétiennes dans l’Ovide moralisé 67. Rien n’indique qu’aux alentours de 1530 le projet du Premier Livre soit susceptible de rendre subitement obsolètes les expériences littéraires issues de la tradition médiévale. Si Ann Moss 68 indique que la Metamorphosis Ovidiana de Bersuire publiée en 1509 « quickly fell out of fashion », l’importance que Barthélémy Aneau accorde à l’allégorèse dans son traitement des Métamorphoses témoigne de la vogue persistante des versions glosées d’Ovide. C’est en réalité une vie entière d’étude humaniste, celle de Barthélemy Aneau, qui sépare la publication du Grand Olympe (1532) de l’édition des Trois Premiers Livres de la Métamorphose (1556) : le dispositif mis en place par l’auteur de l’Imagination poetique relève d’une érudition capable d’embrasser toutes les dimensions des Métamorphoses. La page de titre décrit ce dispositif dans un ordre qui peut servir de guide à la découverte de l’ouvrage : 67 68 Paul Chavy, « Les traductions humanistes au début de la Renaissance française : traductions médiévales, traductions modernes », Canadian Review of Comparative Literature, 1981/8, no 2, p. 298. Ann Moss, Ovid in Renaissance France. A survey of the latin editions of Ovid and commentaries printed in France before 1600, The Warburg Institute, University of London, 1982, p. 26. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 49 Trois premiers livres DE LA METAMORPHOSE D’OVIDE, Traduictz en vers François. Le premier Et second, par CL. Marot. Le tiers PAR B. ANEAU. MYTHOLOGIZEZ par Allegories Historiales, Naturelles et Moralles recueillies des bons autheurs Grecz, et Latins, sur toutes les fables, et sentences. Illustrez de figures et images convenantes. AVEC UNE PREPARATION de voie à la lecture et intelligence des Poëtes fabuleux 69. Le titre désigne d’abord l’ouvrage comme une traduction « en vers François » : Aneau explique que son projet consistait à l’origine à donner la traduction de la totalité des Métamorphoses, mais que son « entreprinse trop negligente a esté prevenue par François Habert » 70 dont la traduction des Six livres de la Métamorphose est parue à Paris en 1549. Aneau ne dit pas si la traduction complète à laquelle il pensait devait être ou non complétée par des interprétations du même type que celles qu’il donne aux trois premiers livres : une telle réalisation aurait sans doute constitué LA version du siècle, mais, à plus de 50 ans, Aneau a pu considérer qu’il était plus sage de s’en tenir aux éléments dont il disposait déjà. Un point semble cependant acquis : les livres traduits par Marot auraient trouvé leur place dans la traduction complète prévue par Aneau. D’une part, ce dernier semble considérer la traduction comme une entreprise par nature collective : Et en cela [donner sa version, malgré la parution de celle d’Habert] m’en est prins comme aux bons Poëtes de present, Du Belay et des Masures : qui tous deux se sont rencontrez en mesme translation de l’Aineide Vergiliane, sans en estre destournez l’un par l’autre, ne l’un ne l’autre par la premiere traduction de Messire Octovian de Sainct Gelais 71. 69 70 71 Trois premiers livres, p. 1. Trois premiers livres, p. 13. Trois premiers livres, p. 13. 50 « OVIDE VEUT PARLER » D’autre part, après avoir passé la version de Marot au crible d’une lecture philologique serrée, Aneau décrit les « emendations » qu’il apporte au texte marotique comme des compléments utiles qui ne remettent pas en cause la réussite globale des deux premiers livres. Surtout, la préoccupation principale d’Aneau porte sur l’observation d’une méthode rigoureuse pour l’élaboration des commentaires qui accompagnent la traduction : […] j’ay illustré ces trois livres d’interprétation apposée pres du texte, et ce non point par tropologies anagogicques […]. Je ne l’ay aussi adaptée à l’Alchemie […]. Quant à mon intelligence je l’expose par belles mythologies Allegoricques, et convenantes interpretations des fables extraictes des meilleurs Mythologes de la Grece, et Rommanie : et aussi recueillies par cy par là en diverses lectures de Philosophes, Orateurs, Historians, et commentateurs en y adjoustant ce que de mon jugement, et sens naturel je y puys approprier en suyvant la raison 72. Le programme interprétatif exposé par Aneau tranche nettement avec les allégorèses de l’Ovide moralisé ou de La bible des poëtes : renonçant à la glose un peu mécanique induite par la perspective exclusivement chrétienne du commentaire, la méthode anelienne exploite toutes les ressources à la disposition du lecteur de la Renaissance. Jean-Claude Moisan consacre une étude magistrale à la construction rigoureuse de la lecture critique opérée par Aneau, construction d’autant plus fascinante qu’elle se manifeste au travers de commentaires presque triviaux sobrement apposés à la version française. « Aneau semble débiter, laconiquement, des évidences » 73 écrit Moisan dont l’analyse établit au contraire la cohérence profonde de l’entreprise anelienne. La pratique du commentaire par Aneau n’ignore rien des ressources rhétoriques présidant à la naissance de l’allégorie : elocutio, dispositio et inventio sont toutes envisagées. Au-delà de la grille rhétorique, Moisan met en évidence ce qu’il appelle la « macrostructure du commentaire » et qui désigne « un vaste intertexte susceptible de recouper, en général, celui des recueils d’emblèmes mais, plus 72 73 Trois premiers livres, p. 17-18. Trois premiers livres, LXXII. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 51 particulièrement, celui des recueils d’emblèmes produits ou traduits par Aneau avant que ne paraisse son édition des Métamorphoses. » 74 L’organisation supérieure de l’interprétation est assurée par une arborescence qui, à partir de récurrences du commentaire au sujet de l’allégorie physique (Phébus représentant le Soleil), se déploie horizontalement à destination, par exemple, de l’allégorie morale (style d’exercice du pouvoir à travers sa course diurne) ou de l’allégorie historique (éruption volcanique, sécheresse en Ethiopie). Le principe central du decorum régule le développement de cette arborescence pour éviter son explosion en jungle interprétative. La conjonction d’une traduction en vers soignée et d’un commentaire érudit ambitieux pose la question des limites respectives des deux exercices. Malgré la dédicace « A treshonnestes et vertueux adolescens Francois, et Leonard Pornas, freres germains lyonnois », l’ambition de l’entreprise anelienne n’est pas simplement didactique. La « Preparation de voie à la lecture, et intelligence de la Metamorphose d’Ovide, et de tous poëtes fabuleux » s’ouvre sur le vertige que provoque l’idée de la compréhension d’un poème : L’AME de l’homme procedée de l’infini, est aussi infinie en ces deux propres actes de volunté, et intelligence. […] Laquelle Ame estant infinie en ces deux puissances et actes, ne se contente de la simple et nue declaration des choses : mais oultre ce a voulu y cercher aultre sens plus secret, et attaindre à plus haut entendre : où elle cognoissoit icelluy estre abscons, et elevé : ou bien si tel n’y sembloit estre, le y a voulu adapter 75. Avant de décrire les moyens qu’il se donne pour révéler le « sens plus secret », et « attaindre à plus haut entendre », Aneau livre une ample réflexion sur la valeur épistémologique de la poésie qu’il qualifie constamment de « divine » : sur ces matières, l’humaniste se place dans une perspective habituelle à l’époque. La liste étourdissante des lectures préalables à « l’intelligence des fables poëtiques » qu’il dresse ensuite mérite cependant une mention : plus d’une cinquantaine de références, mêlant poètes grecs 74 75 Trois premiers livres, LXVI. Trois premiers livres, p. 7. 52 « OVIDE VEUT PARLER » et latins, grammairiens et historiens, incluant jusqu’aux philosophes chrétiens. Aneau rappelle encore que le poème d’Ovide est celui qui constitue, par excellence, le terrain de choix de l’interprétation : Or est il vray que entre toutes les Poësies Latines n’en y a point de si ample, ne de tant riche, si diverse, et tant universelle que la Metamorphose d’Ovide qui contient en quinze livres composez en beaux vers Heroiques toutes les fabulations, (ou à peu pres) des Poëtes, et scripteurs anciens tellement liées l’une à l’autre, et si bien enchainées par continuelle poursuycte, et par artificielles transitions : que l’une semble naistre, et dependre de l’autre successivement, et non abruptement : combien qu’elles soient merveilleusement dissemblables de diverses personnes, matieres, temps, et lieux 76. Aneau entend embrasser la richesse « si diverse, et tant universelle » des Métamorphoses au travers d’un dispositif sophistiqué qui associe traduction en vers, illustrations et commentaires. Même si elle a recours à des méthodes interprétatives renouvelées, organisées selon un schéma cohérent, la stratégie appliquée rejoint à certains égards la tradition qui, depuis l’Ovide moralisé, a vu le plus souvent les versions françaises être accompagnées par un appareil métadiscursif dont le volume dépasse celui du poème original. Il s’agit de s’assurer que soient compensées les pertes éventuellement provoquées par la traduction en actualisant les signifiés potentiels définis sur la base de la technique d’interprétation retenue. La formule est d’autant plus acceptable qu’elle traverse des époques qui, de la glose médiévale au commentaire humaniste, n’aiment rien tant que les marginalia, notes et autres formes de l’écriture réflexive. Une question cependant se pose : le commentaire parvient-il réellement à rendre compte de la richesse que perçoit le commentateur ? L’évolution du canon herméneutique rend la question un peu caduque en ce qui concerne l’Ovide moralisé ou La bible des poëtes. Il semble plus pertinent de l’adresser aux Trois premiers livres dont les références interprétatives conservent nettement plus de pertinence aux yeux du lecteur d’aujourd’hui : au-delà de la justesse de la « Preparation de voie », au-delà de la subtile 76 Trois premiers livres, p. 12. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 53 construction du commentaire anelien, l’expérience consiste-t-elle à lire Ovide comme Aneau ou à travers Aneau ? Est-il véritablement possible d’oublier l’existence du seuil que constitue le métatexte pour entrer directement dans le texte ovidien ? La pratique des marginalia masque-t-elle, en dernière analyse, un aveuglement semblable à celui de Pierre Ménard dont la version du Quichotte reprend mot pour mot le texte de Cervantès ? Le choix marotique d’une version dénuée de commentaire exploite quant à lui l’incomplétude de la traduction pour affirmer l’autorité du modèle : toute traduction est traduction de quelque chose, aucune traduction ne se renferme sur elle-même. Le lien au texte source relie à l’infini de ce dernier. Face aux stratégies maximalistes organisées autour du commentaire, le geste de Marot se fie à la devise de son maître, Jean Lemaire de Belges 77 : « de peu assez ». Le commentaire n’est pas le complément obligatoire de la traduction, même pour un livre de sens aussi « secret » – pour reprendre l’expression de Barthélemy Aneau – que les Métamorphoses. La limite même de la traduction, qui implique un écart avec le texte source, contient en soi une invitation à revenir à l’original pour en goûter la souveraine richesse. Proposer une interprétation globalisante dans le volume même qui contient la traduction relève d’une conception éditoriale qui tend à ériger le traducteur-éditeur-commentateur en « auctor » surplombant au final l’auteur source. Le mouvement général des idées à l’époque de Marot consiste au contraire à promouvoir un retour à l’autorité du texte original. Rien ne dit cependant qu’aux yeux des grands humanistes contemporains de Marot, un texte traduit en langue vernaculaire ait pu jouir d’une autorité quelconque. HUMANISME ET TRADUCTION Nombreux sont les liens entre les idées nouvelles qui s’imposent progressivement sous le règne de François Ier et l’entreprise consistant à donner une traduction soignée, en français et en vers, 77 François Rigolot, « De peu assez : Clément Marot et Jean Lemaire de Belges », Actes Cahors, 185-199. François Rigolot souligne l’absence chez Marot de long dithyrambe consacré à Jean Lemaire De Belges, mais suggère que la devise « de peu assez » guide tout de même Marot dans son attitude face à l’héritage poétique transmis par la génération précédente. 54 « OVIDE VEUT PARLER » d’un des textes les plus connus de la tradition antique, mais ces liens ne forment pas de cohérence autour d’une inscription immédiate du Premier Livre dans le projet des grands lettrés du temps. La dédicace à François Ier trace les contours de la problématique : Marot à la fois s’aventure en philologue sur la question de l’étymologie du mot « métamorphose », insiste sur ses propres limites de latiniste et se montre soucieux de ceux « qui n’ont la langue Latine » 78. Tout se passe comme si le poète lui-même hésitait à inscrire clairement sa réalisation dans le courant humaniste : revenir à certains des projets les plus symboliques de la progression des idées nouvelles permet de comprendre la justesse de la position de Marot. Glyn P. Norton ouvre la grande synthèse qu’il donne des questions théoriques de la traduction dans la France du XVIe siècle en remontant aux origines mêmes de l’humanisme : il rappelle par exemple le rôle éminent joué par Manuel Chrysolas, érudit byzantin arrivé à Florence en 1398 79. Norton détaille également la progression des idées dans l’Italie du XVe siècle au travers de théoriciens tels que Leonardo Bruni ou Giannozzo Manetti. Norton s’intéresse cependant peu aux réalisations effectives de la traduction humaniste : en tant que telle, une entreprise aussi emblématique que la traduction du Nouveau Testament par Erasme est totalement absente de la perspective de l’ouvrage 80. Considérer la traduction humaniste au travers de la pratique d’Erasme conduit à laisser un peu de côté les spéculations théoriques sur les modalités du passage d’une langue à une autre pour se concentrer sur les progrès apportés par une méthode centrée sur l’établissement du texte source et la distinction nécessaire entre le texte et son commentaire. Prendre toute la mesure de ces progrès implique de se souvenir que la version qu’Erasme cherche à dépasser n’est rien moins que celle de Saint Jérôme. Le 78 79 80 Marot, TII, p. 406. Glyn P. Norton, The Ideology and Language of Translation in Renaissance France, 34-35. Ce qui peut se comprendre, si l’on considère la perspective de Norton. Celleci consiste, il faut le rappeler, à donner une synthèse des théories de la traduction à la Renaissance, telle qu’elle puisse révéler une approche subtile (et toujours pertinente aujourd’hui) de la question théorique de la traduction. La dimension très nettement spéculative de l’ouvrage le rend cependant peu opérationnel pour aborder une réalisation donnée. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 55 prestige de cette version est tel qu’une justification est nécessaire pour celui qui entend la modifier. Paul Jacopin et Jacqueline Lagrée résument ainsi le raisonnement qui sous-tend l’entreprise d’Erasme : La fausse vénération de l’Ecriture, c’est le respect superstitieux de la lettre qui s’interdit d’en changer serait-ce un iota, sans tenir compte des conditions de rédaction et de diffusion, des recopiages, des erreurs des copistes, des gloses des commentateurs. L’inspiration du Saint-Esprit ne vaut que pour les premiers rédacteurs des Evangiles et pas pour les diffuseurs ou les traducteurs. Donc la Vulgate, la traduction de Jérôme, n’est pas inspirée même si cette traduction mérite la préférence en raison de sa valeur intrinsèque et de son adoption par la tradition de l’Eglise 81. La confiance d’Erasme dans la philologie éclate dans l’idée que la méthode, et non l’inspiration, fonde les critères permettant de juger de la valeur d’une version : on n’imagine guère affirmation plus forte des ambitions humanistes dans le domaine de la traduction. Le texte cible que propose cette dernière doit pouvoir servir de base à la discussion érudite. Une ligne de partage doit cependant être tracée nettement entre traduction humaniste et traduction vernaculaire : seules les versions de la première sont acceptables au titre de l’idée du retour aux sources. Pour prendre toute la mesure de ce que pouvait avoir de radical le projet humaniste, il est utile de revenir sur certaines des conceptions de Budé à propos du retour à l’Antiquité. En évoquant les circonstances de l’institution des lecteurs royaux, qu’il appelle « le grand projet » du règne François Ier, Gilbert Gadoffre revient sur le projet original de Guillaume Budé, celui d’un temple des muses situé face au Louvre, projet sur lequel l’humaniste insiste dans la préface des Commentarii linguae latinae qu’il adresse au roi : Vous établiriez, disiez-vous, un temple splendide pour la science par excellence et les lettres d’humanité, vous construiriez un pensionnat immense où il serait possible pour les adeptes des Lettres de suivre le parcours encyclopédique et, pour qui le désirerait, de franchir le 81 Paul Jacopin, Jacqueline Lagrée, Erasme – Humanisme et langage, Paris, PUF, 1996, p. 54. 56 « OVIDE VEUT PARLER » long stade ; on y trouverait en abondance tous les instruments propres à faciliter l’étude ; on admettrait dans ce pensionnat un grand nombre d’étudiants qui sembleraient voués au culte d’Athéna et des Muses 82. Gadoffre démontre que ce projet, désigné le plus souvent par Budé sous le terme de Mouseïon, ne vise rien moins que le rétablissement complet de l’Antiquité. Budé appelle ce retour « apocatastasis antiquae sapientiae » 83 suivant le concept astronomique d’apocatastasis (retour d’une étoile à sa position première). Gadoffre estime que François Ier se montra d’abord réticent au projet. Le critique fonde sa conviction sur un passage du dialogue De Philologia dans lequel Budé prête au roi les propos suivants : […]il y a des déluges pour les civilisations comme pour la Nature, qui engloutissent pêle-mêle tout ce qui avait été inventé pour l’usage des hommes et pour leurs échanges […]. Mais il y a une chose que nous ne verrons pas : c’est la remontée à la surface et la résurrection de ce que les déluges ont englouti, même si nos contemporains retournaient toutes les pierres, même s’ils ne reculaient devant aucun obstacle, même s’ils fouillaient les mers pour en extraire ce qui a été enseveli 84. Les circonstances politiques longtemps incertaines (captivité en Espagne, opposition des forces conservatrices, affaire Berquin) amènent finalement François Ier à revoir sa position et à décider l’institution des lecteurs royaux que Gilbert Gadoffre qualifie de « compromis » pour souligner la différence entre l’ambitieux idéalisme du projet originel de Budé et le pragmatisme de la solution retenue par François Ier. Il n’y a, cependant, aucun compromis sur l’horizon du projet, tout entier résumé dans la formule apocatastasis antiquae sapientiae : ce sont deux chaires de grec et deux chaires d’hébreu qui sont créées au début de l’année 1530 pour les lecteurs royaux. 82 83 84 Budé, Correspondance, t. I. Lettres grecques, p. 349, cité par Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 208. Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 209. Budé, De Philologia, éd. 1536, fol. XLI vo, cité par Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 210. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 57 Dans le nouvel espace institué par la décision royale, les auteurs vernaculaires tentent de se faire un place, mais cela se révèle plus délicat qu’il ne paraît. Thomas Hunkeler rappelle comment Antoine Héroët, auteur d’une traduction en français d’un extrait du Banquet de Platon, tente de placer son projet dans la droite ligne du projet humaniste français : Livres estoient par enormes delicts Auparavant morts et ensepveliz, Doctes estoient par ignorantz tués ; De vostre regne on voit restitués Grec et Hebrieu (langages trop hays) Et les bannys remys en leur pais 85. Thomas Hunkeler souligne toutefois qu’au travers de ses métaphores, l’épître d’Heroët « témoigne […], sans doute malgré elle, des contradictions avec lesquelles l’homme de la Renaissance doit s’arranger quand il entend se démarquer du Moyen Âge 86» : d’abord, la tradition qu’il s’agit de restituer n’était pas véritablement morte ; ensuite, le texte que traduit Heroët a été restitué, bien avant le règne de François Ier, par le travail de Marsile Ficin ; enfin, au niveau linguistique, le latin, langue majeure de l’Antiquité, n’a jamais disparu. L’inscription directe d’un projet de traduction vernaculaire dans la dynamique induite par Budé semble devoir s’accommoder de nombreuses approximations. Au-delà des complexités éditoriales requises par l’inscription de la traduction vernaculaire dans le projet humaniste, c’est bel et bien l’existence d’une pensée vivante, exprimée en latin, qui semble interdire aux versions françaises toute justification par la nécessité du retour à l’Antiquité. Il ne s’agit pas simplement de conserver, par habitude, la langue des clercs du Moyen-âge. Dans la suite des querelles des anciens, le latin est été mis en balance avec le grec dès la renaissance des études hellénistiques 87. 85 86 87 Antoine Heroët, L’androgyne de Platon, v. 81-86 de l’épître dédicatoire, cité par Thomas Hunkeler, Le Vif du sens, Paris, Droz, 2003, p. 33. Thomas Hunkeler, Le Vif du sens, p. 33. Ainsi que le rapporte par exemple Sarah Stever Gravelle dans un article où elle présente par ailleurs la préférence de Lorenzo Valla pour le latin. Voir Sarah Stever Gravelle, « Lorenzo Valla’s comparison of Latin and Greek and the Humanist Background », BHR, Tome XLIV, 2, 1982, 269-290. 58 « OVIDE VEUT PARLER » L’œuvre d’Erasme est toute entière empreinte du souci de forger une langue latine adaptée aux besoins du temps : l’attaque menée contre les conservateurs de la langue dans le Ciceronianus vise à garantir au latin les attributs d’une langue vivante. L’inutilité de la traduction en langue vernaculaire constitue le corollaire de la perspective érasmienne : celui qui entend accéder à la culture maîtrise le latin et n’a pas besoin d’une traduction dans sa langue maternelle pour découvrir les classiques. Dans cette logique, c’est bien plus une édition savante du type de celle de Regius que la version française de Marot qui doit accompagner la découverte des Métamorphoses. Dans les pages qui suivent, on verra, au travers d’un certain nombre de curiosités, que seules des circonstances tout à fait particulières ont pu conduire les humanistes de premier plan à envisager la traduction en vernaculaire, voire du vernaculaire. Ce n’est donc pas le seul souci de la captatio qui commande la modestie de Marot vis-à-vis des idées nouvelles. Aussi proche qu’il ait pu se sentir des projets de Budé ou des idées d’Erasme, le poète ne pouvait songer à placer son projet dans la ligne directe des réalisations emblématiques des humanistes. Celui qui appelle la cour sa « maîtresse d’école » ne saurait prétendre au cercle des véritables lettrés : les nuances observées dans la dédicace ne relèvent pas de l’hésitation, mais de la justesse dans la perception de sa position, celle peut-être d’un satellite de l’étoile que Budé entend remettre à sa place. Pour cerner pleinement le contexte du Premier Livre, il faut considérer un horizon que l’opposition « langues anciennes / langues vernaculaire » ne permet pas de décrire : certaines composantes de l’histoire littéraire et de la traduction en vernaculaire, moins en vue dans la vie intellectuelle du premier XVIe siècle, permettent de saisir sur le vif les débuts de cette nouvelle forme de modernité. Gilbert Gadoffre fait ainsi le portrait d’un Budé abandonnant les dédales rêvés du Mouseïon pour répondre à des obligations toutes matérielles : Résidences secondaires, hôtel particulier de la rue Saint-Marcel reconstruit à grands frais, dix enfants à élever, leur précepteur à entretenir, autant de charges qui ont fait fondre le patrimoine et gonfler les besoins d’argent. C’est l’une des raisons – mais non la seule – de la double vie de Budé qui se partage entre ses travaux QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 59 d’humaniste et les fonctions dont on le comble, justifiées par les impératifs matériels que sa situation de père de famille besogneux lui interdit de négliger, et par les services que sa présence à la cour lui permet de rendre aux lettres 88. Servir les lettres en paraissant à la cour : l’idée ne cadre que difficilement avec l’image austère des tableaux où les humanistes posent vêtus de sombre, la plume à la main. Erasme lui-même explique cependant à Budé qu’il n’a pas à choisir entre les lettres et la cour : J’ai trouvé très mauvais que, dans une de tes épîtres, tu aies l’air de vouloir abandonner la cause des lettres, maintenant que tu as été appelé à la cour. Je pense au contraire que c’est justement le moment de prendre sous ta protection ces lettres que toute ta vie tu as aimées passionnément, cultivées avec plus de zèle que personne et défendues avec tant de courage. Ton rang à la cour va te donner le moyen d’être plus utile aux humanités 89. Le conseil d’Erasme prend sans doute la mesure d’un équilibre propre à la France : les idées nouvelles ne peuvent pas faire face à l’opposition de l’université sans l’appui des forces vives du royaume. Peu nombreux sont ceux qui, à la cour, pourraient simplement lire les travaux de Budé, mais faire savoir que le roi, au travers des faveurs accordées à l’humaniste, est favorable à leur diffusion indique clairement aux courtisans où souffle le vent. Dans ce contexte, la traduction en langue vernaculaire devient en quelque sorte l’alliée objective de la cause humaniste : ceux qui ne sont pas latinistes peuvent avoir l’impression d’accéder de façon relativement directe à la culture antique, ceux qui n’ont pas accès à la lecture peuvent même entendre une version récitée et prétendre eux aussi à une connaissance relativement précise de l’original grec ou latin. Bien sûr, jamais un lettré digne de ce nom n’accepterait de se contenter d’un dispositif aussi hasardeux, mais la situation linguistique spécifique du roi qui n’est pas latiniste implique d’avoir recours à des expédients. C’est ainsi François Ier 88 89 Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 69. Erasme, Correspondance, cité par Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 69. 60 « OVIDE VEUT PARLER » lui-même qui décide en 1527 de publier les traductions de Thucydide par Claude de Seyssel. Réalisées sous le règne de Louis XII, elles avaient été réservées à l’usage du souverain. Dans la préface du premier volume de la série, Jacques Colin explique le geste du roi : Le roy Françoys ayant en sa librairie Thucydide athénien translaté en notre langue par un tel personnage que fut messire Claude de Seyssel, qu’il solennise pour son chef-d’œuvre, pour ce que ledit livre ne se trouvoit ailleurs, de son propre mouvement a esté content d’en faire part aux princes, seigneurs et gentilshommes de son royaume 90. L’entreprise est d’autant plus emblématique de l’alliance a priori improbable entre traduction en vernaculaire et cause humaniste qu’elle reçoit l’appui de Budé 91, alors même que le travail de Seyssel est loin de satisfaire aux exigences que le grand helléniste s’appliquait à lui-même, Seyssel traduisant non à partir du grec, mais à partir de versions latines 92. Le fait que la version retenue par Seyssel soit celle de Lorenzo Valla 93 a sans doute aidé Budé à soutenir l’entreprise du roi. L’association de Marot à cette publication est plus révélatrice encore de l’élan que donne la volonté royale. Le dizain « Sur le Thucydide de Claude de Seyssel », apparaît dans l’ouvrage publié en 1527 : Voyez l’histoire (ô vous, nobles espritz) Par laquelle est toute aultre precellée, Avec la fleur, le fruict y est compris, D’antiquité, toute renouvellée, Qui par trop d’ans vous eust esté celée, Si le franc Roy ne vous en eust fait part. Riches sont ceulx à qui leur Roy depart Plus beaulx tresors qu’argent à grosses sommes : Et bien merite avoir histoire apart Qui telle histoire offre aux yeulx de ses homes 94. 90 91 92 93 94 Cité par Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 257. Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, Genève, p. 257. Myriam Salama-Carr, “French tradition”, Routledge Encyclopedia of Translation Studies, éd. Mona Baker, London and New York, Routledge, 2000, p. 414. Marot, TII, p. 1126. Marot, TII, p. 322. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 61 François Ier, qui précisait à Budé les limites de ce que la culture pouvait espérer restaurer après les déluges, est désigné comme l’être capable de renouveler l’antiquité. La caution royale donne des ailes à son poète. Lorsqu’il déclare le texte de Thucydide « renouvellé» dans une version française, Marot s’avance bien plus que pour son propre travail. Au regard de l’apocatastasis antiquae sapientiae, la distance qui sépare le Mouseïon de la version de Seyssel est insurmontable : aux yeux du roi, les deux entreprises sont loin d’être contradictoires. Une vague de traductions en langue française, le plus souvent commandées par de grands seigneurs, suivit la publication des œuvres de Seyssel, dès lors que « chacun avait compris que le plus sûr moyen d’attirer l’attention du Roi était de traduire en français les textes grecs et latins » 95. Bien qu’elle ne soit pas considérée comme une finalité majeure de leur projet par les grands humanistes, la traduction en langue vernaculaire finit par constituer un point d’ancrage important des idées nouvelles dans le public français. En plus de la volonté royale, des questions de méthode contribuent à sceller un destin commun. Dans un article séminal intitulé « L’auteur, les modèles, et le pouvoir ou la topique de la traduction au XVIe siècle en France 96 », Luce Guillerm met en relation la naissance de la notion d’auteur et la montée du motif du traducteur « paria et tâcheron » dans les préfaces des traductions. A un moment, que Luce Guillerm situe à la fin du premier tiers du XVIe siècle, les traducteurs commencent à multiplier les formules soulignant l’ingratitude du rôle du traducteur, comme si la lumière ne devait désormais plus concerner que l’auteur. Luce Guillerm évoque, à la même époque et dans le même paradigme de l’autorité de l’original, la naissance du souci de la fidélité : Or il semble important que cette notion de « fidélité » (terme au demeurant assez rarement utilisé à cette époque) s’exprime, qu’on l’accepte ou la rejette, en termes d’acceptation ou de refus d’une relation d’autorité. Je voudrais surtout souligner que cela, qui nous 95 96 Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 257. Luce Guillerm, « L’auteur, les modèles, et le pouvoir ou la topique de la traduction au XVIe siècle en France », Revue des Sciences Humaines, Tome LII, no 180, 1980, 5-31. 62 « OVIDE VEUT PARLER » semble aujourd’hui si naturel, (si conforme à un certain discours sur la traduction) apparaît comme une nouveauté à peu près datable si l’on observe le travail de topoï 97. Un pas important semble franchi, en comparaison avec la version « indirecte » de Seyssel. Luce Guillerm estime que le paramètre décisif réside dans une nouvelle vague éditoriale qui voit naître des entreprises de traduction indépendantes à partir de 1540, alors que jusque là les traductions avaient été le plus souvent des œuvres de commande placées sous la protection du souverain, échappant par là même à la critique. Dès lors qu’elle quitte la sphère d’influence royale, la traduction s’interroge 98 sur sa justification et cette interrogation passe par une mise en cause de ses méthodes propres. Les traducteurs travaillant en langue vernaculaire se trouvent soudainement confrontés à la nécessité d’appréhender des notions que les grands humanistes ont abordées depuis longtemps, non seulement pour leurs traductions, mais plus généralement dans le nouveau rapport au texte qu’ils ont institué. Seule une illusion d’optique pourrait faire de la traduction en vernaculaire la descendante directe de la traduction humaniste. Pour autant, les traducteurs en vernaculaire héritent véritablement d’un souci du texte que leur inspirent les lettrés du temps. En France, ce souci du texte trouve peut-être son illustration la plus éclatante dans les méthodes utilisées par Budé pour les Pandectes, qui portent en germe autant de pratiques susceptibles d’orienter les traducteurs : Grâce aux recoupements, aux superpositions, aux éliminations, aux comparaisons de comparaisons, il [Budé] en arrive, dans beaucoup de cas, à passer de l’inconnu au connu avec des procédés presque 97 98 Luce Guillerm, « L’auteur, les modèles, et le pouvoir ou la topique de la traduction au XVIe siècle en France », p. 16. Luce Guillerm indique aux pages 10 et 11 que les traducteurs s’interrogent avant même d’être véritablement attaqués : « Le fait nouveau, c’est l’existence, au moins supposée, d’un procès fait à la traduction en général. Et ce procès ne doit pas être confondu, même s’il les recoupe parfois, avec les accusations tout à fait réelles, et souvent suivies d’effet, portées contre la traduction au nom du danger ou du sacrilège de la vulgarisation sur certains terrains stratégiques : le religieux, le médical, le juridique. Le contexte du topos est, dès son apparition, fort clair à cet égard : c’est par rapport à la supériorité incontestée du texte « original » que la traduction se voit méprisée. » QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 63 algébriques, à dégager non seulement la signification explicite d’un terme, mais aussi ce qu’il implique sans que les juristes romains en aient pleinement conscience. Au-delà des mots, il trouve dans la langue un organisme vivant mû par ses lois propres, même sans l’intervention des hommes 99. L’intérêt du travail de Budé tel que le représente Gilbert Gadoffre réside dans la constitution de modèles de résolution de problèmes impliquant non pas la référence à une tradition auctoriale exposée dans de savantes préfaces, mais l’expérimentation de variantes, dont les contrastes sont évalués sur la base des « lois propres » de la langue. Pratiquée selon les méthodes humanistes, l’édition de texte relève de la réécriture : elle s’articule comme la traduction autour de la mise en contraste des variantes et de la sélection de la version jugée la plus adéquate. On a vu à travers la traduction du Nouveau Testament par Erasme l’importance prise par l’approche éditoriale dans la traduction humaniste : il est certes plus difficile d’imaginer que l’ordinaire des traducteurs en langue vernaculaire ait été capable de saisir toutes les nuances du travail d’un Budé. Marot le premier ne se reconnaît pas une telle compétence, mais l’examen détaillé de son travail permettra de révéler, dans le soin donné au traitement de l’original ovidien, un souci des sources qui ne saurait être totalement étranger aux préoccupations des grands lettrés. En tant qu’expérience littéraire, Le Premier Livre apparaît cependant en dehors de l’horizon des humanistes par la volonté d’un poète parfaitement conscient de sa place dans l’évolution des idées. Au travers de l’enquête sur les débuts de la traduction en langue vernaculaire, il met en lumière un espace de création apparu dans l’éprouvette de la politique culturelle du roi qui, dans les faits, réoriente l’horizon humaniste vers un nouveau développement de la culture française. Le Premier Livre s’explique d’autant mieux qu’il n’est pas vu comme un élément d’une illusoire chaîne conduisant de Budé à la Pléiade, mais considéré comme un élément participant à l’ouverture de l’horizon dans lequel s’imposera l’idée d’une Antiquité parlant français. 99 Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 261. 64 « OVIDE VEUT PARLER » « DECORATION GRANDE EN NOSTRE LANGUE » Si la traduction en langue vernaculaire ne figure pas en priorité à l’agenda des grands lettrés humanistes, la question préoccupe nettement plus les théoriciens et les auteurs travaillant au développement de la langue française. Dans ce contexte, La Manière de bien traduire d’une langue en l’autre constitue un carrefour où se rejoignent toutes les pistes explorées par l’époque : avant d’entrer dans les considérations théoriques sur la traduction, l’ouvrage établit, implicitement par la personnalité de son auteur, explicitement dans sa dédicace, une relation décisive entre la langue française et la culture humaniste. A ce titre, Olivier Millet établit un parallèle tout à fait frappant entre l’épître liminaire de Dolet à Guillaume du Bellay (Monseigneur de Langeais) et l’économie générale de La Défense : En lisant ainsi Dolet avec un œil sur la Deffence, on a le sentiment que Du Bellay se sent justifié dans sa démarche. L’épître liminaire de La maniere de bien traduire lui donne une sorte de scénario de base, un canevas 100. L’idée imposée par le succès de La Pléiade selon laquelle l’érudition acquise à la meilleure source humaniste est destinée à une exploitation en langue française sous-tend donc déjà le projet de Dolet. Au contraire cependant du manifeste de Du Bellay, La Manière, qui demeure avant tout un traité consacré à la traduction, accorde de facto un rôle central à cette dernière dans le retour à l’Antiquité. Il s’agit d’un point de divergence capital, qui est à prendre en compte au moment d’évaluer l’ambition que Marot pouvait envisager pour la traduction dans le contexte du développement de la langue française. Il importe également de considérer la manière spécifique avec laquelle est abordée à l’époque du Premier Livre la question des relations entre traduction en vernaculaire, essor du français et place du latin. La dédicace à François Ier pose que la « belle Metamorphose » mise « en facille vulgaire » serait une « decoration grande en nostre langue » 101. Au terme de « decoration », Gérard Defaux 100 101 Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 106. Marot, TII, p. 407. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 65 associe le « souci majeur d’illustrer la langue française » 102. La note, lourde d’échos intertextuels, ne rend pas compte de la fraîcheur que possède l’entreprise de Marot. Alors que les plus grands savants ne songent pas à faire sortir leurs découvertes du cercle où nul n’est invité s’il n’est latiniste, le geste du poète semble simultanément inventer une nouvelle discipline et trouver son public : le succès de librairie connu par le Premier Livre confirme l’existence d’une attente spécifique en matière de traduction. Le Premier Livre en effet n’est pas le Grand Olympe : la traduction attendue n’est pas la simple connaissance des épisodes des Métamorphoses, c’est une expérience aussi proche que possible de la lecture de l’original. L’attente spécifique d’une version soignée en vers français ne pouvait pas être perçue avec netteté au travers des Virgile d’Octovien de Saint-Gelais et Guillaume Michel de Tour, qui n’étaient pas confrontés à la concurrence de versions prosaïques. Il fallait le flair d’un Marot pour sentir qu’un public nouveau était désormais prêt à suivre les goûts du roi, dont la dédicace demande (et, on s’en doute, obtient) l’approbation, en vue d’une expérience esthétique et pas seulement informationnelle. Il faut être attentif à ne pas gommer le relief du geste délibéré qui soudain précipite une formule littéraire à la fois dérivée et indépendante des débats esthétiques qui l’entourent : une référence hâtive à La Défense ne permet pas de saisir avec la précision voulue l’écho qu’il faut donner à l’entreprise de Marot au regard de l’essor de la langue française. Il faut se souvernir que le succès du manifeste de Du Bellay a donné à l’alliance entre langue française et culture humaniste un caractère d’évidence qu’elle est loin de posséder dans les années 1530-1540 : Dolet lui-même manifeste une conscience particulièrement nette de ce que peut avoir d’incongru la rédaction en français d’un livre de l’ambition de La Manière, qui ne constitue qu’une partie d’un ouvrage plus important imaginé sous le très cicéronien titre d’Orateur français. Dans les pièces liminaires précédant son traité, il rappelle deux fois que son étude principale demeure le latin et les œuvres classiques. L’épître « A Monseigneur de Langeais » s’ouvre sur l’évocation de la surprise de « plusieurs » face à l’idée d’un ouvrage de Dolet en français : 102 Marot, TII, p. 405. 66 « OVIDE VEUT PARLER » Je n’ignore pas (Seigneur par gloire immortel) que plusieurs ne s’ébahissent grandement de voir sortir de moi ce présent œuvre : attendu que par le passé j’ai fait, et fais encore maintenant profession totale de la langue latine 103. L’épître « Au peuple français » débute également par un rappel de la nature fondamentale du travail de l’humaniste : Depuis six ans (ô peuple français) dérobant quelques heures de mon étude principale (qui est en la lecture de la langue latine et grecque) te voulant aussi illustrer par tous moyens, j’ai composé en notre langue un œuvre intitulé l’Orateur français 104. Dolet donne deux raisons au choix du français pour son entreprise. La première est l’affection qu’il ressent pour son pays ; la seconde consiste en un raisonnement plus théorique établissant, par analogie avec la Grèce et Rome, le droit pour le savant français de s’illustrer en français : Quant aux antiques tant Grecs, que Latins, ils n’ont pris autre instrument de leur éloquence, que la langue maternelle. De la Grèce seront témoins Démosthène, Aristote, Platon, Isocrate, Thucydide, Hérodote, Homère. Et des Latins, je produis Cicéron, César, Salluste, Virgile, Ovide. Lesquels n’ont délaissé leur langue, pour être renommés en une autre. Et ont méprisé toute aultre : sinon qu’aucuns des Latins ont appris la grecque, afin de savoir les arts, et disciplines traitées par les auteurs d’icelle. Quant aux modernes, semblable chose que moi a fait Léonard Aretin, Sannazare, Pétrarque, Bembo (ceux-là Italiens), et en France Budé, Fabri 105, Bouille 106, et maître 107 Jacques Sylvius. 108 Il faut faire la part d’opportunisme que peut recéler l’argumentation de Dolet, notamment le choix de certaines références : cité en tête des auteurs français, Budé ne constitue certes pas le parangon du savant ayant choisi de s’illustrer dans sa langue 103 104 105 106 107 108 Etienne Dolet, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 3. Etienne Dolet, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 7. Jacques Lefèvre d’Etaples. Charles de Bovelles. Jacques Dubois. Etienne Dolet, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 3-4. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 67 maternelle. Pour autant, le raisonnement de Dolet renvoie à une question essentielle loin d’être tranchée au moment où il rédige son traité : l’imitation du modèle antique doit-elle imposer le choix d’une langue antique ou peut-elle conduire à considérer que les langues antiques furent, avant tout, des langues maternelles ? La « ressemblance » avec l’Antiquité doit-elle résider dans la réalisation, auquel cas s’impose le choix d’une langue antique, ou dans la démarche, auquel cas le recours à la langue maternelle est possible ? 109 Dans le contexte du premier XVIe siècle, le raisonnement de Dolet pose la question du point d’aboutissement linguistique de la translatio studii : Jacques Peletier du Mans et Thomas Sébillet ne voient pas aussi loin lorsqu’ils s’essayent à penser la « decoration grande » de la langue française par la traduction, mais ils s’accordent remarquablement sur l’idée du rôle important que cette dernière doit jouer dans l’avènement du français. Au niveau le plus élémentaire, on trouve l’association entre traduction et essor du vernaculaire, esquissée par Marot dans sa dédicace, perçue dans un éclairage purement technique. L’argument se trouve détaillé par Jacques Peletier dans son Art poétique (1555) : Davantage, les Traductions quand elles sont bien faites, peuvent beaucoup enrichir une Langue. Car le Traducteur pourra faire Française une belle locution Latine ou Grecque : et apporter en sa Cité, avec le poids des sentences, la majesté des clauses et élégances de la langue étrangère 110. Pour Peletier, la traduction participe à l’amélioration de la langue française par le défi qu’elle lui pose. L’argument porte en 109 110 La question posée par le raisonnement de Dolet contient en germe rien moins que les tenants et les aboutissants de la future Querelle des Anciens et des Modernes. Plus loin encore, la question de Dolet peut amener la question de l’horizon ultime de la traduction poétique, dès lors que la langue cible recherche en elle-même des ressources inédites en vue de rendre une spécificité du texte source a priori hors de portée, horizon de la tradition poétique qui conduit, au XXe siècle, à des entreprises telles que celle de Jean Tardieu qui cherche, dans la poésie d’Hölderlin, à « traduire non seulement le sens, mais la sonorité du texte ». (Voir : Claudine Elnécavé, Les Didascalies de Jean Tardieu, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 26.) Jacques Peletier, « Art poétique », Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Paris, Livre de Poche, 1990, p. 263. 68 « OVIDE VEUT PARLER » lui l’idée de la défense du français, mais sur un mode pour ainsi dire mineur : la langue de référence reste la langue ancienne (latin ou grec) ; la langue vernaculaire continue d’être envisagée comme une langue en progrès. En traitant dans le même chapitre de son Art poétique françois (1548) la traduction et le poème héroïque 111, Thomas Sébillet se montre plus audacieux, ainsi que le suggèrent Jean-Charles Monferran et Olivia Rosenthal : Par ailleurs, si Sébillet parle du poème héroïque dans un chapitre consacré à la traduction, c’est aussi bien sûr parce qu’il y a en français « pénurie d’œuvres grands et Héroïques ». Or, comme Sébillet se donne d’abord pour tâche de décrire ce qui se fait en matière de poésie, il est obligé de placer la poésie épique là où on la trouve au moment où il écrit, soit en traitant des traductions de grands poèmes héroïques (les traductions de l’Iliade ou de l’Enéide) 112. L’idée que la traduction d’un poème héroïque puisse être considérée au rang des réalisations à discuter implique, plus directement, de considérer la possibilité d’une réussite poétique de la traduction : Traduction. – Pourtant t’avertis-je que la Version ou Traduction est aujourd’hui le Poème le plus fréquent et mieux reçu des estimés Poètes et des doctes lecteurs, à cause que chacun d’eux estime grand œuvre et de grand prix, rendre la pure et argentine invention des Poètes dorée et enrichie de notre langue 113. La subtile nuance qui décrit l’« argentine » invention des Poètes rendue « dorée » par la traduction suffit à établir le parti pris de Sébillet. Aucun autre théoricien de la Renaissance n’ira aussi loin ni dans la défense de la traduction, ni dans l’idée de l’illustration de la langue par la traduction 114. 111 112 113 114 Thomas Sébillet, « Art poétique françois », Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, p. 145-147. Jean-Charles Monferran, Olivia Rosenthal, « Le Poème héroïque dans les arts poétiques français de la Renaissance : genre à part entière ou manière d’illustrer la langue ? », RHLF, 2000/2, p. 203. Thomes Sébillet, « Art poétique français », Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, p. 146. Le rôle de Du Bellay est à ce titre décisif. Il sera examiné plus loin. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 69 Du Bellay s’oppose à Sébillet sur la question des limites de la traduction en matière de poésie sur la base d’une réflexion avant tout théorique 115 : il s’agit cependant d’un débat interne au vernaculaire qui n’épuise pas la question de la langue à donner à la translatio studii. En considérant la période à partir de l’après Défense, il est tentant d’imaginer un fleuve qui coule des préfaces et autres traités théoriques au travers desquels Claude Longeon décrit « les premiers combats pour la langue française » 116 au renoncement au latin. Si l’on se souvient que c’est en pensant la traduction que Dolet aboutit à la question décisive de l’aboutissement de la translatio studii, on constate, en observant certaines enteprises de traduction, que si fleuve il y a, il est à tout le moins capricieux et lent 117. Une réalisation tout à fait singulière dans le domaine de la traduction permet de réaliser à quel point l’idée d’un progrès linéaire du vernaculaire serait erronée : la version latine par Jean Dorat de deux sonnets de Jacques Grévin 118. Qu’un sonnet français, relevant de la forme emblématique de l’essor du vernaculaire de Pétrarque à Shakespeare, puisse se retrouver tourné en latin sous la plume de l’un des défenseurs les plus remarquables de la culture ancienne, par ailleurs maître à penser du groupe le plus en pointe dans la défense de la langue française, indique que la caution latine continue d’exercer longtemps son influence. L’hommage rendu par le latin au français se retrouve d’ailleurs dans une entreprise engageant des protagonistes moins connus, autour des paraphrases liturgiques qu’Anne de Marquets donne premièrement en français : « par sa traduction en latin, Claude d’Espence aurait à son tour rendu hommage aux efforts de la moniale pour diffuser des prières susceptibles de nourrir la piété et l’intelligence des “âmes simples”. » 119 115 116 117 118 119 voir ci-dessous Chapitre III « La traduction, œuvre de prix pour les poètes ? ». Claude Longeon, Premiers combats pour la langue française, Paris, Le Livre de Poche, 1989. Le modèle antique de la translatio studii n’exclut d’ailleurs aucunement la possibilité d’une coexistence pacifique entre les langues : dans la Rome antique, le grec continue d’être enseigné et pratiqué. Kathryn J. Evans, « Two latins poems by Jean Dorat », BHR, Tome XLVI, no 1, 1984, 153-156. Guy Bédouelle et Simone de Reyff, « Anne de Marquets et Claude 70 « OVIDE VEUT PARLER » Un regard sur la traduction des colloques destinés à l’enseignement du latin permet quant à lui d’estimer non seulement la complexité, mais aussi la vitesse du mouvement qui voit l’affirmation progressive du vernaculaire. L’histoire de la traduction française de l’ouvrage didactique le plus connu de l’humaniste espagnol Jean-Louis Vivès, intitulé Exercitatio linguae Latinae sive Colloquia et publié en latin en 1538, constitue un indicateur précieux. L’exercice proposé par Vivès consiste à initier les élèves au latin en leur proposant des dialogues simples consacrés à leur vie quotidienne. David H. Thomas, qui dresse un panorama révélateur des traductions françaises des Dialogues de Vivès, signale que l’ouvrage ne connaît sa première version française qu’en 1560. La page de titre confirme la vocation didactique du texte, mais le latin se voit désormais associé au français : Les Dialogues de Jan Loys Vives : Pour l’exercitation de la langue Latine. En Latin et en François, pour la commodité de ceux qui voudront conférer l’une à l’autre langue 120. La référence à la commodité laisse penser que le truchement du vernaculaire vient au secours du principe fondamental du colloque qui, selon Bernard Colombat 121, consiste « à amener à la connaissance de la langue sans appareil grammatical ». Il existe une entorse beaucoup plus précoce à ce principe sous la plume de Sébastien Castellion qui publie en 1543 ses Dialogi latins avec une traduction française qu’il réalise lui-même. David Amherdt et Yves Giraud soulignent cependant que la traduction française disparaît dès la deuxième édition en 1545 122. En 1564, Mathurin Cordier, à qui Castellion adresse la préface de ses Dialogi, donne ses Colloquia, en latin uniquement. Ce n’est qu’à partir de la traduction des Colloquia de Mathurin en français, 120 121 122 d’Espence : Enigmes », Religion et littérature à la Renaissance. Mélanges en l’honneur de Franco Giacone, éd. François Roudaut, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 751. David H. Thomas, « Notes sur les premières traductions françaises des Dialogues de Jean-Louis Vivès », BHR, XLVI, no 1, 1984, p. 151. Bernard Colombat, La Grammaire latine en France à la Renaissance et à l’âge classique, Grenoble, Ellug, 1999, p. 61. Sébastien Castellion, Dialogues sacrés = Dialogi sacri : (premier livre), éd. David Amherdt et Yves Giraud, Genève, Droz, 2004, p. 24. QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE 71 qu’il situe à Lyon en 1576 123, que Bernard Colombat signale l’ouverture de la tradition de textes multilingues, les « portes », dont les constructions élaborées tentent de faire entrer la totalité du vocabulaire fondamental du latin dans des maximes morales accompagnées de traduction. En admettant que l’émergence de la nécessité d’ « apprendre » le latin à l’aide de la langue française constitue une étape décisive de la qualification de cette dernière en tant que langue d’aboutissement de la translatio studii, on peut observer que cette qualification n’intervient que très lentement et suivant une trajectoire très éloignée de l’idée de défense du vernaculaire en tant que tel. Pour saisir les rapports entre latin et français aux alentours de 1530, mieux vaut renoncer à tenter d’articuler trop simplement les catégories du renoncement au latin et du couronnement de la langue française et considérer que la période voit plutôt la question de la translatio studii et celle de la défense de la langue française évoluer de façon séparée. Aucun auteur n’incarne mieux cette séparation qu’Etienne Dolet lui-même. Le portrait que donne Marc Fumaroli du bouillant humaniste associe, sans les opposer, l’image du latiniste et celle du défenseur du vernaculaire : L’éditeur des Orationes (1536) et des Epistolae ad Familiares de Cicéron (1540) publie en effet en 1540 un traité de traduction, soutenant ainsi la légitimité d’un exercice qui, comme l’a montré Roger Zuber, fut le plus efficace médiateur de la transformation de la langue vulgaire en langue littéraire. La Manière de bien traduire d’une langue en autre est ainsi, aux côtés du De Imitatione ciceroniana une étape majeure dans la lente translatio studii, qui, du latin humaniste au français, rendit possible « L’Eloquence françoise » du XVIIe siècle 124. Celui qui défend avec passion et véhémence le style élevé de Cicéron contre le latin accessible recommandé par Erasme est également capable d’envisager en français une théorie de la traduction. Si l’on se souvient que le même Dolet n’hésite pas à 123 124 Bernard Colombat, La Grammaire latine en France à la Renaissance et à l’âge classique, p. 61. Marc Fumaroli, L’Age de l’éloquence, Paris, Albin Michel, 1994, p. 114. 72 « OVIDE VEUT PARLER » déclarer que la version de Marot égale, voire surpasse la poésie ovidienne, on comprend que les auteurs de la période n’ont pas besoin de décréter le remplacement du latin par le vernaculaire pour saisir l’intérêt d’un Ovide parlant français. De façon réciproque, la traduction des Métamorphoses ne permet pas d’établir la mort du latin. L’histoire finira bien par imposer le français contre le latin, mais elle n’est pas encore écrite au moment du Premier Livre. L’appel à la « decoration grande » de la langue française au travers de la traduction doit être compris dans un contexte soucieux de reconnaître simultanément les mérites de langues différentes, non pas comme le signe de l’essor inexorable du vernaculaire : la notion de « défense de la langue française » ne résonne pas encore des accents qui suivront le manifeste de Du Bellay. Dans un article intitulé « De Babel à la Pentecôte : la transformation du mythe de la confusion des langues au XVIe siècle », Jean Céard, parmi beaucoup d’autres, décrit la fascination de la Renaissance pour la multiplicité des langues : Etudier les langues vulgaires, c’est un peu étudier les insectes linguistiques. Mais puisque les insectes, par leur nombre même et leur diversité, concourent activement à la merveilleuse variété de la Création, il faut leur faire place. Bien plus, leur étude est indispensable à la connaissance des lois de diversifications des choses créées 125. La situation de colinguisme dans laquelle s’opère la translatio studii impose de résister à la tentation de lire le Premier Livre comme un simple exercice partisan inspiré par la translatio imperii. Marot s’inscrit sans aucun doute dans le mouvement de confiance dans le vernaculaire qui habite la politique culturelle de François Ier : autour de 1530, ce mouvement n’a pas encore rendu le français incontournable pour l’accès à la culture antique. Pour le poète du roi, la démonstration de l’apport culturel et linguistique de la traduction vernaculaire se pose comme une équation encore à résoudre. 125 Jean Céard, « De Babel à la Pentecôte : la transformation du mythe de la confusion des langues au XVIe siècle », BHR, Tome XLII, no 3, 1980, p. 583. CHAPITRE II LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE Les principaux éditeurs de Marot ne s’accordent pas totalement sur la date exacte de la rédaction du Premier Livre. Mayer et Defaux notent qu’une version du texte était disponible à la fin de l’année 1530 ou au début de l’année 1531, en raison de la présentation d’un exemplaire manuscrit relatée dans l’épître « A Monseigneur de Lorraine nouvellement venu à Paris » 1 : Et te suplly prendre en gré le present, Que je te fay de ce translaté Livre, Lequel (pour vray) hardiment je te livre, Pour ce que point le sens n’en est yssu De mon cerveau : ains a esté tissu Subtilement par la Muse d’Ovide : Que pleust à Dieu l’avoir tout mis au vuyde Pour t’en faire offre 2. Pour situer le début de la composition, Mayer s’appuie sur l’allusion faite dans la dédicace à la lecture de « quelcque commencement » à Amboise : posant que la dédicace situe l’événement avant que Marot n’entre au service du roi, l’éditeur penche pour le mois d’août 1526. Richard Cooper 3, estimant 4 suivre Gérard Defaux, retient plutôt la date de septembre-octobre 1530. 1 2 3 4 Marot, TII, p. 1188 et Marot TI, p. 690. v. 38-45, Marot, TI, p. 294-295. Richard Cooper, « Marot et Ovide : un nouveau manuscrit à peinture du premier livre des Métamorphoses traduit par Marot », p. 303. Richard Cooper renvoie en note à la notice de l’édition Defaux qui mentionne « Composition se situant avant 1531 », tout en exprimant des doutes sur la date de 1526 donnée par Mayer : « Je crois que rien, dans le texte, n’autorise une telle précision. Et j’ai tendance à croire que l’entreprise est plus tardive. » (Marot, TII, p. 1192). 74 « OVIDE VEUT PARLER » Sur le plan de la genèse du texte, l’existence de deux manuscrits pallie en partie les incertitudes liées à la chronologie du travail de Marot. Le premier manuscrit a été décrit en 1924 par F. Gaudu dans la Revue du Seizième Siècle. Vendu le 26 janvier 1957, il a disparu depuis 5. L’examen des variantes données par Gaudu permet cependant d’établir que le manuscrit disparu présente une version très proche de celle du ms. Douce 117, disponible aux Bodleian Librairies. Cette information est importante dans la mesure où elle permet de penser que le texte des deux manuscrits connus, dont l’un correspond probablement 6 à celui qui est évoqué dans l’épître « A Monseigneur de Lorraine nouvellement venu à Paris », est de ce fait très vraisemblablement antérieur aux éditions publiées 7. En ce qui concerne le ms. Douce 117, la notice des Bodleian Librairies décrit une « presentation copy » destinée à François Ier et la base de données Luna qui propose sur internet les douze miniatures du manuscrit en haute définition situe la date « after 1531 ». Richard Cooper ne retient pas l’hypothèse d’une copie appartenant à François Ier 8 lui-même : « le texte me semble complet à l’exception de la page de titre, qui nous aurait sans doute renseigné davantage sur l’éventuel dédicataire de cet exemplaire » 9. Le critique britannique souligne cependant l’importance de ce texte qui « confirme, corrige et complète la transcription de Gaudu 10 » dans la mesure où celle-ci ne reproduit qu’une partie du premier manuscrit. L’absence de certitude 5 6 7 8 9 10 Defaux et Cooper signalent toutefois la présence à la Bibliothèque nationale d’une copie de mauvaise qualité du manuscrit signalé par Gaudu, réalisée en 1929 (BN. n. a. fr. 12037). Mayer exploite cette copie dans son édition des traductions de Marot : l’examen révèle que les leçons sont très largement semblables, mais pas parfaitement identiques à celles du ms. Douce 117. Voir : Clément Marot, « Les Traductions », Œuvres complètes, VI, éd. ClaudeAlbert Mayer, Genève, Slatkine, 1980. Les différents éditeurs ne s’accordent pas sur la question. La date de la remise du manuscrit (et son antériorité vis-à-vis de la version imprimée) peut être établie sur la base de la participation du duc de Lorraine aux cérémonies en l’honneur du couronnement d’Eléonore d’Autriche en 1531. Defaux quant à lui estime que c’est le manuscrit mis au jour par Gaudu « qui pourrait bien être celui que Marot offrit à François Ier » (Marot, TII, p. 1189). Richard Cooper, « Marot et Ovide : un nouveau manuscrit à peinture du premier livre des Métamorphoses traduit par Marot », p. 308. Richard Cooper, « Marot et Ovide : un nouveau manuscrit à peinture du premier livre des Métamorphoses traduit par Marot », p. 305. LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE 75 sur la chronologie de l’entreprise de Marot est ainsi largement compensée par l’existence de traces extensives des étapes de son travail. La situation chronologique du Premier Livre aussi bien dans l’œuvre de Marot que dans le règne de François Ier place l’ouvrage à un moment charnière tant au plan littéraire qu’au plan historique. La carrière de Marot connaît, après le retour de Ferrare, un infléchissement marqué vers la traduction, alors même que la politique culturelle du roi est caractérisée par l’importance grandissante prise par les lettres, de l’institution des lecteurs royaux à la prétendue découverte du tombeau de Laure, en passant par la fondation de l’imprimerie royale et la création de la bibliothèque royale. L’étude de la formation de Marot et des outils dont il dispose en tant que traducteur révèle le caractère à la fois personnel et novateur du Premier Livre. Une telle entreprise n’avait pas de point d’appui plus assuré que le talent du poète, alors que les premières grammaires du français sont encore en gestation et que la question de l’autorité sur la langue n’est pas encore tranchée. UNE SITUATION CHRONOLOGIQUE DOUBLEMENT STRATÉGIQUE Ignorer la date exacte de la composition n’empêche pas de revenir sur la séquence de publications qui va de 1532 à 1534. Celleci débute avec la publication, en août 1532, de l’Adolescence clementine, dont le projet éditorial est défini avec précision par Marot lui-même : Ce sont Œuvres de jeunesse, ce sont coups d’essay : ce n’est (en effect) aultre chose, qu’un petit Jardin, que je vous ay cultivé de ce, que j’ay peu recouvrer d’Arbres, d’herbes et fleurs de mon Printemps 11. Le coup d’essai fut un coup de maître si l’on en juge aux nombreuses réimpressions que connaît l’ouvrage : Defaux en dénombre cinq à Paris et Lyon entre octobre 1532 et juillet 11 Marot, TI, p. 17. 76 « OVIDE VEUT PARLER » 1533 12. L’année 1533 est marquée par la publication chez Galliot Du Pré de l’édition marotique des Œuvres de François Villon. Fin 1533 ou début 1534, Marot publie La Suite de l’Adolescence. Le titre du recueil place l’ouvrage dans un projet éditorial apparemment semblable à celui de l’Adolescence clementine, mais une pièce liminaire de Salmon Macrin (Salmonius) décrit désormais Marot comme l’égal d’Homère et de Virgile : Si Graecis Maro litteris vacasset, Magno par potuisset esse Homero. Esset si Latias sequutus artes Clemens Francigenûm decus Marotus, Aequaret dubio procul Maronem 13. Plusieurs pièces, parmi les plus importantes de Clément Marot, laissent entrevoir l’envol d’une œuvre dépassant nettement le « Printemps » de l’Adolescence clementine : Déploration sur le Trespas de Messire Florimond Robertet, L’Epistre du Coq en Lasne à Lyon Jamet de Sansay en Poictou. La publication du Premier Livre suit de près celle de La Suite. Le succès éditorial est au rendezvous des publications de l’année 1533 et Marot s’enhardit au point de publier, dans la seconde édition du Premier Livre, les poèmes relatifs à l’affaire du « lard en caresme » du printemps 1526, à l’exception de L’Enfer. Au mois d’octobre, cependant, l’Affaire des Placards bouleverse l’existence de Marot qui doit fuir à Nérac, d’abord, à Ferrare et Venise ensuite. Nul ne peut dire comment l’œuvre de Marot aurait évolué sans la rupture de 1534. Il est frappant cependant de voir la part que prend la traduction dans la production du poète après son retour d’Italie fin 1536. Pendant les six années qui lui restent à passer en France 14, Marot donne successivement : – en 1539 : Six sonnets de Pétrarque (publiés la même année) ; début du Second Livre de la Metamorphose d’Ovide (publié en 1543). 12 13 14 Marot, TI, p. xi. Marot, TI, p. 206. Marot prend à nouveau le chemin de l’exil en 1542. LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE 77 – en 1540 : trois Colloques d’Erasme (les deux premiers seront publiés dans un opuscule en 1548, alors que le troisième devra attendre 1856) et l’Histoire de Leander et Hero (publié en 1541). A cette liste s’ajoute bien évidemment le travail à la traduction des Psaumes dont la publication constitue incontestablement la grande affaire de la fin de la carrière de Clément Marot, puisque Gérard Defaux estime que Marot a consacré à la traduction des Psaumes les « quinze dernières années de sa vie » 15. Les deux éditions les plus importantes sont celle des Trente Psaumes en 1541 chez Roffet et des Cinquante Psaumes en 1543 à Genève. De nombreux signes semblent donc indiquer une place tout à fait stratégique du Premier Livre dans la production marotique : publié au moment même où le poète déclare explicitement vouloir clore une première partie de son œuvre, l’entreprise ouvre une séquence dans laquelle la traduction prend une importance grandissante. La richesse du programme de traduction marotique après le Premier Livre se distingue nettement des premières tentatives de Marot par l’importance des textes sources : ni le coup d’essai de la Première Eglogue, ni les traductions néo-latines (Tristes vers de Philippe Beroalde, Oraison contemplative devant le crucifix), ni la courte Epigramme de Salmonius mys de Latin en Françoys, ni même Le Chant des Visions de Pétrarque ne présentent l’ambition des réalisations d’après le retour de Ferrare. Avec la série donnée à partir de 1539, Marot traducteur touche à tous les horizons significatifs au travers de textes majeurs : classique latin (Ovide), classique grec (Musée), contemporain latin (Erasme), référence vernaculaire (Pétrarque) et texte biblique (Psaumes). Deux anecdotes confirment plus spécifiquement encore l’importance qu’il faut donner à la traduction d’Ovide. Au plan de l’histoire personnelle de Marot, l’épigramme « Plaise au roy de congé me donner » semble sceller l’identification 16 du destin de Marot à celui du poète romain. Exilé, de passage en Savoie en 1544, quelques mois avant sa mort à Turin, le poète tente d’obtenir une nouvelle fois le pardon du roi : 15 16 Marot, TII, p. 1201. Georg Luck, « Tenerorum luros amorum : Marot disciple d’Ovide », Actes Cahors, p. 73. 78 « OVIDE VEUT PARLER » Plaise au roy congé me donner D’aller faire le tiers d’Ovide, Et quelzques deniers ordonner Pour l’escrire, couvrir, orner 17. Gérard Defaux reconnaît qu’une partie du badinage lui échappe 18, mais il voit dans le texte un effort pour retrouver la faveur du roi et le droit de revenir en France. Il souligne également que l’évocation d’Ovide ne manque pas d’ironie, puisque Marot n’obtiendra pas plus le pardon du roi qu’Ovide n’avait obtenu le pardon d’Auguste. Il faut voir cependant qu’au moment où il écrit ces vers, Marot ignore quel sort attend sa requête. Dès lors, l’évocation de la mise en œuvre du Troisième Livre indique que le poète a pu juger que, de toutes ses réalisations, la traduction d’Ovide était celle qui plaidait le plus en sa faveur. La seconde anecdote relève plus directement des questions politiques qui entourent la traduction. Dans un article intitulé « A forgotten manuscript of Clément Marot » 19, H. P. Clive signale la présence à la bibliothèque de l’Escorial d’un manuscrit de Marot transmis par Charles Quint à Philippe II. Ce manuscrit contient la traduction du Second Livre de la Métamorphose et pourrait avoir été offert à l’empereur par le poète lui-même 20, lors du séjour de Charles Quint à Fontainebleau à la toute fin de 1539 ou à l’occasion de l’entrée solennelle de l’empereur en compagnie de François Ier à Paris le 1er janvier 1540. L’hypothèse d’un tel cadeau, sans doute ordonné ou à tout le moins accepté par François Ier, constitue un indice de l’importance de la traduction des Métamorphoses dans le contexte de l’époque. S’il est difficile d’établir avec certitude les circonstances de l’arrivée du manuscrit du Second Livre dans la bibliothèque de Charles Quint, un rapide retour sur la chronologie de la politique 17 18 19 20 Clément Marot, « Au Roy », Marot, TII, p. 710. « Si Marot est en fuite, quel besoin a-t-il de quémander le « congé » du roi pour traduire Ovide ? », Marot, TII, p. 1302. H. P. Clive, « A forgotten manuscript of Clément Marot », BHR, Tome XLV, 2, 1983, 325-326. H. P. Clive à tout le moins le suggère en indiquant que « Marot is reported to have presented a manuscript of his psalm translations to Charles V in 1540 » (note 6, p. 325). LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE 79 culturelle de François Ier situe le Premier Livre à la naissance d’un élan particulier. L’étendue du règne de François Ier, l’éclat de ses débuts et la notion de Renaissance française qui lui est profondément associée tendent à assimiler la période à l’irrésistible progression des idées nouvelles. Nombreuses sont cependant les ruptures : défaites militaires, irruption de la Réforme, captivité à Madrid. Ce dernier événement marque d’ailleurs selon Gilbert Gadoffre l’étape capitale du règne : C’est après la captivité de Madrid que viendront les décisions, les créations et les réformes qui font de son règne l’un des plus constructifs de l’histoire de France 21. Il vaut la peine de dérouler l’ensemble de la séquence qui a vu le roi de France captif de son principal adversaire pendant près d’une année. Neuf ans après l’éclatante victoire de Marignan, l’armée française, pourtant nettement supérieure, connaît une déroute totale. François Ier est fait prisonnier à Pavie le 25 février 1525. Le roi, qui espérait pouvoir asseoir définitivement sa domination sur le Milanais 22, tombe aux mains de son ennemi. Un an de captivité n’est toutefois pas suffisant pour le convaincre de renoncer définitivement à ses prétentions italiennes. A peine de retour en France, le roi annule les clauses du traité de Madrid qui prévoyait le renoncement définitif à l’Italie et se lance dans la Septième guerre d’Italie qui s’achève en 1529 par la signature de la paix de Cambrai. En apparence, la captivité de Madrid n’est qu’une péripétie parmi d’autres dans la carrière militaire du grand roi-chevalier. Plusieurs éléments décisifs signent cependant un avant et un après Pavie. La défaite, et plus encore la captivité, marquent la fin de l’intervention personnelle du roi à la tête de son armée en Italie. En 1530, François Ier doit accepter de voir Charles Quint recevoir la couronne impériale des mains du pape. La même année, le roi de France épouse la sœur de Charles Quint, Eléonore de Habsbourg. C’est la deuxième épouse du roi, veuf depuis la mort de Claude de France en juillet 1524. L’audacieuse et conquérante jeunesse des débuts du règne semble être remplacée par les 21 22 Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des Humanistes, p. 212. L’épisode est le tournant de ce que les historiens appellent la « Sixième guerre d’Italie ». 80 « OVIDE VEUT PARLER » pratiques habituelles de la Realpolitik. La monarchie a désormais partie gagnée sur le plan intérieur, mais les ambitions de la France en Europe continuent de se heurter à la puissance des Habsbourg. Si l’on compare la politique culturelle de François Ier avant et après Pavie, certaines tendances semblent s’accuser plus nettement. La première partie du règne a été marquée par la construction de châteaux imposant l’architecture nouvelle (Amboise, Blois, Chambord) et par la venue ou le passage en France des plus grands artistes italiens : Léonard de Vinci, Andrea Del Sarto ou Benvenuto Cellini. Au retour de la captivité, François Ier laisse une place plus importante aux lettres : il fonde l’imprimerie royale (1530) et, plus tard, la bibliothèque royale (1536), mais surtout il réalise enfin le « grand projet » présent à l’esprit du roi dès 1517 23, puis mis en forme à partir de 1520 par Guillaume Budé, en instituant les lecteurs royaux en 1530. Si, au début des années 1530, la production de Marot le place incontestablement à la première place des poètes français, son œuvre est encore très marquée par l’influence des poètes du règne de Louis XII. Or, en 1533, la volonté royale réalise une sorte de miracle en commanditant la découverte du tombeau de Laure : l’avenir de la poésie française semble dès lors devoir s’écrire en termes pétrarquistes : L’année 1533, avec la découverte du tombeau de Laure, ne comporte pas la naissance du pétrarquisme amoureux français, mais plutôt une cristallisation de la politique culturelle du roi qui prenait les RVF comme modèle d’écriture poétique pour soi, tout en l’imposant aux poètes de cours 24. Marot semble répondre explicitement aux désirs du roi en proposant une traduction du Chant des Visions de Pétrarque 25 : l’exercice présente l’avantage d’établir avec le Florentin un lien plus explicite que celui tissé par les emprunts discrets réalisés pour des pièces originales. Ce n’est pas tant la question complexe du 23 24 25 Gilbert Gaddoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 204. Daniel Maira, « La Découverte du tombeau de Laure entre mythe littéraire et diplomatie », RHLF, 2003/1, p. 7. Marot, TI, p. 347. LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE 81 pétrarquisme de Marot qu’il faut soulever ici, mais celle de la place que peut prendre la traduction dans la stratégie d’un poète qui, au moment de la publication de ses Adolescences, se pense lui-même à une charnière de son œuvre. La version du Chant des Visions que donne Marot ne présente pas d’aspérité particulière, susceptible d’orienter l’analyse a priori : tout au long du texte, chaque vers français correspond à un vers italien, la proximité entre les deux langues permet de conserver au texte cible une forme relativement proche de celle du texte source. Tout au plus, le travail sur les rimes marque-t-il une différence relativement nette : d’une part, les rimes françaises ne correspondent pas vers pour vers aux rimes italiennes ; d’autre part, le total des rimes est en français moins élevé qu’en italien : 28 contre 32. Antoine Berman verrait sans doute dans cette absence d’aspérité une confirmation du programme exprimé dans le sous-titre « translaté de Italien en Françoys » : pour le traductologue, « la translatio, c’est avant tout un mouvement de transfert dans lequel quelque chose est déplacé, c’est-à-dire change de lieu, sans que cela soit censé modifier sa substance » 26. L’évaluation véritablement fine du Chant des Visions impliquerait de s’intéresser plus précisément au choix du lexique en lien avec les indices manifestes d’influence pétrarquiste dans les poèmes originaux de Marot, ce qui ferait quitter la perspective de la traduction au profit de la question de l’Italie dans l’œuvre de Marot. Ce qui peut être perçu plus simplement ici, c’est la convergence chronologique entre la traduction de Pétrarque et l’ouverture d’un mouvement délibéré de Marot vers la traduction. Antoine Berman rappelle en effet le lien organique associant Italie et traduction dans la France du XVIe siècle : […] à cette époque, et depuis déjà un siècle, l’italien est vraiment la langue-de-la-traduction. Nous avons vu que c’est un Italien, Bruni, qui crée le terme même de « traduction » ; c’est Giordano Bruno qui a déclaré que « de la traduction vient toute science » ; presque tous les traités de l’époque sur la traduction (Bruni, Sebastiano, Manetti 27) sont italiens. Symonds a pu affirmer que 26 27 Antoine Berman, Jacques Amyot, traducteur français, p. 81. Si Leonardo Bruni et Gianozzo Manetti publient bien leur traités au XVe siècle, les théories de Giordano Bruno et Fausto Sebastiano sont postérieures à Marot. Cela relativise quelque peu le retard français en matière de traduction, même si De Interpretatione Recta (rédigé vers 1424), le traité 82 « OVIDE VEUT PARLER » l’Italie de la Renaissance est une immense « fabrique » de traduction 28. Si la dédicace du Premier Livre ne dit rien de l’Italie, la traduction du Chant des Visions témoigne quant à elle de la perméabilité de Marot à tous les mouvements de son temps. Le poème, marqué par le motif de la persistance du changement (« Rien ne dure au Monde que tristesse »), participe certainement de l’idée de l’émergence d’un monde nouveau en fixant le moment douloureux de toute évolution, celui de la mort préalable à toute renaissance (« le doulx desir De briefvement soubz la terre gesir »). Cependant, c’est avant tout l’acte consistant à traduire un Italien capital, parallèle en quelque sorte au geste qui consiste à « transmuer ung transmueur », qui signe le souffle nouveau du projet marotique. Il est donc impossible d’exclure la perspective italienne des considérations qui, entre 1530 et 1534, ont conduit Marot à comprendre tout l’intérêt qu’il pourrait tirer à cultiver plus intensivement la veine traduisante qu’il a inaugurée très tôt avec la première églogue, et confirmée avec les traductions de textes néo-latins (Tristes Vers, Oraison contemplative) ou grec (Lucien 29). L’évocation, dans la dédicace à François Ier, du choix que lui offrent les muses de « tourner en nostre langue aulcune chose de la Latine, ou d’escrire œuvre nouvelle par cy devant non jamais veuë 30 » relève du flou artistique s’il s’agit de dater la rencontre avec les muses, mais elle exprime parfaitement le potentiel que Marot a pu pressentir dans la traduction, un potentiel qui s’affiche aussi dans la vague montante des traductions en vernaculaire aux alentours de 1530. Paul Chavy, qui explore la liste de toutes les traductions publiées entre 1475 et 1540, dénombre un centaine de traductions de textes qu’il qualifie de « classiques » : la série prend en compte aussi bien les volumes indépendants que les pièces publiées à l’intérieur d’ouvrages consacrés non exclusivement à la traduction. Paul Chavy souligne en outre qu’ « à partir de 1526, la 28 29 30 de Bruni dont Dolet s’inspire largement, demeure une œuvre absolument fondatrice. Antoine Berman, Jacques Amyot, traducteur français, p. 134. Le chant de l’amour fugitif, Marot, TI, 341-344. Marot, TII, p. 405. LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE 83 courbe des traductions monte en flèche. Pendant ces quinze années, on a traduit plus de textes classiques (cinquante-deux) qu’au cours du demi-siècle précédent (quarante-sept) » 31. L’intérêt de cette nouvelle veine est d’autant plus grand qu’elle n’a connu avant 1530 qu’un nombre limité de réalisations qui, manifestement, ne répondent pas aux exigences nouvelles issues de l’humanisme. Peter Rickard a dressé la liste complète des traductions en français publiées en tant que volumes indépendants au cours du XVIe siècle. Pour les années 1500-1530, il indique : 1500 1509 1516 1517 1519 1520 1527 1529 1530 Ovide, Héroïdes (Octovien de Saint-Gelais) Virgile, Enéide (Octovien de Saint-Gelais) Virgile, Bucoliques (Guillaume Michel) Apulée, L’Ane d’or (Guillaume Michel) Virgile, Géorgiques (Guillaume Michel) Suétone, Vies (Guillaume Michel) Thucydide (Claude de Seyssel) Xénophon (Claude de Seyssel) Diodore de Sicile (Claude de Seyssel) 32 Ce qui frappe particulièrement dans la liste donnée par Rickard, c’est qu’aucun des ouvrages publiés entre 1500 et 1530 ne répond aux canons modernes de la traduction. Les traductions d’Octovien de Saint-Gelais relèvent d’une méthode assez libre qui fait alterner passages presque littéraux et invention assez large. Guillaume Michel traduit dans un français enrichi dont on peut supposer qu’il devait permettre au vernaculaire d’atteindre le niveau du latin. Claude de Seyssel traduit des auteurs grecs à partir de traductions latines. Parfaitement conscient de ce qui distingue son geste des versions de l’Ovide moralisé, capable également de mesurer toute la distance qui le sépare des grands humanistes, Marot était sans doute également capable de comprendre que la traduction en français attendait encore sa première réalisation poétique majeure et qu’une telle réalisation cadrait autant avec les impulsions nouvelles de la politique culturelle de François Ier qu’avec son propre 31 32 Paul Chavy, « Les traductions humanistes au début de la Renaissance française : traductions médiévales, traductions modernes », p. 287. Peter Rickard, La Langue française au seizième siècle / Etude suivie de textes, Cambridge University Press, 1968, p. 10. 84 « OVIDE VEUT PARLER » intérêt à marquer sa différence avec les poètes de la génération antérieure. Le pari était d’autant plus tentant qu’étant donné les limites des outils disponibles pour les traductions, sa puissance poétique et son expérience d’éditeur lui permettaient de disposer d’atouts sans égal. LES OUTILS DU TRADUCTEUR L’accès premier à un corpus inconnu et la connaissance de la langue source fondent souvent la vocation d’un traducteur. Deux exemples célèbres relèvent de ces situations dans l’histoire littéraire française : Voltaire, traducteur de Shakespeare et Vogüé, introducteur du roman russe et traducteur de Dostoïevski. Pour Voltaire, ce n’est pas le volume du texte traduit (quelques vers du monologue d’Hamlet), mais la situation tout à fait unique du philosophe en Angleterre qui pourrait faire de lui l’emblème de la condition du traducteur : Voltaire fut peut-être le premier Français à entendre le nom de Shakespeare, et on peut tenir pour certain qu’il fut le premier à voir à Londres, dans la langue originale, les plus célèbres tragédies et quelques drames historiques du grand dramaturge anglais 33. Le cas de Voltaire est cependant assez peu représentatif, étant donné les circonstances pour ainsi dire accidentelles qui l’ont conduit à rencontrer Shakespeare et surtout le fait qu’il n’est traducteur qu’à l’occasion 34. Dans le cas de Melchior de Vogüé, la connaissance de la langue et de la culture russes est bien plus approfondie, et l’image du traducteur-passeur, d’autant plus marquée. Incontestablement, la situation de Marot se trouve aux antipodes de celles de Voltaire et Vogüé : non seulement, le poète ne peut revendiquer le rôle de passeur en ce qui concerne Les Métamorphoses, mais il marque lui-même les limites de sa maîtrise 33 34 André Billaz, « Voltaire traducteur de Shakespeare et de la Bible : philosophie implicite d’une pratique traductrice », RHLF, 1997/3, p. 374. Le rapport de Voltaire à Shakespeare ne se limite pas à la traduction. Il s’étend, par exemple, à la réécriture (La Mort de César). LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE 85 du latin dans la dédicace à François Ier. L’évaluation des compétences de Marot latiniste nécessite cependant une enquête plus fouillée sur sa formation : il faut commencer par rappeler les nuances apportées par la critique aux deux formules qui ont le plus grandement contribué à donner de Marot l’image d’un poète de la spontanéité, éloigné des cercles de la grande culture humaniste. La première formule, en latin, vient d’une lettre de Jean de Boyssoné 35 à propos de l’Antileguleitas, un dialogue de Jacques Delexi sur l’usage du latin dans les procédures judidiciaires. La lettre évoque Clément Marot à l’occasion d’un raisonnement complexe qui explique que le poète n’avait pas sa place dans le dialogue de Jacques Delexi, puisque Marot n’est pas un auteur latin. La sentence de Boyssoné, assez sèche, semble cependant stigmatiser une fois pour toute l’ignorance du poète, son exclusion définitive du cercle humaniste : Marotus latine nescivit. Ces trois mots, le plus souvent cités hors de leur contexte, ont très largement contribué à forger le jugement selon lequel Marot ne saurait être plus qu’un brillant dilettante, éloigné à tout jamais de l’érudition d’un Rabelais, d’un Du Bellay ou d’un Ronsard. La formule, si compatible avec l’élégant badinage évoqué dans l’Art Poétique de Boileau, a hanté, et sans doute continuera de hanter, plus d’un commentateur pressé de l’œuvre de Marot. Michel Magnien, dans une lettre 36 adressée à Gérard Defaux à l’occasion du Colloque international de Cahors en Quercy, précise comment la formule peut être comprise dans le contexte spécifique de la lettre de Boyssoné. Michel Magnien commence par souligner que Boyssoné est un « puriste cicéronien ». Ce n’est par conséquent pas l’ignorance de Marot que vise Boyssoné, mais le choix du poète comme personnage censé maîtriser à l’oral le latin de Cicéron. Ce n’est donc ni la connaissance en soi du latin par Marot, ni même la maîtrise du latin à l’oral par ce dernier qui sont en cause, mais simplement la désignation de Marot comme parangon de la latinité cicéronienne. On ne peut donc se fier à 35 36 L’intégrale de la lettre de Boyssoné a été reproduite dans Actes Cahors, p. 821-824. Un extrait substantiel de la lettre de Michel Magnien se trouve dans la « Note des éditeurs », Actes Cahors, 817-818. 86 « OVIDE VEUT PARLER » l’expéditif Marotus latine nescivit et mettre en doute la maîtrise du latin chez le poète. On peut même inférer que le fait que Jacques Delexi ait songé à Marot pour traiter de l’usage du latin juridique devrait, au contraire, être interprété comme le signe d’une véritable maîtrise. Il faut cependant se garder de trop s’engager dans cette voie, dès lors que le texte du dialogue de Delexi n’a pas été retrouvé par Michel Magnien. La seconde formule qui a fortement contribué à forger l’image de la formation de Marot vient du poète lui-même, qui, dans une épître datée de 1536 et intitulée « Au tresvertueux prince, François, Daulphin de France » 37, appelle la cour du roi sa « maistresse d’escolle ». Gérard Defaux commente ainsi l’expression : Cette formule a dans une large mesure déterminé notre perception de Marot. Nous nous sommes contentés de voir en lui avant tout un poète de cour, un courtisan diseur de bagatelles légères et sans conséquence 38. Associée à la sentence de Boyssoné, l’idée d’un auteur largement autodidacte ne peut que conforter l’image de l’élégant badin et faire conclure sans appel à la non maîtrise du latin par Clément Marot. Plusieurs contributions du Colloque international de Cahors en Quercy de 1996 amènent cependant les compléments nécessaires pour aborder la question avec plus de précision. Dans « Marot mythographe 39 », Guy Demerson décrit le traitement de la mythologie dans l’œuvre de Marot. Même si le propos de Demerson n’est pas directement d’accréditer la qualité de la formation latine du poète, nombre des passages qu’il discute attestent d’une connaissance précise des textes latins par Clément Marot. Dans « L’arrière-fable : la préface de Marot à la Metamorphose et les commentaires latins d’Ovide », Pierre Maréchaux démontre que Marot a fait très largement appel au commentaire en latin de l’humaniste italien Raffaele Regio, aussi bien dans la dédicace à François Ier que dans l’éclaircissement de certains passages plus 37 38 39 Marot, TII, p. 117. Marot, TII, p. 896. Guy Demerson, « Marot mythographe », Actes Cahors, 23-47. LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE 87 obscurs et que, par conséquent, « on ne doit pas oublier de lire Marot et Reggio […] pour ainsi dire de façon synoptique » 40. D’une façon plus générale, le matériel aussi bien textuel que métatextuel du Premier Livre aurait dû depuis longtemps attester l’érudition du poète. Dans la dédicace à François Ier, Marot indique qu’il s’agit de « mieulx faire entendre, & sçavoir à ceulx, qui n’ont la langue Latine, de quelle sorte il [Ovide] escrivoyt » 41. La formule présuppose une division du public d’Ovide entre « ceux qui ont » et « ceux qui n’ont pas » la langue latine et situe le traducteur clairement du côté de ceux qui l’ont. Par ailleurs, l’analyse attentive du Premier Livre laisse facilement voir que Marot a traduit à partir du texte original. On peut bien sûr avancer qu’un Marot ignorant du latin aurait pu facilement trouver à la cour l’érudition nécessaire à éclairer le texte source, mais une telle hypothèse ne rend pas compte du volume de travail nécessaire pour la traduction des deux premiers livres des Métamorphoses, volume de travail qui rend difficilement praticable le recours systématique à un tiers pour la traduction effective. Par ailleurs, dans l’épître de 1544 « Plaise au roy congé me donner », Marot est en exil lorsqu’il propose à François Ier de traduire le troisième livre des Métamorphoses. On voit mal comment les conditions matérielles du travail de traduction auraient dans ces circonstances pu s’accomoder de l’ignorance du latin chez Marot. En tant que telle, l’entreprise du Premier Livre confirme que Marot était suffisamment latiniste pour se lancer dans l’entreprise consistant à donner au public français une version en vers soignée des Métamorphoses. Le poète était également suffisamment latiniste pour voir que rien ne le qualifiait en tant que traducteur désigné d’Ovide. Paradoxalement, c’est peut-être la relative distance de Marot vis-à-vis de l’école qui lui a donné l’élan nécessaire pour « transmuer ung transmueur » 42. Certaines dates importantes des « adolescences » du poète permettent de se faire une idée plus 40 41 42 Pierre Maréchaux, « L’arrière-fable », p. 77. La démonstration de Pierre Maréchaux est d’autant plus importante qu’elle permet d’inférer la possibilité pour Marot d’avoir recours à d’autres outils issus de la tradition néolatine : dictionnaire de Calepino, grammaires latines. Marot, TII, p. 406. Marot, TII, p. 406. 88 « OVIDE VEUT PARLER » précise de la voie originale de Marot vis-à-vis de l’érudition. Il y a d’abord le départ de Cahors et l’arrivée « en France », que Marot évoque dans L’Enfer : (…) Car une matinée, N’ayant dix ans, en France fut meiné ; Là où depuis me suis tant pourmeiné Que j’oubliay ma langue maternelle, Et grossement apprins la paternelle Langue Françoyse es grands Courts estimée, Laquelle enfin quelque peu s’est limée, Suyvant le Roy Françoys, premier du nom, Dont le sçavoir excède le renom 43. Le premier enseignement de la cour – maîtresse d’école – fut la langue du roi. Gérard Defaux 44 situe l’arrivée en France – et donc l’apprentissage de la langue française – en 1506, alors que Clément a tout juste dix ans. Il faut mettre cette date en relation avec celle de la composition de la première églogue de Virgile que Defaux situe en 1512 45. Il n’aura donc fallu à Marot que six ans pour apprendre aussi bien le français de la cour que le latin de Virgile. On ne sait guère qui furent les maîtres de Marot pendant ces six ans : dans la chronologie qu’il donne à l’édition des œuvres complètes, Gérard Defaux indique que « son éducation semble avoir été confiée à des régents » 46. On peut conjecturer que Jean Marot ait eu à cœur de trouver des maîtres pour son fils. Si l’on ne trouve pas de trace précise de ce genre de contribution pour la formation générale de Marot, il existe un exemple célèbre de collaboration avec un maître de haut niveau dans le domaine de la formation du poète, à savoir l’enseignement de Jean Lemaire de Belges, que Marot lui-même évoque à propos de la traduction de la première églogue, dans la dédicace de l’Adolescence clementine « A un grand nombre de frères » : Et là commencerons par la premiere Eglogue des Bucoliques Virgilianes, translatée (certes) en grande jeunesse : comme pourrez en 43 44 45 46 Clément Marot, L’Enfer, v. 398-406, Marot, TII, p. 30. Marot, TI, p. XXI. Marot, TI, p. 413. Marot, TI, p. V. LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE 89 plusieurs sortes congnoistre : mesmement par les Couppes feminines : lesquelles je n’observrais encore alors : dont Jan le Maire de Belges (en les m’apprenant) me reprint 47. L’intervalle 1506-1512 permet de saisir les contours de la formation de Marot. D’une part, les années d’apprentissage sont les dernières années du règne de Louis XII ; d’autre part, Marot n’a, semble-t-il, pas fréquenté d’école au sens strict. Etant donné le prix d’un précepteur à l’époque 48, et, sans doute aussi, la rareté des maîtres compétents avant l’explosion de l’offre sous le règne de François Ier, il faut admettre que Jean Marot n’a sans doute pu procurer à son fils qu’une éducation relativement minimale. Bien évidemment, l’anecdote de la collaboration avec Lemaire de Belges peut laisser penser que le réseau de Jean Marot a pu amener au jeune Clément d’autres rencontres de haut niveau : tel précepteur attaché aux enfants d’un grand personnage a pu consacrer un peu de temps à la formation d’un jeune homme que l’on devine ambitieux et doué. On comprend cependant que Marot ne pouvait ambitionner de formation supérieure et que, tout efficace que fut son premier apprentissage du latin, il ait dû continuer à progresser en autodidacte pendant toute sa carrière, ainsi que le rappelle Georg Luck, citant l’épître « Au Roy » de 1535 : Tu trouveras ceste langue italique Passablement dessus la mienne entée Et la latine en moy plus augmentée 49. Pour comprendre la particularité de la culture de Marot, il faut se souvenir que les années 1506-1512 ne sauraient représenter la totalité des années de formation : il faut prendre en compte tout particulièrement l’amitié avec Marguerite de Navarre et les nombreux apports de son cercle à la pensée de Marot. Il faut retenir surtout que l’érudition de Marot possède un caractère relativement unique, puisque, bien qu’elle ne soit pas celle d’un humaniste de premier plan, elle place le poète très largement au-dessus 47 48 49 Marot, TI, p. 18. Gilbert Gadoffre, « Des précepteurs aux universités », La Révolution culturelle dans la France des Humanistes, p. 143-165. Georg Luck, «Tenerorum lusor amoroum : Marot disciple d’Ovide », p. 68. 90 « OVIDE VEUT PARLER » des préjugés souvent évoqués à son endroit. Le trait le plus marquant est sans doute que cette érudition a été acquise dans le contexte de la cour, c’est-à-dire hors des sentiers battus de l’université, et sans doute relativement loin aussi de la fréquentation des collèges de l’humanisme triomphant. Le caractère tout à fait singulier de la formation de Marot loin de la haute culture doit être considéré comme une dimension fondamentale de son entreprise de traduction. Dans le contexte particulier du premier XVIe siècle, la version française du Premier Livre est loin de révéler au public savant une matière inconnue. D’une part, la frontière entre culture latine et culture française est pour le moins relative, la totalité des lettrés français lisant et écrivant indifféremment en latin ou en français. D’autre part, l’étude des textes consiste avant tout en une glose savante et intellectuelle à l’oral et en latin, à partir du texte source. Dans un article intitulé « Ronsard et Pindare : un écho de la voix de Dorat » 50, Peter Sharratt décrit les notes prises lors d’un cours de Dorat sur un texte grec : il ressort nettement que le commentaire latin du maître dépasse de loin tout ce qu’une simple traduction pourrait apporter 51. Personne dans ce contexte ne pourrait concevoir qu’une version telle que celle que Marot donne du Premier Livre ait pour but d’éclairer le texte d’Ovide. Il faudra en vérité encore beaucoup de temps avant que la traduction en français serve à enseigner la culture latine : de façon tout à fait révélatrice, les versions bilingues de Cicéron qui commenceront à paraître dans la deuxième moitié du XVIe siècle, viseront avant tout l’enseignement du français comme langue étrangère 52. La prudence même de Marot quand il évoque sa maîtrise du latin confirme qu’il ne vise pas en priorité le public lettré de son temps. En raison de son parcours personnel, Marot se trouve cependant dans une situation idéale pour pressentir l’émergence d’un autre public, tout prêt à recevoir très positivement une version française d’Ovide, le public de la cour. Celui-ci se tourne, 50 51 52 Peter Sharratt, « Ronsard et Pindare : un écho de la voix de Dorat », BHR, XXXIX, 1, 1977, 97-114. Le potentiel de l’exercice sera développé pleinement dans l’exercice de la praelectio au cœur de la pédagogie jésuite. Valérie Worth, « A bilingual edition of Cicero’s Epistolae ad familiares », BHR, Tome L, 1, 1988, 77-80. LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE 91 dès le début du règne de François Ier, avec un enthousiasme croissant vers une connaissance renouvelée de la culture antique. Gilbert Gadoffre décrit cet engouement sous le titre de « Pentecôte des langues » : A en croire les Rabelais, les Budé, les Galland, la révolution culturelle n’aurait pas affecté seulement un petit nombre de lettrés mais toutes les classes sociales : je vois, dit Rabelais, « les brigans, les boureaulx, les avanturiers, les palefreniers de maintenant plus doctes que les docteurs et prescheurs de mon temps ». Il est toujours possible, avec Rabelais, de mettre ce type d’affirmation sur le compte de la truculence. Mais peut-on en dire autant de Guillaume Budé qui soutient une thèse à peu près voisine dans une lettre à son fils, ou de Pierre Galland qui renchérit sur Rabelais et Budé, vingt-huit ans plus tard, en assurant que tous les gens de cour sont maintenant capables de lire le grec et le latin, voire d’écrire des livres 53. Les difficultés du roi lui-même vis-à-vis du latin, et, plus généralement, le faible attrait qu’exerçait la culture sur les grands seigneurs français doivent conduire à considérer avec prudence la belle unanimité décrite par Gadoffre. L’historien lui-même nuance les propos des auteurs qu’il cite, mais il attire l’attention sur le grand fait culturel du règne, l’affirmation de la culture classique comme critère de promotion sociale. Nul doute que dans un tel contexte le Premier Livre ait fait mouche : même si la forme de l’érudition de Marot ne lui donne pas une place de choix parmi les grands humanistes, elle lui permet tout de même d’assouvir la soif de culture d’une cour dans laquelle le rang est loin de garantir l’accès direct aux sources grecques ou latines. Si, en matière de langue source, Marot doit compter avec des limites qu’il admet d’ailleurs volontiers, les choses se présentent de façon fort différente sur le plan de la langue cible, dans laquel le traducteur doit se montrer « pareillement excellent » selon la deuxième règle de la Manière de bien traduire d’une langue en l’autre d’Etienne Dolet. Si nul ne peut douter, en 1530, que Clément Marot soit précisément l’un des maîtres de la langue française, la question se pose de donner à cette dernière des contours précis. 53 Gilbert Gadoffre, La Révolution culturelle dans la France des humanistes, p. 53. 92 « OVIDE VEUT PARLER » D’une certaine façon, le problème caractérise la description de toutes les langues, ainsi que le souligne George Steiner : […] une langue ordinaire est, littéralement à chaque seconde, sujette à mutation. Et cela sous des formes variées. Des mots nouveaux apparaissent tandis que de plus anciens tombent en désuétude. Les conventions grammaticales s’aménagent sous l’action des tournures idiomatiques ou par décret de mode. L’éventualité de ce qui est permis et de ce qui reste tabou se déplace sans cesse 54. L’émergence de la norme dans le domaine français depuis Vaugelas et l’Académie, notamment au travers de la notion de bon usage, s’efforce d’imposer une évolution moins erratique, mais, au moment de la traduction du Premier Livre, la langue française manifeste encore, selon l’expression de Frank Lestringant, une « étrange porosité dans ses productions littéraires » 55. Du point de vue de la correction linguistique de sa version, la situation de Marot diffère complètement de celle d’un traducteur français d’aujourd’hui. La langue dont le traducteur doit s’emparer ne dispose pas encore d’une description renvoyant à des règles clairement identifiées. Revenir sur les principales grammaires publiées du vivant de Marot, ou dans les années suivant immédiatement sa mort, permet de se faire une idée plus précise de la réflexion sur la langue française au moment de la composition du Premier Livre. Quatre ouvrages principaux constituent les fondements de la réflexion proprement grammaticale en France dans la première moitié du XVIe siècle : 1530 : 1531 : 1550 : 1557 : John Palsgrave, L’Eclaircissement de la langue française. Jacques Dubois, Ambiani In linguam gallicam isagōge, una cum eiusdem Grammatica latino-gallica, ex hebræis, græcis et latinis authoribus. Louis Meigret, Le tretté de la grammere françoeze. Robert Estienne, Traité de la grammaire française. Si la chronologie des ouvrages s’étend bien au-delà de la publication du Premier Livre, les quatre traités présentent des 54 55 George Steiner, Après Babel, Paris, Albin Michel, 1998, p. 53. Frank Lestringant, « Renaissance ou XVIe siècle ? Une modernité étranglée », 2002/5, Vol. 102, p. 765. LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE 93 traits communs du point de vue de leur conception, ce qui autorise à les considérer tous pour établir le socle de la pensée grammaticale pertinent pour situer l’entreprise de Marot. Pour situer cette unité de vue, on retiendra en particulier : 1. L’intérêt primordial pour la question de l’orthographe, au sens de la façon de transcrire l’oral en français écrit : Palsgrave, Dubois, Meigret 56, Estienne commencent tous leurs ouvrages par un récapitulatif des lettres du français, le plus souvent divisé entre voyelles et consonnes. Il n’y a pas de consensus strict sur la façon d’écrire le français avec ces lettres. Meigret, comme plus tard Jacques Peletier du Mans, est à la recherche d’une systématique véritable, mais sa proposition est loin de faire l’unanimité, et ne s’imposera finalement pas. Les développements sur le système graphique permettent de constater d’emblée que l’opposition entre langue orale et langue écrite est encore bien peu opérationnelle : les grammairiens semblent voir avant tout la question de la transcription, sans percevoir que l’écrit fait l’objet d’une grammaire à part. Il est vrai que l’idée d’une grammaire séparée de l’oral est très récente dans l’étude de la langue française, et que, dans la plus grande partie de l’histoire de la grammaire, la conception qui a prévalu est celle selon laquelle l’écrit constituait le socle de la langue, l’oral n’étant que le reflet imparfait de la norme présente dans l’écrit. Cela dit, il faut rendre justice aux grammairiens cités ci-dessus qui, en principe, sont encore suffisamment attentifs aux faits pour ne pas céder à l’idéologie de la supériorité de l’écrit. 2. La référence sous-jacente au latin : tous les grammairiens font explicitement référence à la grammaire latine dans les outils qu’ils utilisent pour la description du français. La tendance peut être illustrée rapidement avec le recours aux notions de déclinaison et de cas dans le cadre de la description des noms. En ce qui concerne la première 56 Meigret donne déjà un traité de l’orthographe en 1542. La question de la recherche d’un système graphique possède une autonomie propre qui n’intéresse pas directement la présente étude. 94 « OVIDE VEUT PARLER » notion, les grammairiens ne sont pas unanimes : certains considèrent que la déclinaison des noms n’existe pas, d’autres tentent d’en décrire une version simplifiée. Sur la question des cas, les avis sont plus uniformes : les cas n’existent pas en français pour les noms. 3. La notion de règle n’apparaît pas véritablement : si les observations faites à propos des différentes parties du discours ne manquent ni de finesse, ni de précision et relèvent d’un patient travail de philologue, elles ne s’organisent pas selon l’hypothèse de régularités propres au français. La langue ne semble pas encore perçue comme un tout organique fonctionnant à des niveaux différents selon des logiques communes. On ne perçoit pas véritablement la nécessité pour l’auteur de répondre à un canon indépendant de son choix du moment. 4. Si la notion d’usage commence à apparaître dans certains ouvrages, on ne trouve pas véritablement d’exemple faisant autorité, soit par le nom de l’auteur, soit par la représentativité de l’exemple lui-même. Les exemples sont avant tout illustratifs et ne mettent en principe pas en dialogue les solutions de différents auteurs. Ici aussi, il manque une sorte de canon susceptible d’orienter par analogie le choix de l’auteur ou du traducteur. L’essentiel des ouvrages est constitué par la description des unités linguistiques. Sur cette question, il est aisé de constater que chacun des auteurs consacre une partie de sa théorie à l’identification de ce que la grammaire classique du français, à l’image du Bon Usage de Goose/Grévisse désigne désormais sous le titre de « parties du discours ». Un tableau récapitulatif permet de se faire une idée générale de la façon dont la question est abordée par les divers auteurs. LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE 95 Les parties du discours chez les grammairiens du français au XVIe siècle Palsgrave Dubois Meigret Robert Estienne partes of speech parties du discours 57 parties du langage parties de l’oraison article (traité à part) article article nom (yc. adjectif) nom (yc. adjectif) nom (yc. adjectif) nom (yc. adjectif) pronom (yc. déterminants) pronom (yc. déterminants) pronom (yc. certains déterminants) pronom (yc. déterminants) verbe verbe verbe verbe participe participe participe participe adverbe adverbe adverbe adverbe préposition préposition préposition préposition conjonction conjonction conjonction conjonction interjection interjection interjection interjection La relative unanimité des théoriciens au sujet des parties du discours ne doit pas faire attendre une réelle convergence dans les définitions. Celles-ci s’inspirent d’abord et avant tout de la grammaire latine qui distingue traditionnellement huit parties, reprises par les grammairiens du français. Le sort réservé à l’article – inconnu en latin – est à ce titre tout à fait révélateur. Dubois, qui rêve d’une grammaire aussi proche que possible du latin, ne fait pas mention de la notion. Plus curieuse encore, la façon dont Meigret arrange son décompte pour traiter de l’article tout en maintenant la fiction d’une langue française ne connaissant que huit parties : Or faut il entendre que pour la nécessité du bâtiment de notre langage, il y peut entretenir huit parties outre les articles : qui sont le nom, le pronom, le verbe, le participe, la préposition, l’adverbe, la 57 Terme utilisé par Livert dans la traduction qu’il donne de la grammaire de Dubois qui est rédigée en latin. Les Grammairiens du XVIe siècle, éd. Charles Livert, Paris, Didier, 1859. 96 « OVIDE VEUT PARLER » conjonction et l’interjection. Mais avant que de vuyder rien de huit parties, nous dépêcherons les articles 58. La réflexion sur les parties du discours illustre bien l’influence prépondérante de la référence sous-jacente au latin. Une fois établie la division en parties du discours, les préoccupations des théoriciens s’orientent vers une description morphologique de la façon dont se comportent les diverses parties : questions des formes du pluriel, du féminin, conjugaison des verbes, etc. Palsgrave introduit une forme d’exigence d’unité dans le propos qui apparaît dans le recours à la notion d’accident : les accidents du nom 59 sont ainsi le genre, le nombre, la personne 60, la dérivation ou formation (familles de mots), la composition (noms composés), la déclinaison, ramenée à l’accord de l’adjectif et au choix de l’article ; les accidents de la préposition 61 sont la rection des cas des pronoms, la place en début des suites de mots 62 qu’elle introduit, la composition, la contraction avec l’article, l’ellipse de « de ». La notion d’accident permet à Palsgrave d’exposer de façon méthodique les variations qu’il observe dans les diverses parties du discours, sans pour autant faire émerger la notion de règle grammaticale au sens où on l’entend aujourd’hui. Les autres théoriciens procèdent de façon identique, ayant également recours à la notion d’accident pour structurer leurs propos. L’objet de la description porte avant tout sur les parties pour elles-mêmes, laissant largement de côté la question des relations entre les parties du discours. Le sort réservé à la déclinaison du nom par Robert Estienne est à ce titre tout à fait révélateur. Le grammairien commence par noter toute la distance qui existe entre le français et le latin sur la question des cas : Quant aux cas des noms, ou cadences et terminaisons d’un même mot au nominatif, génitif, datif, accusatif, et ablatif, nous sommes 58 59 60 61 62 Louis Meigret, Le tretté de la grammere françoeze, Paris, Christian Wechel, 1550, 19ro – 19vo. John Palsgrave, L’Eclaircissement de la langue française, éd. F. Génin, Paris, Imprimerie nationale, 1852, p. 66-69. Lien avec les pronoms personnels il et ils. John Palsgrave, L’Eclaircissement de la langue française, p. 138-141. La notion de complément n’existe pas chez Palsgrave. LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE 97 entièrement différents des Latins, car nous n’avons qu’un cas ou terminaison au singulier, pour tous ces six cas des Latins, et un seul cas pour le pluriel, en ajoutant une s au singulier 63. Il continue ensuite en écartant la déclinaison pour mieux la faire réapparaître dans la description des articles (l’extrait reprend la séquence telle qu’elle se présente chez Estienne) : Déclinaison Quant aux déclinaisons, nous n’en avons point à vrai dire : car puisqu’il n’y a qu’un cas ou terminaison pour le singulier, et un autre pour le pluriel, comme ci devant est dit, comment se déclineraient-ils ? Mais pour connaître les cas et déclinaisons, nous nous servons des articles comme dit est. DES ARTICLES Articles sont petits mots d’une syllabe, faisant un mot, desquels on se sert pour donner à connaître les cas des Latins qu’ils appellent nominatif, génitif, datif, accusatif, ablatif, ainsi que dessus est dit 64. Plus loin, Estienne illustre son propos par des exemples qui n’ont rien à envier aux grammaires latines : Exemple du singulier masculin Le nominatif, Génitif, Datif, Accusatif, Vocatif, Ablatif, Le maître. De maître, du maître. A maître, au maître. Le maître. Maître, sans article. De maître, du maître 65. Il n’est pas lieu d’entrer ici dans les problèmes de cohérence que pose la théorie de Robert Estienne : on pourrait bien sûr s’interroger sur le statut exact que le théoricien accorde aux cas des noms qu’il définit comme totalement différent de ceux des 63 64 65 Robert Estienne, Traicté de la grammaire françoise, Paris, Robert Estienne, 1569, p. 20. Robert Estienne, Traicté de la grammaire françoise, p. 20-21. Robert Estienne, Traicté de la grammaire françoise, p. 21. 98 « OVIDE VEUT PARLER » Latins, alors que la suite de son exposé semble proposer une description très proche de celle du latin ; on pourrait également s’interroger sur le fait que les déclinaisons – qu’il donne comme liées essentiellement aux articles – fassent l’objet d’exemples où l’article ne joue de rôle que lié à des prépositions. Si la position de Robert Estienne est la plus détaillée, les autres théoriciens adoptent tous des positions plus ou moins identiques, à savoir qu’ils écartent les cas et les déclinaisons lorsqu’ils sont inutiles à la description de certaines parties du discours, comme, par exemple, le nom, mais qu’ils n’hésitent pas à y recourir lorsque la description le nécessite à nouveau. Ainsi Palsgrave 66 qui, pour le cinquième accident des pronoms (la déclinaison), recourt à une déclinaison en quatre cas (nominatif, accusatif, datif, oblique) ou Meigret 67 qui, à nouveau pour la déclinaison des pronoms, se base directement sur les six cas latins (nominatif, génitif, datif, accusatif, vocatif, ablatif) qu’il applique au français. Ainsi donc, si l’on ne trouve pas encore dans ces premières grammaires de théorie des fonctions distinguant entre eux le sujet et les divers compléments du verbe, le recours à la grille d’analyse de la déclinaison latine permet aux théoriciens d’établir de façon certaine cette distinction à chaque fois que cela leur est nécessaire. Bien évidemment, cette approche émergente de la description de la langue ne conduit pas les grammairiens à établir des règles établissant un lien de causalité nécessaire entre la nature d’un mot, sa fonction dans la phrase et son comportement (accord, position, etc.). Ce lien, Marot semble le pressentir dans une épigramme dont Defaux situe la composition avant 1538, avec laquelle il tente de réglementer rien moins que l’accord du participe passé : A ses Disciples 68 4 66 67 68 Enfants, oyez une leçon : Nostre langue a ceste façon, Que le terme, qui va devant, Vouluntiers regist le suyvant : Les vieulx exemples je suyvray John Palsgrave, L’Eclaircissement de la langue française, p. 77. Louis Meigret, Le tretté de la grammere françoeze, p. 49-62. Marot, TII, p. 240. LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE 8 12 16 20 24 28 99 Pour le mieulx : car, à dire vray, La chanson fut bien ordonnée, Qui dit : M’amour vous ay donnée : Et du bateau est estonné, Qui dit : M’amour vous ay donné. Voylà la force, que possède Le feminin, quand il precede. Or prouveray par bons tesmoings, Que tous pluriers n’en font pas moins : Il fault dire en termes parfaicts, Dieu en ce monde nous a faicts : Fault dire en parolles parfaictes, Dieu en ce monde les a faictes. Et ne fault point dire (en effet) Dieu en ce monde les a faict : Ne nous a faict pareillement : Mais nous a faicts tout rondement. L’Italien (dont la faconde Passe les vulgaires du monde) Son langage a ainsi basty En disant : Dio noi a fatti. Parquoy (quand me suis advisé) Ou mes juges ont mal visé, Ou en cela n’ont grand’ science, Ou ilz ont dure conscience. L’approche de la grammaire dont témoigne cette épigramme se distingue avant tout par la régularité qu’elle s’efforce d’établir. Aux vers 2 et 3, le poème s’ouvre sur une sorte de règle générale, valable indifféremment à tous les niveaux de langue : « Nostre langue a ceste façon,/Que le terme, qui va devant,/Vouluntiers regist le suyvant.» La règle allie donc, à un niveau de généralisation dont ne rougirait pas un grammairien génératif, la question de l’ordre des mots et celle d’un rapport de rection entre ces derniers : l’élément qui apparaît en premier régit ce qui suit. Du vers 8 au vers 22, Marot développe de façon parfaitement parallèle la question du genre et celle du nombre, avec une remarquable succession d’exemples : accord du féminin, accord du pluriel, accord du féminin pluriel. A l’occasion de l’accord du participe passé au féminin, Marot ironise discrètement sur la maladresse de la formule « M’amour vous ay donné » en la qualifiant de bateau : le terme désigne un instrument dont se servent 100 « OVIDE VEUT PARLER » les jongleurs pour mystifier leur public. Un contraste subtil est établi entre le grand poète qui respecte et exprime la forme correcte et ceux qui se servent de la langue comme des bateleurs. Plus grammairien que les grammairiens de son temps, Marot recherche une forme de régularité dans la langue, et s’efforce d’inscrire dans une même logique l’ensemble des exemples qu’il traite. De plus, il appuie la valeur de sa règle sur l’exemple des Italiens. La référence est doublement habile : d’une part, en évoquant une autre langue vernaculaire, Marot coupe le cordon ombilical entre le français et le latin, et, contrairement à la plupart des théoriciens de son temps, indique clairement que la question du français doit désormais être traitée de façon autonome ; d’autre part, en prenant comme modèle l’Italie, qui est alors la véritable patrie de la renaissance des lettres, Marot situe tout de même sa réflexion dans la référence à l’Antiquité, qui est la vraie façon d’être moderne à la Renaissance. La pointe de l’épigramme dépasse la question purement grammaticale et ouvre celle de l’autorité sur la langue, déjà esquissée dans l’image du « bateau » : les juges sont jugés par le poète. Celui-ci devient donc l’arbitre et le législateur de la langue. Les choses cependant sont loin d’être aussi simples. Brunot indique que la règle de Marot ne sera pas véritablement suivie : Sans s’imposer, la formule devint célèbre, et les textes lettrés l’appliquent en général tant bien que mal. Mais était-elle pour cela la règle de la langue populaire ? Nullement. Le plus observateur des grammairiens, Meigret, lui est hostile. A propos des phrases : lé graçes qe je vou ey fettes … Si on vou’ les avoet dittes, « lourdes incongruités, s’écrie-t-il, reçues pour courtizanes elegantes » (66 ro). Et il veut aussi qu’on dise : nou nous somes eymé. Abel Mathieu, sans être aussi net, admet que les deux « liaisons de parole » sont également belles : les deniers qu’Alexandre a donné à ses gendarmes, et les deniers qu’Alexandre a donnez (Dev, 1572, 31 vo). Et ce n’est qu’après avoir reproduit la protestation de Meigret, que Ramus se range à l’avis de Marot. Il est vrai qu’il en donne pour raison « la souveraineté du peuple » 69. 69 Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française des origines à 1900, T. II – Le Seizième Siècle, Paris, Armand Colin, 1927 (2e édition revue et corrigée), p. 468. LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE 101 Pour séduisante qu’elle soit, l’idée que le poète soit le premier législateur de la langue souffre, au temps de Marot, de réelles limites, empêchant d’y associer une vision trop idyllique de la relation entre grammaire et poésie. Dans le perpetuum mobile de l’histoire des langues, un auteur seul n’a aucune chance : dans le domaine français, la notion de bon usage imaginée par Vaugelas tient à la rencontre entre les formes explorées par une littérature affirmée et les raisonnements qui cherchent à les penser. La conclusion de l’épigramme de Marot se situe dans un mouvement théorique de confiance dans la langue française qui précède nettement son avènement historique, étant donné que, comme le rappelle Frank Lestringant : « la précellence de la langue française, qui s’établira par la suite pour une longue suite de générations, est encore à l’état de projet ou de slogan. » 70 Dans la perspective de l’émergence d’une norme linguistique pour le français, la question de la traduction des textes majeurs de l’Antiquité en français constitue tout de même une occasion importante de réfléchir à la norme, en l’absence de réalisation littéraire canonique en français. S’il n’est pas possible de « programmer » chez un auteur l’apparition d’un grand texte susceptible de servir de référence future, il n’en va pas de même pour les traductions. Dans ce domaine, les grands textes sont connus, leurs valeurs littéraire et linguistique, accréditées depuis longtemps. La traduction d’un grand texte, lorsqu’elle apparaît comme réussie, réalise de facto un canon pour la langue cible. La critique accorde par exemple ce rôle aux réalisations désormais désignées sous le terme générique de « belles infidèles » : Le XVIIe siècle se caractérise par la perte de prestige de la poésie et la montée des traducteurs. Selon R. Zuber (1968), c’est là qu’est née la prose française 71. L’histoire même de la langue française place toutefois Marot dans une situation tout à fait exceptionnelle : contrairement au traducteur moderne qui doit en permanence vérifier la grammaticalité de sa version en fonction de la norme établie, le poète doit 70 71 Frank Lestringant, « Renaissance ou XVIe siècle ? Une modernité étranglée », p. 765. Oseki-Dépré Inês, « Théories et pratiques de la traduction littéraire en France », Le Français aujourd’hui, 2003/3 no 142, p. 12. 102 « OVIDE VEUT PARLER » utiliser son expérience et son talent pour établir la grammaticalité française attendue pour que sa version puisse rendre justice à Ovide. L’état de la description de la langue française au temps de Marot n’est pas sans rappeler celui des théories de la traduction. Comme la langue française canonique, les techniques propres à la traduction en vernaculaire ne font pas l’objet d’un exposé détaillé dans les années 1530. Antoine Berman déclare de façon catégorique : […] les « discours » du XVIe siècle sur la traduction ne sont absolument pas théoriques, si l’on entend par là une explicitation méthodique et conceptuelle de l’acte de traduire. C’est pourquoi tout ce qui s’écrit sur les « théories de la traduction au XVIe siècle » n’est qu’irréflexion et cécité théorique 72. De façon caractéristique, La Manière de bien traduire d’une langue en l’autre vaut plus par la pertinence des problèmes théoriques qu’elle pose que par la précision des solutions pratiques qu’elle propose. En l’absence de technique de référence, Marot dispose tout de même d’une expérience capitale, celle acquise à l’occasion de son travail d’éditeur pour le Roman de la Rose en 1526, certains textes de son père en 1532 ou les Œuvres de François Villon en 1533. Le même souci méthodique de fidélité habite la dédicace du Premier Livre (1), la préface de son Adolescence (2) ou celle de son Villon (3) : (1) Oultre plus, tel lit en maint passage les noms d’Apollo, Daphné, Pyramus, & Tisbée, qui a l’Histoire aussi loing de l’esprit, que les noms pres de la bouche : ce que pas ainsi n’yroit, si en facille vulgaire estoit mise ceste belle Metamorphose. Laquelle aux Poëtes vulgaires, & aux Painctres seroit tresproffitable 73. (2) Je ne sçay (mes treschiers Freres) qui m’a plus incité à mettre ces miennes petites jeunesses en lumiere, ou voz continuelles prieres : ou le deplaisir, que j’ay eu d’en ouir crier, et publier par les Rues 72 73 Antoine Berman, Jacques Amyot, traducteur français, p. 94. Marot, TII, p. 406. LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE 103 une grande partie toute incorrecte, mal imprimée, et plus au profit du Libraire, qu’à l’honneur de l’Autheur 74. (3) Entre tous les bons livres imprimez de la langue Françoyse, ne s’en veoit ung si incorrect ne si lourdement corrompu que celluy de Villon ; & m’esbahy (veu que c’est le meilleur poete Parisien qui se trouve) comment les imprimeurs de Paris & les enfans de la ville, n’en ont eu plus grand soin 75. Jacqueline Cerquiglini-Toulet n’hésite d’ailleurs pas à affirmer que l’édition des Œuvres de Villon marque, au moins pour la langue française, « la naissance de ce que l’on peut appeler la figure du philologue » 76. Cet amour du texte en tant que tel chez Marot fait bien évidemment résonner le souci qu’il exprime en (1) d’un accent bien différent de la simple satisfaction d’une demande nouvelle de la cour : faire connaître Ovide, fût-ce au prix d’une traduction, à un public qui n’est pas suffisamment à l’aise avec la langue de l’original, c’est, au fond, servir un objectif sensiblement comparable à celui d’une édition critique, à savoir la diffusion des textes et des idées au plus proche des exigences de l’honnêteté intellectuelle qui consiste à éloigner la glose – toujours suspecte des errances de la réception – pour laisser parler la vérité de la source. Bien sûr, cela présuppose que le traducteur trouve un moyen de rester fidèle à son modèle, mais on doit considérer une sorte d’unité d’inspiration réunissant la précision de l’édition des textes et la volonté d’offrir au public français une version soignée du chef d’œuvre d’Ovide. L’examen des outils dont peut disposer le traducteur Marot permet d’identifier chez le poète les nombreuses compétences dont il disposait à l’appui de son entreprise. Celles-ci ne correspondent pas trait pour trait aux compétences dont dispose un 74 75 76 Marot, TI, p. 17. La remarque ressort d’un topos du discours préfaciel, mais, dans le cas de Marot, nombreuses furent les déconvenues réelles avec les libraires et imprimeurs. Voir, par exemple : Guillaume Berthon, « Les débuts de Dolet comme libraire (Marot, 1538) », Etienne Dolet 1509-2009, éd. Michèle Clément, Genève, Droz, 2012, 325-341. Marot, TII, p. 775-776. Jacqueline Cerquiglini-Toulet, « La fortune du Roman de la Rose à l’époque de Clément Marot », Actes Cahors, p. 157. 104 « OVIDE VEUT PARLER » traducteur aujourd’hui, mais elles lui assurent un socle suffisant pour inscrire le Premier Livre dans son activité pour ainsi dire ordinaire. La caractérisation du geste de Marot nécessite cependant encore de se demander quelles sont les attentes auxquelles se confronte un poète quand il traduit. CHAPITRE III LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? La discussion de la valeur esthétique du Premier Livre doit prendre toute la mesure de l’absence à ce jour de description mécanique des processus cognitifs à l’œuvre dans la traduction. Il apparaît rapidement que les compétences auxquelles fait appel le traducteur recoupent celles dont font preuve d’autres acteurs du champ de l’écriture : exploration de solutions expressives, travail sur la langue, réflexion sur l’interprétation. Dès lors qu’elle n’est pas envisagée comme l’application d’un simple algorithme, la traduction tombe dans le champ de l’investigation littéraire. Une description méthodique de la technique appliquée par le traducteur s’avère nécessaire pour caractériser avec précision l’objet à évaluer : l’application hâtive de notions telles que le transfert ou l’équivalence conduit généralement à poser des jugements de parti pris sur la base de présupposés qui ne sont pas opérationnels pour l’analyse. Aborder la traduction comme un exercice littéraire ne permet cependant pas de poser directement la valeur esthétique du Premier Livre. Il existe un argument fort, exprimé pour la première fois dans le domaine français par Joachim Du Bellay, pour interroger les limites de l’exercice. L’argument a d’ailleurs tellement pesé sur l’évaluation de la traduction qu’il a durablement orienté le commentaire critique vers une forme particulière de traduction, celle dont relèvent les « belles infidèles ». L’évaluation du Premier Livre doit s’intéresser simultanément à la question de la technique de la traduction et à celle de sa nature poétique. Dans le domaine français, La Manière de Dolet et La Défense de Du Bellay, les deux ouvrages qui permettent d’aborder ces questions avec le plus de pertinence, paraissent 106 « OVIDE VEUT PARLER » presque coup sur coup après l’Ovide de Marot. Ils permettent de porter la réflexion au-delà du caveat horacien, à partir duquel Glyn P. Norton décrit l’idéologie des théoriciens français de la traduction à la Renaissance. Glyn P. Norton pense pouvoir éclairer le paradigme dans lequel il entend discuter les théories de la traduction dans la France de la Renaissance à partir de pratiques, déjà enseignées dans les écoles grecques aux IIe et IIIe siècles avant Jésus-Christ : (1) a literal, word-for-word paraphrase of the poem into everyday language ; (2) a free, rhetorical equivalent based on oratorical rather than spoken style 1. Rien ne permet d’affirmer que cette opposition puisse à elle seule rendre compte de l’ensemble du champ théorique de la traduction : la notion d’équivalence, sur laquelle Norton s’appuie pour caractériser la deuxième pratique, n’est pas sans poser son lot de questions épineuses. L’opposition entre les deux manières de traduire, et plus particulièrement le premier terme de l’opposition, se retrouve cependant dans l’un des textes qui a le plus influencé traducteurs et théoriciens, la très succinte formule qu’Horace consacre à la traduction dans son Art Poétique : Des matériaux qui sont le bien de tous deviendront ta propriété, si tu ne t’attardes pas dans un cercle banal, accessible à tous, si tu ne t’astreins pas dans ta traduction à un servile mot à mot, si tu ne te jettes pas dans une étroite imitation, d’où tu ne pourras sortir par défiance de tes forces ou par respect pour l’économie de l’ouvrage 2. La synthèse de Norton établit que, dans la première moitié du XVIe siècle, le refus du mot à mot, adossé à l’autorité d’Horace, constitue, quoique souvent nuancé en raison même de la difficulté d’interpréter la formule horacienne, le point théorique le plus souvent retenu : le critique donne à cette position le qualificatif d’horacianiste et l’oppose à la position littéraliste, dont les prémices n’apparaissent que vers 1530 et qui s’affirme véritable1 2 Glyn P. Norton, The Ideology and language of translation in Renaissance France, p. 34. Horace, Oeuvres, p. 262. LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? 107 ment à partir de 1540, position tenue par ceux qui revendiquent une proximité plus grande avec le texte source. La version de la première églogue de Virgile par Guillaume Michel de Tour, l’un des plus prolifiques traducteurs du premier tiers du XVIe siècle, cadre parfaitement avec la description que Norton donne de l’horacianisme : Virgile Guillaume Michel de Tour Tityre, tu patulae recubans sub tegmine O Tytirus doulx et armonieux, [fagi Soubz les rainceaulx d’umbre solatieux Toy reposant en camènes t’assis, Sylvestrem tenui musam meditaris avena En méditant de ton plectre rassis Sylvestres sons et jubileuses muses, Nos patriae fines, et dulcia linquimus arva, Nos patriam fugimus : Nous Mantuans tant hays des Camènes, Perdu avons champs et pastis amènes : Nos propres lieux délinqué nous avons. tu, Tityre, lentus in umbra, Toi, Tytirus, comme très-bien sçavons, Formosam resonare doces Amryllida Moult lentement soubz l’umbre doulx et [sylvas 3 [tendre Tes joyeux chantz faiz pasteurs entendre, Par vers si près du tymbre d’armonie Que les forestz y prennent symphonie, Tant doulcement que le boys qui résonne Ses fleurs respand, et en l’ouye sonne Les beaux responds d’Echo par nom [nommée Nymphe des dieux, ès forestz renommée, Qui très-bien scet, sans point se repentir, Tes chantz doubler, et faire retentir Le nompareil d’une muse lucide Pour los donner à ton Amaryllide 4. Verdun-Louis Saulnier utilise le terme de « paraphrase » 5 pour caractériser le travail de Guillaume Michel de Tour. Il s’agit de signifier la distance qui peut exister avec les conceptions ultérieures de la traduction : la version donnée pour le cinquième vers de Virgile (« Formosam resonare doces Amaryllida sylvas ») 3 4 5 Clément Armand Clément Clément Marot, L’Adolescence clémentine, éd. Verdun-Louis Saulnier, Paris, Colin, 1958, p. 215. Marot, L’Adolescence clémentine, p. 217-218. Marot, L’Adolescence clémentine, p. 214. 108 « OVIDE VEUT PARLER » ne compte pas moins de douze vers dans lesquels le traducteur fusionne le texte virgilien avec une notice mythologique qui explique que la nymphe Echo sait « doubler » les résonances du chant de Tityre. Le traducteur s’autorise en quelque sorte de la licence horacienne de façon à rétablir pour le lecteur moderne une série de connaissances implicites que le français a cessé de véhiculer. Un surplus de sens semble nécessaire dans la langue cible pour compenser ses limites vis-à-vis de la langue source 6. Le procédé prend une forme extrême et absurde dans la langue de l’écolier limousin que Rabelais décrit au chapitre VI du Pantagruel. La formule de Guillaume Michel heurte sans doute bon nombre de préjugés sur la traduction, mais elle participe bel et bien du souci de fidélité à l’original. A la même époque, Clément Marot ne prend pas la même liberté avec le texte Virgile : Virgile Marot Tityre, tu patulae recubans sub tegmine Toy Tityrus, gisant dessoubz l’Ormeau [fagi Large, et espez, d’ung petit Chalumeau Sylvestrem tenui musam meditaris avena Nos patriae fines, et dulcia linquimus arva, Nos patriam fugimus : Chantes Chansons rustiques en beaulx [Chants : Et nous laissons (maulgré nous) les doulx [champs, Et noz Pays. tu, Tityre, lentus in umbra, Toy oysif en l’umbrage Formosam resonare doces Amaryllida Faiz resonner les forestz, qui font rage De rechanter apres ta Chalemelle sylvas 7 La tienne Amye Amarillis la belle 8. Peut-on dire pour autant que Marot traduise véritablement mot à mot ? A bien y regarder, sa version comprend également un certain nombre d’ajouts : des adjectifs, « large », « espez », « rustiques », « beaulx » ou un rappel de l’instrument sur lequel 6 7 8 Le procédé va à l’encontre de la quatrième règle de Dolet qui exige de se contenter « du commun ». Il pourrait être une application à la traduction des conceptions qui conduisent les Grands Rhétoriqueurs à la pratique du calque. Clément Marot, L’Adolescence clémentine, p. 215. Marot, TI, p. 21. LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? 109 joue Tityre, « apres ta Chalemelle ». La référence à l’adage d’Horace ne permet pas de rendre compte de la différence perceptible entre la pratique de Guillaume Michel de Tour et celle de Marot : soit l’on considère que les deux auteurs sont à situer dans une perspective horacianiste, et il faut admettre de grandes différences de pratiques au sein de cette perspective ; soit l’on insiste sur la pertinence de l’opposition « horacianiste/littéraliste » pour différencier la production de Guillaume Michel de Tour et celle de Marot, et il faut admettre que le refus de la position littéraliste, qu’on pourrait définir comme le refus du refus du mot à mot, ne conduit pas au mot à mot. Dans les deux cas, la clarté conceptuelle requise par l’opposition « horacianiste/littéraliste » semble inadéquate, compte tenu de la complexité pratique de la traduction 9. Considérer le critère du mot à mot à partir de sa formulation par Cicéron permet de l’approcher de façon plus opérationnelle. Dans la préface qu’il donne à sa traduction des Discours de Démosthène et d’Eschine, le grand orateur expose une méthode dont l’influence est tout à fait comparable à celle de la recommandation d’Horace : Je ne les ai pas rendus en simple traducteur, mais en écrivain respectant leurs phrases, avec les figures de mots ou de pensées, usant toutefois de termes adaptés à nos habitudes latines. Je n’ai donc pas jugé nécessaire d’y rendre chaque mot par un mot ; pourtant, quant au génie de tous les mots et à leur valeur, je les ai conservés… J’ai cru, en effet, que ce qui importait au lecteur, c’était de lui en offrir non pas le même nombre, mais pour ainsi dire le même poids 10. Loin d’être une revendication esthétique, la distance vis-à-vis du mot à mot renvoie, sous la plume de Cicéron, beaucoup plus nettement au constat, bien connu de tous les théoriciens de la traduction, que la somme du sens ne recoupe pas la somme des mots. Le droit accordé au traducteur de s’affranchir de l’obligation de trouver un équivalent à chaque mot du texte source 9 10 Mais elle permet à Norton de marquer les extrêmes d’un continuum et d’orienter des théories particulièrement complexes selon un axe aisément identifiable. Cité dans Inês, Oseki-Dépré, « Théories et pratiques de la traduction littéraire en France », p. 8-9. 110 « OVIDE VEUT PARLER » implique le devoir de rendre le « génie » et la « valeur » de tous les mots. Les quelques phrases au travers desquelles Cicéron rend compte de sa pratique de la traduction posent en réalité les jalons de l’ensemble des théories à venir au sujet de la traduction. L’importance de ces dernières pour la discussion d’un texte particulier dépend avant tout de la qualité de la description qu’elle donne des problèmes pratiques qui se posent au traducteur. Il faut préciser par ailleurs que, pour Norton, l’enjeu n’est pas tant la valeur opérationnelle du caveat horacien pour l’analyse des textes de traduction que l’observation de la naissance d’une conscience, saisissable le plus souvent au travers du commentaire du précepte d’Horace, de la possibilité de la traduction comme véritable exercice littéraire, au-delà du simple exercice érudit ou scolaire. Au moment du Premier Livre, la question des formes que peut prendre la traduction en tant qu’exercice littéraire est encore loin d’être décidée en France : les réalisations et les théories italiennes alimentent un modèle qui attend encore son adaptation dans le domaine français. Sans doute tous les traducteurs du règne de François Ier partagent-ils l’ambition d’asseoir une tradition répondant à l’idéal envisagé par Leonardo Bruni, celui d’une version reproduisant « la totalité de la forme de l’original 11 », mais les formules qu’ils expérimentent, de l’Enéide de SaintGelais au Grand Olympe, en passant par les libertés prises par Seyssel ou Guillaume Michel de Tour, témoignent d’une absence de consensus sur les manières de procéder. Il se trouve cependant un lecteur qui a vu dans le Premier Livre une réalisation littéraire majeure. Il se trouve que ce lecteur est également l’auteur de ce que Norton appelle « the only formal program of translation theory in Renaissance France 12 », programme résumé en « cinq commandements » qui, selon George Steiner, « pourraient bien remonter aux grammairiens et rhétoriciens du début du XVIe siècle et même à Leonardo Bruni » 13. Ce lecteur et théoricien de la traduction, par ailleurs éditeur des œuvres de Marot, c’est Etienne Dolet, dont La Manière de bien 11 12 13 Antoine Berman, Jacques Amyot, traducteur français, p. 85. C’est Berman qui souligne. Glyn P. Norton, The Ideology and language of translation in Renaissance France, p. 103. George Steiner, Après Babel, p. 361. LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? 111 traduire d’une langue en l’autre constitue un ouvrage capital pour saisir la dimension littéraire des compétences requises chez le traducteur. UNE ANALYSE ENCORE PERTINENTE AUJOURD’HUI : DOLET Une singulière proximité chronologique réunit le texte théorique de Dolet et le Premier Livre. Dans le salut qu’il adresse en 1540 au peuple français en préambule à son ouvrage, Etienne Dolet indique qu’il travaille depuis six ans à une somme qu’il compte publier sous le titre L’Orateur français et qui comprend notamment La Manière : en suivant les indications de Dolet, on peut avancer que c’est en 1534 qu’il commence à dérober « quelques heures de son étude principale (qui est en la lecture de la langue Latine et Grecque)» 14, soit pendant l’année même de la publication du Premier Livre. Ce n’est cependant pas la convergence chronologique frappante entre les deux textes, mais la profondeur de l’analyse de Dolet qui appelle une lecture approfondie de La Manière : aucun autre texte d’un humaniste français ne permet de saisir aussi nettement la nécessité de compétences véritablement littéraires chez le traducteur. La théorie de Dolet, toujours jugée pertinente par la traductologie aujourd’hui, offre le meilleur point de départ qui soit à une réflexion sur les possibilités poétiques de la traduction, en ce qu’elle révèle les aspérités techniques pour lesquelles un travail d’écriture spécifique est requis. La caractéristique fondamentale du traité de Dolet consiste à organiser la réflexion autour de cinq règles fondamentales, qui s’appellent et se recoupent dans une construction dynamique, propre à ouvrir des perspectives toujours renouvelées sur la traduction. Si Dolet découpe clairement son ouvrage en distinguant les cinq règles qu’il entend énoncer, il n’attribue pas de dénomination spécifique aux différentes règles : le plus pratique est dès lors de synthétiser les différentes règles sur la base de courtes formules extraites des développements mêmes de Dolet : 14 Etienne Dolet, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 7. 112 « OVIDE VEUT PARLER » […] il est besoin, et nécessaire à tout traducteur d’entendre parfaitement le sens de l’auteur, qu’il tourne d’une langue en autre 15. La seconde chose, qui est requise en traduction, c’est, que le traducteur ait parfaite connaissance de la langue de l’auteur, qu’il traduit , et soit pareillement excellent en la langue, en laquelle il se met à traduire 16. Le tiers point est, qu’en traduisant, il ne se faut pas asservir jusques à là, que l’on rende mot pour mot 17. […] il te faut garder d’usurper mots trop approchants du Latin, et peu usités par le passé, mais contente toi du commun, sans innover aucunes dictions follement, et par curiosité répréhensible 18. l’observation des nombres oratoires 19. Première règle : Deuxième règle : Troisième règle : Quatrième règle : Cinquième règle : Il est utile d’examiner d’abord la distribution de l’argumentation au travers des différentes règles, avant de dégager de façon plus précise les enjeux liés à chacune d’entre elles. On remarque immédiatement que l’adage horacien (ou cicéronien) est repris par Dolet dans sa troisième règle. La question n’est donc pas placée en première position : elle n’apparaît qu’après que deux autres règles, touchant à la compréhension du texte source et à la maîtrise de la langue source, ont été posées. Il s’agit donc, en soi, d’une forme de limitation de la liberté offerte par l’Art poétique. L’énoncé même de la règle, « il ne se faut point asservir jusques à », met en question les limites de l’asservissement et non l’existence, sinon la nécessité, d’un asservissement qui relève de la question centrale de la fidélité. L’économie de l’articulation entre la première et la deuxième règle présente quant à elle une répartition très subtile des éléments relatifs au texte source et au texte cible. On pourrait imaginer que la première règle englobe la question de la langue source, unissant ainsi le mot et la chose à traduire, pour laisser à la seconde règle la seule question de la langue cible. En associant langue source et langue cible dans sa seconde règle, Dolet choisit une logique différente de l’opposition « source/cible », habituel15 16 17 18 19 Dolet, Dolet, Dolet, Dolet, Dolet, Etienne, Etienne, Etienne, Etienne, Etienne, La La La La La Maniere Maniere Maniere Maniere Maniere de de de de de bien bien bien bien bien traduire traduire traduire traduire traduire d’une d’une d’une d’une d’une langue langue langue langue langue en en en en en aultre, aultre, aultre, aultre, aultre, p. p. p. p. p. 12. 12. 13. 14. 15. LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? 113 lement dominante dans la théorie de la traduction. La logique retenue par Dolet donne à la question de la langue une sorte de place à part, détachée de la question du « sens » et de la « matière » de l’auteur. On retrouve ici une position qui semble prôner une espèce d’autonomie du style, ou, du moins, la conscience que certains des éléments à traduire ne dépendent pas uniquement du rapport « signifiant/signifié » posé par le texte source : Entends, que chacune langue a ses propriétés, translations en diction, locutions, subtilités et véhémences à elle particulières. Lesquelles si le traducteur ignore, il fait tort à l’auteur qu’il traduit, et aussi à la langue en laquelle il le tourne, car il ne représente, et n’exprime la dignité, et richesse de ces deux langues, desquelles il prend le maniement 20. La réunion des compétences requises en langue source avec celles de la langue cible constitue la question de la langue en une sorte de programme autonome par rapport à la fidélité au sens du texte source. Celle-ci se voit quant à elle traitée à part, dans la première règle. Si les trois premières règles se préoccupent avant tout d’une sorte d’ontologie de la traduction, les quatrième et cinquième règles proposent une ébauche de poétique pour la langue cible. La quatrième règle est, comme la troisième, toute d’équilibre et de subtilité. Dolet proscrit en effet le recours trop fréquent à des mots « usurpés » des langues anciennes, mais veille également à ne pas ériger en principe une règle contre laquelle plaide la supériorité du grec et du latin, « qui nous contraint souvent d’user de mots peu fréquentés » 21. Dolet précise dans la phrase qui suit qu’il ne faut le faire qu’ à « l’extrême nécessité ». Ce dernier mot est peut-être à prendre dans son acception la plus philosophique : la nécessité qui impose de renoncer aux noms communs du français, c’est l’éventuelle solution de continuité entre langue source et langue cible, solution évidemment insurmontable, puisque liée à la nature même des langues. Cela étant, la quatrième règle présuppose plutôt une continuité possible entre langue cible et 20 21 Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 12-13. Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 14. 114 « OVIDE VEUT PARLER » langue source, et, par conséquent, la possibilité pour le traducteur d’avoir recours à un français commun pour exprimer un latin commun. La cinquième règle semble moins universelle, puisqu’elle fait appel à la notion de « nombre oratoire » dont Dolet se veut à tout le moins le défenseur singulier et pour laquelle il renvoie le lecteur à son Orateur français. Bien que Dolet n’ait jamais donné cet ouvrage, il est possible d’avancer que la notion vise l’application de la notion de période à la langue française. Olivier Millet a montré, dans son long commentaire de La Défense 22, comment Du Bellay a tenté d’adapter les notions de nombre et de période à la poésie française : si la démonstration de Millet est trop étroitement liée au manifeste de la Pléiade pour illustrer la formule de façon opérationnelle dans le cas de Dolet, elle permet tout de même d’établir qu’étant donné l’absence de structure accentuelle dans la prosodie française, une description détaillée est requise si l’on entend approcher la notion autrement que comme une revendication vague et idéale. En l’absence d’une telle description chez Dolet, il faut se contenter d’imaginer ce que l’humaniste peut souhaiter lorsqu’il écrit : […] sans l’observation des nombres, on ne peut être émerveillable en quelque composition que ce soit ; et sans yceulx les sentences ne peuvent être graves, et avoir leur poids requis et légitime. Car penses-tu que, ce soit assez d’avoir la diction propre et élégante, sans une bonne copulation des mots ? Je t’avise, que c’est autant que d’un morceau de diverses pierres précieuses mal ordonnées : lesquelles ne peuvent avoir leur lustre, à cause d’une collocation impertinente. Ou c’est autant, que de divers instruments musicaux mal conduits par les joueurs ignorants de l’art et peu connaissants les tons, et mesures de la musique 23. Dans le domaine restreint de la traduction, l’exigence de l’observation des nombres oratoires peut être interprétée comme l’exigence que la version en langue cible ne se limite pas au simple assemblage de propos fidèles, mais constitue une réussite 22 23 Olivier Millet, « Commentaire », Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 111-326. Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 15. LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? 115 formelle. Cette exigence n’a sans doute rien d’innocent dans la mesure où elle fait rechercher dans le texte cible des qualités semblables à celles qui ont illustré le texte source. Traduire une réussite littéraire doit aboutir à une autre réussite littéraire. L’analyse de la structure de La Manière révèle une construction à la fois modérée, subtile et audacieuse, capable d’articuler les concepts contradictoires sans occasionner d’impasse et de ménager au traducteur en vernaculaire un espace et des exigences propres. Le passage en revue du détail de chaque règle permet de saisir à quel point la pensée de Dolet a conservé toute sa pertinence et quelles compétences spécifiques elle exige du traducteur. La première règle pourrait être appelée « règle de l’exacte interprétation » 24. Comme les autres règles de Dolet, elle a, selon l’expression de Georges Steiner, « le mérite de l’évidence » 25. On attend bien évidemment du traducteur qu’il ait compris le texte qu’il traduit. Le commentaire ajouté par Dolet pour illustrer son propos expose un passage des Tusculanes de Cicéron dans lequel semble jouer de façon très subtile la distinction entre animus et anima. Dolet récuse la difficulté en expliquant : « quant à la différence (dis-je) de ces dictions animus, & anima, il ne s’y faut point arrêter, car les façons de parler Latines, qui sont déduites de ces deux mots, nous donnent à entendre qu’ils signifient presque même chose ». La théorie moderne de la traduction continue à se heurter à la grande exigence de cette première règle, particulièrement sensible à la nature du texte à traduire : la difficulté de l’exacte interprétation varie considérablement selon que le texte à traduire est un mode d’emploi, un texte biblique ou un poème symboliste 26. Georges Steiner ouvre le premier chapitre d’Après Babel avec une description aussi précise que possible du monologue de Posthumus dans l’Acte II de Cymbeline, avant de conclure : 24 25 26 Elle renvoie bien évidemment au titre du traité de Leonardo Bruni, De interpretatione recta : il serait faux cependant d’identifier la totalité de la théorie de Bruni à la première règle de Dolet. Le traité de l’humaniste italien traite d’autres questions, pour lesquelles la dette de La Manière est aussi manifeste, telles que la question du mot à mot. George Steiner, Après Babel, p. 361. Faut-il préciser qu’en ce qui concerne le Premier Livre, c’est bien évidemment la question du texte littéraire qui se pose prioritairement, et que cette question est, quant à elle, très sensible à cette première règle de Dolet ? 116 « OVIDE VEUT PARLER » Et puis, où s’arrêter ? Aucun texte, qu’il soit antérieur à Shakespeare ou lui soit contemporain, ne peut être rejeté a priori comme totalement étranger. La culture élisabéthaine, la culture européenne ne comportent aucun aspect qui échappe manifestement au contexte global d’un passage de Shakespeare. La dissection de la structure sémantique ne tarde guère à soulever le problème des séries infinies 27. Face à l’infini des séries évoquées par George Steiner, la responsabilité du traducteur consiste à s’assurer qu’il saisit une part suffisante pour rendre l’importance du texte source. La deuxième règle pourrait être appelée « règle de l’excellence philologique ». L’originalité du découpage de Dolet qui sépare matière source et langue source pour lier langue source et langue cible a été soulignée. Il reste à prendre la mesure de la portée de cette règle au regard des problèmes techniques auxquels se heurte le traducteur. On peut passer rapidement sur la question de la double compétence du traducteur aussi bien en langue source qu’en langue cible pour aborder la question plus cruciale de la possibilité de tenir compte, ainsi que l’exige Dolet, du fait que « chacune langue a ses propriétés, translations en dictions, locutions, subtilités, et véhémences à elle particulières ». Que de questions concrètes cache cette exigence ! Elle demande d’abord au traducteur d’être capable d’évaluer avec précision le style du texte source dans le contexte de la langue source : comme, en principe, la langue maternelle du traducteur est la langue cible, on se prend à rêver sur les compétences linguistiques, ou, à défaut, les connaissances philologiques dont devrait être pourvu le traducteur. A supposer que le style du texte source puisse être évalué avec une précision satisfaisante, la question qui s’ouvre est celle de la démarche à adopter en ce qui concerne le style du texte cible 28. Faut-il privilégier l’actualisation en adoptant une langue contemporaine du public pour lequel la traduction est réalisée ? Faut-il privilégier l’histoire littéraire en utilisant les formes traditionnellement reconnues comme 27 28 George Steiner, Après Babel, p. 38. Cette question occupe, par exemple, la plus grande partie du relativement court chapitre que Gérard Genette consacre à la traduction dans Palimpsestes. Voir Gérard Genette, Palimpsestes, Paris, Seuil 1982, p. 293-299. LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? 117 équivalentes pour deux langues ? Faut-il faire preuve de créativité et tenter d’établir dans la langue cible des constructions imitant les caractéristiques stylistiques du texte source ? Imaginons qu’un traducteur soit chargé de traduire Macbeth en français : choisira-t-il, pour rendre le vers blanc shakespearien, un système de vers libre, l’alexandrin qui est le vers habituel de la tragédie en français, ou tentera-t-il d’élaborer une approche accentuelle dans le genre de celle qu’a explorée Jean Tardieu pour ses traductions de Hölderlin ? La réponse à cette question tient à nombre d’autres choix opérés par le traducteur. Il n’existe pas de réponse normative à ces questions en ce sens qu’aucune solution ne pourra prétendre être celle de la traduction exacte. Choisir un dispositif linguistiquement très proche du style de Shakespeare n’implique pas que le public français d’aujourd’hui puisse y trouver ce qu’y trouvaient les Anglais du XVIIe siècle. A l’inverse, peindre pour les Français, « non la chose, mais l’effet qu’elle produit » impliquerait la maîtrise scientifique des effets d’un texte. On prend à nouveau la mesure de ce que veut dire l’impossibilité théorique de la traduction : sous l’angle du style, la traduction définitive ne semble en effet guère plus définissable que sous l’angle de l’interprétation, même si, comme pour l’interprétation, la question se pose très différemment en fonction du genre du texte à traduire. Il apparaît par contre nettement qu’en l’absence de réponse normative, les compétences propres du traducteur s’avèrent décisives : en matière de langue cible, elles s’avèrent remarquablement proches de celles de l’écrivain. La troisième pourrait s’appeler « règle de la non concordance lexicale ». A la suite d’Horace et Cicéron, on la retrouve chez Dolet, comme chez tous les théoriciens du XVIe siècle. Norton, on l’a vu, a réalisé son analyse de l’idéologie de la traduction en utilisant la notion horacienne du mot à mot comme critère discriminant. Dolet retient surtout la dimension esthétique de la question en souhaitant affranchir le traducteur de l’ordre des mots du texte source, tout comme de celui des vers ou des phrases. Pour comprendre ce qui est en jeu au niveau théorique, il convient toutefois de se rendre compte que le refus de la traduction mot à mot est lié à un fait bien connu de la traductologie d’aujourd’hui, à savoir la non concordance des lexiques. 118 « OVIDE VEUT PARLER » Dans son ouvrage sur les problèmes théoriques de la traduction, Georges Mounin consacre à la question un chapitre complet qu’il intitule « Lexique et traduction » 29. Les notions utilisées dans la discussion sont complexes et font largement intervenir des problématiques classiques de la philosophie du langage, telles que la question des universaux ou celle des unités sémantiques minimales. Comme l’objectif n’est pas d’exposer dans les détails la question de la non concordance lexicale qui, par ailleurs, gagnerait à être revue à la lumière des théories sémantiques plus récentes que la thèse à ce titre véritablement ancienne, de Mounin, il suffit de citer ici un passage 30 qui résume de façon très évocatrice la question posée : Si l’on pouvait démontrer que la totalité du lexique, dans toutes les langues – et quel que soit le niveau de la civilisation, de la culture, enregistré par chacune de ces langues – est structurée selon de tels champs sémantiques, on aboutirait à dire que chaque lexique est constitué par des mosaïques de termes, dont presque jamais les surfaces, ni les subdivisions (intérieures à ces surfaces) ne coïncident entre elles. On démontrerait que la coïncidence traductionnelle exacte de deux éléments d’un même champ sémantique, dans deux langues différentes, est presque toujours impossible. Mounin illustre son propos à l’aide d’un schéma qui met en relation les six mots qui désignent la neigne en langue eskimo avec le trois qui la désigne en langue aztèque. La non correspondance de la langue eskimo et de la langue aztèque permet de comprendre facilement pourquoi il n’est pas possible de simplement procéder à une transposition mot à mot pour obtenir la traduction d’un texte donné de l’eskimo en aztèque, par exemple. On aura remarqué toutefois que, dans l’extrait cité, Mounin utilise le conditionnel : il argumente en effet à partir de la notion de champ lexical qu’il a exposée, mais qu’il décrira ensuite comme controversée. Il cherchera ensuite d’autres pistes pour expliquer la structuration profonde du lexique, et, partant, rendre compte des difficultés posées à la traduction. Il faut souligner que cette 29 30 Georges Mounin, Les Problèmes théoriques de la traduction, p. 61-187. Georges Mounin, Les Problèmes théoriques de la traduction, p. 78. LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? 119 interrogation sur la non concordance lexicale, fréquemment évoquée dans les théories de la traduction, y compris chez George Steiner 31, et qui présuppose une sémantique aussi aboutie que possible, fait généralement appel aux théories des plus grands philosophes du langage et linguistes : Humboldt, Whorf, Saussure, Jakobson, Chomsky, pour ne citer qu’eux. Il est vrai que la question concourt à poser l’impossibilité de la traduction : étant donné la non concordance lexicale, le choix des mots du texte cible sera, comme d’autres paramètres, un choix du traducteur pour lequel aucune restriction normative absolue ne pourra se prévaloir d’une quelconque théorie lexicale exhaustive. En d’autres termes, une traduction, au sens du résultat obtenu, pourra être considérée comme satisfaisante, au sens de la mise en concordance acceptable de deux lexiques, mais ne pourra pas interdire d’autres mises en concordance. A nouveau, la règle est sensible au genre de traduction considérée, tant il est vrai que dans les domaines techniques, il existe un certain nombre de concordances standards établies au niveau international (norme ISO de la traduction). En l’absence de telles concordances, la conception de Dolet est précisément celle d’une traduction non mécanique lorsqu’il indique qu’il ne faut pas traduire ligne à ligne ou vers à vers. Et s’il insiste sur la nécessaire liberté du traducteur, il indique aussi que « sans avoir égard à l’ordre des mots, il s’arrêtera aux sentences, et fera en sorte, que l’intention de l’auteur sera exprimée, gardant curieusement la propriété de l’une et l’autre langue » 32. Sans remettre en cause l’adage d’Horace, qui constitue, on l’a dit, la pierre de touche de toute théorie de la traduction au XVIe siècle, Dolet est attentif à le rendre plus opérationnel, à l’articuler avec la pratique, pour lui éviter d’être une simple porte ouverte à tous les débordements. La quatrième règle pourrait s’appeler « règle du défi des intraduisibles ». Dolet vient à décrire cette règle principalement en raison du sentiment d’infériorité partagé par l’ensemble des lettrés de son temps face à la supériorité déclarée des langues 31 32 George Steiner, « Langage et gnose », Après Babel, Paris, Gallimard, 1998, p. 91-165. Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 13. 120 « OVIDE VEUT PARLER » anciennes : « car on sait bien que la langue grecque ou latine est trop plus riche en dictions que la française. » 33 Dolet condamne la facilité qui consiste à forger des néologismes ou à recourir à des calques (ce qui parfois revient au même) chaque fois que la non concordance lexicale entraîne une apparente impossibilité de traduction. Cette quatrième règle est donc intimement liée à la troisième, bien qu’elle n’entraîne pas la théorie sur les mêmes chemins. On s’accordera sans doute facilement, au niveau normatif, sur l’idée que les néologismes ou les emprunts doivent être strictement limités dans l’exercice de la traduction. Pour autant, il ne faut pas sous-estimer le défi que toute traduction représente pour la langue cible. Justement en raison de la non concordance lexicale, il n’est pas possible de poser qu’en principe une langue puisse accueillir tout texte source. A la Renaissance, c’était aux langues vernaculaires (« non réduites en art certain » 34, selon le terme de Dolet) de faire la preuve de leur aptitude à devenir des langues de culture. Aujourd’hui, ce sont sans doute moins les limitations entre les langues que les limitations entre les genres qui posent question : on se rappellera bien sûr le topos de la poésie intraduisible, mais on pourrait ajouter le slogan publicitaire, les proverbes, les jeux de mots, etc. Au plan purement théorique, la désignation d’intraduisibles comme tels laisse entendre que le reste du corpus est, quant à lui, tout à fait traduisible : il en ressort une conception de la traduction à deux vitesses, acceptable pour l’ordinaire, vouée à l’échec pour les niveaux supérieurs. Sur quelle théorie linguistique pourrait-on baser une telle distinction ? Est-il possible de tracer, à l’intérieur d’une langue, un périmètre poétique différant essentiellement du reste du système, ne serait-ce que sur un critère précis ? Cette quatrième règle fait clairement entrer dans le jeu la question des attentes du lecteur ou du critique qui juge la traduction. Elle laisse pressentir que sera considéré comme traduction valable, au niveau ordinaire comme au niveau supérieur, toute traduction jugée satisfaisante par un lecteur donné à un moment donné. Corollairement, le traducteur doit être envisagé comme l’instigateur et non le calculateur du lien nécessaire désormais établi entre texte source et texte cible. 33 34 Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 14. Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 14. LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? 121 La cinquième règle pourrait s’appeler « règle de l’exigence stylistique ». L’idée sous-jacente est celle de l’inculturation linguistique complète du texte cible dans la langue cible. L’exigence de style faite à la traduction est la même que pour l’ensemble de la littérature. Le texte cible ne devrait en principe rien dévoiler de son origine allogène : contrairement aux quatre premières règles, la cinquième trahit un préjugé esthétique relativement net, en faveur d’une langue douce, harmonieuse, musicale, bien ordonnée. Certain théoriciens de la traduction à partir du XXe siècle ne se retrouveraient peut-être pas dans l’exigence de Dolet : Antoine Berman déplore la tendance générale à nier l’étranger dans la traduction par une stratégie de naturalisation, alors qu’il s’agirait plutôt de recevoir l’étranger comme étranger 35. On pourrait tout à fait inscrire dans ce débat la distance qui peut séparer les traduction de Guillaume Michel de Tour de celles de Clément Marot (voir ci-dessus) : le français enrichi de Guillaume Michel tendant à garder au texte son étrangeté, alors que la langue plus limpide de Marot vise à donner un Virgile en quelque sorte francisé. Un rapide examen des cinq règles de Dolet permet de passer en revue la plus grande partie des thèmes développés aujourd’hui encore dans le domaine de la traductologie. La caractéristique la plus intéressante du traité de Dolet réside cependant dans l’énonciation presque brutale de cinq règles, nettement détachées les unes des autres, proposant une approche analytique de la traduction, sans la moindre esquisse de synthèse. A aucun moment, Dolet ne se préoccupe de tisser des liens entre les règles qu’il énonce, ni même d’exposer les raisons de l’ordre qu’il a choisi. On pressent que chaque règle se rapporte à un moment plus spécifique du processus de traduction, sans qu’il soit possible pour autant de juger que l’ordre des cinq règles soit censé refléter l’ordre idéal du processus de traduction : si l’on peut imaginer détacher la première règle des quatre autres, il est clair que ces dernières renvoient à des processus qui peuvent être parfaitement parallèles pendant le processus de traduction luimême. Parce qu’elle ne constitue pas un simple mode d’emploi, La Manière renvoie en permanence la responsabilité créative du traducteur : si ce dernier doit faire appel à des compétences qui 35 Jeremy Munday, Introducing translation studies, p. 149. 122 « OVIDE VEUT PARLER » rappellent celles du poète ou de l’écrivain, la question est ouverte de l’ambition qu’il peut avoir pour sa version. C’est ici qu’il faut aborder la théorie de la traduction exposée dans La Défense. L’APORIE FONDAMENTALE : DU BELLAY La théorie de Dolet s’articule autour d’une complexité aux antipodes du système raisonné développé par Du Bellay dans la Défense et Illustration de la Langue Française. Le sens du manifeste de La Pléiade se construit autour d’un axe déclaré, établir les conditions de la réussite de la langue française dans le domaine poétique, selon un point de vue bien particulier que rappelle Olivier Millet : La création d’une grande littérature nationale passera par l’imitation des seuls auteurs étrangers. Cet énoncé positif est redit négativement par la règle d’un ni… ni… : ni traduction des étrangers, ni imitation des nationaux. Si l’on veut un Virgile français, il ne faut ni traduire l’Enéide en décasyllabe, ni prendre ses modèles chez Marot 36. Le niveau auquel Du Bellay entend hisser la poésie française n’est pas sans conséquence sur la conception de la traduction qu’il défend : il faudra s’en souvenir au moment d’examiner avec précision les arguments exigeant des poètes qu’ils renoncent au « labeur de traduyre » 37. Le « Livre Premier » de la Défense établit une opposition binaire entre la pratique de la traduction, honorable, mais insuffisante, et celle de l’imitation, véritablement porteuse d’avenir pour le domaine français. Les éléments historiques examinés par Du Bellay (origine des langues, signification du terme « barbare », histoire littéraire d’Athènes ou de Rome) reçoivent tous un éclairage orienté vers la confirmation du chemin sur lequel La Défense entend engager la langue française. L’argumentation avec laquelle Du Bellay interroge la valeur de la traduction ne relève 36 37 Olivier Millet, « Commentaire », Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 111. Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 30. LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? 123 cependant pas du simple exercice partisan et pose des jalons qui ont influencé la critique bien au-delà du manifeste de la Pléiade. Il faut souligner la dimension résolument théorique que Du Bellay entend donner à son propos : « ce [l’insuffisance de la traduction pour l’illustration de la langue française] que je pretens prouver si clairement, que nul n’y voudra (ce croy-je) contredire, s’il n’est manifeste calumniateur de la vérité. » 38 Si l’auteur de la Défense et Illustration peut avancer avec une telle confiance, c’est qu’il s’appuie sur une connaissance approfondie des sources antiques, en particulier de l’Orateur de Cicéron. Il expose sa vision de la traduction sur la base d’un cadre analytique bien connu au milieu du XVIe siècle, les parties de la rhétorique, qu’il cite dans un ordre non traditionnel : invention, élocution, disposition, mémoire et prononciation. Du Bellay laisse de côté les trois dernières dans lesquelles il ne voit aucune possibilité de tirer avantage de « reigles et preceptes ». Il admet le bénéfice de la traduction en matière d’invention, point sur lequel « les fideles Traducteurs peuvent grandement servir et soulager ceux qui n’ont le moyen Unique de vaquer aux langues etrangeres.» 39 Mais l’élocution pose la question décisive : Mais quand à l’Eloquution, partie certes la plus difficile, & sans la quelle toutes autres choses restent comme Inutiles, & semblables à un Glaive encores couvert de sa Gayne : Eloquution (dy-je ) par laquelle Principalement un Orateur est jugé plus excellent, & un Genre de dire meilleur, que l’autre : comme celle, dont est appellée la mesme Eloquence : & dont la vertu dist aux mots propres, et dont la vertu gist aux mots propres, usités, et non aliénes du commun usaige de parler ; aux Methaphores, Alegories, Comparaisons, Similitudes, Energies, & tant d’autres figures, & ornemens, sans les quelz toute oraison, & Poëme sont nudz, manques, & debiles 40. Pour Du Bellay, c’est la nature même de l’élocution qui l’enferme à l’intérieur d’une langue 41. C’est pourquoi, on ne peut 38 39 40 41 Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 26. Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 27. Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 27. Cette interprétation est propre à Du Bellay : au point de vue de la théorie rhétorique standard, l’élocution est simplement ce qui rend le texte efficace. Olivier Milet a démêlé toutes les dimensions de la notion d’élocution dans le commentaire qu’il donne à son édition de La Défense et Illustration de la 124 « OVIDE VEUT PARLER » attendre de la lecture d’un Démosthène ou d’un Homère latin, pas plus que d’un Cicéron ou d’un Virgile français, les « affections » procurées par les originaux classiques. Du Bellay entend donner à son propos une base théorique si générale qu’il précise que la perte engendrée par la traduction n’est pas simplement liée au passage des langues anciennes aux langues vernaculaires. Il propose pour cela une expérience mentale consistant à imaginer Homère ou Virgile traducteurs insuffisants de Pétrarque. Du Bellay tient particulièrement à éloigner les poètes de la traduction, en raison de la nature spécifique de la poésie, plus sensible que la prose à la difficulté de rendre le « genius » propre à chaque langue : [les] Poëtes, genre d’aucteurs certes, auquel si je sçavoy’, ou vouloy’ traduyre, je m’addresseroy’ aussi peu, à cause de ceste Divinité d’Invention 42, qu’ilz sont plus que les autres, de ceste grandeur de style, magnificience de motz, gravité de sentences, audace, & variété de figures, & mil’ autres lumieres de Poësie : brief ceste Energie, & ne sçay quel Esprit, qui en leurs Ecriz, que les Latins appelleroient Genius 43. L’argument recoupe en grande partie l’idée du défi des intraduisibles entrevu à partir de la quatrième règle d’Etienne Dolet. Dans le système exposé par Du Bellay, qui vise le plus haut niveau de la poésie, la difficulté amène à reléguer la traduction au rang des pratiques subalternes : Celuy donques qui voudra faire œuvre digne de prix en son vulgaire, laisse ce labeur de traduyre, principalement les Poëtes, à ceux, qui de chose labourieuse, & peu profitable, j’ose dire encor’ inutile, voyre pernicieuse à l’Accroissement de leur Langue, emportent à bon droit plus de molestie, que de gloire 44. L’histoire littéraire n’étant jamais à court d’ironie, Du Bellay lui-même se verra traducteur 45 de Virgile quelques années seule- 42 43 44 45 langue française. Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 91-370. Le terme n’a pas à prendre ici au sens de l’inventio de la rhétorique. Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 29. Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 30. René Godenne, « Etienne Jodelle, traducteur de Virgile », BHR, Tome XXXI, 1, 1969, p. 195-205. LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? 125 ment après la parution de La Défense 46. Il défendra alors son entreprise en se montrant beaucoup plus pragmatique quant aux exigences posées au traducteur, comme si la pratique de la traduction l’avait conduit à découvrir une valeur de l’exercice que son système avait logiquement exclue : Il me semble, vu la contrainte de la rime, et la différence de la proprieté et structure d’une langue à l’autre, que le translateur n’a point mal fait son devoir, qui sans corrompre le sens de son auteur, ce qu’il n’a pu rendre d’assez bonne grâce en un endroit s’efforce de le recompenser en l’autre 47. Au lecteur surpris de voir l’auteur de la Défense sembler à ce point se rallier à la cause de la traduction, Du Bellay offre une excuse confirmant qu’il exerce la traduction dans une perspective fort éloignée de l’ambition théorique affichée dans son manifeste : Je n’ai pas oublié ce qu’autrefois j’ai dit des translations poétiques, mais je ne suis si jalousement amoureux de mes premiers apprehensions que j’aie honte de les changer quelquefois à l’exemple de tant d’excellents auteurs, dont l’autorité nous doit ôter ceste opiniâtre opinion de vouloir toujours persister en ses avis, principalement en matière de lettres. Quant à moi, je ne suis pas stoïque jusque là 48. La rétractation au fond toute personnelle de Du Bellay ne suffit pas à épuiser l’aporie posée dans la Défense. Elle suggère de facto une place possible pour la traduction en dehors de la perspective exigeante d’un manifeste orienté vers un mot d’ordre qui se résume à « être Virgile ou rien » 49, mais elle n’enlève rien à l’aporie de l’unicité de l’elocutio originale dont l’écho résonne bien au-delà de 1549. Georges Mounin le souligne avec force : 46 47 48 49 Joachim Du Bellay, Le quatriesme livre de l’Enéide / traduict en vers françoys. La complaincte de Didon à Enée, prinse d’Ovide, autres œuvres de l’invention du traducteur / par J. D. B. A., Paris, 1552. Un volume est disponible sur Gallica : il porte l’identifiant ark :/12148/bpt6k714792. Joachim Du Bellay, Le quatriesme livre de l’Enéide, p. 7-8. Joachim Du Bellay, Le quatriesme livre de l’Enéide, p. 8-9. Olivier Millet, « Commentaire », Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 111. 126 « OVIDE VEUT PARLER » Si l’on veut donc étudier les problèmes de la traduction, si l’on veut même écrire une défense et illustration de la traduction, c’est avec celui-ci [Du Bellay] qu’il faut discuter, c’est toujours lui qu’il faut réfuter 50. A bien y réfléchir, toutes les réserves que peut susciter l’idée d’un poème issu de la traduction d’un poème s’appuient sur le même schéma : rôle essentiel de l’élocution source et impossibilité de l’équivalence à ce niveau. RÉFUTER DU BELLAY Stephen Greenblatt, qui se souvient avoir originellement approché la puissance poétique du De Rerum Natura au travers d’une traduction, pose sur l’exercice un jugement tout en nuances, sans remettre totalement en cause la distance entre traduction et poésie : I am committed by trade to urging people to attend carefully to the verbal surfaces of what they read. Much of the pleasure and interest of poetry depends on such attention. But it is nonetheless possible to have a powerful experience of a work of art even in a modest translation, let alone a brilliant one. That is, after all, how most of the literate world has encountered Genesis or the Iliad or Hamlet, and, though it is certainly preferable to read these works in their original languages, it is misguided to insist that there is no real access to them otherwise 51. Greenblatt accorde à la traduction une position éminente : celle-ci permet, même dans une forme modeste, l’expérience puissante (« powerful experience ») d’une grande œuvre au travers d’un accès réel (« real access »). L’argument qu’appelle Greenblatt à l’appui de son jugement se veut pragmatique : c’est au travers de la traduction que le monde des lettrés (« literate world ») est entré en contact avec des textes tels que la Genèse, l’Iliade ou Hamlet. Plus que toute démonstration théorique, ce 50 51 Georges Mounin, Les Belles Infidèles, Paris, Cahiers du Sud, 1955, p. 29. Stephen Greenblatt, The Swerve. How the World Became modern, p. 2. LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? 127 rappel impose le rôle cardinal de la traduction : les savants peuvent avancer toutes les raisons du monde de ne se référer qu’aux versions originales pour leurs analyses, aucun ne peut prétendre se passer totalement de la traduction pour construire le cadre de références avec lequel il conduit sa réflexion. Si la nécessité pratique de la traduction, tout comme l’hypothèse de sa valeur, sont fortement établies par Greenblatt, une séparation claire demeure avec l’original. Il demeure préférable (« preferable ») de se référer à la langue originale pour prendre la mesure de la surface verbale (« verbal surface ») nécessaire pour saisir l’intérêt et le plaisir de la poésie. Avancer l’hypothèse qu’une traduction puisse se substituer totalement à l’original renverrait évidemment à l’impasse raillée par Borges dans « Pierre Ménard, auteur du Quichotte ». Il existe cependant une autre piste à examiner : en tant que réécriture, la traduction peut-elle offrir l’occasion d’un exercice littéraire dont l’intérêt pourrait être saisi en dehors de la seule mesure de la fidélité à l’orginal ? La traduction brillante (« brilliant one ») qu’évoque furtivement Stephen Greenblatt conduit-elle à penser un texte qui, tout en rendant à l’original la justice qu’exige la traduction, peut être également considéré comme une réalisation littéraire (ou poétique) en tant que telle dans la langue cible ? Dans le cas du Premier Livre, la question s’impose d’autant plus qu’il s’agit de la version donnée en vers par un poète de tout premier ordre. Certains atavismes critiques tendent cependant à enfermer trop rapidement la réflexion dans des jugements de valeur, au lieu de favoriser la recherche d’une méthode susceptible d’isoler l’objet à étudier. Dans la droite ligne de l’aporie formulée par Du Bellay, le premier préjugé qui bloque la réflexion littéraire repose sur l’idée de l’indiscutable supériorité de l’original. La valeur d’un poème est déterminée par la relation unique qu’il établit entre les mots qui le composent, relation propre à la langue du poème, et, par conséquent, relation impossible à reproduire dans une autre version. Une fois rédigé dans une langue donnée, le poème ne peut être déplacé dans une autre langue. La question de la valeur du texte traduit a parfois été théorisée suivant un schéma inverse : le caractère éventuellement « imparfait » de l’original est évoqué et l’hypothèse de la supériorité de 128 « OVIDE VEUT PARLER » la traduction, avancée. George Steiner repère le schéma chez un théoricien allemand, Friedrich Gundolf et le résume ainsi : Grâce au génie de A.W. Schlegel pour l’Entsagung (le renoncement de soi au sein de la domination de l’original), écrit Gundolf, l’allemand a véritablement incarné l’anima de Shakespeare (Seelenstoff), sa substance spirituelle : […] « Shakespeare » était, on ne sait pourquoi, resté caché dans la coque de l’anglais. La téléologie de sa signification totale, du « sens du sens », la saisie de son épaisseur historique et spirituelle absolue était l’affaire de l’allemand 52. La traduction allemande de Shakespeare parvient en quelque sorte à réparer une forme d’imperfection de l’original, liée non pas directement à l’auteur, mais à l’état de la langue dans laquelle il s’exprime. Steiner souligne toute la distance qu’il faut prendre avec l’idée de Gundolf (« conception absurde à un certain niveau »), mais il soumet le problème en tant qu’aporie philosophique de grand intérêt, qui, au rebours de l’approche décrivant l’infériorité de la traduction, permet de découpler plus nettement la question de la valeur de la traduction de celle de la valeur de l’original. Il devient possible d’avancer que ce n’est pas le processus de traduction lui-même qui induit l’échec programmé de la version en langue cible, mais simplement l’intangibilité supposée du texte original. L’argument de la supériorité du texte source, tel qu’il est habituellement compris dans le cadre de la traduction de la poésie, ne devrait pas interdire d’orienter la réflexion vers une meilleure compréhension du travail du traducteur, afin de déterminer s’il existe ou non dans le processus même un élément qui empêche de réaliser ce pour quoi sont louées d’autres formes de réécriture, à l’exemple de l’imitation si fortement revendiquée par La Pléiade. Beaucoup plus fréquemment encore que la réflexion sur l’insuffisance du texte cible, la réputation littéraire du traducteur tend à substituer hâtivement le jugement de valeur à la réflexion critique. Gérard Defaux lui-même pose, pour ainsi dire sans démonstration, la réussite de l’Histoire de Leander et Hero, traduction d’une version latine d’un poème grec de Musée : 52 George Steiner, Après Babel, p. 516. LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? 129 La version de Marot me semble un exceptionnel chef-d’œuvre. Elle constitue pour moi l’une des plus belles réussites de notre poète. Les traductions d’Ovide pâlissent en comparaison 53. Non seulement, la valeur de la traduction est soulignée, mais celle-ci est portée au plus au niveau : ce n’est pas peu dire, si l’on songe que Marot est aussi le traducteur des psaumes. Quant à la traduction d’Ovide, censée pâlir face à l’Histoire de Leander et Hero, il faut se souvenir qu’ailleurs sous la plume de Defaux, Le Premier Livre participe, au prix d’une courte démonstration qui n’est pas elle-même sans poser problème, des publications qui font de Marot l’égal de Victor Hugo. Paradoxalement, c’est le talent poétique même que l’on reconnaît à Marot qui conduit à ne pas s’intéresser véritablement à la version qu’il propose. La traduction d’un poème majeur par un poète de tout premier rang ouvre cependant pour la réflexion littéraire un champ d’investigation particulièrement riche qu’il convient de ne pas refermer trop vite sur la seule réputation du traducteur. L’intransigeance avec laquelle Barthélemy Aneau aborde le travail de Marot manifeste la nécessité de penser à neuf l’œuvre du poète qui traduit : Car à la verité comme ce bon Poëte François feu Clement Marot de sa propre et naturelle invention, vene, et elocution Françoise escrivoit tresheureusement, et tres- facilement : ainsi autant en estrange translation, de langue à luy non assez entendue traduisoit il durement, et mesmes les Poëtes Latins qui sont assez scabreux, artificielz, et figurez de schemes qui à pene se peuvent rendre en François 54. Le commentaire de l’humaniste est construit sur un double cliché (ignorance de Marot en matière de latin 55 et supériorité supposée de l’original) qui réduit la question de la traduction à celle des compétences philologiques du traducteur. La formule oppose de façon si nette le talent du poète et le travail du traducteur qu’il semble impossible de l’admettre sans discussion. Si elle entend approcher de façon systématique une réalisation telle que le Premier Livre, la critique littéraire ne peut simplement 53 54 55 Marot, TII, p. 1197. Trois premiers livres, p. 17. L’allusion à l’ignorance du latin par Marot est renforcée par l’adverbe « mesmes » qui possède ici le sens de surtout. 130 « OVIDE VEUT PARLER » se contenter d’appliquer ses méthodes et de faire valoir ses attentes habituelles. Par défaut, celles-ci tendent à ne prendre en compte qu’une forme particulière de traduction, consacrée par John Keats dans son évocation de l’Homère de George Chapman (« On first looking into Chapman’s Homer »). Le travail de Chapman poursuit en réalité une théorisation de la traduction relativement libre initiée dans le domaine anglais par John Florio 56. En France, Antoine Berman perçoit dans le travail de Jacques Amyot les prémices de cette pratique de la traduction qui s’illustrera, au XVIIe siècle, dans la tradition décrite par Roger Zuber dans les « belles infidèles ». La réflexion littéraire évolue avec aisance à propos de ces formes particulières de traduction qui exploitent une forme de créativité relativement proche de celle des créations originales, dont la mise au jour ne nécessite pas le recours à une méthode d’analyse particulière. L’approche critique ne rend pas forcément justice à l’ensemble des dimensions du processus de traduction : or, précisément, la difficulté de la mise en mots dans le domaine particulier de la traduction appelle paradoxalement à confier au poète l’activité consistant à donner une version d’un poème. Yves Bonnefoy décrit toute la profondeur prise alors par l’acte de traduction : Et s’éclaire ce qui peut faire le prix d’une traduction : non pas la réflexion du traducteur sur le sens des mots, sur la signification des phrases, une tâche assurément utile, mais gardée au plan des concepts et en somme préliminaire. Mais, mûrie au contact d’une langue autre et d’une grande œuvre, davantage de détermination dans la mise en question du droit de la signification conceptuelle à monopoliser l’être au monde. La poésie, à se faire traduction de la poésie, se fait conscience de soi et confiance en soi 57. Affirmer la possible valeur éminente de la traduction d’un poème par un poète conduit presque immédiatement Yves Bonnefoy à s’interroger sur la façon d’étudier l’objet littéraire dont il avance la possibilité : 56 57 Christine Sukic, « “Ample transmigration” : George Chapman, traducteur d’Homère en anglais », Etudes anglaises 1/2007 (Vol. 60), 3-14. Yves Bonnefoy, « La traduction au sens large. A propos d’Edgar Poe et de ses traducteurs », Littérature, 2008/2, no 150, p. 11. LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? 131 Mais comment pénétrer ces débats d’un poète et son traducteur et de celui-ci avec soi ? Ces événements ne sont pas explicités dans la traduction que l’on peut dire centrale, celle qui sera publiée avec souvent l’autre texte en face et donc l’obligation d’être à peu près de même longueur que lui et d’en accepter beaucoup de la signification littérale. On peut craindre que la traduction au sens large ne soit que matière à supputations sans assez de preuves 58. Yves Bonnefoy illustre ensuite la manière de bien analyser la traduction en s’interrogeant sur les traductions du « Corbeau » d’Edgar Allan Poe par Charles Baudelaire et Stéphane Mallarmé. Les conditions particulières du contexte du Premier Livre appellent une méthode différente, mais dont le but ultime correspond à l’exigence posée par Yves Bonnefoy, dépasser les supputations et tenter de rechercher les preuves. L’entreprise semble d’autant plus périlleuse que la critique doit composer avec l’absence de modèle stable de la traduction, susceptible de rendre compte systématiquement du processus lui-même, absence annoncée sans concession par George Steiner lui-même dans la « Préface à la deuxième édition d’Après Babel » 59 : […] il n’y a pas de « théories de la traduction ». Ce dont nous disposons, ce sont des descriptions raisonnées des démarches. Au mieux, ce que nous trouvons et cherchons, ensuite, à énoncer, ce sont des narrations de l’expérience vécue, des notations heuristiques ou exemplaires du travail en chantier (work in progress). Celles-ci n’ont aucune valeur scientifique. Nos instruments de perception ne sont pas des théories ni des hypothèses de travail en un sens scientifique, autrement dit falsifiable, mais ce que j’appelle des « métaphores de travail ». Sous sa forme la plus haute, la traduction n’a rien à tirer des diagrammes et organigrammes (mathématiquement) puérils avancés par de soi-disant théoriciens. Elle est, elle sera toujours, ce que Wittgenstein appelait un « art exact ». L’analyse littéraire ne peut envisager évaluer une traduction sur la base de la capacité de cette dernière à réaliser de façon optimale le processus défini par LA théorie, puisque celle-ci n’existe tout simplement pas. 58 59 Yves Bonnefoy, « La traduction au sens large », p. 11. George Steiner, Après Babel, Paris, Gallimard, 1998, p. 21. La « Préface à la deuxième édition » dont est extrait le passage cité est datée de 1991. 132 « OVIDE VEUT PARLER » A défaut d’un modèle stable, l’approche la plus opérationnelle consiste à se concentrer sur l’échelle des phénomènes à observer. Dans Dire presque la même chose, Umberto Eco dresse en quelques lignes l’opposition « fabula/intrigue » qu’il place au cœur de la théorie de la traduction : La fabula est la séquence chronologique que le texte peut « monter » selon une intrigue différente : Je suis revenu à la maison parce qu’il pleuvait et Puisqu’il pleuvait, je suis revenu à la maison sont deux Manifestations Linéaires qui véhiculent la même fabula (j’étais sorti alors qu’il ne pleuvait pas, il s’est mis à pleuvoir, je suis rentré) à travers une intrigue différente. Evidemment, ni fabula, ni intrigue ne sont des questions linguistiques, ce sont des structures qui peuvent être réalisées dans un autre système sémiotique, au sens où l’on peut raconter la même fabula de l’Odyssée, avec la même intrigue, à travers une paraphrase linguistique, mais aussi à travers une BD. Dans le cas des résumés, on peut respecter la fabula en changeant l’intrigue : raconter, par exemple, les péripéties de l’Odyssée en commençant par celles que, dans le poème, Ulysse racontera plus tard aux Phéaces. Nous venons de le voir avec les exemples sur la pluie et le fait de rentrer chez soi, fabula et intrigue n’existent pas que dans les seuls textes spécifiquement narratifs. Toutefois, même dans A Silvia de Leopardi il y a une fabula (il était une jeune fille, voisine d’en face du poète, le poète l’aimait, elle est morte, le poète se la rappelle avec une amoureuse nostalgie) et une intrigue (le poète évocateur entre en scène au début, quand la jeune fille est déjà morte, et il fait peu à peu revivre la jeune fille dans son souvenir). Il est capital de respecter l’intrigue dans une traduction 60, la preuve en est qu’il n’y aurait aucune traduction appropriée de A Silvia qui n’en respecterait pas, outre la fabula, l’intrigue. Une version qui altérerait l’ordre de l’intrigue serait un pur résumé, du type aide-mémoire pour examens qui ferait perdre le sens déchirant de cette souvenance 61. La distinction établie par Umberto Eco entre « fabula » et « intrigue » situe très bien le niveau d’intervention du traducteur par rapport à ce que l’intuition désigne le plus souvent comme le sens d’un texte et qui devient, dans la terminologie méthodique de Eco, la « fabula ». Ce n’est pas uniquement du sens du 60 61 C’est nous qui soulignons. Umberto Eco, Dire presque la même chose, Paris, Grasset, 2006, p. 59-60. LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? 133 texte dont le traducteur doit se préoccuper, mais également de l’ordre du montage de ce sens, qui est appelé « intrigue » par Eco. La notion d’intrigue distingue la traduction d’autres systèmes de reformulation (tel que « le résumé, du type aide-mémoire pour examens »), mais s’applique à toutes les formes de traductions, c’est-à-dire aussi bien aux traductions à l’intérieur d’un système sémiotique – dont dépend la traduction linguistique – qu’aux traductions d’un système sémiotique à l’autre. Dès lors qu’on l’applique à la traduction linguistique, la question qui se pose est celle du niveau de définition inférieur de l’intrigue : le passage d’Eco ne répond pas directement à la question, puisqu’il décrit l’intrigue à trois niveaux très différent, celui de la phrase (exemple de la pluie), celui de l’organisation du poème singulier (A Silvia), celui de l’articulation entre les chants d’une épopée (L’Odyssée). On peut cependant raisonner par récurrence et poser que, si l’intrigue est systématiquement respectée au niveau de la phrase par le traducteur, elle sera également respectée au niveau du poème et – a fortiori – à celui de l’articulation entre les chants. Il faut voir cependant que le respect de l’intrigue au niveau de la phrase n’est pas une condition nécessaire au respect de l’intrigue à des niveaux supérieurs, ainsi dans ce passage de la création des vents dans lequel Marot modifie légèrement l’intrigue ovidienne 62 : Eurus ad Auroram Nabataeaque regna recessit Persidaque Le vent Eurus tout premier s’en volla Vers l’Orient, & occuper alla Nabathe, & Perse, et radiis iuga subdita matutinis ; & les monts, qui s’eslevent Soubs les rayons, qui au matin se levent. Vesper et occiduo quae litora sole tepescunt Proxima sunt Zephyro ; Zephyrus fut soubs Vesper resident, Pres des ruisseaulx tiedys de l’Occident. Scythiam septemque triones Horrifer inuasit Boreas ; Boreas froid envahyt la partie Septentrionne, avecques la Scythie. 62 Les textes soumis à l’analyse seront souvent présentés dans une version synoptique appliquant le découpage en séquence dont la méthodologie est expliquée au Chapitre IV « Identifier les unités de la constructio du Premier Livre». 134 « OVIDE VEUT PARLER » contraria tellus Et vers Midy, qui est tout au contraire, 63 Nubibus adsiduis pluuioque madescit ab Austro . Auster moyteux jecta pluye ordinaire 64. La volonté de Marot de coller à l’intrigue ovidienne apparaît bien dans tout le passage, puisque les vents apparaissent en français dans l’ordre même du latin : toutefois, lorsqu’il rencontre les deux verbes inchoatifs « tepescunt » et « madescit », il ne peut s’en tenir à une intrigue aussi serrée au niveau de la phrase et choisit de redistribuer passablement les scénarios, puisque : – pour le zéphire : ce ne sont pas les rives de l’Occident qui se trouvent près de Zephyrus, mais Zephyrus qui se trouve sous les rives de l’Occident ; – pour l’auster : ce n’est pas la terre opposée (c’est-à-dire le sud ou le midi) qui s’humidifie sous les pluies d’Auster, mais Auster qui jette de la pluie vers le Midy. On peut observer que la traduction de Georges Lafaye conserve quant à elle une intrigue plus proche de celle d’Ovide, puisqu’elle donne : « Vesper et les rivages attiédis par le couchant sont voisins du Zéphyre ; […] ; les régions opposées de la terre sont détrempées sans trêve par les nuages et les pluies de l’Auster. » 65 Le choix de Marot n’est donc pas une simple question de contraintes grammaticales liées à la difficulté de traduire en français la spécificité latine que constituent les verbes inchoatifs. Pour autant, il ne remet pas en cause l’intrigue choisie par Ovide dans la description de la naissance des vents au niveau supérieur de l’organisation de l’épisode. Il semble donc possible d’avancer qu’au niveau de la phrase 66, le traducteur dispose d’une certaine marge de manœuvre dans le traitement de l’intrigue : s’il ne saurait être question de continuer de parler de traduction dès lors que le plan de l’épisode ou le plan général du poème serait remis en cause, 63 64 65 66 v. 61-66, Ovide, TI, p. 9. v. 121- 130, Marot, TII, p. 411. Ovide, TI, p. 9. La notion de phrase n’est pas sans elle-même poser problème au niveau de la théorie linguistique : elle est utilisée ici dans son acception la plus banale, sans prise de position théorique à son sujet, parce qu’elle désigne une réalité grammaticale facilement identifiable par tout lecteur. LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ? 135 l’exercice admet une négociation 67 spécifique du traitement de l’intrigue au niveau de la phrase. Décider d’aborder la négociation au cœur du travail de Marot ne fournit pas directement le cadre d’analyse à appliquer. Il s’agit donc de dégager les conditions de cette négociation sur la base d’une modélisation explicite du geste du traducteur. Les observations possibles dans le ms. Douce 117 permettent d’envisager l’élaboration du texte du Premier Livre comme la recherche, par essais successifs, d’une version française satisfaisante, c’est-àdire, d’une version qui ne nécessite plus de modification. Accepter cette hypothèse revient à considérer que les diverses possibilités expérimentées sont sélectionnées en fonction de l’appréciation de leur réussite. La première phase de l’analyse consiste par conséquent à identifier les unités de travail du traducteur constituées par des séquences reliant une partie latine et une partie française. 67 C’est le terme sous l’enseigne duquel Umberto Eco lui-même place la traduction dans Dire presque la même chose. CHAPITRE IV IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE S’interroger sur le Premier Livre en tant qu’objet littéraire implique l’établissement d’un cadre d’analyse dont les caractéristiques générales visent à saisir en propre l’activité de Marot poète et traducteur. La description de cette activité nécessite à son tour une base raisonnée à partir de laquelle il devient possible d’articuler les observations. Cette première phase de l’analyse ne se préoccupe pas prioritairement de la question de la valeur du travail de Marot. Certaines notions souvent évoquées dans l’analyse littéraire de la traduction sont remarquablement absentes. D’une part, le raisonnement ne fait pas l’hypothèse, même implicite, de l’existence ou de la possibilité d’une traduction étalon, issue de l’application des principes de la « bonne traduction » et nécessaire à l’établissement d’un point de comparaison à partir duquel juger de la version de Marot. D’autre part, l’analyse ne fait pas référence à la notion de totalité du signifié, habituellement utilisée pour justifier de jugements de valeur sur le texte cible. En l’absence d’une description complète des processus cognitifs à l’œuvre dans la traduction, l’analyse doit veiller à se montrer aussi économe que possible en matière de présupposés théoriques. Elle évite en particulier de tenter de faire l’illustration de telle ou telle théorie de la traduction ou du langage. Inversément, si le cadre établi doit être aussi solide que possible au niveau théorique, il doit veiller à éviter la tentation de se substituer à la description systématique des mécanismes cognitifs à l’œuvre dans le passage d’une langue à une autre. L’analyse systématique vise à mettre à la disposition du commentaire un objet « Premier Livre » tel qu’il soit possible de lui appliquer les 138 « OVIDE VEUT PARLER » méthodes littéraires en évitant les pièges tendus par les préjugés habituels sur la traduction. Pour ce faire, l’analyse se donne pour objectif de rendre compte de l’ensemble du texte, sans se contenter d’isoler certains passages pour une simple revue de détails. Elle cherche avant tout à repérer les régularités éventuellement présentes dans l’activité du traducteur et/ou dans le texte cible, sans identifier ces régularités aux mécanismes effectivement à l’œuvre dans le processus de traduction. Bien que préoccupée de l’ensemble du texte, l’analyse ne prétend pas rendre compte de tous les niveaux possibles. A ce stade, l’analyse vise à établir un découpage constituant les unités pertinentes pour la discussion du travail de Marot traducteur. Celles-ci peuvent être observées à deux niveaux, celui du travail du traducteur et celui de la langue. Chacun des niveaux fait l’objet d’une description étendue, afin qu’il soit possible d’énoncer une description complète du geste de Marot. Le travail du traducteur est l’objet du présent chapitre, alors que le niveau de la langue sera l’objet du chapitre V qui visera plus spécifiquement à interroger les approches courantes de la traduction appliquées au Premier Livre. Un constat relativement simple permet d’ouvrir la réflexion sur les unités qui constituent le travail du traducteur. Le mot « traduction » renvoie indifféremment en français au processus et à son résultat : cette caractéristique sémantique met en évidence que le texte cible (la traduction en tant que résultat) n’existe, sous une forme stable, que dès lors que le processus de traduction est jugé satisfaisant par le traducteur. Tant que cela n’est pas le cas, le texte cible est susceptible de révisions et de transformations qui fondent la dynamique propre de la technique de la traduction. Norton repère dans The Scholemaster, traité d’éducation de l’humaniste anglais Roger Ascham publié à titre posthume en 1570, une allusion au rôle central que Pline accorde à la double traduction pour la formation, allusion qui, selon Norton met en évidence la dimension essentiellement constructiviste de la traduction à la Renaissance : Ascham’s addition to Pliny is important for the way it calls attention to certain views of translation developed during the fifteenth century and later transmitted into sixteenth-century thought. These IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 139 views tend to see translation fundamentally as a process of construction. When the scholar translates, it is imagined, he works systematically « by little and little », building on the paradigmatic structures of grammar and moving to assimilate larger syntaxic segments of text from which he reconstructs meaning. As we shall see later on, construction would play a vital role in notions of French Renaissance translation. The idea was to work back from the vernacular clause in order to analyse and deconstruct the ordo artificialis of Latin speech, thus giving rise to the pratice of constructing identified elsewhere by Ascham as an exercise inseparable from grammar study. So while classroom translation could, in one sense, be thought of as an act of building up and reconstructing meaning, in another more profound sense, it implied just the opposite, a breaking apart of the text’s component structures. (…) Constructio, it could be assumed, had everything to do with a work of dismantling, reordering, unraveling, and, ultimately, interpretation 1. L’exercice de la double traduction recommandé par Pline consiste à traduire du grec au latin, puis du latin au grec. Il s’agit pour Ascham d’un exercice de grande valeur dans le domaine de l’apprentissage de la grammaire. Norton s’éloigne un peu de la notion de double traduction et vise avant tout, au cœur de la traduction en général, la notion de constructio. Norton retient, pour caractériser le processus, un travail « by little and little 2 » visant à reconstuire le sens autour de « larger syntactic segments ». De façon tout à fait remarquable, cependant, Norton montre la traduction saisie dans un double mouvement à la fois d’analyse (« breaking apart of the text’s compenents stuctures ») et de synthèse (« reconstructing meaning »). La constructio qui, selon lui, caractérise les conceptions de la traduction aux XVe et XVIe siècles, tout particulièrement dans la tradition française, recoupe de nombreuses dimensions dépassant nettement la notion de transfert habituellement associée à la traduction : « dismantling, reordering, unraveling, interpretation ». La notion de constructio semble également réduire l’opposition « horacianiste/ 1 2 Glyn P. Norton, The Ideology and language of translation in Renaissance France, p. 26. L’expression vient du texte de Roger Ascham, mais elle vise, chez l’humaniste anglais, l’acquisition de la grammaire. 140 « OVIDE VEUT PARLER » littéraliste » : d’une part, le travail sur des ensembles syntaxiques dépassant le simple mot va dans le sens de l’adage d’Horace ; d’autre part, la rigueur du travail sur la grammaire répond aux exigences méthodiques d’une traduction littérale. LE MS. DOUCE 117 ET L’ÉCONOMIE DE LA TRADUCTION MAROTIQUE Pour entrer dans la constructio marotique, il importe avant tout de s’interroger sur la façon de définir, de façon méthodique, les unités discrètes (« larger syntaxic segments ») autour desquelles le poète a organisé son travail de traducteur. Un premier niveau de découpage explicite réside dans l’introduction par Marot de sous-titres qui n’existent pas dans le texte original d’Ovide et qui aboutissent à la formation d’unités explicites dans la version du poète. L’origine des sous-titres est à rechercher dans l’Index que Regius donne 3 à son édition : Marot partage Le Premier Livre en s’appuyant largement sur les entrées de l’Index de Regius, alors même que celui-ci n’y refère pas de façon systématique dans son commentaire. La pratique de Marot est relativement fluctuante : toutes les entrées de l’Index de Regius se voient exploitées comme sous-titres ; parfois deux entrées sont fusionnées dans un soustitre unique ; certains sous-titres sont ajoutés d’autorité par Marot. L’examen rapide des variantes que le ms. Douce 117 présente pour les sous-titres permet de saisir pourquoi les unités découpées par ces derniers ne sont pas déterminantes dans l’économie du travail du traducteur. Non seulement, la formulation d’un certain nombre de sous-titres varie, mais, surtout, le découpage induit par ceux du ms. Douce 117 n’est pas exactement le même que celui de la version publiée : cinq sous-titres présents dans le ms. Douce 117 n’ont pas été retenus dans les versions imprimées. La longueur même des parties induites par le découpage explicite opéré par les sous-titres suffit toutefois à les disqualifier en tant qu’unités de travail du traducteur. A l’exception d’une 3 Index eorum quae quoque in libro metamorphoseos Ovidii continentur, Regius, p. 12-16. IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 141 seule, ces parties comportent toutes plusieurs dizaines de vers, ce qui exclut qu’elles aient été abordées d’une seule traite par le traducteur. La définition opérationnelle doit articuler les considérations formelles liées aux caractéristiques internes du texte cible et les enseignements tirés de l’examen des nombreuses variantes disponibles dans le ms. Douce 117. L’absence de découpage explicite appelle la définition d’une méthode d’analyse systématique. Les unités recherchées pour caractériser le travail du traducteur devront être à même de rendre compte du jeu du changement et de la stabilité dans la révision du texte au moment de la publication. Près de 500 vers du ms. Douce 117 sur les 1552 que compte le Premier Livre présentent des différences d’importance variable par rapport à la version publiée telle qu’elle apparaît dans l’édition Defaux. Si certaines modifications sont très limitées et relèvent du simple travail d’édition, d’autres impliquent des réécritures nettement plus importantes. La recherche des unités de travail du traducteur doit d’abord prendre en compte les changements les plus ténus, tels que ceux que l’on trouve dans un passage décrivant le déluge : Ovide, v. 286-287 Traduction Lafaye, p.17 Cumque satis arbusta simul pecudesque uirosque avec les récoltes ils [les fleuves] Tectaque cumque suis rapiunt penetralia sacris. emportent les arbres, les troupeaux, les hommes, les maisons, les autels domestiques et leurs objets sacrés. ms. Douce 117, v. 556-559 En ravissant avec le fruict les arbres Bestes / humains / maison / palais de marbres Sans espargner / temples et lieux sacrez Avec leurs dieux / benitz et consacrez Edition Defaux, v. 561-564 En ravissant avec le fruict les arbres, Bestes, humains, maisons, palais de marbres, Sans espargner Temples painctz, & dorés, Ne leurs grands Dieux sacrés, & adorés. Les changements enregistrés entre les deux versions présentent l’intérêt de ne toucher presque que des mots : « Avec » changé en « Ne », « benitz » en « sacrés », etc. Il est tentant de dépasser rapidement l’enregistrement formel des modifications pour émettre des hypothèses sur leurs motivations. Manifestement, le travail sur la rime qui voit la paire « dorés / adorés » se substituer à la paire plus répétitive « sacrez / consacrez » semble 142 « OVIDE VEUT PARLER » dominer l’ensemble des changements et la version donnée par l’édition Defaux peut facilement être jugée plus habile : disparition du très commun « lieux » ; effacement de la répétition de « sacrez » ; syntaxe de la double négation plus fluide dans la paire « Sans / Ne » que dans la paire « Sans / Avec ». De telles conclusions masquent cependant la question des mécanismes impliqués dans les changements voulus par le traducteur. Celui-ci ne peut en effet procéder à un changement quelconque sans courir le risque de voir bouleversée la construction qu’il doit stabiliser. Les substitutions réalisées à la rime peuvent conduire à revoir non seulement les deux derniers vers du passage, mais également ceux qui précèdent, si, par exemple, la construction « sans + infinitif » devait se révéler inadéquate. Par ailleurs, le traducteur doit en permanence s’assurer que la version qu’il tente d’améliorer continue d’être en adéquation avec le texte source. La recherche des unités pertinentes pour la description du travail du traducteur commence par prendre en compte les mécaniques textuelles induites par la situation singulière de la traduction : l’observation attentive et la description formelle des changements enregistrés permet d’entrer dans l’analyse de cette mécanique. Le passage de « benitz » à « sacrés » constitue formellement le changement le plus facile à pratiquer : un adjectif qui n’est pas à la rime se voit substituer un adjectif comptant un nombre de syllabes identiques. Comme les deux adjectifs ne sont pas à la rime, le changement n’entraîne pas de problème au niveau de la versification. Il n’y a pas de difficulté non plus au niveau de la distribution 4 vis-à-vis du substantif « dieux » dont ils sont épithètes, ce qui permet d’arrêter les changements au niveau de l’adjectif. La substitution de « Ne » à « Avec » illustre un contexte légèrement plus complexe. La perte d’une syllabe nécessite une compensation dans le vers : l’ajout de l’adjectif « grands » apporte une solution pratique, mais qui comporte également ses exi4 Il existe, au niveau du vocabulaire, des solidarités distributives qui empêchent de substituer les éléments de même nature syntaxique les uns aux autres sans risque de complication. On dira plutôt « la mer monte » que « l’océan monte » ; une « mer agitée » plutôt qu’un « océan agité ». IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 143 gences. Il s’agit de trouver un adjectif monosyllabique qui puisse être distribué devant le substantif dont il est épithète, et qui n’amène pas de signification inadéquate : « forts » ou « vrais » seraient, vraisemblablement, moins adaptés. Pour un poète aussi expérimenté que Marot, la difficulté n’a certes rien d’insurmontable, mais elle illustre, à un niveau très minimal, comment se pose la question visée par Dolet dans sa cinquième règle. On se souvient que le théoricien y exige « une liaison, et assemblement des dictions avec telle douceur, que non seulement l’âme s’en contente, mais aussi les oreilles en sont toutes ravies, et ne se fâchent jamais d’une telle harmonie de langage » 5. Les substitutions à la rime impliquent la prise en compte de mécanismes encore plus complexes. Il serait périlleux de tenter de reconstruire l’ordre de la substitution de « dorés / adorés » à « sacrez / consacrez ». On peut prendre en compte le fait que, la version latine, « sacris » renvoie aux dieux et non aux temples : dans ce cas, le changement serait motivé par une lecture plus attentive de l’original latin. On peut arguer également du caractère éventuellement démodé d’une rime construite sur la répétition « sacrez / consacrez », plutôt conforme aux dispositifs préconisés par la génération précédente. De telles discussions n’ont guère de sens à ce stade, puisque l’économie générale du travail de Marot traducteur n’a pas encore reçu de description fine. Au point de vue formel, cependant, certaines questions très importantes peuvent être posées. En ce qui concerne l’usage de « dorés », la version retenue est clairement le résultat d’un jeu de dominos lié à la question de la distribution du vocabulaire. La simple combinaison « lieux dorés » aboutirait à la construction d’un espace qui ne serait pas désigné comme spécifiquement religieux et dont il serait difficile de retrouver la référence dans le texte d’Ovide. Le commentaire de Regius s’arrête quant à lui uniquement sur l’explication de « penetralia cum suis sacris » 6 : l’humaniste renvoie à une explication de Sextus Pompée qui indique que les « penetralia » sont les autels sacrés des dieux (penatium deorum sacraria) à l’intérieur des demeures. La version 5 6 Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, p. 15. Regius, p. 33. 144 « OVIDE VEUT PARLER » retenue ne saurait donc se contenter d’une allusion à de vagues « lieux dorés » que l’imagination serait incapable de saisir habités par les dieux antiques. La solution retenue par Marot consiste à associer « dorés » à l’objet « temples » qu’il introduit et qui présente l’avantage d’être explicitement lié à la notion de religion. Comme cela implique la disparition du monosyllabique « lieux », l’adjectif « painctz » assure une compensation permettant de respecter les exigences de la métrique. Le résultat est à la fois visionnaire et fautif. Avant les fouilles de Pompéï, Marot restitue une Antiquité en couleurs, avec des temples peints et dorés. L’image poétique entraîne cependant le texte au-delà des autels domestiques visés par Ovide : l’auteur latin n’indique nulle part dans sa description du déluge la destruction de temples de grande envergure. A cet égard, la formule des « lieux sacrez » du ms. Douce 117 laisse une plus grande place à l’image des cultes privés rendus dans l’Antiquité. Ce qui pourrait n’être qu’une simple question de cheville aboutit à éloigner la version française de l’original latin, tout en lui donnant une valeur expressive plus forte. La discussion d’une telle « faute » de traduction renvoie à la problématique, classique en matière de théorie de la traduction, de la prise en compte du public auquel la traduction est destinée. Pour les Romains auxquels Ovide s’adresse, la destruction des autels domestiques met en cause véritablement le traitement que la volonté de Jupiter réserve à des objets sacrés ; pour les Français du XVIe siècle, la profanation apparaît avec moins de netteté si elle touche uniquement le culte domestique. De façon révélatrice, l’érudition d’Aneau non seulement accepte la version de Marot, mais insiste sur l’opposition « profane/sacré » : Representation imaginaire du degast et pillerie abandonnée, à predateurs n’espargnans ne profane, ny sacré 7. L’image de temples détruits, même si elle n’est pas référentiellement correcte vis-à-vis de l’original latin, correspond à l’image ovidienne de la violente colère d’un dieu, prêt à détruire jusqu’aux objets censés lui servir d’habitation, à lui ou aux autres 7 Trois premiers livres, p. 58. IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 145 dieux. L’inconséquence de Jupiter, qu’Ovide ne se prive en principe pas de railler, a peut-être besoin, pour le public français, de s’en prendre à des temples pour trouver toute sa mesure. Le problème soulevé par l’apparition des « Temples, painctz, & dorés » montre, d’une part, avec quelle rapidité, au cours du processus de révision du texte par le traducteur, le respect des exigences de la langue cible peut conduire à s’éloigner de l’original et, d’autre part, comment une modification d’un volume textuel modeste peut révéler la finesse d’une version. La discussion des subsitutions liées à la rime « dorés »/ « adorés » n’est pas épuisée par la constitution de l’expression « Temples, painctz, & dorés ». Le vers « Avec leurs dieux benitz et consacrez » pourrait ne connaître aucune modification, puisque « dorés » rime avec « consacrés ». On imagine cependant que Marot a pu juger la rime suffisante particulièrement faible et souhaiter une solution phoniquement plus satisfaisante. Le contexte à analyser est par conséquent celui de la nécessité de trouver, pour améliorer la rime, un mot de même nature syntaxique, avec si possible un nombre de syllabes équivalent à celui de « consacrez », et qui puisse offrir la meilleure rime possible avec « dorés ». A ce titre, « adorés » remplit parfaitement le programme imposé par le contexte et n’entraîne pas les mêmes modifications que « dorés ». L’intérêt de la solution retenue à la fois résout et révèle les difficultés induites par la mécanique de la traduction : toute version réalisée court le risque de se voir grandement déstabilisée par les modifications les plus ténues. Etant donné que les variantes discutées sont situées entre le ms. Douce 117 et l’édition publiée, les modifications observées entre les deux traductions de l’extrait ci-dessus ressemblent à de simples révisions au moment de l’impression. L’intérêt du ms. Douce 117 réside cependant dans le fait qu’il comporte de très nombreuses modifications de grande ampleur, comme dans le passage ci-dessous où Jupiter, ayant décidé de détruire par l’eau plutôt que par le feu, reçoit l’aide de son frère, Neptune : Ovide, v. 274-275 Traduction Lafaye. p. 16 Nec caelo contenta suo est Iovis ira, sed illum Jupiter ne se contente pas de faire servir à Caeruleus frater iuuvat auxiliaribus undis. sa colère le ciel, son empire ; mais son frère azuré lui donne encore les ondes pour auxiliaires. 146 ms. Douce 117, v. 534-537 « OVIDE VEUT PARLER » Edition Defaux, v. 537-542 Ni du grant dieu / contente est la rancune Encor (pour vray) l’ire ouverte, & patente Du grief pugnir de son ciel / Mais Neptune De Juppiter ne fut assez contente Son frere cher / prompt secours lui [amayne] Des grandes eaues, que son ciel jetta ; De undes aydans / à noyer race humaine. Mais Neptunus, son frere, s’appresta De promptement à son ayde envoyer Grand renfort d’eaues pour le Monde noyer, On ne reconnaît entre les deux versions de Marot qu’un nombre très limité de mots communs : « contente », « ciel », « Neptune »/« Neptune », « frere », « prompt »/« promptement », « noyer ». L’importance du travail de réécriture apparaît nettement, sans qu’il soit possible d’identifier avec certitude les motivations du traducteur. On remarque globalement une tendance à rétablir l’ordre des mots français (sujet – verbe – objet) dans la version publiée, alors que le ms. Douce 117 présente successivement l’inversion du verbe et du sujet « contente est la rancune » ou celle du verbe et de l’objet « prompt secours luy amayne ». On peut imaginer, sans pouvoir le suivre avec autant de précision que dans l’extrait précédent, que le mécanisme de la traduction a produit un effet de domino qui a conduit Marot à modifier progressivement presque toute sa version. Ce qu’il faut interroger à ce stade, ce sont les limites de cet effet de domino : le passage modifié est en effet précédé et suivi de passages totalement stabilisés. La mise en parallèle du ms. Douce 117 et de la version publiée telle que la présente l’édition Defaux découpe des zones de changement dont le volume peut varier entre un mot singulier et une petite dizaine de vers, sans qu’aucune réaction en chaîne n’entraîne une remise en cause de très longs passages. Il faut donc imaginer que le travail du traducteur s’organise autour d’unités dont la stabilité n’est pas remise en cause par des modifications intervenant dans une autre unité. Avant que ces unités n’aboutissent au texte retenu pour la publication, il est probable que de nombreuses substitutions sont nécessaires et que des versions non abouties se succèdent jusqu’à la réalisation d’une version stable, jugée satisfaisante par le traducteur. On peut tirer de ces observations une première conclusion selon laquelle le niveau du mot ne saurait être celui des unités IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 147 pertinentes. Au moment du choix d’un mot quel qu’il soit, le traducteur ne saurait avoir de garantie définitive sur les possibilités offertes par ce mot de résister aux révisions inhérentes au travail de traduction. Il n’est pas inutile d’indiquer que cette approche s’appuie sur l’idée, communément mise en avant dans la théorie de la traduction, d’une concordance lexicale non absolue. On voit ici comment ce que Georges Mounin 8 a pu désigner comme l’impossibilité théorique de la traduction renvoie à une dimension que l’on peut qualifier de littéraire, celle du jeu des variations formelles possibles dans la recherche de la réalisation d’une signification donnée. L’objet de l’étude des unités au cœur du travail du traducteur ne vise cependant pas simplement la parenté entre traduction et dimension littéraire, déjà suffisamment établie au niveau théorique général, mais la définition d’outils opérationnels pour l’étude du travail d’un poète traducteur. L’impossibilité du recours au mot comme unité de base de la traduction conduit à orienter la recherche vers la définition d’unités prenant en compte simultanément le texte source et le texte cible. La question est de savoir quelle forme présentent les unités telles que le changement de n’importe quel élément d’une unité donnée limite au maximum la remise en cause d’une autre unité. Deux caractéristiques fondamentales prenant en compte texte source et texte cible peuvent être avancées : 1. Clôture informationnelle : l’information contenue dans le passage source doit se retrouver dans le passage cible. Il serait maladroit cependant de prétendre mesurer cette information de façon positive, c’est-à-dire en dressant deux inventaires séparés des sens respectifs du texte source et du texte cible pour ensuite tenter d’établir une concordance entre les deux : George Steiner a montré dans Après Babel l’impossibilité de tels inventaires 9. Cette approche reviendrait à poser la question de l’équivalence, dont la théorie de la traduction démontre qu’elle ne peut être traitée avec la consistance voulue. Il faut donc aborder la question de façon négative en 8 9 Georges Mounin, Les Problèmes théoriques de la traduction, p. 191. George Steiner, Après Babel, p. 38. 148 « OVIDE VEUT PARLER » définissant la clôture comme réalisée lorsqu’aucune information explicite du passage source ne se trouve avant ou après le passage cible. 2. Clôture formelle : comme pour la clôture informationnelle, la clôture formelle ne peut être approchée de façon positive. La simple vérification du respect du programme métrique et rimique dans le texte cible ne suffit pas pour rendre compte de ce que peut désigner la notion de clôture formelle. Cette approche reviendrait en effet à pouvoir désigner n’importe quel passage comme formellement clos, la version de Marot étant versifiée et rimée de bout en bout. Il faut donc à nouveau raisonner par la négative en établissant que la clôture formelle peut être observée lorsque l’unité se trouve structurée de telle façon qu’elle implique une contrainte formelle nulle ou très faible pour le passage se trouvant avant ou après le passage cible. Clôture informationnelle et clôture formelle ne sont pas placées sur le même plan. La définition même de la clôture informationnelle implique que l’unité n’est réalisée qu’en fonction de la clôture : tant que des informations explicites du passage source sont présentes ailleurs que dans le passage cible candidat, celuici s’allonge. Le processus cesse lorsque la clôture informationnelle est réalisée. La compréhension d’un tel processus ne pose guère de difficulté. Au niveau de la clôture formelle, au contraire, la question de l’évaluation de la force de la contrainte exercée s’avère particulièrement épineuse. On pourrait être tenté d’avancer que la clôture formelle impose au traducteur de toujours traiter des unités dans lesquelles la partie française se termine sur une rime fermée. La contrainte posée par la notion de rime, si elle est bien réelle, ne doit cependant pas être surestimée : l’héritage des Grands Rhétoriqueurs, tel qu’il peut être mesuré à la lecture du « Rondeau en rimes », conduit plutôt à argumenter que la rime ne devait pas représenter de contrainte majeure pour Clément Marot. Une approche purement théorique risque de conduire à des déterminations arbitraires. La comparaison entre le ms. Douce 117 et la version publiée permet cependant d’interroger IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 149 la notion de clôture formelle à partir d’exemples spécifiques. Le premier d’entre eux se trouve dans un extrait du discours avec lequel Phébus tente de séduire Daphné : Ovide, v. 521 -524 Traduction Lafaye, p. 25 Inuentum medicina meum est opiferque [per orbem Dicor et herbarum subiecta potentia nobis. Ei mihi, quod nullis amor est sanabilis herbis Nec prosunt domino, quae prosunt omnibus, [artes. La médecine est une de mes inventions ; dans tout l’univers, on m’appelle secourable et la puissance des plantes m’est soumise. Hélas ! il n’y a point de plantes capables de guérir l’amour et mon art, utile à tous, est inutile à son maître. ms. Douce 117, v. 1022-1029 Edition Defaux, v. 1029-1036 Medecine est la mienne invention Et si suis dit par toute nation Pourtant secours. Et la grande puissance Des herbes est à nostre obeissance Du tout subjecte. O moy trop miserable De ce que amour / n’est par herbes curable Et que les artz qui ung chascun conservent A leur seigneur ne proffitent et servent. Medecine est de mon invention, Et si suis dit par toute nation Dieu de secours : & la grande puissance Des herbes est soubs mon obeissance. O moy chetif, ô moy trop miserable, De ce, qu’amour n’est par herbes curable, Et que les arts qui ung chascun conservent A leur Seigneur ne proffitent, ne servent ! En s’appuyant, pour simplifier, sur la syntaxe, on peut identifier une division nette du passage entre deux phrases entre le vers 522 et le vers 523 chez Ovide. Dans les versions françaises du passage, une différence importante peut être notée entre le ms. Douce 117 et l’édition Defaux à l’endroit même de la séparation. Le vers « Du tout subject. O moy miserable, » devient « O moy chetif, ô moy trop miserable ». S’il n’est pas difficile d’admettre la réalisation de la clôture formelle à la rime « obeissance » dans l’édition Defaux, il est important d’expliquer pourquoi elle est réalisée aussi, dans le ms. Douce 117, à la césure « du tout subject ». En posant que la clôture formelle est réalisée dès lors que l’unité est structurée de façon à exercer une contrainte formelle nulle ou la plus faible possible pour le passage qui suit, on peut arguer que les quatre syllabes « du tout subject », quel que soit le traitement que le traducteur leur réserve, n’ont qu’un impact très limité sur le traitement à réserver sur le passage qui suit. En l’espèce, l’effacement des quatre syllabes nécessiterait la recherche d’une solution bien plus complexe pour les vers qui précèdent (« la grande puissance/Des herbes est à nostre obeissance/Du tout subject »), puisque la solution 150 « OVIDE VEUT PARLER » devrait tenir aussi bien de la signification, de la syntaxe et de la versification (mètre et rime). L’unité de travail de laquelle relève « du tout subject » est nettement constituée autour de la difficulté de structurer les quatre vers qui précèdent et dépend beaucoup moins du vers qui contient les quatre syllabes. Le traitement du vers « Pourtant secours : & la grande puissance », bien que différent, relève d’une logique identique au plan de la clôture formelle. Il est possible d’arguer que la ponctuation (. ou :) marque éventuellement une séparation entre unités de travail, non pas du simple fait de la logique syntaxique, mais parce que la possibilité du passage de « Dieu de secours » à « Pourtant secours » dépend nettement des vers qui précèdent et n’exercent pas de contrainte importante sur la suite du vers. Le profil des unités présentes dans le travail du traducteur commence à se dégager. Une précision est cependant nécessaire pour appréhender leur portée. A supposer que l’on puisse repérer des unités répondant aux critères de clôture informationnelle et formelle, il faudra résister à la tentation de conclure immédiatement qu’il s’agit du découpage sur lequel Marot a consciemment travaillé : plus précisément, il faudra se garder de penser que l’objectif premier du traducteur soit la réalisation de ces unités. Il s’agit en effet de caractéristiques du texte cible qui peuvent tout à fait apparaître dans la traduction, sans que le traducteur n’ait intentionnellement cherché à les réaliser pour ellesmêmes : elles ressemblent aux cylindres de bois que les Grecs plaçaient à l’intérieur des colonnes supportant leurs temples. Garantes de la stabilité des colonnes, elles se plaçaient au niveau purement technique, sans influencer les choix esthétiques, qui visaient quant à eux les colonnes. La double observation de la clôture informationnelle et de la clôture formelle offre un découpage suffisamment rigoureux pour qu’il puisse servir de base à la révision : la partie latine de la séquence présente une cohérence telle qu’au moment du retour sur le manuscrit, elle n’est pas remise en cause pour la réalisation de la nouvelle partie française. IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 151 DÉCOUPER UN PASSAGE EN SÉQUENCES L’étude de passages isolés du ms. Douce 117 ne constitue pas un repérage systématique des unités de travail du traducteur. Un découpage cohérent nécessite la discussion méthodique d’un choix représentatif de cas de figure. L’ensemble des situations à considérer sera illustré de façon presque exhaustive à partir d’un passage du Premier Livre décrivant le déluge. Si l’on part du découpage que Marot applique en se basant sur la table des matières de Regius, il est possible d’établir pas à pas le processus de découpage pour un extrait du passage recevant le sous-titre « Parachèvement de la Harengue de Juppiter avec la decription du Déluge » 10 qui compte 112 vers en latin et 222 en français. La mise en parallèle du texte source et du texte cible permet de voir immédiatement l’intérêt pour l’analyse de texte de définir des unités pertinentes à l’intérieur des parties découpées par Marot : après seulement quelques vers latins, il devient impossible de mettre en relation de façon immédiate les passages latins et les passages français. Quelques points de repères apparaissent toutefois : 1. Le rapport 112 vers latins – 222 vers français est presque exactement de 1 pour 2 environ, sans qu’il soit possible pour autant de rapporter immédiatement tel vers français à tel vers latin, en appliquant une division géométrique tous les deux vers français. 2. Certains vers latins et certains vers français débutent par des mots dont la correspondance lexicale est quasi absolue : c’est notamment le cas des paires suivantes 11 : Sed timuit ne forte sacer tot ab igni- Mais il craignit, que du ciel la bus aether 12 facture 13 Protinus Aeoliis Aquilonem claudit Incontinent aux cavernes d’Eole15 in antris 14 10 11 12 13 14 15 Ovide, TI, v. 240-351 ; Marot, TII, v. 469-690. Les vers complets sont mis en correspondance, sans présupposer qu’il s’agisse là d’une unité pertinente. v. 245, Ovide, TI, p. 16. v. 497, Marot, TII, p. 422. v. 262, Ovide, TI, p. 16. v. 513, Marot, TII, p. 423. 152 « OVIDE VEUT PARLER » Sic opus est. Aperite domos ac, mole remota 16, Iusserat ; hi redeunt ac fontibus ora relaxant 18 Omnia pontus erant, deerant quoque litora ponto 20. Ille supra segetes aut mersae culmina uillae 22 Flumina subsidunt collesque exire uidentur 24 ; Ainsi le fault, & voz maisons ouvrez 17 : Ce commandé, s’en revont à grands courses 19 : Tout estoit mer, en la mer, qui tout baigne 21, L’ung sur les bleds conduyt nefz, & bateaulx 23 Fleuves on voyt baisser, & departir 25, Ces deux premiers constats permettent d’esquisser certaines caractéristiques des unités à venir. D’abord, le rapport 1 vers latin pour 2 vers français, observé sur l’ensemble du passage, pourra servir de point de repère pour l’examen des niveaux inférieurs : de deux choses l’une, en effet, soit le rapport n’est que global, et l’on retrouve des rapports variés 26 au niveau des unités recherchées (1-1, 1-3, 2-5, voir 1-6, 1-7, etc.), soit le rapport est uniformément réparti, et l’on aura tendance à trouver des unités bâties sur le rapport 1-2. Il existe toutefois une raison mathématique pour retrouver plutôt des unités sur le rapport 1-2 : si l’on imagine en effet des unités sur un rapport 1-3 ou 1-4, par exemple, il faudra soit de nombreuses unités 1-1, soit de véritables « coupures » dans le passage français, du genre 1-1/2 (soit quatre ou six syllabes, en fonction du découpage opéré par la césure) ou 1-1/4 (soit à peine plus de deux syllabes). Un examen rapide des deux textes permet de voir que l’on ne trouve pratiquement pas de passage français qui semble nettement raccourci par rapport au passage latin : cela conduit à conclure que le rapport 1-2 se retrouvera au niveau des 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 v. 279, Ovide, TI, p. 17. v. 548, Marot, TII, p. 424. v. 281, Ovide, TI, p. 17. v. 551, Marot, TII, p. 424. v. 292, Ovide, TI, p. 17. v. 573, Marot, TII, p. 424. v. 295, Ovide, TI, p. 17. v. 579, Marot, TII, p. 424. v. 344, Ovide, TI, p. 19. v. 676, Marot, TII, p. 427. On peut observer certains de ces rapports chez Guillaume Michel de Tour ou Octovien de Saint-Gelais. IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 153 unités à venir. On peut donc s’attendre à des unités ayant la forme : 0.5-1 27, 1-2, 1.5-3, 2-4, 2.5-5, etc. Ensuite, la présence de mots fortement liés du point de vue lexical au début de certains vers conduit à s’interroger sur la sensibilité de Marot traducteur à la concordance dans l’ordre des mots : a priori, cette sensibilité semble faible, puisque l’on a – au mieux – une dizaine de paires sur une centaine de vers latins, soit moins de 10 % des débuts de vers. Cependant, les points de repère manquent pour apprécier ce chiffre à sa juste valeur. D’une part, l’examen n’a pas été ouvert à des situations dans lesquelles les deux ou trois premiers mots latins se retrouveraient en français, fût-ce dans un ordre différent. D’autre part, il n’existe pas de moyen terme calculé sur la base de la version d’un autre traducteur pour l’évaluation de la fréquence de concordance possible entre début de vers latin et début de vers français. On peut avancer tout de même qu’étant donné la fréquence relativement basse de vers débutant par des mots concordants, le critère ne saurait être considéré comme exclusif pour définir les unités pertinentes. On peut avancer également que l’ordre des mots est à prendre en compte dans la discussion des unités pertinentes. Il est possible de poursuivre le découpage en reprenant la partie du texte située entre deux vers débutant par des unités lexicales concordantes, soit : Sed timuit, ne forte sacer tot ab ignibus aether Conciperet flammas longusque ardesceret axis. Esse quoque in fatis reminiscitur adfore tempus Quo mare, quo tellus correptaque regia caeli Ardeat, et mundi moles obsessa laboret. Tela reponuntur manibus fabricata Cyclopum ; Poena placet diuersa, genus mortale sub undis Perdere et ex omni nimbos demittere caelo. Protinus Aeoliis Aquilonem claudit in antris 28 27 28 Mais il craignit, que du ciel la facture Par tant de feuz ne conceut d’adventure Quelcque grand’flamme, & que soub[dainement Bruslé ne fust tout le hault firmament. Puis luy souvint, qu’il est predestiné Qu’advenir doibt ung temps determiné, Que mer, que terre, & la maison prisée Du ciel luysant ardra toute embrasée, Et qu’on doibt veoir le tresgrand edifice Du monde rond en labeur, & supplice. Lors on cacha les dardz de feu chargés Des propres mains des Cyclopes forgés, Et d’une peine au feu toute contraire Il faut comprendre ici le 0.5 comme un hémistiche composé de 4 ou 6 syllabes, non comme la généralisation d’hémistiches de 5 syllabes. v. 254-262, Ovide, TI, p. 16. 154 « OVIDE VEUT PARLER » Luy plaist user : car soubs eaues veult deffaire Le mortel genre, & sur les terres toutes De tout le ciel jecter pluyes, & goutes. Incontinent aux cavernes d’Eole 29 Etant donné l’obligation mathématique d’avoir des unités constituées autour du rapport 1-2, on peut – par hypothèse – laisser une ligne vide entre chaque vers latin. Le résultat est le suivant : Sed timuit, ne forte sacer tot ab ignibus aether Mais il craignit, que du ciel la facture Par tant de feuz ne conceut d’adventure Conciperet flammas longusque ardesceret axis. Quelcque grand’flamme, & que soub[dainement Bruslé ne fust tout le hault firmament. Esse quoque in fatis reminiscitur adfore tempus Puis luy souvint, qu’il est predestiné Qu’advenir doibt ung temps determiné, Quo mare, quo tellus correptaque regia caeli Que mer, que terre, & la maison prisée Du ciel luysant ardra toute embrasée, Ardeat, et mundi moles obsessa laboret. Et qu’on doibt veoir le tresgrand edifice Du monde rond en labeur, & supplice. Tela reponuntur manibus fabricata Cyclopum ; Lors on cacha les dardz de feu chargés Des propres mains des Cyclopes forgés, Poena placet diuersa, genus mortale sub undis Et d’une peine au feu toute contraire Luy plaist user : car soubs eaues [veult deffaire Perdere et ex omni nimbos demittere caelo. Le mortel genre, & sur les terres toutes De tout le ciel jecter pluyes, & goutes. Protinus Aeoliis Aquilonem claudit in antris Incontinent aux cavernes d’Eole Des paires approximatives semblent se former entre les vers latins et les vers français. Pour vérifier leur consistance, il est possible d’appliquer le test de la superposition. Celui-ci consiste à imaginer le texte latin et le texte français en deux lignes continues superposées pour relier ensuite par des traits les unités lexicales latines et françaises les plus évidemment en correspondance 30. Le test fait apparaître des entrelacements dans 29 30 v. 496-512, Marot, TII, p. 422-423. Si une référence théorique est ici nécessaire pour modéliser les unités à mettre en correspondance, on peut s’appuyer sur la notion de Contenu Nucléaire au cœur de la sémiotique de Umberto Eco. L’intérêt de cette notion pour l’approche de la traduction est exposé plus loin au moment de la définition des opérations exercées sur les unités linguistiques. Voir Chapitre V « Interroger le niveau d’analyse courant ». IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 155 lesquelles les liens reliant les unités se croisent, et des zones de découpage constituées par des vides dans lesquels aucune liaison n’apparaît. Ces lignes de découpage correspondent à des clôtures informationnelles et désignent donc des correspondances « passage latin/passage français » candidates au titre d’unités pertinentes. Ces unités candidates sont reproduites ci-dessous, afin d’affiner l’analyse avec des considérations liées à la notion de clôture formelle. 1 Sed timuit, ne forte sacer tot ab ignibus [aether Conciperet flammas longusque ardesceret [axis. Mais il craignit, que du ciel la facture Par tant de feuz ne conceut d’adventure Quelcque grand’flamme, & que soubdainement Bruslé ne fust tout le hault firmament. 2 Esse quoque in fatis reminiscitur Puis luy souvint, qu’il est predestiné 3 adfore tempus Qu’advenir doibt ung temps determiné, 4 Quo mare, quo tellus correptaque regia caeli Que mer, que terre, & la maison prisée Ardeat, Du ciel luysant ardra toute embrasée, 5 et mundi moles obsessa laboret. Et qu’on doibt veoir le tresgrand edifice Du monde rond en labeur, & supplice. 6 Tela reponuntur manibus fabricata Lors on cacha les dardz de feu chargés [Cyclopum ; Des propres mains des Cyclopes forgés, 7 Poena placet diuersa, Et d’une peine au feu toute contraire Luy plaist user : 8 genus mortale sub undis Perdere car soubs eaues veult deffaire Le mortel genre, 9 et ex omni nimbos demittere caelo. & sur les terres toutes De tout le ciel jecter pluyes, & goutes. 10 Protinus Aeoliis Aquilonem claudit in Incontinent aux cavernes d’Eole … [antris … 156 « OVIDE VEUT PARLER » Les paires formées par la mise en relation d’un passage latin et d’un passage français sur la base du test de la superposition seront désormais appelées « séquences » 31. Le découpage en séquences appelle immédiatement un certain nombre de commentaires. Avant tout, il est utile de rappeler que cette analyse ne prétend pas à ce stade évaluer les mises en correspondance lexicales : le fait de relier par un trait les mots qui, dans la version française, reprennent de façon évidente les mots latins ne signifie pas ériger cette correspondance en reconnaissance de l’équivalence au sens fort que la théorie de la traduction donne à ce mot. Il s’agit – de façon presque physique – d’établir par quels moyens Marot recompose en français les éléments du texte latin. L’analyse porte sur la recherche d’unités dans le travail de traduction, c’est-à-dire de zones de stabilisation. Etant donné l’intégration progressive des éléments constituant la chaîne verbale, le croisement des traits dans le test de la superposition indique une progression différenciée du texte latin et du texte français : il signifie soit qu’un mot latin repousse son correspondant dans la version française, soit qu’un mot français anticipe sur l’apparition de son correspondant latin. Dans les deux cas, la clôture informationnelle ne peut être considérée comme réalisée que si l’unité contient la correspondance entre mot latin et mot français : pour réaliser la clôture informationnelle, l’unité grandit donc jusqu’au moment où elle contient tous les éléments à l’origine d’un croisement. L’intérêt du test de la superposition est de permettre de procéder au découpage en unités de clôture informationnelle grâce à une méthode extrêmement simple, limitant au maximum les présupposés théoriques sur le processus suivi par le travail du traducteur. La nature propre des séquences informationnellement closes issues du test de la superposition permet de considérer que toutes les substitutions éventuellement opérées par le traducteur à l’intérieur de la séquence n’ont aucune incidence informationnelle sur la séquence qui précède ou qui suit. 31 Les chiffres 1 à 10 apparaissant dans le tableau servent à numéroter les séquences, de façon à ne pas avoir à les recopier systématiquement dans la suite de l’analyse. IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 157 On ne peut toutefois conclure que les substitutions à l’intérieur de telles séquences n’ont pas d’incidence formelle. A supposer simplement qu’une substitution implique l’utilisation d’un mot français comportant une syllabe de plus, la nouvelle stabilisation, qui nécessite une compensation sous une forme ou sous une autre, peut impliquer des modifications à l’intérieur de la séquence en cause, ou dans la séquence suivante, dans le cas du rejet par exemple. C’est la raison pour laquelle la clôture formelle est envisagée comme la propriété de telle séquence réalisée, non comme une caractéristique garantie au-delà des toutes les substitutions possibles 32. Dans le découpage réalisé ci-dessus, la séquence 6 présente un contexte dans lequel clôture informationnelle et clôture formelle peuvent être mises en évidence directement à partir du test de la superposition qui associe un vers latin à deux vers français dont la rime est fermée. Il s’agit à vrai dire de la situation que l’on retrouve le plus fréquemment dans le Premier Livre, qui témoigne d’un passage où s’affirme la maîtrise du traducteur. Celle-ci est confirmée par le traitement de la rime : on peut en effet constater que le complément du nom « de feu chargés » qui termine le vers français de la séquence 6 consiste en la remontée – au niveau explicite – d’un présupposé concernant les dards forgés par les Cyclopes dont se sert habituellement Jupiter, à savoir qu’ils sont constitués de feu. Marot a pu être rendu attentif à la nature foudroyante des traits forgés par les Cyclopes par le commentaire de Regius : Tela reponuntur. Fulmina a Cyclopibus confecta. Cyclopes enim Iovi fulmina confecisse dicuntur. Fuerunt autem populi Siciliae unum in media fronte oculum habentes 33. Comme dans le cas des temples peints évoqués plus haut, mais sur la base d’un exemple référentiellement plus fidèle à la version d’Ovide, la version française manifeste le souci de Marot 32 33 La consultation du ms. Douce 117 permet cependant de constater que les séquences définies par la méthode de découpage décrite dans la présente étude correspondent dans presque tous les cas au découpage établi par la comparaison entre manuscrit et texte imprimé : seules deux exceptions ont été notées, qui peuvent toutefois être expliquées dans le cadre théorique exposé ici. Regius, p. 32. 158 « OVIDE VEUT PARLER » de rendre le texte plus facilement accessible au public français en établissant explicitement le lien entre les traits des Cyclopes et la foudre jupitérienne. La séquence 1 réalise également la clôture formelle dès l’application du test de la superposition : comme elle se termine sur une rime, elle n’implique pas de contrainte formelle sur la séquence suivante. 1 Sed timuit, ne forte sacer tot ab ignibus aether Mais il craignit, que du ciel la facture Conciperet flammas longusque ardesceret axis. Par tant de feuz ne conceut d’adventure Quelcque grand’flamme, & que [soubdainement Bruslé ne fust tout le hault firmament. Les séquences 4 et 5 réalisent également la clôture formelle, même si elles ont pour particularité de comporter chacune un vers latin incomplet. 4 Quo mare, quo tellus correptaque regia caeli Ardeat, Que mer, que terre, & la maison prisée Du ciel luysant ardra toute embrasée, 5 et mundi moles obsessa laboret. Et qu’on doibt veoir le tresgrand edifice Du monde rond en labeur, & supplice. On pourrait être tenté de fusionner les deux séquences pour n’en considérer qu’une comportant deux vers latins complets : au vu de la méthode adoptée pour le découpage en séquence, il n’y a cependant aucune raison de le faire, sauf à considérer (mais c’est peu probable) que la conjonction de coordination française dans « qu’on doibt veoir » correspond à l’explicite « quo » du vers latin qui précède, au lieu d’être simplement une explicitation de la conjonction latine sous-entendue dans «et mundi moles obsessa laboret ». La séparation des séquences 4 et 5, issue de la définition des clôtures informationnelle et formelle, souligne en réalité très bien que les unités pertinentes pour l’étude de la traduction ne peuvent être définies à partir d’un élément uniquement propre à l’une des deux langues. Avec les séquences 4 et 5, on voit nettement qu’il n’y a aucune raison de penser que le traducteur opère forcément vers complet après vers complet. IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 159 Les séquences 2 et 3, ainsi que les séquences 7, 8 présentent des contextes où la clôture formelle impose de fusionner les séquences pour prendre en compte la nécessité pour le traducteur de traiter simultanément deux vers reliés par la rime. La variante du ms. Douce 117 pour la séquence 9 permet quant à elle de confirmer que la clôture formelle se trouve réalisée après « Le mortel genre ». 2 Esse quoque in fatis reminiscitur Puis luy souvint, qu’il est predestiné 3 adfore tempus 7 Poena placet diuersa, 8 Qu’advenir doibt ung temps determiné, Et d’une peine au feu toute contraire Luy plaist user : car soubs eaues veult deffaire genus mortale sub undis Le mortel genre, Perdere 9 & sur les terres toutes et ex omni nimbos demittere caelo. De tout le ciel jecter pluyes, & goutes. Ovide, v. 260-261 Traduction Lafaye, p. 16 Poena placet diuersa, genus mortale sub et choisit un châtiment tout différent ; il [undis décide d’anéantir le genre humain sous Perdere les eaux, et ex omni nimbos demittere caelo. versées par les nuées de tous les points du ciel. ms. Douce 117, v. 506-509 Edition Defaux, v. 509-512 Et d’une peine au feu toute contraire Luy playt user. Car soubz eaux veult [deffaire Le mortel genre / Et d’une peine au feu toute contraire Luy plaist user ; car soubs eaues veult deffaire Le mortel genre Et de tout le ciel cloz Jecter çà bas les pluies à grandz flotz. & sur les terres toutes De tout le ciel jecter pluyes, & goutes. 160 « OVIDE VEUT PARLER » Le maintien du rejet montre qu’il ne faut pas surestimer la difficulté représentée par le nombre limité de syllabes dans le vers qui ouvre la séquence qui suit : la variante enregistrée par rapport au ms. Douce 117 présente une modification importante avec le changement de rime (« toutes »/ « goutes » se substituant à « cloz »/ « flots »), mais elle tient parfaitement dans l’espace syllabique à disposition. Il importe de décrire les arbitrages spécifiques de la clôture formelle, qui impliquent la constitution d’unités tenant compte de critères propres à l’approche littéraire de la traduction. Considérée isolément, la clôture informationnelle aboutirait à des fragments dont il serait difficile de soutenir qu’ils sont réalisés d’une façon totalement indépendante les uns des autres : un demi-vers latin pour un vers français, le plus souvent. La réflexion purement formaliste, basée exclusivement sur la clôture informationnelle, aboutit à un découpage que la réflexion littéraire, qui prend en compte la clôture formelle, pousse à dépasser : la reconnaissance des séquences constituant les unités sur lesquelles travaille le traducteur, aussi méthodique soit-elle, n’implique pas de faire l’économie des enseignements tirés de l’analyse critique classique. Le découpage définitif devient alors : 1 Sed timuit, ne forte sacer tot ab ignibus aether Mais il craignit, que du ciel la facture Conciperet flammas longusque ardesceret Par tant de feuz ne conceut d’adventure axis. Quelcque grand’flamme, & que [soubdainement Bruslé ne fust tout le hault firmament. 2 Esse quoque in fatis reminiscitur adfore Puis luy souvint, qu’il est predestiné tempus Qu’advenir doibt ung temps determiné, 3 Quo mare, quo tellus correptaque regia caeli Ardeat, Que mer, que terre, & la maison prisée Du ciel luysant ardra toute embrasée, 4 et mundi moles obsessa laboret. Et qu’on doibt veoir le tresgrand edifice Du monde rond en labeur, & supplice. 5 Tela reponuntur manibus fabricata Lors on cacha les dardz de feu chargés [Cyclopum ; Des propres mains des Cyclopes forgés, IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 161 6 Poena placet diuersa, genus mortale sub undis Et d’une peine au feu toute contraire Perdere Luy plaist user : car soubs eaues veult deffaire Le mortel genre, 7 et ex omni nimbos demittere caelo. & sur les terres toutes De tout le ciel jecter pluyes, & goutes. 8 Protinus Aeoliis Aquilonem claudit in antris Incontinent aux cavernes d’Eole Avant de poursuivre la discussion des unités de travail du traducteur, il n’est pas inutile de revenir au détail du test de la superposition présenté. Procéder à celui-ci permet de mettre sur la deux caractéristiques très importantes dans les solutions retenues par Marot traducteur, à savoir : 1. L’ordre des mots du français : si, dans la représentation du test de la superposition, quelques traits mettant en correspondance le latin et le français se croisent, on constate également que des traits nettement plus nombreux ne se croisent pas. Cette caractéristique permet d’établir de façon très rapide que l’ordre des mots en français tend à correspondre à celui du latin. On prend toute la mesure d’un tel constat dès lors que l’on se souvient que la réflexion sur la grammaire laisserait attendre plutôt l’extrême rareté de la correspondance de l’ordre des mots du latin et du français, le latin fonctionnant selon un schéma Sujet-Objet-Verbe (SOV), alors que le français suit plutôt un schéma Sujet-Verbe-Objet (SVO). Il est donc remarquable que le traducteur parvienne à donner une version française dans laquelle la succession des mots en correspondance suit l’ordre du latin. Cette observation rejoint, et confirme, celle opérée dès le début de l’analyse à propos des vers débutant par des mots correspondants. 2. Les mots ajoutés par Marot : ces mots constituent une sorte de violation de l’idée même de traduction, puisque le traducteur ajoute des éléments de son cru, totalement absents du texte source. On a vu, dans l’exemple des dards forgés par les Cyclopes, que ces ajouts participent 162 « OVIDE VEUT PARLER » parfois de façon tout à fait remarquable à la clôture formelle puisque, dans ce cas-là, l’ajout « de feu chargés » permettait la réalisation de la rime. Une autre caractéristique de ces ajouts vient de ce que leur apparition peut être expliquée au travers de calculs interprétatifs par l’exploitation du présupposé ou du sousentendu, au sens de Catherine Kerbrat-Orechioni 34. Pour reprendre l’exemple cité, le feu dont sont chargés les dards de Jupiter appartient aux présupposés contenus dans leur dénotation : l’ajout de Marot consiste simplement à rendre explicite une caractéristique qui reste implicite chez Ovide. De la même façon, mais suivant un calcul interprétatif différent, le supplice qu’imposerait la destruction par le feu dont il est question dans la séquence 4 est fortement sous-entendu au travers de la connotation qu’il faut sélectionner dans le mot français « labeur » qu’il accompagne ou les connotations du verbe latin « laboret ». Marot choisit donc des ajouts, qui, d’une certaine manière, n’ajoutent rien – ou si peu – à l’information contenue dans la version latine. Comprendre l’intérêt des séquences en tant qu’unités de travail de Marot implique d’examiner leur pertinence descriptive en les contrastant avec les unités de la syntaxe ou de la versification habituellement considérées dans la description des textes, aussi bien dans le domaine de la traduction que dans celui de l’analyse littéraire. LA DIFFÉRENCE AVEC LES UNITÉS DE LA SYNTAXE ET DE LA VERSIFICATION La recherche d’unités pertinentes vise à baser le commentaire de texte sur une description susceptible de prendre en compte les spécificités techniques de l’exercice. Le commentaire se doit 34 Catherine Kerbrat-Orechionni, L’Implicite, Paris, Armand Colin, 1986. IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 163 d’identifier les logiques intrinsèques du processus de traduction, de façon à mesurer la spécificité du geste de Marot traducteur. La nature de la relation entre unités syntaxiques et séquences de traduction peut être illustrée premièrement à partir de la séquence dans laquelle Jupiter se rappelle d’une prophétie annonçant la fin du monde : Esse quoque in fatis reminiscitur adfore tempus Puis luy souvint, qu’il est predestiné Qu’advenir doibt ung temps determiné La partie latine de la séquence est composée par une principale et une subordonnée qui ne sont pas séparées par le processus de traduction. La deuxième subordonnée latine « quo mare, quo tellus correptaque regia caeli ardeat » est quant à elle traitée dans la séquence suivante. Le découpage en séquences n’est conditionné ni par le niveau de la phrase complexe, ni par celui de la proposition. Parfois, une seule composante de la proposition constitue l’ensemble de la séquence. Le phénomène peut être observé dans des situations très particulières, comme une apostrophe occupant tout un vers latin lorsque Deucalion s’adresse à sa femme Pyrrha : Ovide, v. 351 Edition Defaux, v. 691-692 O soror, o coniunx, o femina sola superstes, O Chere Espouse, ô ma sœur honnorée, O femme seulle au monde demourée, La structure particulière de l’apostrophe pourrait faire penser à un traitement se rapprochant de celui de la proposition, mais il est possible d’observer des contextes dans lesquels des composants majeurs de la proposition, comme le sujet, constituent la totalité de la séquence. C’est le cas dans cet extrait décrivant la réunion des fleuves (Sperchios, Enipée, Amphrise, Eridan, Eas) dans la région de Tempé (les passages soulignés indiquent des séquences à considérer) : Ovide, v. 579-581 Edition Defaux, v. 1145-1150 Populifer Sperchios et inrequietus Enipeus Sperche y vint à propos, Pourtant Peupliers, Enyphe sans repos, Eridanusque senex lenisque Amphrysos et Aeas, Moxque amnes alii, Le doulx Amphrise, & le vieil Apidain Avec Eas : d’aultres fleuves soubdain Y sont venuz, qui, qua tulit impetus illos, qui, de quelcque costé Où soyent portés d’impetuosité, 164 « OVIDE VEUT PARLER » On trouve également des séquences composées sur un élément de la proposition autre que le sujet, par exemple dans un extrait décrivant l’Age d’Or : Ovide, v. 98-100 Edition Defaux, v. 191-196 Non tuba directi, non aeris cornua flexi, Non galeae, non ensis erat ; Trompes, clerons d’Aerain droit, ou tortu, L’armet, la lance, & le glaive poinctu N’estoit encor. sine militis usu Mollia securae peragebant otia gentes. Sans usage, & alarmes De chevaliers, de pietons, & gensd’armes Les gens alors seurement en touts cas Accomplissoyent leurs plaisirs delicats. Le travail sur les unités isolées de la proposition confirme une caractéristique importante du processus d’analyse et de reconstruction auquel se livre le traducteur : la stabilisation recherchée du côté de la partie française de la version n’est pas soumise à un niveau unique de la division de la syntaxe latine. Elle peut, selon les cas, s’appuyer sur la phrase, sur la proposition ou sur un élément unique de la proposition. En d’autres termes, le traducteur ne se livre pas à une division syntaxique a priori du texte source (par exemple, en principales et subordonnées), avant de traiter individuellement les divisions ainsi définies. Il faut noter par ailleurs que, si le traitement d’éléments uniques de la proposition est beaucoup plus rare que le traitement d’éléments combinés (sujet-verbe, verbe-complément), aucune variante n’est notée entre le ms. Douce 117 et la version publiée en ce qui concerne les exemples discutés ci-dessus. Le traitement d’éléments syntaxiques isolés semble stabiliser le texte en tant que tel. Dès lors qu’est considéré un niveau plus élémentaire de la syntaxe, celui de l’ordre des mots, des caractéristiques majeures de la version cible peuvent être mises en évidence. La tendance du traducteur à conserver en français l’ordre des mots latins a été observée plus haut. Il est possible également de mettre en évidence la stabilité de l’ordre des mots au travers des comparaisons avec le ms. Douce 117, comme dans cet extrait décrivant l’Age d’Or : IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 165 Ovide, v. 107-108 Traduction Lafaye, p. 11 Ver erat aeternum, placidique tepentibus auris Mulcebant zephyri natos sine semine flores. Le printemps était éternel et les paisibles zéphyrs caressaient de leurs tièdes haleines les fleurs nées sans semence. ms. Douce 117, v. 207-210 Edition Defaux, v. 209-212 Le beau printemps / chacun jour florissoit Et Zephyrus / le bon vent nourrissoit Par doulx souspirs / et alaines bien duyctes Les belles fleurs sans semence produictes Printemps le verd regnoit incessamment, Et Zephyrus souspirant doulcement Souefves rendoit par tiedes alenées Les belles fleurs sans semence bien nées. La séquence « printemps – zéphyr – fleurs », initiée dans le texte d’Ovide, se retrouve dans les deux versions de Marot, et même dans la traduction Lafaye. On se trouve ici au cœur même de la définition de la traduction : l’intrigue du texte cible, au sens qu’Umberto Eco donne à ce mot, adhère le plus possible à celle du texte source. La reproduction d’une intrigue parfaitement équivalente est cependant empêchée par la résistance de la grammaire française, que Dolet aurait sans doute appelée « harmonie de langage » : dans les trois versions françaises, le complément « sans semence » suit le nom « fleurs », alors qu’en latin « sine semine » précède « flores ». Choisir la conformité à l’intrigue source comme critère de qualité de la traduction constitue une prise de position esthétique qui peut trouver ses détracteurs chez ceux qui estiment que la logique de la langue cible doit pouvoir s’imposer totalement. Mesurer les différences de traitement de traitement de l’intrigue entre texte source et texte cible représente un moyen central de caractériser le geste du traducteur. En ce qui concerne Clément Marot, les variantes observables dans le ms. Douce 117 sont particulièrement révélatrices. L’ordre des mots transcende parfois complètement la révision du texte, par exemple dans cette séquence extraite du discours de Deucalion à Pyrrha : Ovide, v. 365 Nunc genus in nobis restat mortale duobus. Traduction Lafaye, p. 20 Aujourd’hui nous sommes à nous deux tout ce qui subsiste de la race mortelle ; ms. Douce 117, v. 712-713 Edition Defaux, v. 717-718 Presentement chere espouse et affine. Le mortel genre en nous deux reste et fine. Le Genre humain reste en nous deux, & pour ce Doit en nous deux prendre fin ou resource ; 166 « OVIDE VEUT PARLER » La version Lafaye donne une formulation qui ne cherche pas à reproduire la séquence latine « genus – nobis – restat ». La version ms. Douce 117 et la version publiée telle que la présente l’édition Defaux présentent toutes deux une formule très proche de l’original latin où les trois éléments considérés se succèdent dans l’ordre du texte source. La version publiée peut être considérée comme une tentative de rendre la structure très sophistiquée du vers d’Ovide où « mortale » et « duobus » reprennent comme en écho « genus » et « nobis » : répétition de « en nous deux », écho généré par « reste » et « prendre fin ou resource ». La révision tend à recentrer la version sur l’original latin en insistant sur l’image de Deucalion et Pyrrha désormais seuls au monde. Il est remarquable toutefois que l’ordre des mots ait été acquis dès le ms. Douce 117. Proche de la question de l’ordre des mots, l’observation de leur position amène à des considérations à cheval sur la syntaxe et la versification. Certaines figures de construction (rejet, contrerejet) impliquent un traitement spécifique par le traducteur. L’intérêt de la méthode retenue pour le découpage en séquences consiste à permettre d’identifier aisément comment la version de Marot articule syntaxe et versification, comme dans ce passage où, peu avant le déluge, Jupiter convoque les dieux en son conseil : Ovide, v. 244-245 Dicta Iovis pars uoce probant stimulosque [frementi Adiciunt, Traduction Lafaye, p. 15 Parmi les dieux les uns appuient de leurs avis le discours de Jupiter et aiguillonnent sa fureur. ms. Douce 117, v. 474-476 Edition Defaux, v. 477-479 Aucuns des dieux par voix les dictz Alors de bouche aulcuns des Dieux [approuvent [approuvent De Jupiter / Et stimulent et mouvent L’arrest donné par Juppiter, & mouvent Plus son courroux / Plus son courroux. Le maintien du rejet répond à l’enjambement liant les deux vers latins. La révision, du ms. Douce 117 à la version publiée telle que la présente l’édition Defaux, opérée à l’intérieur de la séquence, vise à fluidifier la syntaxe française : de façon caractéristique, elle conserve l’arrêt net occasionné par le rejet. IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 167 Au carrefour de la syntaxe et de la versification, les figures de construction amènent des contextes de choix pour l’observation de la technique du traducteur. L’importance habituellement attribuée aux unités syntaxiques entre en concurrence avec le formalisme requis par un découpage systématique. Dans un passage annonçant le déclenchement du déluge peu après la mort de Lycaon, la prise en compte de la ponctuation et des variantes du ms. Douce 117 amène un premier découpage : Ovide, v. 240-242 Traduction Lafaye, p. 15 Occidit una domus ; sed non domus una perire Digna fuit ; qua terra patet, fera regnat Erinys ; In facinus iurasse putes. Une seule maison a été frappée ; mais plus d’une maison était digne de périr ; sur toute l’étendue de la terre règne la sauvage Erinys ; on dirait une conjuration pour le crime. ms. Douce 117, v. 466-471 Edition Defaux, v. 469-474 Or est tumbé ung manoir en ruyne Mais ung manoir / tout seul n’a esté digne D’estre pery. par tout ou paroit terre Regne Erynnis aymant peché et guerre. Or est tumbé ung manoir en ruine Mais ung manoir tout seul n’a esté digne D’estre pery : par tout où paroist terre, Regne Erinnys aymant peché, & guerre. Et en tous lieux pensez qu’on a juré De soustenir vice desmesuré. Et si diriez, que touts ils ont juré De maintenir vice desmesuré. On peut être tenté de s’arrêter là. A bien y regarder cependant, les choses ne sont pas si simples. Le test de la superposition révèle en effet deux autres zones de découpage. L’une après la première occurrence de « domus » dans le premier vers latin et après « ruine » dans le premier vers français ; la seconde après « fuit » dans le deuxième vers latin et « pery » dans le troisième vers français. L’application de la notion de clôture formelle aboutit à ne pas retenir la première zone de découpage. Il n’y a cependant aucune raison de ne pas maintenir la deuxième zone de découpage. Le découpage formellement abouti devient alors : Occidit una domus ; sed non domus una Or est tumbé ung manoir en ruine perire Digna fuit ; Mais ung manoir tout seul n’a esté digne D’estre pery ; qua terra patet, fera regnat Erinys ; par tout où paroist terre, Regne Erinnys aymant peché, & guerre. 168 « OVIDE VEUT PARLER » Le respect du rejet par Marot peut être facilement repéré dans ce découpage conforme à la méthode. Cela étant, la disparition du rejet était, grâce au découpage en séquences, tout aussi facile à constater comme dans un extrait discuté plus haut, qui décrit le moment où Jupiter préfère l’eau au feu pour anéantir le monde : Ovide, v. 257-258 Edition Defaux, v. 503-504 Quo mare, quo tellus correptaque regia Que mer, que terre, & la maison prisée caeli Ardeat Du ciel luysant ardra toute embrasée, La question du rejet révèle de façon tout à fait nette que les unités de travail du traducteur ne se définissent pas exclusivement à partir des unités syntaxiques ou métriques du texte source. Les caractéristiques du texte cible ne sont par conséquent pas exclusivement déterminées par l’analyse de la version latine : d’autres facteurs sont à l’œuvre, dont le découpage en séquence fait pressentir l’existence. La question de la prise en compte des unités de la versification révèle des phénomènes tout à fait analogues à ceux observés pour la syntaxe. La discussion sur la clôture formelle a permis d’entrevoir le rôle central qu’il faut attribuer à la question de la rime dans la définition des unités de travail du traducteur. La comparaison entre le ms. Douce 117 et la version publiée révèle encore plus nettement, à l’intérieur de séquences constituées en suivant les règles exposées ci-dessus, comment le travail sur la rime s’accorde avec l’exigence pragmatique de zones de stabilité nécessaires pour ainsi dire solidifier la version définitive, ainsi dans ce passage de la harangue de Jupiter (l’extrait ci-dessous et ceux qui le suivent sont définis de façon à offrir un contexte minimal ; la partie à discuter est soulignée) : Ovide, v. 209-201 Traduction Lafaye, p. 14 Ille quidem poenas, curam hanc dimittite, [soluit. Quod tamen admissum, quae sit uindicta, [docebo. L’homme a payé sa dette ; bannissez à ce sujet tout inquiétude. Quel que fut son crime, quelle est la punition, c’est ce que je vais vous apprendre. Contigerat nostras infamia temporis aures ; La renommée des opprobres du siècle avait frappé mes oreilles ; IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 169 ms. Douce 117, v. 404-409 Les peines a (ne vous chaille) souffertes Mais quoy qu’il ayt receu telles dessertes Si vous diray je en resolution Quel est le cryme et la pugnition. Edition Defaux, v. 407-412 Les peines a (ne vous chaille) souffertes : Mais quoy qu’il ait receu telles dessertes, Si vous diray je en resolution, Quel est le crime, & la punition. D’icelluy temps / l’infamie à merveilles Avoit attainct maintesfois noz oreilles. De ce dur temps l’infamie à merveilles Venoit souvent jusques à noz oreilles : Ou, dans un autre passage de la harangue de Jupiter : Ovide, v. 190-191 Traduction Lafaye, p. 14 Cuncta prius temptata ; sed inmedicabile uulnus [J’ai] tout tenté auparavant, mais la plaie est incurable et il faut la retrancher avec le fer, pour que la partie saine ne soit pas Ense recidendum est, ne pars sincera trahatur. atteinte. ms. Douce 117, v. 368-371 Edition Defaux, 371-374 Quoy que devant / fault toute chose vraye Quoy que devant fault toute chose vraye Bien esprouver / mais l’incurable playe Bien esprouver : mais l’incurable playe Convient coupper / par espée acerée Que la par saine/à mal ne soit tirée. Par glaive fault tousjours coupper à haste, Que la part saine elle n’infecte & gaste. Ou encore, toujours dans la harangue de Jupiter : Ovide, v. 260-261 Traduction Lafaye, p. 16 Poena placet diuersa, genus mortale sub undis Perdere et choisit un châtiment tout différent ; il décide d’anéantir le genre humain sous les eaux, versées par les nuées de tous les et ex omni nimbos demittere caelo. points du ciel. ms. Douce 117, v. 506-509 Edition Defaux, v. 509-512 Et d’une peine au feu toute contraire Et d’une peine au feu toute contraire Luy playt user. Car soubz eaux veult Luy plaist user ; car soubs eaues veult [deffaire [deffaire Le mortel genre / Le mortel genre, Et de tout le ciel cloz Jecter çà bas les pluies à grandz flotz. & sur les terres toutes De tout le ciel jecter pluyes, & goutes. En ce qui concerne l’édition Defaux, les trois passages soulignés ci-dessus ont en commun d’avoir tous été définis sur la base 170 « OVIDE VEUT PARLER » du découpage en séquences issu de la méthode exposée cidessus. De façon remarquable, les trois séquences découpées peuvent être mises en correspondance avec les trois variantes observées dans le ms. Douce 117. Les modifications enregistrées renvoient au genre d’actions auquel on peut s’attendre chez un traducteur travaillant sur une version en vers. Dans le premier passage, il s’agit de modifications mineures qui n’affectent pas la rime. Dans le deuxième passage, les modifications sont beaucoup plus importantes, et englobent la rime. Le troisième passage constitue une espèce mixte, dans laquelle les changements sont relativement mineurs, le choix du mot à la rime portant l’essentiel de la révision. La simple comparaison du ms. Douce 117 et de l’édition Defaux suffirait pour baliser les contextes dans lesquels apparaissent les changements observés, mais elle ne mettrait pas en évidence le fait que la portée de ces derniers ne dépasse pas une zone limitée, correspondant à une unité qu’il est à la fois possible et nécessaire de définir dans le travail du traducteur. Ce que le découpage en séquences permet d’observer, c’est en quelque sorte la marge de manœuvre à l’intérieur de laquelle les modifications ont été réalisées, les briques de la « constructio » décrite par Norton au cœur de la traduction. La particularité de ces briques réside dans le fait qu’elles se découpent et se solidifient pendant le processus même de traduction, sans que le traducteur n’ait prédéfini le volume du texte qu’il va traiter. L’existence du ms. Douce 117 permet de disposer d’un jalon dans le processus continu de révision dont il faut rendre compte au cœur de la traduction : les unités autour desquelles ce processus s’est organisé deviennent alors des traces visibles, facilement observables. Si aucun élément syntaxique ne semble déterminant dans la constitution des séquences, la proportion générale d’un vers latin pour deux vers français conduit à interroger la pertinence du recours au vers en tant que mesure de l’unité de travail du traducteur, au-delà de la simple question de la rime. L’hypothèse d’un Marot produisant vers latin après vers latin un distique français dont la rime peut être définie sans contrainte trouve de nombreuses confirmations, notamment dès le début du poème, au moment de la description du chaos : IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 171 Ovide, v. 5-8 Traduction Lafaye, p. 7 Ante mare et terras et, quod tegit omnia, [caelum Avant la mer, la terre et le ciel qui couvre tout, Vnus erat toto naturae vultus in orbe, la nature dans l’univers entier offrait un seul et même aspect ; Quem dixere chaos, rudis indigestaque [moles on l’a appelé le chaos ; ce n’était qu’une masse informe et confuse, Nec quicquam nisi pondus iners congestaque un bloc inerte, un entassement d’éléments eodem. mal unis et discordants. ms. Douce 117, v. 9-16 Edition Defaux, v. 9-16 Avant la mer Avant la terre et l’œuvre Avant la Mer, la Terre, & le grand Oeuvre Du ciel treshault qui toutes choses cœuvre Du Ciel treshault, qui toutes choses cœuvre Il y avoit / en tout le monde enorme Tant seulement / de nature une forme Il y avoit en tout ce Monde enorme Tant seullement de Nature une forme, Dicte Chaos. une chose amassée Une grandeur rudde et mal entassée. Dicte Chaos, ung monceau amassé Gros, grand, & lourd, nullement compassé. Brief ce n’estoit fors ung poix immobile Sans aucun art de soy tout inutile Brief, ce n’estoit qu’une pesanteur vile Sans aulcun art, une masse immobile La nécessité de la clôture formelle conduit à découper les séquences sur le modèle vers latin – distique français, de préférence à un demi vers latin – un vers français : les variantes entre le ms. Douce 117 et la version publiée trouvent toutes leur place à l’intérieur des séquences constituées. La traduction prend une dimension presque ludique : trouver le distique correspondant au vers latin, dont la rime, définie en dehors de l’alternance entre rimes masculines et féminines, peut être fixée en toute liberté. Les variantes recherchées pour la version publiée semblent faciles, dociles à la volonté du traducteur. Le jeu de la clôture informationnelle et de la clôture formelle révèle des structures fort différentes, comme dans ce passage décrivant l’intervention de Triton à la fin du déluge : 172 « OVIDE VEUT PARLER » Ovide, v. 330-341 Traduction Lafaye, p. 18-19 1 Nec maris ira manet Il ne subsiste plus rien des fureurs de la mer ; 2 positoque tricuspide telo déposant son trident, le roi des océans Mulcet aquas rector pelagi apaise les flots ; 3 supraque profundum Extantem atque umeros innato murice tectum Caeruleum Tritona uocat conchaeque sonanti Inspirare iubet fluctusque et flumina signo Iam revocare dato. au-dessus des abîmes se dressait le corps azuré de Triton, les épaules couvertes des poupres qu’il y a vu naître ; le dieu l’appelle, lui ordonne de souffler dans sa conque sonore et de ramener en arrière par un signal les flots de la mer et les fleuves. 4 Caua bucina sumitur illi Tortilis, Triton prend sa trompe, dont la spirale creuse va en s’élargissant depuis la volutre inférieure, 5 in latum quae turbine crescit ab imo, cette trompe qui, à peine animée de son Bucina, souffle 6 quae, medio concepit ubi aera ponto, au milieu de l’océan, fait retentir les Litora rivages 7 uoce replet sub utroque iacentia Phoebo. qui s’étendent aux deux bouts de la carrière de Phébus. 8 Tunc quoque, ut ora dei madida rorantia Alors aussi, dès qu’elle eut touché la [barba bouche du dieu, toute ruisselante de l’eau Contigit et cecinit iussos inflata receptus, que distille sa barbe, et transmis par ses sons éclatants l’ordre de la retraite, 9 Omnibus audita est telluris et aequoris elle se fit entendre à toutes les eaux de la [undis, terre et de la mer. IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE ms. Douce 117, v. 644-667 173 Edition Defaux, v. 649-672 1 aussi l’ire et tempeste. aussi l’ire, & tempeste De la grant mer / çà bas plus ne se arreste De la marine illec plus ne s’arreste. 2 Puis le recteur de toutes mers conjoinctes Puis Neptune sur la mer president, En mectant jus son grant sceptre à trois En mectant jus son grand sceptre, & [poinctes [trident Les eaux appaise Les eaues appaise, 3 et appaise en l’instant. Le vert Triton sur la mer creuse [estant] Le doz couvert de pourpre faict exprès Sans artifice / Et luy commande après Souffler dedans sa resonant Bucine Et rappeller / après avoir faict signe Fleuves et flotz. & huche sans chommer Le verd Triton flotant dessus la mer, Le dos couvert de pourpre faicte expres Sans artifice : et luy commande apres Souffler dedans la resonnant buccine Et rappeller, apres avoir faict signe, Fleuves, & flots. 4 Lors Triton prent et charge Sa trompe creuse et torse en forme large Lors Triton prend, & charge Sa trompe creuse entortillée en large, 5 Qui par le bout d’embas croist tout ainsi Et qui du bas vers le hault croist ainsi Que ung turbillon / Laquelle trompe aussi Qu’ung turbillon : laquelle trompe aussi 6 Après qu’elle a prins air tout au milieu De la grand mer. Chascun rivaige et lieu Apres qu’elle a prins aer tout au milieu De la grand mer, chascun rivage, & lieu 7 Gisans soubz l’ung et soubz l’autre soleil Elle remplit de son bruyt nompareil Gisant soubs l’ung, & soubs l’aultre soleil, Elle remplit de son bruyt non pareil. 8 Laquelle aussi quant elle fut joignante Contre la bouche à Triton degoutante Pour la moycteur de sa barbe chargée Et qu’en enflant la retraicte enchargée Elle eut sonné / Laquelle aussi, quand elle fut joignante Contre la bouche à Triton degoutante Pour la moyteur de sa barbe chargée, Et qu’en soufflant la retraicte enchargée Elle eut sonnée, 9 par tout fut entendue Des eaux de terre / et de mer estendue par tout fut entendue Des eaues de terre, & de mer estendue 174 « OVIDE VEUT PARLER » Dans les séquences 3, 5 et 6, les exigences de la clôture formelle, autour des rimes « expres/apres » (séquence 3) ou « milieu / lieu » (séquence 6) commandent de maintenir unies des zones que la clôture informationnelle aurait séparées. Le découpage révèle un travail qui n’a plus rien à voir avec le jeu délicat des distiques. Certaines formulations semblent à vrai dire assez laborieuses : dans les séquences 3 et 4, la trompe de Triton fait l’objet d’une description technique qui peine à faire voir le recul des mers. L’analyse possible à partir des variantes notées dans le ms. Douce 117 semble confirmer que le passage a donné du fil à retordre au poète (les vers les plus représentatifs sont soulignés). Contrairement à Lafaye, Marot ne recompose pas la syntaxe d’Ovide dans la séquence 3. Pour ce faire, il recompose assez largement l’intrigue (au sens de Eco) du passage : Ovide fait apparaître le Triton, en position d’objet, avant le verbe (« vocat ») qui le met en mouvement ; Marot place le verbe (« appaise »/ « huche ») avant l’objet « verd Triton ». L’évolution du ms. Douce 117 à la version que reflète l’édition Defaux, importante en termes de versification puisqu’elle touche la rime, ne remet pas en cause la distribution syntaxique de la séquence. Les séquences 6 et 7 ne connaissent aucune modification. Alors que, dans la séquence 2, Marot se montre attentif à clarifier la situation pour le public français en abandonnant la version « recteur de toutes les mers » très proche de la formule latine « rector pelagi » pour le plus explicite « Neptune », il maintient, pour la séquence 8, des versions dont la construction semble inhabituellement lourde : nombreux connecteurs, répétition des pronoms en position de sujet, participes présents. L’absence de révision pourrait par ailleurs indiquer que le traducteur ne souhaite par revenir sur un passage qui a pu lui poser des difficultés. L’objectif ultime du découpage en séquences vise à fournir à la discussion critique les unités autour desquelles s’est structuré le travail du traducteur. Aucune unité syntaxique ou métrique 35 35 Le fait que les unités de travail du traducteur semblent se définir en dehors de la structure du vers explique pourquoi l’hypothèse de l’influence de l’hexamètre latin sur le travail du traducteur n’est pas explorée dans la présente étude. IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 175 ne peut être désignée comme point de départ systématique du processus de traduction réalisant simultanément la clôture informationnelle et la clôture formelle. De façon tout à fait révélatrice, il est cependant possible d’observer que les changements opérés par le traducteur à partir du ms. Douce 117 sur divers éléments de la syntaxe ou de la versification sont contenus dans un volume de texte correspondant aux séquences définies par la méthode exposée ci-dessus dans l’édition Defaux. Tout semble indiquer que la consistance du découpage réalisé sur la base de considérations théoriques peut être confirmée par la consultation du ms. Douce 117. La confirmation la plus nette réside dans le passage suivant évoquant l’histoire que Mercure raconte à Argus pour l’endormir : Ovide, v. 701-705 Traduction Lafaye, p. 31-32 Et precibus spretis fugisse per auia à dire comment, insensible à ses prières, la [nympham, nymphe s’enfuit à travers champs Donec harenosi placidum Ladonis ad amnem jusqu’à ce qu’elle arrivât aux eaux paiVenerit ; sibles du Ladon sablonneux ; hic illam cursum impedientibus undis là, arrêtée dans sa course par les ondes, elle Vt se mutarent, liquidas orasse sorores ; avait supplié ses fluides sœurs de ma métaPanaque, cum morphoser. A l’instant où Pan ms. Douce 117, v. 1381-1389 Edition Defaux, v. 1389-1397 C’est assavoir (tel priere ensuivante Mise à despris) la nymphe estre fuyante Par boys espais / C’est assçavoir (tel’ priere ennuyante Mise à despris) La Nymphe estre fuyante Par boys espaiz, tant qu’elle vint à l’eau Doulce et fluant du sablonneux et beau Fleuve Ladon / tant que de grand randon Vint jusque au bort du sablonneux Ladon, Fleuve arresté : Et comment à la suycte Lors que les eaues / empescherent sa fuycte Ses clairs sœurs pria illecques près De la muer Aussi [comment] a après Que Pan & comment à la suyte, Lors que les eaues empescharent sa fuyte, Ses cleres Sœurs pria illecques apres De la muer : aussi comment apres Que Pan Le passage portant les variantes du ms. Douce 117 se détache au cœur d’une vingtaine de vers rigoureusement identiques. Le changement d’une version à l’autre est important : seuls quatre 176 « OVIDE VEUT PARLER » mots sont maintenus (« tant », « sablonneux », « fleuve », « Ladon ») ; la rime est touchée. La consultation du ms. Douce 117 révèle un passage très saillant du point de vue des variantes enregistrées. Il est par conséquent particulièrement révélateur de constater que la recherche des unités de travail du traducteur, basée sur le découpage en séquence, aboutit elle aussi à isoler très exactement le passage en question. La capacité des unités définies par le découpage de contenir entièrement la mécanique des modifications impliquées par le travail de la traduction se trouve confirmée ici de façon particulièrement manifeste 36. La mise en relation d’un découpage en séquences réalisé sur la seule base de la méthode exposée ci-dessus et des variantes du ms. Douce 117 aboutit, dans l’écrasante majorité des cas, à des confirmations du même type : la rigueur du découpage reçoit une forme de confirmation empirique dans le fait que la plus grande partie des révisions tient à l’intérieur du cadre constitué par les séquences. Les unités définies par le découpage en séquences fournissent dès lors à l’analyse le cadre stable nécessaire à la formulation d’hypothèses sur le travail du traducteur. La dimension formelle de la réflexion débouche sur une approche plus spéculative, visant à caractériser le geste de Marot dans le Premier Livre. A la base de cette approche apparaissent plusieurs stratégies identifiées au travers des divers extraits discutés : 1. La quantité de texte contenu dans les unités qui structurent le travail de Marot traducteur ne dépend pas de caractéristiques intrinsèques du texte source. Marot traducteur tend à stabiliser des unités relativement petites, mais son geste n’est déterminé de façon systématique par aucune unité syntaxique ou métrique (vers, proposition, phrase, etc.) unique. 2. Marot traducteur s’autorise l’ajout d’éléments non présents dans le texte source pour réaliser la clôture formelle d’une séquence donnée du texte cible. 36 Par ailleurs, l’expression « Fleuve arresté » pour « placidum amnem » facilite l’interprétation à donner au « sablonneux Ladon » en établissant de façon implicite la nature tranquille du fleuve. L’observation permet d’établir que Marot revient à l’original ovidien au moment d’établir la version imprimée. Le même mouvement peut être constaté dans un certain nombre d’autres séquences. IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE 177 3. Marot traducteur vise à conserver au maximum l’intrigue du texte source, et son geste est largement conditionné par l’ordre des mots dans le texte source. La réflexion commence à identifier une forme d’intentionnalité de la traduction. Poser le problème en ces termes revient à opérer une révolution copernicienne dans l’approche de la traduction. Le texte cible ne s’explique plus par une simple analyse des caractéristiques du texte source, caractéristiques supposées définir de façon univoque les choix opérés dans le texte cible. Il s’agit au contraire de repérer certaines caractéristiques précises du texte cible qui exercent une influence directe sur les choix opérés par le traducteur. CHAPITRE V INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT Le contraste entre les unités de la syntaxe et de la versification et les séquences mises en évidence dans le travail de Marot traducteur a permis une première approche de la technique appliquée dans l’élaboration du Premier Livre. La rigeur du découpage en séquences établi notamment au travers de la consultation des variantes du ms. Douce 117 permet l’observation d’unités pertinentes. Elle invite en outre à approfondir la description en vue d’accéder au niveau de généralisation utile au commentaire de texte. On se rend compte rapidement que le niveau d’analyse le plus souvent retenu par les commentateurs de la traduction appelle la comparaison entre les parties du discours. Une telle comparaison se trouve à l’origine d’un commentaire de Georg Luck 1 qui note au sujet d’un passage décrivant le déluge : On constate que Marot a remplacé la phrase latine deus ipse, « luimême » ou bien « le dieu lui-même », par le nom exact du dieu en question, Neptune. C’est une interprétation pour le bénéfice du lecteur, peut-être tirée d’un commentaire dont Marot se servait. On retrouve dans cette remarque le schéma le plus habituel de l’approche critique de la traduction : l’enregistrement d’une variation sur la base d’une comparaison directe du texte source et du texte cible à propos d’un mot précis, accompagnée immédiatement d’une hypothèse sur la valeur du changement enregistré (« interprétation pour le bénéfice du lecteur », c’est-à-dire 1 Georg Luck, « Tenerorum lusor amoroum : Marot disciple d’Ovide », p. 72. 180 « OVIDE VEUT PARLER » compréhension facilitée de l’allusion mythologique) et d’une hypothèse – exprimée ici avec une certaine légèreté (Regius n’est pas cité) – sur l’origine possible du changement. Le quoi, le pourquoi et le comment s’associent naturellement pour expliquer le geste du traducteur. En reprenant la séquence à laquelle Georg Luck fait allusion, on constate rapidement que la question ne peut être abordée de façon aussi définitive : Ovide, v. 283-284 Edition Defaux, v. 555-558 Ipse tridente suo terram percussit, at illa Intremuit motuque uias patefecit aquarum. Neptune adoncq’ de son Sceptre massif Frappa la terre & du coup excessif Elle trembla, si que du mouvement Elle feit voye aux eaues appertement. Neptune apparaît bien à la place du pronom « ipse », mais on peut remarquer la transformation du trident en « Sceptre massif ». Si Marot suit bel et bien la leçon de Regius qui indique : « Ipse. Neptunus », il néglige complètement la suite du commentaire de l’humaniste qui insiste sur le trident, attribut majeur du dieu de la mer : Tridente suo. Ut Jovi fulmen : sic Neptuno tridens attribuitur : quo dum percussit terram, semper fit terrae motus 2. Pour deux substantifs consécutifs chez Ovide, Marot utilise deux stratégies diamétralement opposées : il explicite le pronom « ipse » par le nom propre « Neptune », mais il masque le trident sous les traits du « Sceptre massif ». La divergence dans les stratégies est d’autant plus frappante que le commentaire de Regius – en établissant la comparaison avec Jupiter – éclaire le paradoxe qui veut que Jupiter tout puissant ait en quelque sorte besoin de Neptune pour déclencher le déluge : on comprend – à travers le commentaire – que c’est le trident de Neptune qui est nécessaire à la cohérence du récit, puisque le trident provoque toujours (« semper ») des tremblements de terre, lorsqu’il frappe la terre. De plus, si l’on s’intéresse aux vers précédant la séquence en question, on constate que Neptune apparaît dix vers plus haut dans Ovide sous l’expression « frater cerruleus », elle aussi éclai2 Regius, p. 33. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 181 rée par Regius : « Caeruleus frater. Periphrasis Neptuni. » 3 Le pronom « ipse » constitue la deuxième reprise anaphorique désignant Neptune, la première étant sous-entendue huit vers plus haut dans un verbe conjugué (« convocat »). Entre la première et la deuxième reprise anaphorique, le texte est occupé d’abord sur deux vers par un discours à la deuxième personne du pluriel dans lequel Neptune ordonne à ses fleuves de sortir de leurs lits, ensuite, par un court récit de deux vers décrivant à la troisième personne du pluriel le débordement des cours d’eau. Pour ce qui est du latin, le pronom « ipse » apparaît comme largement suffisant en tant que rappel anaphorique de Neptune, puisqu’aucun autre actant n’est évoqué à la troisième personne du singulier depuis « frater cerruleus ». En ce qui concerne la version française de Marot, elle compte seize vers séparant la première occurrence de « Neptune » de celle de la séquence : un rappel anaphorique à l’aide de la formule « lui-même frappa » ne serait en soi pas ambigu, même si la distance avec la première occurrence du mot Neptune peut tout à fait justifier une répétition. On serait bien en peine, sur la seule base des choix lexicaux du français, d’arbitrer entre les deux stratégies mises au jour dans le texte. On peut suivre Luck en considérant que le choix de Neptune est au bénéfice du lecteur, mais on peut argumenter également qu’il faut se demander si le bénéfice est si déterminant, puisqu’une formule plus proche du latin n’aurait pas généré de difficulté d’interprétation majeure. Cependant, en suivant Luck dans l’idée du bénéfice du lecteur par l’éclairage des références mythologiques, on n’arrive pas à expliquer que le trident se cache sous le « Sceptre massif » 4. Si l’on choisit une approche plus génétique décrivant l’influence de Regius sur les choix de Marot, une autre contradiction se dessine : dans le même vers, Marot suit Regius en nommant explicitement Neptune et ne suit pas Regius en ne mentionnant pas le trident. On voit donc comment la comparaison terme à terme conduit à des questions qu’elle ne peut trancher, même si elle révèle tout de même au passage des éléments capitaux pour l’observation du travail du traducteur. 3 4 Regius, p. 32. On peut exclure l’hypothèse de la non-disponibilité du mot « trident » à l’époque de la traduction du Premier Livre, puisqu’on retrouve le terme ailleurs dans le texte (v. 652). 182 « OVIDE VEUT PARLER » Dans le domaine de la comparaison terme à terme des unités lexicales – qui, encore une fois, constitue le niveau d’analyse le plus courant en matière de critique littéraire 5 – toute conclusion doit être considérée comme risquée sans le recours à une approche permettant de considérer d’abord l’ensemble du travail du traducteur. Fonder cette approche exige d’identifier d’abord les unités linguistiques pertinentes pour la comparaison terme à terme du texte source et du texte cible. Dans le contexte spécifique de la traduction, certaines caractéristiques sont à prendre en compte dans la recherche des unités linguistiques : 1. Les unités recherchées gagneront à être définies de façon « translinguistique », c’est-à-dire qu’il faut définir des unités telles qu’il soit possible de les identifier facilement aussi bien dans le texte source que dans le texte cible. 2. Les unités recherchées doivent permettre de distinguer différents niveaux de choix pour le traducteur : les déterminants, par exemple, sont en grande partie définis par le nom qu’ils déterminent, puisqu’ils dépendent de celui-ci non seulement sur la question du genre et du nombre, mais également sur le type de relation qu’ils expriment par rapport à celui-ci (possession, démonstration, etc.). Il en va de même pour les prépositions par rapport au verbe qui les régit ou au complément qu’elles introduisent. Il y a des unités de niveau supérieur qui déterminent des unités de niveau inférieur. La grille d’analyse de la traduction doit s’attacher avant tout aux unités de niveau supérieur, puisque les unités de niveau inférieur dépendent en grande partie des choix réalisés pour les unités de niveau supérieur. 3. Les unités recherchées visent à constituer une grille permettant d’observer le travail de traducteur, non à théoriser pour elle-même la langue source ou la langue cible. Il est par conséquent possible – pour établir cette grille – de renoncer à observer certaines dimensions de la langue source ou de 5 D’autres niveaux d’analyse sont pris en compte par la théorie de la traduction, mais – appliqués à la critique littéraire – ils substitueraient l’analyse de la traduction à l’analyse du texte traduit. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 183 la langue cible, puisqu’il ne s’agit pas de donner une description exhaustive des langues respectives. Les parties du discours telles qu’elles sont énumérées et décrites dans Le Bon Usage ou dans d’autres descriptions normatives de la langue françaises ne remplissent pas les conditions énumérées ci-dessus et ne sauraient par conséquent fournir une liste d’unités pertinentes pour l’étude qu’il faut opérer. Poursuivre l’étude de la technique du traducteur implique de choisir un modèle syntaxique susceptible d’observer avec rigueur la construction du texte source et du texte cible. CHOISIR UN MODÈLE SYNTAXIQUE La notion d’intrigue ainsi que l’a définie Umberto Eco dans le cadre de la traduction met en évidence que la négociation centrale à laquelle se livre le traducteur se situe au niveau de la phrase 6. L’étude du découpage du texte révèle que cette négociation doit tenir compte d’une mécanique spécifique générée par l’interdépendance de certains éléments : il faut être capable de discuter l’éventuelle relation entre la sémantique et la syntaxe. La notion de valence verbale introduite par Lucien Tesnière apporte les éléments nécessaires à la description de cette mécanique. Marie-José Béguelin résume en quelques lignes la notion de valence verbale : […] tous les verbes n’admettent pas n’importe quel type de complément : ils en sélectionnent, c’est-à-dire en impliquent certains (on dit aussi que le verbe « crée des places » de compléments). Dans la mesure où les compléments sélectionnés sont nécessaires à la « fermeture » de la structure verbale, ils entretiennent une relation particulièrement étroite avec le verbe, dont ils constituent la valence. La métaphore de la valence, d’origine chimique, a été introduite dans les études linguistiques par Lucien Tesnière, pionnier des études sur le « nœud verbal ». Par valence, Tesnière entend le nombre d’actants 6 Le terme « phrase » n’est pas sans lui-même poser problème au niveau de la théorie linguistique : il est utilisé ici dans son acception la plus banale, sans prise de position théorique à son sujet, parce qu’il désigne une réalité grammaticale facilement identifiable par tout lecteur. 184 « OVIDE VEUT PARLER » que le verbe peut régir, les actants étant eux-mêmes définis comme les êtres ou les choses participant au procès 7. L’intérêt de la notion de valence consiste à permettre l’identification d’une sorte d’interface entre la fabula et l’intrigue, au niveau de la phrase simple. On peut considérer en effet que la notion du procès 8 mis en action par un verbe recoupe presque parfaitement la notion de fabula : il s’agit au fond de la référence que la phrase construit dans l’esprit du lecteur. La valence verbale quant à elle traduit le procès/la fabula en distribuant les actants au niveau syntaxique. Si l’on considère les positions de Zephyrus et d’Auster dans la traduction de Marot 9, on voit bien que les actants jouent le même rôle sémantique en latin et en français (agent de l’action), mais occupent des positions syntaxiques différentes dans les deux langues 10. Le choix d’un verbe par le traducteur implique donc le choix d’une valence verbale et, partant, influence directement la question du maintien de l’intrigue au niveau de la phrase simple. Pour rendre compte de la traduction en s’appuyant sur la notion de valence verbale, il est possible d’avancer les catégories suivantes (qui ne viennent pas directement de Tesnière) : – le syntagme nominal sujet (SN sujet) 11 – le syntagme nominal appartenant à la valence verbale (SN dans valence verbale) 7 8 9 10 11 Marie-José Béguelin et alii, De la phrase aux énoncés : grammaire scolaire et descriptions linguistiques, De Boeck, Bruxelles, 2000, p. 149. Tesnière lui-même invite à voir chaque verbe comme une petite pièce de théâtre. Il appelle « procès » l’histoire que raconte cette pièce de théâtre. Lucien Tesnière, Eléments de syntaxe structurale, deuxième édition, Paris, Klincksieck, 1982, p. 102. Voir p. 133. On peut souhaiter prendre en considération le fait que, dans les deux langues, les rôles syntaxiques relèvent de descriptions différentes : le latin, avec la notion de cas ; le français, avec celle de complément. Il faudrait alors dire : la position syntaxique des termes en latin et en français est telle qu’elle ne met pas en relation les positions syntaxiques dont on reconnaît habituellement la parenté, puisque, en français, les termes « Zephyrus » et « Auster » occupent des positions de sujet qui ne correspondent pas à des nominatifs latins. Tesnière place à l’origine le sujet à égalité avec les autres actants, et le situe par conséquent DANS la valence verbale. Il n’est pas suivi en cela par les typologies actuelles, raison pour laquelle nous ne définissons pas le sujet comme SN dans valence verbale. Voir Marie-José Béguelin, De la phrase aux énoncés, p. 150. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 185 – le syntagme nominal n’appartenant pas à la valence verbale (SN hors valence verbale) – le verbe La notion de syntagme nominal indique que la grille est articulée sur les niveaux supérieurs de l’organisation du travail du traducteur : la notion de syntagme permet de subsumer d’autres éléments syntaxiques, tels que l’article, le déterminant, l’adjectif qualificatif, ou le complément de nom (lui-même avec ses éléments subsumés). La notion de syntagme verbal n’est cependant pas retenue en ce qui concerne le verbe pour éviter la confusion avec certaines descriptions grammaticales qui opposent le groupe verbal (le verbe et ses compléments valenciels ou non) avec le sujet grammatical. Il va de soi cependant que l’unité « verbe » peut être de nature syntagmatique dans le cas des temps composés ou du passif, par exemple. A ces quatre unités axées autour de la notion de valence verbale, il est utile d’ajouter deux autres éléments, à savoir : – l’adverbe – le connecteur Les deux unités peuvent naturellement présenter une nature syntagmatique, c’est-à-dire être composées de plusieurs unités de la chaîne verbale. L’adverbe, qui est une partie du discours à part entière aussi bien en latin qu’en français, ne pose pas de problème particulier, sauf dans la situation où il apparaît comme modificateur d’un adjectif à l’intérieur d’un syntagme nominal : dans ce cas, il ne sera pas traité comme une unité à part entière, mais dans le cadre global du syntagme considéré, de façon à obéir à la règle définie plus haut qui demande de ne s’intéresser qu’aux unités de niveau supérieur. La catégorie « connecteur » réunit les conjonctions de coordination, les conjonctions de subordination et les pronoms relatifs : en ce qui concerne ces derniers – qui possèdent en réalité une double nature de connecteur et de pronom – l’observation du travail du traducteur amène à priviliégier la composante « connecteur » sur la composante « pronom » 12. 12 Pour des raisons de seuil de décidabilité, les adverbes qui font office de connecteur sont traités dans la catégorie « adverbe ». On se trouve en effet pour ces situations face à un continuum, et il serait particulièrement difficile 186 « OVIDE VEUT PARLER » La grille de six éléments ainsi constituée établit une correspondance entre texte source et texte cible à un niveau tel qu’il est possible d’enregistrer de façon systématique les variations que le traducteur fait subir aux principaux composants linguistiques du texte source. Cette grille est relativement conforme à la typologie des compléments de la sphère verbale (ci-dessous Fig. I) que propose Marie-José Béguelin 13 dans un ouvrage qui fait notamment le point sur la façon dont les avancées les plus récentes des théories syntaxiques peuvent être exploitées en vue d’une présentation à un public plus large (en particulier, à l’usage des enseignants). La typologie proposée par Marie-José Béguelin se présente comme suit : Fig. I – Béguelin et alli : les compléments de la sphère verbale On remarque immédiatement que la grille proposée pour l’étude de la traduction ne retient pas la notion de complément « non intégré ». Il s’agit d’éléments que certains spécialistes « considèrent comme des énoncés autonomes que seules nos habitudes de ponctuation et la prééminence accordée à la phrase graphique conduisent à mettre au nombre des compléments » 14. Dans les exemples proposés par Marie-José Béguelin, on retrouve des éléments tels que (la liste n’est pas exhaustive) : selon la loi, en principe, en un mot, à mon avis. En raison des habitudes de ponctuation – qui touchent également le texte latin pour lequel 13 14 de déterminer a priori quel genre d’adverbe doit être traité comme connecteur et quel genre d’adverbe peut être traité comme adverbe. Marie-José Béguelin, De la phrase aux énoncés, p. 147. Marie-José Béguelin, De la phrase aux énoncés, p. 149. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 187 la ponctuation est le plus souvent recomposée sur le modèle de la ponctuation moderne – l’identification des compléments non intégrés, aussi bien dans le texte source que dans le texte cible, peut s’avérer particulièrement difficile, raison pour laquelle il a semblé plus pertinent de les assimiler à la catégorie « SN hors valence verbale » 15. Du côté du latin, la question des compléments non intégrés semble renvoyer plus spécifiquement à la question de l’ablatif absolu : à bien des égards, cette forme très spécifique à la langue latine pourrait être considérée comme un énoncé autonome. Il se trouve cependant qu’ici aussi, les habitudes de ponctuation des éditions modernes intègrent l’ablatif absolu à la phrase simple. Pour cette même raison, il semble approprié de traiter l’ablatif absolu au rang des SN hors valence verbale : comme le but visé par la grille d’analyse est l’observation du travail du traducteur et non la description en soi de la langue source ou de la langue cible, il semble superflu de prétendre résoudre ici le statut spécifique de l’ablatif absolu. L’interjection, certes assez rare dans le texte d’Ovide, pourrait être traitée elle-aussi au rang des compléments non intégrés. Etant donné la rareté du phénomène dans la forme écrite et versifiée que constitue le poème d’Ovide, il est assimilé à l’adverbe, quitte à nouveau à revenir à la question spécifique de l’interjection, si le besoin se faisait sentir, c’est-à-dire si certaines irrégularités du système devaient être reliées à la question spécifique de l’interjection. Un avantage important de la grille établie réside dans sa compatibilité avec la description des parties du discours par les grammairiens du XVIe siècle. Il ne s’agit certes pas de prétendre que ces derniers, voire Marot lui-même, aient en aucune manière eu l’intuition de la théorie moderne des compléments : celle-ci dérive notamment de préoccupations hautement étrangères aux premiers grammairiens du français. Cependant, en projetant la grille d’analyse retenue sur la description des parties du discours 15 En cas de besoin, l’informatisation des données permet de revenir aux textes pour délimiter une division entre compléments intégrés non valenciels et compléments non valenciels, et procéder aux vérifications statistiques nécessaires. 188 « OVIDE VEUT PARLER » développées au XVIe siècle, on constate que les unités visées par la grille d’analyse utilisées pouvaient toutes être identifiées par le traducteur sur la base des théories de son temps. D’une part, en effet, l’assimilation de l’adjectif au nom, la connaissance de la rection de l’article et des autres déterminants par le nom, ainsi que la connaissance du cas génitif latin poussent à constituer des syntagmes nominaux équivalents à ceux que définit la grille d’analyse retenue qui s’appuie quant à elle sur les théories récentes en matière de syntaxe. Mieux : la connaissance du système des cas latins et les diverses tentatives d’application de ce système à la langue française elle-même permettent de postuler une différenciation des divers syntagmes constitués en fonction de la référence aux divers cas latins. Cette différenciation – avant même la constitution de la théorie des compléments 16 – permet d’affirmer de façon quasi certaine que le traducteur ne pouvait pas confondre les trois catégories : SN sujet, SN dans valence verbale et SN hors valence verbale. D’autre part, l’identification du verbe, de l’adverbe et de la conjonction en tant que parties différentes du discours par les grammairiens du XVIe siècle permet d’affirmer que le traducteur ne pouvait pas les confondre avec les syntagmes nominaux considérés par ailleurs dans la grille d’analyse établie pour l’observation de son travail. Par conséquent, contrairement aux séquences qui n’émergent qu’en lien avec une hypothèse concernant la façon dont le traducteur organise son travail, les unités de la grille d’analyse mise au point pour l’étude des composants linguistiques du processus de la traduction possèdent un caractère plus indépendant de la spéculation sur le travail du traducteur, puisqu’elles peuvent être mises en lien avec des unités que les grammairiens du temps de Marot n’auraient pas pu confondre. Pour autant, il serait faux de considérer que ces unités modélisent de façon directe le travail du traducteur ou, en d’autres termes, qu’elles mettent directement en contact avec les processus cognitifs à l’œuvre dans le processus de traduction. Elles constituent simplement une représentation de la langue source et 16 « la notion de complément n’est pas très ancienne dans la tradition grammaticale où elle est venue remplacer le régime de la grammaire latine. » MarieJosé Béguelin, De la phrase aux énoncés, p. 142. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 189 de la langue cible telle qu’il devient possible de délimiter – en vue de les comparer de la façon la plus systématique possible – les diverses parties du texte source et du texte cible. DES UNITÉS LINGUISTIQUES AUX OPÉRATIONS Une fois définies de façon opérationnelle les unités linguistiques du texte source et du texte cible qui doivent être mises en relation, il devient possible de mesurer de façon systématique les différences enregistrées entre les deux versions. Un appareil d’analyse relativement simple suffit pour caractériser les différences enregistrées, il est basé sur quatre résultats primitifs : maintien, augmentation, suppression, transformation. Avant de définir de façon formelle l’outil de mesure utilisé, il peut être souhaitable de substituer la notion d’opérations à celle de résultats. Appeler « opérations » les résultats enregistrés permet à l’intuition de suivre plus facilement la dynamique de l’analyse. La non-connaissance exhaustive du processus cognitif de la traduction interdit cependant de prétendre mettre au jour la réelle infrastructure éventuellement sous-jacente dans le processus de traduction en vue, par exemple, de programmer un ordinateur imitant le style de Marot traducteur. Les moyens actuels dont dispose la recherche lui permettent tout au plus de rendre compte de rides à la surface du texte, laissant imaginer les courants profonds éventuellement à l’œuvre. Comme la surface du texte, qu’Umberto Eco appelle « manifestation linéaire » 17 est le terrain de la critique littéraire, celle-ci est dans son rôle quand elle établit de façon aussi systématique que possible les conditions de la négociation que mène le traducteur, sans chercher à définir l’algorithme unique qu’il applique. Les résultats que l’analyse vise à identifier – et qui seront désormais appelés « opérations » – sont définis par la combinaison d’une opération primitive et d’une unité linguistique telle que définie plus haut. Les opérations primitives retenues sont au nombre de quatre : ajout, maintien, suppression, transformation. 17 Umberto Eco, Dire presque la même chose, p. 57. 190 « OVIDE VEUT PARLER » La définition formelle de ces quatre primitives se réfère en priorité à la notion de Contenu Nucléaire qu’Umberto Eco définit dans son ouvrage important sur la référence, Kant et l’ornithorynque 18, et qu’il reprend dans son ouvrage sur la traduction, Dire presque la même chose : Nous ignorons ce que quelqu’un a à l’esprit quand il reconnaît un rat ou comprend le mot rat. Nous ne le savons qu’après que ce quelqu’un a interprété le mot rat (fût-ce en indiquant du doigt le rat ou le dessin d’un rat) pour permettre à quelqu’un d’autre, qui n’a jamais vu de rats, de les reconnaître. Nous ignorons ce qui se passe dans la tête de celui qui reconnaît un rat, mais nous savons à travers quels interprétants quelqu’un explique aux autres ce qu’est un rat. Cet ensemble d’interprétations exprimées, je l’appellerai le Contenu Nucléaire du mot rat. Le Contenu Nucléaire est visible, confrontable intersubjectivement parce qu’il est physiquement exprimé par des sons, et, si nécessaire, des images, des gestes, voire des sculptures en bronze. Le Contenu Nucléaire, ainsi que le Type Cognitif qu’il interprète, ne représente pas tout ce que nous savons sur une unité de contenu donnée. Il représente les notions minimales, les qualités requises élémentaires pour reconnaître un objet donné ou comprendre un concept donné – et comprendre l’expression linguistique correspondante 19. L’intérêt de la notion de Contenu Nucléaire est son caractère minimal, donc visible, confrontable intersubjectivement : l’analyse de la traduction doit en effet veiller à ne pas se perdre dans le marais cognitif qui caractérise le processus, et qui développe à l’infini la question de savoir si une équivalence a été ou non établie, dès lors que l’on considère l’interprétation maximale d’un terme. Autour de la notion de Contenu Nucléaire, les opérations primitives se définissent comme suit : 1. Maintien : l’unité linguistique française et l’unité linguistique latine que l’analyse met en rapport partagent le 18 19 Umberto Eco, Kant et l’ornithorynque, Paris, p. 169-304. Umberto Eco, Dire presque la même chose, p. 103-104. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 191 même Contenu Nucléaire et la même position syntaxique et sont constituées du même nombre d’éléments de la chaîne verbale 20. 2. Ajout : une partie de l’unité linguistique française et l’unité linguistique latine partagent le même Contenu Nucléaire et la même position syntaxique, mais l’unité linguistique française comporte un nombre plus important d’éléments de la chaîne verbale. Dans certains cas, l’unité linguistique française ne peut être mise en rapport avec une unité latine explicite 21 : il s’agit alors d’un ajout pur et simple qui se distingue, dans la série des opérations d’ajout, à l’augmentation. 3. Suppression : l’unité linguistique française et une partie de l’unité linguistique latine partagent le même Contenu Nucléaire et la même position syntaxique, mais l’unité linguistique latine comporte un nombre plus important d’éléments de la chaîne verbale. Dans certains cas, aucune unité linguistique française ne rend compte d’une unité latine 22. 4. Transformation : l’unité linguistique française et l’unité linguistique latine ne partagent par le même Contenu Nucléaire et/ou la même position syntaxique. Seul le contexte permet au lecteur de calculer une interprétation identique pour les deux unités linguistiques, ainsi que pour le procès dont elles sont les actants, particulièrement si celui-ci ne repose pas sur la même valence verbale. Les quatre opérations primitives se combinent avec les six unités linguistiques pour composer vingt-quatre opérations 20 21 22 Pour le décompte, les articles et les prépositions construisant le complément du nom sont laissés de côté. L’analyse fera la différence entre l’ajout – augmentation et le pur ajout en fonction de l’existence ou non d’une unité linguistique latine correspondante. L’analyse fera la différence entre l’ajout – diminution et la pure suppression en fonction de l’existence ou non d’une unité linguistique française correspondante. 192 « OVIDE VEUT PARLER » complexes 23. Pour chacune des séquences définies lors de la description du travail du traducteur, les opérations ont été enregistrées dans une base de données informatique, ce qui permet le dénombrement systématique et rapide des éléments observés. Il convient toutefois de souligner que – si le dénombrement fait appel à l’outil informatique – l’observation, elle, n’est pas le fruit d’un algorithme automatique, mais d’un étiquetage humain. Cela signifie qu’il existe une marge d’erreur réelle liée soit à l’oubli d’éléments, soit à des erreurs d’enregistrement (confusion dans l’analyse, faute de frappe). Les données enregistrées ont bien évidemment été vérifiées à plusieurs reprises, mais il n’est pas possible de prétendre disposer de données totalement exemptes de confusion. Les résultats obtenus doivent donc être traités en prenant en compte une marge d’erreur raisonnable. C’est pourquoi, seuls les phénomènes statistiques franchement accusés seront pris en compte. Les 24 opérations complexes issues de la combinaison de 6 unités avec 4 opérations sont toutes réalisées, mais les fréquences enregistrées s’avèrent très variables. Le tableau ci-dessus propose le dénombrement de l’ensemble des opérations. La colonne de gauche présente les opérations en suivant un classement alphabétique correspondant à la façon dont les opérations sont extraites de la base de données. La colonne de droite propose un classement dans l’ordre décroissant du nombre d’occurrences enregistrées. Classement alphabétique Classement par fréquence Opérations complexes Total Opérations complexes Total Ajout adverbe 180 Maintien verbe 668 Ajout connecteur 168 Ajout verbe 333 Ajout SN dans valence verbale 300 Maintien connecteur 323 Ajout SN hors valence verbale 237 Maintien SN dans valence verbale 310 23 Les opérations complexes peuvent être désignée selon deux conventions différentes (par exemple pour l’opération composée de l’opération primitive « maintien » et de l’unité « sujet » : l’opération « maintien sujet » ou le maintien du sujet. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 193 Ajout SN sujet 189 Ajout SN dans valence verbale 300 Ajout verbe 333 Ajout SN hors valence verbale 237 Maintien adverbe 143 Maintien SN sujet 224 Maintien connecteur 323 Maintien SN hors valence verbale 218 Maintien SN dans valence verbale 310 Ajout SN sujet 189 Maintien SN hors valence verbale 218 Ajout adverbe 180 Maintien sn sujet 224 Ajout connecteur 168 Maintien verbe 668 Transformation verbe 151 Suppression adverbe 30 Maintien adverbe 143 Suppression connecteur 49 Transformation SN sujet 130 Suppression SN dans valence 31 verbale Transformation SN dans valence verbale 123 Suppression SN hors valence 13 verbale Transformation SN hors valence verbale 101 Suppression SN sujet 37 Transformation connecteur 79 Suppression verbe 28 Suppression connecteur 49 Transformation adverbe 48 Transformation adverbe 48 Transformation connecteur 79 Suppression SN sujet 37 Transformation SN dans valence verbale 123 Suppression SN dans valence 31 verbale Transformation SN hors valence verbale 101 Suppression adverbe 30 Transformation SN sujet 130 Suppression verbe 28 Transformation verbe 151 Suppression SN hors valence verbale 13 Total 4113 Total 4113 La prise en considération de la fréquence des opérations relevées permet une série d’observations de premier niveau situant le cadre général de l’analyse. On peut remarquer d’abord que le nombre moyen d’occurrences d’une opération est environ 170 : aucune opération liée à la transformation ou la suppression ne dépasse ce nombre 194 « OVIDE VEUT PARLER » d’occurrences, alors que toutes les opérations liées à l’ajout et au maintien sont au-dessus, à l’exception du maintien de l’adverbe qui enregistre tout de même un score de 146. Le classement par ordre alphabétique fait apparaître une logique de distribution des opérations complexes par type d’opération primitive, plutôt que par unité, qui est révélatrice dans la mesure où elle ne dépend pas du nombre d’occurrences des unités linguistiques dans le texte source. En d’autres termes, la position des opérations en fonction de la moyenne n’est pas décidée par la nature du texte source, mais par les actions relevées dans le processus de traduction. La hiérarchie des opérations qui apparaît alors nettement est la suivante : maintien > ajout > transformation > suppression. Le faible score obtenu par les opérations de suppression n’est en soi guère suprenant : on imagine bien que le cœur du travail du traducteur consiste à maintenir la part la plus importante possible du texte source dans le texte cible. Un traducteur qui effacerait systématiquement des parts importantes du texte cible apparaîtrait comme niant l’essence même de la traduction. Cependant, il y a plus à tirer de cette observation : étant donné la façon dont a été définie la notion, la faible occurrence des opérations de suppression permet d’exclure une autre hypothèse dans le travail de Marot traducteur, à savoir le transfert des contenus nucléaires d’une unité linguistique à une autre, comme dans la séquence suivante : Ovide, v. 556 Edition Defaux, v. 1099-1100 Oscula dat ligno ; refugit tamen oscula lignum. Il baise l’arbre, & tout ce nonobstant, A ses baisers l’arbre va resistant. Le sens « baiser » dans « oscula » (SN dans la valence verbale) passe dans le verbe français « baiser ». Le contenu nucléaire du SN est transféré dans celui du verbe. On note que dans ce cas, l’analyse enregistre la suppression du SN hors valence verbale et la transformation du verbe. Le faible nombre de suppressions globalement enregistré permet d’exclure le transfert de Contenu Nucléaire comme forme importante de la traduction marotique. La proximité entre le latin et le français explique sans doute largement que Marot n’ait pas eu à jouer sur le transfert des Contenus Nucléaires, mais le fait de pouvoir exclure statistique- INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 195 ment que cette pratique soit récurrente chez Marot permet de mieux en apprécier les rares occurrences. Celles-ci font en effet partie des options retenues par Marot et doivent, à ce titre, être situées dans la technique qu’il applique. L’opération la plus fréquente – « maintien du verbe » – obtient un score particulièrement élevé de 668 occurrences. Cette prééminence de l’opération « maintien du verbe » permet d’approcher de façon plus précise la question du traitement de l’intrigue au niveau de la phrase par le Marot traducteur. On se souvient que le maintien de l’intrigue est une condition nécessaire de la traduction selon Umberto Eco et qu’au niveau de la phrase l’intrigue peut ou non être maintenue sans que soient remis en question les niveaux supérieurs de l’intrigue que sont le poème singulier (soit les épisodes narratifs dans Les Métamorphoses) et l’organisation des chants de l’épopée (soit la succession des épisodes dans Les Métamorphoses). Le nombre très important d’occurrences du maintien du verbe permet d’établir que Marot traduit en maintenant aussi fortement que possible l’intrigue au niveau de la phrase. Cette tendance est confirmée par le score très élevé qu’obtient également l’opération « maintien du SN dans la valence verbale » : contrairement au sujet – qui est souvent en ellipse dans la langue de Marot – ou au SN hors de la valence verbale, le SN dans la valence verbale est un constituant le plus souvent obligatoire du procès (au sens de Tesnière) qu’organise la valence verbale. Le score élevé de l’opération « maintien du SN dans la valence verbale », comme celle de maintien du verbe, apparaît logique dans un contexte de conservation de l’intrigue au niveau de la phrase. Le non-redécoupage des Contenus Nucléaires, ainsi que la prééminence des opérations de maintien permettent d’établir que la plus grande partie du travail de Marot traducteur s’appuie sur un respect relativement strict du texte source. De ce point de vue, Marot s’écarte assez nettement de l’adage d’Horace qui conseille de renoncer au « mot à mot », dans la mesure où ce dernier est compris en termes de tendance, et non en termes absolus. On se souvient cependant de la difficulté de situer le travail de Marot en prenant en compte l’opposition de « horacianisme/littéralisme » 24 au cœur de la synthèse de Norton, difficulté apparue 24 Voir p. 106. 196 « OVIDE VEUT PARLER » au moment de comparer la première églogue de Marot et celle de Guillaume Michel de Tour. Il faut bien voir que le problème provient, en dernière analyse, du présupposé selon lequel il est possible de passer, sous la forme de la déduction, du contexte intellectuel à la réalisation textuelle : la date des traductions de Marot les rend contemporaines de la plus forte influence de l’horacianisme en France 25, alors que les deux premiers livres des Métamorphoses par Marot sont repris avec la traduction du Livre III par Aneau que Norton désigne comme un parangon du littéralisme 26. Le décompte systématique des opérations permet de situer la question dans un cadre plus révélateur : si plus du tiers des opérations réalisées est liée au maintien (1800 environ sur environ 4100), l’analyse révèle une quantité d’autres opérations effectuées par le traducteur. Le caractère « entre deux » du travail de Marot peut en quelque sorte être quantifié, et l’on comprend pourquoi il n’est pas si facile de décider comment situer ce travail dans l’opposition « horacianisme/littéralisme » exploitée par Norton. DÉNOMBREMENT DE L’AJOUT ET COMMENTAIRES CRITIQUES La question de l’ajout a été identifiée dans plusieurs articles consacrés au Premier Livre, ce qui offre l’occasion de contraster la méthode d’analyse appliquée dans la présente étude aux approches plus classiques. La mise en parallèle du texte d’Ovide et de celui de Marot fait rapidement apparaître un rapport de un vers latin pour deux vers français qui donne une idée approximative du volume d’ajout opéré par le traducteur. L’observation doit être mise en relation avec le fait que l’ « Epigramme de Salmonius mys de Latin en Françoys » 27 présente un rapport de un vers français pour un vers latin : il est par conséquent impossible de conclure à une nécessité a priori d’une version française nécessi25 26 27 Glyn P. Norton, The Ideology and language of translation in Renaissance France, p. 60. Glyn P. Norton, The Ideology and language of translation in Renaissance France, p. 115-122. Marot, TII, p. 271. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 197 tant deux vers français pour un vers latin, en raison d’un rapport fixe entre les deux langues. Ce premier enseignement peut être corroboré par quelques vérifications rapides qui permettent de se rendre compte que le volume pris par la version française n’est pas lié non plus aux éléments français « obligatoires », tels que les articles, par exemple. L’analyse serrée de l’approche de l’ajout dans des articles basés sur des extraits du Premier Livre permet au contraire de se rendre compte à quel point il est nécessaire d’envisager la question au sein du système général de la traduction chez Marot. Dans son étude consacrée aux traductions des Métamorphoses en France du XVe au XVIIIe siècle, Ghislaine Amielle 28 se livre à un rapide examen du travail de Marot à travers la description de l’Age de Fer, examen dans lequel elle fait essentiellement ressortir le recours à l’ajout : La traduction de Marot est à l’inverse remarquable d’exactitude, si l’on excepte les termes de remplissage dont elle fourmille. Certains permettent la rime, tels total, flaterie, maistre, lune, partiz, malheurs, nuisant, et oste. D’autres et notamment les synonymes casse et rompt, emble et oste et l’accumulation sont nécessaires pour obtenir la mesure, le nombre oratoire voulu. Marot étoffe au besoin le texte, sans doute aussi pour l’éclaircir. Il éprouve ainsi le désir d’expliciter l’animosité du fils envers son père. Il mentionne encore le nom familièrement donné à Astrée, de peur qu’on ne la reconnaisse pas. Quelques-unes parmi ces chevilles visent à l’amplification rhétorique du poème : Lors Guerre sort, qui par ces deux Metaux Fait des combats inhumains et brutaux, Et casse, et rompt de main sanguinolente, Armes cliquans soubz force violente. Une gradation résulte de la juxtaposition des adjectifs fins, cautz et deceptifs, appliquée aux mesureurs, comprenons les arpenteurs. Cette accumulation n’a pas pour unique but de conférer de la copia à la traduction, elle revêt par ailleurs une connotation morale de même que l’épithète de richesse, vaines, l’introduction d’avarice, de mondaine opulence, et le développement déjà cité. Il n’existe ici 28 Ghislaine Amielle, Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses d’Ovide, p. 246-248. 198 « OVIDE VEUT PARLER » aucune interférence chrétienne, aucune glose intertextuelle. Néanmoins, les procédés rhétoriques auxquels le poète a recours (personnification de Pitié), concourent à donner l’impression d’une peinture subjective de l’Age de Fer, encore qu’en apparence Marot ne semble que renchérir sur l’original. La proscription de références trop précises aux réalités antiques – des périphrases désignent le Styx et l’aconit – indique que le public visé, peu versé dans les lettres anciennes, ne peut appréhender de telles sources sans le recours des schèmes médiévaux véhiculés par les rééditions du Grand Olympe, texte concurrent de celui de Marot. Le commentaire de Ghislaine Amielle associe très directement certaines valeurs aux ajouts de Marot traducteur. On notera en particulier : – l’ajout considéré comme une cheville pure et simple : « termes de remplissage » à la rime ou pour soutenir le rythme – l’ajout considéré comme une plus value esthétique : gradation résultant de la juxtaposition des adjectifs « fins », « cautz » et « deceptifs » – l’ajout considéré comme une modification du sens du texte : connotations morales de certains adjectifs, peinture « subjective » de l’Age de Fer – l’ajout considéré comme une adaptation au goût du public visé : personnifications des valeurs morales, périphrases pour le Styx et l’aconit Il ne s’agit pas en priorité de contester la pertinence de l’analyse de Ghislaine Amielle sur les points observés, mais de se demander si l’ensemble du commentaire repose sur une vision cohérente du travail du traducteur. La contradiction entre les deux premières valeurs attribuées à l’ajout est ici remarquable : cheville besogneuse lorsqu’il apparaît à la rime, il acquiert une forme de noblesse s’il ajoute une figure de rhétorique – la gradation – qui n’était pas dans Ovide. Manifestement, la critique applique ici une sorte de système de bons et de mauvais points, sans chercher à évaluer la valeur en soi des versions adoptées par le traducteur, qui peuvent avoir – au-delà de la cheville – une valeur propre. L’observation plus précise des ajouts auxquels se livre Marot permettra d’enrichir sensiblement la perception du phénomène. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 199 Les remarques de Ghislaine Amielle sur la modification du sens du texte et l’adaptation aux goûts du public vont également dans le sens d’une prise en compte plus globale de l’ajout. Elles dessinent une sorte d’intention commune à l’ensemble des éléments mis au jour, qui vise à livrer d’Ovide une version plus explicite, en particulier pour les lecteurs contemporains. Les connotations morales – qu’à juste titre Ghislaine Amielle n’identifie pas à une interprétation chrétienne – produites par les ajouts vont dans le sens général du texte d’Ovide dont elles soulignent la portée, alors que les personnifications et les périphrases le rendent plus accessible pour le public visé. Au-delà des facilités techniques ponctuelles, on devine une intention plus générale du traducteur, intention d’ailleurs exprimée très clairement dans la dédicace du Premier Livre au travers de l’appel à l’utilité impérative d’une version exempte de glose et proche de la lettre. L’étude de l’ajout, puis de l’ensemble des dispositifs techniques utilisés par Marot, permettra de voir plus précisément avec quels procédés techniques le poète met en œuvre cette déclaration d’intention. D’autres critiques ont, à l’occasion du Colloque Clément Marot « Prince des poëtes françois » traité de la question de l’ajout dans le Premier Livre : Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant 29 ont décrit « l’évolution des programmes narratifs dans les Métamorphoses », alors que Pierre Maréchaux 30 met en lumière dans « l’arrière-fable » les emprunts nombreux de Marot à Regius. Les deux articles s’appuient – avec des méthodologies très différentes – sur l’observation d’ajouts réalisés par le traducteur. Revenir rapidement aux arguments centraux de chaque commentaire permet d’en mesurer la pertinence face aux données statistiques issues de l’informatisation des données. Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant appuient leur recherche sur une comparaison systématique de certains passages clés : Notre hypothèse suppose un écart entre l’original et la traduction, et le constate par la comparaison systématique entre les deux textes. 29 30 Jean-Claude Moisan, Marie-Claude Malenfant, « D’Ovide à Marot : l’évolution des programmes narratifs dans les Métamorphoses », Actes Cahors, p. 91-105. Pierre Maréchaux, « L’arrière-fable ». 200 « OVIDE VEUT PARLER » L’objectif est alors de voir comment la traduction fonctionne et pourquoi certaines modifications s’y intègrent en s’interrogeant sur les « objectifs » déclarés du texte d’origine et sur la récurrence de certains « réflexes » à l’égard du texte d’origine, comme par exemple, chez Marot, ces interventions fréquentes au chapitre des transitions, de l’explicitation des liens familiaux entre les personnages, de l’expression des liens de causalité ou encore, de la précision de la consécution narratives 31. Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant recherchent ensuite, au-delà des ajouts explicatifs du type « paraphrase » ou « glose », les transformations pouvant avoir « un impact sur la trame narrative » 32. Ils proposent alors de montrer quel est l’effet des modifications opérées par le traducteur sur « chacune des parties du déroulement narratif manipulation – compétence – performance – sanction 33». Plusieurs passages, tels que la querelle entre Phébus et Cupidon, celle entre Phaéton et Epaphus, la colère de Junon contre Io et Callisto ou le discours de Mercure à Argus sont ensuite analysés pour illustrer en quoi la traduction de Marot constitue un « travail poétique rigoureux dont le motif, plus ou moins conscient, est de rendre plus vraisemblables certains comportements, plus pitoyables certaines situations, plus merveilleuses certaines métamorphoses… » 34 Comme pour Ghislaine Amielle, ce n’est pas l’analyse critique en soi des passages de la traduction de Marot par Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant qui doit être examinée, mais la capacité de cette analyse à rendre compte de la cohérence du travail du traducteur. L’article de Jean-Claude Moisan et MarieClaude Malenfant repose tout entier sur deux principes d’analyse qui orientent le commentaire : 1. sélection des phénomènes d’ajout, de préference à tout autre phénomène 2. focalisation sur les parties du déroulement narratif : manipulation – compétence – performance – sanction 31 32 33 34 Jean-Claude Jean-Claude Jean-Claude Jean-Claude Moisan, Moisan, Moisan, Moisan, Marie-Claude Marie-Claude Marie-Claude Marie-Claude Malenfant, Malenfant, Malenfant, Malenfant, « D’Ovide « D’Ovide « D’Ovide « D’Ovide à à à à Marot », Marot », Marot », Marot », p. p. p. p. 94. 96. 98. 104. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 201 A partir de ces deux principes, le commentaire établit simplement la capacité de Marot à ajouter au texte d’Ovide des éléments cohérents avec le déroulement narratif voulu par le poète latin : à nouveau donc, le commentaire s’oriente très vite vers une appréciation qualitative du travail de Marot, la différence avec Ghislaine Amielle étant que Jean-Claude Moisan et MarieClaude Malenfant semblent mieux intentionnés vis-à-vis de Marot. En soi, cependant, l’approche des deux critiques a pour conséquence d’éclairer de façon un peu hâtive certains aspects du travail de Marot. Certaines difficultés caractéristiques apparaissent dans le commentaire qu’ils proposent du discours que Mercure aurait pu tenir à Argus, soit le passage : Ovide, v. 700-712 Edition Defaux, v. 1388-1412 1 estabat uerba referre Brief, mainte aultre adventure Restoit encor à dire par Mercure, 2 Et precibus spretis fugisse per auia nympham, C’est assçavoir (tel’ priere ennuyante Mise à despris) La Nymphe estre fuyante Par boys espaiz, 3 Donec harenosi placidum Ladonis ad amnem tant que de grand randon Venerit ; Vint jusque au bort du sablonneux Ladon, Fleuve arresté : 4 hic illam cursum impedientibus undis, & comment à la suyte, Vt se mutarent, liquidas orasse sorores ; Lors que les eaues empescharent sa fuyte, Panaque, cum Ses cleres sœurs pria illecques pres De la muer : aussi comment apres Que Pan 5 prensam sibi iam Syringa putaret, cuyda Syringue par luy prise, Corpore pro nymphae En lieu du corps de la Nymphe requise, 6 calamos tenuisse palustres ; Tint en ses mains des cannes, & roseaux Croissants autour des paludz, & des eaux. 7 Dumque ibi suspirat, motos in harundine Comment aussi, quand dedans anhela, uentos Le vent esmeu dedans ces cannes là 202 « OVIDE VEUT PARLER » 8 Effecisse sonum tenuem similemque querenti ; Y feit ung son delicat en voix faincte Semblable à cil d’ung cueur, qui faict sa [plaincte 9 Arte noua vocisque deum dulcedine captum : Et comment Pan surpris du son predict, « Hoc mihi colloquium tecum » dixisse Et du doulx art tout nouveau luy a dit : « manebit » ; Cestuy parler, & chant, en qui te deulx Sera commun tousjours entre nous deux. 10 Atque ita disparibus calamis conpagine cerae Aussi comment, pour eternel renom, Inter se iunctis nomen tenuisse puellae. Deslors retint, & donna le droit nom De la pucelle à ces flustes rurales, Joinctes de cyre en grandeur inegalles. Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant proposent un commentaire basé sur une interprétation métatextuelle de l’ouverture des premiers vers du passage : Les modifications sur la consécution narrative, ainsi que leur disposition même, peuvent également avoir un impact sur le parcours narratif des personnages. L’un des exemples les plus convaincants est le discours que Mercure aurait pu tenir à Argus si celui-ci ne s’était endormi. Ovide, dans la version de Regius écrit : « Restabat plura referre » que Marot traduit assez fidèlement par « Maint autre adventure / Restoit encor à dire ». Mais il prendra alors à la lettre ce « plura » en multipliant, des vers 1387 à 1412, les ajouts, du simple mot au vers entier : épithètes, appositions, adverbes, relatives explicatives, compléments circonstantiels, comme si la longueur du récit ajoutait encore à la résistance de la nymphe au désir de Pan. D’autant que dans cet exercice de copia, Marot choisit des images qui accentuent le champ sémantique de la fuite de la nymphe (le « ne pas vouloirfaire » : Syrinx fuit par « bois espaiz » et « de grand randon ») et du désir du dieu Pan (le « vouloir faire » : la « Nymphe » devient requise dans le texte français) 35. Encore une fois, il ne s’agit pas de remettre en cause la valeur de l’analyse des éléments ponctuels, mais la vision d’ensemble que le commentaire donne du passage. Celui-ci met en lumière 35 Jean-Claude Moisan, Marie-Claude Malenfant, « D’Ovide à Marot », p. 103. 203 INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT une volonté de Marot de « multiplier » les ajouts. Il est possible d’observer d’emblée que le passage met en relation 13 vers latins pour 26 vers français, et ne déroge pas conséquent en aucune manière à la proportion observée systématiquement dans le Premier Livre. Il n’y a donc a priori aucune raison de penser que Marot ait plus ajouté dans ce passage qu’ailleurs dans le texte. En soi, le volume d’ajout caractérise le travail de Marot vis-à-vis de celui d’autres traducteurs, mais ce qui est en cause ici, c’est la réalité d’un exercice de copia d’un volume inhabituel dans l’extrait considéré. On peut toutefois observer l’origine de l’effet de copia évoqué par les deux critiques en comparant les fréquences relatives des opérations observées dans l’ensemble de la traduction avec les fréquences relevées dans le passage pris en compte. Les formules appliquées pour le calcul des fréquences s’énoncent comme suit : Soit, à l’intérieur du Premier Livre ou dans l’extrait considéré : 1. apop : le nombre d’apparitions d’une opération 2. totop : le nombre total d’opérations Fréquence dans le Premier Livre = apop / totop Opérations Fréquence dans Premier Livre Fréquence dans l’extrait Ajout adverbe 0.04 0.03 Ajout connecteur 0.04 0.10 Ajout SN dans valence verbale 0.07 0.10 Ajout SN hors valence verbale 0.06 0.15 Ajout SN sujet 0.05 0.015 Ajout verbe 0.08 0.015 Maintien adverbe 0.03 Maintien connecteur 0.08 0.03 Maintien SN dans valence verbale 0.08 0.05 Maintien SN hors valence verbale 0.05 0.06 Maintien SN sujet 0.05 0.08 204 « OVIDE VEUT PARLER » Maintien verbe 0.16 0.2 Maintien adverbe 0.01 Suppression adverbe 0.01 0.02 Suppression connecteur 0.01 0.03 Suppression SN dans valence verbale 0.01 Suppression SN hors valence verbale 0.005 Suppression SN sujet 0.01 Suppression verbe 0.01 Transformation adverbe 0.01 0.03 Transformation connecteur 0.02 0.03 Transformation SN dans valence verbale 0.03 0.03 Transformation SN hors valence verbale 0.02 0.015 Transformation SN sujet 0.03 0.015 Transformation verbe 0.04 La comparaison de la fréquence relative des opérations entre le Premier Livre et l’extrait permet de voir que les opérations « ajout connecteur », « ajout SN dans valence verbale » et « ajout SN hors valence verbale » enregistrent un nombre d’occurrences supérieur à la moyenne. Alors que les opérations « ajout adverbe », « ajout SN sujet » et « ajout verbe » présentent quant à elles des fréquences nettement au-dessous de la moyenne. Si Marot n’ajoute pas plus, il ajoute en revanche tout à fait différemment dans ce passage par rapport au reste du Premier Livre. Il est utile d’examiner plus avant les ajouts spécifiques réalisés. En ce qui concerne l’ajout dans la valence verbale, l’écart entre extrait et moyenne du Premier Livre se réduit en fait à une occurrence de plus. Il serait tout à fait gratuit de tenter une explication à un phénomène aussi évanescent. Il s’agit donc de rendre compte des opérations « ajout SN hors valence verbale » et de « ajout connecteur ». Il est possible de quantifier en nombre d’occurrences la déviance de l’opération « ajout SN hors valence verbale » : si une fréquence de 0.15 correspond à 10 occurrences, une fréquence de 0.06 – le taux général – correspond à 4 occurences. L’étude statistique du Premier Livre permet également d’établir INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 205 un rapport de 50/50 36 entre les augmentations 37 et les ajouts purs 38 pour l’opération « ajout SN hors valence verbale ». En considérant qu’il y a dans le passage 6 occurrences de plus de l’opération par rapport à ce qui aurait pu être calculé sur la base de la moyenne, on pourrait s’attendre à voir 3 opérations d’augmentation et 3 ajouts purs. Le passage dénombre cinq occurrences de l’opération « ajout SN hors valence verbale » qui sont des purs ajouts du traducteur. En comparaison avec les moyennes enregistrées pour le Premier Livre, cela représente 3 occurrences supplémentaires. Il est donc possible d’affiner l’orientation donnée par Marot aux ajouts qu’il fait dans le passage. Il a eu recours nettement plus souvent que dans le Premier Livre à l’ajout pur et simple de SN hors valence verbale, tout en contrôlant le volume global des ajouts, de telle sorte qu’il n’aboutisse pas à une augmentation significative du nombre de vers français. Il n’est pas inutile dès lors d’observer de plus près les opérations effectivement réalisées, pour mieux saisir l’action de Marot traducteur. En ce qui concerne, les purs ajouts de SN hors valence verbale, les occurrences suivantes sont à considérer : 1. 2. 3. 4. 5. Séquence Séquence Séquence Séquence Séquence 1 : « par Mercure », à la rime 3 : « de grand randon », à la rime 6 : « en ses mains » 8 : « en voix faincte », à la rime 10 : « pour eternel renom », à la rime Seul l’ajout no 2 a été commenté spécifiquement par JeanClaude Moisan et Marie-Claude Malenfant, mais les autres participent évidemment de la multiplication des ajouts qu’ils évoquent. Il y a fort à parier, cependant, qu’une analyse menée dans l’esprit de celle de Ghislaine Amielle verrait avant tout dans cette collection une série de chevilles pures et simples. Il suffit de 36 37 38 Le rapport exactement enregistré est 51/49. Pour le raisonnement qui suit, il est préférable d’arrondir à 50/50. Augmentation : l’unité linguistique existe dans le texte source, et elle est augmentée par le traducteur. Ajout pur : l’unité linguistique n’existe pas dans le texte source, elle est purement et simplement introduite par le traducteur. 206 « OVIDE VEUT PARLER » noter ici que l’intensification de l’ajout au niveau du SN hors valence verbale correspond – dans cette liste – à trois occurrences, même s’il n’est pas possible de préciser lesquelles. Les occurrences de l’opération « ajout SN hors valence verbale » qui sont des augmentations de l’unité linguistique du texte source sont les suivantes : 1 Séq. 2 precibus spretis tel’ priere ennuyante mise à depris 2 Séq. 2 per auia par boys espaiz 3 Séq. 3 ad haresoni Ladonis amnem placidum au bort du sablonneux Ladon, fleuve arresté 4 Séq. 5 Corpore pro Nymphae en lieu du corps de la Nymphe requise 5 Séq. 9 Arte nova vocis dudelcine du son predict et du doux art nouveau Seule l’augmentation no 4 apparaît à la rime. Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant ont explicitement fait allusion aux augmentations no 2 et no 4 dans leur commentaire. Le fait de rendre « auia » par « boys espaiz » constituet-il véritablement l’intensification dont parlent les deux critiques ? Le commentaire de Regius transforme le mot latin en adjectif : « Per avia. p[er] loca invia. » 39 Le choix de Marot ne touche donc pas véritablement l’ajout de l’adjectif « espaiz » qui rend finalement assez bien le sens « impraticable, impénétrable » 40, mais plutôt le choix du nom « bois » qui n’est pas véritablement présent chez Ovide 41 : Marot a-t-il véritablement surenchéri sur l’idée d’Ovide d’une fuite à travers « des lieux sans chemin » ou, plus simplement, donné une image de ce que pouvait être ces lieux ? Incontestablement, il y a une part d’interprétation dans la version de Marot, mais va-t-elle uniquement dans le sens de la multiplication des ajouts ? Quant à l’adjectif « requise » qui apparaît dans la séquence 5, sa présence à la rime interdit de voir dans le renforcement de la narration le seul et unique motif de l’ajout : il ne s’agit pas non plus, d’ailleurs, de le réduire à une simple cheville. Il suffit pour le moment de noter 39 40 41 Regius, p. 46. Gaffiot, Dictionnaire abrégé Latin-Français, Paris, Hachette, 1936. Lafaye donne « à travers champs » dans Ovide, TI. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 207 que cet ajout n’est pas d’une nature si inhabituelle dans les pratiques courantes de Marot traducteur. L’opération « ajout connecteur » enregistre quant à elle un écart de 4 occurrences : elle est utilisée 7 fois, alors que la moyenne du Premier Livre conduit à calculer 3 occurences. Or, on constate parmi les 7 occurrences de l’opération, la présence de 4 « comment » (séquences 4, 7, 9) : toutes ces occurences sont liées à l’expression du discours indirect en français qu’il est plus explicite de construire à l’aide d’une subordonnée introduite par une conjonction que par une infinitive. Moisan et Malenfant ont remarqué ces occurrences et donnent le commentaire suivant : Mais surtout Marot construira ce discours indirect, que devait dire Mercure […], en sections de longueur relativement égales, toutes introduites par l’adverbe « comment » en position d’anaphore. Construction qui met en relief l’ordonnance de ce récit, depuis la fuite de Syrinx, sa métamorphose, jusqu’à la prise de possession de l’attribut par Pan 42. Le commentaire des deux critiques est légitime, s’il s’agit de commenter l’effet des choix opérés par Marot : incontestablement, le recours à l’anaphore met en évidence le caractère de récit enchâssé du discours de Mercure. Le point qui semble contestable est l’idée, certes plutôt sous-entendue qu’exprimée explicitement par Moisan et Malenfant, que l’apparition des « comment » soit exclusivement liée à cette volonté. Le contexte syntaxique de leur apparition doit également être pris en compte. Il n’est pas possible de lier la variation enregistrée du nombre d’ajouts de connecteurs uniquement à l’idée qu’elle constitue une augmentation induite par le plura du début, il faut prendre en compte la structure liée au discours indirect en tant que forme syntaxique. Ce qui apparaît alors, c’est un dispositif qui permet de situer le discours de Mercure en dehors du récit de la mort d’Argus. Les opérations « ajout SN hors valence verbale » et « ajout connecteur » ne constituent certes pas les seuls ajouts que l’on trouve dans le passage. Il faut voir cependant que le reste des ajouts présente, pour chaque unité syntaxique, des taux inférieurs à la moyenne enregistrée dans le Premier Livre. En d’autres 42 Jean-Claude Moisan, Marie-Claude Malenfant, « D’Ovide à Marot », p. 103. 208 « OVIDE VEUT PARLER » termes, la singularité du passage que décrivent Moisan et Malenfant est essentiellement contenue dans les variations enregistrées au niveau des SN hors valence verbale et des connecteurs. Après examen des données du texte, il semble impossible de suivre Moisan et Malenfant lorsqu’ils écrivent que Marot prend le plura à la lettre en « multipliant les ajouts ». Il y a certes dans le passage une orientation différente des ajouts, mais globalement ceux-ci ne sont pas véritablement plus nombreux ou plus saillants que dans le reste du texte. On peut naturellement inférer que Marot a exploité l’idée d’un discours à augmenter puisqu’il s’agit de ce que Mercure aurait dit en plus, mais il est exagéré de soutenir que tous les dispositifs à l’œuvre dans le passage dépendent exclusivement de cette intuition. Ce dernier point semble capital dans l’étude de la traduction. Les faits commentés par Moisan et Malenfant existent bel et bien, mais il est réducteur de les identifier uniquement à l’intensification des indicateurs de déroulement narratif. Ils appartiennent à un système plus large qui n’est pas uniquement conditionné à la question de la progression narrative. Il est tout à fait naturel qu’elle soit intensifiée par une méthode qui fait une place importante à l’ajout. Pour autant, la description de cette intensification ne peut à elle seule rendre compte du phénomène de l’ajout. Les deux critiques semblent être tombés dans un piège courant en matière d’étude de la traduction : quelle que soit la grille d’analyse appliquée à l’exercice, des résultats probants peuvent être enregistrés, mais la question est de savoir dans quelle mesure la grille choisie est susceptible de rendre compte de la cohérence du travail du traducteur. L’article de Pierre Maréchaux intitulé « L’arrière-fable » ne traite pas prioritairement des ajouts de Clément Marot dans sa traduction, mais plus généralement de la dette du poète français envers les humanistes italiens Regius et Dal Pozzo. A la fin de l’article, toutefois, Pierre Maréchaux, à la suite d’autres critiques dont Jean-Claude Moisan 43, s’intéresse plus particulièrement aux 43 Jean-Claude Moisan, « Clément Marot et Raphaël Regius : l’insertion de la glose et du commentaire dans la traduction des Métamorphoses d’Ovide », Acta Conventus Neo-Latini Hafniensis, Proceedings of the Eigth International Congress of Neo-Latin Studies, Copenhagen 12 to 17 August 1991, Rhoda Schnur (ed.), Medieval and Renaissance Text Studies, Tempe, Arizona, 1997, 685697. Dans cet article, Jean-Claude Moisan indique également une thèse non publiée qui traite du rapport à Regius : Hermann Voll, Clément Marots Meta- INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 209 réalisations textuelles que Marot tire de l’édition de Regius. Sans nier totalement l’existence d’ajouts liés à d’autres sources, Pierre Maréchaux présente des exemples où la version du Premier Livre est si proche du commentaire de Regius qu’il est difficile de ne pas inférer que Marot tente systématiquement d’introduire le commentaire de l’humaniste dans sa traduction : on est tenté d’étendre la formule « la traduction opère une fusion du texte et de sa glose » à chaque écart entre le texte source et le texte cible. Il est donc utile de rappeler que certains écarts ne doivent rien à la glose régienne : par exemple, dans ce passage de la création du monde que Marot place dans une section qu’il intitule à la suite de Regius « Chaos mué en quatre éléments » : Ovide, v. 15 Edition Defaux, v. 33-34 Vtque erat et tellus illic et pontus et aer, Et quelcque part où fust la terre, illec Estoit le feu, l’air, & la mer avec. La version de Marot fait apparaître le feu là où Ovide ne cite que la terre, la mer et l’air. Supposer que Marot suit systématiquement Regius laisse attendre que le commentaire de Regius constitue la source inspirant l’ajout du quatrième élément, mais il n’en est rien. Après une longue explication de l’histoire d’Amphitrite, l’humaniste passe au vers qui suit celui où apparaissent les éléments, sans consacrer à ce dernier aucun commentaire. Commentant le passage de façon générale, Lavinius compte quant à lui que le monde crée à partir du chaos compte quatre éléments : « In quatuor itaque elementa chaos transmutans deos » 44. L’ajout est d’autant plus étonnant que, dans les vers qui suivent, Ovide continue de ne faire allusion qu’à la triade « terre – mer – air ». Il faut donc bien admettre, dans ce passage, une autonomie du poète vis-à-vis de Regius. La question reste ouverte de savoir si Marot a été influencé par le commentaire de 44 morphoseübersetzung. Untersuchung zu Marots Übersetzungstechnik, Erlangen, 1954. La thèse a été signalée à Jean-Claude Moisan par Henri Lamarque de l’université de Toulouse. Moisan indique que la perspective de la thèse n’est pas la sienne : il ne la cite pas dans son édition des Trois premiers livres. Metamorphoseos libri XV ; in eosdem libros Raphaelis Regii luculentissime enarrationes, neque non Lactantii et Petri Lavinii commentarii, non ante impressi, B. de Bindonibus, Venise, 1540, IIvo. 210 « OVIDE VEUT PARLER » Lavinius 45. Ce qu’il faut voir, c’est que, s’il est incontestable que Marot a utilisé l’édition et le commentaire de Regius pour sa traduction, il est beaucoup plus hasardeux d’imaginer une dette trop systématique de Marot aux formules de Regius. Il convient donc de ne pas généraliser les exemples de Pierre Maréchaux à la totalité de l’ajout marotique. Cela dit, l’emprunt à la glose régienne constitue incontestablement une forme marquante des ajouts auxquels procède Marot. Les trois commentaires examinés ont pour trait commun de chercher à définir une caractéristique dominante aux ajouts de Marot : plutôt besogneux pour Ghislaine Amielle, orientés avant tout vers le soutien de la trame narrative pour Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant, érudits pour Pierre Maréchaux. Sans doute ces dimensions existent-elles toutes, mais aucune ne peut rendre compte à elle seule de l’ensemble des ajouts que l’analyse peut enregistrer. ÉTUDE SYSTÉMATIQUE DE L’AJOUT La recherche d’une base commune à partir de laquelle établir une description performante des ajouts de Marot débute avec le constat que tous les ajouts marotiques se basent sur une dimension implicite du texte d’Ovide, dimension implicite que la version du poète français rend explicite. Il n’y a en soi rien de révolutionnaire à partir du principe que les ajouts proviennent d’une interprétation du traducteur : Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant quant à eux concluent leur article en expliquant que les traducteurs « rendent [ainsi] palpable, l’acte de lecture, leur acte de lecture, peut-être tout acte de lecture » 46. Ce qu’il s’agit de mettre en évidence, ce sont les différentes structures possibles du calcul interprétatif auquel se livre le poète dans les ajouts auxquels il procède : pour ce faire, la distinction 45 46 La liste des éditions établie par Anne Moss identifie des éditions de Regius augmentée du commentaire de Lavinions dès 1510. Voir Ann Moss, Ovid in Renaissance France. A survey of the latin editions of Ovid and commentaries printed in France before 1600, The Warburg Institute, University of London, 1982, p. 66-71. Jean-Claude Moisan, Marie-Claude Malenfant, « D’Ovide à Marot », p. 105. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 211 établie par Catherine Kerbrat-Orechioni entre présupposés et sous-entendu 47 permet d’établir une typologie solide au niveau théorique. Cette typologie des structures a l’avantage de ne pas postuler a priori une fonction spécifique de l’ajout, mais de révéler, d’une part, la nature commune de tous les ajouts marotiques et, d’autre part, les différentes structures linguistiques permettant d’en expliquer la réalisation 48. Une fois les formes de l’ajout décrites avec rigueur, il deviendra possible de placer le phénomène à sa juste place dans l’économie de la traduction marotique. Les ajouts peuvent être classés en quatre catégories consistantes : 1. Ajouts par tautologie 2. Ajouts par logique du récit 3. Ajouts par reprise d’éléments explicites présents dans le contexte 4. Ajouts par érudition La première catégorie d’ajouts en constitue pour ainsi dire le « degré zéro ». Elle intervient lorsque la version française s’appuie purement et simplement sur les présupposés habituels du mot sur lequel porte l’ajout, par exemple, dans cette séquence qui décrit les créatures sous-marines pendant le déluge : Ovide, v. 300-302 Traduction Lafaye, p. 17 Nunc ibi deformes ponunt sua corpora [phocae. Mirantur sub aqua lucos urbesque domosque Nereides siluasque tenent delphines des phoques posent leurs corps informes. Les Néréides s’émerveillent de voir au fond des eaux des parcs, des villes, des maisons ; les dauphins habitent des forêts. ms. Douce 117, v. 582-588 Edition Defaux, v. 589-594 Là maintenant balleines monstrueuses Posent leurs corps / les nymphes vertueuses Regnans en mer qu’on nomme Nereydes Grand merveille ont de veoir soubz eaux [liquides Foretz / citez / et maisons de hault poix. Les beaux daulphins / tiennent les champs [et boys Là maintenant Balaines monstrueuses Posent leurs corps. Les Nymphes vertueuses Regnants en mer, & belles Nereides S’estonnent fort de veoir soubs Eaues [liquides Forestz, maisons, villages & citez. Par les Daulphins les boys sont habités, 47 48 Catherine Kerbrat-Orechioni, L’Implicite, Paris, Armand Colin, 1986. L’analyse laisse de côté les ajouts induits purement et simplement par les contraintes linguistiques : articles, temps verbaux composés, etc. 212 « OVIDE VEUT PARLER » Ou, dans cette séquence qui décrit l’Age d’Or : Ovide, v. 112 Traduction Lafaye, p. 17 Flauaque de uiridi stillabant ilice mella. Et l’yeuse au vert feuillage distillait le [miel blond. ms. Douce 117, v. 217-218 Edition Defaux, v. 219-220 Et le doulx miel / dont lors chascun goustoit Du chesne verd / tout jaulne degoutoit. Et le doulx miel, dont lors chascun goustoit Des arbres verds tout jaulne degoustoit. Nul besoin pour Marot de consulter Regius ou toute autre forme de glose pour déduire que les eaux sont liquides, ou le miel, doux. L’information rendue explicite par l’ajout est tirée directement des présupposés liés aux noms dont les adjectifs sont épithètes. Il est par ailleurs important de noter que tous ces ajouts sont aussi bien présents dans le ms. Douce 117 qu’ajoutés lors de la révision : le procédé semble relever d’une pratique courante et non du souci de la révision. Considérés isolément, ces ajouts portant sur l’adjectif épithète pourraient conduire à postuler, au cœur de la traduction marotique, un dispositif du type « épithète homérique ». La notion semble d’autant plus mériter l’attention qu’elle relève de l’épithète de nature, une forme de copia que Du Bellay refuse aux vrais poètes 49. Tout semble appeler une évaluation du dispositif sur la base de théories esthétiques exogènes : on peut imaginer trouver des arguments établissant la douceur du style marotique ou sa médiocrité. La discussion ne ferait cependant pas justice à l’ensemble du geste de Marot. La catégorie d’ajout considérée ne porte que sur une partie fortement minoritaire des opérations observées dans la traduction du Premier Livre. La catégorie « ajout par tautologie » réunit de plus des réalisations qui dépassent la pure et simple épithète de nature. L’intérêt d’une description complète de la technique appliquée par Marot consiste à ne pas convoquer trop vite les théories esthétiques exogènes pour juger de son travail. Le caractère tautologique de l’ajout apparaît très proche de l’épithète de nature lorsque le processus porte sur un présupposé dont l’explicitation, aisée pour les lettrés du temps, relève néan49 Olivier Millet, « Commentaire », Joachim Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue française, p. 228-229. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 213 moins, au point de vue linguistique, d’une forme de progression rhématique. Dans la séquence ci-dessous qui décrit la naissance des vents, on peut admettre qu’il soit utile de confirmer la nature du vent Eurus à un public qui découvre les Métamorphoses : Ovide, v. 61-62 Traduction Lafaye, p. 9 Eurus ad Auroram Nabataeaque regna recessit Persidaque L’Eurus se retira vers l’Aurore, le royaume des Nabatéens ms. Douce 117, v. 117-118 Edition Defaux, v. 121-123 L’ung c’est Eurus qui en orient perce Les regnes haulx de Nabate et de Perse Le vent Eurus tout premier s’en volla Vers l’Orient, & occuper alla Nabathe, & Perse, L’ajout par tautologie est également à l’origine des nombreuses géminations notées par les critiques, comme dans cette séquence décrivant la création du monde : Ovide, v. 22 Traduction Lafaye, p. 8 Nam caelo terras et terris abscidit undas il sépara du ciel la terre, de la terre les eaux ms. Douce 117, v. 41-42 Edition Defaux, v. 45-46 Car terre adonc du ciel desempara. De terre aussi / les eaux il separa Car terre adoncq du Ciel desempara, De terre aussi les eaues il separa, Ou, dans le récit de la naissance des vents : Ovide, v. 58-60 uix nunc obsistitur illis, Cum sua quisque regant diuerso flamina tractu, Quin lanient mundum ; tanta est discordia fratrum. Traduction Lafaye, p. 9 aujourd’hui encore, quoiqu’ils règnent chacun dans une contrée différente, on a beaucoup de peine à les empêcher de déchirer le monde, si grande est la discorde entre ces frères. ms. Douce 117, v. 109-116 Edition Defaux, v. 113-120 A iceulx ventz / dieu n’a permis d’aller. Confusement par la voye de l’air Et non obstant que chascun d’eulx exerce Ses soufflemens / en region diverse. Encore à peine on peult (quant s’esvertuent Y resister) qu’ilz ne rompent et ruent Le monde jus /par bouffemens austeres. Tant est discorde entre ces quatre freres. Tant terrible est la discorde des freres. A iceulx ventz Dieu n’a permis d’aller Confusement par la voye de l’aer, Et nonobstant, que chascun d’eulx exerce Ses soufflemens en region diverse Encor à peine on peult (quand s’esvertuent) Y resister, qu’ilz ne rompent, & ruent Le monde jus par bouffemens austeres, Tant terrible est la discorde des freres. 214 « OVIDE VEUT PARLER » Ou, dans une séquence extraite de la description du déluge : Ovide, v. 328-329 Traduction Lafaye, p. 18 Nubila disiecit nimbisque aquilone remotis Et caelo terras ostendit et aethera terris. il dissipe les nuages et, chassant les brouillards au souffle de l’Aquilon, il montre la terre au ciel et le ciel à la terre. ms. Douce 117, v. 640-644 Edition Defaux, v. 645-649 Cela voyant / les nues qui tant pleurent Il separa / Et quant les pluyes furent Par Aquilon / chassées en mainctz lieux La terre au ciel / et aux terres les cieulx Il va monstrer / Cela voyant, les nues, qui tant plurent Rompt, & separe. Et quand les pluyes furent Par Aquilon chassées en maints lieux, Aux cieulx la terre, à la terre les cieulx Il va monstrer : Une occurrence donne même à la gémination un facteur trois dans un passage qui décrit la génération spontanée des animaux après le retrait des eaux : Ovide, v. 430-431 Traduction Lafaye, p. 22 Quippe ubi temperiem sumpsere umorque En effet, lorsque l’humidité et la chaleur se calorque, sont combinées l’une avec l’autre, Concipiunt et ab his oriuntur cuncta duobus ; elles conçoivent ; c’est de ces deux principes que naissent tous les êtres ; ms. Douce 117, v. 840-843 Edition Defaux, v. 845-848 Certes après que humeur de froit esprise Et chaleur aspre ont attrempance prise Certes apres qu’humeur de froit esprinse, Et chaleur aspre ont attrempance prinse Produisans sont et concoyvent et portent Et de ces deux toutes les choses sortent Produisant sont, & conçoyvent, & portent, Et de ces deux toutes les choses sortent. Pierre Maréchaux accorde à la gémination une importance cardinale : (…) une des modalités de la translation marotique réside dans cette variation, qui se veut copie détachée. Par émulation et par jeu autonymique, Marot rivalise avec la copia d’Ovide en instituant cet ordre de la synonymie, ce dénivellement de la qualification. C’est donc une grande richesse de cette métamorphose marotique que de varier le niveau auquel un même objet peut être perçu, libérant les secrets du sens. Chaque geminatio est le creuset d’une herméneutique discrète, car ces transgressions issues de Regius sont en fait INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 215 de rares résurgences de la tropologie ou de l’histoire telle qu’elles transparaissent dans les commentaires latins fécondés par la mythographie antique et médiévale 50. Pierre Maréchaux ne donne pas de description d’extrait contenant des géminations. Si l’on se rapporte aux exemples cités cidessus, on s’aperçoit que Regius ne propose un commentaire en geminatio que pour le récit de la naissance des vents : « Quin lanient mundum. dissipent. ac dilacerent. » 51 Il n’est certes pas besoin que toutes les géminations trouvent leur origine dans Regius pour confirmer l’influence de ce dernier dans le procédé. Ce qui compte, c’est de situer le dispositif dans l’ensemble de l’économie technique du Premier Livre. Le commentaire de Maréchaux est à ce titre relativement plus précis, puisqu’il mentionne « une des modalités » produisant de « rares résurgences » : la nuance est importante, car elle pose la question d’une forme de copia dans une version qui n’est pas véritablement copieuse. A nouveau, le risque est grand de se saisir trop vite de l’argument pour juger de la valeur esthétique du Premier Livre. Jugera-t-on alors que le dispositif, au travers de la copia qu’il apporte, constitue l’une des rares réussites de la version de Marot ? Insistera-t-on au contraire sur la valeur herméneutique du procédé qui témoigne de la profondeur de vue du traducteur ? Impossible de décider de la question sans situer le procédé dans l’ensemble du geste de Marot traducteur. A ce titre, les autres catégories d’ajout permettent de saisir plus précisément les fonctions du procédé. La deuxième catégorie porte sur des ajouts pour lequel le calcul interprétatif réalisé par le traducteur pour déterminer les éléments à ajouter fait appel avant tout à la logique interne de l’histoire racontée, par exemple, dans cette séquence qui décrit la séparation des éléments (air, terre et feu) au moment de la création du monde : Ovide, v. 26-28 Traduction Lafaye, p. 8 Ignea conuexi uis et sine pondere caeli Emicuit summaque locum sibi fecit in arce. Proximus est aer La substance ignée et impondérable de la voûte céleste s’élança et se fit une place dans les régions supérieures. L’air est ce qui en approche le plus 50 51 Pierre Maréchaux, « L’arrière-fable », p. 88-89. Regius, p. 22. 216 « OVIDE VEUT PARLER » ms. Douce 117, v. 49-52 Edition Defaux, v. 53-56 Du ciel couché la force du feu clere Sans aucun poix / eut splendeur qui esclere Et print son siege / au degré treshaultain. Quant est de l’air / il a son lieu certain Le feu sans poix du Ciel courbe, & tout rond, Fut à monter naturellement prompt, Et occupa le degré plus haultain. L’air le suyvit qui n’en est pas loingtain, Le mécanisme repose toujours sur le jeu des présupposés, à ceci près que ceux-ci ne sont pas exclusivement portés par le mot sur lequel porte l’ajout. L’adverbe « naturellement » est calculé selon le schéma suivant : élément sans poids, le feu est comme plus logiquement porté à monter. La consultation du ms. Douce 117 révèle une version fort différente : d’un texte à l’autre, le texte gagne une clarté, dans laquelle l’adverbe « naturellement » semble expliciter les logiques de la mécanique céleste. La catégorie d’ajout par logique du récit touche très souvent les connecteurs, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de rendre une tournure très latinisante. Ainsi, lors de la fuite de Lycaon, le déponent « nanciscor – nactus » utilisé dans un rôle de participiale est rendu par l’ajout d’un connecteur (conjonction de subordination) : Ovide, v. 232-233 Traduction Lafaye, p. 15 Territus ipse fugit nactusque silentia ruris Epouvanté, il s’enfuit et, après avoir gagné la campagne silencieuse, Exululat frustraque loqui conatur : il se met à hurler; en vain il s’efforce de parler. ms. Douce 117, v. 450-453 Alors s’en fuyt troublé de peur terrible Et aussi tout qu’il sentit l’air paisible Des champs et boys / Edition Defaux, v. 453-456 Adonc s’enfuyt, troublé de peur terrible : Et aussi tost, qu’il sentit l’air paisible Des champs & boys, de huller luy fut force / de hurler luy fut force, Car pourneant à parler il s’efforce. Car pour neant à parler il s’efforce. La version de Marot ajoute une connotation de cause à effet entre le silence de la campagne et le hurlement de Lycaon. On peut penser que Marot – sensible à la contradiction voulue par Ovide entre le silence de la campagne innocente et le hurlement de Lycaon coupable – a voulu inférer une relation de cause à effet, l’environnement paisible se révélant insupportable pour le monstre. Il est également remarquable qu’à ce stade, Marot ne cherche pas à rendre INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 217 également la vision de Regius selon lequel il faut considérer qu’à ce stade, Lycaon était déjà devenu loup : « Exululat. Valde ululat. Iam enim in lupum fuerat conversus. Nam ululare : quod facticium est verbum, luporum est proprium. » 52 La logique du récit amène également l’ajout d’actants dont l’existence est induite par le déroulement même de l’action, comme dans ce passage de la naissance des vents dans lequel la logique de l’image poétique se révèle le guide sûr de Marot traducteur : Ovide, v. 58-60 Traduction Lafaye, p. 9 uix nunc obsistitur illis, Cum sua quisque regant diuerso flamina [tractu, Quin lanient mundum ; tanta est discordia [fratrum. aujourd’hui encore, quoiqu’ils règnent chacun dans une contrée différente, on a beaucoup de peine à les empêcher de déchirer le monde, si grande est la discorde entre ces frères. ms. Douce 117, v. 109-116 Edition Defaux, v. 113-120 A iceulx ventz / dieu n’a permis d’aller. Confusement par la voye de l’air Et non obstant que chascun d’eulx exerce Ses soufflemens / en region diverse. Encore à peine on peult (quant s’esvertuent Y resister) qu’ilz ne rompent et ruent Le monde jus /par bouffemens austeres. Tant est discorde entre ces quatre freres. A iceulx ventz Dieu n’a permis d’aller Confusement par la voye de l’aer, Et nonobstant, que chascun d’eulx exerce Ses soufflemens en region diverse Encor à peine on peult (quand s’esvertuent) Y resister, qu’ilz ne rompent, & ruent Le monde jus par bouffemens austeres, Tant terrible est la discorde des freres. Les « bouffemens austeres » ne correspondent à rien de défini chez Ovide : il s’agit d’un sous-entendu que le traducteur induit à partir de la violence des vents décrite par le passage. Ce n’est pas le commentaire de Regius, qui s’intéresse pourtant à de nombreux éléments du passage, qui amène Marot aux « bouffemens austeres » : il y vient plus sûrement en se représentant la scène qui laisse entendre le fracas provoqué par ces vents premiers auxquels rien ne résiste. L’ajout révèle ici directement l’imaginaire du poète qui se place mentalement face à la scène qu’il décrit. Un procédé qui se révélera courant se fait jour ici, qu’aucune théorie exogène n’aurait conduit à investiguer. Ailleurs, le même genre de structure laisse deviner chez Marot un imaginaire presque totalement libéré du texte d’Ovide : 52 Regius, p. 31. 218 « OVIDE VEUT PARLER » Ovide, v. 601 Traduction Lafaye, p. 28 Interea medios Iuno despexit in agros Cependant Junon abaissa ses regards sur [la campagne. ms. Douce 117, v. 1181-1182 Edition Defaux, v. 1189-1190 Ce temps pendant / Juno des cours Ce temps pendant, Juno, des Courts [hautaines [haultaines Regarde embas au milieu des grandz Regard[e] en bas au millieu des grands [plaines [plaines : Le verbe « despexit » indique un regard qui vient du haut : Marot choisit de nous dresser de Junon le portrait d’une reine au milieu de sa cour. L’imaginaire du poète prend si puissamment le dessus qu’il combine en une image le sens littéral et le sens figuré auxquels réfère le commentaire de Regius : « Despexit. Dehorsum aspexit. Alibi despicere contemnere est. » 53 La troisième catégorie comprend les ajouts pour lequel le calcul interprétatif fait appel à des éléments explicites présents dans le contexte immédiat de l’ajout, comme dans ce passage où Junon s’interroge sur les intentions de son mari au moment où il tente de séduire Io : Ovide, v. 623 Traduction Lafaye, p. 29 timuitque Iovem et fuit anxia furti, elle se méfia de Jupiter et redouta un larcin ms. Douce 117, v. 1225-1226 Edition Defaux, v. 1233-1234 Et craignyt grandement Que Jupiter luy print furtivement & craignit grandement Que Juppiter luy print furtivement Le terme latin « furti » est rendu par le verbe « print », qui est dénué – dans son acception générale – de la dimension de vol, de malhonnêteté. L’ajout de l’adverbe « furtivement » – qui est, tant dans la forme que sur le fond, beaucoup plus proche du latin « furti » – complète le verbe « print » et en oriente le sens. On notera que l’on se trouve ici en présence d’une situation relativement rare dans lequel un Contenu Nucléaire est transféré d’une unité linguistique à l’autre. L’ajout par calcul interprétatif peut servir à une intensification poétique, comme dans ce passage de la description de l’Age du Fer dans lequel est décrite la naissance de l’exploitation des mines : 53 Regius, p. 43. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT Ovide, v. 410 219 Traduction Lafaye, p. 21 Quae modo uena fuit sub eodem nomine ce qui était veine subsiste sous le même nom [mansit ; ms. Douce 117, v. 800-801 Edition Defaux, v. 805-806 Ce qui estoit veyne de pierre à l’heure Ce qui estoit veine de pierre à l’heure, Fut veine d’homme, & soubs son nom Fut veyne d’homme / Et soubz son nom [demeure [demeure. La « veine d’homme » est complètement implicite chez Ovide : en l’explicitant, Marot redonne à la « veine de pierre » toute sa valeur sémantique. Il confirme au passage le commentaire de Regius qui éclaire la métaphore des « vena » de pierre : « Venae autem in venas. Nam & lapidis venas suas habent. » 54 Une fois de plus, l’imaginaire du poète parvient à lier dans une formule unique un ensemble d’éléments issus d’un intense calcul interprétatif : considérer l’ajout comme une simple cheville au service du mètre ne rendrait pas compte du travail effectué par le traducteur. La quatrième et dernière catégorie est celle pour laquelle le calcul interprétatif repose sur l’érudition au sens large, qu’elle soit ou non exprimée explicitement dans un commentaire du type de celui de Regius. Pierre Maréchaux a proposé des exemples dans lesquels Marot semble presque « recopier » Regius ; il y a aussi des occurrences dans lesquelles Marot semble pratiquer avant l’heure l’innutrition exigée par Du Bellay, par exemple au moment de décrire le chaos avant la naissance des mers : Ovide, v. 13-14 Traduction Lafaye, p. 7 nec bracchia longo Margine terrarum porrexerat Amphitrite. Amphitrite n’avait pas étendu ses bras tout le long des rivages. ms. Douce 117, v. 25-28 Edition Defaux, v. 29-32 la grand fille des eaux La grand’fille immortelle Amphitrite / ses liquides ruisseaulx De l’Ocean, Amphitrite la belle Et bras de mer / n’estendoit pas encores. N’estendoit pas ses bras marins encores Aux longues fins de la terre ainsi que ores. Aux longues fins de la Terre, ainsi que ores : Regius – qui consacre un long commentaire à l’histoire d’Amphitrite – éclaire la métaphore de « bracchia » d’une façon 54 Regius, p. 37. 220 « OVIDE VEUT PARLER » relativement fastidieuse : « Nec brachia longo. Hoc est. Nec ullus Oceanus mediterranea maria effecerat : quae oceani bracchia esse videntur. » 55 La consultation du ms. Douce 117 montre comment Marot déplace le centre de gravité de la métaphore du comparé (la mer) au comparant (anthropomorphisme de la déesse) : Marot réussit une inculturation discrète de la vision du monde latine dans la langue française, et parvient avec un seul adjectif à résumer l’ensemble du commentaire de l’humaniste, tout en rendant pleine justice à l’imaginaire antique. Renvoyer purement et simplement à l’érudition ne rendrait pas ici compte de la part qui revient en propre à Marot. Poète tout autant que traducteur, Marot parvient à identifier chez Regius les termes qui vont lui permettre de dire en peu de mots ce que l’humaniste développe dans un commentaire important, ainsi pour la création de la terre : Ovide, v. 29 Traduction Lafaye, p. 8 Densior his tellus elementaque grandia la terre, plus dense, entraîna avec elle les [traxit éléments massifs et se tassa sous son propre poids. ms. Douce 117, v. 55-57 Edition Defaux, v. 59-61 En espesseur la terre les surpasse Et si tira/ la matiere plus crasse Des elemens / En espoisseur la terre les surpasse, Et emporta la matiere la plus crasse Du lourd morceau Ovide explique la répartition des éléments en partant de leurs natures propres : l’élément le plus léger, le feu, occupe la voûte céleste ; l’air – à peine plus lourd – le suit ; quant à la terre, elle se met en place par contraste avec l’air et le feu, ainsi que l’indiquent les deux comparatifs latin « densior » et « grandior ». Regius, qui tient à restituer à la fable tout son sens, donne un commentaire détaillé de ce vers : Densior his tellus. hoc est. crassior et gravior. Elementaque grandia traxit : hoc est : partes magnas et graviores ex illo acervo secum traxit. Proprie autem illo verbo traxit usus est poeta. Nam vi quadam naturali [omnia] gravia et ponderosa dehorsum trahuntur. 55 Regius, p. 19. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 221 Elementa vero p[ro] partibus posuit. Nam elementum est : ex quo primo prodeunt quae fiunt : et in quod extremum resolvuntur 56. Marot n’entre pas dans les considérations de Regius à propos de la valeur poétique du verbe « traxit », mais il le maintient dans le verbe « emporta ». Ce maintien impose de rendre l’ensemble de l’idée d’Ovide dans un seul SN dans la valence verbale. Marot identifie dans le commentaire de l’humaniste des moyens linguistiques qui lui permettent de procéder de façon aussi économique que possible : d’une part, l’adjectif « crasse » pour « grandia » ; d’autre part, la saturation du comparatif par l’ajout du complément « lourd morceau » qui reprend « aceruo » chez Regius. Loin de suivre servilement le commentaire de Regius, l’imaginaire de Marot le dissèque, le digère pour produire une version française véritablement nourrie de l’érudition humaniste. Parfois, l’ajout révèle la façon dont Marot envisage la mythologie, ainsi dans cet extrait du récit de Jupiter descendu sur terre pour punir Lycaon : Ovide, v. 213 Traduction Lafaye, p. 14 Et deus humana lustro sub imagine terras. et, après avoir déguisé ma divinité sous la figure humaine, je me mets à parcourir la terre. ms. Douce 117, v. 412-413 Et circuy le terrestre dommaine Estant vray dieu dessoubz figure humaine / Edition Defaux, v. 415-416 Et circuy le terrestre dommaine, Estant vray Dieu dessoubz figure humaine. Regius ne rappelle en rien la royauté du plus puissant des dieux, et pourtant Marot donne à la terre le caractère de propriété de Jupiter, en l’évoquant comme son « dommaine ». Certains verront peut-être dans cet ajout un trait médiévalisant de la traduction de Marot : ce serait oublier que, dans la France de 1530, l’incarnation par excellence du pouvoir, c’est toujours le roi. Si les quatre types d’ajout décrits plus haut permettent de décrire avec précision un certain nombre de versions françaises, ils ne constituent pas des mécanismes toujours identifiables de façon univoque. On peut citer en effet un certain nombre de 56 Regius, p. 20. 222 « OVIDE VEUT PARLER » séquences dans lesquelles l’ajout peut relever de plusieurs types, par exemple lorsqu’Apollon se vante d’être l’inventeur de la musique : Ovide, v. 518 per me concordant carmina neruis. ms. Douce 117, v. 1016-1017 Traduction Lafaye, p. 25 moi qui marie le chant aux sons des cordes. Edition Defaux, v. 1023-1024 Par moy encor / maint beau vers poetique Par moy encor maint beau vers Poëtique Accorde au son des cordes de Musique : Acorde au son des cordes de musique Il est difficile de dire si la « Musique » doit être considérée comme une pure tautologie, les cordes produisant les sons concordant avec les vers étant forcément musicales, ou si, au contraire, l’image d’Apollon telle que la construit l’intertexte induit forcément la présence d’un instrument à corde. Regius quant à lui tient à préciser : « hoc est musicae et harmoniae ego sum inventor » 57. Les catégories ne sont en soi pas contradictoires : elles décrivent des mécanismes de calcul interprétatif par lesquels Marot identifie des éléments implicites dans le texte d’Ovide et les exploite dans sa version. L’explication d’un ajout par un mode de calcul interprétatif donné revient à la formulation d’une hypothèse : il importe que les hypothèses soient construites selon un modèle systématique, mais cela n’exclut pas qu’il soit parfois possible de formuler plusieurs hypothèses pour un ajout donné. Par ailleurs, la multiplicité des hypothèses ne remet pas en cause le processus général d’explicitation d’éléments implicites : rendre compte de ce mouvement général importe dans la mesure où il permet de voir comment l’ajout met la version au service de l’original latin. Les situations dans lesquelles il est difficile de définir avec certitude quel type de calcul interprétatif est à considérer comme décisif dans l’élaboration de la version française conduisent à envisager les quatre catégories d’ajout comme les degrés d’un continuum contenu entre les deux extrêmes de la tautologie et de l’intertexte érudit le plus large. Les diverses catégories s’échelonnent alors dans le sens d’un lien toujours plus lâche avec les 57 Regius, p. 40. INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 223 présupposés stricts du texte d’Ovide et d’un recours toujours grandissant à des sous-entendus induits à partir d’éléments plus diffus du texte qui vont de la représentation mentale de la scène décrite à la prise en compte directe du commentaire érudit. L’idée d’un continuum sous-tendant l’ensemble des phénomènes d’ajout permet de voir comment l’opération a priori très générale d’explicitation aboutit à des réalisations concrètes très différentes. Le commentaire critique gagne en rigueur s’il tient compte du fait que les manifestations très diverses de l’ajout dérivent en réalité de la capacité générale au calcul d’implicite. Dessiner une constante dans les observations multiples qu’il est possible de formuler à propos de l’ajout évite de tomber dans le piège du marais cognitif qui conduit à exagérer l’importance des hypothèses formulées à partir d’une dimension théorique exogène. Dans l’unité que présente le traitement de l’implicite par Marot, on voit se dessiner des processus clairement différenciés qui permettent – en contexte – de reconstruire le calcul auquel s’est livré le traducteur. Ces processus – tautologie, exploitation de la logique du texte, appui sur un élément du contexte ou érudition – peuvent être mis en parallèle avec des fonctions mises au jour par les critiques : cheville, renforcement de la stratégie narrative, mythographie. La question est donc de savoir si ces fonctions conditionnent les processus appliqués. Il est très délicat d’attribuer une intention esthétique aux phénomènes observés, sans avoir à admettre une multitude de fonctions, dont certaines peuvent se révéler contradictoires d’un passage à l’autre : comment expliquer l’ajout à partir de la seule cheville ou de la seule volonté mythographique ? comment admettre que le traducteur applique simultanément des stratégies de remplissage et des stratégies visant à intégrer à son texte l’héritage humaniste ? Il semble plus raisonnable de poser que les phénomènes observés ne sont pas fonction de stratégies que le traducteur s’impose a priori, mais varient en fonction de la façon dont – en contexte – le poète calcule sa version à partir du sens implicite qu’il perçoit chez Ovide. Chaque type de calcul est en soi légitime et la variété des types révèle avant tout les compétences multiples du traducteur. Certes, le recours à un type de calcul donné pour un ajout spécifique renseigne bien sur la lecture qu’il fait d’un passage 224 « OVIDE VEUT PARLER » particulier, mais il ne saurait renvoyer de façon directe à un projet totalisant de sa traduction. Il se révèle plus fécond de considérer certaines caractéristiques intrinsèques de l’ajout apparues à l’occasion de son étude systématique et qui renseignent en profondeur sur le geste de Marot traducteur. L’ajout s’avère incontestablement lié au projet éditorial que Marot décrit dans la préface de sa version du Premier Livre et qui est habité totalement par l’idée de rendre Ovide accessible au lecteur contemporain, en particulier au public de la cour. La multiplicité des compétences dont fait preuve le traducteur ne remet pas en cause le profil général de son travail : l’ajout s’appuie sur de nombreuses ressources linguistiques, mais il vise avant tout à donner du texte d’Ovide la version la plus accessible possible. Le texte traduit est le résultat de la mise en œuvre de nombreuses ressources que le public visé ne possède certainement pas et que le travail du traducteur cherche à rendre imperceptibles en soi. Par l’ajout, Marot traducteur se donne de surcroît une autonomie et une autorité qui dépassent celles de tous les commentateurs, puisqu’il se pose en arbitre des gloses et choisit ce qu’il souhaite ajouter à son texte en fonction de paramètres qui ne se résument pas à l’apport maximum d’information érudite. Cette autorité témoigne d’une attitude originale vis-à-vis de la culture humaniste, puisqu’elle ne retient pas le commentaire érudit comme finalité, mais comme moyen au service d’un discours clairement orienté vers le public de cour. Celle-ci fut pour Marot, une « maîtresse d’école ». Avec la traduction, Marot pousse le raisonnement un peu plus loin : présenter le savoir dans une forme telle qu’il n’y ait plus besoin de maître pour pouvoir l’appréhender ou – mieux – de telle façon que le maître s’efface complètement devant le savoir qu’il met à disposition du public. Cette motivation se distingue nettement de l’exercice de la copia, souvent invoquée par les critiques pour expliquer la pratique de l’ajout chez les traducteurs de la Renaissance. Au plan technique, la mise en évidence de la mécanique du calcul interprétatif au cœur des processus de l’ajout amène à saisir que celui-ci possède une dimension « littérale » dans la mesure où il renvoie toujours à une lecture possible du texte d’Ovide. La notion d’ajout « littéral » n’est pas sans poser pro- INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT 225 blème, puisque le littéralisme consisterait justement à renoncer à l’ajout. Elle rend cependant compte de ce que l’ajout n’appartient pas en propre au traducteur, mais repose aussi sur un substrat qui vient du texte source ou de son interprétation. Si, quantitativement, l’ajout ne représente en gros qu’un tiers du traitement du Premier Livre, la dynamique profonde dont il témoigne met sur la piste de l’équilibre fondamental du geste de Marot traducteur. CHAPITRE VI RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR Marot, « Ovide français » (Defaux 1), Marot, « Regius français » (Maréchaux 2) : la valorisation du travail de Marot traducteur semble devoir passer par la référence à un modèle incontestable dans un domaine autre que la traduction. Le plus souvent, il est clair que le souci de l’illustration du poète l’emporte sur la question du texte en tant que tel. Quelques remarques au sujet de la parenté « Ovide/Marot » ou du traitement de la mythologie dans le Premier Livre mettent sur la voie de la façon dont s’est posée jusqu’ici la question de la poétique dans la traduction de Marot. Prolongeant la proposition de Gérard Defaux pour qui « le vrai modèle de Marot, ce n’est pas Virgile, mais Ovide» 3, George Luck 4 dresse, aux plans biographique et littéraire, un inventaire des parallèles qui font de Marot le « disciple » d’Ovide. Au sujet du Premier Livre, George Luck indique toutefois de façon quelque peu sybilline : Il faut admirer le courage de Marot d’aborder la traduction des Métamorphoses, un poème épique qui n’en est pas un, mais plutôt une succession brillante d’épisodes, une célébration de la transformation comme principe cosmique et poétique 5. L’allusion au courage de Marot laisse entendre que le traitement des Métamorphoses implique une autre forme de talent 1 2 3 4 5 « Marot se dit enfin prêt à être notre Maro, voire notre Homère. Mais il se trompe : il aura été notre Ovide. », note à l’épître « A Monsieur d’Anguyen » avec laquelle Defaux commente une proposition de Marot de traduire Virgile ou Homère. Marot, TII, p. 1298. Pierre Maréchaux, « L’arrière-fable », p. 90. Marot, TII, p. 1191. Georg Luck, « Tenerorum lusor amoroum : Marot disciple d’Ovide ». Georg Luck, « Tenerorum lusor amoroum : Marot disciple d’Ovide », p. 71. 228 « OVIDE VEUT PARLER » poétique que les jeux intertextuels auquel le poète français se livre avec la poésie amoureuse du maître latin. Guy Demerson note quant à lui la vocation clairement « pédagogique et culturelle » de l’entreprise des traductions de Marot, vocation qui exige du poète un effort créatif différent d’autres exploitations de la fable : […] il [Marot] retrouve le sens profond du mythe : représentation collective où s’expriment les aspirations d’une communauté, un besoin politique d’affirmer son identité et sa force, ses valeurs sacrées qui donnent un sens à son aventure terrestre 6. La traduction d’un ouvrage de la dimension des Métamorphoses modifie les règles du jeu intertextuel : le mythe ne peut plus être convoqué avec la même légèreté que pour la production personnelle. Le poète doit tenir compte de ce que Barthélemy Aneau appelle « l’intelligence de voie ». Le programme marotique est à ce titre sans ambiguïté : Oultre plus, tel lit en maint passage les noms d’Apollo, Daphné, Pyramus, & Tisbée, qui a l’Histoyre aussi loing de l’esprit, que les noms pres de la bouche : ce que pas ainsi n’yroit, si en facille vulgaire estoit mise ceste belle Metamorphose. Laquelle aux Poëtes vulgaires, & aux Painctres seroit tresproffitable 7. La stratégie poétique de Marot s’éloigne cependant sensiblement de la méthode anelienne qui ajoute une glose en marge de la traduction. Pour mettre son Ovide « au vuyde », Marot ne s’autorise qu’une version en vers soignée. Il y a dans ce choix quelque chose de consubstantiel à la rhétorique de la présence que Gérard Defaux a décrite au cœur de l’œuvre du poète. La recherche de clarté domine un programme esthétique tout entier orienté vers la production d’une version française embrassant la subtilité d’Ovide sans imposer d’effort particulier au lecteur. Les ressources de l’érudition appuient le plus souvent cette recherche, mais le poète sait rester souverain dans la définition de la version à retenir. La langue latine n’est pas sans poser certaines difficultés, face auxquelles le poète doit 6 7 Guy Demerson, « Marot Mythographe », p. 39. Marot, TII, p. 406. RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR 229 parfois totalement changer de technique. Et s’il n’oublie jamais ses propres capacités poétiques, Marot sait également renoncer aux artifices gratuits. LA CLARTÉ Dans l’article séminal intitulé « Rhétorique, silence et liberté », Gérard Defaux éclaire une interrogation centrale au cœur de la poésie marotique, qui met en évidence le paradoxe induit par la recherche d’une poésie libérée d’elle-même dès lors que seule la modestie du style garantit la liberté du poète : On voit du coup en quoi cette conception éthique et substantialiste du langage ne peut que poser à Marot des problèmes insurmontables. En admettant en effet qu’il soit à la limite possible de concevoir l’idée d’une poésie fondée sur une recherche de la simplicité, et de la sincérité et du dépouillement, d’une poésie refusant aussi bien toute contrainte formelle que sonore, toute artificialité rhétorique, que dire en revanche d’une poésie qui, comme informée par une sourde méfiance à l’égard du langage, perpétuellement travaillée par le désir de « sy peu parler », subrepticement tend au silence comme à sa propre fin ? Car, au-delà de toutes ces conventions qui le figent, le rendent impropre à l’expression du vécu personnel, c’est bien en définitive de soi que, chez Marot, le langage cherche à se libérer 8. Appliquée à la traduction, l’analyse de Defaux conduit à faire chez Marot l’hypothèse d’une éthique en deux temps : premier temps, il faut traduire ; deuxième temps, puisqu’il faut traduire, la manière de traduire doit rechercher la simplicité et le dépouillement. Il faut traduire. Les motivations tant politiques que financières sont nombreuses. La recherche du succès auprès d’un public qui s’ouvre toujours plus à la culture antique est également tout à fait légitime. Si l’on suit Defaux lorsqu’il décrit la méfiance de Marot vis-à-vis du langage poétique, on peut faire aussi une hypothèse plus intime : traduire, ce n’est pas ajouter à la poésie 8 Gérard Defaux, « Rhétorique, silence et liberté dans l’œuvre de Marot », BHR, tome XLVI, 1984, no 2, p. 312. 230 « OVIDE VEUT PARLER » par la seule vanité d’une création personnelle, c’est se mettre au service d’un projet poétique moins suspect de superficialité. La manière de traduire doit rechercher la simplicité et le dépouillement. La recherche fondamentale du poète telle que la décrit Gérard Defaux se trouve en harmonie avec de nombreux points de la théorie de Dolet, notamment au sujet de l’exigence de la conservation des mots du français commun. En conservant l’hypothèse d’un rapport de Marot au langage tel que le décrit Defaux, on conçoit aisément que le poète a pu être attiré par la dimension pour ainsi dire désintéressée de l’exercice de la traduction, dont la valeur et la motivation dépassent la simple reconnaissance du talent du traducteur. Minimal et désintéressé, l’exercice de la traduction recèle également chez Marot une dimension altruiste dans le souci d’instruire le lecteur : comme le rappelle Guy Demerson : « il [Marot] n’a pas la prétention de révéler le corpus fabuleux d’Ovide, mais bien de préciser, de clarifier la culture de l’Intelligentsia. » 9 L’examen du geste de Marot traducteur a mis en évidence la prééminence des opérations de maintien. On peut voir dans cette technique une forme de simplicité, puisqu’elle implique, dans un certain sens, une limitation des modifications induites par le processus de traduction. Réduire l’éthique de la traduction à la recherche de cette simplicité conduirait cependant à juger que les recours nombreux aux opérations d’ajout, de transformation ou de suppression sont autant de renoncements de la part du poète. La distinction entre technique et esthétique doit ici s’appliquer à plein. L’impératif poétique répondant réellement aux exigences de dépouillement et de simplicité ne s’exprime pas seulement dans les choix techniques les plus évidents. La réflexion sur les mécanismes à l’œuvre dans le processus de traduction vise précisément à éviter de confondre l’exigence esthétique et les moyens de sa réalisation. Parmi les passages commentés au titre de la technique du traducteur, la séquence dans laquelle Marot décrit les traits avec lesquels Jupiter aurait pu mettre le feu au monde permet d’illustrer la problématique : 9 Guy Demerson, « Marot mythographe », p. 31. RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR Ovide, v. 259 231 Edition Defaux, v. 507-508 Tela reponuntur manibus fabricata Lors on cacha les dardz de feu chargés [Cyclopum ; Des propres mains des Cyclopes forgés, L’ajout auquel se livre Marot souligne le raisonnement à l’origine du revirement de Jupiter, qui songe un moment à punir les humains de ses propres mains, mais préfère demander l’aide de son frère Neptune pour provoquer le déluge, craignant que le feu ne finisse par gagner le firmament où résident les dieux. Au travers d’un ajout témoignant aussi bien de sa perception de l’imaginaire antique que de son attention au commentaire de Regius, Marot conduit le lecteur français vers une compréhension plus aisée de la logique du récit ovidien. Le poète sait recourir à un dispositif sophistiqué pour que la lecture soit facilitée. L’impératif auquel il se soumet ne vise pas la simplicité des processus requis pour la production du texte, mais la clarté, en favorisant la réception. Au service de la clarté, la main de Marot se montre souvent plus discrète que dans la séquence des foudres de Jupiter, en particulier dans le traitement des connecteurs : Ovide, v. 675 Traduction Lafaye, p. 31 et dépose ses ailes ; il ne garde que sa baguette. Et posuit pennas ; tantummodo uirga [retenta est : ms. Douce 117, v. 1329-1330 Edition Defaux, v. 1336-1337 Semblablement des esles se desnue Et seulement sa verge a retenue Semblablement des aesles se desnue, Et seullement sa verge a retenue. Le passage évoque la descente de Mercure sur terre : pour ne pas être reconnu, le dieu se défait des signes qui le distinguent. Dans la séquence précédente, il a ôté son chapeau et, dans celleci, il se départ de ses ailes. Ovide connecte en utilisant simplement « et », que Marot transforme en l’adverbe « semblablement ». Le choix de « semblablement » au lieu de « et » permet de faire comprendre l’unité d’intention dans les actions de Mercure : l’anaphore « semblablement »/ « seullement » quant à elle met en évidence l’importance du fait que Mercure garde son bâton, qui lui sert à se faire passer pour un berger. Un dispositif à la fois discret et sophistiqué facilite la tâche du lecteur français. Le style volontiers elliptique d’Ovide occasionne des passages où le traitement du connecteur s’avère crucial pour maintenir 232 « OVIDE VEUT PARLER » l’agrément de la lecture, par exemple dans ce passage où le commentaire explique à quel point il est difficile pour Daphné de défendre sa chasteté : Ovide, v. 488-489 Traduction Lafaye, p. 24 Ille quidem obsequitur ; sed te decor iste [quod optas Esse uetat uotoque tuo tua forma [repugnat. il consent ; mais tu as trop de charmes, Daphné, pour qu’il en soit comme tu le souhaites et ta beauté fait obstacle à tes vœux. ms. Douce 117, v. 956-960 Edition Defaux, v. 961-964 Son pere adonc ung si grand dieu ensuyt Mais (ô Daphné) beaulté que tant reluyt Te deffend estre ainsi que es desirante Et à ton veu / ta forme est repugnante. Lors (ô Daphné) vray est, qu’ à ta demande Ton pere entend : mais ceste beaulté grande A ton vouloir ne donne aulcun adveu, Et ta forme est repugnante à ton vœu. La situation argumentative est ici particulièrement complexe, puisqu’elle mulitiplie les contradictions : opposition première entre la prière que Daphné fait à son père de demeurer vierge et la volonté de ce dernier de la voir se marier (« Debes mihi, filia, nepotes. » 10) ; opposition entre cette volonté première et la concession faite par Pénée au début de la séquence ; opposition entre la beauté de Daphné et sa volonté de ne pas se marier. La séquence considérée a pour fonction de déplacer la question du niveau familial (désaccord père/fille) au niveau cosmique (la beauté physique indissociable de l’hymen). Elle se construit sur une double réorientation argumentative : la première marquée par « quidem » qui marque le changement d’avis de Pénée, la seconde marquée par « sed » qui marque le passage du niveau familial au niveau cosmique. Les traductions habituelles de « quidem » en français moderne, telles que « certes » 11 ou « assurément », ne possèdent pas un sens concessif assez fort pour clarifier l’orientation argumentative. Il est remarquable par ailleurs que dans le Premier Livre, Marot – qui a utilisé l’adverbe « certes » à quatre reprises – ne l’a jamais choisi en lien avec la traduction de « quidem ». Au contraire, l’adverbe latin – qui apparaît lui aussi quatre fois – est rendu par : « pour vray », « ne vous 10 11 v. 482, Ovide, TI, p. 24. C’est le premier terme que donne Gaffiot dans l’article « quidem ». RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR 233 chaille », « vray est que » et, à une occasion, supprimé. La construction « vray est que » – qu’il est possible de coordonner directement avec la proposition suivante – permet de marquer la concession et d’assurer la clarification voulue dans une situation argumentative particulièrement complexe. D’autres modifications, induites par la construction syntaxique choisie, peuvent être observées dans la même séquence : ajout d’un SN dans la valence verbale (« ta demande ») et augmentation du SN sujet (« ille » devient « ton père »). L’indépendante latine est transformée en phrase complexe (principale – subordonnée) : la relative « quod optas » disparaît et devient un SN hors valence verbale « à ton vouloir ». Le traducteur accepte donc une réécriture importante de la séquence : la variante présentée par le ms. Douce 117 permet de prendre toute la mesure de l’effet produit par les transformations apportées par Marot. Une réécriture de cette ampleur constitue un cas prototypique de micro-stratégie rare dans l’économie technique du Premier Livre : une stratégie rare, mais non contradictoire avec le projet fondamental, est appliquée par le traducteur. L’exemple illustre parfaitement l’intérêt d’une distinction aussi nette que possible entre observation de la technique et évaluation esthétique. Un autre exemple témoigne bien de la façon dont Marot sait abandonner l’inertie du maintien pour explorer les divers degrés de la transformation, toujours au service de la clarté. Le jeu des catégories syntaxiques et des Contenus Nucléaires multiplie les réalisations qui renoncent au mot à mot dans une séquence qui décrit Daphné poursuivie par Apollon : Ovide, v. 527 Traduction Lafaye, p. 25 Tum quoque uisa decens ; nudabant toujours aussi belle à ses yeux, les vents [corpora uenti dévoilaient sa nudité. ms. Douce 117, v. 1034-1035 Lors en fuyant mout belle se monstroit Le vent / par coup ses membres descouvroit Edition Defaux, v. 1041-1042 Lors en fuyant moult gente se monstroit : Le vent par coups ses membres descouvroit, La version française éclaire le caractère paradoxal de la fuite de Daphné : en tentant d’échapper à Apollon, Daphné devient plus belle et le désir d’Apollon, plus grand ; en cherchant la sécurité pour elle, Daphné augmente les causes mêmes du danger. Le « quoque » latin souvent passe-partout – la traduction Lafaye ne 234 « OVIDE VEUT PARLER » le retient pas – est ici transformé par Marot en un gérondif qui éclaire le sens du processus. La transformation dit ici nettement l’autorité du traducteur qui choisit une version sans s’astreindre au mot à mot : ce type de réalisation donne une illustration concrète de ce que peut être l’application de l’adage d’Horace ou de la troisième règle de Dolet dans la manière de Marot. L’autorité du traducteur au service de la clarté s’affirme également dans des ajouts particulièrement marqués, comme dans ce passage où Junon découvre Io transformée en vache : Ovide, v. 612-614 Traduction Lafaye, p. 28-29 Bos quoque formosa est ; speciem [Saturnia vaccae, Quamquam inuita, probat nec non et [cuius et unde, Quoue sit armento, ueri quasi nescia, quaerit. Juppiter Même ainsi, elle est belle encore ; la fille de Saturne, quoique à contre-cœur, admire la perfection de ses formes. « A qui appartient cette génisse ? d’où vient-elle, et de quel troupeau ? » demande Junon, comme si elle ignorait la vérité. ms. Douce 117, v. 1203-1208 Edition Defaux, v. 1211-1216 Belle de corps / comme Yo fut en vis Adonc Juno quoy que ce fust envis) En estima la forme et le poil beau Et si s’enquiert à qui / de quel troppeau Et d’où elle est comme non congnoissant La verité / Jupiter dieu puissant Belle de corps, comme Yo fut en vis. Adonc Juno (quoy que ce fust envis) En estima la forme, & le poil beau, Et si s’enquiert, à qui, de quel trouppeau, Et d’où elle est, comme non congnoissant La verité. Juppiter Dieu puissant, La substitution d’une subordonnée à un simple adverbe tranche nettement avec les habitudes du traducteur. Le « quoque » d’Ovide concentre un fort sous-entendu qui renvoie à la beauté de Io avant sa métamorphose. Marot dévide tout le fil de l’implicite pour donner une version totalement explicite, même si elle n’a plus rien à voir avec le texte source. Très rare dans le Premier Livre, l’exemple est précieux en ce qu’il fait voir la force de l’exigence de clarté, poussant le traducteur à modifier sa technique. Un autre exemple montre même Marot qui remet en cause jusqu’aux limites de l’exercice de la traduction : Ovide, v. 138-140 sed itum est in uiscera terrae, Quasque recondiderat Stygiisque admouerat [umbris Effodiuntur opes, inritamenta malorum. Traduction Lafaye, p. 12 mais il pénétra jusque dans ses entrailles ; il en arracha ce qu’elle y avait caché, ce qu’elle avait relégué près des ombres du Styx, les trésors qui provoquent nos maux. RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR ms. Douce 117, v. 269-272 Mais jusqu’au fons des entrailles allerent De terre basse où prindrent et fouillerent Tous les tresors /et opulences vaines Qu’elle cachoit en ses profondes veines 235 Edition Defaux, v. 271-274 Mais jusque au fond des entrailles allarent De berre basse, où prindrent, & fouillarent Les grands thresors, & les richesses vaines, Qu’elle cachoit en ses profondes veines : Si les « profondes veines » peuvent être considérées comme un équivalent possible de « umbris », la référence au Styx n’apparaît pas dans la version de Marot : la disparition est d’autant plus étonnante que Regius 12 souligne que certains situent les Enfers au centre de la terre et que Marot lui-même ne cherche pas à éviter de donner une valeur morale à l’extraction des métaux précieux : « richesses vaines » (v. 273-Defaux), « incitements à tous maulx » (v. 276-Defaux). Une piste possible pourrait être justement la volonté de Marot d’éviter une confusion entre les Enfers antiques et l’enfer chrétien. La référence ovidienne au Styx dénote le lieu éloigné, profond, pas forcément le lieu maléfique : du point de vue de la dénotation géographique, l’effacement du Styx ne nuit aucunement à la compréhension du passage par le lecteur français. Mieux : l’absence de référence au Styx est susceptible de focaliser le lecteur français avant tout sur la géographie décrite par le texte, alors que son maintien risque plutôt de brouiller les interprétations. Il n’est d’ailleurs pas inintéressant de noter que le long commentaire 13 de Lavinius qui fait le lien entre l’âge du fer et les temps bibliques qui suivent l’histoire de Caïn n’exploite absolument pas l’allusion au Styx. On retrouve une approche relativement identique de la question au début de la harangue de Jupiter : Ovide, v. 187-189 Nunc mihi, qua totum Nereus circumsonat [orbem, Perdendum est mortale genus. Per [flumina iuro Infera sub terras Stygio labentia luco, 12 13 Traduction Lafaye, p. 13 Ajourd’hui, dans tout le globe que Nérée entoure de ses flots retentissants, il me faut anéantir le genre humain. J’en jure par les fleuves infernaux, qui, sous la terre, baignant le bois du Styx, Regius, p. 26. Metamorphoseos libri XV ; in eosdem libros Raphaelis Regii luculentissime enarrationes, neque non Lactantii et Petri Lavinii commentarii, non ante impressi, IXvo-Xro. 236 « OVIDE VEUT PARLER » ms. Douce 117, v. 362-367 Mais maintenant / en toute voye et trace Par où la mer / le monde entier embrasse. Perdre et tuer me fault pour son injure Le mortel genre. Et qu’ainsi soit j’enjure Des bas enfers les fleuves plains d’encombres Coulans soubz terre aux stigieuses ombres. Edition Defaux, v. 365-370 Mais maintenant, en toute voye, & trasse Par où la mer le monde entier embrasse, Perdre, & tuer me fault (pour son injure) Le mortel genre : & qu’ainsi soit, j’en jure Des bas enfers les eaux noyres, & creuses, Coulans soubs terre aux forestz [tenebreuses : De façon tout à fait remarquable, la référence directe au Styx, présente dans le ms. Douce 117, disparaît au profit d’une description plus référentielle qui rétablit l’idée du bois du Styx (« foretz tenebreuses »). La double disparition du Styx relevée ci-dessus rend d’autant plus intéressant son maintien au moment de sa troisième mention lors de la métamorphose de Io. Ovide, v. 734-737 Traduction Lafaye, p. 33 Coniugis ille suae conplexus colla lacertis, [Jupiter] la [Junon] conjure de mettre un Finiat ut poenas tandem rogat : « in » que terme à un si long châtiment : « Pour [« futurum » l’avenir, lui dit-il, Pone metus ; « inquit » numquam tibi causa bannis toute crainte ; jamais elle ne te cau[doloris sera de chagrin ; » Haec erit, et Stygias iubet hoc audire paludes. et il prend les étangs du Styx à témoin de son serment. ms. Douce 117, v. 1448-1454 Edition Defaux, v. 1546-1462 la priant de sa grace Vueille de Yo finablement finir La grande peine. Et quant à l’avenir la priant, que de grâce Vueille de Yo finablement finir La grande peine. Et quant à l’advenir, De moy (dit il) toute craincte demetz Car ceste cy ne te fera jamais Cause de dueil / De moy (dist il) toute craincte demects : Car ceste cy ne te sera jamais Cause de dueil. et aux stigieux fleuves Et aux Stygieux fleuves Commande ouy / cestuy serment pour preuves. Commanda ouyr cestuy serment pour preuves. La référence directe au Styx n’est pas contradictoire avec les constats précédents : l’enjeu de représentation physique précise cède devant la nécessité d’une référence mythologique claire, le serment nécessitant la référence à un lieu sacré. L’impératif de RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR 237 clarté se réalise avec des moyens différents de ceux observés plus haut, mais il continue de se faire sentir. Au passage, le maintien d’une référence directe au Styx permet d’écarter l’hypothèse d’une auto-censure marotique dans les disparitions discutées plus haut. La force de l’impératif de clarté s’exprime dans les variations de la technique de Marot traducteur : si le souci de précision référentielle peut s’exprimer le plus souvent au travers de formes dans lesquelles le traducteur s’appuie sur des opérations de maintien, le poète possède les ressources créatives nécessaires pour inventer d’autres formes au service de la poétique qu’il a choisie. La force de cette dernière s’affirme également dans le double rapport à l’érudition et à la langue latine. LE RAPPORT À L’ÉRUDITION On trouve sous la plume de Pierre Maréchaux qui évoque la dette de Marot envers Regius des exemples qui donnent l’impression que le poète écrit sous la dictée de l’humaniste 14 : […]citons « aethereo sidera » (I, 424) qui appelle la glose régienne « igneo sole » (édition Tacuino, C). A son exemple, Marot écrit : « eschauffé du soleil » (v. 843). Autre exemple : l’expression ovidienne « innuptae aemula » (I, 476) est expliquée par ces mots : « imitatix Dianae » (ibid, fo 22ro) : Marot s’en inspire et écrit : « en imitant la Pucelle Diane » (v. 938). Comme on l’observe ici, la traduction opère une fusion du texte et de sa glose. Marot est coutumier du fait : le « in flammas abiit » d’Ovide (I, 495), crédité de la note « enflammatus est amore » (fo 22vo), donne chez Marot : « … Ainsi Phébus en flamme / S’en va reduict, et d’Amour qui l’enflamme / Par tout son cœur se brûle … » (v. 975-977) 15. Le commentaire latin et la version française présentent, dans les exemples choisis, des parentés non seulement sémantiques, mais aussi phoniques : l’elocutio française elle-même semble toute entière gouvernée par le commentaire érudit. 14 15 Le passage, déjà évoqué plus haut, est reproduit ici pour souligner la proximité entre le lexique régien et les formes retenues par Marot. Pierre Maréchaux, « L’arrière-fable », p. 89. 238 « OVIDE VEUT PARLER » L’article de Jean-Claude Moisan, intitulé « Clément Marot et Raphaël Regius » élargit la discussion à d’autres horizons : dimension avant tout poétique du travail de Marot, déconstruction de l’image de Marot ignorant le latin, défense du Premier Livre contre les critiques d’Aneau, formes variées de l’insertion de la glose et du commentaire de la traduction, notamment autour de la question de l’onomastique. Jean-Claude Moisan conclut avec des remarques qui interrogent directement le rapport « érudition / traduction » : Peut-on toujours prétendre que la glose est frileusement réfugiée dans la seule marge du texte ou que la traduction, quand elle est créatrice, provocatrice, en un mot plus libre, n’est que le résultat de la fantaisie d’un Marot ignorant le latin ? Pourquoi ne pas y voir plutôt le résultat d’un travail important de re-création, où le nouveau texte produit (collage industrieux entre texte et intertexte) porte jusqu’à un certain point un sens nouveau ou du moins un sens modifié, fruit d’une lecture du texte ancien, lui-même éclairé par de multiples lectures, dont le traducteur se sert comme s’il s’agissait de textes interdépendants et où il est permis de puiser pour éclairer ou agrémenter le texte principal. Car cette comparaison avec la glose de Regius n’éclaire pas tous les passages où Marot explique, commente, amplifie et renforce le texte d’Ovide 16. Les remarques de Moisan ouvrent deux perspectives alternatives à l’influence de Regius : d’une part, l’autonomie du traducteur par rapport à la glose (« re-création », « sens nouveau ») ; d’autre part, l’éventuelle existence de sources différentes de Regius (« multiples lectures ») 17. Les deux perspectives se rejoignent pour construire l’image de l’autorité que le traducteur entend exercer sur sa version. L’étude de la technique de l’ajout a permis d’établir que, considéré dans totalité, celui-ci relève de mécanismes de 16 17 Jean-Claude Moisan, « Clément Marot et Raphaël Regius : l’insertion de la glose et du commentaire dans la traduction des Métamorphoses d’Ovide », p. 696. Le paragraphe se termine avec cette remarque de Moisan : « Mais la question se pose de savoir si Marot pour sa traduction a travaillé avec un seul texte glosé, celui de Regius, ou s’il en a consulté plusieurs. » La remarque de Moisan pose la question d’une enquête exhaustive sur l’exploitation par Marot des commentaires qui s’ajoutent à celui de Regius à partir de 1510. A supposer que celle-ci révèle que les arbitrages de Marot vis-à-vis du commentaire de Regius suivent d’autre commentateurs, la souveraineté des choix de Marot resterait affirmée. RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR 239 calcul interprétatif qui n’exploitent pas seulement l’érudition, mais aussi la tautologie, la logique du récit, ou des éléments explicites présents dans le texte. Dès lors que l’autonomie du traducteur apparaît manifeste dans la part de sa technique (l’ajout) tendanciellement la plus associée à l’érudition, il semble légitime d’interroger l’ensemble du texte à la recherche d’éléments dans lesquels le traducteur s’affranchit nettement de la glose érudite. Le premier signe d’une distance entre Marot et Regius a pu être observé dans le traitement des sous-titres introduits par le poète dans le Premier Livre : non seulement, tous ne se trouvent pas chez l’humaniste italien, mais des différences peuvent être enregistrées tant dans la version publiée que dans le ms. Douce 117 18. L’introduction même de sous-titres à l’intérieur du texte du Premier Livre ne relève pas de Regius, puisque les sous-titres de ce dernier se trouvent dans l’index de son livre et ne sont par repris dans le corps du texte. L’usage que Marot fait des soustitres de Regius relève plus de l’exploitation libre d’un matériel intertextuel, que de l’introduction de l’autorité d’une glose. Des signes encore plus nets de l’autonomie de Marot vis-à-vis du commentaire de Regius se trouvent au cœur même du texte du Premier Livre. On trouve des situations dans lesquelles le poète choisit parmi les nombreuses précisions présentes dans le commentaire de l’humaniste, comme dans cette description du Parnasse au début de l’histoire de Deucalion et Pyrrha : Ovide, v. 316-317 Traduction Lafaye, p. 18 Mons ibi verticibus petit arduus astra Là une montagne escarpée élève jusqu’aux [duobus, astres sa double cîme : on l’appelle le Nomine Parnasus, Parnasse ; ms. Douce 117, v. 616-618 Edition Defaux, v. 621-623 En ce pays / Parnassus le hault mont Tendant au ciel / se dresse contremont A double croppe En ce pays Parnassus le hault mont Tendant au ciel se dresse contre mont A double croppe, La version de Marot renvoie clairement à la Phocide, évoquée par Ovide quelques vers plus haut (« Separat Aonios Oetaeis Phocis a aruis ») et qui constitue l’un des nombreux éléments que Regius reprend à propos du Parnasse : 18 Voir p. 151. 240 « OVIDE VEUT PARLER » Mons nomine Parnassus. Parnassus mons est Phocidis a Parnasso antiquissimo uate cognominatus : Vir Parnassius. Parnassiacus. Parnassias parnassis et parnasseus derivantur. Prius aut[em] Larnassos fuit appellat[us] quod illuc Deucalionis arca quae graece λάρναξ dicitur fuerit appulsa. Petit astra. Tendit in altum sidera versus. Duobus verticibus. Duobus cacuminibus : quorum alterum Tithoreum, Alterum hymapeum appellat Herodotus. Quamvis Servius Heliconem & Cytheronem putet : quos Boeotiea montes esse constat longae a Parnasso distantes. Parnassus autem totus & Apollini & mussisae Baccho est consecratus 19. La glose régienne mélange à l’éclaircissement du référent (souligné dans l’extrait ci-dessus) les considérations lexicales, les rappels mythologiques. Marot ne retient que les éléments servant la description du Parnasse. La recherche de l’intégralité du référentiel ovidien éloigne a fortiori la version marotique du parallèle que peuvent dresser certains commentateurs, dont Lavinius 20, entre le Parnasse et le mont où s’échoue l’arche de Noé. Si JeanClaude Moisan découvre dans l’édition Regius des commentaires qui prennent « la forme du commentaire physique, mythologique, parfois philosophique, ou encore de l’explication littérale » 21, c’est bien souverainement que le poète choisit entre les dimensions qu’il exploite pour sa version. L’indépendance de Marot s’affirme encore plus nettement lorsqu’il s’éloigne délibérément du commentaire humaniste : Ovide, v. 747 Traduction Lafaye, p. 33 Nunc dea linigera colitur celeberrima turba, Maintenant c’est une déesse, à qui la foule vêtue de lin rend de toutes parts un culte solennel. ms. Douce 117, v. 1473-1475 Edition Defaux, v. 1481-1482 Or maintenant en deesse honnorée Elle est du peuple en Egypte adorée Or maintenant en Déesse honnorée Elle est du peuple en Egypte adorée, Ovide désigne Io par la périphrase « dea linigera », la déesse vêtue de lin, périphrase que le commentaire de Regius éclaire très 19 20 21 Regius, p. 34. Metamorphoseos libri XV ; in eosdem libros Raphaelis Regii luculentissime enarrationes, neque non Lactantii et Petri Lavinii commentarii, non ante impressi, XIXvo. Jean-Claude Moisan, « Clément Marot et Raphaël Regius : l’insertion de la glose et du commentaire dans la traduction des Métamorphoses d’Ovide », p. 691. RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR 241 longuement pour associer explicitement Io à la déesse égyptienne Isis : Nunc dea nunc inquit Io pro dea Iside colitur ab aegyptiis lineas vetes gestantibus. Isidis namque sacerdotes lineis vestibus utebantur. Isidem vero aegyptii : ut tradit Diodorus, lunam esse putant : ut Osiridem solem interpretarique antiquam sumpto nomine ab aeterno & antiquo illius ortu. Addunt illi cornua propter aspectum. Sic enim videtur quo tempore primis diebus apparet : tum quia bos illi ab aeyptiis sacrificatur. Quidam autem Isidem Iovis aegyptii regis filiam fuisse : eandemque cum cerere esse. Quae ab osiride fratre uxor accepta multa contulerit ad usum vitae humanae. Prima enim triticum & hordeum : quae prius incognita hominibus casu inter caeteras herbas oriebantur : invenisse fertur. Leges qoque Isidem statuisse ferunt : quibus iusticia atque omnibus servaretur atque injuria timore poenae sublatis. Hac de causa prisci graeci Isidem legiferam appellarunt : tanquam primam legum inventricem. Osiride autem marito interjecto iurasse dicitur Isis se nulli alii nupturam : ac iusto deinceps imperio regnasse beneficiisque in populos omnis alios reges superasse : ac post obitum deorum honores consecutam : & in Vulcani templo apud Memphim sepultam fuisse. Afferunt autem aegyptii : id quod fere poetae omnes testantur : Isidem plurima invenisse ad morbos medicamenta : medicaeque arti multum contulisse ac in deorum quoque numerum relatam gaudere hominum culta inque eorum valitudine precipue uersari. Quin etiam in somnis palam iis opitulari : quos censuerit dignos et qui illius monitis obtemperent : praeter opinionem curari etiam quorum medici salutem desperarint. Visu quoque aut alia quapiam corporis parte debiles illius deae nomen implorantes in prisitinam restitui valitudinem. Signa vero horum esse dicunt : non graecas fabellas : sed opera per totum namque terrarum orbem Isidem coli propter manifestas illius morborum curationes. Haec & multo plura de Iside Diodorus. Caeterum Ovidi opus graecorum figmenta sectatur 22. Malgré l’abondant commentaire de l’humaniste, un des plus longs de l’ouvrage, Marot réduit la périphrase au simple pronom « elle » et renonce à expliciter la relation entre Isis et Io, sans pour autant l’exclure. Marot a pu considérer, comme pour le Styx, que la précision référentielle pouvait nuire à la dynamique du texte 22 Regius, p. 48. 242 « OVIDE VEUT PARLER » d’Ovide qui vise une transition douce vers l’épisode de Phaéton, fils du soleil, qui a le même âge qu’Epaphus, fils de Io et Jupiter. Marot applique, à nouveau contre le commentaire de Regius, une stratégie identique en ce qui concerne la technicité de l’aconit : Ovide, v. 147 Traduction Lafaye, p. 12 Lurida terribiles miscent aconita nouercae ; d’affreuses marâtres mélangent les sucs livides de l’aconit ; ms. Douce 117, v. 287-288 Edition Defaux, v. 289-290 D’ung faulx voloir / les marastres terribles Meslent venins / noirs / mortelz et horribles Par mal talent les marastres terribles Meslent souvent venins froids, et [horribles : Le commentaire de Regius renvoie précisément à l’aconit en tant que plante dont on fait le poison : « Aconita. Venena. Nam aconitum herba est maxime venenosa ex spuma cerberi canis primum in cotibus nata, unde et nomem accepit. » 23 Marot se contente de l’hyperonyme « venins » suggéré par Regius et ne donne pas à sa version la précision référentielle du texte d’Ovide. Le procédé semble relever de la volonté de ne pas charger la version française d’éléments inutilement « techniques », même s’il pourrait également s’apparenter à la faute de traduction pure et simple : la finesse de la lecture de Regius par Marot dans d’autres contextes fait cependant préférer l’hypothèse de l’expression de l’indépendance du traducteur, d’autant plus que les trois exemples considérés (Styx, Isis, aconit) répondent tous à l’exigence de clarté posée par la poétique marotique. La prise en compte de l’ensemble du geste de Marot permet d’en saisir la cohérence, notamment parce qu’elle conduit à situer les dispositifs techniques les uns par rapport aux autres. Une formule, relativement incongrue, semble affirmer explicitement l’autorité du poète vis-à-vis de la glose : Ovide, v. 422 Traduction Lafaye, p. 22 Sic ubi deseruit madidos septemfluus agros Nilus Ainsi, quand le Nil aux sept embouchures a quitté les champs inondés 23 Regius, p. 27. RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR 243 ms. Douce 117, v. 824-826 Edition Defaux, v. 829-831 Qu’il soit ainsi quant l’eau du Nil qui court Par sept canaulx a delaissé tout court Les champs moillés Qu’il soit ainsi, quand l’eaue du Nil, qui court Par sept tuyaulx a delaissé tout court Les champs mouillés, L’expression utilisée par Marot « Qu’il soit ainsi » ne semble pas facile à rendre dans une forme grammaticale du français moderne. Il se peut qu’elle cache en fait la trace d’un très long commentaire de Regius qui situe avec précision le rôle supposé du Nil dans l’économie de la création des animaux : Exemplo declarat reliqua animalia ex terra sponte fuisse orta. Nilus autem fluvius singulis quibusque annis aegyptum inundans foecundam non solum frumento : sed variorum quoque animalium eam reddit. Septenfluus idcirco dicitur quod septem hostiis in mare erumpit : quorum nomina haec a Diodoro memorantur. Pellusiacum quod ad orientem vergit. Paniticum. Mendelum phaniticum. Sebeniticum. Bolbiticum. Canopicum. Nili autem ortus adeo est incertus : ut ipsum aftopoti 24 id est ortam e tenebris aquam vocet. Sane Nilus varis nominibus fuit appelatus. Nam primum a cursus velocitate profonditateque quae aquarum Aquila fuit vocatus. Deinde ab Aegypto rege Aegyptus. Tum a Nilo rege Nilus 25. Le commentaire, à nouveau très long, pose une question de taille : les variations du nom du Nil justifient pour l’humaniste italien un doute sur la description des sept lits du fleuve par Diodore. Il se peut que Marot ait cherché à s’appuyer sur le « sic » pour réaliser une sorte d’acte de langage qui tranche la question du lien entre le Nil et la naissance des animaux dans un fleuve aux sept lits, alors que Georges Lafaye – qui n’a peut-être pas consulté Regius au sujet du Nil – donne simplement : La terre enfanta d’elle-même les autres animaux sous des formes diverses, lorsque l’humidité qu’elle retenait encore se fut échauffée sous les feux du soleil, lorsque la chaleur eut enflé la fange et les eaux marécageuses, lorsque les germes féconds des choses, nourris par un sol vivifiant, se développèrent comme dans le sein d’une mère et prirent avec le temps des figures différentes. Ainsi, 24 25 En grec, quelque chose qui coule de soi-même. Le terme apparaît en alphabet latin chez Regius. Regius, p. 37. 244 « OVIDE VEUT PARLER » quand le Nil aux sept embouchures a quitté les champs inondés et ramené ses flots dans leur ancien lit, quand du haut des airs l’astre du jour a fait sentir sa flamme au limon récent, les cultivateurs, en retournant la glèbe, y trouvent un très grand nombre d’animaux 26 ; L’examen de l’ensemble du passage dans la traduction de Georges Lafaye permet de voir que celle-ci place l’épisode du Nil dans une suite de propositions subordonnées circonstancielles de temps au sein desquelles aucun doute ne peut subsister sur l’identité du Nil. La version de Marot – qui isole le Nil au sein de la série en le faisant dépendre de l’intrigante principale « Qu’il en soit ainsi » – marque une sorte de rupture dans l’énumération des divers cadres temporels et suggère un statut de quasi hypothèse sur le rôle du Nil dans la création des animaux. La version retenue par Marot n’est pas des plus simples à expliquer, mais il est cependant assez net qu’il n’a pas jugé le « sic » de ce passage aussi insignifiant que d’autres adverbes latins qu’il n’hésite pas à supprimer purement et simplement dans d’autres contextes. L’examen du rapport de Marot au commentaire de Regius conduit à mettre en évidence l’autorité que le poète semble exercer dans le traitement des éléments d’érudition qu’il exploite chez l’humaniste italien. La description de la technique de Marot traducteur avait également mis sur la piste de formes d’ajout ne relevant pas purement de l’exploitation de gloses érudites. Ces constats ne sont pas de nature à remettre en cause les descriptions précédentes de l’importance du commentaire de Regius pour l’entreprise du Premier Livre, mais ils conduisent à appréhender la question sous un autre angle. Etant donné le préjugé, tout aussi ancien qu’infondé, qui met en cause la maîtrise du latin par Marot, la mise au jour de références humanistes semble un passage obligé pour défendre le Premier Livre contre ceux qui, à la suite d’Aneau, doutent des compétences de Marot traducteur : […] Aneau nous livre le fond de sa pensée : Marot n’excellait pas dans ce genre si particulier qu’est la traduction. Il n’avait pas une 26 Ovide, TI, p. 22. RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR 245 connaissance approfondie du latin, dont il n’a pas su restituer les tournures. Nous ne pouvons qu’abonder dans son sens 27. La description d’un Marot capable de saisir les nuances du commentaire savant de Regius annule la prémisse Marotus latine nescivit qui pousse à conclure à l’insuffisance du Premier Livre. La méthode présente cependant le désavantage de provoquer une illusion d’optique selon laquelle la seule valeur de la version de Marot consiste à intégrer le commentaire de l’humaniste. Lecteur attentif d’Ovide, Marot a très souvent trouvé chez Regius une confirmation et une extension de sa propre lecture : pour autant, il n’a jamais délégué à l’humaniste les arbitrages nécessaires à la réalisation du poème qu’il destinait à un public qui n’était pas celui de Regius. La posture du poète-traducteur est ici très nettement souveraine par rapport à l’érudition : dans le Premier Livre de la Metamorphose, celle-ci est au service de la poésie, et non l’inverse. Loin d’être une déclaration de guerre, la distance assumée face à l’érudition participe, en dernière analyse, de la recherche du silence. S’il pratique le dépouillement pour sa propre langue, le poète-traducteur est fondé à protéger également sa version contre le bruit de la glose érudite. LE RAPPORT AU LATIN Dans le contexte de la traduction du latin au français, langue source et langue cible ont ceci de spécifique qu’une part importante du vocabulaire de la langue cible dérive de la langue source. Cette situation peut laisser penser que le passage d’une langue à l’autre est facilité : l’immense majorité des mots latins ayant passé en français, il devrait être possible de s’appuyer sur l’étymologie pour établir un système d’équivalence relativement stable : pater/père, mare/mer, esse/être, etc. Pour autant, latin et français possèdent certaines caractéristiques tout à fait contrastées, aussi bien sur le plan sémantique que le plan syntaxique. Le tableau ci-dessous donne les principales différences à considérer. 27 Ghislaine Amielle, Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses d’Ovide, p. 143. 246 « OVIDE VEUT PARLER » Latin Français Sémantique Système relativement complet de déclinaison et construction du sens « analytique » à partir des éléments isolés. Syntaxe Absence de déclinaison et construction du sens de nature « synthétique » en fonction de suites d’éléments. Ordre des mots relativement Ordre des mots contraint et peu contraint et présentant le succession sujet-verbe-objet plus souvent une succession (SVO) pour le français. sujet-objet-verbe (SOV). Ces dimensions divergentes entre les deux langues contredisent largement l’idée d’une langue cible dont tous les éléments pourraient être aisément dérivés de la langue source. Dans ces conditions, il est impossible de déterminer a priori si une approche littéraliste doit être considérée comme plus accessible dans la traduction du latin en français que dans celles d’autres langues en français. En l’absence d’un rapport standard entre latin et français pouvant servir d’étalon, il est tout de même possible d’approfondir l’analyse en l’orientant vers des contextes dans lesquels la question du rapport au latin se pose de façon particulièrement saillante. Deux formes propres à la langue latine, l’ablatif absolu et l’inchoatif, appellent l’attention a priori. Dans un passage décrivant la famine décimant les survivants du déluge, le traitement de l’ablatif absolu conduit par exemple Marot à une redistribution complète des rôles syntaxiques, par ailleurs assez rare dans le reste de la version. : Ovide, v. 312 Traduction Lafaye, p. 18 Illos longa domant inopi ieiunia uictu. Périssent faute de nourriture, victimes d’un long jeûne. ms. Douce 117, v. 608-609 Edition Defaux, v. 613-614 Le long jeusner / les dompte et fait delivres Le long jeusner de tel’ façon les mine, D’ame et d’esprit / par souffrecte de vivres. Qu’à la parfin tombent morts de famine. Le latin « inopi » signifie littéralement « la nourriture étant en très petite quantité ». L’ensemble de la phrase pourrait être traduit par « le long jeûne les décime, la nourriture étant en très petite quantité ». La version de Marot explicite nettement le lien 247 RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR de causalité entre la famine et la mort, mais surtout réorganise complètement la syntaxe, introduisant une subordonnée conjonctive qui prend nettement la place de l’ablatif absolu latin, qui, tel quel, ne sonne pas très « français ». Le ms. Douce 117 donne une variante à la fois moins audacieuse et moins explicite qui met en évidence l’importance de la reconstruction finalement retenue. Le traitement de l’aspect inchoatif amène lui aussi à des reconstructions syntaxiques importantes : Ovide, v. 63-64 Traduction Lafaye, p. 9 Vesper et occiduo quae litora sole tepescunt Proxima sunt Zephyro ; Vesper et les rivages attiédis par le soleil couchant sont voisins du Zéphyre ; ms. Douce 117, 121-122 Les tiedes eaux / où l’occident aspire Et le doulx Vespre aprochent de Zephire. Edition Defaux, 125-126 Zephyrus fut soubs Vesper resident Pres des ruisseaulx tiedys de l’Occident. La différence entre les trois versions françaises suffit à illustrer la difficulté de rendre l’inchoatif latin. Plus distante du texte d’Ovide que les deux autres, la version finalement retenue par Marot bouscule les rôles syntaxiques tout en maintenant les valeurs actantielles au sein de l’intrigue du texte original. Il s’agit là d’une approche en quelque sorte virtuose de la traduction qui n’est pas la plus fréquente le Premier Livre où dominent habituellement les opérations de maintien. Au-delà des contextes saillants de l’ablatif absolu et de l’inchoatif, l’observation de la technique du traducteur révèle quant à elle la prééminence des opérations de maintien qui suggère une correspondance plus serrée du latin et du français. L’indexation systématique des opérations utilisées par le traducteur permet également de repérer les contextes dans lesquels le latin n’est pas facilement reproductible en français, et tout particulièrement de donner une idée du volume de texte concerné. Même s’il s’avère que celui-ci est largement minoritaire, certaines dimensions irréductibles du latin existent bel et bien, et elles peuvent être identifiées avec précision. On peut retrouver des formes de redistribution de la syntaxe en dehors du traitement de l’ablatif absolu et l’inchoatif. Ainsi, lors de la description de la fuite de Daphné : 248 « OVIDE VEUT PARLER » Ovide, v. 539 hic spe celer, illa timore Traduction Lafaye, p. 26 [emportés] l’un par l’espoir, l’autre par la [crainte. ms. Douce 117, v. 1058-1059 Edition Defaux, v. 1065-1066 Il court souple et legier En esperance. Elle en crainte et dangier Espoir le rend fort legier à la suyte, Craincte la rend fort legiere à la fuyte : Contrairement au ms. Douce 117, la version retenue par Marot pour la publication redistribue les rôles syntaxiques. Il faut mesurer toute la distance entre la construction latine, toute d’ellipse et de parataxe, et l’exigence de liaison qui s’impose dans la version française. La formule d’Ovide vise à éclairer la comparaison entre la fuite de Daphné devant Apollon et celle du lièvre devant le « chien des Gaule » 28. Cependant, comme si le fait d’éclairer une comparaison relevait de la maladresse poétique, Ovide choisit une formulation rythmée, construite sur une double opposition (« hic/illa » et « spe / timore ») dont la logique tient en un seul adjectif « celer » signifiant lui-même la rapidité. La version du ms. Douce 117, tout autant que la traduction Lafaye, conserve une partie de la construction latine en maintenant « esperance/ espoir » et « craincte / crainte » en position de SN hors de la valence verbale. Le dispositif éclaire la comparaison, mais perd la nervosité de l’original. La version retenue pour la publication, grâce à la redistribution des rôles syntaxiques, remplace les liaisons par une sorte de contre-anaphore : les deux vers se distinguent presque uniquement par les mots qui les ouvrent, soulignant l’opposition entre l’espoir et la crainte. Le travail de Marot sur le latin ne se limite pas, dans la séquence considérée, à la redéfinition de la forme syntaxique par la redistribution des actants. Il s’appuie également sur les ressources du style pour rendre l’effet de l’original. L’invention poétique s’affiche avec force, mais elle ne doit pas empêcher de constater la finesse de la lecture marotique. La solution retenue dans le passage ci-dessus répond simultanément aux quatre premières règles de La Manière : sans s’écarter des « mots du commun » français, sans s’astreindre au mot à mot, mais en respectant tout de même l’intrigue latine au plus près, Marot trouve 28 Formule retenue par Georges Lafaye pour rendre « Gallicus canis ». RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR 249 une voie subtile qui révèle une compréhension de toutes les dimensions de la langue source. Le traitement des connecteurs amène le traducteur à se confronter à la dimension elliptique de la langue latine, par exemple dans cette séquence où Neptune déclenche le déluge : Ovide, v. 283 Traduction Lafaye, p. 17 Ipse tridente suo terram percussit ; at illa Intremuit motuque uias patefecit aquarum. Le dieu lui-même a frappé la terre de son trident ; elle a tremblé et par cette secousse a ouvert les retraites des eaux. ms. Douce 117, v. 550-553 Edition Defaux, v. 554-558 Neptune adonc / de son sceptre massif Frappa la terre / Et du coup excessif Elle trembla. Si que du mouvement Des eaux ouvrent la voye appertement. Neptune adoncq’ de son Sceptre massif Frappa la terre, & du coup excessif Elle trembla, si que du mouvement Elle feit voye aux eaues appertement. Le passage du latin « -que » à « si que » suggère bien la relation de cause à effet entre le tremblement de la terre et l’ouverture des eaux. La nature syntaxique de la proposition introduite par le connecteur s’en trouve cependant modifiée : la proposition indépendante latine devient subordonnée en français. Il n’est pas question d’ébaucher ici des réflexions sur la correspondance entre les diverses constructions de la phrase complexe en latin et en français. Il suffit d’observer que le traducteur choisit une version et sélectionne une interprétation (ici, la relation de cause à effet) parmi les nuances de l’original. Le latin fourmille en effet de mots de liaison dont la surface sémantique pose problème au français : Ovide, v. 586-587 Traduction Lafaye, p. 27-28 sed quam non inuenit usquam, Esse putat nusquam mais, ne la trouvant nulle part, il croit qu’elle n’est nulle part ms. Douce 117, v. 1152-1154 Edition Defaux, v. 1159-1161 Mais pour autant que point ne la percoit En aucun lieu / cuide qu’elle ne soit En aucun lieu. Mais pour aultant que point ne l’apperçoit En aulcun lieu, cuide qu’elle ne soit En aulcun lieu, Le passage du relatif à la conjonction de subordination permet de donner une version française plus explicite qu’avec le recours à un relatif : celui-ci ne possède en effet pas en français le pouvoir 250 « OVIDE VEUT PARLER » de suggestion souvent exploité en latin. Marot traducteur choisit d’assumer un choix qui précise, sans se perdre en formules évasives. Un procédé tout à fait analogue peut être observé dans le traitement de certains verbes, dans une séquence qui décrit la fin du déluge : Ovide, v. 343 Traduction Lafaye, p. 19 Iam mare litus habet, plenos capit alueus Maintenant la mer a des rivages ; les [amnes, fleuves rentrent dans leur lit, où ils coulent à pleins bords. ms. Douce 117, v. 670-671 Edition Defaux, v. 675-676 Desjà la mer / prent bours et rives neufves Chascun canal / se remplit de ses fleuves. Desjà la mer prend borts, & rives neufves, Chascun canal se remplit de ses fleuves, La substitution de « se remplit » à « capit » avec au passage l’intégration de certains sèmes de « plenos » dans le verbe français témoigne d’une pratique de la traduction dans laquelle le traducteur s’autorise une redistribution des Contenus Nucléaires dans le but manifeste de donner une version française plus intelligible. La difficulté posée par le passage apparaît dans la remarque – toute référentielle – de Regius qui témoigne de l’éventuelle nécessité de la clarification : « Iam mare litora habet quo paulo ante carebat » 29. On constate d’ailleurs que – fonctionnellement – la transformation produit ici un effet d’explicitation comparable à celui de l’ajout. Dans la transformation, l’art du traducteur consiste à opérer un changement tel qu’il ne remette – si possible – pas en cause la structure actantielle, de façon à ne pas créer d’effet domino, la transformation du verbe entraînant la transformation des divers actants, jusqu’à faire risquer une version très éloignée de la source. La substitution de « se remplit » à « capit » n’est ici possible qu’avec l’usage – peu habituel – de remplit en forme pronominale. Marot semble prendre plus de précautions pour décrire la fuite de Daphné : 29 Regius, p. 35. RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR Ovide, v. 528 251 Traduction Lafaye, p. 25 Obuiaque aduersas uibrabant flamina Leur souffle, venant sur elle en sens [uestes, contraire, agitait ses vêtements ms. Douce 117, v. 1036-1037 Edition Defaux, v. 1043-1044 Et volleter faisoit en obviant Le sien habit en l’air contrariant. Et volleter faisoit ses vestements, Qui resistoyent contre les soufflements : Dans la version d’Ovide les vêtements de Daphné s’agitent (« vibrabant ») sous l’effet de la course de la nymphe : Marot, confronté à la nécessité de rendre un verbe latin actif dont le sens est en réalité passif, choisit d’expliciter le rapport de cause à effet entre la course et l’agitation des vêtements et donne « faisoit volleter ». La transformation remplit tout à fait son office d’explicitation : la version d’Ovide avait cependant l’avantage de permettre l’ajout d’un prédicat aux vêtements « obvia adversas flamina » : pris dans la logique du français, Marot ne peut tout résumer dans une seule proposition et choisit d’ajouter une relative. La version du ms. Douce 117, syntaxiquement plus proche de l’original latin, se perd en prédicats, un peu comme la traduction de Georges Lafaye, pour une fois, très nettement moins accessible que celle du poète. Proches de celles causées par l’ellipse, les difficultés posées par la surface sémantique du lexique latin imposent au traducteur de trouver des solutions également pour des questions aussi simples que la position du sujet syntaxique : Ovide, v. 30-31 Traduction Lafaye (p. 8) Et pressa est grauitate sua ; circumfluus et se tassa sous son propre poids ; l’eau [umor répandue alentour occupa la dernière place Vltima possedit solidumque coercuit orbem. et emprisonna le monde solide. ms. Douce 117, v. 57-60 Edition Defaux, v. 61-64 dont la force pesante dont en bas s’avalla De soy la presse / et touchant l’eaue fluante Par pesanteur. Puis la mer s’en alla Aux derniers lieux / fist son profond amas Aux derniers lieux sa demourance querre Et tint liez les terrestres climatz. Environnant de tous costez la terre. L’adjectif « circumfluus » disparaît dans la version publiée et le sens qu’il porte se retrouve de façon explicite dans une autre unité linguistique (« environnant »). La variante ms. Douce 117 porte la trace d’une tentative de maintien : on note cependant 252 « OVIDE VEUT PARLER » toute la difficulté de la surdétermination du latin, « fluante » ne rendant pas exactement « circumfluus ». On a l’impression de pouvoir saisir en direct la négociation qui voit la recherche de proximité avec le latin s’incliner devant l’exigence de clarté. Dans une autre séquence située au moment de la création du monde, on peut même voir la difficulté de traduire un latinisme générer l’ensemble de la construction française : Ovide, v. 87-88 Traduction Lafaye, p. 10 Sic, modo quae fuerat rudis et sine imagine, Ainsi la terre, qui naguère était grossière et [tellus informe, revêtit par cette métamorphose des Induit ignotas hominum conuersa figuras. figures d’hommes jusqu’alors inconnues. ms. Douce 117, v. 167-170 Edition Defaux, v. 169-172 La terre ainsi / qui sans ymage née Fut / et sans art de rien en bien tournée Print des humains les figures [venues] Auparavant à elle non [congnues.] La terre doncq n’agueres desnuée D’art, & d’ymage ainsi fut transmuée, Et se couvrit d’hommes d’elle venuz, Qui luy estoient nouveaulx & incongnuz. Le participe passé « conversa » hérite du latin une valeur de verbe relativement forte, sur laquelle peut s’appuyer le calcul interprétatif qui révèle que la terre informe se transforme de façon à recevoir les hommes. Il est très difficile en français de conserver à un participe passé une valeur verbale suffisante pour que le calcul interprétatif puisse demeurer fluide : Marot préfère donc ajouter un verbe correspondant à la partie du SN sujet qu’il supprime, de façon à décrire le processus de façon plus élégante. A nouveau, le ms. Douce 117 donne une version plus proche du latin qui s’incline devant une construction plus favorable à la compréhension en français. La francisation peut prendre la forme du renoncement pur et simple à la sophistication latine, comme dans cette séquence décrivant la création des êtres nés du sang des géants : Ovide, v. 159-160 Traduction Lafaye, p. 12 Et, ne nulla suae stirpis monimenta et elle en forma, pour ne pas voir finir les [manerent, derniers rejetons de sa race, d’autres êtres In faciem uertisse hominum. à la face humaine. ms. Douce 117, v. 311-312 Edition Defaux, v. 313-314 Et pour garder enseigne de la race En fit de corps / portans humaine face. Et pour garder enseigne de la race En feit des corps portant humaine face : RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR 253 La double négation « ne nulla » dans la version d’Ovide constitue un latinisme relativement difficile à rendre en français : Marot tourne élégamment la difficulté en ayant recours à un verbe d’action « garder » pour remplacer le verbe d’état « manerent ». Cependant, pour conserver également la structure syntaxique avec une subordonnée, le verbe d’action exigerait d’ajouter un sujet, par conséquent de faire apparaître dans la version française un actant supplémentaire par rapport au texte latin. Marot tourne à nouveau la difficulté en ayant recours à une infinitive : le résultat n’a cependant rien à voir avec la subtile contre-anaphore « espoir/craincte », même s’il est vrai que la perte de la double négation ne s’avère pas cruciale. Le renoncement peut porter sur des subtilités argumentatives, comme dans ce passage qui décrit la naissance des vents : Ovide, v. 57-58 Traduction Lafaye, p. 9 His quoque non passim mundi fabricator Aux vents eux-mêmes l’architecte du [habendum monde ne livra pas indistinctement Aera permisit ; l’empire de l’air ; ms. Douce 117, v. 109-110 A iceulx ventz / dieu n’a permis d’aller. Confusement par la voye de l’air Edition Defaux, v. 113-114 A iceulx ventz Dieu n’a permis d’aller Confusement par la voye de l’aer : Après avoir indiqué qu’en tant qu’élément, l’air reçoit les brouillards, les nuages, les tonnerres, les vents, la foudre et les éclairs, Ovide précise ici que les vents (« his quoque ») ne sont pas libres de souffler n’importe où. Le démonstratif « his » renvoie à « ventos » qui termine le vers précédent : il n’est donc pas possible – dans la version latine – de faire une quelconque confusion sur le référent de « his ». On hésite dès lors à décrire avec exactitude le sens de « quoque » et l’on est obligé de reconnaître un latinisme que le français peine à imiter : la suppression que choisit Marot n’est pas la moins bonne façon de traiter la situation en laissant simplement le récit se développer sans chercher à y surajouter une orientation argumentative en lien avec l’usage de l’adverbe. La même simplicité peut également porter sur les nuances sémantiques, par exemple lorsqu’il s’agit de démêler la confusion des sentiments de Daphné : 254 Ovide, v. 480 « OVIDE VEUT PARLER » Traduction Lafaye, p. 24 Nec quid Hymen, quid Amor, quid sint qu’est-ce que l’hymen, l’amour, le [conubia, curat. mariage ? elle ne se soucie pas de le savoir ms. Douce 117, v. 940-941 Edition Defaux, v. 945-946 Et ne luy chault savoir que c’est de nopces De mariage amours et tel negoces. Et ne luy chault sçavoir, que c’est de nopces N’aussi d’ung tas d’amoureuses negoces. Le texte d’Ovide énumère trois formes de relation entre les hommes et les femmes : à travers les dieux « Hymen » et « Amor » il évoque successivement le mariage et le sentiment amoureux, alors que les relations intimes sont évoquées par le nom commun « conubia », forme poétique consacrée. Le texte source est ainsi très codifié, et il serait difficile de reprendre en français un code aussi lié à la culture latine : Marot choisit donc de laisser complètement de côté le système de cryptage ovidien 30 et de donner au public français le message déchiffré, sous le couvert de ce qui préfigure presque déjà les « belles infidèles ». Le traitement de formes très spécifiques du latin par Marot semble aux antipodes du soin du détail que réclame l’érudition de Barthélemy Aneau. Il est cependant remarquable de constater que l’humaniste, qui n’hésite pas à corriger la version de Marot lorsqu’il la juge infidèle au latin, ne propose aucune variante significative 31 aux exemples discutés ci-dessus. On peut d’ailleurs s’interroger sur la solution qu’Aneau donne à la dimension inchoative du verbe au moment de la description des vents : contraria tellus Et very Midy, qui est tout son contraire Nubibus assuiduis pluvioque madescit ab Le pluvieux Auster se voulut traire33. [Austro32. L’étrange formule pronominale retenue pour rendre « madescit » semble une demi-mesure en comparaison avec la formule clairement active choisie par Marot : « Auster moiteux jetta pluye ordinaire ». 30 31 32 33 La version retenue suit la solution que Dolet recommande à propos de la distinction animus/anima (voir p. 115). Un seul amendement d’Aneau concerne le corpus discuté dans cette partie : l’humaniste donne « dont en bas devalla » au lieu de « dont en bas s’avalla ». Trois premiers livres, p. 87. v. 65-66, Ovide, TI, p. 9. Trois premiers livres, p. 87. RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR 255 Les critiques du philologue au sujet de la version de Marot ne rendent qu’imparfaitement compte du rapport général que le Premier Livre entretient avec la langue latine. L’observation des solutions retenues par Marot dans des contextes rendus difficiles par le génie propre de la langue latine met en évidence une défense délibérée de la langue française contre les pièges de la surtraduction 34. Si le traducteur perçoit parfaitement les nuances du texte source, il choisit de le traiter dans un français exempt de tout maniérisme. Le flair du poète s’avère un guide infiniment plus efficace que la prétention de l’écolier limousin, sans le conduire tout à fait aux libertés des « belles infidèles ». Il importe de rappeler que le trait le plus remarquable du traitement du latin dans le Premier Livre reste la forte prééminence des versions qui font correspondre des termes aux Contenus Nucléaires équivalents. Les stratégies observées ci-dessus, qui relèvent d’une technique différente, permettent cependant de confirmer que la fluidité de la version française ne vient pas simplement de la « ressemblance » entre le latin et le français, puisque le poète s’avère capable de la conserver, même dans des contextes particulièrement périlleux. L’INVENTION POÉTIQUE Rien n’indique qu’il soit légitime de parler de poésie dans l’exercice hautement contraint de la traduction. Du Bellay interdit l’exercice aux poètes avec des arguments qu’il est impossible de rejeter totalement. Rien n’empêche cependant de porter la discussion au plan de l’observation du Premier Livre, qui, en tant que traduction d’un poète, est par définition candidat à receler à tout le moins quelques traces de ce que l’on pourrait appeler l’invention poétique. Dès lors qu’il est question d’enquêter sur la poésie dans la traduction, l’observation critique marque une tendance très nette à rechercher une forme de créativité telle qu’elle exploite l’existence d’un jeu au sein des mécanismes de la traduction, jeu susceptible de générer l’espace nécessaire à l’affirmation d’une 34 Selon l’expression que l’on trouve dans Georges Mounin, Les Problèmes théoriques de la traduction, Paris, Gallimard, 1963, p. 191. 256 « OVIDE VEUT PARLER » forme originale. Il est possible d’identifier dans le Premier Livre de telles marques du discours poétique. Les figures de style marquées dans la version originale mettent le traducteur au défi de répondre. Le passage de la métamorphose de Lycaon, déjà examiné dans le contexte de l’Ovide moralisé, permet d’ouvrir la discussion avec un contexte prototypique : Ovide, v. 232-233 Traduction Lafaye, p. 15 Territus ipse fugit nactusque silentia ruris, Epouvanté, il s’enfuit et, après avoir gagné la campagne silencieuse, Exululat frustraque loqui conatur : il se met à hurler ; en vain il s’efforce de parler. ms. Douce 117, v. 450-453 Edition Defaux, v. 453-456 a Alors s’en fuyt troublé de peur terrible Et aussi tout qu’il sentit l’air paisible Des champs et boys / Adonc s’enfuyt, troublé de peur terrible : Et aussi tost, qu’il sentit l’air paisible Des champs & boys, de huller luy fut force / de hurler luy fut force, Car pourneant à parler il s’efforce. Car pour neant à parler il s’efforce. Ovide utilise simultanément l’allitération des /l/ et l’assonance des /u/ pour déshumaniser le cri de Lycaon et suggérer l’avance de sa transformation en loup. Le procédé questionne l’arbitraire du signe en abolissant la distance entre le mot et la chose. Marot ne s’y trompe pas, et, non seulement il retient les figures de l’allitération et de l’assonance, mais il va jusqu’à recourir aux mêmes sonorités (/l/ et /u/). La situation semble résumer toutes les caractéristiques du traitement poétique de la traduction : une caractéristique formelle clairement identifiée dans le texte source est rendue par un dispositif rigoureusement semblable dans le texte cible. Elargir la réflexion sur le passage conduit cependant à voir toute la complexité de la question poétique. Il faut revenir à l’objection centrale de Du Bellay contre la traduction, la question de l’elocutio. De ce point de vue, le jeu sur les sonorités n’est pas la seule dimension à prendre en compte. La question de l’elocutio doit être étendue à l’examen de la stratégie mise en place pour la représentation de la métamorphose de Lycaon. Ovide choisit de présenter le cri de Lycaon, avant les éléments physiques de la métamorphose : RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR Ovide, v. 232-237 257 Edition Defaux, v. 453-460 1 Territus ipse fugit nactusque silentia ruris Adonc s’enfuyt troublé de peur terrible : Et aussi tost, qu’il sentit l’air paisible Des champs, & boys, 2 Exululat frustraque loqui conatur : 2 de hurler luy fut force, Car pour neant à parler il s’efforce. 3 3 ab ipso Son museau prend la fureur du premier, Colligit os rabiem solitaeque cupidine caedis Et du desir de meurtres coustumier, Vititur in pecudes Sur les aigneaulx or en use, 4 4 et nunc quoque sanguine gaudet. 5 In uillos abeunt uestes, in crura lacerti ; & jouyt, Et de veoir sang encores s’esjouyt. 5 Ses vestemens poil de beste devindrent. Et ses deux bras façon de cuisses prindrent. 6 6 Fit lupus et ueteris seruat uestigia formae ; Il fut faict Loup, & la marcque conforme Retient encor de sa premiere forme : La dynamique de la transformation est celle qui s’applique à travers tout le poème d’Ovide : la métamorphose s’exerce sur certaines caratéristiques de l’être métamorphosé (l’héliotrope continue de suivre Phébus) ou conserve certaines caractéristiques de l’être transformé (Io devenue vache reste belle). Dans cette dynamique, le moment du hurlement dans la campagne, bien qu’inscrit dans la logique du récit (Lycaon chassé de sa maison réduite en cendres par Jupiter s’enfuit dans la campagne), renvoie au topos de la bestialité de l’individu solitaire et constitue une sorte de moyen terme de la transformation. Le discours poétique signale cet élément de déshumanisation en invoquant le hurlement de Lycaon, qui déclenche le processus de transformation. Le travail d’elocutio au nom duquel Du Bellay récuse la dimension poétique de la traduction consiste précisément à mettre en mots, le plus souvent en mots imagés, les logiques intrinsèques des situations décrites. Dans le cas de l’épisode de Lycaon, l’origine de l’image de l’homme-loup solitaire revient à Ovide. On 258 « OVIDE VEUT PARLER » remarque toutefois le traitement que Marot réserve au connecteur dans « natusque » (séquence 1) : le poète choisit pour la version française « aussi tost que » une conjonction de subordination exprimant la succession temporelle avec une forte connotation de cause à effet. Même s’il n’est pas à l’origine de l’elocutio du texte source, le traducteur doit rendre compte de sa préservation dans le texte cible. Comme souvent, guidé par la recherche de clarté, Marot rend explicite une logique implicite du texte ovidien, il se montre capable d’en saisir toute la dimension et d’évaluer les moyens linguistiques nécessaires à la rendre dans le texte cible. L’exercice implique de mobiliser de nombreuses compétences tant linguistiques que littéraires. Les risques encourus sont aussi nombreux que les critiques habituelles sur les traductions de poèmes : platitude, obscurité, mauvaise interprétation de l’original, maladresse de l’expression, etc. Dans certains passages du Premier Livre, Marot semble capable d’une elocutio presque détachée de l’original ovidien. L’adresse d’Apollon à Daphné appartient à cette catégorie : Ovide, v. 504 Traduction Lafaye, p. 24-25 Nympha, precor, Penei, mane ; non insequor O nymphe, je t’en prie, fille du Pénée, [hostis ; arrête ; ce n’est pas un ennemi qui te poursuit ; ms. Douce 117, v. 988-989 Edition Defaux, v. 995-996 Je te pry Nymphe / arreste ung peu [tes] pas Comme ennemy après toy ne cours pas Je te pry Nymphe arreste ung peu tes pas. Comme ennemy apres toy ne cours pas : Chez Ovide, la parataxe exprime l’arrêt qu’Apollon exige de Daphné. La construction analytique du latin permet de placer les éléments les uns à côté des autres sans risquer la confusion. Marot – qu’on a vu confronté à une difficulté analogue dans le passage « crainte »/ « espoir » 35 – choisit de s’appuyer sur un effet sonore basé sur l’allitération des consonnes explosives /t/ et /p/ qui détache les syllabes les unes des autres comme si la course de Daphné se décomposait en marche ralentie. L’allitération conçue par Marot préfigure celle qu’utilisera Baudelaire dans le deuxième hémistiche du célèbre incipit de « Recueillement » : 35 Voir p. 248. RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR 259 « Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille » 36. Marot a parfaitement vu la nécessité de l’elocutio ovidienne, mais sans doute aussi l’impossibilité de la rendre telle quelle en français. Son instinct poétique l’entraîne vers une solution à la fois originale et conforme à l’esprit du français. La version de Marot réalise parfois un potentiel poétique laissé un peu en friche par Ovide, comme dans le passage relatant le dilemme de Jupiter qui tente de dérober Io à Junon : Ovide, v. 617-619 Traduction Lafaye, p. 29 Quid faciat ? crudele suos addicere amores ; Que peut faire le dieu ? Il est cruel de livrer l’objet de son amour ; Non dare, suspectum est. Pudor est, qui ne pas le donner est suspect. Si la honte le [suadeat illinc, persuade d’un côté, Hinc dissuadet amor. Victus pudor esset de l’autre l’amour le dissuade. La honte eût [amore ; bien été vaincue par l’amour ; ms. Douce 117, v. 1213-1218 Edition Defaux, v. 1221-1226 Que pourra il or faire ou devenir C’est craulté / ses amours forbannir Que pourra il or faire, ou devenir ? C’est cruaulté, ses amours forbannyr. Ne luy donnant / la faict souppeçonner Honte en après l’incite à luy donner Ne luy donnant la faict soupeçonner, Honte en apres l’incite à luy donner. Puis amour est à l’en divertir prompte. Brief par amour eust esté vaincue honte Puis Amour est à l’en divertir prompte Et en effect Amour eust vaincu honte : Ovide construit le passage sur deux logiques. D’un côté, il organise un jeu subtile entre la versification et la syntaxe : les problématiques ouvertes dans un vers sont closes dans le suivant. D’un autre côté, il marque l’opposition « pudor » vs « amor » par la double répétition des termes, rappelés par l’opposition des pronoms « illinc » vs « hinc ». La dynamique induite par l’incapacité du vers à contenir la réflexion entre en contradiction avec le retour des termes du raisonnement. La version de Marot, dans laquelle deux vers français rendent un vers latin, tend à faire disparaître les structures proches de l’enjambement 36 Charles Baudelaire, « Recueillement », Les Fleurs du Mal, Paris, Classiques Garnier, 1961, p. 189. 260 « OVIDE VEUT PARLER » utilisées par Ovide, même si elle maintien l’opposition entre les termes clés « honte » et « Amour ». Dans la séquence centrale, Marot remplace le double verbe « être » par des verbes d’action « faict soupeçonner » et « incite » organisés autour d’une quasi épanadiplose de « donnant » à « donner ». Les limites des vers sont plus marquées que chez Ovide, mais l’intensité des réflexions de Jupiter est dramatiquement augmentée. A l’opposition entre les valeurs morales, la version française substitue une sorte de tempête sous un crâne. L’idée de Jupiter vaçillant vient incontestablement d’Ovide, mais le poète latin montre un raisonneur, alors que Marot, dévidant tout le potentiel de l’idée d’un dieu hésitant, décide de dépeindre un amant aux abois. Le choix interprétatif assumé ici par Marot se distingue nettement du reproche (apparu sous la plume d’Aneau, mais repris jusqu’à Ghislaine Amielle) d’un traitement médiévalisant de la matière antique : Jean-Claude Moisan a certes étudié de manière systématique le traitement réservé à l’onomastique ovidienne et mis en évidence que Marot préfère en général désigner les dieux par leur nom latin, plutôt que par toute forme d’appellation antonomastique 37. A bien y regarder, la façon dont Marot semble envisager Jupiter montre qu’au-delà du maintien du patronyme, le poète s’autorise à exploiter le potentiel mythologique en suivant sa sensibilité (ou celle de son temps), sans se soucier des valeurs allégoriques établies par la tradition. La subtilité de l’elocutio marotique exige une lecture attentive même dans des contextes dont la portée risque d’être supposée moindre : Ovide, v. 565 Traduction Lafaye, p. 27 Tu quoque perpetuos semper gere frondis de même la tienne [ta chevelure] sera tou[honores. jours parée d’un feuillage inaltérable. ms. Douce 117, v. 1110-1111 Edition Defaux, v. 1117-1118 Vueilles aussi porter en chascun eage Perpetuel honneur de verd feuillage. Vueilles aussi porter en chascun eage Perpetuel honneur de vert fueillage. 37 Jean-Claude Moisan, « Clément Marot et Raphaël Regius : l’insertion de la glose et du commentaire dans la traduction des Métamorphoses d’Ovide », p. 691. RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR 261 La position à la rime du terme « eage » qui se substitue au latin « semper » incite à évoquer la cheville pour justifier une transformation qui permet la rime « eage »/« feuillage ». Ce dernier terme conceptuellement proche du latin « frondis » semble gouverner les choix lexicaux du français. La finesse avec laquelle Marot traite les ajouts à la rime incite cependant à y regarder de plus près. Le choix « d’eage » suggère une sorte d’enracinement dans le temps de Daphné devenue laurier que l’on ne retrouve pas forcément dans le « semper » latin, plus abstrait. La question qui se pose est moins celle du conditionnement d’« eage » par « feuillage » que celle du subtil rendement des mots choisis à la rime. Si les passages commentés jusqu’ici ont en commun de contenir des réussites formelles presqu’indépendantes du contexte de la traduction, l’observation des dispositifs techniques a déjà révélé plus haut des versions dans lesquelles l’invention marotique prend délibérément le pas sur les impératifs de l’exercice. La description de la naissance des vents fait passer un grand souffle sur la distribution des actants. Avant le déclenchement du déluge, la foudre de Jupiter redevient subitement brûlante. Quant les eaux recouvrent la terre, les autels privés grandissent jusqu’à devenir des temples pour souligner la violence de la colère du dieu. L’ellipse latine trouve un pendant inventif dans une syntagmatique française capable de traduire les courses conjointes de l’espoir et de la crainte. L’idée d’un exercice de la traduction exempt de recherche au niveau de l’elocutio trouve une contradiction nette dans de nombreux passages du Premier Livre qui constituent comme une sorte de réponse par l’acte aux préventions théoriques. L’examen attentif du texte conduit à prendre Marot au sérieux lorsqu’il met la traduction sur le même plan que la poésie dans la dédicace à François Ier : Et pour ce faire, mis en avant (comme pour mon Roy) tout ce, que je peus, & tant importunay les Muses, qu’elles (en fin) offrirent à ma plume inventions nouvelles, & antiques, luy donnant le choys ou de tourner en nostre langue aulcune chose de la Latine, ou d’escrire œuvre nouvelle par cy devant non jamais veuë 38. 38 Marot, TII, p. 405. 262 « OVIDE VEUT PARLER » Dans un chiasme qui dit l’impossibilité de séparer « inventions nouvelles, & antiques », les muses invitent le poète à s’engager pour la traduction avec la même confiance que pour une « œuvre nouvelle ». L’ensemble de la dédicace décrit ensuite la métamorphose de Marot en poète à l’occasion de la traduction d’Ovide. Yves Bonnefoy, lui-même traducteur et poète, est un guide particulièrement sûr pour éclairer le rôle éminent de la traduction dans la naissance d’un poète : « La poésie, à se faire traduction de la poésie, se fait conscience de soi et confiance en soi. » 39 S’agissant de la traduction des Métamorphoses, Marot explicite le motif de la transformation par la traduction dans un étourdissant jeu de miroirs : Et a voulu Ovide ainsi [Métamorphoses] intituler son Livre, contenant quinze Volumes, pource qu’en icelluy il transforme les ungs en arbres, les aultres en pierres, les aultres en bestes, & les aultres en aultres formes. Et pour ceste mesme cause, je me suis pensé trop entreprendre de vouloir transmuer celuy, qui les aultres transmue. Et apres j’ay contrepensé, que double louange peult venir de transmuer ung transmueur, comme d’assaillir ung assailleur, de tromper ung trompeur, & mocquer ung mocqueur 40. L’entreprise du Premier Livre se voit définie par une formule audacieuse et irrésistible : « transmuer celuy, qui les aultres transmue. » Métamorphose et traduction se rejoignent certes dans l’idée de transformation, mais la première possède une dimension surnaturelle, magique dont la seconde est en principe dépourvue. La difficulté est cependant médiatisée par le rôle que Marot attribue à Ovide lui-même : c’est en effet le poète (et non un dieu) qui transforme en « arbres », en « pierres », en « bestes » ou en « aultres formes ». « Transmueur » devient ainsi référentiellement synonyme de « poète » et la formule « transmuer ung transmueur » désigne dès lors avec précision l’exercice qui consiste à devenir poète pour traduire un poète. Yves Bonnefoy donne une description plus factuelle de cet exercice : Le travail mot par mot du traducteur est mieux à même qu’aucune autre approche critique de se faire l’écoute des pensées, conscientes 39 40 Yves Bonnefoy, « La traduction au sens large », p. 11. Marot, TII, p. 406. RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR 263 ou non, qui ont aidé le poème à s’orienter vers la poésie ou l’ont empêché de le faire. Il peut être une discussion avec l’auteur en ce lieu de soi où ce dernier s’est voulu poète, et a fait pour cela des choix qui aident à comprendre les limites si ce ne sont pas les manœuvres de l’intellection conceptuelle. Il sera aussi une discussion du traducteur avec sa propre pensée. Traduisant il réfléchira, il évoluera, même dans sa façon d’être 41. L’évocation de la métamorphose vécue à l’occasion du Premier Livre ne relève pas de la simple coquetterie : elle exprime la « discussion » que Marot a tenue avec Ovide, discussion au terme de laquelle le fils de Jean se sent capable briguer le titre de poète auprès du roi. Admettre l’importance de l’expérience intérieure que représente la traduction du Premier Livre ne signifie pas encore être capable de décrire cette expérience dans sa totalité, comme l’indique Yves Bonnefoy : Au total, la traduction n’est pas seulement le texte auquel le traducteur aura consenti, pour finir — auquel il se sera résigné —, mais l’ensemble des réflexions et des décisions qui ont préparé ce texte avec, tôt après ou en même temps, des conséquences dans sa propre œuvre, à divers niveaux de conscience. C’est cette traduction « au sens large » que je crois qu’il importe d’étudier plutôt que le détail des pages qui portent le nom de traduction, et qui ne sont qu’un aspect parmi d’autres du travail bien plus vaste qui a eu lieu 42. L’étude de la traduction ne doit pas se limiter « au détail des pages » du texte cible. Même lorsque le commentaire parvient à identifier les réussites manifestes de l’elocutio marotique, il ne décrit que la partie visible d’un « travail bien plus vaste ». Yves Bonnefoy propose avant tout d’étudier la traduction « au sens large » dans l’ensemble de la production du poètetraducteur. […] le traducteur qui est poète a une œuvre que l’on peut lire. Et parmi ses écrits, poème ou proses, fictions ou réflexions théoriques 41 42 Yves Bonnefoy, « La traduction au sens large », p. 11. Yves Bonnefoy, « La traduction au sens large », p. 11. 264 « OVIDE VEUT PARLER » sur des sujets de diverses sortes, ne pourra-t-on constater qu’il en est qui reprennent à leur façon des questions nées de sa lecture de l’autre, de sa réflexion sur ce rapport aux dialectiques de la langue, de la parole ? 43 Les questions que Bonnefoy pose au travail du poète-traducteur appellent à rechercher les traces d’une négociation tout à fait analogue à celle que décrit Umberto Eco. Le texte publié est celui auquel le traducteur a « consenti » ou s’est « résigné ». Le processus implique un « ensemble de réflexions et de décisions ». Les remarques d’Yves Bonnefoy ne détachent pas le travail de la traduction par le poète du cadre général de la traduction. Les observations possibles dans le texte traduit appartiennent de plein droit au travail du poète. Les éléments saillants de l’elocutio auxquels s’attache la critique classique 44 ne constituent qu’un aspect de l’invention poétique à l’œuvre dans le Premier Livre. Celle-ci innerve l’ensemble du texte. Il n’y a aucune raison de penser que Marot ne soit poète qu’à l’occasion de quelques réussites formelles. Surtout, il faut éviter d’appréhender le travail du poète-traducteur sur la seule base des passages que pourraient retenir les anthologies. La plus grande partie des passages commentés au titre de la poétique du Premier Livre ne ressortent pas de la technique appliquée le plus souvent par Marot pour faire qu’Ovide « parle ». Pour autant, ils permettent de saisir les éléments qui orientent les prises de décision du poète. Lorsque le dispositif technique habituel risque de trahir le projet fondamental du Premier Livre, Marot sait trouver d’autres ressources. Cela ne signifie pas que les techniques les plus habituelles soient insuffisantes. Au contraire, certains passages tout à fait ordinaires au titre de la technique de Marot traducteur dégagent une impression de facilité presque miraculeuse. Ainsi, de l’instauration des jeux pythiques : 43 44 Yves Bonnefoy, « La traduction au sens large », p. 12. On peut penser à la thèse soutenue (mais non publiée) par Hermann Voll à Erlangen en 1954, Clément Marots Metamorphoseübersetzung. Untersuchung zu Marots Übersetzungstechnik : l’étude s’intéresse prioritairement aux écarts, tels que les développements (Erweiterungen), suppressions (Weglassungen), modifications (Änderungen), voire fautes de traduction (Fehlübersetzungen). RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR 265 Ovide, v. 445-449 Edition Defaux, v. 875-884 Neue operis famam possit delere uetustas, Et puis affin, que vieil temps advenir Ne sceust du faict la memoire te[r]nir, Instituit sacros celebri certamine ludos, Il establit sacrés jeuz & esbats Solennisés par triumphants combats, Pythia perdomitae serpentis nomine dictos. Phyties dicts du nom du grand Phyton, Serpent vaincu ; pour cela les feit on Hic iuuenum quicumque manu pedibusue En celluy pris quiconque jeune enfant [rotaue A lucte, à course ou à char triumphant Vicerat aesculeae capiebat frondis Estoit vainqueur, par honneur singulier, [honorem ; Prenoit chappeau de fueilles de meslier ; Ou du portrait de Daphné en vierge méprisant le mariage : Ovide, v. 477-484 Edition Defaux, v. 939-954 Vitta coercebat positos sine lege capillos. D’ung seul bandeau ses cheveulx mal en ordre Serroit au chef, sans les lyer, ne tordre. Multi illam petiere ; illa, aversata petentes, Plusieurs l’ont quise à l’espouser tendants, Mais toujours feit reffus aux demandants. Inpatiens expersque uiri nemora auia [lustrat Sans vouloir homme, & du plaisir exempte, Va par les boys, qui n’ont chemin, ne sente, Nec quid Hymen, quid Amor, quid sint Et ne luy chault sçavoir que c’est de nopces [conubia, curat. N’aussi d’ung tas d’amoureuses negoces. Saepe pater dixit : « Generum mihi, filia, Son pere aussi luy a dit maintesfois, [debes. » Ma chere fille, ung gendre tu me dois : Saepe pater dixit : « Debes mihi, nata, Et luy a dit (cent foys blasmant ses vœuz) [nepotes. » Tu me doibs, fille, enfants, & beaulx nepveuz. Illa, uelut crimen taedas exosa iugales, Elle abhorrant mariage aussi fort Que si ce fust ung crime vil, & ord, Pulchra uerecundo suffuderat ora rubore Entremesloit parmy sa face blonde Une rougeur honteuse, & vereconde : Le découpage systématique et l’analyse statistique montrent qu’il est possible de concevoir ce genre de passages comme le prototype possible de la séquence de traduction marotique. 266 « OVIDE VEUT PARLER » L’idée qui se fait jour est alors celle d’un distique propre à l’exercice de la traduction. Les distiques sur lesquels travaille le poètetraducteur respectent formellement des contraintes pragmatiques : concision et métrique. Ils offrent également un cadre favorable à des contraintes esthétiques (correspondance expressive, équivalence d’information, économie, micro-syntaxe), les deux vers français représentant un volume de texte offrant au poète de vraies marges de manœuvre expressives. Pour autant, Marot n’enferme pas toute sa version dans des distiques : il les laisse devenir quatrains, joue avec les enjambements, trouve parfois la clôture de la séquence au sixième vers seulement. Pour l’héritier des Grands Rhétoriqueurs, le distique de traduction présente l’intérêt d’une forme à la fois fixe et plastique. Forme fixe, le distique porte une hypothèse formelle conforme au projet poétique ; forme plastique, il peut être déformé ou combiné, aboutir à des suites plus longues. Le distique ne constitue pas une fin en soi, mais une sorte de force d’attraction agrégeant progressivement les essais auxquels se livre l’invention poétique. Il peut également servir de point de départ au commentaire critique, à partir duquel il devient possible de retracer les négociations menées pour la stabilisation du texte cible. Les diverses formes observées apparaissent alors comme les solutions apportées et assumées par Marot à l’audacieuse équation qu’il pose à la fin de la dédicace à François Ier : « Ovide veut parler » 45. La formule omet remarquablement de citer la langue cible ; elle dévoile, en dernière analyse, le fond du projet poétique du Premier Livre : donner au texte d’Ovide non pas un équivalent savant et ampoulé porté par une langue inutilement recherchée, à l’image de celle de l’écolier limousin, mais une version aussi accessible que la parole vivante. Face à la présence que le Premier Livre s’efforce de réaliser, la question de la langue cible semble presque secondaire. Pour autant, Marot doit conduire son projet au travers d’un travail spécifique sur la langue française, dont le commentaire critique doit rendre compte avec rigueur. Observer que la technique dominante appliquée par Marot (prédominance des opérations de maintien, respect optimal de l’ordre des mots, etc .), et la rupture avec celles-ci (opérations de 45 Marot, TII, p. 407. RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR 267 transformation ou de suppression, reconstructions syntaxiques, etc.) sont subordonnées au même projet conduit à apprécier les séquences supposément banales au même titre que les passages plus recherchés en tant que réalisations littéraires. Le jeu des opérations à la recherche de la juste version dit alors mieux que toute appréciation esthétique la forme que prend l’exigence expressive pour Clément Marot. La stratégie dominante et les micro-stratégies qui s’en distinguent rendent compte du geste total. Le domaine de l’analyse se voit alors augmenté par la valorisation d’éléments qui échappent à l’approche par sondages ponctuels. Il devient possible non seulement de dire si un passage donné relève ou non de la technique habituelle du traducteur, mais surtout d’apprécier chaque passage en tant que forme issue de la réflexion poétique de Marot. Cet élargissement du champ des observations peut servir de base à l’étude de ce qu’Yves Bonnefoy appelle la « traduction au sens large », en particulier par la prise en considération des autres traductions de Marot ou d’autres versions des Métamorphoses proches du Premier Livre dans le temps. La méthode du découpage en séquences et l’hypothèse que ces dernières constituent les unités de travail du traducteur permettent d’ouvrir la discussion avec des repères performants. CHAPITRE VII APRÈS LE PREMIER LIVRE Mesurer l’influence du Premier Livre en tant que réalisation littéraire implique de le situer vis-à-vis des traductions qui le suivent, celles de Marot et celles des autres traducteurs. Il est cependant utile d’identifier au préalable les principales caractéristiques des réalisations précédentes. Publiée à Paris en 1509 1, la traduction de l’Enéide par Octovien de Saint-Gelais constitue l’entreprise de traduction poétique en français la plus importante avant le Premier Livre. L’application du découpage par superposition révèle immédiatement une technique de traduction tout à fait différente de celle de Clément Marot. Le passage sélectionné raconte un prodige au cours duquel des gouttes de sang suintent des branches avec lesquelles Enée entend orner l’autel de Vénus : Virgile, Enéide, Livre III, v. 19-34 2 1 Sacra Dionææ matri Divisque ferebam auspicibus coeptorum operum, superoque [nitentem 2 cælicolum regi mactabam in litore taurum. Forte fuit iuxta tumulus, quo cornea summo uirgulta et densis hastilibus horrida myrtus. 1 2 Saint-Gelais, feuillet di vo Si proposai faire aux dieux sacrifice, Car le principe me fut assez propice. Si fis occire sur ce port un taureau, Et là auprès y avoit un tombeau Environné d’arbres de maintes fortes Cormiers de myrtes que la terre y apporte. Les énéydes de Virgille, translatez de latin en françois, par messire Octavian de Sainct Gelais, reveues et cottez par maistre Jehan d’Yvry, 1509. L’édition est disponible sur Gallica avec l’identifiant ark :/12148/bpt6k71496m. Virgile, Enéide, Livres I-IV, éd. et trad. Jacques Perret, Paris, Les Belles Lettres, 1981, p. 76. 270 « OVIDE VEUT PARLER » 3 Accessi viridemque ab humo conuellere Là m’en allai cuidant branches cueillir [siluam Et verts rameaux à mes mains recueillir conatus, 4 ramis tegerem ut frondentibus aras, Pour faire feu et digne couverture Au sacrifice comme par droiture. 5 horrendum et dictu video mirabile monstrum. Nam quæ prima solo ruptis radicibus arbos uellitur, huic atro liquuntur sanguine guttæ, et terram tabo maculant. Mihi frigidus [horror membra quatit gelidusque coit formidine [sanguis. Vis je lors là un monstre moult divers, Car du premier arbre vis à l’envers Acoup issir de sang noir grosses gouttes Dont je perdis alors mes forces toutes Et du grand peur devins froid et transi Considérant que peut estre ceci. 6 Rursus et alterius lentum conuellere Pas ne cessai pourtant ains plus fort tâche [uimen Savoir que c’est et autres branches arrache Insequor et causas penitus tentare [latentis : 7 ater et alterius sequitur de cortice sanguis. De laquelle sortit pareillement Et dégoutta du sang moult largement. L’extrait présente deux types de manières : dans les séquences 3, 4 et 7, le rapport deux vers français pour un vers latin est observé, alors que dans les séquences 1, 2, 5 et 6, la version de la langue cible est plus concentrée. Cette deuxième manière tient plus à la disparition pure et simple de Contenus Nucléaires présents dans le texte de Virgile. La séquence 1 permet d’observer plusieurs formes d’abandons : les différents dieux évoqués par le poète latin (« Sacra Dionææ matri Divisque ») sont regroupés dans un terme générique (« aux dieux ») ; le contre-rejet du deuxième vers (« superoque nitentem ») est effacé ; le complément hors valence verbale (« auspicibus coeptorum operum ») exprimant l’objet recherché par le sacrifice est rendu par une formule généralisante qui rend de façon assez libre l’idée de la faveur des dieux. Des procédés du même type peuvent être observés aussi dans les séquences 2, 5 et 6 ; on peut retenir, en autres choses, la disparition complète du destinataire du sacrifice (« caelicolum regi »), des racines (« ruptis radicibus ») d’où jaillit le sang noir, de la APRÈS LE PREMIER LIVRE 271 malédiction (« tabo ») répandue sur la terre, ou encore de la recherche des causes du mystère (« causas penitus latentes »). Thomas Brückner, qui a réalisé l’étude la plus importante de l’entreprise de Saint-Gelais, place les fréquentes suppressions au cœur de la manière saintgelienne : Bei der Übertragung der einzelnen Verse indes nimmt sich der Rhétoriqueur einige Freiheiten, welche die Übersetzungskritik mit Kategorien wie Auslassung, ungenaue bzw. falsche Übersetzung, Verkürzung, sehr freie Wiedergabe beschreibt. Es scheint, dass ein Wort-für-Wort Vergleich zum Teil erhebliche Abweichungen ergäbe. […] Die Wiedergabe des Vergilschen brevitas bereitet dem Übersetzer offensichtlich Schwierigkeiten 3. Les libertés prises par le traducteur ne doivent pas conduire à un jugement trop hâtif : l’étude approfondie du travail de Marot met en évidence que les questions esthétiques en lien avec la traduction gagnent à être abordées avec prudence. Revenir aux séquences 3, 4 et 7 permet d’observer d’autres caractéristiques du travail de Saint-Gelais. Les séquences 3 et 4 offrent des versions dans lesquelles le texte français amène des éléments supplémentaires, fruits de l’interprétation du traducteur : la surprise qui attend Enée est préparée par un rappel de son intention première par la mention « cuidant branches cueillir » ; l’usage des branches qui servent à immoler par le feu est rappelé de façon explicite. Les ajouts révèlent une lecture précise et soucieuse de rendre la progression logique perceptible au lecteur. La marque de la technique saintgelienne ne réside pas dans la simple diminution du texte source, mais plutôt dans l’alternance entre deux manières, l’une résumante, l’autre explicative. Un autre passage permet d’observer une troisième manière où la réécriture semble repousser les limites de la définition même de la traduction, au moment où Enée et ses compagnons abordent l’île de Délos : 3 Thomas Brückner, Die erste französische Aeneis. Untersuchungen zu Octovien de Saint-Gelais’ Übersetzung ; mit einer kritischen Edition des VI. Buches (Studia humaniora ; 9), Düsseldorf, Verlag Droste, 1987, p. 149. 272 « OVIDE VEUT PARLER » Virgile, Enéide, Livre 3, v. 73-83 4 1 Sacra mari colitur medio gratissima tellus 2 Nereidum matri et Neptuno Aegaeo, 3 quam pius arquitenens oras et litora circum errantem Mycono e celsa Gyaroque reuinxit, immotamque coli dedit et contemnere uentos. 4 Huc feror, Saint-Gelais, feuillets dii ro - dii vo Dedans la mer y eut une grand île Où la terre fut plaisante et fertile. Là Neptunus prévoit honneurs placides Aussi la mere jadis de Néréides. Celle belle île en son commencement Etait sujette à divers tremblement, Vent et tempête [rude] la traitaient, Mais sont atteints ceux qui y habitaient, Dont Appollo voyant telles ruines Il colloqua deux montagnes voisines Dont aux manants [futur] repos donne. Par ce moyen fut le vent contempne Et fut ainsi l’île ferme et stable, Non plus au moins sujette et muable. Le droit [à tous] car bien eûmes assez Fait de pays pour en être lassés. 5 haec fessos tuto placidissima portu accipit ; Celle belle terre doncques plaisante et [belle Tous nous reçut sans point être rebelle Et doucement par grâcieux support Recueillis fûmes trestous dedans ce port. 6 egressi ueneramur Apollinis urbem. 7 Rex Anius, rex idem hominum Phoebique sacerdos, uittis et sacra redimitus tempora lauro occurrit ; 4 Virgile, Enéide, Livres I-IV, p. 78. Hors des navires promptement nous [yssimes, A la cité d’Appollo honneur fîmes. Le roi du lieu nous vint alors devant, Dit Aiyus, authentique [et] savant Roi pour certain et de Phébus fut prêtre. Si chef [avoit], pouvait apparaître Corné de vignes et couvert de lauriers. Cil nous reçut ainsi que familiers, APRÈS LE PREMIER LIVRE 273 8 ueterem Anchisen agnouit amicum. 9 Iungimus hospitio dextras et tecta subimus. Bien reconnut l’amitié ancienne De mon viel père et de la gent troyenne. Ainsi entrâmes joyeux en son hôtel Bien connaissant son vouloir être tel. Dans la séquence 3, l’intrigue de Virgile est substantiellement restructurée dans la version de Saint-Gelais : la difficulté engendrée par la construction relative latine (« quam errantem ») est contournée par la mise en place d’indépendantes en français. La séquence 4 met la partie latine en relation avec une partie française qui n’en est pas véritablement la traduction : Virgile indique simplement qu’Enée se dirige en direction de l’île, alors que Saint-Gelais donne une explication psychologique donnant au héros le droit de se reposer. La séquence 9 présente encore une autre forme de réécriture : le symbole des mains droites jointes (« jungimus dextras ») est rendu par sa signification, celle de l’accueil donné (« bien connaissant son vouloir être tel »). Les diverses manières auxquelles a recours Saint-Gelais s’inscrivent toutes dans la ligne de la mise en garde d’Horace contre le mot à mot. L’impératif semble, comme chez Marot, celui de l’accessibilité pour le public français. Le traducteur assume la part d’interprétation qui lui revient et décide de ce que le lecteur doit comprendre. Celui-ci accède à l’histoire d’Enée, sans être confronté directement aux aspérités du texte latin. Même s’il est délicat de juger d’un texte du volume des Enéides de Saint-Gelais sur la base de quelques dizaines de vers seulement, la diversité des formes observées permet d’esquisser une hypothèse : comme chez Marot, les stratégies parfois surprenantes appliquées par le traducteur ne sont pas de nature à mettre en cause sa connaissance du latin ou ses qualités de poète, mais plutôt sa conception de la traduction. Contrairement à Marot, dont la version suit souvent au plus près l’original latin, Saint-Gelais s’affranchit volontiers du détail de son modèle. Il renonce certes presque totalement à la glose (il reste quelques indications en marge) propre à la manière médiévale, mais il semble renoncer également à l’objectif d’une version dans laquelle il disparaisse au profit d’un Virgile parlant français. Invoquer le refus horacianiste du mot à mot n’est pas suffisant 274 « OVIDE VEUT PARLER » pour cerner véritablement les contours de l’entreprise saintgelienne : Marot lui aussi sait ne pas « s’asservir » à une traduction à la lettre. Il faut s’orienter plutôt vers une définition de la traduction comme un modeste exercice de réécriture, que Saint-Gelais entend rendre acceptable bien plus par le contexte de sa réalisation ou l’importance de sa source que par une quelconque revendication esthétique : Telle matière et tel propos me sembla lors assez conforme au temps moderne, voire et aux choses qui ores sont, si pensay sans plus muser jeter ma charrue légère en ce fertile pourpris pour en tirer grains et substance. Et conclus lors d’ardant désir si force au cœur ne me défaut icelluy livre translater de bon latin haut et insigne de mot à mot et au plus près et de le mettre en langue française et vulgaire 5. La fin du passage et l’allusion à une version « au plus près » confirment bien toute la difficulté de rendre opérationnel l’adage d’Horace pour la discussion des textes de traduction du premier seizième siècle. Le système d’opposition qui sous-tend la réflexion de Saint-Gelais permet par contre d’entrer dans le présupposé fondamental : d’un côté, le « fertile pourpris », le « latin haut et insigne » ; de l’autre, la « charrue légère », la « langue française et vulgaire ». L’entreprise du traducteur moderne semble placée d’emblée dans un univers de possibles, et donc dans un niveau d’exigence, tout bonnement inférieur à celui de l’original. Saint-Gelais se montre dans ses Eneydes, tout simplement parce qu’il estime impossible que Virgile y apparaisse véritablement. Le traducteur se voit gratifié d’un laisser-passer, parce qu’il faut bien occuper la place dans laquelle il semble impossible de faire vivre l’original. Même si elle est très différente dans sa réalisation concrète, la stratégie appliquée par Guillaume Michel de Tour pour la première églogue participe des mêmes présupposés. Le recours à un français surnourri dit lui aussi la défiance envers les possibilités 5 Octovien de Saint-Gelais, « Prologue », Les énéydes de Virgille, translatez de latin en françois, reveues et cottez par maistre Jehan d’Yvry, 1509, feuillet aii ro. Le contexte du passage est intéressant : il constitue au plus un dixième d’un prologue orienté tout entier vers la louange du souverain, Louis XII. APRÈS LE PREMIER LIVRE 275 de la langue vernaculaire. La fortune critique du portrait de l’écolier limousin explique sans doute pourquoi la tentative n’a guère trouvé d’écho dans le domaine français, alors même que la théorie de la traduction pourrait admettre des recherches formelles visant à établir une langue façonnée à l’aune du texte source 6. Le choix opéré par Marot ne renvoie cependant pas simplement à une confiance aveugle dans les possibilités d’illustration de la langue française ; il dit avant tout une exigence plus fondamentale de la poésie marotique, celle d’une présence habitant le poème. La solution consistant à admettre la présence du traducteur au vu de l’impossibilité d’intégrer l’auteur original ne saurait cependant être retenue, puisqu’elle serait « éthiquement » inacceptable dans la logique du silence décrite par Gérard Defaux 7. La déontologie qui naît de cette exigence est celle-là même de la traduction moderne : l’engagement total du traducteur implique sa disparition illocutoire. La tâche impossible du poète dans le contexte de la traduction consiste à combler le déficit littéraire redouté entre la version française et son modèle latin. L’abandon assumé de Saint-Gelais présente l’avantage d’une solution raisonnable. Marot quant à lui juge sans doute plus honorable la recherche délibérée d’une version conforme à l’utopie d’un Ovide parlant français. La comparaison avec le travail de Saint-Gelais révèle en dernière analyse que les catégories générales du commentaire critique, à commencer par la référence à l’adage horacien, s’avèrent hautement insuffisantes pour rendre compte de la spécificité de l’entreprise du Premier Livre : si Marot peut avoir recours à des techniques présentant des caractéristiques semblables à celles de Saint-Gelais, telles que la redistribution de Contenus Nucléaires ou l’ajout à fonction explicative, il applique des formes et des proportions qui donnent au Premier Livre une dimension tout à fait différente de celle des Eneydes. Il importe donc de demeurer au niveau de l’analyse de texte, si l’on entend mesurer avec un tant soit peu de précision l’influence exercée par la technique marotique dans des entreprises postérieures au Premier Livre : 6 7 A l’image des recherches de Jean Tardieu sur le vers accentuel inspiré par Hölderlin. Gérard Defaux, « Rhétorique, silence et liberté dans l’œuvre de Marot ». 276 « OVIDE VEUT PARLER » l’observation de la technique doit être axée sur le repérage méthodique des phénomènes les plus fréquents, non uniquement sur celui des phénomènes les plus saillants. Comme Marot est son premier successeur dans le domaine de la traduction des textes majeurs, il est logique de débuter par l’observation de l’évolution des techniques dans le corpus marotique. LES AUTRES TRADUCTIONS DE MAROT La série de traductions qui débute avec le Premier Livre procède à une exploration remarquable des principales tendances esthétiques et intellectuelles du début du XVIe siècle. La liste des textes traduits par Marot après Le Premier Livre ressemble à un manifeste en faveur des idées nouvelles. Rien de littéraire, on l’a vu plus haut, ne semble étranger à Marot traducteur : les littératures latine (Ovide), grecque (Musée), moderne (Pétrarque), néo-latine (Erasme) et religieuse (Psaumes) font toutes l’objet de l’attention du poète. Les enseignements tirés de l’analyse du Premier Livre permettent de disposer d’une grille utile pour évaluer l’évolution de la technique marotique 8 au travers d’une entreprise sans équivalent contemporain par la variété des sources traitées et des contextes stylistico-linguistiques. S’il n’est pas le plus proche par la situation chronologique, le Second Livre de la Metamorphose constitue évidemment l’entreprise de traduction la plus comparable au Premier Livre par le contexte de sa réalisation : même auteur source, même format de texte cible (décasyllabes rimés), même approche épistémologique. Une différence importante marque toutefois le dispositif : Marot abandonne complètement la technique des sous-titres inspirés de l’index de Regius. Le texte se déroule sans interruption du début à la fin du livre. Le test de la superposition révèle des distiques 8 En ce qui concerne les traductions qui précèdent le Premier Livre, la Première Eglogue de Virgile, dont Gérard Defaux date la composition vers 1512 (Marot, TI, p. 413) semble porter les prémices de la technique marotique (voir plus haut). Quant aux traductions néo-latines (Tristes vers et Oraison contemplative), l’étude systématique des textes révèle des structures tout à fait analogues à celles observées dans le Premier Livre. Voir à ce sujet : David Claivaz, Marot enchaîné, Studia Neophilologica, 77, 2005, 188-209. 277 APRÈS LE PREMIER LIVRE tout à fait semblables à ceux relevés dans le Premier Livre, par exemple dans un passage décrivant les saisons siégeant autour d’Apollon au moment où Phaéton gagne le palais de son père : Ovide, Métamorphoses, Livre II v. 26-30 9 Marot, Le Second Livre v. 51-57 10 Verque nouum stabat cinctum florente Là est debout Printemps, le nouveau né, [corona, Qui d’ung chappeau de fleurs est couronné. Stabat nuda Aestas et spicea serta gerebat, Là est sur pieds l’Esté nud sans chemise, D’espics de bled la couronne au chef mise, Stabat et Autumnus, calcatis sordidus uuis Autumne aussi, qui les membres tachés Avoit par tout de raisins escachés, Et glacialis Hiems, canos hirsuta capillos. Avec Yver, qui tremble & qui frissonne, Et dont le poil tout chenu herissonne. On retrouve facilement dans le passage le souci de l’ordre des mots, aussi bien que celui de la symétrie des effets : l’anaphore « Là est » correspond au « stabat » latin, même si, peut-être par crainte de monotonie, elle n’est pas répétée trois fois. Le distique de traduction semble être à ce point maîtrisé qu’il efface certaines particularités du texte original : Ovide, Métamorphoses, Livre II v. 401-408 11 Marot, Le Second Livre v. 737-752 12 At pater omnipotens ingentia moenia caeli Le tout Puissant adoncq de toutes pars Circuit et, A tournoyé du ciel les haultz rempars, ne quid labefactum uiribus ignis Pour visiter avecques providence Corruat, explorat. Si le feu a rien mys en decadence. Quae postquam firma suique Puis quand il veit que de chascun quartier Roboris esse videt, Tout estoit seur, ferme & en son entier, Perspicit. 9 10 11 12 terras hominumque labores Du ciel s’en vint aussi bas que nous sommes Pour veoir la terre, & le labeur des hommes. Ovide, TI, p. 38. Marot, TII, p. 453. Ovide, TI, p. 50. Marot, TII, p. 471. 278 « OVIDE VEUT PARLER » Arcadiae tamen est inpensior illi Cura suae ; Mais par sus tout il myt son estudie A reparer son pays d’Arcadie, fontesque et nondum audentia labi Et restablir les fleuves, & ruisseaux, Flumina restituit, Qui n’osoyent faire encor couler leurs eaux. Arboribus, dat terrae gramina, frondes Herbes, & fleurs à la terre rendit, Fueilles, & fruicts sur les arbres pendit, laesasque iubet reuirescere siluas. Et les forestz gastées de l’ardeur Feit revestir de nouvelle verdeur. Le passage raconte le soin que prend Jupiter à inspecter le ciel, puis à réparer la terre après les dégâts occasionnés par la course folle de Phaéton. Les rejets utilisés par Ovide expriment la continuité de l’action de Jupiter qui ne connaît pas de repos jusqu’au rétablissement de sa création. La version de Marot s’articule autour de distiques parfaitement composés, sans retenir la figure de construction qui se trouve au cœur du texte original. La technique appliquée par le traducteur semble ici s’imposer contre l’expressivité de la source. Dans des contextes analogues, l’étude du Premier Livre avait montré Marot jouant volontiers du rejet et du contre-rejet pour répondre à la subtilité d’Ovide. Au travers du passage ci-dessus, Le Second Livre semble laisser s’affirmer une tendance à la normalisation, l’efficacité avérée de la technique du distique entraînant le traducteur à une version plus standarisée, celle à laquelle parvient celui qui « sait » traduire. En Marot, le traducteur semble désormais capable de s’affranchir de la puissance créatrice du poète. L’habileté de ce dernier ne tarde cependant pas à réapparaître, si le contexte l’exige. Quelques vers après avoir réparé le monde, Jupiter tombe amoureux de Callisto ; la crainte de la colère de Junon le fait hésiter un peu, les circonstances de la rencontre avec Callisto (« custode vacantem » 13) permettent à Jupiter d’espérer pouvoir agir en toute impunité : 13 v. 422, Ovide, TI, p. 51. 279 APRÈS LE PREMIER LIVRE Ovide, Métamorphoses, Livre II v. 423-424 14 Marot, Le Second Livre v. 779-782 15 « Hoc certe furtum coniunx mea nesciet » Ja (ce dit il) ne sçaura mon espouse [inquit Ce coup d’emblée, & n’en sera jalouse, « Aut si rescierit, sunt, o sunt iurgia tanti ! » Ou si le sçait, elle aura beau s’en plaindre. Sont les courroux des Dames tant à craindre ? Comme il a appris à ne pas sous-estimer son épouse, Jupiter doit cependant prendre en compte l’hypothèse qu’elle parvienne à découvrir la vérité (« si rescierit ») : tout à son désir, le dieu séducteur éloigne ses craintes par une formule aussi elliptique que définitive. Georges Lafaye donne une version un peu didactique : « ou, si elle l’apprend, un tel prix me paie, oh ! oui, un tel prix me paie bien de ses querelles. » 16 On ne saurait dire si le Jupiter d’Ovide est véritablement capable d’une pensée aussi rationnelle au moment d’exercer ses charmes. Marot choisit une formule dans laquelle on retrouve les préjugés de son temps et qui exprime plus directement le mépris du risque dont peut faire preuve celui que son désir entraîne. L’audace sourit au traducteur, puisqu’elle est non seulement acceptée, mais aussi commentée par le sévère Barthélemy Aneau qui indique en marge du vers : « Ire de femme n’est redoutable » 17. Il est remarquable que le commentaire de l’humaniste semble se baser nettement plus sur la version de Marot que sur l’original d’Ovide. La note 18 de Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant indique un écho éventuel dans l’Imagination poétique de Barthélemy Aneau : « Quand se venger des peres point ne peuvent / […] CRUEL sexe, à vengence importent / Autant qu’il est de vengence appetent ». L’hypothèse semble cependant fragile : il faudrait admettre que le savant Aneau, qui sait se montrer particulièrement pointu quand il s’agit d’évaluer le texte de Marot, accepte une version sur la seule base d’une conviction générale. Sans doute vaut-il mieux invoquer l’efficace finesse de la formule de Marot qui livre une sorte de lecture du for intérieur de Jupiter tout à fait dans la ligne du portrait à charge dressé par Ovide. 14 15 16 17 18 Ovide, TI, p. 51. Marot, TII, p. 472. Ovide, TI, p. 51. Trois premiers livres, p. 150. Trois premiers livres, p. 197. 280 « OVIDE VEUT PARLER » L’impression de normalisation que donne Le Second Livre ne doit pas amener à conclure à une traduction rigide ou négligée. Il semble naturel de retrouver la technique mise au point dans Le Premier Livre appliquée de façon pour ainsi dire classique dans la suite du projet de traduction des Métamorphoses, mais il n’y a aucune raison de penser que Marot devienne subitement moins exigeant vis-à-vis de sa version. L’étude systématique du Premier Livre a par ailleurs démontré que seules des observations menées à grande échelle permettent de saisir toute la dimension d’une entreprise de traduction. L’évaluation fine du Second Livre nécessiterait une analyse de cette profondeur, mais il est possible d’avancer à ce stade que Marot semble fidèle à une technique avec laquelle il a rencontré le succès. Malgré la lointaine présence d’Ovide dans l’intertexte, le contexte éditorial de L’Histoire de Leander et Hero présente des caractéristiques remarquablement différentes de l’entreprise du Premier Livre. Alors que ce dernier constitue une sorte de territoire conquis par le vernaculaire sur le pré carré humaniste, le passage en français du texte de Musée ressemble plus à un délice autorisé par les nouvelles pratiques littéraires qui apparaissent dans le premier seizième siècle. Le passage de Musée en français suppose avant tout la traduction du texte en latin. Celle-ci est originellement l’œuvre de Marcus Musurus pour le compte d’Alde Manuce 19. L’incunable de l’académie aldine est à l’origine d’un nombre important de rééditions : le répertoire de Friedrich Adolph Ebert 20 recense cinq éditions entre la première publication aldine et le volume parisien de 1538. Parallèlement à cet engouement pour la traduction aldine, le texte de Musée connaît en France dans les premières années du XVIe siècle une série importante d’éditions : il paraît une première fois sous la forme d’une paraphrase attribuée à Guillaume de la Mare (Mara) à Paris en 1511, puis accompagné d’un commentaire attribué à Joannes Vatellus (Vatelle) en 1514 21. 19 20 21 L’incunable porte le numéro M25737 dans le Gesamtkatalog der Wiegendrucke (GW) ou le numéro im00880000 dans le Incunabula Short Title Catalogue (ISTC). Friedrich Adolph Ebert, A General Bibliographical Dictionary, Volume 3, Oxford University Press, 1837. Jean-Eudes Girot, « Clément Marot, traducteur de Musée », Actes Cahors, p. 122. APRÈS LE PREMIER LIVRE 281 L’ensemble du corpus – traduction aldine, paraphrase et commentaire – est repris dans un volume unique publié en 1538 par Christian Wechel. Le texte de Musée apparaît comme le type de production littéraire rendu possible par le développement des idées nouvelles : grâce à l’industrie éditoriale des grands lettrés, un corpus nouveau devient facilement disponible. Si le volume publié par Wechel s’inscrit dans cette dynamique nouvelle, il n’est pas sans poser certains problèmes d’autorité : on y trouve en effet d’un côté l’attribution précise d’une paraphrase et d’un commentaire, respectivement à Mara et Vatelle, alors que d’un autre côté, la traduction latine publiée n’est que très indirectement reliée à Marcus Musurus par la reproduction de deux épigrammes du Crétois. Grâce au volume publié chez Christian Wechel, Marot dispose du matériel dont il a besoin pour aborder un texte grec. Le soustitre pour l’édition de 1541 chez Sébastien Gryphe renseigne sur certains aspects de l’entreprise de Marot : L’HISTOIRE DE LEANDER ET DE HERO, Premierement faict en Grec par Musaeus poëte tresancien : et depuis mis de Latin en François par Clement Marot 22 On remarque d’abord une erreur commise par Marot sur l’origine du texte. L’adverbe « premierement » attribue la paternité du texte à Musée « poëte tresancien » : Marot suit sans doute le commentaire de Vatelle qui attribue faussement le texte au Musée mythique en lieu et place de Musée le grammairien qui vécut autour du Ve siècle après Jésus-Christ. Reconnaître en Musée l’auteur premier d’une histoire qui se trouve par ailleurs dans les Héroïdes 23 d’Ovide implique de situer la composition avant le Ier siècle avant Jésus-Christ. Une telle hypothèse n’est compatible qu’avec l’attribution du texte au Musée mythique. Apparaît ensuite explicitement un décalage, qui touche à la discontinuité entre Musée et Marot : le premier rédige en grec, 22 23 Marot, TII, p. 499. La lettre de Léandre à Hero est attribuée à Ovide. Il existe un doute sur l’attribution de la lettre de Hero à Léandre. 282 « OVIDE VEUT PARLER » alors que le second traduit du latin au français. Il manque à la séquence le passage du grec au latin. On peut imaginer que la difficulté à identifier l’identité du traducteur dans le volume publié par Wechel ait conduit Marot, si sensible à la question de l’autorité sur les textes, à préférer l’ellipse à la méprise. Il faut par ailleurs reconnaître au sous-titre de Marot la qualité de marquer de façon relativement claire la séparation entre l’original grec et le texte français. La traduction du grec avance en France bien plus lentement que celle du latin. Il faut se souvenir en effet que jusqu’aux années 1540, les traducteurs français de textes grecs (Seyssel, Tory, Salel) travaillent presqu’exclusivement sur des textes intermédiaires en latin, ainsi que le rappelle Paul Chavy : Soyons cependant sans illusion, si une des versions citées (Electre 24) a été faite directement sur l’original grec, si deux ou trois se sont référées au texte grec, toutes les autres ont utilisé exclusivement des versions latines venues d’Italie 25. Allié à la transparence du sous-titre, ce constat conduit à nuancer l’idée d’un Marot cherchant à s’afficher en helléniste, idée que Gérard Defaux lui-même semble s’être forcé à envisager : Il est malgré tout possible que Marot ait été poussé vers cette fable par un autre motif, celui de la « doctrine » et du « savoir ». Le besoin d’élargir son horizon culturel, de fréquenter les sources grecques – même, comme c’est le cas ici, à travers un filtre latin –, de gagner en maîtrise et en réputation, tout cela a dû aussi jouer un certain rôle dans son choix 26. Jean-Eudes Girot se montre plus catégorique encore pour questionner le portrait d’un Marot hellénisant : [..] la traduction de l’œuvre de Musée [reflète] l’engouement pour l’hellénisme à la fin des années vingt. Pourtant, il est difficile de 24 25 26 Chavy fait allusion à la traduction de Lazare de Baïf. Auparavant, il a cité, parmi les traducteur du grec au français, Geoffroy Tory, Claude de Seyssel, Antoine Macault. Chavy, Paul, « Les traductions humanistes au début de la Renaissance française : traductions médiévales, traductions modernes », p. 287. Marot, TII, p. 1196. APRÈS LE PREMIER LIVRE 283 mettre Marot sur le même plan qu’un Antoine de Macault, par exemple, traducteur en français de l’autre grand succès scolaire de la littérature grecque, Le grand combat des ratz et des grenouilles que Wechel publie en 1540. Marot est un poète, et l’on peut supposer que son choix repose avant tout sur des critères poétiques 27. Bien plus que le prestige de la source grecque, la force intrinsèque de L’Histoire de Leander et Hero doit être soulignée : après Ovide, Musée et Marot, le thème a pu aussi bien retenir l’attention de poètes de l’importance de Schiller ou Byron, qu’inspirer toute une série de chansons populaires d’époques et de situations géographiques différentes 28. La façon délibérée dont le sous-titre retenu par Marot attribue « l’histoire » à Musée met également en évidence, on l’a vu, la valeur du texte original. Le potentiel littéraire de celui-ci est incontestable : images fortes du bonheur des amants et des dangers de la traversée, tension conservée tout au long du récit montrant Léandre traverser l’Hellespont, double tragédie finale. Le rapport du traducteur à l’original est sans doute plus marqué par la densité poétique du récit de Musée que par la recherche d’une posture d’helléniste. Il faut souligner par ailleurs l’avantage que représente le matériel rendu disponible par le volume publié par Christian Wechel en 1538 : Marot dispose d’un appareil critique tout à fait comparable à celui qu’il a utilisé pour le Premier Livre, puisque le texte latin se voit accompagné de commentaires érudits. L’abondance du corpus utilisé par Marot conduit à interroger la nature même de l’exercice auquel il se livre en rédigeant L’Histoire de Leander et Hero. Jean-Eudes Girot met en évidence que toutes les composantes de l’opuscule de Wechel sont exploitées : la traduction de Musurus, la paraphrase de Mara, et le commentaire de Vatelle. Trois cas de figure sont observés par le critique : la paraphrase et le commentaire l’emportent sur la traduction ; le commentaire l’emporte sur la paraphrase et la traduction ; la traduction l’emporte sur le commentaire et la paraphrase 29. 27 28 29 Jean-Eudes Girot, « Clément Marot, traducteur de Musée », p. 131-132. Voir à ce sujet Thierry Sandre, La Touchante Aventure de Héro et Léandre, Amiens, Librairie Edgar Malfère, 1924. Jean-Eudes Girot, « Clément Marot traducteur de Musée », p. 123-124. 284 « OVIDE VEUT PARLER » Le recours à l’érudition pour l’élaboration d’une version assurant l’interprétation la plus exacte possible du texte source constitue l’une des pratiques observées dans le Premier Livre. Dès lors que le texte source n’est pas directement accessible au traducteur, il est légitime de se demander si la version proposée par Marot constitue une traduction à partir du texte de Musurus ou plutôt une reconstruction à partir des éléments présents dans l’opuscule Wechel. La question est d’autant plus légitime que Jean-Eudes Girot ne quantifie pas les pratiques qu’il observe et qu’elle se posera également pour la traduction des Psaumes. La connaissance de la technique de Marot traducteur acquise grâce à l’étude du Premier Livre constitue dans ce débat un atout de premier ordre. Le texte de Marcus Musurus présente des caractéristiques relativement proches de celles des Métamorphoses : séquences narratives réparties sur plusieurs vers, présence de discours direct, langue accessible. Il n’est par conséquent guère surprenant de voir Marot travailler sur des distiques de traduction présentant des caractères analogues à ceux qui ont pu être observés dans Le Premier Livre, par exemple dans cet extrait du discours de Leander à Hero : Marcus Musurus 30, p. 10 Marot, v. 255-260 31 1 Veneris ut sacerdos, exerce Veneus opera : Tu te dys fille à Venus consacrée, Fais doncq cela, qui à Venus aggrée. 2 Huc ades, initiare nuptialibus legibus deae : Vien vien m’amye, & d’une amour esgalle Entrons tous deux en sa loy conjugalle : 3 Virginem non decet administrare Veneri : Ce n’est pas chose aux vierges bien propice D’administrer à Venus sacrifice. Comme cela a pu être observé à de nombreuses reprises, Marot met un soin tout particulier à conserver l’ordre des mots 30 31 Museai Opusculum de Herone et Leandro, Paris, Christian Wechel, 1538. L’ouvrage n’est pas paginé. Plusieurs éditions sont disponibles sur Google Books. La pagination proposée est celle issue du document au format pdf après téléchargement du document Google Books à l’adresse http:// books.google.ch/books ?id=GihLf2ALKK4C&hl=fr le 23 juillet 2013. Marot, TII, p. 506. 285 APRÈS LE PREMIER LIVRE latins dans la version française : on peut relever en particulier les séquences « Veneris […] sacerdos »/« à Venus consacrée », « exerce Veneus »/« fais […| à Venus », « initiare nuptialibus legibus »/« entrons […] en sa loy conjugalle », « Virginem […] decet »/« aux vierges bien propice », « administrare Veneri »/ « administrer à Venus ». Les ajouts qui peuvent être observés relèvent du processus d’explicitation auquel Marot a souvent recours dans le Premier Livre : dans la séquence 2, les deux ajouts « d’une amour esgalle » et « tous deux » relèvent de la tautologie, tant il est vrai que l’essence des noces consiste à rapprocher deux êtres ; dans la même séquence, l’ajout « m’amye » relève de la logique du récit, puisque Léandre s’adresse à Héro. Pour le même passage, la comparaison avec la paraphrase de Mara laisse peu de doutes sur la prééminence de la version de Musurus : Mara 32, p. 42-43 Marot, v. 255-260 33 1 Debet amoris opus Veneris tractare Tu te dys fille à Venus consacrée, [sacerdos Fais doncq cela, qui à Venus aggrée. 2 Huc agè concelebra Cytherea mystica mecum Vien vien m’amye, & d’une amour esgalle Sacra, maritales liceat concludere leges. Entrons tous deux en sa loy conjugalle : 3 Haud decet innuptam nuptae servir Dionae, Ce n’est pas chose aux vierges bien propice D’administrer à Venus sacrifice. Dans la séquence 1, la paraphrase de Mara mérite pleinement son nom : alors que la parataxe de la version de Musurus établit de façon implicite le rapport de cause à effet entre la condition de prétresse de Vénus et le service à rendre à Vénus (l’union amoureuse), la paraphrase explicite le rapport avec le verbe « debet ». Dans les séquences 2 et 3, Mara fait apparaître Vénus 32 33 Musaei vetustissimi poetae Opusculum de amoribus Leandri et Herûs Guilielmo de Mara paraphraste ; eruditis Ioannis Vatelli Coeniliensis commentarijs enarratum, Paris, Christian Wechel, 1538. La pagination proposée est celle issue du document au format pdf après téléchargement du document Google Books le 23 juillet 2013 à l’adresse http://books.google.ch/books?id=dJF0HvC_ K9oC&hl=fr. Marot, TII, p. 506. 286 « OVIDE VEUT PARLER » sous d’autres noms. (« Cytherea », « Dionae »), alors que Musurus s’en tient à Vénus. Marot choisit très nettement de suivre Musurus, parfaitement fidèle en cela à la déontologie qu’il défend à travers tout le Premier Livre. Des observations analogues peuvent être faites dans le reste du texte. S’il est incontestable que Marot a consulté l’ensemble du corpus Wechel, et que, comme dans le Premier Livre, il s’appuie à l’occasion sur certains éléments d’érudition, il semble raisonnable de voir dans L’Histoire de Leander et Hero, une traduction basée sur le texte de Marcus Musurus. Plusieurs séquences donnent cependant l’impression que le distique ne constitue plus un point d’appui tout à fait aussi nécessaire que pour la traduction d’Ovide. On trouve ainsi des distiques dans lesquels des vers entiers semblent ajoutés, d’autres constitués par la disparition pure et simple d’un vers latin. C’est le cas dans les deux séquences qui suivent, la première, extraite d’une réplique de Héro à Léandre, la seconde, du portrait de Héro : Marcus Musurus 34, p. 10 Marot, v. 225-226 35 Alia ito via, meamque dimitte vestem Croyez qu’ici fort mal vous addressez Allez ailleurs, & ma robbe laissez, et Marcus Musurus 36, p. 10 Marot, v. 251-252 37 Beatus qui te plantavit, & beata quae Bienheureux est celuy qui te planta, [peperit mater, Et pleine d’heur, celle qui t’enfanta : Venter, qui te enixus est, felicissimus : PAS DE TRADUCTION Les vers de Musée dans la version de Musurus ne présentent sans doute pas la densité de ceux d’Ovide. Dans la première séquence, Marot semble déroger à la pratique de l’ajout « motivé » pour se laisser aller à une cheville occupant tout le premier vers ; dans la deuxième séquence, il a pu juger que l’image du ventre n’ajoutait pas grand-chose à celles de l’union 34 35 36 37 Museai Opusculum de Herone et Leandro. Marot, TII, p. 506. Museai Opusculum de Herone et Leandro. Marot, TII, p. 506. 287 APRÈS LE PREMIER LIVRE charnelle et de la parturition présentes dans le vers précédent. Jean-Eudes Girot a noté 38 des libertés analogues prises en d’autres occasions : Alors qu’il faut en moyenne près de deux décasyllabes pour un hexamètre, le passage de la tempête est presque rendu vers pour vers, ce qui a pour conséquence d’accélérer le rythme de la narration du poème de Marot par rapport à l’original. De même rend-il vers pour vers certaines sentences pour en faire des véritables maximes. Léandre trouve de bon augure les reproches d’Hero. Car lors que femme à ung amant conteste Son contester signe d’amour atteste 39. Les remarques de Jean-Eude Girot confirment les observations faites à propos de l’invention poétique dans le Premier Livre : Marot s’autorise à changer de technique dès lors qu’il s’agit de donner une version littérairement plus aboutie. Pour autant, l’observation du Premier Livre révèle également qu’il s’agit d’une pratique minoritaire dans la technique de Marot traducteur. La liberté de Marot vis-à-vis de la pratique du distique de traduction apparaît de façon particulièrement nette pour un vers central, tant par sa forme que par son origine ovidienne : Marcus Musurus 40, p. 14 Marot, v. 457-460 41 Splendentemque festinabat semper adversus Tirant tousjours vers la clere lanterne : [lucernam Et tellement en la mer se gouverne Ipse remex, ipse classis, ipse sibi navis. Que luy tout seul navigant vers sa Dame Estoit la nef, son passeur, & sa rame. Le passage semble constituer une séquence dans laquelle quatre vers français sont nécessaires pour rendre deux vers latins. A bien y regarder, cependant, on voit que le premier vers de la partie latine est contenu tout entier dans le premier vers de la 38 39 40 41 Jean-Eudes Girot, « Clément Marot traducteur de Musée », p. 126. Il n’est pas inutile de contraster ici la traduction et la paraphrase. Musurus (p. 10) écrit : Etenim cum iuvenibus minantur foemine / Venerearum consuctudinum per se nuncie sunt mine. Mara (p. 42) donne : Foemina namque viro iuveni si quando minatur, / Nuncia sunt veneris, terrentia verba, minaeque. L’équilibre de la version de Marot doit manifestement plus à la traduction aldine qu’à la paraphrase parisienne. Museai Opusculum de Herone et Leandro. Marot, TII, p. 512. 288 « OVIDE VEUT PARLER » partie française, alors que le deuxième vers latin, et l’intense image poétique qu’il porte, tient presque (le sujet est rejeté dans le vers précédent) dans le quatrième vers de la partie française. Marot rompt avec sa technique habituelle, qui aurait consisté à répartir la matière sur deux vers, mais il maintient la formule de Musurus. L’exercice de style marotique est d’autant plus important que le vers signe la relation entre Ovide et Musée. On trouve en effet chez le poète latin, la formule « Idem navigium, navita, vector, ero 42 » que Musée a reprise sous la forme : « αὐτὸς ἐὼν ἐρέτης » 43. La paraphrase de Mara dans le volume de Wechel retient elle aussi la formule : « Ipse fui remex, navisque, ac portitor idem. » La virtuosité de Marot contraste avec le commentaire relativement plat de Vatelle : Remex ] q pro remis, utebatur manibus. Navisq ; ac portitor idem] Quod itidem graece, ἀυτὸς ἐὼν ἐρέτης, ἀυτόσολος, ἀυτόματος.i. ipse existens remex, ipse portitor sui, seu classis, ipse navis 44. Contrairement à Regius qui renvoie aussi souvent que possible aux auteurs et qui n’hésite pas à décrire la dimension allégorique d’une image, Vatelle se contente d’indiquer le lien avec l’original de Musée sur la base de la paraphrase de Mara, sans aucune allusion à Ovide. La maîtrise affichée par Marot dans la traduction de l’ouverture du poème permet d’imaginer le plaisir que le poète a pu prendre au dialogue entre la version de Musurus qui lui sert de texte source, et les lectures que reflète le métatexte issu de la paraphrase et du commentaire 45 : 42 43 44 45 Thierry Sandre, La Touchante Aventure de Héro et Léandre, p. 133. Formule que Thierry Sandre traduit par « il était à la fois son rameur et sa barque ». Thierry Sandre, La Touchante Aventure de Héro et Léandre, p. 80. Musaei vetustissimi poetae Opusculum de amoribus Leandri et Herûs Guilielmo de Mara paraphraste ; eruditis Ioannis Vatelli Coeniliensis commentarijs enarratum, p. 71. Jean-Eudes Girot donne de ce dialogue une description tout à fait suggestive. Jean-Eude Girot, « Marot traducteur de Musée », p. 124-125. 289 APRÈS LE PREMIER LIVRE Marcus Musurus 46, p. 6 1 Dic Dea occultorum testem lucernam [amorum 2 Et nocturum natatorem per mare vectarum [nuptiarum 3 Et coitum tenebrosum, quem non vidit [immortalis aurora 4 Et Sestum & Abydum, Marot, v. 1-30 47 Muse, dy moy le flambeau, qu’on feit luyre, Pour les Amours secretes mieulx conduyre : Dy moy l’Amant, qui nouant en la mer, Allait de nuict les nopces consommer : Et le nocturne embrassement receu, Qui d’Aurora ne fut oncq apperceu, Ne descouvert. Declaire moy au reste Les murs d’Abide, & la grand’ tour de Seste : 5 ubi nuptiae nocturne Herus, Là où Hero par Amour tant osa, Que Leander de nuict elle espousa 6 Natantemque Leandrum simul & lucernam [audio 7 Lucernam annunciantem nuncium Veneris Herus nocte nubeneis nuptias ornantem [nuntia. 8 Lucerna amoris simulacru, qua debuit [aetherius Juppiter Nocturnum post officium ducere ad [confortium astroru, 9 Ac ipsam appellasse sponsas ornantem [stellam amorum. 10 Quoniam fuit ministra amatoriarum [curarum, Nunciumque servavit insomnum nuptiarum Antequam molestus flatus flaret inimicus [ventus. 46 47 J’oy Leander desjà nouer, ce semble Et flamboyer le flambeau tout ensemble, Flambeau luysant annonçant la nouvelle De seure Amour, & qui d’Hero la belle Toute la nuict la feste decora, Quand le doulx fruict des nopces savoura. Flambeau d’Amour, le signal mys expres, Que Juppiter debvoit planter aupres Des Astres clers, pour le hault benefice D’avoir si bien de nuict faict son office, Et le nommer l’estoille bien heureuse, Favorisant toute espouse amoureuse, Car il servit Amour en ses negoces, Et si saulva cestuy là, qui aux nopces Alla, & vint, par les undes souvent, Ains que le fort, & trop malheureux vent Se fust esmeu. Museai Opusculum de Herone et Leandro. Marot, TII, p. 501. 290 11 Sed eia mihi canenti unum concine finem Lucerne extincte, & pereuntis Leandri. « OVIDE VEUT PARLER » Vien doncq ma Muse, affin De me chanter le tout jusqu’à la fin : Qu[i] telle fut, que par ung seul esclandre Elle estaignit le flambeau, & Leandre. La technique habituelle de Marot, qui joue habilement de l’économie, du maintien des Contenus Nucléaires et des rôles actantiels, d’ajouts favorisant l’explicitation, de l’observation de l’ordre des mots, se retrouve nettement dans les séquences 1, 2, 6, 9, comme dans les séquences, plus longues, mais de même proportion, 8 et 11. Aux séquences 3, 4 et 5, le poète sait augmenter la partie française, de façon à assurer la clarté du propos, tout en maintenant le rythme mesuré du récitatif : « Dy moi.. Dy moi … Declaire moy … Flambeau … Flambeau … Vien doncq ». Aux séquences 10 et 11, c’est au contraire le jeu sur les contractions qui maintient la cadence : d’abord, quatre vers français (au lieu de six) pour trois vers latins, puis finalement un seul vers français pour résumer la fin tragique de l’histoire, « elle estaignit le flambeau, & Leandre ». A la séquence 7, une transformation aussi discrète qu’essentielle invite une nouvelle voix dans le dialogue entre Marot et ses sources : Venus devenant « seure Amour », L’Histoire de Leander et Hero se voit située dans la perspective de la quête spirituelle au travers d’une formule qui rappelle celle de « Ferme Amour », que le poète partage avec Marguerite de Navarre. Pour Defaux 48, cette quête constitue la motivation de Marot pour la traduction de Musée ; plus perplexe, Girot indique quand à lui que Marot partage peut-être « une lecture chrétienne de la fable » 49, tout en rappelant 50 que certains éléments de la traduction trahissent plutôt la domination de fol amour : Hero est décrite comme une « personne insensée », « de bons sens despourveuë », « pleine de son plaisir ». Les enseignements tirés de l’étude du Premier Livre conduisent plutôt à avancer que les ajouts de Marot, de « seure Amour » au portrait de Héro évoqué par Jean-Eudes Girot, marquent une volonté de servir toute la complexité de l’original : 48 49 50 Marot, TII, p. 1195. Jean-Eudes Girot, « Marot, traducteur de Musée », p. 134. Jean-Eudes Girot, « Marot, traducteur de Musée », p. 136. APRÈS LE PREMIER LIVRE 291 pour exploiter toutes les facettes du motif d’un amour partagé et à la fois dangereux, le poète-traducteur se donne le droit de conserver au texte toute sa densité, sans chercher à imposer l’autorité d’un traducteur gloseur. Le dernier exemple majeur de traduction d’un texte source versifié est constitué par les sonnets de Pétrarque dont Gérard Defaux 51 situe la composition après le retour de Ferrare et pour lesquels Marot se montre plus que jamais traducteur et poète. Publiés dans un mince opuscule par Gilles Corrozet en 1539, les six poèmes traduits par Clément Marot ont été retenus à plus d’un titre. Ils renvoient d’abord à la question générale du pétrarquisme de Marot ; ils constituent ensuite une pièce importante dans l’enquête sur l’introduction du sonnet en France ; ils sont à l’origine enfin de la notion de forme « marotique ». Le portrait de Marot en poète pétrarquiste a été dressé pour la première fois par Claude-Albert Mayer et Dana BentleyCranch dans un article séminal paru en 1966. La conclusion de l’article vise à établir, contre la théorie de Joseph Vianey 52 qui lie la dimension pétrarquiste de l’œuvre de Marot au séjour à Ferrare, le caractère précoce de l’influence de Pétrarque : L’étude des épigrammes de Marot nous amène donc à la conclusion que le pétrarquisme, loin d’avoir été contracté pendant son séjour en Italie constitue l’une des principales inspirations de sa poésie d’amour dans sa jeunesse et avant son exil. Après son retour d’Italie, cette source est plus ou moins tarie 53. Le débat lancé autour du pétrarquisme stucture d’une certaine façon l’essentiel de la réflexion autour de l’œuvre de Marot, ainsi que le suggère Anwyl Williams : In recent criticism on Clément Marot it could be said, simplifiying somewhat, that there have been two main points of debate : (i) is Marot a medieval or a Renaissance poet ? and (ii) is Marot’s poetry good ? Given a whole series of humanist assumptions about the 51 52 53 Marot, TII, p. 1193. Joseph Vianey, Le Pétrarquisme en France au XVIe siècle, Montpellier, 1909. Claude-Albert Mayer, Dana Bentley-Cranch, « Clément Marot, poète pétrarquiste », BHR, Tome XXVIII, Tome I, 1966, p. 51. 292 « OVIDE VEUT PARLER » nature of poetry (« humanism, resplendent and still exceedingly bright after the lapse of three centuries »), the two questions are not unrelated, and the idea that Renaissance poetry marks an improvement on late medieval is still very much alive 54. Les travaux de Gérard Defaux, qui s’inscrivent dans une réévaluation générale de la période du règne de François Ier, ont révélé des enjeux bien différents. Tirer toutes les conséquences de cette évolution pour l’évaluation de l’influence de Pétrarque chez Marot impliquerait une approche dépassant très largement le cadre de la présente étude. La traduction des sonnets par Marot présente cependant certaines caractéristiques techniques qu’il est intéressant d’examiner à la lumière de la double question de l’apparition et de la définition du sonnet en France. Désigner le premier sonnet français pose un certain nombre de problèmes que résume Jacques Roubaud : Doit-on choisir le premier sonnet reconnaissable comme tel, composé et désigné comme sonnet ? Il s’agit dans ce cas selon toute vraisemblance du poème 55 de Marot que je reproduis en no 1 de ce choix. Mais ce sonnet est resté manuscrit. Si on désire un texte imprimé, on trouve, toujours de Marot, le poème composé pour « le May des Imprimeurs » de Lyon et publié en 1538 dans une édition des Œuvres ; mais ce sonnet n’est pas annoncé comme un sonnet ; il apparaît au « deuxième livre des Epigrammes ». L’année suivante, sans doute, Marot (toujours) publie, comme étant des sonnets, six traductions de Pétrarque ; mais ce sont des traductions (qu’une tradition critique ancienne, quoique peu estimable, s’obstine à exclure du champ de la poésie d’une langue). On en vient alors, si on veut, au premier sonnet français désigné, imprimé et original : le voici, il date de 1541 56. 54 55 56 Anwyl Williams., « Clément Marot and Petrarchism : critical progress ? », French Studies, Volumee XXXIX, No 1, 1985, p. 1-17. La citation entre guillemets est tirée de : Franco Simone, The French Renaissance : Medieval Tradition and Italian Influence in Shaping the Renaissance in France, trans. H. Gaston Hall, London, 1969, p. 18. Clément Marot, « Sonnet à Madame de Ferrare », Marot, TII, p. 297. Soleil du soleil, Anthologie du sonnet français de Marot à Malherbe, édition de Jacques Roubaud, Paris, Gallimard, 1990, p. 16. APRÈS LE PREMIER LIVRE 293 Jacques Roubaud cite ensuite le sonnet « Au Lecteur » placé par Nicolas de Herberay en ouverture du Second livre de Amadis de Gaule, mais il donne à son ouvrage le sous-titre Anthologie du sonnet français de Marot à Malherbe, non sans avoir indiqué que les dates des sonnets de Mellin de Saint-Gelais sont trop imprécises pour désigner ce dernier comme l’auteur du « premier sonnet français ». La théorie de la versification semble quant à elle avoir fait son choix en appelant « marotique » la forme du sonnet caractérisée par des rimes organisées selon le schéma : ABBA ABBA CCD EED. Ce schéma, utilisé par Marot uniquement pour ses traductions, se distingue également de ceux appliqués par Herberay ou dans les trois premiers poèmes de Saint-Gelais 57 que Jacques Roubaud situe entre 1540 ou 1546. Le fait que l’adjectif « italien » soit parfois utilisé à la place de l’adjectif « marotique », bien que l’Italie ne connût pas la forme ABBA ABBA CCD EED, constitue une autre façon de confirmer l’influence décisive des traductions de Pétrarque. La théorie de la versification semble considérer que l’opuscule publié par Corrozet joue un rôle central dans la définition du sonnet en France. Revenir au texte des sonnets traduits permet d’observer la naissance de la forme marotique au moment même où elle se constitue. Les enseignements tirés de l’analyse du Premier Livre se révèlent alors décisifs pour sonder les négociations de Marot avec l’original italien. A priori, l’entreprise des Six Sonnets semble plus modeste que celle du Premier Livre : le traducteur choisit un nombre limité de pièces ; le volume du texte source retenu compte moins d’une centaine de vers ; les textes relèvent d’une culture moderne considérée par Pétrarque lui-même comme plus élémentaire que la grande culture antique ; la langue source, encore jeune, ne présente pas les mêmes subtilités que le latin d’Ovide. Dans certains vers, il semble que le simple mot à mot soit suffisant pour donner une version française satisfaisante : 57 Soleil du soleil, p. 24. 294 Chi vuol veder quantunque pò Natura 58 Da’ piú belli occhi, et dal piú chiaro viso 60 Sol un conforto a le mie pene aspetto 62 « OVIDE VEUT PARLER » Qui vouldra veoir tout ce que peult [Nature 59. Des plus beaux yeulx, & du plus clair [visage 61 Ung seul confort attendant à mon dueil 63 Le double maintien de l’ordre des mots et des Contenus Nucléaires semble pouvoir être appliqué de façon rigoureuse, tout en respectant la proportion obligée d’un vers français pour un vers italien. L’observation de la clôture formelle et de la clôture informationnelle permet cependant de mettre clairement en évidence un passage pour lequel Marot choisit de recomposer passablement le texte source. La séquence rappelle alors plus nettement les aménagements appliqués dans le Premier Livre : CCCXLVI, v. 1-4 64 Sonnet V, v. 1-4 65 Li angeli electi e l’anime beate cittadine del cielo, il primo giorno che madonna passò, le fur intorno piene di meraviglia et di pietate. Le premier jour que trespassa la belle, Les purs espritz, les anges precieux, Sainctes et sainctz, citoiens des haultz cieux, Tous esbahis vindrent à l’entour d’elle. L’ordre des mots, tout spécialement pour les deux premiers vers se voit bouleversé ; un ajout « sainctes et sainctz » et une suppression « tous esbahis » pour « piene di meraviglio e di pietate » rompent avec les maintiens systématiques observés le plus souvent dans les autres vers. Une complexité propre à la traduction du sonnet doit être envisagée, qui a pu conduire Marot à accepter une version moins respectueuse des contraintes observées ailleurs. Le texte source ne présentant pas la complexité des passages les plus ardus du Premier Livre, la question se pose de l’origine de la difficulté rencontrée par le traducteur. Deux vers extrait d’un autre sonnet mettent sur la piste des exigences propres du sonnet : 58 59 60 61 62 63 64 65 CCXLVIII, v. 1. Francesco Petrarca, Canzoniere, éd Roberto Antonelli, Gianfranco Contini, Daniele Ponchiroli, Torino, Einaudi, 1964, p. 312. Sonnet III, v. 1, Marot, TII, p. 495. CCCXLVIII, v. 1. Francesco Petrarca, Canzoniere, p. 431. Sonnet VI, v. 1, Marot, TII, p. 497. CCCXLVIII, v. 12. Francesco Petrarca, Canzoniere, p. 431. Sonnet VI, v. 12, Marot, TII, p. 497. Francesco Petrarca, Canzoniere, p. 429. Marot, TII, p. 496. 295 APRÈS LE PREMIER LIVRE CCCXLVIII, v. 2-3 66 Sonnet VI, v. 2-3 67 che mai splendesse, e da’ piú bei capelli, che facean l’oro e ’l sol parer men belli, Qui oncques fut, & des beaux cheveulx longs, Qui faisoient l’or et le soleil moins blondz Le choix de l’adjectif « blondz », si adroit qu’il semble dépasser l’habileté du texte source, signale un passage dans lequel le traducteur se voit obligé de sortir par le haut d’une situation délicate. Alors que Pétrarque joue sur l’opposition « bei »/ « belli » pour exprimer la rivalité entre la beauté de Laure et celles du soleil et de l’or, Marot maintient l’adjectif « beaux » dans le premier vers, mais il renonce au parallélisme logique et lui substitue un adjectif de couleur fortement motivé : la perception visuelle est chargée de remplacer la construction conceptuelle. L’étude du Premier Livre a montré que l’invention poétique vient généralement au secours du traducteur lorsque les contraintes deviennent particulièrement pesantes : ce fut sans doute le cas pour le choix de « blondz » qui, placé à la rime du troisième vers du sonnet, conditionne les rimes des vers 2, 5 et 6. Contrairement au relativement confortable distique de traduction auquel Marot a le plus souvent recours pour traduire le latin, la difficulté propre de la traduction des sonnets réside dans le conditionnement réciproque des rimes dans les deux quatrains. L’observation du sonnet CLXI révèle les exigences de cette mécanique : Sonnet CLXI 68 Sonnet II 69 O passi sparsi, o pensier’ vaghi et pronti, o tenace memoria, o fero ardore, o possente desire, debil core, oi occhi miei, occhi on già, ma fonti ! O O O O O fronde, onor de le famose fronti, o sola insegna al gemino valore ! O factiosa vita, o dolce errore, che mi fate ir cercando piagge et monti ! O branche, honneur des vainqueurs capitaines, O seulle enseigne aux poetes duisante, O doulce erreur, qui soubz vie cuisante Me faict aller cherchant & montz & plaine, 66 67 68 69 Francesco Petrarca, Canzoniere, p. 431. Marot, TII, p. 497. Francesco Petrarca, Canzoniere, p. 217. Marot, TII, p. 495. pas espars, O pensées soubdaines aspre ardeur, O memoire tenante, cueur debille, O volunté puissante, vous mes yeulx, non plus yeulx mais [fontaines 296 « OVIDE VEUT PARLER » O bel viso, ove Amore inseme pose gli sproni e ’l fren, ond’el mi punge e volve, come a lui piace, e calcitrar non vale ! O beau visage où amour met la bride Et l’esperon, dont il me poinct & guide Comme il luy plaist, et deffense y est vaine, O animi gentili et amorose, O gentilz cueurs & âmes amoureuses s’alcuna à ’l mondo, e voi nude ombre e polve, S’il en fut oncq, et vous umbres paoureuses, deh ristate a veder quale è ’l mio male. Arrestez-vous, pour veoir quelle est ma peine. Construit presqu’intégralement sur la parataxe, le texte source présente relativement peu de contraintes syntaxiques dans les deux premiers quatrains. En ce qui concerne le choix des rimes, le contraste est particulièrement frappant entre les rimes en /-ante/ et les rimes en /-aine/. En ce qui concerne les premières, Marot semble contourner la difficulté en se contentant de sélectionner des adjectifs plus ou moins précisément reliés à l’original italien. En ce qui concerne les secondes, la situation présente plus d’exigences : au centre de celles-ci, la nécessité de rendre, au quatrième vers, l’image des yeux qui deviennent fontaine. Pour maintenir le mot « fontaine » à la rime du quatrième vers, Marot doit trouver trois autres rimes en /– aine/ pour rendre des éléments du texte source. Au vers 8, « plaine » s’impose facilement pour « piagge » ; au vers 1, « soubdaines » rend adroitement « pronti » ; au vers 5, Marot laisse à nouveau parler son invention poétique et, avec l’image des « vainqueurs capitaines » trouve un cas particulier donnant de façon métonymique une sorte de visage au générique « famose fronti ». La difficulté propre à la traduction apparaît avant tout dans les conditionnements réciproques des rimes, des éléments lexicaux et des positions dans le vers. Cette difficulté est à prendre en compte pour analyser le schéma de rimes que retient Marot pour le sizain. Revenir à ce qui a sans doute constitué le tout premier sonnet rédigé par Marot permet de saisir la spécifité du schéma retenu pour la traduction de Pétrarque : Sonnet à Mme de Ferrare Me souvenant de tes bontez divines Suis en douleur, princesse, à ton absence ; Et si languy quant suis en ta presence, Voyant ce lys au milieu des espines. O la doulceur des doulceurs feminines APRÈS LE PREMIER LIVRE 297 O cueur sans fiel, o race d’excellence, O traictement remply de violance, Qui s’endurçist pres des choses benignes Si sera tu de la main soustenue De l’eternel, comme sa cher tenue ; Et tes nuysans auront honte et reproche. Courage, dame, en l’air je voy la nue Qui ça et là s’ecarte et diminue, Pour faire place au beau temps qui s’approche 70 Les rimes s’organisent autour d’un schéma 71 ABBA ABBA CCD CCD qui présente des ressemblances marquées avec celui qui est appliqué dans les sonnets : le sizain s’ouvre sur des rimes suivies ; les quatres derniers vers forment des rimes embrassées. Il existe cependant une différence importante : dans le « Sonnet à Mme de Ferrare », les six derniers vers ne contiennent que les deux rimes /-nue/ et /–roche/, alors que les sonnets traduits de Pétrarque, à l’image de leur modèle italien, font apparaître trois rimes dans le sizain. Comparée à la forme du « Sonnet à Madame de Ferrare », la forme dite marotique apparaît liée à la traduction par une caractéristique techniques intrinsèque : les deux distiques formés par les rimes suivies permettent au traducteur de recourir à une structure dont il a expérimenté la souplesse dans la traduction d’Ovide. Le respect strict du schéma utilisé par Pétrarque (CDE-CDE) risquerait au contraire de placer le traducteur face aux difficultés constatées dans les quatrains, en raison de la nécessité de concilier rimes distantes (toutes le sont dans le 70 71 Marot, TII, p. 297 Ce schéma est utilisé par Marot également dans le « Sonnet de la difference du Roy et de l’empereur » (contenu dans le manuscrit de Chantilly et resté inédit jusqu’au XIXe siècle). Dans le sonnet « Pour le May Planté par les Imprimeurs de Lyon devant le Logis du Seigneur Trivule » publié pour la première fois dans l’édition Dolet en 1538, Marot utilise le schéma utilisé pour la traduction des sonnets de Pétrarque. Mellin de Saint-Gelais recourt quant à lui deux fois à des schémas présentant seulement deux rimes pour le sizain, dans le sonnet « A une dame » de 1543, dans l’ « Advertissement sur les jugements d’Astrologie à une studieuse damoyselle » de 1546, et dans les deux sonnets parus en 1555, « D’un présent de roses » et « Il n’est point tant de barques à Venise ». Toutes ces pièces sont reproduites dans Soleil du Soleil, Anthologie du sonnet français de Marot à Malherbe, édition Jacques Roubaud, Paris, Gallimard, 1990. 298 « OVIDE VEUT PARLER » texte source) et respect de l’ordre des mots dans le texte traduit. La forme marotique dont l’importance dépasse la question de la traduction semble ainsi issue d’un type de négociation analogue à ceux qui ont pu être observés dans le Premier Livre. Fluidité et clarté ne devaient pas manquer au rendez-vous particulier que représente la traduction d’Erasme. Si l’entreprise du Premier Livre implique une forme de distanciation avec l’essence de la tradition humaniste, les trois Colloques relèvent de l’alliance objective entre inspiration évangélique et humanisme, abondamment décrite par les travaux de Gérard Defaux : […] Erasme, et Marot derrière Erasme, développent l’attaque la plus dévastatrice qui se puisse imaginer non seulement contre l’ignorance crasse, la paillardise éhontée, la gloutonnerie et la rapacité des gens d’Eglise, mais aussi et surtout contre un type de « religion » qui n’a de religion que le nom et qui est le fruit d’une loi et de règles toutes humaines : « religion nouvelle », qui asservit le chrétien au lieu de le libérer, qui le soumet à des pratiques contraires à la nature et à l’évangile, qui le contraint à un genre de vie abêtissant et retire toute dimension spirituelle à son existence. C’est ici l’essence même de l’évangile qui s’exprime, sous les dehors apparemment anodins et légers d’un dialogue de comédie 72. Marot trouve en Erasme un frère en convictions, mais il doit inventer la formule susceptible de rendre le charme particulier des Colloques, tout entier de rythme, d’esprit et de simplicité. Pour les trois textes d’Erasme qu’il traduit 73, Abbatis et Eruditae 74, Virgo μισόγαμος 75 et Virgo poenitens 76, Marot recourt à l’octosyl72 73 74 75 76 Marot, TII, p. 1200. Les deux premiers colloques paraissent en 1548 dans un opuscule intitulé Colloque d’Erasme traduict de Latin en François, traduigt de latin en Francois par Clement Marot intitule Abbatis et Eruditae […] Colloque d’Erasme, traduigt de latin en francois par Clement Marot intitule virgo . Les dates de composition ne sont pas définies avec précision : Defaux suppose une date entre 1537 et 1541, sans exclure une composition pendant la période 1528-1534 (Marot, TII, p. 1198). Le troisième est publié pour la première fois en 1856 par P. Lacour. Voir Marot, TII, p. 1198. Erasme, Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, vol. I, tome 3, éd. L.E. Halkin, F. Bierlaire, R. Hoven, Amsterdam, North-Holland Publishing Company, 1972, p. 403-408. Erasme, Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, p. 298-297. Erasme, Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, p. 298-300. 299 APRÈS LE PREMIER LIVRE labe en rimes suivies. Comme l’original latin est en prose, la question des unités de travail du traducteur se pose de façon fort différente que dans le Premier Livre. Le traitement des tours de parole permet d’observer la dimension ludique que Marot donne à sa version. La relation rime/tour de parole peut s’organiser a priori selon deux structures : – rimes closes : AA CTDP 77 BB – rimes encadrantes : A CTDP A Dès lors qu’est envisagée la possibilité d’un rejet (x), deux autres structures peuvent apparaître : – rimes closes avec rejet : AA+x CTDP (-x)+BB – rimes encadrantes avec rejet : A+x CTDP (-x)+A Dans les Colloques, il est possible de trouver toutes les formes représentées : 1. rimes closes : AA CTDP BB Virgo μισόγαμος 78, p. 292 79 La vierge mesprisant mariage, v. 229-236, (Marot, TII, p. 537) Ca : Licet, at non perinde tuto. Catherine : Eu : Imo, ut ego arbitror, ali- Clement : quanto tutius, quamd apud illos crassos, semper cibo, distentos monachos. 77 78 79 Il est ainsi Mais non trop seurement aussi. Dictes vous ? mais le plus souvent Plus a seurté qu’en un couvent Parmy ces diables de porceaux De moines, remplis de morceaux. CTDP pour « Changement de Tour De Parole ». Les interlocuteurs sont Catarina et Eubulus. Erasme, Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami. Tous les extraits sont cités à partir de cette édition. Pour ne pas alourdir l’appareil bibliographique, seul le numéro de page est indiqué à côté du titre du colloque dans le corps du texte. 300 « OVIDE VEUT PARLER » 2. rimes encadrantes : A CTDP A Abbatis et Eruditae 80, p. 403 L’abbé et la femme savante, v. 15–21, (Marot, TII, p. 518) Ma : An soli Gallice scripti libri Ysabeau : docent sapientiam ? [..| Mais dictes moy en conscience ; N’apprend on sagesse ou science Qu’en livres françois seulement ? An : Sed decet hoc heroinas, ut L’Abbé : habeant quo delectent ocium. Cela n’appartient nullement Qu’à princesses de hault affaire, Quand elles en sçavent que faire Pour recreer un peu leurs armes. 3. rimes closes avec rejet : AA+x CTDP (-x)+BB Abbatis et Eruditae, p. 403 L’abbé et la femme savante, v. 9-13 (Marot, TII, p. 518) Ma : Tu tantus natu, tum abbas Ysabeau : et aulicus, nunquam vidisti libros in aedibus heroinarum ? [..| Et dea, vous qui estes si vieux Abbé nourry en seigneurie, Veistes vous jamais librairie Chés les grands dames ? An : Si ay si, Tout en beau François : mais ceux cy Ce sont livres Latins, & Grecz. Vidi, sed Gallice scriptos : L’Abbé : hic video Graecos et Latinos. 4. rimes encadrantes avec rejet : A+x CTDP (-x)+A Virgo poenitens 81 , p. 298 La vierge repentie, v. 18-25 (Marot, TII, p. 551) Eu : Quas aues heic video ? Clement : Ca : Est illius collegii patriarcha. L’Abbé : Ne subducito te, iam perpotarunt, accumbe paulisper, Quel oiseau de mauvais presaige Voy je là, qui jaze en crieur De vieulx drappeaux ? C’est le prieur De ce couvent que vous savez ; Je vous prie, si haste n’avez, Ne bougez & m’en vueillez croyre Ilz s’en vont achever de boyre. Seez vous un peu ici pres. Les changements de tours de parole sont des contextes particulièrement importants, puisqu’ils constituent des marques de 80 81 Les interlocuteurs sont Magdalia et Antronius. Les interlocuteurs sont Catarina et Eubulus. APRÈS LE PREMIER LIVRE 301 clôture issues directement du texte d’Erasme. Il est particulièrement intéressant de noter que Marot n’a que très rarement recours à la structure en rimes closes (AA CTDP BB). On note par ailleurs la structure quelque peu singulière de l’occurrence présentée ci-dessus, puisque le premier vers de la rime en /–si/ est lui-même incomplet. Marot choisit donc très majoritairement les modes de transition les plus contraints, puisque dans toutes les structures qu’il retient le premier vers du tour de parole reçoit de ce qui le précède une contrainte rimique (dans les rimes encadrantes) ou métrique (dans les rimes closes avec rejet et les rimes encadrantes avec rejet). Le jeu sur la contrainte rimique dans les rimes encadrantes ressemble par ailleurs beaucoup au dispositif utilisé par Marot, fort vraisemblablement avant la traduction des Colloques, pour ses Coq à l’asne dans lesquels le passage d’une séquence à l’autre, qui peut représenter un changement de tour de parole 82, intervient systématiquement entre deux rimes suivies. Le procédé relève également des conventions de l’écriture théâtrale médiévale. A bien des égards, le traitement des tours de parole indique une technique dont la stratégie se distingue de celle du Premier Livre : alors que pour Ovide, Marot articule son travail autour de la forme du distique, en vue de conserver une marge de manœuvre maximale de séquence en séquence, il choisit de traiter délibérément les tours de parole des Colloques avec des formes qui augmentent l’interpédendance entre les différentes composantes de la version française. Ce choix qui, du côté technique complique la tâche du traducteur, aboutit à un rythme qui exprime également toute sa maîtrise à rendre la vie de l’original, en particulier dans les passages où les tours de parole alternent à un rythme rapide, comme à l’ouverture du colloque Virgo μισόγαμος : Clement 82 Bien aise suis de voir la fin Du soupper (Catherine), à fin D’aller se pourmener ensemble : Car, veu la saison, il me semble Qu’il n’est chose plus delectable. David Claivaz, Ce que j’ay oublié d’y mettre, Editions universitaires Fribourg Suisse, p. 78-81. 302 « OVIDE VEUT PARLER » Catherine Je vieillissois aussi à table : Et si m’ennuyois d’estre assise. Clement Qu’il faict beau temps, quand je m’advise : Voyez, voyez, tout à la ronde, Comment le monde rit à la ronde, Comment le monde rit au monde, Aussi est il en sa jeunesse. Catherine Vous dictes vray. Clement Et pour quoy est ce Que vostre printemps, çà & là, Ne rit aussi ? Catherine Pourquoy cela ? Clement Pource que vous n’estes pas bien gaye, A mon gré. Catherine Paroist-il que j’aye Aussi visage que le mien Accoustumé ? Clement Voulez vous bien, Sans que vostre œil soit esblouy, Que je vous monstre à vous ? Catherine Ouy. Clement Voyez vous bien là ceste rose, Qui s’est tout retraicte & close Vers le soir ? Catherine Je la voy. Et puis : Vous voulez dire que je suis Ainsi decheue ? Clement 83 Toute telle. Catherine La comparaison est plus belle Que propre. Clement Si ne m’en croyez, Mirez vous bien, & vous voyez En ce ruisseau : mais dictes moy Pourquoy avec si grand esmoy Durant le souper souspiriez ? 83 v. 1-31, Marot, TII, p. 530-531. 303 APRÈS LE PREMIER LIVRE En raison de la construction en rejets et en rimes encadrantes, chaque prise de parole semble reliée à ce qui précède : un lien subtil et vivant court sous les échanges et plonge le dialogue dans une atmosphère de complicité. Il en va de même lorsque les interlocuteurs s’opposent dans le colloque Abbatis et Eruditae. Le dispositif choisi pour les échanges de tours de parole reflète la légèreté qu’Erasme lui-même souhaite conserver aux Colloquia. Du point de vue de la technique de la traduction, le traitement des tours de parole permet de supposer que le passage de la prose à l’octosyllabe ne pose pas de grande difficulté à Marot, et que les contraintes de l’exercice sont fort différentes de celle du Premier Livre. La liberté que lui donne le recours à l’octosyllabe ne rend pas Marot fondamentalement moins sensible aux caractéristiques de l’original. Par exemple, lorsque le propos d’Erasme se fait plus nettement polémique, la version de Marot serre de près le rythme de l’original latin : Virgo μισόγαμος, p. 296 La vierge mesprisant mariage, v. 584-604 84 Eu : 1 Quae est igitur ista noua religio, Clement 84 Je suis fort envieux De sçavoir donc comment s’appelle Ceste religion nouvelle 2 quae facit irritum, Qui rend ainsi de nul effect 3 quod et naturae lex fanxit Ce que loy de nature a faict 4 et vetus lex docuit, Ce qu’enseigne la loy antique 5 et Evangelica lex comprobauit Et ce qu’apprend l’evangelique 6 et Apostolica doctrina confirmauit ? Et l’apostolique conferme […] […] 7 Atqui istud dogma nec naturae sensus approbat, nec veterum leges, nec Moyses ipse, nec Evangelica, aut Apostolica doctrina. Raison humaine toutefois, Ne les loix les plus anciennes Ne Moise dedans les siennes, Ne l’evangile, ne canon. Marot, TII, p. 548. 304 « OVIDE VEUT PARLER » Les nombreuses constructions anaphoriques de l’original latin sont sytématiquement rendues par Marot dans la version française : à chaque fois, les informations contenues dans la partie latine trouvent leur place sans difficulté dans les octosyllabes de la version française. Quand le texte source n’impose pas la mécanique du vers, la technique de Marot explore des structures inédites dans lesquelles le jeu des négociations semble renouvelé. Dans les nombreux écarts légers qu’il note entre l’original et la traduction, Jean Céard identifie cependant une dynamique analogue à celle du Premier Livre : « traducteur, Marot adapte habilement le texte à un public français et censé n’être pas tenu de saisir des allusions trop enveloppées ou trop savantes. » 85 L’intention demeure la même, mais la technique, moins régulière et plus indépendante du texte source, révèle une maîtrise différente de l’exercice. Si la traduction d’Erasme témoigne d’une sensibilité aux idées évangéliques, la traduction des psaumes engage toute la personne de Marot. Gérard Defaux décrit une part grandissante du silence requis pour le travail sur les psaumes à partir de l’année 1541 : Tout se passe en fait comme si Marot n’avait plus d’autre existence que celle que lui procurent les rééditions de ses ouvrages qui paraissent à Paris et à Lyon, à un rythme de plus en plus soutenu. Sa popularité est plus grande que jamais, et l’éclipse est d’autant plus symbolique. Elle dit bien cet effacement du moi et de son discours, ce désir, à travers les traductions d’Ovide, de Museus ou d’Erasme, de faire parler quelqu’un d’autre, de n’être tout au plus qu’un porte-parole, un instrument, ce silence, – et ici je pense aux Psaumes – du « rien » face au « Tout », ce silence du poète qui, parvenu au bout de sa quête, a enfin trouvé ce qu’il cherchait 86. Rendre compte de la signification des Psaumes dans l’œuvre de Marot exige une étude dépassant largement le cadre de l’observation de la technique de la traduction, notamment parce que le texte lui-même présente une dimension largement supérieur à celle d’une simple traduction. La traduction de Marot est à l’origine du Psautier huguenot, monument culturel dont la 85 86 Jean Céard, « Marot traducteur d’Erasme », Actes Cahors, p. 117. Marot, TI, p. CLVII. APRÈS LE PREMIER LIVRE 305 dimension historique s’étend de la politique éditoriale de Calvin aux bûchers des guerres de religion. L’étude complète de la poétique des Psaumes implique la prise en compte de la dimension musicale du genre. Surtout, la description des sources sur lesquelles s’appuie le travail de Marot oblige à pénétrer l’épaisse forêt des premières versions de la Bible en français, de Lefèvre d’Etaples à Olivétan. La plupart de ces questions est traitée par Catherine Reuben dans une importante monographie 87. Au point de vue de la technique de la traduction qui constitue la perspective de la présente étude, les Psaumes présentent un contexte relativement proche de celui de L’Histoire de Leander et Hero conduisant à interroger la nature profonde de l’exercice entre traduction et reconstitution. On rencontre dans le chapitre que Catherine Reuben consacre à la question des sources la galerie de tous les portraits des lettrés préoccupés de questions bibliques au début du XVIe siècle : Guillaume Briçonnet, Jacques Lefèvre d’Etaples, Conrad Pellican, Martin Bucer, Vatable, Olivétan, Campensis. La notion de sources est cependant à distinguer de celle de texte source. Catherine Reuben souligne à juste titre le caractère particulier de l’original hébreux : « la langue hébraïque est très concise par comparaison avec les versions en latin et français. » 88 Elle pose, à titre d’hypothèse personnelle, que Marot pouvait connaître l’alphabet hébraïque, reconnaître les mots qui reviennent souvent dans le psautier (« âme », « bons », « méchants », divers noms de Dieu), et par conséquent accéder aux psaumes dans l’original. La lecture adoptée à partir de ces prémisses ne privilégie aucun texte à titre de source, mais superpose simplement la version de Marot à d’autres textes ayant pu l’inspirer : texte hébreux, Olivétan, Bucer, Quincuplex de Lefèvre d’Etaples, Compensis. La méthode adoptée par Catherine Reuben permet de repérer systématiquement, dans le texte de Marot, les emprunts et influences, mais elle n’explique pas à proprement parler la technique utilisée par Marot. Il faut imaginer une reconstruction complète à partir de 87 88 Catherine Reuben, La Traduction des Psaumes de David par Clément Marot, Paris, Champion, 2000. Catherine Reuben, La Traduction des Psaumes de David par Clément Marot, p. 76. 306 « OVIDE VEUT PARLER » fragments épars, qui tranche avec la technique observée dans toutes les autres traductions du poète. Or, on se souvient tout particulièrement que, dans le contexte relativement analogue de la traduction de Musée, Marot, privé d’un accès direct à l’original, s’appuie largement sur la version de Musurus, sans procéder à une reconstruction complète. Il semble donc légitime d’appuyer l’analyse sur un texte source identifié. Gérard Defaux se montre, à ce titre, bien plus positif que Catherine Reuben : […] pour effectuer son travail, Marot s’est appuyé sur la version latine de Jérôme connue sous le nom de Psalterium hebraicum ou iuxta Hebraeos, c’est-à-dire sur la traduction latine que Jérôme, en 393, a faite directement à partir de l’original hébreux des Psaumes 89. La remarque de Gérard Defaux identifie un texte plus plastique qu’il ne paraît : dans le Quincuplex 90 de Lefèvre d’Etaples, le Psalterium hebraicum est reproduit de façon synoptique avec le Psalterium gallicum et le Psalterium romanum du même Saint Jérôme 91 : il est toutefois à noter que le texte du Psalterium gallicum 92 est très largement identique à celui de Psalterium romanum et que le Quincuplex de Lefèvre d’Etaples signale les écarts, relativement peu nombreux, entre les deux versions. La relative plasticité du Quincuplex n’interdit pas de le considérer comme le texte source de la traduction des psaumes par Marot. L’identification d’un texte source ne limite aucunement la discussion des influences sur le modèle adopté par Catherine Reuben. Elle présente cependant l’avantage d’aborder la question de la technique du traducteur. Il semble en effet raisonnable de considérer que Marot a eu recours, pour les Psaumes, à une technique proche de celle qu’il utilise dans toutes ses autres traductions à la même époque. Un rapide examen des circonstances éditoriales indique d’ailleurs une intéressante convergence entre le début du travail sur les psaumes et le Premier Livre. 89 90 91 92 Marot, TII, p. 1217. Jacques Lefèvre d’Etaples (Jacobus Faber Stapulens), Quincuplex psalterium : gallicum, romanum, hebraicum, vetus, concilatum, Henri Estienne, 1509. Guy Bédouelle, Le Quincuplex Psalterium de Lefèvre d’Etaples : un guide de lecture, Genève, Droz, 1979. Guy Bédouelle, Le Quincuplex Psalterium de Lefèvre d’Etaples, p. 44. 307 APRÈS LE PREMIER LIVRE La chronologie de la traduction des Psaumes s’étend sur les quinze dernières années de la vie du poète. Marot travaille sur « Le Sixiesme Psaulme de David » vraisemblablement de façon parallèle à la traduction du Premier Livre, puisque les principaux éditeurs de Marot situent la composition à des dates relativement proches de celles de la traduction d’Ovide, Mayer, vers 1527 et Defaux, plutôt vers 1531. Le texte paraît d’abord en plaquette, avant d’être repris dans La Suite de l’Adolescence clementine. Un volume intitulé Les Psaumes de David est donné à Anvers chez Antoine de Gois en 1541 : il comporte trente pièces et reproduit le « Sixiesme Psaulme » paru une dizaine d’années auparavant. L’édition des Cinquante Psaumes publiée à Genève en 1543 par Jean Gérard reprend l’ensemble des textes parus à Anvers en y ajoutant vingt textes supplémentaires. Le fait que le travail de Marot débute avant (ou en même temps que) la traduction des Métamorphoses autorise à faire l’hypothèse de l’utilité des enseignements tirés du Premier Livre pour l’évaluation de l’évolution de la technique du traducteur des Psaumes. Paru une dizaine d’années avant le volume publié à Anvers, « Le Sixiesme Psaulme » peut être considéré comme une première manière du travail sur le texte de David. De nombreux éléments techniques rappellent le Premier Livre : Psalterium gallicum 93, VI, 6ro Marot, Psaume Sixiesme, verset 7 94 7. Turbatus est a furore oculus meus : Mon œil pleurant sans cesse De despit, & destresse, inveteravi inter omnes inimicos meos 95. En ung grand trouble est mys : Il est envieilly d’ire De veoir entour moy rire Mes plus grands ennemys. 93 94 95 Jacques Lefèvre d’Etaples (Jacobus Faber Stapulens), Quincuplex psalterium : gallicum, romanum, hebraicum, vetus, concilatum, Henri Estienne, 1509. Tous les extraits sont cités à partir du Psalterium gallicum. Les variantes significatives notées dans le Psalterium hebraicum ou le Psalterium romanicum sont indiquées en note. Pour ne pas alourdir l’appareil bibliographique, le numéro du psaume est indiqué en chiffres romains et le numéro de page est indiqué en chiffres arabes à côté du titre du colloque dans le corps du texte. Marot, TII, p. 573. Le Psalterium hebraicum donne : Caligauit prae amaritudine oculus meus : consumptus sum ab uniuersis hostibus meis. 308 « OVIDE VEUT PARLER » La correspondance « un verset/une strophe » structure l’ensemble de la version. Le procédé est nettement plus rigide que la tendance au distique observée pour la traduction d’Ovide, puisque les parties latine et française sont déterminées l’une par l’autre de façon fixe. La disposition des rimes qui forment le sizain AABCCB ajoute une forme de contrainte nouvelle. Le maintien des assonances /e/ et /i/ du latin « inveteravi » dans le français « envielly d’ire » témoigne d’une sensibilité du traducteur à la forme identique à celle qui a pu être observée dans le Premier Livre. On observe cependant une forte tendance à l’ajout : « sans cesse », « de despit, & destresse », « grand », « veoir entour moy rire », « plus grands ». Le procédé de la gémination (« despit, & destresse ») signe un type d’ajout déjà observé dans la traduction d’Ovide, mais « veoir entour moy rire » semble relever d’une interprétation plus large du texte biblique, interprétation que l’on trouve également dans la première strophe : Psalterium gallicum, VI, 6ro Marot, Psaume Sixiesme, verset 1 96 1. Domine, ne in furore tuo arguas me : Je te supplie, Ô Sire, neque in ira tua corripias me 97. Ne reprendre en ton ire Moy, qui t’ay irrité : N’en ta fureur terrible Me punir de l’orrible Tourment, qu’ay merité. La double expression de la culpabilité induite par les ajouts « Moy, qui t’ay irrité » et « de l’orrible Tourment, qu’ay merité » ne cadre pas avec l’argument donné en préambule, qui renvoie plutôt à la maladie de l’auteur : David malade à l’extrêmité, a horreur de la mort, desire avant que mourir, glorifier encores le nom de Dieu : puis tout acoup se resjouyt de sa convalescence, & de la honte de ceulx qui s’attendent à sa mort. Pseaulme propre pour les malades 98. Induire une relation de cause à effet entre la maladie et la faute ne constitue a priori pas une interprétation particulièrement 96 97 98 Version de La Suite. Marot, TI, p. 392. Le Psalterium romanicum donne : Domine in ira tua arguas me : neque in furore tuo corripias me. Marot, TII, p. 572. APRÈS LE PREMIER LIVRE 309 audacieuse au regard du principe général des psaumes qui voit la créature en appeler de toute son imperfection à son Créateur. Il faut se souvenir toutefois qu’il s’agit de la parole de Dieu, et non d’un quelconque texte profane. Même pour un ajout relativement anodin, l’enquête implique de vérifier les sources. Il faut bien voir cependant qu’une fois identifiées les sources et influences possibles, la discussion sur l’origine exacte d’un ajout s’éloigne de la question de technique du traducteur pour aborder celle de l’interprétation qu’il donne au texte biblique. Au plan de la technique, il suffit, à ce stade, de remarquer que l’art de Marot traducteur des Psaumes se distingue par la marge de manœuvre plus importante qu’il se donne en comparaison avec celle qu’il s’est accordée dans le Premier Livre, de façon à disposer d’un espace suffisant pour accueillir les interprétations des sources qu’il consulte. Les libertés prises par Marot dans le « Sixiesme Psaulme » amènent Defaux à soutenir certaines réserves d’Aneau sur le classement de l’exercice dans la catégorie de la traduction : On comprend, à comparer le texte latin, à la traduction de Marot que B. Aneau ait pu dire que Marot avait mieux « entendu » les psaumes que les Metamorphoses d’Ovide et que « à son plaisir à la suycte de Campense 99 », il les avait « paraphrasez bien doulcement plutost que translatez » 100. La qualification du travail de Marot pour les Psaumes dépend des critères appliqués : en matière de description de la traduction, l’opinion d’Aneau a plutôt tendance à varier. Les enseignements tirés de l’observation du Premier Livre permettent plutôt d’avancer que la question du maintien de l’intrigue originelle importe bien plus que le volume de l’ajout dans la définition de la traduction. A ce titre, le respect de la progression donnée par le texte source suffit à ancrer le travail sur les Psaumes du côté de la traduction. Au point de vue technique, une double distinction se 99 100 Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant indiquent qu’Aneau fait référence à l’ouvrage de Jan Van Campen, « Psalmorum omnium iuxta hebraicum paraphrastica interpretatio » paru en 1532. Ils rappellent que Michel Jeanneret réfute une influence importante de Van Campen sur Marot. Trois premiers livres, p. 38. Marot, TII, p. 1227. 310 « OVIDE VEUT PARLER » dessine par rapport au Premier Livre : d’une part, la forme strophique est plus rigide ; d’autre part, le volume d’ajout est plus grand. Un sondage dans les pièces parues à partir de 1541 permet de voir se dessiner dans la technique du traducteur une évolution marquant une maîtrise grandissante. Dans le « Pseaulme Unzieme, à deux coupletz differents de chant, chascun couplet d’ung verset », les contraintes formelles augmentent, alors que le traducteur semble vouloir diminuer sa marge de manœuvre : Psalterium gallicum, X, 14vo Marot, Psaume Unziesme, versets 1-4 101 1. In Domino confido ; quomodo dicitis 1. Vu que tu tout en Dieu mon cueur s’appuye, animae meae / transmigra in montem Je m’esbahy, comment de vostre mont, sicut passer ? 102 Plutost qu’oyseau dictes que je m’enfuye. 2. Quoniam ecce peccatores intenderunt arcum / paraverunt sagittas suas in pharetra : ut sagittent in obscuro rectos corde 103. 2. Vray est que l’arc les malings tendu m’ont, Et sur la corde ont assis leurs sagettes, Pour contre ceulx, qui de cueur justes sont, Les descocher, jusques en leurs cachettes. 3. Quoniam quae pefecisti destruxerunt : 3. Mais on verra bien tost à neant mise L’intention de telz malicieux, justus autem autem quid fecit ? 104 Quel’ faulte aussi a le juste commise ? 4. Dominus in templo sancto suo : domi- 4. Sachez que Dieu a son Palays aux cieulx : nus in coelo sedes eius[.] Dessus son Throsne est l’Eternel Monarque : 5. Oculi eius in pauperem respiciunt : pal- Là hault assis, il voyt tout de ses yeulx, pebrae eius interrogant filios hominum 105. Et son regard les humains note, & marque. La correspondance « un verset/une strophe » est complexifiée par le recours à deux formes de strophe différentes, les tercets alternant avec les quatrains. Le schéma des rimes forme des couples « un tercet/un quatrain » dans lesquels la rime centrale 101 102 103 104 105 Marot, TII, p. 584 Le Psalterium hebraicum donne : In domino speraui : quomodo dicitis animae meae / transuola in montem ut auis. Le Psalterium hebraicum donne : Qui ecce impii tetenderunt arcum / posuerunt sagittam suam super neruum : vt sagittent in abscondito recto corde. Le Psalterium hebraicum donne : Quia leges dissipatae sunt : justus quid operatus est ? Le Psalterium hebraicum donne : Dominus in templo suo : dominus in caelo thronus eius. Oculi eius vident : palpebrae eios probant filios hominum. APRÈS LE PREMIER LIVRE 311 du tercet est reprise dans le premier vers du quatrain qui suit, un peu à la manière de la rime tierce de la Divine Comédie. Malgré ces contraintes formelles élevées, le traducteur ne multiplie plus les ajouts et développe des approches plus subtiles. Dans la première strophe, le contenu nucléaire « animae meae » passe dans le premier vers « en mon cueur », ce qui permet au traducteur d’utiliser à sa place le simple pronom personnel « je ». Marot semble systématiser des voies explorées de façon ponctuelle dans Leander et Hero, ou dans les Colloques d’Erasme. Un passage du « Pseaulme premier, à deux versetz pour couplet à chanter » laisse entrevoir les difficultés éventuellement rencontrées par le traducteur. Pour ce psaume, Marot établit une correspondance « deux versets/une strophe », cette dernière sur le schéma AABBCC. Le traitement de la première strophe révèle un dispositif particulier : Psalterium gallicum, I, 1ro Marot, Psaume Premier, versets 1-4 106 1. Beatus vir, qui non abiit in concilio 1. Qui au conseil des malings n’a esté, impiorum / & in via peccatorum non Qui n’est au trac des pecheurs arresté, stetit : et in cathedra pestilentiae non sedit. Qui des mocqueurs au banc place n’a prise : 2. Sed in lege domini voluntas ejus : & in 2. Mais nuict, & jour, la Loy lege ejus meditabitur die ac nocte. [contemple, & prise De l’Eternel, & en est desireux : Certainement cestuy là est heureux. 3. Et erit tanquam lignum quod plantatum 3. Et si sera semblable à l’arbrisseau est secus decursus aquarum : quod fruc- Planté au long d’ung clair courant ruisseau, Et qui son fruict en sa saison apporte, tum suum dabit in tempore suo 107 : 4. Et folium ejus non defluet : et omnia 4. Duquel aussi la fueille ne chet morte : Si qu’ung tel homme, & tout ce qu’il fera, quaecumque faciet prosperabuntur 108. Tousjours heureux, & prospere sera. « Beatus » qui ouvre le premier verset ne réapparaît qu’à la fin de la strophe suivante avec « heureux » qui ferme le derniers vers. Le dispositif semble suggérer un traitement global des deux 106 107 108 Marot, TII, p. 563. Le Psalterium hebraicum donne : Et erit tanquam lignum transplantatum : iuxta riuolos aquarum. Quod fructum suum dabit in tempore suo / Le Psalterium hebraicum donne : & folium eius non defluet : et omne quod fecerit prosperabitur. 312 « OVIDE VEUT PARLER » versets en fonction de la strophe, conditionné par le choix de la correspondance « deux versets/une strophe » et par le schéma des rimes de cette dernière. Le quatrième vers de la strophe se voit en effet doublement contraint par la rime du troisième vers et par le contenu du deuxième tercet. Marot parvient à respecter l’ordre des mots dans tout le poème, à l’exception de « beatus » pour la première strophe, qui marque sans doute une solution dont le caractère exceptionnel dit la maîtrise acquise par Marot traducteur. En utilisant comme étalon les techniques appliquées dans le Premier Livre, l’évolution qui peut être observée dans les Psaumes permet de mesurer la confiance prise par le traducteur. Celui-ci semble cesser de recourir largement aux ajouts, alors même qu’il travaille avec des formes de versification plus complexes. Le silence que Defaux évoque au cœur de la traduction des psaumes s’illustre, au plan de la technique, comme un abandon par le traducteur des marges de manœuvre qu’il avait l’habitude de se ménager. Il s’agit pour lui de trouver la voie la plus directe du texte biblique à la forme exigée par le chant. Les variations explorées depuis Le Premier Livre nourrissent l’elocutio requise pour les Psaumes. Les caractéristiques relevées dans le Premier Livre permettent d’ailleurs de percevoir nettement, au travers de la totalité du corpus psalmique traduit après 1534, une série d’invariants dans la manière marotique. Au premier rang de ces invariants apparaît la prééminence du texte source en tant que tel : même lorsque Marot traite des textes pour lesquels il dispose d’un commentaire abondant, il préfère la traduction à la reconstitution. L’exercice semble marqué avant tout par la conscience de la valeur éminente de l’elocutio originale, qui pèse sur toutes les déterminations du texte cible. La première place accordée au texte source n’implique cependant pas d’écarter les sources érudites susceptibles d’éclairer la négociation à laquelle doit se livrer le traducteur : Marot l’autodidacte se montre attentif à tous les éléments qui peuvent légitimer les interprétations qu’il retient. Ni cellesci, ni la forme propre du texte source ne sauraient cependant justifier la production d’une version difficile pour le lecteur français : l’objectif ultime du poète de François Ier consiste à ce que les auteurs traduits parlent français. L’équation qu’il s’agit de APRÈS LE PREMIER LIVRE 313 résoudre comporte clairement trois variables : elocutio source, commentaire érudit, version « en facille vulgaire » 109. La formule n’est guère originale si on la compare à la déontologie du traducteur d’aujourd’hui, mais elle permet de marquer la distance de Marot à d’autres traducteurs : dans la première modernité, ceuxci sont souvent tentés de recourir à une langue plus ou moins artificielle (Guillaume Michel de Tour), de maintenir visible le commentaire (Aneau), avant d’explorer une elocutio complètement originale (« belles infidèles »). Ce que permet la connaissance approfondie du Premier Livre, ce n’est cependant pas simplement l’énonciation de l’équation générale de la manière marotique, c’est aussi, et surtout, au travers de l’évaluation en contexte des solutions adoptées par le traducteur, de mettre en évidence certaines structures marquantes des réalisations ultérieures : le traitement du rapport syntaxe-versification, la marge de manœuvre choisie en matière d’ajout ou le maintien des déterminations fondamentales du texte source. Il est possible également d’observer l’évolution de la technique du traducteur au travers de l’abandon par ce dernier de certaines stratégies appliquées dans le Premier Livre (rapport un vers latin pour deux vers français, définition variable du volume de texte source traité, dépassement du distique en tant que forme utile à l’optimisation du texte cible). Or, la question de l’évolution du traducteur renvoie, compte-tenu du réflexe critique qui exige d’interroger en permanance la valeur des réalisations littéraires, à celle de ses éventuels progrès. Il faut voir cependant que le choix d’une technique ne peut être évalué indépendamment du texte auquel celle-ci s’applique. Juger de la réussite du Premier Livre sur la base des autres réalisations postérieures à 1534 n’a guère de sens, il est nettement plus fécond de confronter l’Ovide de Marot à celui d’autres traducteurs. 109 Marot, TII, p. 406. 314 « OVIDE VEUT PARLER » LES AUTRES TRADUCTIONS EN VERS APRÈS MAROT Le succès éditorial du Premier Livre ne signifie pas la disparition des traductions des Métamorphoses en prose : Ghislaine Amielle 110 rend compte d’une importante série de traductions en prose aux XVIIe et XVIIIe siècles. A l’opposé, on ne compte que trois versions en vers dignes d’intérêt. La première version qui donne en vers la totalité des quinze livres d’Ovide est l’œuvre de François Habert 111 en 1557. Avant même la parution de cette traduction, la connaissance de l’entreprise d’Habert décourage Aneau de se lancer dans une version complète : l’auteur du Quintil Horacien se contente d’une édition des deux livres traduits par Marot, accompagnée de sa propre version du Troisième Livre en 1556. Il faut ensuite attendre 1697 pour retrouver une version significative des Métamorphoses en vers sous la plume de Thomas Corneille 112. L’observation des techniques appliquées par Habert, Aneau et Corneille permet de dresser un tableau sommaire de l’évolution de la traduction d’Ovide après Marot, tableau qui permet de confirmer la description donnée au geste de Marot traducteur au travers du contraste avec les négociations menées par d’autres traducteurs significatifs. François Habert et Thomas Corneille ayant donné des versions intégrales du texte d’Ovide, il est possible de comparer directement leurs versions avec celles de Marot. En ce qui concerne Barthélemy Aneau, la comparaison ne saurait être directe, raison pour laquelle il est particulièrement utile de disposer de critères d’observation indépendants de la comparaison directe entre les textes. L’approche par la comparaison à partir de passages choisis dans le Premier Livre ne saurait évidemment constituer une étude systématique des versions de Habert, Aneau et Corneille. Il n’en est pas mois vrai que certaines 110 111 112 Ghislaine Amielle, Recherches sur des traductions françaises des Métamorphoses d’Ovide, p. 268-284. François Habert, Les quinze livres de la métamorphose d’Ovide interprétés en rimes françoises, selon la phrase latine, Paris, Jacques Keruer, 1557. L’édition est disponible sur Gallica. Dans la suite, les extraits de cette édition seront désignés simplement par le numéro de page à côté de la mention de l’auteur. Les Métamorphoses d’Ovide, mises en vers françois, par T. Corneille, Paris, J-B. Coignard, 1697. Les trois tomes sont disponibles sur Gallica. 315 APRÈS LE PREMIER LIVRE hypothèses formulées au sujet de la version de Marot gagnent à être examinées au travers des contrastes relevés avec le travail d’autres traducteurs. Comparer à celle de Marot la version d’Ovide que donne François Habert permet de saisir son autonomie poétique. Robert Cottrell décrit François Habert à la fois comme le plus ardent représentant de la « génération Marot » et comme un poète à part entière : Aucun de ces poètes ne s’est enrôlé dans les milices marotiques avec plus de ferveur que François Habert. Aucun n’a été plus fidèle à Marot, et aucun n’a été plus infatigable dans ses efforts pour présenter et divulguer, texte après texte, la doctrine marotique. L’œuvre d’Habert fait donc partie de ce que Defaux appelle « la réforme du discours poétique » initiée par Marot. Mais la poésie d’Habert, bien que pleine d’allusions non seulement aux textes de Marot mais aussi aux textes auxquels Marot lui-même fait allusion dans ses propres poèmes, constitue un monde discursif tout à fait distinct de celui de Marot 113. On peut revenir sur les séquences décrivant le moment où Jupiter décide de détruire le monde : Ovide, v. 240-243 114 Marot, v. 469-476 115 1 Occidit una domus ; sed non domus una Or est tumbé ung manoir en ruine [perire Mais ung manoir tout seul n’a esté digne Digna fuit ; D’estre pery : 2 qua terra patet, fera regnat Erinys ; 113 114 115 par tout où paroist terre, Regne Erinnys aymant peché, & guerre. Robert Cottrell, « Rhétorique et foi dans “Le Temple de Vertu” de François Habert », La Génération Marot. Poètes français et néo-latins. 1515-1550, Actes du Colloque international de Baltimore, 1996, éd. Gérard Defaux, Paris, Champion, 1997, p. 487. Les citations des Métamorphoses dans cette partie se réfèrent toutes à Ovide, TI. La référence ne sera par conséquent plus rappelée. Les citations du Premier Livre dans ce chapitre renvoient toutes à Marot, TII. La référence par conséquent ne sera plus rappelée. 316 « OVIDE VEUT PARLER » 3 In facinus iurasse putes. Et si diriez, que touts ilz ont juré De maintenir vice desmesuré. 4 Dent ocius omnes, Touts doncques soyent par peine meritée Quas meruere pati (sic stat sententia), Punys acoup, c’est sentence arrestée. [poenas. Ovide, v. 240-243 5 Occidit una domus ; Habert, p. 34. Or est périe une seule maison Qui pleine était de meurtre et trahison, 6 Digna fuit ; sed non domus una perire Mais il n’était pas du tout nécessaire De seulement une maison défaire. 7 Car en tout lieu que la terre s’étend qua terra patet, fera regnat Erinys ; Le genre humain à discorde prétend, 8 In facinus iurasse putes. Vous jugeriez toute la gent mortelle Jà consentir à forfaiture telle 9 Dent ocius omnes, Dont chacun soit (car il l’a mérité) Quas meruere pati (sic stat sententia), poenas. Pour tout puni de son iniquité, A ce ne faut point mettre répugnance C’est mon arrêt et dernière ordonnance. Alors que Marot semble soucieux de conserver au maximum le jeu de la versification et de la syntaxe en conservant le rejet de l’original latin dans les séquences 1 et 2, Habert donne une version dans laquelle le français semble imposer nettement sa propre logique : dans les séquences 5 et 6, deux vers français correspondent à des parties de vers latin, ce qui génère des distiques installant l’harmonie de la versification et de la syntaxe. Suivant la deuxième règle de Dolet, Habert cherche une version respectant les particularités de la langue cible. L’exigence de celle-ci semble désormais suffisamment forte pour en quelque sorte s’imposer à l’original latin : le renoncement aux 317 APRÈS LE PREMIER LIVRE rejets s’accompagne d’ajouts plus volumineux (« Qui était pleine de meurtre et de trahison » – séquence 5 ou « A ce ne faut point mettre répugnance » – séquence 9), du déserrement de la figure construite à partir de la répétition de « maison » aux séquences 5 et 6. La distance prise avec l’original latin conduit Habert à négocier contre les sous-entendus du très latin « non domus una » : la version de la séquence 6, correcte en termes de logique formelle, peine à faire inférer nettement la conclusion « il faut détruire plus de maisons ». Plus d’un siècle sépare la version de Habert de celle de Thomas Corneille : à la fin du XVIIe siècle, la langue française voit se clore une des périodes les plus brillantes de sa littérature et la question de son avenir se crisallise autour de la Querelle des Anciens et des Modernes, dont la logique intrinsèque possède de nombreux parallèles avec la question de la traduction. Observer la version que donne Thomas Corneille de l’extrait discuté cidessus permet de prendre la mesure de l’évolution de la technique du traducteur : Ovide, v. 240-243 Thomas Corneille 116, p. 21 10 Occidit una domus ; sed non domus una perire La flamme m’a vengé d’une maison infâme. Digna fuit ; Mais plus d’une maison a mérité la [flamme. 11 qua terra patet, fera regnat Erinys ; Par tout où de la terre on voit l’accès ouvert, De la fière Erynnis le dur règne est [souffert. 12 In facinus iurasse putes. Il semble qu’à l’envy, chacun armé pour elle, Cherche en courant au crime à lui marquer [son zele. 13 Dent ocius omnes, J’en ay donné l’arrêt, plus, plus d’impunité, Quas meruere pati (sic stat sententia), C’est trop, tous périront, ils l’ont tous mérité. [poenas. 116 Thomas Corneille, Les Métamorphoses d’Ovide mises en vers francois, Tome I, Liège, Jean François Broncat, 1698, p. 21. Dans la suite, les extraits de cette édition seront désignés simplement par le numéro de page à côté de la mention de l’auteur. 318 « OVIDE VEUT PARLER » Appuyé sur l’ample base de l’alexandrin, Thomas Corneille donne une version dont on a l’impression qu’elle vise à éclairer dans leur totalité les sous-entendus que perçoit le traducteur, afin de proposer au lecteur une version pour ainsi dire révélée. Cette manière de faire n’exclut pas la sensibilité aux caractéristiques formelles du texte source, comme en témoigne le chiasme « flamme – maison – maison – flamme » qui réalise en quelque sorte une forme latente perceptible dans l’original latin « occidit – domus – domus – perire ». Elle sait également s’éloigner du texte cible pour proposer une version plus accessible : « non domus una » est rendu par le très naturel « plus d’une maison ». Les ajouts font la part belle à des adjectifs qui semblent issus de la grande tragédie française : « la fière Erynnis », « le dur règne » ; certains alexandrins possèdent l’amplitude des vers qui font, au théâtre, vibrer le public parisien : chacun « cherche en courant au crime à lui marquer son zèle. » Ovide non seulement parle français, mais il semble avoir suivi toutes les saisons parisiennes depuis 1650. La comparaison entre la version de Marot et celle de Corneille permet de percevoir une différence nette entre la langue du Premier Livre et celle des Métamorphoses d’Ovide mises en vers français. Dans la version de Marot, la distance entre le français d’aujourd’hui et celui de 1530 rend difficile la perception de l’équilibre entre la prise en compte des caractéristiques du texte source et la production d’un texte accessible et conforme au goût du public contemporain. La version de Thomas Corneille, toute entière habitée par le bon usage qui, depuis Vaugelas, gouverne le français, trouverait à l’inverse sans peine sa place dans les modèles discutés dans les écoles de traduction. L’observation du détail des versions données par Marot, Habert et Aneau permet d’échapper au préjugé normatif et de mettre en évidence la valeur des traductions en langue du XVIe siècle. La comparaison entre les versions de la mort de Narcisse que donnent Corneille et Barthélemy Aneau, interprète pointu de l’original latin, confirme une différence fondamentale dans la technique des traducteurs : 319 APRÈS LE PREMIER LIVRE Ovide, Liber III, v. 504-510 Aneau, Tiers Livre, v. 1029-1043 117 1 Tum quoque se, postquam est inferna sedes Encore apres que par la mort finale [receptus, Il fut receu à la cour infernale. 2 In Stygia spectabat acqua. Planxere sorores Naides Il se mira en Styx, fleuve de pleurs. Fort l’ont plouré les Naïades ses sœurs. 3 et sectos fratri posuere capillos ; Et leurs cheveux couppez pour le deuil faire Ont epanduz sur le corps de leur frere. 4 Planxerunt dryades ; plangentibus adsonat Fort l’ont ploré les Naïades des bois [Echo. Et à leurs plainctz respond d’Echo la voix. 5 Iamque rogum quassasque faces feretrumque Ja apprestoient le feu, et la lumiere [parabant ; De vains flambeaux, et la mortelle bière. 6 Nusquam corpus erat ; croceum pro corpore Mais quoy ? le corps cerché avec grand pleur [florem Point ne se treuve. Ains, trouvent une fleur Inueniunt foliis medium cingentibus albis. Au lieu du corps, dedans rouge et jaunette Ceincte dehors de feuille blanche et nette. Même s’il ne retient pas la figure du rejet pour la séquence 2, Aneau applique une technique fort comparable à celle observée dans le Premier Livre. Le respect de l’ordre des mots latins peut être observé avec une très grande netteté dans les séquences 2, 3 et 4 ; la valence verbale est conservée de façon très systématique. La version de Thomas Corneille présente une technique sensiblement différente : 117 Trois premiers livres, p. 235-236. 320 « OVIDE VEUT PARLER » Ovide, Liber III, v. 504-510 Thomas Corneille, Livre III, p. 189 7 Tum quoque se, postquam est inferna sedes Jusque dans les Enfers chargé d’inquiétude [receptus, De l’erreur qui le flatte il garde l’habitude, 8 In Stygia spectabat acqua. Et dans les eaux du Styx qu’il n’abandonne [pas De l’ombre de son ombre il cherche les appâts. 9 Planxere sorores Les Naïades ses sœurs, que sa mort désespère Naides et sectos fratri posuere capillos ; Se coupent les cheveux, les jettent sur leur [frère, Et par tout ce qui fait éclater la douleur Déplorent à l’envi l’excès de son malheur. 10 Planxerunt dryades ; Les Dryades pour lui marquent même [tendresse On les entend se plaindre, & soupirer sans [cesse, 11 plangentibus adsonat Echo. Tandis qu’à leurs soupirs Echo prêtant sa [voix Les portes d’antre en antre au plus profond [du bois. 12 Iamque rogum quassasque faces feretrumque Pour les derniers honneurs leur zèle se [parabant ; [déclare. Les torches, le cercueil, déjà tout se prépare ; 13 Nusquam corpus erat ; Mais en vain on s’empresse à dresser un [bûcher, Son corps s’évanouit, on a beau le chercher. 14 croceum pro corpore florem Une fleur seulement est trouvée en sa place, Inueniunt foliis medium cingentibus albis. Jaune, mais au milieu d’un blanc que rien [n’efface, Et qui semble répondre à la vivacité De ce teint, dont lui-même admira la [beauté. Le test de la superposition révèle des séquences qui semblent définies avant tout par le découpage syntaxique de la partie latine : l’unité de travail du traducteur semble négliger les vers latins, au profit de la seule proposition. La partie française de la 321 APRÈS LE PREMIER LIVRE séquence propose des intrigues dont la construction ne s’efforce plus de suivre l’original latin. L’ordre des mots latin, la valence des verbes du texte source, la limitation du volume des ajouts n’exercent plus de contrainte apparente sur la version retenue. Le travail sur la langue auquel se livre Aneau rejoint la manière de Marot. La différence manifeste entre la technique appliquée par Marot et Aneau, d’une part, et celle de Thomas Corneille, d’autre part, conduit à réévaluer l’impression de langue non encore aboutie donnée par les versions du XVIe siècle. Il apparaît en effet que le rythme du texte, la progression de l’intrigue, les relations syntaxiques sont très directement conditionnées par l’original latin. Si la possibilité de l’ellipse du sujet renvoie à la souplesse de la langue du temps de Marot, le texte en tant que tel doit sans doute plus au respect de l’original qu’aux seules limites induites par la jeunesse de la langue. La traduction de Thomas Corneille renvoie à l’expérience de la langue classique, ce qui peut conduire à la juger de prime abord plus acceptable, parce que plus conforme au bon usage. A bien y regarder, cependant, les versions de Marot et d’Aneau ne sont pas simplement l’expression d’une langue non encore régulée. L’état de la langue au moment de la rédaction du Premier Livre ne doit pas détourner du défi poétique que représente la traduction d’Ovide. Il est possible d’aborder la question en examinant comment Habert et Corneille ont traité les passages dans lesquels Marot poète a dû faire appel aux ressources de son invention. La description de la naissance des vents met tous les traducteurs au défi d’un passage particulièrement dense sur le plan de l’information cosmographiques : Ovide, v. 61-66 Marot, v. 121-130 Eurus ad Auroram Nabataeaque regna Le vent Eurus tout premier s’en volla [recessit Vers l’Orient, & occuper alla Persidaque Nabathe, & Perse, et radiis iuga subdita matutinis ; & les monts qui s’eslevent Soubs les rayons, qui au matin se levent. Vesper et occiduo quae litora sole tepescunt Zephyrus fut soubs Vesper resident Proxima sunt Zephyro ; Pres des ruisseaulx tiedys de l’Occident. 322 « OVIDE VEUT PARLER » Scythiam septemque triones Boreas froid envahyt la partie Horrifer inuasit Boreas ; Septentrionne, avecques la Scythie. contraria tellus Et vers Midy, qui est tout au contraire, Nubibus assiduis pluuioque madescit ab Auster moyteux jecta pluye ordinaire. [Austro. Habert, 17-18 Corneille, p. 5 Eure dès lors son soufflement exerce En Orient, près de Nabathe et Perse, Eurus alla souffler où le Soleil se lève, Et sur les monts situés en hauts lieux Qui sont prochains du soleil radieux. Zéphyre vent à Eure tout contraire En Occident tôt s’en alla retraire, L’aimable et doux Zéphire où sa course [s’achève, Et Boréas va saisir la partie Des sept Trions, en la froide Scythie. Par le rude Aquilon le Nord fut refroidi, L’humide Auster à l’opposite alla Vers le Midi, et souffle encores là. Et les brouillards d’Auster couvrirent le [Midi. Ni Habert, ni Corneille ne retiennent les rejets qui rythment le récit original et suggèrent la mise en place progressive des éléments au moment de la création du monde. Marot conserve le premier rejet, puis son jeu devient plus subtil, consistant à redistribuer les rôles syntaxiques des actants dépendant des verbes inchoatifs 118. Habert et Corneille utilisent une technique analogue, mais la précision référentielle du Premier Livre contraste avec celle des versions ultérieures : les « rayons, qui au matin se levent », « Vesper », « les ruisseaux tiedys de l’Occident », la « pluye ordinaire », qui ne sont pas des ajouts, disparaissent tous, aussi bien chez Habert que chez Corneille. Dans leurs versions, la cosmographie ovidienne se trouve normalisée, envisageant Ovide au travers d’une connaissance encyclopédique, qui décrit le monde alors qu’il est en place, sans chercher à retrouver la rafraîchissante incertitude de son commencement, qui n’intéresse peut-être plus des publics désormais connaisseurs des Métamorphoses. Ce regard « en toute connaissance de cause » sur le texte d’Ovide apparaît plus nettement encore la version que Thomas 118 Voir p. 308. 323 APRÈS LE PREMIER LIVRE Corneille donne du dilemme de Jupiter qui se demande s’il doit ou non mettre Io entre les mains de Junon : Ovide, v. 617-619 Marot, v. 1221-1226 Quid faciat ? crudele suos addicere amores ; Que pourra il or faire, ou devenir ? C’est cruaulté, ses amours forbannyr. Non dare, suspectum est. Pudor est, qui Ne luy donnant la faict soupeçonner, [suadeat illinc, Honte en apres l’incite à luy donner. Hinc dissuadet amor. Victus pudor esset Puis Amour est à l’en divertir prompte [amore ; Et en effect Amour eust vaincu honte : Habert, p. 65 Corneille, p. 52 Que fera-il ? trop cruel il serait Quand ses amours ainsi délasserait, Que faire pour Io quand son crime l’accuse ? S’il accorde, il la perd : il se perd, s’il refuse Ce qu’on chérit le plus coûte bien à donner, Mais s’il n’y consent pas, il se fait soupçonner. Il voit des deux côtés tout ce qu’il appréhende Ce que défend l’amour, la honte le demande, Et d’autre part si ce don il refuse, Junon pourrait se douter de sa ruse, Puis il serait tout honteux & confus En lui faisant de si peu le refus Et dans cette cruelle et dure extrêmité Sur la honte l’amour l’eût sans doute emporté, D’autre côté, du don il se déporte Pour l’amour grand qu’à cette nymphe [il porte, François Habert semble vouloir dévider le raisonnement de Jupiter en explicitant les relations de cause à effet . Chaque paire de vers exprime une causalité : abandon de l’amour – cruauté ; refus du don – soupçon de Junon ; refus du don – honte ; amour – refus du don. Le souci de clarté contraste avec la tension dramatique que produit, dans la version de Marot, l’incursion rapide dans le discours indirect libre (« C’est cruaulté, ses amours forbannyr »). Priviliégiant respectivement l’affect ou la logique, ni Marot, ni Habert n’en appellent à la figure du dilemme, mais celle-ci porte en français le nom de Corneille. Un alexandrin construit comme une horloge de précision en témoigne : « S’il accorde, il la perd : il se perd, s’il refuse. » L’opposition « accorde »/« refuse » encadre la répétition, formant une structure quasi chiasmatique ; au centre du vers, l’opposition « la »/ « se » résume l’enjeu de la situation, trahir ou souffrir ; la répétition du pronom « il » exprime le mouvement rapide de la pensée prise au piège. Les vers qui suivent alternent 324 « OVIDE VEUT PARLER » les sentences qui résument le dilemme (« Ce qu’on chérit le plus coûte bien à donner », « Il voit des deux côtés tout ce qu’il appréhende. ») et l’expression des oppositions (« Mais s’il n’y consent pas, il se fait soupçonner », « Ce que défend l’amour, la honte le demande »). La maîtrise de ce qui deviendrait au théâtre un monologue produit une version dans laquelle Jupiter apparaît en majesté, quand l’original ovidien dépeint plutôt un mari volage pris au piège. Le dilemme offre à Thomas Corneille une situation propice au déploiement de la rhétorique à laquelle son public est habitué, ce qui le conduit à donner une version qui ne reprend qu’une partie des particularités de l’original. La marque la plus spécifique de la traduction marotique réside dans l’effacement du poète au profit d’une déontologie de la traduction qui voit le texte cible se passer de raffinements jugés inutiles au profit de la restitution aussi modeste que possible des caractéristiques du texte source. Le portait de Daphné est, par exemple, l’occasion pour Marot de porter cette déontologie au plus haut niveau poétique. Ouvrir l’analyse aux autres versions offre une mise en abyme de l’art du traducteur et permet de voir comment les différentes versions semblent aller toujours plus dans le sens d’un Ovide à confirmer, plutôt qu’à faire découvrir. Ovide, v. 478-484 Marot, v. 939-954 Vitta coercebat positos sine lege capillos. D’ung seul bandeau ses cheveulx mal en ordre Serroit au chef, sans les lyer, ne tordre. Multi illam petiere ; illa auersata petentes, Plusieurs l’ont quise à l’espouser tendants, Mais toujours feit reffus aux demandants. Inpatiens expersque uiri nemora auia lustrat Sans vouloir homme, & du plaisir exempte, Va par les boys, qui n’ont chemin, ne sente, Nec quid Hymen, quid Amor, quid sint Et ne luy chault sçavoir que c’est de nopces [connubia curat. N’aussi d’ung tas d’amoureuses negoces. Saepe pater dixit : « Generum mihi, filia, Son pere aussi luy a dit maintesfois, [debes. » Ma chere fille, ung gendre tu me dois : Et luy a dit (cent foys blasmant ses vœuz) : Saepe pater dixit : « Debes mihi, nata, Tu me doibs, fille, enfants, & beaulx nepveuz. [nepotes. » 325 APRÈS LE PREMIER LIVRE Illa, uelut crimen taedas exosa iugales, Elle abhorrant mariage aussi fort Que si ce fust ung crime vil, & ord, Pulchra uerecundo suffuderat ora rubore Entremesloit parmy sa face blonde Une rougeur honteuse, & vereconde : Habert, 53-54 Thomas Corneille, 39-40 Elle portait ses cheveux deliés Sans ordre épars, et d’un ruban liés, Ses cheveux que toujours, dédaignant [leur parure, Elle laissait tomber sans ordre & sans frisure, Attachés d’un cordon, leur unique ornement, Sur son col, sur ses bras pendaient [négligemment. Dans cette négligence, elle était préférable A tout ce que peut l’art ajouter à l’aimable. De maints seigneurs, pour sa beauté exquise En mariage elle a été requise, Mais elle met en rigoureux mépris Tous les amants de sa beauté surpris, Aussi de mille amants elle reçut les vœux ; Mais on la vit toujours insensible pour eux, Et sans jamais être d’homme amoureuse, Allait parmi mainte forêt ombreuse, Et témoignant sans cesse une haine obstinée Pour tout ce qui semblait lui parler d’hyménée, Des plus sombres forêts les sauvages détours Faisaient sa seule joie, et ses seules Souventesfois son père lui a dit [amours. Tu dois ma fille, avoir sans contredit Penée en murmurait, et s’ennuyant Un bon époux, fille belle & bien née [d’attendre, Maints beaux enfants me dois de ta lignée Il est temps, disait-il de me choisir un gendre, Ma fille, songe enfin à contenter mes vœux. Daphné qui lors haine en son cœur imprime Je te dois un époux, tu me dois des neveux. De mariage autant comme d’un crime, Elle à qui le dessein d’un choix si légitime Donnait la même horreur qu’aurait pu En augmentant sa beauté nompareille [faire un crime D’une couleur honteusement vermeille, Rougissait, et ce rouge augmentant sa beauté Mettait plus de brillant à plus de majesté. N’ayant souci d’amours en son courage, Fuyant Hymen le dieu de mariage, La version de Habert présente une tendance à l’intensification, voire à l’hyperbole qui fixe le charme inexplicable de la nymphe dans les formules déjà presque stéréotypées de la beauté froide : Daphné se voit qualifiée de « beauté exquise », puis de « beauté nompareille » ; son cœur est habité par la « haine » du mariage. La volonté d’expliciter fait oublier au traducteur que l’original 326 « OVIDE VEUT PARLER » peut contenir une part d’incongruité, la belle ne cherchant ni à être belle, ni à être aimée. Pour Thomas Corneille, cette part d’incongruité devait avoir disparu depuis longtemps sous les multiples adaptations de l’histoire de Daphné dans le domaine français. L’évocation de la farouche nymphe appelle irrésistiblement le morceau de bravoure qui tourne à la leçon d’élégance, magistralement ponctuée par une maxime distinguant « l’art » de « l’aimable ». La situation de Marot, aux origines du français en littérature, lui permet sans doute d’aborder la traduction d’Ovide avec une liberté dont ne disposent plus ses successeurs. Un texte fondateur comme Les Métamorphoses pénètre une langue et sa littérature au travers d’une intertextualité qui dépasse très largement le cadre de sa traduction. Plus le temps passe, plus grandissent les attentes que doit intégrer le traducteur : la connaissance du texte source s’enrichit de toutes les interprétations issues de sa diffusion que celle-ci s’appelle « traduction », « imitation », « adaptation » ou « commentaire » ; la langue cible s’alourdit de la littérature ; ses formes, ses figures deviennent autant de codes, de gages qu’il s’agit de donner aux initiés. La comparaison avec la version de Thomas Corneille permet de comprendre en quoi Marot est, à deux moments distincts du siècle, doublement passeur. Marot fait d’abord le pari que la cour est prête à vibrer durablement des passions des Métamorphoses. Le continent que Marot découvre ne se situe pas aux origines du texte qu’il traduit, mais dans le public qui reçoit sa version. Marot est convaincu de l’existence d’un nouveau monde, parce qu’il est en train de l’inventer. Cependant, s’il est passeur d’abord pour ceux « qui n’ont la langue latine » 119, il pense aussi aux « Poëtes vulgaires, & aux Painctres » 120, c’est-à-dire à une deuxième façon d’être passeur. Un signe net que le Premier Livre finit par dépasser le seul public de la cour pour atteindre les cercles lettrés peut être perçu à partir de la description du chaos dans la Sepmaine de Du Bartas : Ce premier monde estoit une forme sans forme, Une pile confuse, un meslange difforme, D’Abismes un abisme, un corps mal compassé. 119 120 Marot, TII, p. 406. Marot, TII, p. 406. APRÈS LE PREMIER LIVRE 327 Un Chaos de Chaos, un tas mal entassé : Où tous les élémens se logeoyent pesle-mesle : Où le liquide avoit avec le sec querelle, Le rond avec l’aigu, le froid avec le chaud, Le dur avec le mol, le bas avec le haut, L’amer avec le doux : bref durant ceste guerre La terre estoit au ciel et le ciel à la terre 121. Deux choix lexicaux semblent renvoyer directement à Clément Marot : « compassé » se trouve deux fois dans le Premier Livre en position d’adjectif épithète pour qualifier le monde naissant ; « guerre » représente également un choix marotique visant à rendre le plus neutre « pugnabant » que l’on trouve chez Ovide. Deux générations de lettrés après la parution du Premier Livre, Marot traducteur devient passeur pour les savants eux-mêmes, dès lors que, pour un livre de l’ambition de la Sepmaine, l’auteur choisit de faire passer le dialogue avec Ovide au travers d’une version française. Au temps de Thomas Corneille, le dialogue avec l’Antiquité se déroule de façon majoritaire au sein de la langue vernaculaire. Ovide parle désormais français. 121 Du Bartas, La Sepmaine ou Création du monde, éd. Yvonne Bellenger, Paris, Nizet, 1981, v. 223-232. CONCLUSION Caractériser avec précision le geste du traducteur sur la base du Premier Livre permet de fixer un jalon décisif dans l’histoire de la traduction en France. Les exigences qu’articule la version de Marot posent le canon moderne de l’exercice pour le domaine français. La voie qu’explore le poète de François Ier le conduit sur tous les terrains où se définissent les contours d’une expérience littéraire nouvelle. La voie de Marot se distingue d’abord par le souci des sources. Auteur en proie à l’indélicatesse des imprimeurs, éditeur d’ouvrages dont il se sent particulièrement proche, Marot se trouve à la pointe du combat naissant pour le respect du texte. Jamais avant lui, un traducteur profane du domaine français ne s’est autant préoccupé de l’intégrité du texte source. Les auteurs de l’Ovide moralisé appliquent une grille d’analyse assez nettement détachée de la culture antique ; Claude de Seyssel lui-même traduit Xenophon au travers d’un texte latin. Marot exploite au contraire systématiquement les ressources dont il peut disposer : Regius pour Les Métamorphoses ; paraphrase de Mara et commentaire de Vatelle pour Leander et Hero ; travail des grands traducteurs de la Bible pour les psaumes. La méthode appliquée pour l’établissement et la compréhension du texte reprend les principes développés par les grands lettrés, mais elle porte sur un contexte qui n’intéresse pas ces derniers en priorité. Il faut souligner l’originalité de la démarche marotique : dans la dédicace à François Ier, le poète marque avec modestie la distance qui le sépare de la grande culture humaniste. C’est à partir d’une position nouvelle qu’il exploite avec finesse l’érudition que l’époque met à sa disposition. Auteur autant que traducteur, Marot assume la nécessité de la traduction pour le public de cour et ose l’entraîner au-delà du projet humaniste tel que pouvait l’envisager le Mouseïon voulu par Guillaume Budé. L’autonomie dont Marot fait parfois preuve vis-à-vis du commentaire de Regius établit de sucroît un cadre tout à fait 330 « OVIDE VEUT PARLER » nouveau, à partir duquel le poète vernaculaire établit souverainement sa version. L’exercice de la traduction investit dès lors un domaine qui n’est pas uniquement celui du service de l’érudition : il faut admettre chez le poète qui traduit une forme d’inspiration qui s’impose à l’enseignement des savants. Bien des modes de faire s’offrent alors : pour le meilleur ou pour le pire, le traducteur s’attribue une responsabilité nouvelle dans un champ élargi, qui va du texte destiné à l’enseignement jusqu’à des formes proches de la création originale. L’abandon de la glose signe l’affirmation assumée du caractère nécessairement limité de l’exercice, alors que les divers ajouts métatextuels et commentaires relèvent d’un exercice cherchant à compenser la perte inévitablement induite par la traduction. En ce qui concerne Les Métamorphoses, l’histoire littéraire donne raison au traducteur qui s’en tient à des versions « au vuyde » : la manière Aneau, qui admet un commentaire dans les marges, ne fait pas école. L’étude méthodique du texte du Premier Livre montre que Marot, tout jaloux qu’il soit de son autonomie, choisit une déontologie qui, au final, limite plutôt les interventions du poète au profit d’une composition qui prend en compte prioritairement les déterminations du texte source. Marot épouse une posture de traducteur qui met les compétences du poète au service du texte source. Rendre compte de l’invention poétique dans les réalisations de Marot interroge aussi bien les moyens de description de la traductologie que ceux des études littéraires. Point n’est besoin de théoriser les préceptes au travers desquels généraliser la pratique utilisée avec succès dans le Premier Livre : Etienne Dolet s’en est très largement chargé dans La Manière de bien traduire d’une langue en l’autre. Si l’on en croit la préface que l’humaniste donne à son texte, la genèse de La Manière est chronologiquement très voisine de la première publication de la version de Marot. L’édition du Premier Livre que donne à une date encore plus voisine, en 1538, l’auteur du Ciceronianus est accompagnée d’une épître latine qui dit son éblouissement : « Aequet ? superest potius Poëtam principem / Longè omnium Versum facili » 1. Il est d’usage de considérer avec prudence les pièces liminaires, en particulier lorsque l’intérêt pécunier de l’auteur, pour le coup égale1 Marot, TII, p. 403. CONCLUSION 331 ment éditeur du volume, est directement en cause. On peut tout de même se demander si, concernant le très entier Dolet, le compliment ne recèle pas plus de sincérité qu’à l’accoutumée. L’étude méthodique du Premier Livre établit de façon systématique la conformité de la manière Marot avec celle préconisée par Dolet. Norton, qui tient à faire débuter la pratique littéraliste à la publication de La Manière, ne fait pas grand cas du travail de Marot, mais il cite comme parangon du littéralisme les traductions de Barthélemy Aneau, qui n’apporte que de rares modifications au Premier Livre dans l’édition qu’il donne en 1556 et dont la technique se révèle très voisine de celle de Marot. La caractérisation précise du geste de Marot traducteur implique de prendre du recul vis-à-vis de la question du mot à mot, si souvent évoquée au sujet de l’exercice de la traduction, tout particulièrement dans les premières années du XVIe siècle. La formule d’Horace pose un critère à la fois difficilement contestable et peu opérationnel en termes d’analyse de texte : le terme extrême qui la borne (le « mot à mot ») ne saurait rendre compte d’une quelconque réalisation concrète, comme le montre Borges dans Pierre Ménard. Aucun traducteur, pas plus Octovien de Saint-Gelais, Guillaume Michel de Tour que Barthélemy Aneau, ne donne de version fidèle mot pour mot : l’évaluation se situe toujours dans une question de degré, et il importe de disposer des moyens de mesurer avec le plus de précision possible le rapport entre texte source et texte cible. En l’absence de cette mesure, le commentaire tend à convoquer le critère du mot à mot de façon opportuniste pour appuyer ce qui ne constitue qu’une impression le plus souvent fondée dans une conviction a prori issue des préjugés de l’histoire littéraire. Dès lors qu’il est mesuré avec précision, le texte du Premier Livre révèle des formes dominantes pour lesquelles le poète fait moins appel à son invention qu’au respect d’une économie spécifique, basée sur le respect de l’ordre des mots, le maintien des rôles syntaxiques, la production d’une version syntaxiquement conforme à la logique de la langue cible. La réalisation marotique défie l’imagination du critique : celui-ci doit admettre le miracle d’une version arbitrant vers après vers toutes les variantes possibles en vue de la réalisation d’un texte habité par le silence du traducteur. Lorsqu’elle est battue en brèche, la technique du traducteur se voit relayée par l’invention du poète. Les formes alors observées 332 « OVIDE VEUT PARLER » se distinguent des tendances dominantes, mais elles poursuivent un objectif qui s’avère conforme à l’idéal dominant le reste du texte. Les extraits que le regard critique classique n’aurait sans doute pas manqués se voient situés à l’intérieur d’un système auquel ils échappent sans le remettre en cause. La connaissance précise de la technique appliquée dans le Premier Livre permet de donner une description opérationnelle de ce que Norton enregistre au niveau théorique sous la désignation de literalist temper 2 sans se donner la peine de caractériser la notion sur des réalisations textuelles concrètes. En l’absence de modèle cognitif susceptible de rendre compte du processus exact de la traduction, l’utilité de la description de Norton n’est certes pas à négliger. Toutefois, l’opposition « horacianiste/littéraliste » reposant sur la prise en compte du critère du mot à mot, la question de la place du Premier Livre dans l’élaboration du paradigme littéraliste présente moins d’intérêt que la question de l’effacement du texte dans l’histoire de la traduction en France qui contraste avec la place éminente occupée par La Manière qui, d’une certaine façon, participe des mêmes préoccupations. Si le court traité de Dolet continue d’être discuté dans toutes les études sur l’histoire de la traduction, les allusions au Premier Livre restent rares, voire inexistantes. Les critères qu’utilise Antoine Berman 3 pour cerner les contours de ce qu’il qualifie de « grande traduction » peuvent servir de point de départ à la réflexion sur le destin de l’entreprise de Marot dans l’histoire de la traduction. En résumé, ces critères sont les suivants : 1. La grande traduction constitue un événement dans la langue cible : elle fait date dans l’histoire de la langue. 2. La grande traduction se distingue par son haut degré de « systématicité textuelle ». 3. La grande traduction échappe au veillissement. 4. La grande traduction est le lieu d’une rencontre entre la langue de l’original et celle du traducteur : la langue 2 3 Glyn P. Norton, The Ideology and language of translation in Renaissance France, p. 113-184. Antoine Berman, Jacques Amyot traducteur français, p. 148. CONCLUSION 333 source influence la langue cible au travers de la traduction. 5. La grande traduction crée un lien intense avec l’original, qui se mesure à l’impact sur la culture réceptrice. 6. La grande traduction constitue pour l’activité traduisante un précédent incontournable. Un peu plus loin 4, Antoine Berman ajoute encore que la grande traduction se doit d’être une traduction complète. A bien y regarder, les critères exposés ci-dessus relèvent de deux catégories différentes : d’une part, les critères qui expriment des attentes vis-à-vis de la version réalisée (2, 4, 5) ; d’autre part, les critères qui exposent l’effet d’une grande traduction (1, 3, 6). Le septième critère relève quant à lui plutôt de la première catégorie, mais il possède une sorte de lien direct avec les critères de la seconde catégorie : en soi, la traduction complète du corpus attribué à un auteur ou, simplement, d’un ouvrage d’un volume important, remplit presque automatiquement les critères 1 et 6. Situer le Premier Livre sur la grille d’Antoine Berman implique de discuter en priorité les critères 2, 4 et 5, puisque les critères 1, 3 et 6 constituent plutôt les conséquences heureuses de la satisfaction des autres critères. Si l’observation fine de la version de Marot permet d’avancer que celle-ci atteint un très haut degré de systématicité textuelle (critère 2), la question de la rencontre entre langue source et langue cible (critère 4) et celle de l’impact sur la culture réceptrice (critère 5) renvoient directement à la double absence du Premier Livre dans l’histoire de la traduction et dans l’histoire littéraire en France. Comparer l’entreprise de Marot avec l’Authorized Version ou King James Bible sur la question des critères 4 et 5 permet de saisir les raisons de l’effacement du Premier Livre de l’horizon de la traductologie. La comparaison entre le Premier Livre et la King James Bible peut paraître incongrue : il y a très loin de la traduction partielle d’un auteur certes majeur du corpus antique à la traduction complète du fondement même de la religion chrétienne. L’entreprise proposée par le roi Jacques dès 1604 n’occupe pas moins de six 4 Antoine Berman, Jacques Amyot traducteur français, p. 168. 334 « OVIDE VEUT PARLER » compagnies réunissant la fine fleur de l’humanisme anglais entre Oxford, Cambridge et Westminster, dans le but avoué de proposer une traduction anglaise susceptible, par sa qualité, d’apaiser les intenses querelles religieuses du temps. La méthode de travail adoptée associe l’érudition, la définition de règles de traduction explicites et l’harmonisation du résultat final au travers d’une réunion générale (General Meeting) qui dure trois ans (de 1608 à 1610). Le résultat constitue non seulement la version de la Bible la plus importante du domaine anglais, mais également un texte qui exerce une influence majeure sur l’évolution de la langue anglaise : Already, then, in 1682, there was a certain kindling of the aesthetic enthusiasm for the KJB which would become the keynote of many modern literary-minded people who have no truck with Bible content – stylistic eminence to the KJB (and its accompanying Prayer Book), which the self-styled Anglican constitutionalist the Revd Dr Jonathan Swift offered as linguistic example in his 1712 Proposal for Correcting, Improving and Ascertaining the English Tongue. […] « I am persuaded that the Translators of the Bible were Masters of an English style much fitter for that Work » of keeping the English Language simple (plain and pure), than any other of « our present Writings » 5. Le sérieux du travail de Marot, la qualité de sa version, le succès éditorial de son ouvrage, l’intérêt du poète lui-même pour la législation de la langue française pouvaient raisonnablement faire espérer une influence du Premier Livre sur le développement du français. Face à l’influence durable et reconnue de la King James Bible, la « decoration grande » que Marot propose dans la dédicace tout comme l’illustration de la langue française à travers la traduction qu’appelle Sébillet apparaissent comme des aspirations finalement modestes. Il apparaît d’emblée qu’en dehors de toute dimension formelle, un élément du contexte de l’entreprise de Marot diffère très sensiblement de celui de la King James Bible. Le principe de l’autorisation royale garantit à cette dernière non seulement une 5 Peter McCullough and Valentine Cunningham, « Afterlives of the King James Bible 1611-1769 », Manifold Greatness – The Making of the King James Bible, éd. Helen Moore et Julian Reid, Oxford, Bodleian Library, 2011, p. 152. CONCLUSION 335 diffusion plus large, mais surtout plus durable : en dehors de toute considération sur la valeur stylistique du texte, sa reconnaissance en tant que version autorisée interdit de lui substituer un autre texte pendant plusieurs siècles. La valeur de la traduction en tant que modèle de langue anglaise se trouve ainsi figé, rendant plus évidente sa valeur normative. La vérification du critère 4 se révèle par conséquent nettement plus évidente en ce qui concerne la King James Bible. En suivant le raisonnement de Berman tel qu’il s’exprime à travers le critère 5, on peut avancer aussi que c’est en choisissant de recourir à un français fortement enraciné dans les habitudes de ses contemporains, parfaitement à l’opposé, par exemple, de l’idiome exotique de l’écolier limousin, que Marot donne incontestablement à son texte une durée de péremption bien plus limitée que celle de l’anglais de la King James Bible. L’observation stricte de la deuxième règle de Dolet, qui recommande d’exploiter avant tout les ressources propres de la langue cible, conduit à un texte trop ancré dans son temps pour exercer une influence durable. Il est tout à fait remarquable de constater que pour la King James Bible, les choix stylistiques, qui visent un texte compréhensible du plus grand nombre, recherchent une proximité linguistique aussi grande que possible avec l’original : It is striking that the KJB translators, like the Good News team, wanted the Bible to be understood by the « very vulgar » or the common people ; for Smith and his colleagues, however, this meant not mediating between the Hebrew original and the English reader, through paraphrase or « dynamic equivalence », but presenting the reader with an English text that was as formally and literally identical to the Hebrew as possible 6. Il est évidemment difficile d’imaginer une version du Premier Livre dans le style latinisant de Guillaume Michel de Tour connaissant une fortune supérieure à celle de la version de Marot. Il est vrai cependant que la méthode peut être appliquée avec plus de finesse : l’étude de la traduction en particulier rend 6 Hanibal Hamlin, Judith Maltby et Helen Moore, « The 1611 King James Bible and its Cultural Politics », Manifold Greatness – The Making of the King James Bible, p. 127. 336 « OVIDE VEUT PARLER » compte sous le terme de « foreignization » 7 du potentiel de l’approche consistant à ne pas suivre totalement la deuxième règle de Dolet. Le « lien intense » avec l’original, requis par le critère 5 de Berman, semble souffrir d’une version trop parfaitement intégrée à la langue cible. Le statut éditorial et le choix d’une version qui penche délibérément vers la langue cible expliquent, dans le modèle de Berman, la disparition du Premier Livre de l’histoire de la traduction. Au-delà des préoccupations propres à la traductologie, le parti pris d’un Ovide qui « parle » amène à considérer plus en profondeur la relative discrétion littéraire du Premier Livre. Sur cette question, c’est une dimension fondamentale de l’approche critique qu’il faut interroger, à savoir la façon dont la réception d’abord, la critique littéraire ensuite, identifient la valeur d’un corpus. Ce n’est alors plus la destinée de la King James Bible, mais la renommée de celles qu’il est convenu d’appeler, dans la tradition française, les « belles infidèles », qui doit servir de prototype pour comprendre le fonctionnement du processus qui conduit à la reconnaissance de la valeur littéraire d’une traduction. Avant Roger Zuber, c’est Georges Mounin qui utilise l’expression « belles infidèles », dans un ouvrage 8 dans lequel il s’efforce de construire l’horizon de la traduction au-delà de la sentence rendue contre elle par Joachim Du Bellay, qui pose l’impossibilité de « belles fidèles » en raison de l’unicité de l’elocutio poétique. Si elle est formulée dans le contexte spécifique de la réflexion littéraire, l’aporie dressée par la Défense participe d’une difficulté fondamentale à rendre compte non pas simplement de la qualité, mais plus généralement de la possibilité de la traduction. Nombreux sont les problèmes linguistiques qui conduisent à interroger la possibilité même de la traduction. George Mounin refuse d’abandonner cette dernière à la perplexité des théoriciens : On a dressé jusqu’ici l’inventaire, aussi objectivement et aussi complètement que possible, de toutes les observations de la linguistique contemporaine qui semblent asseoir définitivement l’opinion que la traduction n’est théoriquement pas possible. Il reste à considérer pourquoi et comment, et surtout dans quelle mesure et dans 7 8 Jeremy Munday, Introducing translation studies, p. 146. Mounin, Georges, Les Belles Infidèles. CONCLUSION 337 quelles limites, l’opération pratique des traducteurs est, elle, relativement possible 9. Avant l’inventaire des problèmes théoriques de la traduction, la formule « belles infidèles » vise à détacher la description de la traduction de la notion de fidélité à l’origine de la plus grande partie des impasses théoriques. Au plan de l’intuition critique, elle s’oppose au préjugé qui tend à identifier la bonne traduction à la traduction fidèle. La formule de Mounin libère totalement la réflexion littéraire, vu qu’elle pose que les traductions peuvent être « belles, même si infidèles ». Ce n’est toutefois pas le sens qu’il faut donner à l’expression dans l’ouvrage de Roger Zuber : d’une part, elle désigne avant tout un genre dans la production française des années 1625-1650, qui trouve sa dénomination dans une expression de Gilles Ménage 10 ; d’autre part, la thèse que défend Roger Zuber consiste à souligner que « la pratique des belles infidèles marque un moment essentiel dans la prise de conscience par les français des pouvoirs de leur prose » 11. En suivant la logique de l’analyse conduite par Roger Zuber, on s’aperçoit que ce sont avant tout les passages dans lesquels les traducteurs s’éloignent délibérément du texte source qui retiennent l’attention du critique et fournissent les exemples qui nourrissent la réflexion littéraire. La formule qui s’applique devient dès lors « belles, parce qu’infidèles ». Le commentaire s’attache à des éléments saillants dans la traduction qui répondent à des éléments saillants repérés depuis longtemps dans la prose du XVIIe siècle. Or, il se trouve que la première version française des Métamorphoses est marquée par l’extrême liberté dont dispose son auteur en matière de norme linguistique. Il en résulte une relative absence des points de repères qui orientent habituellement le commentaire critique : l’entrée du texte dans le corpus jugé d’intérêt littéraire nécessite une grille d’analyse distincte de celles 9 10 11 Georges Mounin, Les Problèmes théoriques de la traduction, p. 191. Jane Elisabeth Wilhelm, « Ecrire entre les langues : traduction et genre chez Nancy Huston », Palimpsestes [En ligne], 22 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 01 avril 2013. URL : http://palimpsestes.revues.org/207, p. 1. Roger Zuber, Les « belles infidèles » et la formation du goût classique, Paris, Albin Michel, 1995, p. 415. 338 « OVIDE VEUT PARLER » appliquées habituellement. La manière retenue par Marot pour ses traductions relève d’une formule pour laquelle la réflexion littéraire se trouve moins bien outillée : « belles, parce qu’aussi peu infidèles que possible. » Le commentaire continue certes à repérer des marques dont il peut postuler l’existence a priori : pour Marot, une part importante des interrogations a pu se baser sur la question de la maîtrise du latin, partant des préjugés dérivant de la formule Marotus latine nescivit, préjugés relayés très tôt par Barthélemy Aneau, mais repris au XXe siècle encore par Ghislaine Amielle, pour établir progressivement le caractère érudit qui caractérise la traduction du Premier Livre (Moisan, Malenfant, Maréchaux). Tant que la traductologie demeure incapable de définir le processus cognitif à l’origine de la traduction, le commentaire critique se trouve confronté à la difficulté qui consiste à mesurer un écart par rapport à un étalon indéfinissable. L’observation ne peut cependant pas se contenter des saillances repérées par la traductologie qui se focalise de préférence sur les obstacles à la parfaite transparence de la traduction. L’étude systématique de la technique du traducteur conduit à établir un standard, qui, s’il n’est pas LE standard recherché par la définition du processus cognitif à l’origine de la traduction, représente tout de même un point de repère fondamental, permettant de caractériser la manière propre de Marot. L’objet à discuter n’est pas postulé uniquement sur la base des saillances que le commentaire critique sait habituellement reconnaître, mais sur la base du contraste entre des processus dont les fréquences relatives permettent non seulement d’explorer toutes les nuances de la version retenue, mais surtout de commencer à expliquer les formes réalisées et sélectionnées. Les termes de la négociation marotique pertinents pour l’explication du Premier Livre peuvent être identifiés avec certitude. La dimension littéraire qui peut être observée prend dès lors une orientation nouvelle. Ce ne sont plus simplement les formes habituellement saillantes ou les jugements métatextuels qui sont au cœur de l’analyse, mais le travail fondamental sur la langue, parfois même indépendamment de son impact sur d’autres réalisations contemporaines ou postérieures. Marot forge une version qui doit répondre simultanément à de multiples impératifs, sans pouvoir s’appuyer sur une littérature riche de succès égalant la réputation des grands textes antiques. CONCLUSION 339 Mesuré systématiquement, le Premier Livre révèle une construction souple dans laquelle un faisceau d’indices convergents dessine une logique dans la négociation du traducteur. Celle-ci se manifeste avant tout dans l’omniprésente conscience formelle qui identifie et arbitre en permanence les enjeux de la version à donner. Ce qui semble décisif pour l’intégration de la traduction dans le champ littéraire, c’est, plus opérationnellement, la possibilité de détacher l’exercice de la vision qui, en dernière analyse, continue de le réduire à un mécanisme à la fois inexplicable et absolu. Il est temps d’appréhender l’exercice comme un espace constitué avant tout par les choix du traducteur dans un cadre dont le fonctionnement cognitif peut recevoir un début de description systématique. L’échec annoncé de la traduction en tant que restitution de l’original devient une proposition textuelle susceptible d’être évaluée en tant que telle, sur la base de critères ne visant pas en priorité la question de l’équivalence. ANNEXE MS. DOUCE 117 La présente édition a été réalisée avec l’aide et sous la supervision de Mme Simone de Reyff, Professeur de l’Université de Fribourg, dont les avis et suggestions ont été déterminants tant pour la révision du texte que pour les commentaires. DESCRIPTION DU MANUSCRIT Le volume contient la dédicace à François Ier, ainsi que la traduction du Livre I des Métamorphoses par Clément Marot : il est conservé dans la collection Douce de la Bodleian Library. Deuxième de couverture Une notice imprimée donne la description du volume : Le Premier Livre des Transformations d’Ovide, MS. on vellum, with 12 beautifully illuminated Miniatures the size of the page, dedicated to Francis I. by Clement Marot, being the presentation copy to Francis, and in the original binding, morocco, 4to. Sur la deuxième de couverture, on trouve également : – un timbre portant la mention : S.C. 21691 – une mention manuscrite à l’encre « Douce ms. 117 », probablement ajoutée au moment de l’acquisition – un ex-libris « Francis Douce » avec blason, éventuellement original (avis de la bibliothécaire en charge des collections avant 1800, Eva Oldeska) – une mention à la main à la mine de plomb « Map catalogued / f6 » : l’intégration de ce ms. au répertoire des 342 « OVIDE VEUT PARLER » cartes géographiques s’explique par la miniature de la page 6v° représentant la carte des vents Le timbre S.C. 21691 renvoie à : F. MADAN Summary Catalogue of Western MSS in the Bodleian Library 19th century collections to 1850 part II NOS 18454 – 24330 L’article consacré au ms. Douce 117 indique : 21691 In French, on parchment : written in the first half of the 16th cent. In France : 9 ¼ X 6 1/8 in., iii + 48 leaves ; illuminated ; binding, gold ornament on brown leather, contemporary French work, rather worn. At end : – « Fin du premiere livre des Transformations Dovide », a translation into French verse of the first book des Metamorphoses : by Clément Marot (d. 1544), whose dedicatory epistle to Francis I is prefixed. This is no doubt the presentation copy to the king, and contains twelve large miniatures illustrating the poem. Now MS. Douce 117. Format Reliure Hauteur : 232 mm. Largeur : 152 mm. Pages Hauteur : 222 mm. Largeur : 150 mm. Le volume compte 104 pages. Les trois premières feuilles, ainsi que les trois dernières feuilles semblent d’une matière différente MS. DOUCE 117 343 (papier – vérification faite à la lampe à UV par Eva Oldezka) du parchemin (velin) qui constitue l’essentiel du volume. Les pages illustrées sont protégées par une feuille de papier fin, probablement ajoutées au moment de la reliure (Eva Oldezka). La différence de matériel entre le parchemin et le papier ne conduit pas forcément à remettre en cause le caractère original de la couverture (Eva Oldezka). La numérotation suit la logique i, ii, iii pour les trois premiers feuillets, puis 1 à 48 pour les feuillets suivants. Il faut remarquer toutefois qu’un feuillet n’est pas numéroté entre 47 et 48 ; il appartient à la série des feuilles en papier. Cette numérotation, apparemment à la mine de plomb et non à l’encre, a été ajoutée par un conservateur (hypothèse confirmée par Eva Oldezka). La numérotation n’apparaît en principe pas sur les pages contenant des illustrations, à l’exception du feuillet 10r°. On note encore une inscription à la mine de plomb sur le v° de la première page de garde, en haut à gauche : 25 January (leçon conjecturale). A la même hauteur, sur la droite : 10297. En comparant le tracé des chiffres, on s’avise que la main qui a rédigé cette inscription n’est manifestement pas celle qui a paginé le texte. 92 pages sur parchemin (velin) constituent le manuscrit à proprement parler. Il est difficile de dire, sans endommager le volume, s’il s’agit de 13 cahiers in quarto. Les feuillets 1 à 45 sont tous occupés par du texte ou des illustrations. Les feuillets 45v°, 46r° et 46r° sont blancs, mais déjà réglés. Ce réglage couvre une surface de 105 sur 168 mm. Chaque page porte 24 lignes distantes de 7 mm. Ce nombre demeure constant pour les vers et pour la prose. Langue et écriture La qualité d’ensemble de la réalisation désigne un copiste soigneux et compétent. On relève très peu de fautes. L’ensemble de la composition est très élaboré. L’écriture se caractérise par des /a/ à simple ove, ainsi que par des /b/, des /h/ et des /l/ dépourvus de boucle. Il s’agit d’une gothique litera hybrida selon la classification de LieftinckGumbert-Derolez. 344 « OVIDE VEUT PARLER » La ponctuation est relativement rare : les points sont loin d’être systématiques ; on relève un seul point d’interrogation et l’absence totale de virgule ; les parenthèses marquant une incise apparaissent de façon régulière. On remarque cependant une structuration importante du texte au moyen d’éléments alternatifs à la ponctuation : – barres obliques rythmant le texte ; voire doubles barres dans la dédicace en prose – pieds de mouche – lettrines Ces éléments sont reproduits systématiquement par l’édition. Au point de vue du soin apporté à l’écriture, on peut relever : – alternance du bleu et du rouge pour les lettrines et les pieds de mouche – coloration des sous-titres avec également dominantes de bleu et de rouge – présence d’une hiérarchie dans l’ornementation, les lettrines associées à une illustration étant les plus ornées Plusieurs vers ajoutés en marge ou au bas de la page suggèrent un travail étroitement contrôlé. En revanche, il n’y a pas de ratures. ILLUSTRATIONS Le manuscrit est orné de 12 illustrations. L’édition se contente des les énumérer, car elles sont disponibles en ligne sur la base de donnée LUNA de la Bodleian Library (critères de recherche : Luna, Bodleian, ms. Douce 117). Richard Cooper 1 a donné un commentaire des illustrations. 1. Chaos transformé en quatre elementz. (mention sur la page qui précède) 3v° < inscription « chaos », pas de vers associé> 1 Richard Cooper, « Marot et Ovide : un nouveau manuscrit à peinture du premier livre des Métamorphoses traduit par Marot », Actes Cahors, 306-321. MS. DOUCE 117 345 2. Le Ciel et la terre divisez par cinq Zones. (mention sur la page qui précède) 6r° < roue des vents, trois vers associés> 3. Les Regions : des quatre Ventz. (mention sur la page qui précède) 7v° <terre avec allégories des quatre vents, trois vers associés> 4. L’origine de l’Homme & comment Prometheus le feit de terre. (mention sur la page qui précède) 9r° <Prometheus en homme fait de terre, trois vers associés> 5. Description des quatre eages. (mention sur la page illustrée) 10r° <Description des quatre eages = titre de la vignette – quadrant avec les quatre âges, aucun vers, mais titre de la vignette> 6. Le sang des geans transformé en hommes cruelz. Et Licaon en loup. (mention sur la page qui précède) 13 v° <Lycaon transformé en loup, trois vers associés> 7. Description de la venue et de la retraicte du deluge et comment les pierres furent transformées en corps humains. (mention sur la page qui précède) 18 r° <Deucalion et Pirrha, trois vers associés> 8. La terre en diverses figures d’animaulx Et le serpent Phiton occis. (mention sur la page qui précède) 26 r° <Apollon tuant Phyton, trois vers associés> 9. L’amour de Phebus envers la belle Daphné laquelle devint laurier. Avecques description des sagettes de Cupido. (mention sur la page qui précède) 28 v° <Daphne en train de se transformer en laurier, trois vers associés> 10. Comment Jupiter transmua la Nymphe Yo en une vache blanche laquelle Juno bailla en garde a Argus qui avoit cent yeulx. (mention sur la page qui précède) 34r° <Jupiter et Io, trois vers associés> 346 « OVIDE VEUT PARLER » 11. De Mercure : envoyé sur terre pour endormir et tuer Argus et comment Juno unist les yeulx d’iceluy Argus en la queue d’ung paon Avec la fable de la Nymphe siringue. (mention sur la page qui précède) 39r° <Mercure, Junon, Argus, trois vers associés> 12. Comment Yo vache reprint sa premiere forme de nymphe et fut deesse. Et comment Epaphus filz de Jupiter et d’elle injuria Phaeton filz du soleil et de la Nymphe Clymene. (mention sur la page qui précède) 42r° <Yo vache, femme et nymphe/Phaeton et Epaphus, quatre vers associés> PRINCIPES D’ÉDITION La transcription du texte obéit aux principes suivants : – Maintien de la ponctuation d’origine, y compris / et // – Cette ponctuation n’est toutefois pas systématique. Le copiste a tendance à l’omettre en fin de vers, à la césure, ou devant une majuscule. Pour faciliter la lecture du texte, une ponctuation est proposée entre [ ], qui tient compte à la fois des usages du copiste et des solutions adoptées dans l’édition originale. Nous suppléons au point manquant devant une majuscule ouvrant une nouvelle phrase. Nous maintenons les points utilisés par le copiste, sauf lorsque la ponctuation trahit manifestement le sens du texte. – Maintien des majuscules, même lorsqu’elles ne répondent pas aux pratiques actuelles – Ajout de majuscules à tous les noms propres – Distinction, conformément à l’usage, de i/j et u/v – Accentuation uniformisée des monosyllabes à, là, près etc. ainsi que régularisation de l’accent aigu en position finale, -é, -ée – Résolution de l’éperluette – Régularisation de l’usage de l’apostrophe ; l’on pour lon, d’Argus pour Dargus, etc. – Les adjonctions ou modifications de l’éditeur figurent toujours entre [ ] MS. DOUCE 117 347 Lorsque l’établissement du texte a nécessité la consultation d’une version publiée, référence a été faite au texte du Premier Livre présenté dans les Oeuvres Complètes éditées par Gérard Defaux. Celui-ci reproduit l’édition Dolet de 1543 qu’il considère comme « la version définitive de cette traduction ». (Marot, TII, p. 1189). L’analyse raisonnée de la tradition éditoriale des œuvres de Clément Marot proposée par Defaux est en tout point convaincante. Le recours à son édition critique se présentait par conséquent comme une solution pratique et pertinente. A l’usage, nous avons cependant constaté que certaines hypothèse ne pouvaient être que partiellement vérifiées sur la base de l’édition Defaux. La situation est acceptable dans la mesure où il s’agit ici avant tout de mettre au net le texte du ms. Douce 117 en vue d’illustrer la thèse défendue au sujet du travail de Marot traducteur. Nous proposons en note une clarification lexicale lorsque la leçon du ms. diffère du texte édité par Defaux, ou lorsque ce dernier n’inclut pas dans son glossaire un terme qui appelle explication. RENDU DES CARACTÉRISTIQUES FORMELLES DU MANUSCRIT La pagination figurant sur l’original est indiquée dans la marge de gauche. Dans les parties en prose, les fins de page sont marquées par ||. Les pieds de mouche sont marqués en couleur avec précision de la couleur par ¶ (= pied de mouche sur fond bleu) ou ¶ (= pied de mouche sur fond rouge). Les lettrines sont indiquées par une capitale en gras. Leur reproduction accessible par la base de données Luna permet de se faire une idée relativement précise des motifs utilisés. La présente liste indique l’alternance des couleurs. 3r° Mes : lettrine de couleur bleu-gris sur fond doré. 348 « OVIDE VEUT PARLER » 4r° Avant : lettrine de couleur bleu-gris sur fond doré avec motif de fleurs et de feuilles. 4v° Ainsi : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif abstrait rappelant des branches ou des flammes. 5r° En tel façon : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif abstrait rappelant des branches ou des flammes. 6r° Et tout ainsi : lettrine de couleur bleu-gris sur fond doré. 7v° L’ung : lettrine de couleur gris-blanc sur fond dorée avec motif de fleurs. 9r° La trop : lettrine de couleur gris-blanc sur fond doré avec motif de fleurs. 10v° L’eage : lettrine de couleur gris-blanc sur fond doré avec motif de fleurs. 11r° Le beau : lettrine de couleur dorée sur fond bleu. 11v° Puis : lettrine de couleur dorée sur fond rouge. 12r° Apres : lettrine de couleur dorée sur fond bleu. Le : lettrine de couleur dorée sur fond rouge. 13v° Aussi : lettrine de couleur blanc-gris sur fond doré avec motif abstrait rappelant des branches ou des flammes. MS. DOUCE 117 349 14v° Or : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif de fleurs. 15r° Je : lettre de couleur dorée sur fond rouge avec motif abstrait rappelant des branches ou des flammes. 16r° Ainsy : lettrine de couleur dorée sur fond bleu. 16v° Les : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif abstrait rappelant des branches ou des flammes. 17v° Alors : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif abstrait rappelant des branches ou des flammes. 18r° Or : lettrine de couleur gris-blanc sur fond doré avec motif de fleurs. 21r° Or : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif de fleurs. 23r° O Chere espouse : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif de fleurs. 25r° Lors : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif de fleurs. 27r° Doncques : lettrine de couleur gris-bleu sur fond doré avec motif de leurs. 350 « OVIDE VEUT PARLER » 28v° Amour : lettrine de couleur gris-blanc sur fond doré avec motif de fleur. 31r° Je te pry : lettrine de couleur dorée sur fond bleu. 34r° En Thessalie : lettrine de couleur gris-blanc sur fond doré avec motif de fleurs. 39r° Lors : lettrine de couleur gris-blanc sur fond doré avec motif de fleurs. 40r° Lors : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif de fleurs. 41r° Ainsi : lettrine de couleur dorée sur fond bleu avec motif abstrait rappelant des branches ou des flammes. 42r° Soudain : lettrine de couleur bleu-gris très clair sur fond dorée avec motif de fleurs. 43r° Or : lettrine de couleur dorée sur fond rouge avec motif de fleurs. MS. DOUCE 117 351 1r° ¶ Au tresillustre et treschrestien roy de France Françoys premier de ce nom. Clement Marot De Cahors en Quercy treshumble salut en deue obeissance Long temps avant que vostre liberalité royalle m’eust faict successeur de l’estat de mon pere. Le mien plus affecté et non petit desir / Avoit tousjours esté Sire / de pouvoir faire œuvre en mon petit labeur poetique qui tant vous agreast / que par là je peusse devenir au fort 2 le nombre de voz domestiques. Et pour ce faire mis en avant (comme pour mon roy) le tout ce que je peu / Et tant importunay les muses /qu’elles en fin offrirent à ma plume rudellecte inventions nouvelles et antiques luy donnant le choys / Ou d’escrire œuvre recente et non encores veue / ou de tourner en nostre langue aucune chose de la latine. ¶ Lors je consideray que à prince de hault esperit haultes choses affierent / Et tant je me fiay en mes propres inventions / que pour vous trop basses ne les sentisse. Parquoy les laissant reposer jectay l’œil sur les livres latins 1v° dont la gravité des sentences / et le plaisir de la lecture || (si peu que je y comprens) m’ont espris mes esperitz / mené ma main / et admusé 3 ma muse. Que dis je amusée. Mais incitée à renouveller pour vous en faire offre / l’une des plus latines antiquités / et des plus // antiques latinitez. Entre lesquelles celle de la metamorphose d’Ovide / me sembla la plus belle. Tant pour la grand doulceur du stille / que pour le grant nombre des propos tumbans de l’ung en l’autre / par liaisons si artificielles / qu’il semble que tout ne soit que ung. et toutesfois ayseement [(] et peult estre point) ne se trouvera livre qui tant de diverses choses racompte. ¶ Parquoy sire : Si la nature en la diversité se resjouyt / là ne se devra elle melencollier. ¶ Pour ces raisons et aultres mainctes deliberay mectre main à la besongne / et de tout mon pouvoir suyvre et contrefaire la veine du noble poete Ovyde / pour mieulx faire entendre à ceulx et celles qui n’ont la langue latine / de quelle sorte il escripvoit / et quelle difference peult estre entre les anciens et 2r° || les modernes.¶ Oultreplus / tel list en mainct passaige les noms de Apollo / et Daphné : Pyramus et Thysbée et d’aultres 2 3 Au fort au sens de « en fin de compte ». Admuser au sens de « occuper, capter l’intérêt de quelqu’un » (DMF). 352 « OVIDE VEUT PARLER » / Qui a l’histoire aussi loing de l’esperit que les noms //près de la bouche. Ce que pas ainsi ne iroit Si en facille vulgaire estoit mise ceste belle metamorphose. Laquelle pour autres causes trop longues à descrire ne seroit petite decoration à nostre langue. Veu mesment que l’[arrogance] a Grecque / a bien daigné la traduire en la sienne. Or est ainsi que metamorphose est une diction grecque / vulgairement signiffiant transformation / Et a volu Ovyde ainsi intituler son livre contenant quinze volumes / pource que en Iceluy il transforme les ungs en arbres / les autres en pierres / les autres en bestes / et les autres en autres formes. Et pour ceste mesme cause je me suis pensé trop entreprendre de vouloir // transmuer celuy qui les aultres transmue. Et après j’ay contrepensé que double louenge peult venir de transmuer ung transmueur. Comme d’assaillir ung assailleur : Ou de chocquer ung bon choqueur 4. Mais pour rendre l’œuvre presentable à tante majesté fauldroit premierement || que vostre plusque humaine puissance transmuast la muse de Marot en celle de 2v° Maro. Toutesfoys telle qu’elle est (soubz la confiance du vostre accoustumé bon recueil) Elle par maniere d’essay traduyt et parachevé de ces quinze livres le premier. Dont au chasteau d’Amboyse vous en pleust ouyr quelque commencement. Si l’eschantillon vous plaist par temps aurez la piece entiere : ---------------¶ Car la plume du petit ouvrier / ne -------------------------desire voller / sinon là où le vent de vostre royalle bouche le voul dra poulser Et à tant me tairay. Ovide veut parler : ~ a lanugace 4 Choqueur n’est pas attesté dans le DMF au sens dérivé de choquer, « heurter, assaillir ». Peut-être une création lexicale appelée par le jeu des dérivations en série. 353 MS. DOUCE 117 3ro ¶ Intention d’Ovide. Et sa priere envers les Dieux. 1 Mes volentez sont toutes animées ----De dire au long les formes transformées 3 En nouveaulx corps O dieu qui tout scavez Puis qu’en ce point changées les avez --------Favorisez à mon commencement -------------6 Et deduysez continuellement ----------------Les miens propoz depuys le premier naistre Du monde rond jusque au temps de mon estre. ¶ Chaos transformé En quatre elementz : ~ 3vo Illustr. 1 4vo 9 Avant la mer Avant la terre et l’œuvre Du ciel treshault qui toutes choses cœuvre Il y avoit / en tout le monde enorme 12 Tant seulement / de nature une forme Dicte Chaos. une chose amassée Une grandeur rudde et mal entassée. 15 Brief ce n’estoit fors ung poix immobile Sans aucun art de soy tout inutile Et la semence aux choses mal conjoinctes 18 Avec discord en ce poix mesmes joinctes. ¶ Aucun soleil encores au bas monde N’eslargissoit lumiere pure et munde. 21 La lune aussi par nuictz tristes et mornes En son croissant les deux nouvelles cornes Ne reparoit 5 [. L]a terre compassée a 24 En l’air espars ne pendoit ballancée a Nous supprimons le point. 5 Réparer au sens de « orner, fréquenter » (DMF). 354 « OVIDE VEUT PARLER » 27 30 4ro 33 36 39 42 45 48 51 54 5ro Soubz son droit poix la grand fille des eaux Amphitrite / ses liquides ruisseaulx Et bras de mer / n’estendoit pas encores a Aux longues fins de la terre ainsi que ores. Et quelque part où fut terre fichée Là estoit l’air / et la mer atachée. Ainsi estoit toute la terre instable L’air sans clarté / la mer non navigable Chose qui fust de forme ne usoit 6 Et oultre plus l’ung aux autres nuysoit / Car froit au chault menoit guerre et rumeur Tout en ung corps / et le sec à l’humeur. Avec le dur le mol se combactoit Et le pesant au legier debatoit ¶ Mais dieu avec / la meilleure nature D’icelle noyse appaisa la poincture : Car terre adonc du ciel desempara 7. De terre aussi / les eaux il separa Et mist à part (pour mieulx faire leur paix) Le ciel tout pur / d’avecques l’air espais. ¶ Tout lequel cas / quant il l’eut desmeslé Et rué hors / du lourd monceau meslé Il va lyer / en concorde paisible. Chascun apart / en sa place duysible. ¶ Du ciel couché la force du feu clere Sans aucun poix / eut splendeur qui esclere Et print son siege / au degré treshaultain. Quant est de l’air / il a son lieu certain Prochain du feu / et de legier moment 8 Ressemble a luy / trop plus que autre element. ¶ En espesseur la terre les surpasse a Nous supprimons le point. 6 Vers hypométrique ; l’hypothèse « ne usoit » trisyllabique n’est pas tenable, en raison notamment de la rime équivoque. Desemparer au sens de « retirer, séparer » (DMF). Moment au sens de « mouvement » (DMF). 7 8 355 MS. DOUCE 117 Et si tira/ la matiere plus crasse 57 Des elemens / dont la force pesante De soy la presse / et touchant l’eaue fluante Aux derniers lieux / fist son profond amas 60 Et tint liez les terrestres climatz. En tel façon (quiconques ayt esté Celuy des dieux) la sienne majesté 63 Couppa la masse / ainsi bien disposée Et la reduyt en membres composée. 5vo ¶ Premierement / la terre il fit au moule 66 Forme et façon d’une tresgrande boule A celle fin qu’en son poix juste et droit Egalle fut / par un chascun endroit. 69 Puis çà et là les grandz mers espandit Et par grandz ventz enflées les rendit Leur commandant / d’environner par unde 72 Le grand entour / de toute terre ronde. Parmy laquelle adjousta grandz estangs Gros lacz profondz et fontaines sortans 75 Et puis seignit / de rivaiges oblicques Les fleuves grandz coulans et aquatiques Qui d’une part / en la terre se boyvent. 78 Autres plusieurs en la mer se reçoyvent. Et là receuz les grandz havres et ports Battent en lieu / de rivages et bortz. 81 ¶ Les champs voulut estendre et descouvrir Boys et forestz / de feuilles se couvrir. Ung chascun val en pendant se baisser 84 Faisant en hault les montaignes dressée. ¶ Le Ciel et La terre Divisez par cinq Zones. 356 « OVIDE VEUT PARLER » 6ro Illustr. 2 87 o 6v 90 93 96 Et tout ainsi / que les cercles et zones Sont divisans les hautains cieulx et trones Deux à la dextre / et sur senestre deux Dont le cinquiesme est le plus ardant d’eulx Par tel façon / et [en] a semblable nombre Dieu distingua / terre pesante et sombre. Et qu’ainsi soit en ses proportions Tient et occupe autant de regions Dont la moyenne habiter on ne peult Par l’ardant chault qui en celle se meult. Deux de ceulx là / cœuvre la haulte neige Et entre l’une et l’autre il mist le siege De deux encor que luy qui tout ouvroit Admodera par chault meslé de froid. 99 ¶ Sur tout cela / le gros air apparoist Lequel d’autant comme plus legier est b Que terre et l’eau d’autant il est pesant 102 Plus que le feu / tant subtil et luysant 105 108 7ro 111 114 a b c ¶ En celuy air / les nues et nuées Voulut ensemble estre constituées. Tonnerre aussi / et tempestes soudaines Troublans acoup / les pensées humaines Semblablement / les impetueux ventz Faisans la fouldre et le froid esmouvans. ¶ A iceulx ventz / dieu n’a permis d’aller c Confusement par la voye de l’air Et non obstant que chascun d’eulx exerce Ses soufflemens / en region diverse. Encore à peine on peult (quant s’esvertuent Y resister) qu’ilz ne rompent et ruent Ajouté pour respecter le nombre de syllabes. Nous supprimons le point. Nous supprimons le point. 357 MS. DOUCE 117 Le monde jus /par bouffemens austeres 9. Tant est discorde entre ces quatre freres. ¶ Les Regions : des quatre Ventz. 7vo Illustr. 3 8ro 117 L’ung c’est Eurus qui en orient perce Les regnes haulx de Nabate et de Perse Fait son cours là où les montz s’eslievent 10 120 Subgectz aux rais / qui au matin se lievent ¶ Les tiedes eaux / où l’occident aspire Et le doulx Vespre aprochent de Zephire. 123 ¶ Puis Boreas /envahit la partie Septemptrione / en singlant vers Scitye. ¶ Et au contraire Auster vent estourdy 126 Mouille la terre / estant sur le mydi : D’autant qu’il est / à la pluye subgect Par les vapeurs / qui la font leur obgect. 129 ¶ Parsus cela l’ouvrier celestiel. Mis et crea l’air liquide du ciel Sans pesanteur et qui ne tient en rien 132 De l’espesseur et brouas terrien. ¶ A peine ainsy eut en certains limites 11 Lors discerné / choses grans et petites 135 Que par le ciel pour les nuictz rendre nectes Vont commancer à luyre les planectes Qui de tout temps / [pressées] a et tachées 12. a pressés 9 Austere au sens de « impitoyable ». Vers hypométrique. Le DMF ne mentionne pas la possibilité de limite au masculin, mais celle-ci est attestée. Voir Marguerite de Navarre, Les Prisons II, v. 135. Au sens spécial de « pourvu de telle ou telle qualité ». Le terme forme avec « pressées » une gémination qui correspond au pressa de l’original (v. 70). 10 11 12 358 « OVIDE VEUT PARLER » 138 Soubz celle masse avoyent esté cachées. ¶ Aussi affin que Region aucune Vuyde ne fust d’animaulx : à chascune 141 Propres et duytz les estoilles et signes a Et des haultz dieux les formes tresinsignes Tindrent le ciel[,] [aux] b habitables eaux 144 Furent en part poissons fraiz nectz et beaulx La terre après / print les bestes sauvaiges Et l’air agile / oiseaulx de tous plumaiges. 8vo ¶ L’origine de l’homme Et comment Prometheus le fit de terre. 9ro Illustr. 4 9vo a b 13 147 La trop plus saincte et noble creature Capable plus de hault sens par nature Et qui sur tout / pouvoit avoir puissance 150 Restoit encor / Or print l’homme naissance[.] Ou 13 l’ouvrier grant / de tous biens origine Le composa /de semence divine/ 153 Ou terre adonc / nouvelle et separée Tout freschement de la part etherée Avoit retins semence supernelle 156 Du ciel qui print sa facture avec elle Laquelle après Prometheus mesla En eau de fleuve / et puis formée l’a Nous supprimons le point. les L’édition Defaux donne où. La consultation d’Ovide montre qu’il s’agit bien de la conjonction de coordination qui fait paire avec celle du vers 153, et rend ainsi le latin « siue … siue ». Le texte source indique clairement qu’il existe deux hypothèses sur l’origine de l’homme : soit provenance directe du créateur, soit réutilisation par Prométhée de la terre imbibée de ciel. 359 MS. DOUCE 117 159 Au propre ymaige / et semblable effigie Des cieulx /par qui / toute chose est regie ¶ Et neautmoins 14 que tout autre animal 162 Aye tousjours son regard principal Contre la terre / A l’homme dieu donna La face haulte / et si luy ordonna 165 De veoir le ciel / Et ses yeux clervoyans Eslever droit aux estoilles raians. ¶ La terre ainsi / qui sans ymage née 168 Fut / et sans art de rien en bien tournée Print des humains les figures [venues] a Auparavant à elle non [congnues.] b ¶ Les quatre eages. 10ro Illustr. 5 10vo ¶ Description des quatre eages. ¶ L’eage doré. 171 L’eage doré sur tous resplendissant. Fut le premier au monde florissant Auquel chacun sans correcteur ne loy 174 De son bon gré /gardoit justice et foy. ¶ En peine et peur aucun ne souloit vivre Loix menassans ne se gravoyent en cuyvre 177 Fiché en murs. Povres gens sans reffuge Ne redoubtoyent la face de leur juge Mais en seurté se sçavoyent accointer 180 Sans qu’il faillut juge à les appointer. ¶ L’arbre du pin charpenté et fendu N’estoit encor / des haultz montz descendu 183 Sur les grandz eaux en forme de gallée a b 14 venuees cognuues Neautmoins : la forme est attestée (DMF). 360 « OVIDE VEUT PARLER » 186 189 11ro 192 195 198 201 204 207 210 213 216 a b leur plains grains Pour en pays estrange faire allée. ¶ Hommes mortelz ne congnoissoient à l’heure Fors seulement le lieu de leur demeure. ¶ Fossez profondz ou murs de grans effors N’envyronnoyent encor villes et fors. Trompes / cleron d’arain droit ou tortu L’armet / la lance et le glaive poinctu N’estoit pour lors. Sans usaige et alarmes De chevalliers / de pietons ou gensdarmes. Les gens alors seurement en tous cas Accomplissoient / [leurs] a plaisirs delicatz. ¶ La terre aussi / non froissée et ferue Par homme aucun / du soc de la charrue Sans qu’on y eust / ou semé ou planté Donnoit de soy tous biens à grand planté. Et les vivans / contens de la pasture Produicte alors / sans labeur ou culture Cuilloyent les fruictz de sauvaiges pommiers Fraises aux montz / les cormes aux cormiers Pareillement / les meures qui sont joinctes Contre buissons / plains d’espines et poinctes Avec le gland / qui leur tomboit à gré Du large chesne / à Jupiter sacré. Le beau printemps / chacun jour florissoit Et Zephyrus / le bon vent nourrissoit Par doulx souspirs / et alaines bien duyctes Les belles fleurs sans semence produictes ¶ Terre portoit / les fruictz / tost et à point Sans cultiver : le champ sans estre point Renouvellé / par tout devenoit blanc Quant les espiz / plains [de] b grain bel et franc Estoyent sechez. Fleuves de laict coulloyent Fleuves divins / jà sur la terre alloyent. 361 MS. DOUCE 117 11vo ¶ Et le doulx miel / dont lors chascun goustoit Du chesne verd / tout jaulne degoutoit. ¶ L’eage d’argent. 219 Puis quant Saturne hors du beau regne mis Fut au profond / de tenebres transmys Soubz Jupiter / estoit l’humaine gent. 222 Et en ce temps / survint l’eage d’argent Qui est plus bas / que l’or tressouverain. Aussi plus hault / et riche que l’arain. 225 ¶ Ce Jupiter / abaissa la vertu Du beau printemps / qui tousjours avoit eu Son cours entier. Et soubz luy fut l’année 228 En quatre pars reduicte et ordonnée En froid yver / et en esté qui tonne En cort primptemps et inegal autumne. 231 ¶ Adoncques l’air / brulé de seiche ardeur. Eut en esté blanche et clere splendeur Puis en maintz lieux pendit la glace froide 234 Que vent d’iver / rendit estraincte et roide. Lors on entra / pour chaulx et froidz yvernes Dessoubz maisons / Maisons furent cavernes. 237 Arbres espais / fresche ramée à force 15 Et verdzs oziers / joincts avecques escorce. ¶ Puis de Ceres / les graines secourables 240 Des longs seillons / de terres labourables Couvertes sont / et furent beufs puissans Pressez du joug au labeur mugissans. 12ro ¶ L’eage d’arain. 243 Après cestuy troiziesme succeda L’eage d’arain / qui les deux exceda 15 A force au sens de « avec effort ». 362 « OVIDE VEUT PARLER » D’engin mauvais / et plus audacieux 246 Aux armes fut. Non pourtant vicieux. ¶ L’eage de fer 249 252 255 12vo 258 261 264 267 270 273 16 Le dernier est de fer dur et roillé. Où tout soubdain chascun vice broillé Se vint fourrer comme en l’eage total 16 Accomparé / au plus meschant metal. Honneste honte / et verité certaine Avecques soy /prindrent fuycte loingtaine Au lieu desquelz / entrerent flaterie Deception / trahison / menterie Et folle amour / desir et violence D’acquerir biens / et mondaine opulence, ¶ Telle avarice adonc le plus souvent Pour acquerir mectoit voilles au vent. Lors malcongnu du nautonnier et maistre Et maincte nef dont le boys souloit estre Planté debout / sur montaignes cornues Nageoit / saultoit / par vagues incongnues. La terre aussi devant à tous commune Comme clarté de soleil / air et lune Fut divisée en bornes et partiz Par mesureurs / fins caults et deceptifs. ¶ Ne seulement terrestres creatures Chercherent bledz et autres nourritures Mais jusqu’au fons des entrailles allerent De terre basse où prindrent et fouillerent Tous les tresors /et opulences vaines Qu’elle cachoit en ses profondes veines Comme metal / et pierres de valeurs Incitement à tous maulx et malheurs. ¶ Jà hors de terre estoit le fer nuysant Total au sens de « définitif, qui ne laisse place à rien d’autre ». 363 MS. DOUCE 117 276 Avecque l’or trop plus que fer cuysant Lors guerre sort qui par ces deux metaulx Combat et faict alarmes cruentaulx 17 279 Et casse et rompt de main sanguinolente Armes clicquants / soubz force violente. ¶ On vit desjà / de ce qu’on emble et oste 282 Chez l’hostellier n’est point asseuré l’hoste Ne le beau pere avecques le sien gendre. Petite amour / entre freres s’engendre 285 Le mari s’offre / à la mort de sa femme Femme au mary fait semblable diffame D’ung faulx voloir / les marastres terribles 288 Meslent venins / noirs / mortelz et horribles Le filz afin / qu’en biens mondains prospere Souhaicte mort (avant ses jours) son pere. 291 ¶ Dame pitié / gist vaincue et [oultrée] a Justice aussi / la noble vierge Astrée Seule et derniere / après tous dieux sublimes 294 Terre laissa / taincte de sang et crymes. 13ro ¶ Le sang des geans transformé en hommes cruelz. Et Licaon en loup. 13vo Illustr. 6 14ro Aussi affin que le ciel etheré Ne fust (de soy) plus que terre asseuré 297 Les fiers geans comme on dit affecterent Regner aux cieulx / et contremont dresserent (Pour y monter) mainte montaigne myse 300 L’une sur l’autre / Adoncques par transmise Fouldre du ciel / l’omnipotent facteur Du mont Olympe abatit la chaleur 303 Et desbrisa / en ruyne fort grosse a outré 17 Cruentaulx, forme plurielle d’un présupposé *cruental, est un dérivé (propre à Marot ?) du verbe cruenter, « ensanglanter » (DMF). 364 « OVIDE VEUT PARLER » 306 309 312 315 318 321 14vo 324 Pelion mont / assiz sur celuy de Osse. ¶ Quant pour son poix ces corps faulx et cruelz Furent gisans / desrompuz et tuez / La terre fut / moillée en façon telle De moult de sang des geans enfans d’elle Que comme on dit trempée s’enyvra Puis en ce sang / tout chault / ame livra Et pour garder enseigne de la race En fit [des] a corps / portans humaine face. Mais ceste gent / fut aspre 18 et despiteuse 19 Blasmant les dieux / de meurdres convoyteuse Si qu’à la voir / bien l’eusses devinée Du cruel sang de geans / estre née. ¶ Cecy voyant des haulx cieulx Jupiter Crye / gemyt / se prent à despiter. Et en comptant (comme un cryme allegué) Le nouveau fait / non encore divulgué Des bancquet plains / [de horeur] b [espoventable Que Licaon preparoit à sa table. Dedans son cueur ire va concepvoir Et son concile appelle haultement Dont les mandez vindrent subitement. ¶ Description du cercle laicté. Or une voye / est haulte et manifeste 327 Là sus au lieu / serain / clair / et celeste Semblante à laict dont lactée on l’appelle Facile à veoir / pour sa blancheur tant belle. 330 Par ceste voye / est le chemin des dieux a b 18 19 de dehreur Aspre au sens de « cruel ». Despiteuse au sens de « révoltée, blasphématoire ». 365 MS. DOUCE 117 333 336 339 15ro 342 345 348 351 Pour droit aller aux trosnes radieux Du grant tonant et sa maison royalle ¶ Des nobles dieux / superieurs / la salle Celebrée 20 est / et hantée en son estre 21 A huys ouvers / sur dextre et à senestre ¶ Les moindres dieux / en divers lieux [s’assirent Et les puissans leur riches sieges misrent Vers le hault bout / brief telle est ceste place Que (qui aurait de tout dire l’audace) Je ne craindroys l’avoir dicte en tous lieux Maison divine ou palais des grandz cieulx ¶ Donc quant les dieux / furent en ordre assiz Aux sieges bas / faictz de marbres massifz / Jupiter mys / aux plus hault de gloire Et appuié sur son sceptre d’yvoire Comme indigné / par trois foys / voire quatre De son grand chief / fit branler et debattre L’horrible poil du quel par son pouvoir Fit terre / mer / et estoilles mouvoir Puis tout despit / deslie ouvre et desbouche En tel façon son indignée bouche. ¶ Oraison de Jupiter. Je ne fuz onc / pour le regne mondain Plus triste en cueur / de l’oraige soudain 354 Auquel geans / ayans serpentins piedz Furent tous prestz (quant fumes espiez) De tendre et mectre au ciel recreatif 337 Chascun cent bras / pour le rendre captif ¶ Car neautmoins que l’ennemy fut tant 20 21 Usage proche du latin celebrare au sens de « réunir en grand nombre ». Le sens « demeure, habitation » apparaît plus nettement dans la leçon du manuscrit que dans l’édition Defaux : Fut frequentée alors par tout son estre (v. 337). 366 « OVIDE VEUT PARLER » 360 15vo 363 366 369 372 375 378 381 384 16ro 387 a b 22 23 24 25 Cruel et fier / celle guerre pourtant Ne dependoit / que d’une seulle suycte Et d’une ligue / en fin par mort destruicte. Mais maintenant / en toute voye et trace Par où la mer / le monde entier embrasse[,] a Perdre et tuer me fault pour son injure Le mortel genre. Et qu’ainsi soit j’enjure 22 Des bas enfers les fleuves plains d’encombres Coulans soubz terre aux stigieuses ombres. Quoy que devant 23 / fault toute chose vraye Bien esprouver / mais l’incurable playe Convient coupper / par espée acerée Que la [part] b saine/à mal ne soit tirée. ¶ J’ay en forests /et sur fleuves antiques Mes demy dieux / et mes faunes rustiques Satyres gays / nymphes nobles compaignes Et mes silvans / residens aux montaignes Lesquelz d’autant / que ne les sentons dignes D’avoir encor les gloires celestines Souffrons aumoins / que seurement et bien Ils puissent vivre en terre / que du myen Leur ay donnée. O dieux intercesseurs Les pensés vous embas 24 estre assez seurs Quant Licaon / noté de felomnie A conspiré fallace et villennie Encontre moy. qui par puissance eterne La fouldre et vous / en hault tiens et gouverne ¶ Lors tous ensemble en fremissant murmurent Et Jupiter d’ardent desir qu’il 25 eurent Virgule à la place du point. par Enjure est attesté au sens de « prêter serment » (DMF), ce qui remet en question la leçon de Defaux : « j’en jure ». Devant au sens de « au préalable » (DMF). Embas au sens de « en-bas ». La graphie « il » pour le pronom pluriel est encore en usage. 367 MS. DOUCE 117 Vont suppliant qu’en torment vueille mectre Cil qui oza telles choses commectre. ¶ Comparaison A la faveur ¶ D’Auguste Cesar 390 Ainsy du temps / que la cruelle main D’aucuns voulut / ternir le nom romain Tendant au sang Cesarien espandre 393 Pour la terreur d’ung tant subtil esclandre Fut l’humain genre aprement estonné Et tout le monde à horreur adonné. 396 ¶ Et la pitié des tiens / O preux Auguste Ne te fut pas / moins aggréable et juste Que ceste cy / à Juppiter insigne 399 Lequel après avoir par voix et signe Reffraint leur cry chascun d’eulx tint sillence. Le bruyt cesse par la grave excellence 402 Du hault regent de rechef tout despit D’un tel propos la sillence 26 rompit. ¶ Suyte de l’oraison de Juppiter 16vo 405 408 411 414 26 27 Les peines a (ne vous chaille) souffertes Mais quoy qu’il ayt receu telles dessertes Si vous diray je en resolution Quel est le cryme et la pugnition. ¶ D’icelluy temps / l’infamie à merveilles Avoit attainct maintesfois noz oreilles. Lequel rapport desirant estre faulx Subit 27 descens des cieulx luysans et haultz Et circuy le terrestre dommaine Estant vray dieu dessoubz figure humaine / ¶ Fort long seroit vous dire (ô dieux sublimes) Sillence au féminin est encore couramment en usage. Usage adverbial de l’adjectif qualificatif (voir ci-dessous v. 780). 368 « OVIDE VEUT PARLER » 417 420 423 426 17ro 429 432 435 438 441 444 28 29 Combien par tout il fut trouvé de crymes. Brief l’infamie et le bruit plain d’opprobre Bien moindre fut que la verité propre [.] ¶ De Menalus traversay les passaiges Craintz pour les trouz des grandz bestes [sauvaiges 28 Et les haultz puys du froit mont Liceus Et Cillene / Quant cela passé euz Du Roy d’Arcade es lieux me vien renger Et en sa court dangereuse aloger 29 Entre tout droit au point que la serée Tire la nuict d’un peu de jour parée ¶ Par signes lors / monstray que j’estoys dieu Venu en terre / Et le peuple du lieu A m’adorer jà commence et me invocque. Mais Licaon d’entrée raille et mocque Leurs doulx priers en disant : Par ung grief Et cler peril j’esprouveray de brief Si mortel est ce dieu cy qu’on redoubte Et ne sera ce qui en est en doubte. ¶ Puis quant serois la nuyt en pesant somme A me tuer / s’apreste ce faulx homme De mort subite / icelle experience De verité luy plaist de impacience. ¶ Et non content est de si griesve coulpe Mais d’ung poignal la gorge il ouvre et couppe A ung / qui là fut en otage mys De par les gens / de Molosse transmys. Et l’une part des membres de ce corps Va faire cuyre ainsi à demi mors. En eau boillant / rendant l’autre partie Puys au sens de « hauteur, colline, montagne ». On peut se demander s’il ne s’agit pas d’une erreur du copiste, appelée par le contexte. La variante de l’édition Defaux est conforme au texte d’Ovide. Le manuscrit confirme l’idée que Jupiter vient se loger dans la cour du roi d’Arcadie, sans créer d’épithète syntagmatique. La leçon que propose Defaux est, à ce titre, trompeuse : Et en sa Court dangereuse à loger (v. 425). 369 MS. DOUCE 117 Sur ardant feu de gros charbons / rostie. Lesquelz sur table ensemble mect et pose. 447 Dont par grand feu qui vengea telle chose Sur le seigneur / tumbay la maculée Orde maison digne d’estre bruslée. ¶ Licaon transformé en loup. 17vo 450 Alors s’en fuyt troublé de peur terrible Et aussi tout 30 qu’il sentit l’air paisible Des champs et boys / de huller luy fut force / 453 Car pourneant à parler il s’efforce. Son museau prent / la fureur du premier Et du desir de meurdres coustumier 456 Sur les aigneaulx. Or en use et jouyst Et de voir sang / encores s’esjouyt. Ses vestemens / poil de beste devindrent 459 Et ses deux bras façon de cuysses prindrent. Il fut faict loup / Et la marque conforme Retient encor / de sa premiere forme. 462 Tel poil viellard / et tel frayeur de vis Encores a [.] semblables yeulx tous vifz a Ardent en luy/ Brief tel figure porte 465 De cruaulté comme en premiere sorte. ¶ Desription de la venue et de la retraicte du deluge et comment les pierres furent transformées en corps humains. 18ro Illustr. 7 Or est tumbé ung manoir en ruyne Mais ung manoir / tout seul n’a esté digne 468 D’estre pery. Par tout où paroit terre a Nous supprimons le point. 30 Graphie pour tost correspondant à la prononciation « ouiste ». 370 « OVIDE VEUT PARLER » 18vo 471 474 477 480 483 486 489 492 19ro 495 498 501 31 32 Regne Erynnis aymant peché et guerre. Et en tous lieux pensez qu’on a juré De soustenir vice desmesuré. Souffrent donc tous leur peine meritée. Subitement / c’est sentence arrestée. ¶ Aucuns des dieux par voix les dictz approuvent De Jupiter / Et stimulent et mouvent Plus son courroux / Les autres si bien temptent Les repugnans 31 que à cela se consentent ¶ Ce neautmoins du genre humain la perte A tous ensemble est douleur tresapperte Et demander vont à Jupiter / quelle Forme adviendra sur la terre après que elle Sera privée aussi d’hommes mortelz Qui portera / l’encens sur les aultelz Et si la terre / aux bestes veult bailler Pour la destruire / et du tout depoiller. ¶ Alors deffend Jupiter et commande A ung chascun / qui tel chose demande De n’avoir peur / disant qu’à ce besoing De toute chose / il a la cure et soing 32 Et leur promect lignée non semblable Au premier peuple en naissance admirable ¶ Soudain devoit pour mectre humains en pouldre Par toute terre espandre ardente fouldre. Mais il craignyt que du ciel la facture Par tant de feux ne conceut d’aventure Maincte grand flamme / Et que soudainement Bruslé ne fut / tout le hault firmament. Puis leur souvint / qu’il est predestiné Que advenir doit ung temps determiné Que mer que terre / et la maison prisée Du ciel luysant / ardra toute embrasée Repugnans au sens de « ceux qui sont d’un avis contraire ». La leçon du ms. Douce 117 résout l’hypométrie de la leçon Defaux : De toute chose il a cure, & soing (v. 492). 371 MS. DOUCE 117 504 507 510 513 516 19v o 519 522 525 528 531 534 33 Et qu’on doit voir / du monde l’edifice (Plain de grand œuvre) en labeur et supplice. ¶ Lors on cacha les dars de feu chargez Des propres mains des Ciclopes forgez Et d’une peine au feu toute contraire Luy playt user. Car soubz eaux veult deffaire Le mortel genre / Et de tout le ciel cloz Jecter çà bas les pluies à grandz flotz. ¶ Incontinent aux cavernes de Eole Il enferma ung vent qui soudain volle Dict Aquilon / pareillement estuye Tous ventz chassans la nue induicte à pluye Et mist Nothus hors des fosses cruelles. ¶ Lors / Nothus volle avec ses moyctes aelles Son vis terrible est couvert ceste foys D’oscurité noyre comme la pois. Sa barbe poise / en pluye superflue 33 / De ses cheveulx tous chenuz / eau deflue Dessus son front / grandes moyteurs se bouctent Son sein distille / et ses plumes degouctent. Puis quant il eut / çà et là / nuées mainctes Pendant en l’air dedans sa main estrainctes Gros bruyt se faict / Esclers en terre habondent Et du hault ciel / pluyes espesses fondent. ¶ Iris aussi / de Juno messaigiere Vestant coleur / diverse et estrangiere Tire et conçoit / grandes eaux et menues En apportant norrissement aux nues. ¶ Dont renversez / sont les bledz à oultrance Perdue gist la plourée esperance Des laboureurs / Et fut pery adoncq Le labeur vain de tout l’an grand et long. ¶ Ni du grant dieu / contente est la rancune Du grief pugnir de son ciel / Mais Neptune Superflue au sens de « abondant, excessif ». 372 « OVIDE VEUT PARLER » 537 540 o 20r 543 546 549 552 555 558 561 564 Son frere cher / prompt secours lui [amayne] a De undes aydans / à noyer race humaine. Tous ses ruisseaux lors il convoque et mande Lesquelz entrez dedans la maison grande De leur seigneur. Neptune dire vient. ¶ Pour le present user ne nous convient De long propos / Vous 34 force descouvrez Ainsi le fault / Et vous maisons ouvrez Puis en ostant voz obstacles et bondes Laschez la bride à vos cours 35 furibondes. ¶ Ce commandé / s’en revont à grandz courses Tous les ruysseaux / l’entrée de leurs sourses. Laschent à plein / Et d’ung cours effrené Tout alentour / des grandz mers ont tourné. Neptune adonc / de son sceptre massif Frappa la terre / Et du coup excessif Elle trembla. Si que du mouvement Des eaux ouvrent la voye appertement. ¶ Si vont courant tous fleuves espanduz Parmy les champs / ouvers et estanduz En ravissant avec le fruict les arbres Bestes / humains / maison / palais de marbres Sans espargner / temples et lieux sacrez Avec leurs dieux / benitz et consacrez ¶ Et ainsi est / que aucun logis debout Soit demouré / en resistant du tout A si grant mal / Toutefois l’eau plus haulte Couvre le fest / et par dessus luy saulte Consequamment / grosses tours submergées a amayine 34 La graphie vous de l’adjectif possessif correspond à une prononciation « ouiste ». Cette tendance observée plus haut n’est pourtant pas systématique chez le copise, ainsi que l’attestent entre autres les v. 544 et 545. Jeu de mots : les fleuves présentés comme des dieux tiennent une cour. L’édition Defaux donne une leçon qui annulle complètement l’image : Laschez la bride à voz eaues furibondes (v. 550). 35 373 MS. DOUCE 117 20vo 567 570 573 576 579 582 585 588 o 21r 591 594 Cachées sont soubz les eaux desgorgées. ¶ Aussi la mer / et terre aucunement Entre elles deux / n’avoit separement Tout estoit mer / Et la mer qui tout baigne N’a aucuns portz / l’un (pour se saulver) gaigne Quelque haut mont / l’autre tout destourbé Se siet dedans ung [navire] a courbé. Et droit au lieu il tire l’adviron Où labouroit naguieres environ. ¶ L’ung sur les bledz conduit nefz et bateaux Ou sur le hault des villes et chasteaulx Qui sont noyez / L’autre sur les grandz ormes Prent à la main / poisson de mainctes formes L’ancre de mer se fiche au pré tout verd Fortune ainsy l’a volu et souffert ¶ Bateaux courbés / couvrent les beaux vignobles Gisans soubz l’eau / et plusieurs terres nobles. Et au lieu propre où les greles chevrectes Souloyent brouter naguieres les herbectes Là maintenant balleines monstrueuses Posent leurs corps / les nymphes vertueuses Regnans en mer qu’on nomme Nereydes Grand merveille ont de veoir soubz eaux liquides Foretz / citez / et maisons de hault poix. Les beaux daulphins / tiennent les champs et boys Et en courant / parmy les haulx rameaux Heurtent mainct tronc / agité des grands eaux ¶ Le loup cruel / noue 36 entre les brebiz La mer soustient / lyons jaulnes ou biz Tigres legiers / porte l’eau undoyante De rien ne sert la fource 37 fouldroyante Au dur sanglier ny les jambes agilles a naviere 36 Noue : forme « ouiste » de noer qui a le sens de "nager" (DMF). Le copiste utilise une graphie « ouiste » pour "force". 37 374 « OVIDE VEUT PARLER » 597 Au cerf ravy par les undes mobiles. Et quant l’oyseau vaguant a bien cerché Terres et arbre /où puisse être branché 600 En la fin tumbe en la mer amassée Tant a du vol chascune esle lassée. ¶ Jà de la mer la maitrise/ à grandz brasses 603 Avoit couvert et mottes et terrasses Vagues aussy / qui de nouveau flottoyent Les summitez des montaignes battoyent. 606 Brief la pluspart des gens en grand soucy Finit par eau / Ceulx dont l’eau prent mercy Le long jeusner / les dompte et fait delivres 609 D’ame et d’esprit / par souffrecte 38 de vivres. 21vo 612 615 618 621 624 627 Or separés sont les champs tresantiques Aonyens / d’avecques les Attiques De par Phocis terre grasse / J’entens Quant terre estoit / Mais en iceluy temps La pluspart d’elle / estoit mer haulte et drue En ung grant champ d’eau soudainement crue. ¶ En ce pays / Parnassus le hault mont Tendant au ciel / se dresse contremont A double croppe Et les nues surpasse De sa haulteur. Sur le quel mont et place Pource que mer / couvroit le demeurant Deucalion / y aborda courant En une nef / qui grande n’estoit mye Avec Pirrha son espouse et amye. ¶ Le dieux / du mont / et nymphes coricides Ilz adoroyent / invoquans [leurs] a aydes 39 Themys disant / tout ce qui advenoit Laquelle adonc des oracles tenoit a à leurs 38 Souffrecte au sens de « pénurie » (DMF). Diérèse réclamée par la rime et la mesure du vers. 39 375 MS. DOUCE 117 630 633 22ro 636 639 642 645 648 651 654 657 660 Les temples sainctz / oncques ne fut vivant Meilleur que cil / ne de plus ensuivant Vraye equité / Et n’eut onc au monde ame Plus honorant les dieux que icelle dame. ¶ Quant Jupiter ce bas monde vit estre Ung large estang de paludz qu’il fit croistre Et ne rester de tant de milles d’hommes Maintenant qu’ung sur la terre où nous sommes Et ne rester de tant de milles femmes Maintenant que une / ensemble sans diffames A nul nuysans / Seuletz ensemble mys Là adorans la deesse Themys. Cela voyant / les nues qui tant pleurent 40 Il separa / Et quant les pluyes furent Par Aquilon / chassées en mainctz lieux La terre au ciel / et aux terres les cieulx Il va monstrer / aussi l’ire et tempeste. De la grant mer / çà bas plus ne se arreste Puis le recteur de toutes mers conjoinctes En mectant jus son grant sceptre à trois poinctes Les eaux appaise / et appaise en l’instant. Le vert Triton sur la mer creuse [estant] a Le doz couvert de pourpre faict exprès Sans artifice / Et luy commande après Souffler dedans sa resonant Bucine Et rappeller / après avoir faict signe Fleuves et flotz. Lors Triton prent et charge Sa trompe creuse et torse en forme large Qui par le bout d’embas croist tout ainsi Que ung turbillon / Laquelle trompe aussi Après qu’elle a prins air tout au milieu De la grand mer. Chascun rivaige et lieu Gisans soubz l’ung et soubz l’autre soleil a est (vers ajouté en marge ; le dernier mot est tronqué par la rognure de la page). 40 Pleurent : v. « pleuvoir » au passé simple. 376 « OVIDE VEUT PARLER » 22vo 663 666 669 672 675 678 681 684 23ro Elle remplit de son bruyt nompareil ¶ Laquelle aussi quant elle fut joignante Contre la bouche à Triton degoutante Pour la moycteur de sa barbe chargée Et qu’en enflant la retraicte enchargée Elle eut sonné / par tout fut entendue Des eaux de terre / et de mer estendue Et celles eaux / qui l’oyrent corner Contraignyt lors toutes de retourner ¶ Desjà la mer / prent bours 41 et rives neufves Chascun canal / se remplit de ses fleuves. Fleuves sont veuz baisser et departir Et hors de l’eau / les montaignes sortir Terre s’eslieve / et les lieux qui paroissent Croissent ainsi / comme les eaux decroissent. ¶ Longs jours après / boys et foretz moillées Monstrent leur syme / et haulteur despoillées De feuille et fruict / Et tiennent des eaux franches Le lymon gras / demouré sur les branches ¶ Jà peult on veoir tout pays despourveu Lequel / quant fut par Deucalion veu Large et ouvert / Et que terrestre voye Myse en desert / faisoit sillence coye Ayant aux yeulx les larmes souspira Parlant ainsi à sa femme Pirrha. ¶ Oraison de Deucalion à Pirrha O Chere espouse O ma sœur honnorée 687 O femme seule au monde demourée Que commun sang puis parenté germaine Et mariage eut joincte à moy prochaine 690 Et à present / joincte à moy de rechief Par ce peril / et dangereux meschief 41 Le copise utilise une graphie « ouiste » pour bors. MS. DOUCE 117 377 De toute terre / et pays evident 693 De l’orient / et de tout l’occident Nous deux seulletz sommes tourbe de monde. Le residu / possede mer profonde 696 Et n’est encore la fiance et durée De nostre vie assez bien asseurée Ores aussi / les nues qui cy hantent 699 Nostre pensée asprement espouventent ¶ Si par fortune eschappée sans moy Fusses des eaux / Quel couraige or en toy 702 Fut demouré : O chetive et dolente Comme eusses tu tel crainte violente Seulle souffert ? qui te fust consoleur 705 Pour supporter maintenant ta douleur. Certes (croy moy) si mer t’avoit ravie Je te suivroys / Et mer auroit ma vie. 708 Que pleust aux dieux / que un si grant pouvoir [j’eusse Que par les ars de mon pere je peusse Renouveller / toute gent consommée 711 Et mectre esprit dedans terre formée. Presentement chere espouse et affine 42. Le mortel genre en nous deux reste et fine 43 a. 714 Et des humains /demourons l’exemplaire Aux dieux puissans / ainsi a volu plaire. ¶ Tel motz disoit / et vont pleurant ensemble 717 Puis d’ung bon vueil / supplier bon leur semble Themis [celeste] b et soubz divins miracles [Cercher] c secours en ses sacrez oracles. 720 Lors [n’ont] d tardé / aux cephisides undes 23vo a b c d 42 43 Vers ajouté au bas de la page. Sa place est indiquée dans le texte par un appel spécifique. celestes Cerches non Affine : amie, object d’une alliance affective (DMF). Finer : emploi absolu, s’achever (DMF). 378 « OVIDE VEUT PARLER » 723 726 729 24ro 732 735 738 741 744 747 750 753 a b retirés tirés Ensemble vont / non liquides et mundes Encor du tout / mais bien jà [retirées] a Au droit canal duquel s’estoient [tirées] b ¶ Après avoir espandu de bon cueur Dessus leurs chefs et robes la liqueur Sacrifiée. Ilz tournent leur addresse Droit vers le temple à la sacre deesse Dont les sommetz et voultes se gastoient De laide mousse. Et les autelz estoyent Sans sacrifice. Aussi les feux estainctz. ¶ Quant les degrés du temple eurent actainctz Ung chascun d’eulx s’encline contre terre Et tout craintif / baise la froide pierre Disant ainsy. Si aux claires maisons Les dieux vaincuz / par justes oraisons Sont amoliz. Et si courroux et ire Fleschit en eulx. Helas vuellés nous dire Dame Themis / par quel art ou sçavoir Repairable est / la perte que peulx veoir De nostre genre. Et aux choses noyées Tes aydes soyent par doulceur octroyées. ¶ A donc s’esmeut ce divin simulacre Et leur respond / partez du temple sacre Couvrez vos chiefz / en devotions sainctes Et desliez vos robbes qui sont saintes Après gectez souvent delà le dos De vostre antique et grant mere les os. ¶ Lors esbahiz demeurent longuement Et puis Pirrha parlant premierement Rompt la sillence / et d’obeir refuse Aux motz et ditz dont celle deesse use En la priant d’une craintifve face Devotement qu’en ce pardon luy face. 379 MS. DOUCE 117 24v o 756 759 762 765 768 771 774 777 25ro Et d’offencer crainct de sa mere l’ame Jectant ses os et de luy faire blasme ¶ Tandis entre eulx revolvent et remirent Les motz obscurs de l’oracle que ouyrent Soubz couverture ambigue donné Deucalion de Prometheus né Rend en après par beaulx dictz confortée Dame Pirrha fille de Epymethee En luy disant / ou nos sens nous deçoyvent Ou les haulx dieux en eulx pitié conçoyvent Et ne font faire ou vice ou chose amere A mon advis la terre est la grant mere Les os sont dictz / selon le mien recors Les pierres que a terre dedans son corps. Et commandé nous est de les lancer Outre le dos. Combien qu’en bon penser Pirrha fut meue à cause de l’augure Que [son] a mary bien expose et figure[,] b Ce nonobstant son espoir est douteux Et moult encor se deffient tous deux Du mot celeste. En après vont disant Mais que nuyra l’espreuve en ce faisant ¶ Ce dit s’en vont du temps où se humilient Cœuvrent leurs chefs et leurs robes deslient Et derriere eulx gectent les pierres dures. Qu’on leur a dit à toutes adventures. ¶ Les pierres transformées en hommes et femmes : ~. 780 Lors tout subit 44. Mais qui le pourra croire Si pour tesmoing n’en est l’antique hystoire a b 44 sont Virgule à la place du point. Voir ci-dessus v. 411. 380 « OVIDE VEUT PARLER » 783 786 789 792 795 25vo 798 801 804 807 810 Les pierres ont commancé à laisser Leur dureté et rigueur abaisser A s’amollir et en amollissant Prendre figure humaine paroissant ¶ Incontinent que croissance leur vint Et que nature en icelles devint Plus doulce et tendre / Aucune forme d’homme On y peult veoir non pas entiere comme Celle de nous / Mais ainsi que esbauchée D’ung marbre dur / non assez bien touchée Et ressembloit du tout à ces images Mal entaillez et rudes en ouvrages Ce neautmoins / des pierres la partye Qui fut terreuse ou molle est amoistye D’aucune humeur / elle fut transformée En chair et sang / d’homme ou femme formée. Ce qui est dur et point ne flechissoit En ossemens tout se convertissoit Ce qui estoit veyne de pierre à l’heure Fut veyne d’homme / Et soubz son nom demeure Si qu’en brief temps / les pierres amassées Qui par les mains de l’homme sont lancées Des hommes ont (par le voloir de dieux) Prins la figure en corps / en face et de yeulx Aussi du ject de la femme [esgairée] a La femme fut reffaiste et repairée Et [de] là vient que sommes (comme appert) Ung genre dur / aux gros labeurs expert Et bien donnons entiere congnoissance D’où nous sortons et de quelle naissance. ¶ La terre en diverses figures d’animaulx / Et le serpent Phiton occis. a esagarée MS. DOUCE 117 26ro Illustr. 8 813 26vo 816 819 822 825 828 831 834 837 27ro 840 843 a son 381 Terre engendra tous aultres animaulx De son vueil propre / en formes non egaulx Et dès que l’eau de deluge laissée Fut de l’ardeur du soleil oppressée Fanges bourbiers / et paludz se formerent Et par le chault / en espesseur s’enflerent ¶ Semblablement / les semences des choses Concevans fruict nourries et encloses En terre grace à produyre propice Comme au giron / de leur mere et nourrice Vindrent à croistre et demourance y tindrent Si longuement que aucune forme prindrent ¶ Qu’il soit ainsi quant l’eau du Nil qui court Par sept canaulx a delaissé tout court Les champs moillés et chascun sien ruisseau Rendu dedans son antique vaisseau. Après aussi que le lymon tout fraiz Est fort bruslé du soleil et ses raiz Les paisans plusieurs animaulx trouvent Faictz et creez des moctes qui se couvent En corps vivans. En ces mottes assés Sont d’animaulx naguieres commancez Pour le brief temps de leur tout nouveau naistre D’aultres aussi mainteffoys voit on estre Tous imparfaictz qui a demy [sont] a nez D’espaule / teste / ou jambe tronçonnez Et du corps mesme imparfaict / l’une part Bien souvent vit l’autre est terre sans art. ¶ Certes après que humeur de froit esprise Et chaleur aspre ont attrempance prise Produisans sont et conçoyvent et portent Et de ces deux toutes les choses sortent Et quoi que feu à l’eau contraire soit Humide chault toutes choses conçoit 382 « OVIDE VEUT PARLER » 846 Et par ainsi concorde discordante A geniture est apte et concordante. ¶ La mort de Phiton dont vindrent les Jeux nommez phities : ~ 849 852 855 27vo 858 861 Doncques après que la terre moillée Et du nouveau deluge fort souillée Fut eschauffée en la claire splendeur Du chault soleil / et par haultaine ardeur Elle myst hors especes innombrables Et d’une part / les figures vivables Refit adonc jadis mortes des eaux De l’aultre part crea monstres nouveaulx ¶ O fier Phiton / tresgrand / ort / et infect Terre vouldroit certes ne t’avoir faict Mais toutesfois elle dont s’en repent T’engendra lors. O incongneu serpent Au peuple neuf aussi crainte donnoys Tant large lieu de montaigne tenois. ¶ Or Apollo tenant pour faire allarmes L’arc et la fleche / et qui de telles armes 864 Par cy devant ne usoit jamais que contre Chevres fuyans / ou dains à sa [rencontre] a Ce gros serpent / rua mort estendu 867 Par les coups noirs du venin espandu Soubz mille traictz tirez à tel secousse Dont vuydée 45 fut presque la sienne trousse. 870 ¶ Et puis affin que vieil temps advenir Ne sceust du faict la memoire ternir a Recontre 45 L’exigence du mètre suppose l’apocope du /e/ final. On peut aussi imaginer une leçon amendée : [vuyde]. 383 MS. DOUCE 117 Il establit sacrez jeux et esbatz 873 Solemnisez par triumphans combatz Phitiez dit du nom du fier Phyton Serpent vaincu / pour cela les fit on. 876 ¶ En celuy prix quiconques jeune enfant A lucte / à course ou à chair 46 triumphant Estoit vainqueur / Par honneur singulier 879 Prenoit chappeau de fueille de meslier Car le laurier encores ne regnoit Et en ce temps / Phebus environnoit 882 Sa blonde teste au long poil bien seante De chascun arbre et fueille verdoyante. 28ro ¶ L’amour de Phebus envers la belle Daphné laquelle devint laurier. Avecques de scription des sagettes de Cupido : 28vo Illustr. 9 885 29ro 888 891 894 46 Amour premiere au cueur de Phebus née Ce fut Daphné fille au fleuve Penée Laquelle amour d’aucun cas d’adventure Ne luy survint. Mais de l’ire et poincture De Cupido / Phebus tout glorieux D’avoir vaincu le serpent furieux Vit Cupido d’une corde nerveuse Bandant son arc de corne sumptueuse Si luy a dit Dy moy à quel fin portes / Enfant lascif / ces riches armes fortes Ce noble port qui sur ton col se assiet Mieulx en escharpe en nos espaules siet Qui en pouvons donner playes certaines Variante graphique de « char » attestée par le DMF. 384 « OVIDE VEUT PARLER » 897 Aux ennemys / aux bestes inhumaines Qui puis ung peu par sagectes sans nombre Ruasmes jus Phiton remply d’encombre 900 Serpent enflé qui tant d’arpans de terre De son grant ventre occupe foulle et serre. ¶ Tien toy content de irriter en clamours 903 De ton brandon ne sçay quelles amours Et desormais ne approprie à toy mesmes Ainsi à tort noz louanges suspremes 906 Lors luy repond de Venus le fils cher. ¶ Fiche ton arc tout ce qu’il peut ficher O dieu Phebus / le mien te fichera 909 Ainsi ton bruyt du mien est et sera. Moindre / d’autant que bestes en tout lieu Plus foibles sont et plus basses que ung dieu 912 Ainsi disoit / et quant en ses vollées Eut [tranché] a l’air / des esles esbranlées Il se planta / prompt et legier dessus 915 L’[obscur] b summet du hault mont Parnassus Et de sa trousse où mect ses dars pervers En tira deux d’ouvraiges tous divers 918 L’ung chasse amour / et l’autre l’amour crée Tout doré est celuy qui la procrée Et a ferrure ague / claire et coincte. 921 Cil qui la chasse est rebouché de poincte Et a du plomb tout confict en amer Dessoubz le bout / Cupido dieu d’aymer 924 Ficha ce traict qui est de mercy vuyde Contre Daphné la nymphe peneide. Et du doré les moelles il blessa 927 Du dieu Phebus par ses os qu’il perça. ¶ Subitement l’ung ayme / et l’autre non Ains va fuyant d’amoureuse le non 29vo a b trancher obsur MS. DOUCE 117 385 930 Prenant plaisir d’habiter par les fosses Des boys espais. Et [de vaines] a peaulx grosses D’animaulx pris / faire robe et vesture. 933 En ensuivant Dyane vierge pure ¶ D’ung seul bandeau / ses cheveux mal en ordre Serroyt au chief sans les lier ou tordre 936 Mainctz l’ont requise à l’espouser tendants Mais reffusé / a tous les demandans. ¶ Sans souffrir homme / et du plaisir exempte 939 Tournoye et court les boys sans voye ou sente Et ne luy chault savoir que c’est de nopces De mariage amours et tel[s] negoces. 942 Son pere aussi / luy a dit maintesfois Ma chere fille / ung gendre tu me doys. Souvent son père / à elle a dit or sus 945 Tu me doys fille enfans de toy yssus Elle ayant 47 les nuptiales festes Ne plus ne moins que crymes deshonnestes 948 Entremeslant sa belle face blonde Avec ung peu de rougeur verecunde b Et en joignant ses bras doulx et poliz 951 Au col du pere avec regardz joliz Mon geniteur trescher (ce luy dit elle) Fais moy ce bien / que je use d’eternelle 954 Virginité / Jupiter l’ymmortel Fit bien jadis à Dyane ung don tel. ¶ Son pere adonc ung si grand dieu ensuyt 957 Mais (ô Daphné) beaulté que tant reluyt Te deffend estre ainsi que es desirante Et à ton veu / ta forme est repugnante. 960 ¶ Phebus qui voyt Daphné lez ung boscaige 30ro 30vo a b 47 Leçon conjecturale : t.o. davaines ou davames. Nous supprimons le point. Ayant est un graphie pour hayant (du verbe hayr), ce qui justifie l’hémistique à quatre syllabes. 386 « OVIDE VEUT PARLER » 963 966 969 972 975 978 981 31ro 984 987 Ayme et desire avoir son mariage : Ce qu’il desire espere quoy que soit Mais son oracle à la fin le deçoyt ¶ Et tout ainsi que le chaume sec ard Quant on a mys les espis à l’escart Comme buissons ardent par nuyt obscure D’aucuns brandons que ung passant d’aventure En se esclairant a approchez trop près D’iceulx buissons / ou les y laisse après Qui 48 voit le jour / ainsi Phebus en flamme S’en va reduyt : et d’amour qui l’enflamme Par tout son cueur / se brusle et se destruict En en espoir nourrit amour sans fruict. ¶ Pendre regarde / au blanc col de Daphné Les beaulx cheveux de son chef non orné. Mais (ce dit il) Dieux que seroit ce encores De ce poil là si pigné estoit ores. Ses clars yeulx voit / deux estoilles semblans Voyt la bouchete et ses chastes semblans 49 Qui d’assés près / ne sont veuz à sa guise Ses doits [longuets] a/ et ses mains blanches prise Ses bras massifs / et espaules charnues Plus qu’à demy descouvertes et nues. Se autre chose est caché [dessoubz] b l’habit Meilleur la pense[.] Elle court plus subit Que vent legier / et ne prent pied la belle Aux motz de cil qui en ce point l’apelle. ¶ La priere de Phebus A la Nymphe Daphné. a b 48 49 longués soubz « Qui » graphie courante pour « qu’il ». Semblans : subsantif qui signifie « apparence » (DMF). MS. DOUCE 117 990 993 996 999 31vo 1002 1005 1008 1011 1014 1017 a b c d te et Refain et 387 Je te pry Nymphe / arreste ung peu [tes] a pas Comme ennemy après toy ne cours pas Nymphe demeure. Ainsi la brebiecte Fuit le fier loup / Et la biche foyblecte Le fort lyon Ainsi les columbelles Vont fuyant l’aigle / avec fremissans esles. Ainsi chacun de ses hayneux prent fuycte Mais vraye amour / [est] b cause de ma suyte. ¶ O que j’ay peur que tumbes et que espines Poignent tes piedz / et tes jambes / non dignes D’avoir blessure. O moy plain de malheur Si cause estois / de ton mal et doleur ¶ Là où tu fuys / sont trop aspres endroitz Ne cours si fort[.] Je te prie et me croys [Refreins] c ta fuyte et va plus lentement Je te suivray aussi plus doulcement. ¶ Enquiers au moins à qui tu plays amie D’une montaigne habitant ne suis mie Ny ung pasteur. Point ne garde ou fais paistre Tropeaux icy / comme ung rude champaistre Tu ne sçaiz point / sotte tu ne sçaiz point Qui est celluy que tu fuiz en ce point Pource me suiz La puissant ysle / Clare Delphe / Thenede / et aussi de Patare Le grant palais me sert et obtempere. Jupiter est mon geniteur et pere Tout ce qui est sera et a esté Aux hommes [est] d par moy manifesté. ¶ Par moy encor / maint beau vers poetique Acorde au son des cordes de musique Nostre sagecte est pour vray bien certaine Mais une aultre est trop plus seure et soudaine 388 « OVIDE VEUT PARLER » 1020 La quelle a fait playe en mon triste cueur Dont n’avoit onc Amour esté vainqueur. ¶ Medecine est la mienne invention 1023 Et si suis dit par toute nation Pourtant 50 secours. Et la grande puissance Des herbes est à nostre obeissance 1026 Du tout subjecte. O moy trop miserable De ce que amour / n’est par herbes curable Et que les artz qui ung chascun conservent 1029 A leur seigneur ne proffitent et servent. ¶ Alors Daphné d’un cours craintif se tire Loing de Phebus qui voloit encore dire 1032 Mainctz autres motz / Et laissa sur ces faictz [Avecque] a luy ses propos imparfaicts. Lors en fuyant mout belle se monstroit 1035 Le vent / par coup ses membres descouvroit Et volleter faisoit en obviant Le sien habit en l’air contrariant. 1038 Le vent legier aussi chassoit arriere Ses beaulx cheveulx espandus par derriere ¶ Sa beaulté est par sa fuicte augmentée 1041 Mais le dieu plain de jeunesse temptée Plus endurer ne peult à ce bessoing Perdre et jecter son beau parler au loing 1044 Ains comme amour l’amoneste et poursuit D’ung pas legier / les trasses d’elle suyt. ¶ Et tout ainsi / que quant le chien gallique 1047 Qu’on dit levrier / en ung plain champ rustique A veu le lievre Et au pied l’ung conclud Gaigner sa proye / et l’autre son salut. 1050 Le chien legier de près le semble joindre Et pense bien jà le tenir et poindre Puis de sa gule ouverte large et gloutte 32ro 32vo a Avec 50 Le graphiste utilise une graphie « ouiste » pour portant. MS. DOUCE 117 389 1053 Rase ses piedz lors le lievre est en doubte S’il est point prins / et d’icelle morsure Eschappe et fuit et par fuite non seure 1056 Laisse du chien la grand bouche mordant ¶ Ainsi est il du dieu Phebus ardant Et de la vierge Il court souple et legier 1059 En esperance. Elle en crainte et dangier Mais le suyvant va de plus soudain cours Car solagé est des esles d’amours : 1062 Dont toujours va sans voloir faire arrest Et près du dos et des tallons paroist De là fuiant si qu’à la grosse allaine 1065 Ses beaux cheveulx tous espars il alaine. ¶ Quant de Daphné la force fut esprise Pale devint. Et vaincue et surprise 1068 Par le travail de si soudaine course En regardant de Peneus la source Dit. O mon pere ayde mon cueur tout las 1071 Si puissance est en ventz fleuves et lacz Puis dit. O terre or me pers et efface En transformant ma figure et ma face 1074 Par qui trop plaiz ou la transgloutiz vive 51 Elle qui est de mon enuy motive. ¶ Ceste priere ainsi finie à peine 1077 Grand pasmoison luy surprent membre et veine De son cueur fut la peau molle ou toillete 52 Ceincte de tendre escorce verdellete. 33ro 51 52 L’origine de l’image de l’engloutissement n’est pas dans le texte d’Ovide reproduit par l’édition Lafaye, mais se trouve dans l’édition Regius : (…) ou la transgloutiz vive / Elle qui est de mon enuy motive pour tellus ait hisce : (…) vel istam / Quae facit ut laedar. (Regius, p. 41). L’édition Defaux conserve l’image dans les mêmes termes que le ms. Douce 117. L’édition Defaux donne : De son cueur fut la subtile toilette (v. 1085). Aucune des deux versions ne parvient à exprimer clairement l’idée que rend de façon troublante l’illustration du manuscrit, d’une transformation qui a lieu sous l’habit de Daphné. Cette « toilette de cœur », traduction de praecordia (= poitrine, sein), pourrait correspondre à ce qu’on appelle aujourd’hui un cache-cœur. 390 33vo « OVIDE VEUT PARLER » 1080 En feuilles lors croissent ses cheveulx beaulx Et ses deux bras en branches et rameaulx Le pied qui fut tant prompt avec la plante 1083 En tige morne et racine se plante. D’ung arbre entier son chief la haulteur a Et la verdeur / seule luy demoura 1086 ¶ Phebus aussi l’arbre ayma dès adonc Et quant eut mis sa dextre sur le tronc Encor sentoit le cueur de la pucelle 1089 Se demener. Soubz l’escorce nouvelle ¶ En embrassant aussi ses rameaulx verts. Comme eut bien faict ses membres descouvers 1092 Il baise l’arbre. Et tout ce nonobstant A ses baisers l’arbre va resistant. ¶ Auquel Phebus a dit puisque impossible 1095 Est que tu soys mon espouse sensible Certainement mon arbre approprié Seras du tout et à moy dedyé. 1098 ¶ O verd laurier tousjours t’aura ma harpe Ma claire teste et ma trousse en escharpe Et si seras des capitaines gloire 1101 Tout resjouiz quant triumphe et victoire Chanteront hault les claires voix et trompes Et qu’on verra les grandz et longues pompes 1104 Au Capitolle[.] Aux consacrez posteaulx Seras debout devant les grandz portaulx Fealle garde. Et au los de ton regne 1107 Entrelassé seras au tour du chesne. ¶ Et tout ainsi que mon beau chef doré Est toujours jeune / et de poil decoré 1110 Vueilles aussi porter en chascun eage Perpetuel honneur de verd feuillage. Ces motz finiz le laurier se y consent 1113 En ses rameaulx qui sont faictz de recent Et si sembloit branler en sorte honneste Sa summité comme on branle la teste. 391 MS. DOUCE 117 ¶ Comment Jupiter transmua la Nymphe Yo en une vache blanche / laquelle Juno bailla en garde à Argus qui avoit cent yeulx. 34ro Illustr. 10 1116 En Thessalie ung beau pourpris fleuronne Que une forest haulte et droicte environne Nommée Tempe 53. Lieux de plaisir requis. o 34v 1119 Parmy lequel Peneus fleuve exquis Sortant du pied de Pindus grand montaigne D’eaux ecumans le pays tourne et baigne. 1122 ¶ D’un roide cours/ [les] a nues embrumées Va conduisant qui petites fumées Jectent aussi. Et va si roidement 1125 Contre les rocs que du redondement Les boys arrouse. Et de son bruit qui sonne Les lieux plus loing que ses voisins estonne 1128 ¶ Là la maison / là le siege l’on treuve Et lieu secret de Peneus grand fleuve Là comme roy residant en ses terres 1131 En sa caverne estant faicte de pierres Gardoit Justice aux undes là fluantes Pareillement aux nymphes habitantes 1134 En celles eaux. Premier sont là venuz Tous les prochains fleuves de luy congnuz Non bien sachans / si chere luy feront 1137 Ou pour sa fille / ilz le consolleront Que perdue a. Sperche y vint à propos Portant peupliers. Enyphe sans repos[.] 1140 Le doulx Amphrise. Et le viel Apidain Avec Eas. D’autres fleuves soudain Y sont venuz qui de quelque costé o 35r 1143 Où soient portez d’impetuosité a Le 53 Ce vers présente la seule césure épique de cette version. Le texte remanié pour l’édition la supprimera (Defaux, v. 1125). 392 « OVIDE VEUT PARLER » 1146 1149 1152 1155 1158 1161 1164 35vo 1167 1170 1173 1176 En la mer font leur undes retourner Quant lassez sont de courir et tourner. ¶ Le fleuve Inache / apart soy tout faché Seul est absent / Et au profond caché De son grant creux l’eau par larmes augmente Et tout chetif / sa fille Yo lamente Comme perdue / Il ne scet si en vie Elle est au monde (ou aux enfers) ravie. Mais pour autant que point ne la perçoit En aucun lieu / cuide qu’elle ne soit En aucun lieu. Et craint en ses espritz Que pirement encores ne luy soit pris. ¶ Or quelque foys Jupiter eternel La vit venir du fleuve paternel Si luy a dit / O vierge bien formée De Jupiter tresdigne d’estre aimée Et qui dois faire un jour par grand delict Je ne say qui bienheureux en ton lict ¶ Ce temps pendant que le soleil treshault Est au milieu du monde ardant et chault Viens à l’ombrage en ce boys de grant monstre Ou en cestuy[.] Et tous deux les luy monstre. ¶ Et si tu crains [entrer] a seulete aux creuses Fousses 54 et trouz de bestes dangereuses Croy qu’à seurté yras doresnavant Soubz les secretz des forestz / moy devant Qui suis ung dieu / non point de moindres dieux Mais qui en main / le grant sceptre des cieulx Tiens et possede / Et qui darde et envoie Fouldres vagans / en maincte place et voye Ne me fuy point. Or fuyoit elle fort Et jà de Lerne avoit (par son effort) Oultrepassé les pastiz et les plains a entre 54 Le copiste utilise une graphie « ouiste » pour fosses. MS. DOUCE 117 1179 1182 1185 1188 36ro 1191 1194 1197 1200 1203 a b 55 393 Quant Jupiter couvrit terre estendue D’obscurité parmy l’air espandue Retint la fuyte à Yo jeune d’eage Et par ardeur ravit son pucellaige. ¶ Ce temps pendant / Juno des cours hautaines Regarde embas au milieu des grandz plaines Si s’esbahyt dont les nues subites Soubz le jour cler avoyent au bas limites Faict et formé la face de la nuyt Et bien jugea que d’aucun fleuve induyt A grandz moyteurs ne sont faictes ces nues Ne de l’humeur de terre en l’air venues ¶ Puis çà et là regarde d’œil marry Où estre peult Jupiter son mary. Comme sachant les emblées secrettes Du sien espoux / tant de fois en cachetes D’elle surpris / lequel quant apperceu Ne l’a au ciel / Ou mon cueur est deceu (Dit elle alors) ou je suis offencée ¶ Puis du hault ciel soudainement baissée Se plante en terre et commande aux [nuées] a Loing s’en aller / d’obscurté 55 desnuées. Mais Jupiter / qui bon temps se donnoit [Prevoyoit] b bien / que sa femme venoyt Et jà avoit de Yo fille de Inache Mué la forme en une blanche vache Belle de corps / comme Yo fut en vis ¶ Adonc Juno quoy que ce fust envis) En estima la forme et le poil beau nues Prevoit Forme attestée par le DMF. La graphie obscurté explicite la prononciation trisyllabique qui est de mise pour garantir la correction du mètre. La leçon que propose Defaux, qui rétablit la graphie obscurité, aboutit à un vers de onze syllabes : Loing s’en aller d’obscurité desnuées (v. 1206). Moisan qui suit l’édition d’Aneau donne obscurté (Trois premiers livres, p. 75). 394 « OVIDE VEUT PARLER » 1206 Et si s’enquiert à qui / de quel troppeau Et d’où elle est comme non congnoissant La verité / Jupiter dieu puissant 1209 Dit (en mentant) qu’elle est née de terre A celle fin / que l’on cesse d’enquerre S’il l’a poinct faicte / Et puis Juno la grande 1212 Fille à Saturne / en pur don luy demande. ¶ Que pourra il or faire ou devenir [ ?] C’est craulté / ses amours forbannir 1215 Ne luy donnant / la faict souppeçonner Honte en après l’incite à luy donner Puis amour est à l’en divertir prompte. 1218 ¶ Brief par amour eust esté vaincue honte Mais si la vache ung don qui peu montoit Eust refusée à celle qui estoit 1221 Sa femme et sœur / sembler eust peu adoncques Visiblement que vache ne fut oncques. ¶ Après qu’il eut donné sa concubine 1224 Toute sa peur soubdain Juno divine Ne despoilla /Et craignyt grandement Que Jupiter luy print furtivement 1227 Jusques à tant qu’es mains de Argus l’eust mise Filz de Aristor / pour en garde estre prise. ¶ Or tout le chef avoit celuy Argus 1230 Environné de cent yeulx bien Agus Qui deux à deux / à leur tour sommeillans Prenoit repos tous les autres veillans 1233 Gardoient Yo. Et en faisant bon guet Demouroyent tous arrestez en aguet. ¶ En quelque lieu où [fust] a Yo la belle 1236 Incessamment regardoit devers elle Devant ses yeulx Yo toujours il voyt Quoy que la face ailleurs tournée avoit 1239 ¶ Quant le jour luyt il seuffre qu’elle paisse 36vo 37ro a fut 395 MS. DOUCE 117 1242 1245 1248 1251 1254 1257 1260 37vo 1263 1266 1269 1272 a b c Quant le soleil est soubs la terre espesse L’enferme et clost Et d’ung rude chevestre Serre son col qui n’a merité d’estre Ainsi traicté / de fueille d’arbre dure Et d’herbe amere elle prent sa pasture Puis la pouvrecte en lieu de molle couche Toute la nuyt / dessus la terre couche N’ayant toujours de la paille qu’à peine Et boit de l’eau de bourbier toute plaine. ¶ Quant elle aussi / qui si fort se doloit Devers Argus / ses bras tendre vouloit S’humiliant[.] Las la doulcete et tendre N’a aucun bras qu’à Argus puisse tendre a Et s’efforsant lamenter de sa gorge Ung cry de vache en mugissant desgorge Tant que du son en crainte se bouta Et de sa voix propre s’espoventa. ¶ Après s’en vint aux rives de son pere Le fleuve Inache où en soulas prospere Souloit jouer / souvent avec pucelles Et quant en l’eau veit ses cornes nouvelles Eut grande peur / et de [la] b craincte extresme S’effarouchoit et s’en fuyoit soymesme. ¶ Ignorans sont les Naiades encore Voire Inachus / Le fleuve mesme ignore Qui elle soit / Mais pour [les] c rendre seurs Suivoyt son pere [et] si suyvoyt ses seurs [.] Estre touchée assés elle souffroit Et à Iceulx tous esbahiz se offroit ¶ Le bon veillard Inachus à jonchées Luy presenta des herbes arrachées. Soudain ses mains elle luy vint lecher Baisant la paulme à son pere trescher Vers ajouté en marge. de crainte le 396 « OVIDE VEUT PARLER » 1275 1278 1281 1284 38ro 1287 1290 1293 1296 1299 1302 1305 a b Et retenir onc ses larmes ne sceult Et se orendroit de parler la grace heust Elle eust requis secours et aide aucune Et recité son nom et sa forune ¶ En lieu de motz la lectre que imprima Son pied en terre / adoncques exprima Parfaictement / et mist en descouvrance Du corps mué la triste demonstrance. ¶ O moy chetif (cria lors esperdu Son pere Inache) et aux cornes pendu Aussi au col de la vache luysante En son poil blanc / et en dueil gemissante. O moy chetif (dit il par plusieurs foys) N’est ce pas toy ma fille que je voys. Ainsi querrant par chascune contrée Pas ne es trouvée / ançoys es rancontrée ¶ Brief par avant [mon] a gemir estoit moindre Las tu te taiz / ne rendz / et ne peulx rendre A mon parler parolles reciproques Tant seulement aigres souspirs evocques Du cueur parfond et ce que faire peultz Au mien parler mugis comme les beufz ¶ Las je pouvret ignorant tout ce mal Te preparoys cierge et lict nuptial D’ung gendre fut l’espoir premier de moy Et le second de veoir enfans de toy Or d’ung troppeau / mary te fault avoir Et d’ung troppeau quelque filz concevoir b Et n’est possible à moy que finir face Tant de douleurs / par mot qui tout efface Ains estre dieu ce m’est nuysante chose Et de la mort / la porte à moy forclose Prolonge/ et faict le mien regret durable non Vers ajouté en marge. 397 MS. DOUCE 117 En eage et temps / [eterne] a et perdurable ¶ Comme Inachus disoit son desconfort 1308 Archus 56 se lieve / et en le poussant fort Meyne par force en pasturaiges mainctz La povre fille arrachée des mains 1311 De son cher pere / Et puis occupe et gaigne Legierement le hault d’une montaigne Assez loingtaine où se siet et accule 1314 Et là seant toutes pars specule. 38vo ¶ De Mercure : envoyé sur terre pour endormir et tuer Argus et comment Juno unist les yeulx d’iceluy Argus en la queue d’ung paon Avec la fable de la Nymphe Siringue 39ro Illustr. 11 1317 39v o 1320 1323 1326 1329 Lors Jupiter recteur des dieux celestes Plus endurer ne peult tant de molestes A celle Yo du bon Phorone extraicte Si appella son fils que une parfaicte Clere Pleiade eut en enfantement Mercure eut non / Luy fist commandement D’occire Argus. Si ne demoura guieres Mercure à prendre aux piedz esles legieres En main puissante aussi / sa verge preste D’endormir gens / et son chappeau en teste. ¶ Tantost après / que cestuy dieu Mercure Eust disposé tout cela par grant cure D’ung hault manoir de son pere saulta Jusques en terre où son chappeau osta Semblablement des esles se desnue a eternel 56 Archus : graphie modifiée pour Argus. 398 « OVIDE VEUT PARLER » Et seulement sa verge a retenue 1332 ¶ D’icelle verge et s’en venant convoye Brebis en troppe à travers champs s’en voye Comme ung pasteur chantant de chalummeaux 1335 Faict et contruictz de pailles ou rouseaux ¶ Argus vacher (de Juno tout espris) Du son de l’art nouvellement appris Luy dit ainsi. ¶ Argus parlant à Mercure 40ro 1338 1341 1344 1347 1350 1353 1356 Quiconques soys approche Tu pourras bien te seoir sur ceste roche Avecques moy En autre lieu du monde L’herbe n’est point pour certain plus fecunde Pour le bestial tu vois aussi l’ombraige Bon aux pasteurs / en cestuy pasturaige. ¶ Mercure adonc se assist [au] a près Argus Tint et passa et propoz et arguts Le jour coulant / parlant de plusieurs poinctz Et en chantant de ces chalumaux joinctz L’ung avec l’autre A surmonter il tasche Les yeux d’Argus gardans Yo la vache Et toutesfoys Argus vaincre s’efforce Le doulx sommeil / amollissant sa force Voire et combien que repos gracieux Il a receu de l’une part des yeulx / Ce nonobstant veille de l’autre part S’enquiert aussi pourquoi et par quel art Trouvée fut la fluste dont chantoit Car puis ung peu / inventée elle estoit. ¶ Siringue convertie en Roseau a aut 399 MS. DOUCE 117 1359 40v o 1362 1365 1368 1371 1374 1377 1380 1383 41ro 1386 1389 a comme Lors dit Mercure Aux montz gelez d’Arcade En Nonacris sur toute Amadriade Une Naiade y eut tresrenommée. Syringue estoit / par les Nymphes nommée ¶ Non une foys / mais par diverses tires Icelle avoit mocqué plusieurs satires Qui la suivoyent et tous les dieux avecques Du boys umbreux et champ fertil d’ilecques ¶ En venerie et virginal noblesse Elle ensuivoyt Diane la deesse De l’isle Ortige et accoustrée et ceincte A la façon de ceste noble saincte. Mainctz eust deceu / et pour Dyane aussi Prendre on l’eust peu / ne fut que ceste cy Avoit ung arc de corne decoré Et ceste là en avoit ung doré. Encore ainsi mainctes gens decevoit. ¶ Or le dieu Pan ung jour venir la voyt Du mont Licée / Et ayant ceinct sa teste De pin agu / luy fit telle requeste. ¶ O noble Nymphe / obtempere au pleisir D’ung dieu qui a / grant voloir et desir De t’espouser. Brief mainte autre adventure Restoit encore à dire par Mercure C’est assavoir (tel priere ensuivante Mise à despris) la nymphe estre fuyante Par boys espais / tant qu’elle vint à l’eau Doulce et fluant du sablonneux et beau Fleuve Ladon / Et comment à la suycte Lors que les eaues / empescherent sa fuycte Ses claires sœurs pria illecques près De la muer Aussi [comment] a après Que Pan cuyda Siringue par luy prise En lieu du corps / de la Nymphe requise 400 « OVIDE VEUT PARLER » 1392 1395 1398 1401 1404 Tint en ses mains des cannes de roseaux Croissans au tour des paludz et des eaux Comment aussi quant dedans enhela Le vent esmeu dedans ces cannes là Y fit ung son delicat en voix faincte Semblable à cil d’ung cueur qui faict sa plaincte Et comment Pan surpris du son predict Et du doulx art tout nouveau luy a dit Cestuy parler et chant en qui te deulx Sera commun tousjours entre nous deux Aussi comment pour eternel renom Dès lor reluyt / et donna le droit nom De la pucelle à ces fustes ruralles Joinctes de cire en grandeur inegalles. ¶ La mort de Argus : ~ 41vo 1407 1410 1413 1416 1419 a Ainsi pour vray que Mercure devoit Dire telz motz les yeulx d’Argus il voit Tous succomber et sa lumiere forte De grant sommeil envelopée et morte ¶ Soudain sa voix refraignyt et cessa Et puis d’Argus le dormir renforça Adoulcissant de la verge charmée Les yeulx foiblets de sa teste assommée. ¶ Lors tout subit d’ung glaive renversé Baissant lechef en dormant l’a blessé Au propre endroit auquel est joincte et proche La teste au col puis du hault de la roche Le jecte aval et le mont hault et droit Soille de sang[.] ainsi es orendroit Gisant par terre a O Argus qui vivois Et la clarté qu’en cent yeulx tu avois Est or estaincte / et la seule obscurté Nous supprimons le point. 401 MS. DOUCE 117 1422 De mort surprent / cent yeulx et leur clarté. ¶ Adonc Juno les prent tous / et les [fiche] a Dessus la plume au paon son oyseau riche 1425 Et luy emplit toute la queue de yeulx Clairs et luysans comme estoilles des cieulx. ¶ Comment Yo vache reprint sa premiere forme de Nymphe et fut deesse. Et comment Epaphus filz de Jupiter et d’elle / injuria / Phaeton filz du soleil et de la Nymphe Clymene : 42ro Illustr. 12 42vo a fiches Soudain Juno en ire ardente brusle 1428 Et du courroux le temps ne dissimule Car Erynnis qui est horrible raige Mist au devant des yeulx et du couraige 1431 D’icelle Yo. et cacha l’incensée Maint aiguillon secret en sa pensée Espouvantant par raige furibunde 1434 La povre Yo suyvant par tout le monde ¶ O fleuve Nil en grant labeur et plaindre Tu luy restoys le dernier à attaindre 1437 Auquel pourtant à la fin elle arrive Et en posant / tout autour de la rive Ses deux genoulz / se veautra en sa place 1440 ¶ Et en levant sa telle quelle face Vers le haut ciel / renversant en arriere Son col de vache / en piteuse priere 1443 En larmes d’œil et en gemissemens Et en plaintifs / et gros mugissemens Elle sembloit à Jupiter crier 1446 Et de ces maulx fin final luy prier. ¶ Lors Jupiter de ses deux bras embrasse Sa femme au col la priant de sa grace 1449 Vueille de Yo finablement finir 402 « OVIDE VEUT PARLER » 1452 43ro 1455 1458 1461 1464 1467 1470 La grande peine. Et quant à l’avenir De moy (dit il) toute craincte demetz Car ceste cy ne te sera jamais Cause de dueil / et aux stigieux fleuves Commande ouy / cestuy serment pour preuves. Quant Juno eut appaisé la poincture Yo reprint sa premiere stature Et faicte fut / ceque devant estoit. ¶ Du corps s’en fuit le poil qu’elle vestoit Lors lui descroit / des cornes la grandeur Moindre devient de ses yeulx la rondeur Gueule et museau / plus petitz luy deviennent Espaules bras / et les mains luy reviennent L’ongle 57 de vache / en nouveaux piedz et mains Fut divisée en cinq ongles humains. ¶ Brief rien n’y eut de la vache / sur elle Fors seulement la blancheur naturelle[.] Et tout debout / fut la nymphe plantée Du cheminer de deux piedz contentée N’osant parler que de sa gorge ne ysse Mugissemens comme d’une genisse Et avec craincte essayoit à redire Ce qu’autresfois elle s’estoit ouy 58 dire. ¶ Le debat de Phaeton Et de Epaphus : ~ 1473 Or maintenant en deesse honnorée Elle est du peuple en Egypte adorée Parquoy en elle Epaphus on pourpense 1476 Estre engendré de la noble semence De Jupiter. Et brief en lieux certains Cestuy Epaphe / a ses temples haultains 1479 Faitz à l’honneur de son père et de luy. 43vo 57 58 Ongle peut encore être un substantif féminin (DMF). Il faut supposer une prononciation monosyllabique de ouy. MS. DOUCE 117 1482 1485 1488 1491 1494 1497 44ro 1500 1503 1506 1509 1512 1515 403 ¶ Or en ce temps / vray est qu’à iceluy Estoit egal de cueur / d’eage et de puissance Ung qui avoit du soleil prins naissance Dit Phaeton / qui jadis devisant De ces grant faictz / Et honneur non faisant A Epaphus / en gloire se mectoit Dont le soleil son propre pere estoit ¶ Ce que Epaphus ne peult pas bonnement Lors endurer / et lui dit plainement ¶ O povre sot / tu metz foy et credit A tout cela que ta mere te dit Et te tiens fier/ et louenge / retiens D’ung père fainct /qui pour vray ne t’est riens ¶ Lors Phaeton rougit d’ouir ce dire Et refraignit de vergoigne son ire Puis s’en corut à Climene sa mere Luy rapporter l’injure tant amere Et si luy dit / chere mere au suplus Cela de quoy tu te dois douloir plus C’est que rien n’ay repliqué sur l’injure Car quant à moy / je suis de ma nature Doulx et courtoys / et l’autre insupportant Et oultrageux / Mais j’ay honte pourtant Dont tel opprobre on m’a peu imputer Et que sur champ / ne l’ay peu confuter ¶ Donc si creé suis de ligne celeste Monstre à present le signe manifeste D’ung genre tel / tant digne et precieux En maintenant / que je suis des haulx cieux. ¶ Ces motz finiz / ses deux bras avança Et de sa mere au col les enlassa La suppliant par son chef tant chery Et par celuy de Merops son mary Et en l’honneur des nopces de ses seurs De luy donner signes certains et seurs De son vray père / En effet à grant peine 404 « OVIDE VEUT PARLER » Sçait on lequel / a plus esmeu Climene [:] Ou le prier par son filz proposé 1518 Ou le despit du reproche imposé ¶ Les bras au ciel lors tendit et leva En regardant le soleil elle va 1521 Dire ces mots. ¶ Le serment que Clymene Faict à son filz Phaeton. 44vo 1524 1527 1530 1533 1536 1539 1542 45ro Par la lumiere saincte De luysans rais environnée et seincte Qui nous voit bien / et qui entend noz voix Je jure filz que ce soleil que voys Et qui le monde illumine et tempere T’a engendré / et que c’est ton vray père. Si menterie en mes propoz je mectz Je me consens qu’il face que jamais Je ne le voye / Et que ceste lumiere Soit maintenant à mes yeulx la derniere. ¶ Or tu n’as pas grant affaire à congnoistre La demourance à ton père et son estre Car la maison dont il se lieve et part Est fort voisine à nostre terre et part Si aller là tu desires et quiers Pars dès ceste heure et à luy t’en enquiers. ¶ Quant Phaeton / de sa mere eut ouy Ung tel propos / soudain tout resjouy Il saulte en l’air / esperant en soymesmes Oultre passer / les regions supresmes ¶ Brief son pays / de Ethiope il traverse Et les Indoys / gisans soubz la diverse Chaleur du ciel / Et promptement de là En la maison de son cler père alla. ¶ Fin du premier livre Des transformations d’Ovide BIBLIOGRAPHIE Les ouvrages dont la notice est marquée d’un * sont disponibles sur Gallica. Ceux dont la notice est marquée d’un ** sont disponibles sur Google Books. ÉDITIONS ET TRADUCTIONS DES MÉTAMORPHOSES Les notices sont présentées dans l’ordre chronologique de la rédaction ou de la traduction. Ovide, Les Métamorphoses, Tome I, Livres I-V, éd. et trad. Georges Lafaye, Paris, Les Belles Lettres, 1999 Ovide, Les Métamorphoses, éd. Georges Lafaye, trad. Olivier Sers, Paris, Les Belles Lettres, 2009 Bersuire Pierre ; Valois, Thomas, Metamorphosis Ovidiana Moraliter a Magistro Thoma Walleys Anglico de prosessione predicatorum sanctissimo patre Dominico explanata, Paris, Josse Bade, 1509.* La bible des poëtes, Métamorphose [d’Ovide moralisée par Thomas Walleys et traduite par Colard Manson], Paris, A. Vérard* Metamorphosis cum integris ac emendanssimis Raphaelis Regii enarrationibus, Venetiis, Augustino Barbadico, 1497* Le Grand Olympe des histoires poétiques du prince de poésie Ovide Naso en sa Métamorphose, œuvre authentique de hault artifice, pleine de honneste récréation, traduyct de latin en françoys et imprimé nouvellement, Lyon, Romain Morin, 1532* Le Premier Livre des Transformations d’Ovide, manuscrit sur velin orné de 12 miniatures de la taille de la page, dédié à François Ier par Clément Marot, copie présentée à François Ier dans la reliure originale, marocain, in-4o. Conservé à aux Bodleian Libraries (ms. Douce 117) Marot, Clément, Le Premier Livre de la Metamorphose d’Ovide, Œuvres complètes, Tome II, éd. Gérard Defaux, Paris, Bordas, 1993, 403-451 406 « OVIDE VEUT PARLER » Marot, Clément, Le Second Livre de la Metamorphose d’Ovide, Œuvres complètes, Tome II, éd. Gérard Defaux, Paris, Bordas, 1993, 452-515 Marot, Clément, Aneau, Barthélemy, Les trois premiers livres de la Métamorphose d’Ovide, éd. Jean-Claude Moisan et Marie-Claude Malenfant, Paris, Champion, 1997 Metamorphoseos libri XV ; in eosdem libros Raphaelis Regii luculentissime enarrationes, neque non Lactantii et Petri Lavinii commentarii, non ante impressi, B. de Bindonibus, Venise, 1540* Deffrans, Christophle, Les Histoires des poetes comprinses au Grand Olimpe en ensuyvant les Métamorphoses d’Ovide, Niort, Thomas Porteau, 1595 Habert, François, Les quinze livres de la métamorphose d’Ovide interprétés en rimes françoises, selon la phrase latine, Paris, Jacques Keruer, 1557** Corneille, Thomas, Les Métamorphoses d’Ovide, mises en vers françois, Paris, J-B. Coignard, 1697** Corneille, Thomas, Les Métamorphoses d’Ovide mises en vers francois, Tome I, Liège, Jean François Broncat, 1698** OUVRAGES AVANT 1700 Boileau, Nicolas, Satires, Epitres, Art poétique, éd. Jean-Pierre Collinet, Paris, Gallimard, 1985 Castellion, Sébastien, Dialogues sacrés = Dialogi sacri : (premier livre), éd. David Amherdt et Yves Giraud, Genève, Droz, 2004 Dolet, Etienne, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, Lyon, Etienne Dolet, 1549* Du Bartas, La Sepmaine ou Création du monde, éd. Yvonne Bellenger, Paris, Nizet, 1981 Du Bellay, Joachim, La Deffence, et illustration de la langue française, Œuvres complètes, publiées sous la direction d’O. Millet, vol. 1, éd. Olivier Millet et Francis Goyet, Paris, Champion, 2003 Du Bellay, Joachim, Le quatriesme livre de l’Enéide / traduict en vers françoys. La complaincte de Didon à Enée, prinse d’Ovide, autres œuvres de l’invention du traducteur / par J. D. B. A., Paris, Vincent Certenas, 1552 * Erasme, Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, vol. I, tome 3, éd. L.E. Halkin ; F. Bierlaire ; R. Hoven, Amsterdam, North-Holland Publishing Company, 1972 Estienne Robert, Dictionnaire françois-latin : autrement dict les mots françois, avec les manières duser diceulx, tournez en latin, Paris, Robert Estienne, 1539* BIBLIOGRAPHIE 407 Estienne, Robert, Traicté de la grammaire françoise, Paris, Robert Estienne, 1569* Horace, Oeuvres, éd. et trad. François Richard, Paris, Garnier, 1967 L’art d’amours, éd. Bruno Roy, Leiden, Brill, 1974 Les Grammairiens du XVIe siècle, éd. Charles Livert, Paris, Didier, 1859* Lefèvre d’Etaples, Jacques, (Jacobus Faber Stapulens), Quincuplex psalterium : gallicum, romanum, hebraicum, vetus, concilatum, Henri Estienne, 1509** Meigret, Louis, Le tretté de la grammere françoeze, Paris, Christian Wechel, 1550* Marguerite de Navarre, Les Prisons, éd. Simone Glasson, Genève, Droz, 1978 Marguerite de Navarre, L’Histoire des Satyres, et Nymphes de Dyane. Les Quatre Dames et les quatre Gentilzhommes. 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P., 78 Colin, Jacques, 60 Colombat, Bernard, 70, 71 Cooper, Richard, 23, 73, 74 Cordier, Mathurin, 70 Corneille, Thomas, 24, 314, 317, 318, 319, 321, 322, 323, 324, 326, 327 Corrozet, Gilles, 291, 293 Cottrell, Robert, 315 Crinito, Pietro, 29n Croizy-Naquet, Catherine, 36 D d’Espence, Claude, 69 Dal Pozzo, Francisco, 208 David, 307, 308 de Marquets, Anne, 69 de Reyff, Simone, 39 Defaux, Gérard, 13, 15n, 28n, 64, 73, 74n, 75, 77, 78, 85, 86, 88, 98, 128, 129, 141, 142, 149, 166, 169, 170, 174, 175, 227, 228, 229, 230, 275, 282, 290, 291, 292, 298, 298n, 304, 306, 307, 309, 312, 315 Del Sarto, Andrea, 80 Delexi, Jacques, 28n, 85, 86 Demerson, Guy, 86, 228, 230 Démosthène, 66, 124 Des Masures, Louis, 49 Dimmick, Jeremy, 30, 31, 32 Diodore, 241, 243 Dolet, Etienne, 17, 18, 22, 64, 65, 69, 71, 91, 105, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 119, 120, 121, 124, 143, 165, 230, 234, 297n, 316, 330, 331, 332, 335, 336 Dorat, Jean, 69, 90 Dostoïevski, Fedor, 84 Du Bartas, Guillaume, 326 Du Bellay, Guillaume (Monseigneur de Langeais), 64 Du Bellay, Joachim, 23, 49, 64, 65, 69, 71, 85, 105, 114, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 212, 219, 255, 256, 257, 336 Du Pré, Galliot, 76 Dubois, Jacques, 66, 92, 93, 95 E Ebert, Friedrich Adolph, 280 Eco, Umberto, 21n, 132, 133, 154n, 165, 174, 183, 189, 190, 195, 264 Eléonore de Habsbourg, 74, 79 Erasme, 21, 54, 55, 57, 58, 59, 63, 71, 77, 276, 298, 300, 303, 304 Estienne, Robert, 92, 93, 95, 96, 97 Ezéchiel, 41 F Ficin, Marcile, 57 Florio, John, 130 François Ier, 14, 15n, 16, 22, 24, 25, 53, 54, 55, 56, 57, 59, 60, 61, 64, 72, 74, 75, 77, 78, 79, 80, 82, 83, 84, 86, 87, 89, 91, 110, 261, 266, 292, 312, 329 Fumaroli, Marc, 71 G Gadoffre, Gilbert, 29, 55, 56, 57, 58, 59, 63, 79, 91 Galland, Pierre, 91 Gaudu, F., 23n, 74 Genette, Gérard, 116n Gérard, Jean, 307 Giraud, Yves, 70 Girot, Jean-Eudes, 282, 283, 284, 287, 290 Gois, Antoine de, 307 425 INDEX NOMINUM Grands Rhétoriqueurs, 28, 108n, 148 Gravelle, Sarah Stever, 57n Greenblatt, Stephen, 22, 126, 127 Grévin, Jacques, 69 Gryphe, Sébastien, 29n, 281 Guillaume Michel de Tour, 24, 65, 107, 108, 109, 121, 196, 274, 312, 331, 335 Guillerm, Luce, 61, 62 Gundolf, Friedrich, 128 H Habert, François, 24, 49, 314, 315, 316, 317, 318, 321, 322, 323, 325 Herberay, Nicolas de, 293 Hérodote, 66, 240 Héroët, Antoine, 57 Hölderlin, Friedrich, 67n, 117, 275n Homère, 66, 76, 124, 130, 227n Horace, 106, 108, 109, 110, 117, 119, 140, 234, 273, 274, 331 Hugo, Victor, 13, 129 Humboldt, Wilhelm, 119 Hunkeler, Thomas, 57 I Isocrate, 66 J Jacopin, Paul, 55 Jakobson, Roman, 119 Jeanneret, Michel, 309n K Keats, John, 130 Kerbrat-Orechioni, Catherine, 162, 211 L La Pléiade, 63, 64, 122, 123, 128 Lafaye, Georges, 134, 166, 174, 206n, 243, 244, 248, 251, 279 Lagrée, Jacqueline, 55 Lamarque, Henri, 209 Laure, 295 Lavinius, 27n, 209, 210, 235, 240 Lefèvre d’Etaples, Jacques, 66, 305 Lemaire de Belges, Jean, 53, 88, 89 Léonard de Vinci, 80 Leopardi, Giacomo, 132 Lestringant, Frank, 92, 101 Longeon, Claude, 69 Louis XII, 60, 80, 89 Lucain, 44 Lucien, 82 Luck, Georg, 89, 179, 180, 181, 227 M Macault, Antoine de, 283 Magnien, Michel, 28n, 85, 86 Malenfant, Marie-Claude, 199, 200, 201, 202, 205, 206, 207, 208, 210, 279, 309n, 338 Mallarmé, Stéphane, 131 Manetti, Giannozzo, 54, 81 Manuce, Alde, 280 Mara, Guillaume de, 280, 281, 285, 288, 329 Maréchaux, Pierre, 25n, 86, 199, 208, 209, 210, 214, 215, 219, 227, 237, 338 Marguerite de Navarre, 89, 290 Marie de France, 31, 32 Marot, Jean, 14, 15, 28, 88, 89, 263 Mathieu, Abel, 100, Mayer, Claude-Albert, 15n, 73, 291, 307 Meigret, Louis, 20n, 92, 93, 95, 98, 100 426 « OVIDE VEUT PARLER » Ménage, Gilles, 337 Millet, Olivier, 64, 114, 122 Moisan, Jean-Claude, 50, 199, 200, 201, 202, 205, 206, 207, 208, 210, 237, 240, 260, 279, 309n, 338 Moïse, 303 Monferran, Jean-Charles, 68 Moss, Ann, 27n, 48, 210 Mounin, Georges, 118, 125, 147, 255n, 336, 337 Mühlethaler, Jean-Claude, 34 Musée, 77, 128, 276, 280, 281, 283, 286, 288, 290, 304, 306 Musurus, Marcus, 280, 281, 283, 284, 285, 286, 288, 306 N Norton, Glyn P., 54, 106, 110, 117, 138, 139, 170, 195, 196, 331, 332 O Olivétan, Pierre, 305 P Palsgrave, John, 92, 93, 95, 96, 98 Palude, Maxime, 27n, 29n Parrhasius, 27n Peletier du Mans, Jacques, 21, 67, 93 Pellican, Conrad, 305 Pétrarque, 22, 66, 69, 77, 80, 81, 82, 124, 276, 291, 292, 293, 294, 295, 296, 297,297n Philippe II, 78 Pindare, 90 Platon, 45, 57, 66 Pline, 138, 139, Poe, Edgar Allan, 131 Pornas, Francois, 51 Pornas, Leonard, 51 Possamai-Perez, Marylène, 30, 31, 32, 35, 36, 37 R Rabelais, François, 85, 91, 107 Ramée, Pierre de la, 100 Regius, 26, 27, 58, 86, 87, 140, 151, 157, 180, 181, 199, 202, 208, 209, 210, 212, 214, 215, 218, 219, 220, 221, 222, 227, 235, 237, 238, 239, 240, 242, 245, 250, 276, 288, 329 Reuben, Catherine, 305, 306 Rhodiginus, 27n Rickard, Peter, 83 Roffet, Pierre, 13 Ronsard, Pierre de, 85, 90 Rosenthal, Olivia, 68 Roubaud, Jacques, 292, 293 143, 205, 217, 231, 244, S Saint Jérôme, 54, 55 Saint-Gelais, Mellin de, 293, 297n Saint-Gelais, Octovien de, 24, 49, 65, 83, 110, 269, 271, 273, 274, 275, 331 Salel, Hugues, 282 Salluste, 66 Salmonius, 76 Salutati, 22 Sandre, Thierry, 288 Sannazare, Jacques, 66 Saulnier, Verdun-Louis, 107 Saussure, Ferdinand de, 119 Schiller, Friedrich, 283 Schlegel, August Wilhelm, 128 Sebastiano, Fausto, 81 Sébillet, Thomas, 21, 67, 68 Sextus Pompée, 143 Seyssel, Claude de, 60, 61, 62, 83, 110, 282, 329 427 INDEX NOMINUM Shakespeare, William, 69, 84, 116, 117, 128 Sharratt, Peter, 90 Simonin, Michel, 28n Sophron, 45 Steiner, George, 92, 110, 115, 116, 119, 128, 131, 147, Suetone, 83 Swift, Jonathan, 334 Vianey, Joseph, 291 Vierge Marie, 35, 36 Villon, François, 102, 103 Virgile, 16, 66, 76, 83, 88, 107, 108, 121, 122, 124, 125, 227, 270, 273, 274 Vivès, 70 Vogüé, Melchior de, 84 Voll, Hermann, 208n, 264n Voltaire, 84 T Tardieu, Jean, 67n, 117, 275n Tesnière, Lucien, 183, 184, 195 Thomas, David H., 70 Thucydide, 66 Tory, Geoffroy, 282 W Wechel, Christian, 281, 282, 283, 284, 286, 288 Whorf, Benjamin Lee, 119 Williams, Anwyl, 291 Wittgenstein, Ludwig, 131 V Valla, Lorenzo, 57n, 60 Vatable, François, 305 Vatelle, Jean, 280, 281, 283, 288, 329 Vaugelas, Claude Favre de, 92, 101, 318 X Xenophon, 326 Z Zuber, Roger, 71, 101, 130, 336, 337 INDEX RERUM A A Silvia, 132, 133 Abbatis et Eruditae, 298, 300, 303 Abide, 289 Actéon, 15n, 37, 39 Adam, 43 Advertissement sur les jugements d’Astrologie à une studieuse damoyselle (Mellin de SaintGelais), 297n Affaire des Placards, 76 Age d’Or, 164 Age de Fer, 197, 198, 218 Amarillis, 107, 108 Amboise, 15n, 16, 73, 80 Amphitrite, 46, 47, 209, 219 Amphrysos, 163 Angleterre, 84 Anius, 272 Antileguleitas, 28n, 84 Anvers, 307 Après Babel, 115, 131, 147 Aquilon, 214, 322 Arcadie, 43, 278 Argus, 43, 175, 200, 201, 202, 207 Ars d’amours, 32 Art d’aimer (Ovide), 32 Art Poétique (Boileau), 85 Art Poétique (Horace), 106, 112 Art poétique (Peletier), 67 Art poétique françois (Sébillet), 68 Astrée, 197 Athéna, 56 Aurore, 289 Auster, 134, 184, 254, 322 B Bacchus, 42, 240 Béotie, 240 Bible des poëtes, 21, 25, 40, 41, 42, 44, 45, 46, 47, 48, 50, 52 Bible, 41, 305, 329 Blois (château), 80 Bodleian Libraries, 23, 74 Boreas, 133 Bucoliques (traduction de Guillaume Michel), 65, 83 C Cahors, 88 Caïn, 235 Callisto, 200, 278 Cambridge, 334 Chambord (château), 80 Chaos, 170, 171, 209, 327 Ciceronianus (Dolet), 28, 58, 330 Cinquante Psaumes (traduction de Marot), 77, 307 Cligès (Chrétien de Troyes), 31 Colloques d’Erasme (traduction de Marot), 77, 298, 299, 300, 301 Colloquia (Erasme), 303, 311 Colloquia (Mathurin Cordier), 70 Commentarii linguae latinae (Budé), 55 Crète, 43 430 « OVIDE VEUT PARLER » Cupidon, 200 Cybèle, 42 Cyclopes, 153, 154, 155, 157, 158, 160, 161, 231 Cymbeline (Shakespeare), 115 Danaé, 39 Daphné, 25, 35, 36, 37, 43, 44, 46, 47, 102, 149, 228, 232, 233, 247, 248, 250, 251, 253, 258, 261, 265, 324, 325, 326, De Honesta disciplina (Crinito), 29n De Imitatione ciceroniana (Dolet), 71 De Interpretazione recta (Bruni), 81n, 115n De Oratore (Cicéron), 123 De Philologia (Budé), 56, De Poetis latinis (Crinito), 29n De Rerum Natura, 126, Défense et illustration de la langue française, 64, 65, 69, 105, 114, 122, 123, 124, 125, 336, Délos, 271 Déploration sur le Trespas de Messire Florimond Robertet, 76 Deucalion, 39, 43, 163, 165, 166, 239, 240 Dialogi sacri (Castellion), 70 Diane, 42, 43, 237 Diodore de Sicile (traduction de Claude de Seyssel), 83 Discours de Démosthène et d’Eschine (Cicéron), 109 Divine Comédie, 311 Dizain « Sur le Thucydide de Claude de Seyssel », 60 Don Quichotte, 53 Dryades, 319, 320 Egypte, 241, 243 Enée, 269, 271, 273 Enéide (traduction de SaintGelais), 49, 65, 110, 269, 273, 274 Enéide, 49, 68, 83, 122, 275 Enipée, 163 Eole, 151, 153, 154, 155, 161 Epaphus, 43, 200, 242 Epigramme de Salmonius mys de Latin en Françoys, 15n, 77, 196 Epigramme « Plaise au roy de congé me donner », 77 Epistolae ad familiares (Cicéron, édition Dolet), 71 Epître « A Monseigneur de Langeais » (Dolet), 64, 65 Epître « A Monseigneur de Lorraine nouvellement venu à Paris », 19, 73, 74 Epître « A ses Disciples », 98 Epître « A un grand nombre de frères », 88 Epître « Au Roy », 89 Epître « Au tresvertueux prince, François, Daulphin de France », 86 Epître du Coq en Lasne à Lyon Jamet de Sansay en Poictou, 76, 301 Epître « Plaise au roy congé me donner », 87 Eridan, 163 Erinys, 167, 315, 316, 317, 318 Escorial, 78 Esculape, 42 Espagne, 56 Europe, 80 Eurus, 133, 213, 321, 322 Exercitatio linguae Latinae sive Colloquia (Vivès), 70 E F D Eas, 163 Echo, 108, 319, 320 Ferrare, 75, 76, 77, 291 Fontainebleau, 78 431 INDEX RERUM France, 59, 62, 76, 78, 79, 80, 81, 88, 293, 329 G Genèse, 37, 126 Genève, 77, 307 Géorgiques (traduction de Guillaume Michel), 65, 83 Grand Olympe, 21, 26, 40, 41, 44, 45, 46, 47, 48, 65, 110, 198 Grèce, 66 Guerre de Troye, 33, 42 H Habsbourg (dynastie), 80 Hamlet, 84, 126 Hellespont, 283 Hercule, 42 Héro, 285, 286, 287, 289, 290 Héroïdes, 33, 281 Histoire Ancienne jusqu’à César, 33 Histoire de Leander et Hero, 77, 128, 129, 280, 281, 283, 284, 286, 290, 305, 311, 329 I Iliade, 45, 68, 126 Imagination poétique, 48, 279 Inachus, 43 Io, 200, 218, 234, 236, 240, 241, 242, 257, 259, 323 Isis, 241, 242 Italie, 43, 44, 76, 79, 81, 82, 100, 282, 291 J Janus, 43 Jugement de Minos, 15 Junon, 42, 43, 200, 218, 234, 236, 259, 278, 323 Jupiter, 42, 43, 44, 144, 145, 151, 157, 162, 163, 166, 168, 180, 218, 221, 230, 231, 234, 236, 241, 242, 259, 260, 278, 289, 315, 323, 324 146, 169, 235, 279, K King James Bible, 333, 334, 335, 336 L L’Adolescence clementine, 13, 75, 76, 81, 88, 102 L’Ane d’or (traduction de Guillaume Michel), 83 L’Enfer, 76, 88 La Manière de bien traduire d’une langue en l’autre, 64, 65, 71, 91, 102, 105, 110, 111, 115, 121, 330, 331, 332 La Mort de César, tragédie de Voltaire, 84 La Suite de l’Adolescence, 13, 76, 81, 307 Ladon, 175, 176, 201 Lancelot, 32 Le Banquet, 57 Le Bon Usage (Goose/Grévisse), 94, 183 Le Chant des Visions de Pétrarque, 15n, 77, 80, 81, 82 Le Corbeau (Edgar Allan Poe), 131 Le grand combat des ratz et des grenouilles, 283 Le Roman de la Rose (édition Marot), 102 Le Sixiesme Psaulme de David, 307, 309 Léandre, 284, 285, 286, 287, 289, 290 Les belles infidèles (corpus), 105, 130, 336, 337 432 « OVIDE VEUT PARLER » Les Prisons (Marguerite de Navarre), 39 Les Psaumes de David (Marot), 307 Les Trois Premiers Livres de la Metamorphose d’Ovide (Aneau), 48, 49, 51, 52 Livre des rois, 41 Londres, 84 Louvre, 55 Luna, base de données, 74 Lycaon, 37, 38, 43, 44, 45, 46,167, 216, 217, 221, 256, 257 Lyon, 71, 75, 304 N Nabathe, 133, 213, 321, 322 Naïades, 319, 320 Naples, 33 Narcisse, 318 Neptune, 42, 145, 146, 172, 173, 174, 179, 180, 181, 231, 249, 272 Nérac, 76 Nérée, 235 Néréides, 210, 272 Nil, 242, 243, 244 Noé, 240 Nouveau Testament (traduction d’Erasme), 54, 63 M Macbeth, 117 Madrid, 79 Marignan, 79 Mars, 42 Memphis (Egypte), 241 Mercure, 42, 43, 175, 200, 201, 202, 205, 207, 208, 231 Métamorphoses d’Ovide mise en vers français (traduction de Thomas Corneille), 318, Métamorphoses, 14, 15, 19, 25, 27, 29, 30, 31, 33, 37, 38, 40, 41, 44, 47, 48, 49, 52, 53, 57, 65, 71, 78, 84, 87, 195, 196, 197, 199, 213, 227, 228, 262, 267, 280, 284, 307, 314, 322, 326, 329, 330, 337 Milan, 79 Minerve, 42 Mouseïon, 55, 56, 57, 61, 329 ms. Douce 117, 23, 74, 140, 141, 144, 145, 146, 148, 149, 151, 157n, 159, 160, 164, 165, 166, 167, 168, 170, 171, 174, 175, 176, 179, 212, 216, 220, 233, 235, 239, 247, 248, 251, 252 O Odyssée, 132, 133 Œuvres de François Villon (édition Marot), 76, 102, 103 Oraison contemplative devant le crucifix, 15n, 77, 82, 276 Orateur français (Dolet), 65, 66, 67, 111, 114, 115 Orationes (Dolet), 71 Ovide moralisé, 21, 26, 33, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 44, 46, 47, 48, 50, 52, 83, 329 Ovidius moralizatus, 32, 40, 48 Oxford, 334 P Paix de Cambrais, 79 Palimpsestes (Genette), 116n Pan, 42, 175, 201, 202, 207 Pandectes (Budé), 62 Pantagruel, 108 Paris, 75, 78, 304 Parnasse, 239, 240 Pavie, 79, 80 Pénée, 232, 258 433 INDEX RERUM Perse, 133, 213, 321, 322 Phaéton, 43, 200, 242, 277, 278 Phébus (Apollon), 25, 42, 43, 47, 51, 102, 149, 172, 194, 200, 222, 228, 233, 240, 248, 257, 258, 272, 277 Phocide, 239 Pierre Ménard (Borges), 35, 53, 127, 331 Pluton, 42 Pompéï, 144 Posthumus, 115 Première églogue, 15n, 77, 88, 107, 195, 274, 276n Préparation de voie à la lecture, et intelligence de la Metamorphose d’Ovide (Aneau), 26, 51, 52 Psalterium gallicum, 306 Psalterium hebraicum, 306 Psalterium romanum, 306 Psaumes, 77, 276, 284, 304, 305, 306, 309, 312, 329 Psautier huguenot, 304 Pseaulme premier, à deux versetz pour couplet à chanter, 311 Pseaulme Unzieme, à deux coupletz differents de chant, chascun couplet d’ung verset, 310 Pyrame et Thisbé, 16n, 25, 102, 228 Pyrrha, 43, 163, 165, 166, 239 Pythia, 47 Python, 43, 265 S Querelle des Anciens et des Modernes, 67n, 317 Quincuplex (Lefèvre d’Etaples), 305, 306 Quintil Horacien, 314 Saturne, 42, 43, 44, 234 Savoie, 19, 77 Scythie, 133, 322 Second livre de Amadis de Gaule, 293 Second Livre de la Metamorphose d’Ovide, 76, 78, 276, 278, 280 Sémélé, 39 Sepmaine (Du Bartas), 326, 327 Septième guerre d’Italie, 79 Seste, 289 Sicile, 157 Six livres de la Métamorphose (traduction de Habert), 49 Six sonnets (traduction de Marot), 76, 293 Sonnet à Mme de Ferrare, 296, 297 Sonnet « A une dame » (SaintGelais), 297n Sonnet « Au Lecteur » (Nicolas de Herberay), 293 Sonnet « D’un présent de roses » (Saint-Gelais), 297n Sonnet de la différence du Roy et de l’empereur (Marot), 297n Sonnet « Il n’est point tant de barques à Venise » (SaintGelais), 297n Sonnet Pour le May Planté par les Imprimeurs de Lyon devant le Logis du Seigneur Trivule (Marot), 297n Sperche, 163 Styx, 198, 235, 236, 237, 241, 242, 319, 320 Syrinx, 43, 175, 201, 202, 207 R T Q Recueillement (Baudelaire), 258 Rome, 66 Rondeau en rimes, 148 Tempé, 163 Temple de Cupido, 15 The Scholemaster (Roger Ascham), 138 434 « OVIDE VEUT PARLER » Thémis, 43 Thucydide (traduction de Claude de Seyssel), 60, 61, 83 Titan, 43 Tityre, 107, 108, 109 Tombeau de Laure, 75, 80 Traité de Madrid, 79 Trente Psaumes (traduction de Marot), 77, 307 Tristes vers, 15n, 77, 82, 276n Triton, 171, 172, 173, 174 Troisième Livre (traduction de Barthélemy Aneau), 314 Turin, 77 Tusculanes, 115 U Ulysse, 132 Vesper, 133, 134, 247, 321, 322 Vies (traduction de Guillaume Michel), 83 Virgo poenitens, 298, 300 Virgo μισόγαμος, 298, 299, 301, 303 Vulcain, 42, 241 Vulgate, 55 W Westminster, 334 X Xénophon (traduction de Claude de Seyssel), 83 Z V Venise, 76 Vénus, 42, 43, 269, 284, 285, 286, 290 Zephyrus, 133, 134, 165, 184, 247, 321, 322 CRÉDITS Le ms. Douce 117 est publié avec l’aimable autorisation des Bodleian Libraries (Université d’Oxford). TABLE DES MATIÈRES REMERCIEMENTS......................................................................... 9 ABRÉVIATIONS ET ADAPTATIONS......................................... 11 INTRODUCTION ........................................................................... Transmuer ung transmueur..................................................... Œuvre en mon labeur Poëtique.............................................. 13 13 18 CHAPITRE PREMIER QUELQUES FAUX-AMIS DANS L’APPROCHE DU PREMIER LIVRE............................................................................. 25 Autour de l’Ovide moralisé ....................................................... Humanisme et traduction ........................................................ « Decoration grande en nostre langue »................................ 30 53 64 CHAPITRE II LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE LA TRADUCTION MAROTIQUE .................................................................................. 73 Une situation chronologique doublement stratégique ....... Les outils du traducteur........................................................... 75 84 CHAPITRE III LA TRADUCTION, ŒUVRE DE PRIX POUR LES POÈTES ?.......................................................................................... 105 Une analyse encore pertinente aujourd’hui : Dolet ............ 111 L’aporie fondamentale : Du Bellay......................................... 122 Réfuter Du Bellay ...................................................................... 126 438 « OVIDE VEUT PARLER » CHAPITRE IV IDENTIFIER LES UNITÉS DE LA CONSTRUCTIO DU PREMIER LIVRE............................................................................. 137 Le ms. Douce 117 et l’économie de la traduction marotique................................................................................ 140 Découper un passage en séquences ....................................... 151 La différence avec les unités de la syntaxe et de la versification ............................................................................ 162 CHAPITRE V INTERROGER LE NIVEAU D’ANALYSE COURANT ........... 179 Choisir un modèle syntaxique ................................................ Des unités linguistiques aux opérations ............................... Dénombrement de l’ajout et commentaires critiques ......... Etude systématique de l’ajout ................................................. 183 189 196 210 CHAPITRE VI RÉVÉLER L’ART DE MAROT TRADUCTEUR ........................ 227 La clarté....................................................................................... Le rapport à l’érudition............................................................ Le rapport au latin .................................................................... L’invention poétique ................................................................. 229 237 245 255 CHAPITRE VII APRÈS LE PREMIER LIVRE......................................................... 269 Les autres traductions de Marot............................................. 276 Les autres traductions en vers après Marot ......................... 314 CONCLUSION................................................................................ 329 ANNEXE MS DOUCE 17 ................................................................................ 341 BIBLIOGRAPHIE............................................................................ 405 INDEX NOMINUM ....................................................................... 423 INDEX RERUM............................................................................... 429 CRÉDITS .......................................................................................... 435 Mise en page par Pixellence/Meta-systems 59100 Roubaix