Dans son bureau de la mairie du Havre, au deuxième étage de l'hôtel de ville, Edouard Philippe a installé une grande carte de France. Celle-ci est recouverte d'épingles colorées : en rouge les lieux qu'il a visités en tant que Premier ministre, en bleu ceux dans lesquels il s'est rendu avec sa formation Horizons. Chaque semaine, de nouvelles épingles viennent compléter l'ouvrage. Plouzané, Saint-Thégonnec, Saint-Pourçain-sur-Sioule… Depuis près d'un an, l'ancien Premier ministre parcourt le pays. Le plus souvent en train, parfois en voiture, il sillonne la France des sous-préfectures et des chefs lieu de canton, à la rencontre des Français. Des déplacements sous les radars médiatiques, dont la presse nationale est soigneusement tenue à l'écart, et qui obéissent à un rituel immuable : l'ancien Premier ministre commence toujours sa journée en rencontrant un maire – ou plusieurs selon l'envergure du déplacement – avant de se diriger vers le centre-ville ou sur la place du marché, pour s'entretenir avec ses concitoyens.
A quatre ans de l'élection présidentielle, l'ancien Premier ministre ne veut surtout pas brûler les étapes. Malgré les sondages qui le hissent en tête des candidats susceptibles de succéder à Emmanuel Macron et les appels du pied plus ou moins bien intentionnés venus de la majorité, Edouard Philippe reste fidèle à sa feuille de route. Il entend se consacrer pleinement à l'enracinement et à la structuration de sa jeune formation politique "Horizons", préalable à toute candidature à l'élection présidentielle. Et quadrille méthodiquement le terrain. De ce point de vue, le travail réalisé est déjà colossal. "En moins de deux ans, Horizons est devenu la troisième force politique de la majorité, il dispose d'un groupe de 28 députés à l'Assemblée, d'un chef de groupe au Sénat, de 500 maires, de milliers d'élus locaux et de 20.000 adhérents payants", s'enorgueillit le responsable "élections" de Horizons, Pierre-Yves Bournazel. Une organisation qui donne déjà à Edouard Philippe une longueur d'avance sur ses concurrents macronistes pour 2027.
Horizons, la carte maîtresse
D'autant que l'ex-Premier ministre ne s'est pas contenté de fonder un mouvement gazeux. Il a créé un parti très fonctionnel, qu'il a doté d'une organisation bicéphale. D'un côté, "l'Assemblée des maires", un réseau tentaculaire de 450 élus dirigé par Christian Estrosi, qui maille le territoire, et multiplie les remontées de terrain. De l'autre le "Pôle idées", chargé de réarmer intellectuellement les cadres et les militants d'Horizons, en rencontrant des experts triés sur le volet. Au-dessus de ces deux organes, le bureau politique d'Horizons : une quarantaine de grands élus – maires, parlementaires, ministres - que Philippe réunit tous les quinze jours dans les locaux de la rue d'Iena. Au cinquième étage de cet immeuble hausmannien, mythique pour avoir accueilli en 1995 la campagne victorieuse de Jacques Chirac, la règle est simple : "On peut tout se dire mais rien ne doit sortir", confie un participant. Philippe est en lien permanent avec sa garde rapprochée, qu'il consulte à toute heure de la journée sur une boucle WhatsApp dédiée. Un outil précieux, qui lui a notamment permis cet été de prendre rapidement l'ampleur des émeutes qui embrasaient le pays.
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Pensé comme une rampe de lancement à la candidature d'Edouard Philippe en 2027, le parti s'attelle également à mettre de côté les quelques 10 millions d'euros nécessaires pour la campagne présidentielle, sous la houlette de son trésorier François Goulard. Une tâche facilitée par les faibles dépenses de fonctionnement de Horizons, qui ne compte dans ses rangs que quatre salariés pour un budget annuel de l'ordre de 3 millions d'euros. Hormis les frais d'impression de la revue du parti et les déplacements d'Edouard Philippe à l'étranger, le parti fonctionne à l'économie. "Edouard a trop vu les dégâts provoqués par l'argent à l'UMP, où chacun avait son bureau et son cabinet particulier et tout le monde passait son temps à dire du mal de tout le monde", ironise Goulard. Si le présidentiable a déjà effectué quelques levées de fond, il ne fait pas une obsession de la trésorerie, persuadé que les sondages suffiront de garantie d'emprunts. "On prête toujours plus facilement à quelqu'un à 28% qu'à 3%", assure son trésorier.
Guerre de mouvement avec les extrêmes
En même temps qu'il structure son parti, Edouard Philippe affine sa stratégie politique. "Il ne se fait aucune illusion sur la montée du populisme dans un contexte de hausse de l'immigration et de poussée inflationniste", indique un de ses proches. Face aux extrêmes, l'ancien Premier ministre est un adepte de la guerre de mouvement. Pour traiter les angoisses migratoires qui ont saisi le pays, il a ainsi dégainé une proposition choc : la remise en cause des accords de 1968, qui facilitent l'entrée, le séjour et l'emploi des Algériens en France. "Assez paradoxalement, la recomposition politique qui s'annonce en 2027 avec le départ d'Emmanuel Macron de l'Elysée devrait contraindre Edouard Philippe à lâcher du lest sur l'économie et le social, en remisant sa proposition de repousser l'âge légal de départ à la retraite à 67 ans. Tandis que sur le régalien, la droitisation de l'électorat français lui redonne un peu plus de liberté", analyse l'historien et spécialiste de la Ve République Jean Garrigues.
Cet été, Edouard Philippe a profité de vacances en Italie pour se ressourcer. Et lire. Des classiques, la Tour du malheur de Joseph Kessel et le Guépard de Lampedusa, mais également un précis d'histoire indienne et une histoire du changement climatique à travers les âges, de l'historien britannique Peter Frankopan. Le maire du Havre n'a toutefois pas lâché d'un oeil la politique nationale. Il a ainsi été très attentif à l'interview du président du Sénat Gérard Larcher, entrouvrant la porte à un éventuel soutien en 2027. "Il y a vu la confirmation que sa stratégie était la bonne", assure l'un de ses conseillers. De même, il a encouragé les cadres d'Horizons qui le souhaitaient à se rendre à la rentrée politique de Gérald Darmanin, un "ami". Enfin, il a trouvé son éminence grise, Clément Tonon, un jeune conseiller d'Etat, triple diplômé d'HEC, l'ENA et Sciences Po, délégué départemental d'Horizons en Dordogne qui sera en charge de condenser les travaux du pôle Idées du parti.
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Cet article fait partie du dossier politique "Qui va succéder à Emmanuel Macron" en vue de la présidentielle 2027. La rédaction vous propose de poursuivre votre lecture avec les sujets ci-dessous.
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Des relations apaisées avec l'Elysée
Philippe peaufine aussi sa stature internationale. Avec sa conseillère Nathalie Loiseau, il planche déjà sur un déplacement en Afrique, alors que le continent est traversé par une vague sans précédents de coups d'Etat, qu'il souhaite effectuer dans le cadre d'une ONG, pour échapper à l'effet "mirage" des palais présidentiels africains. D'ici la fin de l'année, il se rendra au Royaume-Uni et en Irlande, deux pays qui le passionnent depuis qu'il a eu à gérer lorsqu'il était à Matignon les retombées du Brexit. Au cours des derniers mois, le maire du Havre a mis le cap sur l'international : en Turquie, en Inde, aux Etats-Unis, où il est intervenu devant les étudiants d'Harvard, mais aussi sur les théâtres de guerre, en Arménie et en Ukraine. "Il a un côté boy scout, le spartiate ne lui fait pas peur", vante Nathalie Loiseau, qui se remémore une scène aussi édifiante que comique. "Quand on traversait le territoire Ukrainien, avec Naïma Moutchou et Laurent Marcangeli, il nous a tous surpris en sortant de son sac à dos tout plein de trucs qu'il avait piqué dans sa cuisine au Havre, des gâteaux, et même un saucisson."
Avec l'Elysée, les relations se sont apaisées. "Dans les moments de tension, l’entourage du président a joué un rôle abrasif, juge sévèrement un cadre d’Horizons. Ils ont jeté de l’huile sur le feu, parfois contre les intérêts mêmes d’Emmanuel Macron." L’ancien chef de gouvernement s'efforce également de cultiver aussi des réseaux au centre-gauche. Il échange régulièrement avec les ex-Premiers ministres Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, tout en entretenant une lointaine relation d’amitié avec le député socialiste Jérôme Guedj. Pour sa rentrée médiatique, dans Paris Match et sur TF1, Edouard Philippe a choisi d'aborder son changement d’apparence physique, provoqué par l’apparition de deux maladies auto-immunes : un vitiligo et une alopécie. Un exercice de transparence nécessaire. "Il ne pouvait pas, dès lors qu’il a construit toute sa relation avec les Français sur une forme de sincérité, esquiver le sujet, cela aurait été vécu comme un énorme non-dit", observe un cadre de la campagne. Favori des sondages et personnalité politique préférée des Français, Edouard Philippe sait combien sa position est précaire . "Quand on a travaillé avec Alain Juppé, on sait que la valeur prédictive des sondages est quasi nulle", a-t-il relativisé sur TF1. A ses proches, il a d’ailleurs pris l’habitude de répéter : "Ne vous méprenez pas, je sais très bien comment perdre une campagne."