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Idées

Israël-Palestine : le monde intellectuel musulman doit prendre la parole

EDITORIAL - En plein conflit entre Israël et le Hamas, notre éditorialiste Guillaume Malaurie interpelle les intellectuels du monde musulman. Les grands clercs de culture musulmane doivent descendre dans l’arène et entrer en contact avec la population.

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Lors d'une manifestation en soutien à la Palestine, le 2 décembre à Paris. Les bombardements qui affectent lourdement les populations civiles palestiniennes rendent de plus en plus difficiles les prises de parole d’intellectuels du monde musulman.

Lors d'une manifestation en soutien à la Palestine, le 2 décembre à Paris. Les bombardements qui affectent lourdement les populations civiles palestiniennes rendent de plus en plus difficiles les prises de parole d’intellectuels du monde musulman.

CARON / ZEPPELIN/SIPA
Lors d'une manifestation en soutien à la Palestine, le 2 décembre à Paris. Les bombardements qui affectent lourdement les populations civiles palestiniennes rendent de plus en plus difficiles les prises de parole d’intellectuels du monde musulman.
Israël-Palestine : le monde intellectuel musulman doit prendre la parole
Guillaume Malaurie
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Six jours après le massacre du 7 octobre, le philosophe Abdennour Bidar, spécialiste de l’islam, appelait au sursaut dans une tribune publiée dans Le Monde : « Je suis très alarmé de constater que, du côté musulman, se fasse attendre à ce point une prise de parole à̀ la hauteur de la gravité des faits. Je ne voudrais pas que dure trop longtemps ce silence aussi assourdissant, ou bien que nous n’entendions que des prises de parole désespérément incapables d’échapper à l’ambiguïté ou à la demi-mesure. J’appelle donc les autorités musulmanes de France à̀ réagir enfin. »

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Même désarroi chez la rabbine Delphine Horvilleur qui multiplie depuis longtemps les dialogues ouverts avec les intellectuels d’origine musulmane. Elle se disait ce même 13 octobre « terrassée par certains silences. » « Leur mutisme m’est insupportable, ajoutait-elle. Quand je vois que personne, parmi les leaders palestiniens que je connais en France, n’est capable de dénoncer fermement les meurtres du Hamas, je perds espoir, c’est vrai. »

Le monde intellectuel marche sur des œufs

Le silence, il faut le reconnaître, s’est peu à peu dissipé. Des voix qui portent se sont exprimées. Celle aussi courageuse que subtile et… minoritaire de l’écrivain et journaliste Kamel Daoud qui participait à un dialogue d’une rare profondeur avec Delphine Horvilleur à la Une de L’Obs, le 26 octobre dernier. Mohammed Moussaoui, le président de l’Union des mosquées de France et coprésident du Conseil français du culte musulman (CFCM), condamnait, lui aussi, dans une tribune parue dans Le Monde « les atrocités commises sur les civils israéliens ».

Mais à bien regarder, il dénonce surtout le fait que « les citoyens de confession musulmane n’ont aucune leçon à recevoir des promoteurs de la division et de la discorde au sein du peuple de France. » Il poursuit : « Ceux-là feraient mieux de s’interroger sur leurs propres postures en décalage avec un drame qui a fait et continue de faire des milliers de victimes civiles innocentes, des femmes et des enfants en majorité. »

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La traque des responsables du Hamas par Tsahal à Gaza et les bombardements qui affectent lourdement les populations civiles palestiniennes rendent de plus en plus difficiles les prises de parole d’intellectuels institués de culture musulmane. Et ce, malgré l’assassinat de l’enseignant Dominique Bernard à Arras, bientôt suivi du meurtre d’un touriste allemand près du pont de Bir-Hakeim par Armand Rajabpour-Miandoab pour venger « le meurtre des musulmans innocents. »

Le très sage et très cultivé Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’Islam de France et producteur de l’excellente émission « Questions d’islam » le dimanche matin sur France Culture, marche lui aussi sur des œufs quand il passe dans la matinale de Guillaume Erner sur la même antenne. Il dénonce « l’abjection terroriste », mais prend ses distances avec le concept de « djihadisme d’atmosphère » développé par l’islamologue Gilles Kepel.

Prose salafiste sur les réseaux sociaux

La vérité ? Les notables musulmans se savent de plus en plus court-circuités par la vague salafiste qui s’adresse en direct aux jeunes musulmans, en dehors du cadre traditionnel des mosquées. Sur Facebook et Twitter, l’islam est d’ores et déjà, en termes de consultation, la première religion numérique de France. Un islam marqué par le verbe islamiste qui fait peu de cas des nuances.

L’excellent rapport de l’Institut Montaigne, « La fabrique de l’islamisme » rédigé en 2018 par le normalien Hakim El Karoui, aujourd’hui consultant et un des artisans de « L’Islam de France », donne même une vision vert foncé des dynamiques à l’œuvre dans les populations d’origines arabo-musulmanes. Si 46 % des musulmans de France adhèrent au modèle républicain, reconnaît la primauté de la loi de la République sur les préceptes religieux, 28 % sont « clairement opposés aux valeurs de la République » et, pour beaucoup, cultivent une attitude ouvertement « sécessionniste. » Ce pourcentage, chez les moins de 25 ans, tangente 50 %.

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Dans une autre étude de 2018, celle d’Olivier Galland et d’Anne Muxel, « 81 % des jeunes musulmans considèrent que c’est la religion et non la science qui explique la création du monde contre 27 % des chrétiens ».

« Sur internet, les islamistes, et plus particulièrement les salafistes, se placent en situation de monopole pour toutes les questions relatives à la foi musulmane », notamment sur les réseaux sociaux, conclue le rapport de l’Institut Montaigne.

Déconstruire les légendes

Or c’est là que le débat devrait être porté, et non pas seulement dans les pages du Monde ou sur l’antenne de France Culture. Car c’est là que la diversité des traditions de l’islam, dont les clercs institués se font les porte-parole, tend à reculer. C’est là que la liberté de parole se raréfie et que le silence prévaut. C’est dans les couloirs de l’université Paris-8 que le discours « indigéno-décolonial » et anticapitaliste s’impose et efface les dissensus. S’avance un syncrétisme critique et prétendument subversif de l’ordre établi où cohabitent Nizan, Maduro, Marx et Mélenchon. Salade russe qui, sous les plumes d’un nouveau romantisme orientaliste, cache mal le conservatisme des mœurs, l’autoritarisme politique et le mépris des procédures démocratiques.

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C’est vers ces musulmans-là que les clercs de culture musulmane doivent descendre de leur chaire pour parler haut. Pour déconstruire les contes et légendes théologiques et promouvoir la raison. Parler de la vie, et non plus idolâtrer la mort. Célébrer la diversité des opinions, des intelligences et des traditions, et non l’unanimité des certitudes identitaires. « Timeo hominem unius libri », disait Saint Thomas d’Aquin au XIIIe siècle : « Je crains l’homme d’un seul livre. » Fusse la Bible, le Coran, un petit livre rouge, un guide de management ou de développement personnel…

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