Hommage

Huang Yong Ping, fabuliste moderne

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Figure majeure de l’avant-garde chinoise, Huang Yong Ping, qui vivait en France depuis 1989, est décédé subitement ce samedi à l’âge de 65 ans. Autant inspiré par dada que par la pensée zen, il avait marqué les esprits avec son bestiaire géant et ses installations hors norme. En 2016, Beaux Arts lui consacrait un hors-série à l’occasion de sa participation au cycle Monumenta au Grand Palais. Hommage.
Huang Yong Ping en 2016 au Grand Palais
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Huang Yong Ping en 2016 au Grand Palais, 2016

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© Photo Fabrice Seixas

C’est à la faveur de l’exposition « Magiciens de la Terre » que le nom et l’œuvre de Huang Yong Ping sont apparus dans le monde de l’art français et, au-delà, sur la scène internationale. La manifestation marquante et pionnière entendait élargir, en 1989, le spectre de l’art contemporain à des artistes non-occidentaux, favorisant « des pratiques enracinées dans des cultures ancestrales, résistantes au post-colonialisme, en lutte contre les totalitarismes et, surtout, curieuses de l’ouverture planétaire émergente », selon Jean-Hubert Martin, son commissaire. Au cours d’un voyage de prospection en Chine, dans le Fujian, ce dernier découvre Ping. Formé à l’Académie des beaux-arts de Hangzhou, l’artiste a, en 1986, brûlé ses œuvres, expliquant ce geste radical, pyromane et destructeur, dans Statement on burning, un texte aux accents de manifeste : « L’œuvre d’art est à l’artiste ce que l’opium est à l’homme. Avant que l’art soit détruit, la vie n’est jamais paisible. Dada est mort. Attention au feu. »

Transformation/destruction/incendie des œuvres de Xiamen Dada
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Transformation/destruction/incendie des œuvres de Xiamen Dada, 24 novembre 1986

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Palais de la Culture de Xiamen, Fujian, Chine

© ADAGP Huang Yong Ping. Photo Wu Yi Ming. Courtesy de l’artiste et kamel mennour, Paris

La référence à Dada pourrait étonner ceux qui pensent que l’art chinois ne renvoie qu’à la tradition chinoise. Or, même si l’accès à l’histoire des avant-gardes modernes européennes était, du propre aveu de Ping, assez peu aisé, l’artiste a pu trouver dans quelques livres des reproductions d’œuvres de Marcel Duchamp, Piero Manzoni et Joseph Beuys. De quoi entrevoir des perspectives nouvelles. Sa proposition pour « Magiciens de la Terre » combine ces deux éléments, les livres et la destruction. Il passe à la machine à laver des ouvrages sur l’histoire de l’art chinois et sur l’art occidental, avant d’exposer ce qui est ressorti du tambour après essorage : une bouillie marronnasse qui sèche dans l’exposition. Davantage que la combinaison de deux histoires qui se mélangeaient assez peu, davantage aussi qu’une manière de signifier qu’une nouvelle page des relations sino-occidentales est en passe de s’écrire, on verra là une manière punk, chaotique, impulsive et régressive de faire œuvre, en repartant de zéro, d’une page blanche réduite en charpie.

Huang Yong Ping, né en 1954 à Xiamen, en Chine, et alors âgé de trente-cinq ans, est l’un des chefs de file de l’avant-garde chinoise. Les manifestations de la place Tiananmen, à Pékin, durent depuis un mois quand l’exposition parisienne débute (le 18 mai 1989) : l’artiste décide de rester en France et de se faire naturaliser. Le pays accueille son œuvre Un homme et neuf animaux au sein de son pavillon à la biennale de Venise de 1999 (en duo avec Jean-Pierre Bertrand). De grands troncs d’arbres surmontés de bustes sculptés crevaient le plafond et élevaient le regard à des altitudes spirituelles. C’est là l’un des fondements d’une œuvre qui se tourne volontiers vers la pensée zen et celle du taoïsme pour s’imprégner des cycles de la nature et de la profondeur du cosmos.

Huang Yong Ping, Un homme, neuf animaux
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Huang Yong Ping, Un homme, neuf animaux, 1999

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Vue de l’exposition, 48e biennale de Venise, pavillon français.

Bois, aluminium • 23 × 17 × 8 m • Collection Fonds national d’art contemporain, Paris • © ADAGP Huang Yong Ping. Courtesy Huang Yong Ping

En 2006, sur l’île de Vassivière, au Centre international d’art et du paysage, il installe un grand moulin à prières, réplique de ceux qu’utilisent les bouddhistes tibétains pour émettre un son lancinant, censé dissiper le mal et procurer la paix. Ehi ehi sina sina, œuvre au titre sonore et incantatoire, sera montrée à nouveau, en 2008, au Centre Pompidou dans l’exposition « Traces du sacré ». Avec cette même ambiguïté : l’apaisement spirituel qu’elle véhicule est en effet contredit par la forme de la sculpture, dont le mât est inspiré d’une arme chinoise, appelée « mao », et dont le couvercle figure un bouclier. La paix et la guerre, un son pacificateur sur une forme belliqueuse : Huang Yong Ping est tout sauf un artiste béat. Chacune de ses œuvres entretient l’ambiguïté. Ainsi Bouddha peut bien apparaître, effigie en bois sculpté à la mine recueillie et bienveillante, il n’empêche, le dieu est cerné de vautours empaillés qui zyeutent et picorent voracement ses intestins en soie dégoulinant de son ventre (Intestins de Bouddha, 2006).

Huang Yong Ping, Intestins de Bouddha
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Huang Yong Ping, Intestins de Bouddha, 2006

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Vue de l’exposition « Panthéon », Centre international d’art et du paysage de Vassivière, 2006.

Techniques mixtes • Coll. Centre Pompidou, Paris • © ADAGP Huang Yong Ping. Photo André Morin. Courtesy Huang Yong Ping

Très souvent, les animaux pointent leur museau dans le travail d’un artiste qui ne cesse de jouer les fabulistes modernes.

La soie, le bois : les matériaux qu’utilise l’artiste sont des plus traditionnels à cette époque et renvoie à un savoir-faire artisanal – dont il n’est pas lui-même le dépositaire, mais l’admirateur. Autrement dit, il lie toujours les objets et leur symbolique, à ceux, modestes artisans, qui les fabriquent. En 2013, invité par le musée d’Art contemporain de Lyon, il empruntait une collection de statuettes originaires de la province du Fujian (là même où il est né), représentant un panthéon populaire des dieux chinois, découvertes au XIXe siècle et conservées depuis au musée des Confluences de la ville. Mais conservées moins en tant qu’œuvres d’art que comme outils de recherches ethnographiques, ou bien comme reliques historiques ou encore sujets exotiques ? La question de leur statut était soulevée dès lors que Huang Yong Ping les déplaçait au sein du musée d’Art contemporain, à l’occasion de sa propre exposition, intitulée « Amoy/Xiamen » : un pléonasme révélateur puisque la ville de Xiamen fut d’abord baptisée Amoy par les premiers voyageurs européens. L’œuvre voyage dans l’espace et dans le temps, confrontant, autour de menus objets, les interprétations que les spécialistes en livrent.

Huang Yong Ping devant son installation « Empires » Monumenta 2016
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Huang Yong Ping devant son installation « Empires » Monumenta 2016

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© ADAGP, Paris 2016. Photo Didier Plowy pour la RMN-GP. Courtesy de l’artiste et kamel mennour, Paris

On a évoqué les vautours et on découvre le serpent, allongé de tout son long au Grand Palais, en 2016 : très souvent, les animaux pointent leur museau dans le travail d’un artiste qui ne cesse de jouer les fabulistes modernes. En 2009, dans la chapelle des Beaux-Arts de Paris, il réinventait une Arche (de Noé mais pas seulement tant la faune en péril hante nombre de récits fondateurs), peuplée de bêtes empaillées, rescapées de l’incendie de la maison Deyrolle. Girafe, éléphant, chèvre, pigeon, c’est toute une ménagerie qui l’a échappé belle et vient parader, ou plutôt se carapater, aux Beaux-Arts. L’œuvre résonne avec une inquiétude croissante sur le sort de la faune, mais aussi bien évidemment sur celui de l’espèce humaine.

Avec sa patte de fabuliste, Huang Yong Ping fait de ces représentations animales des allégories des sociétés humaines. Qui, le plus souvent, se révèlent cruelles, à l’image de son Théâtre du monde réunissant des espèces (sauterelles, cafards, tarentules, mille-pattes, lézards et scorpions) sous les mailles d’un vivarium en forme de tortue, en 2013. À moins que l’état lamentable dans lequel l’homme a plongé le reste du monde et des vivants ne s’invite dans la place. C’est ainsi qu’à Monaco, en 2010, on a vu se réfugier au plafond du Musée océanographique une pieuvre hybridée d’une seiche. L’animal mutant et immense avait pour nom Wu Zei, un mot valise désignant la seiche (Wu Zei en chinois) mais aussi la couleur noire (Wu) et, enfin, le vol, la corruption (Zei). La pieuvre tentaculaire et monstrueuse brassait large…

Huang Yong Ping, Wu Zei
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Huang Yong Ping, Wu Zei, 2010

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Installation, métal, silicone, mousse et papier de riz • 18,6 × 16,6 × 7,4 m • Musée océanographique de Monaco, 2010 • © ADAGP Huang Yong Ping. Photo André Morin. Courtesy de l’artiste et kamel mennour, Paris

Quant au Serpent d’océan, créature squelettique longue de cent vingt mètres, il barbotte, hélas, bien trop près du rivage où il s’est échoué. Il se tient tapi sous les eaux de l’océan à Saint-Brévin-les-Pins à marée haute, mais, à marée basse, révèle sa longue carcasse et sa gueule béante. Comme fossilisé, l’animal ressemble à un vestige d’une mystérieuse cité engloutie, nous rappelant que toute civilisation est mortelle. La sculpture, pérenne, fait ainsi figure de pythie présageant un avenir obscur et apocalyptique. Chez Huang Yong Ping, le temps se couvre. La brume se lève. Et les « empires », qu’ils soient politiques ou économiques, d’hier ou d’aujourd’hui, sortent les crocs pour laisser planer une ombre funeste.

Retrouvez dans l’Encyclo : Dada

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