Ce vendredi 8 mars signe le retour musical de Raphaël. Pour nous parler plus en détails de ce dixième album baptisé « Une autre vie », nous l'avons rencontré dans le décor feutré d’un restaurant niché dans le 18e arrondissement. Une adresse discrète, à son image. Sa présence comme sa voix sont apaisantes. Et il flotte dans l’air un doux parfum de nostalgie. Pourtant, celui qui a embrassé le succès il y a vingt ans avec « Caravane » ne semble pas avoir changé. Le temps est comme suspendu.

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Que l’on ait assidûment suivi ou non la carrière de Raphaël, nous connaissons tous forcément quelques-unes de ses chansons. Preuve de son empreinte indélébile dans le paysage musical français. Rappelons tout de même que l’artiste représente 2,5 millions d’albums vendus, deux disques de diamant, trois disques de platine, quatre disques d’or et trois Victoires de la musique…

Avec « Une autre vie », Raphaël signe un album différent. Il a pris des risques et ça s’entend. À travers une setlist de dix morceaux envoûtants, il évoque avec poésie et douceur des thèmes universels tels que la nostalgie, le bonheur et l’amour.

ELLE. Quelles ont été vos inspirations pour ce dixième album ?

RAPHAËL. Je n’ai pas vraiment d'inspiration particulière. Je remplis des carnets, je raconte ce qui me passe par la tête : des émotions, des idées, des sensations. Une espèce de tentative de poésie j'imagine. Ensuite, une fois que j'ai des carnets assez remplis avec des textes, je commence à les mettre en musique. Je travaille au piano, à la guitare… Je fais une, deux ou même trois mélodies sur le même texte… Je mélange. Et puis, parfois, il y a des choses qui marchent et d’autres que je jette. C'est vraiment une espèce de bricolage.

ELLE. Avez-vous un endroit de prédilection pour écrire ?

RAPHAËL. J’y ai souvent réfléchi mais je pense qu'il n’y a pas de règles. J'ai un bureau devant lequel je ne m’y assieds pas souvent. J'aime bien travailler à la table de la cuisine, sur un rebord de fenêtre ou au piano. Mais quand j'écris des livres, je suis allongé dans mon lit, couché avec mes feuilles, mes trucs, mon ordi… Ou dans mon canapé, dans les jours de grande forme. En fait, j’aime écrire partout : dans les trains, dans les cafés – mais je ne m’allonge pas encore dans les cafés (rires).

ELLE. La chanson « Une autre vie » parle de votre compagne, l’actrice Mélanie Thierry. Est-ce plus difficile d’écrire sur une personne que l’on connaît et que l’on aime ?

RAPHAËL. Ce n'est pas une histoire de difficultés. Je crois que j'ai écrit beaucoup de chansons pour ma femme. Peut-être cinquante… Donc une de plus ou de moins (rires). Celle-là est peut-être plus concrète parce qu’elle fait référence à son métier. Je me demande même pourquoi je ne l’ai pas écrite avant… Je l’ai vu faire trente ou quarante films, peut-être plus. Et à chaque fois, c'est le même vertige. Ça n’a rien à voir avec la jalousie, ce n’est pas du tout mon caractère. C'est plutôt le vertige de se dire que toutes ces possibilités sont comme d'autres vies qui existent. Et la particularité du cinéma, c'est qu’il s’agit d’une expérience réellement vécue par les comédiens. Un baiser, même de cinéma, a quand même eu lieu, il est gravé sur la pellicule, on peut le voir un millier de fois si on veut. Pour moi, ce n'est pas du tout une expérience négative, c'est au contraire une expérience très puissante.

ELLE. Quelle a été sa réaction quand elle a écouté cette chanson ?

RAPHAËL. Elle aime bien la chanson. Mais après je ne sais pas, elle ne se répand pas.

ELLE. Vous êtes très impliqués dans les carrières de l’un et de l’autre…

RAPHAËL. Oui, bien sûr, c'est normal. Après, on est quand même assez secrets avec nos activités. Je ne lui fais pas écouter mes chansons avant qu’elles soient finies. Je peux rester des mois comme ça à travailler sur des choses sans qu'elle lise une ligne ou qu'elle entende une note. Parfois, elle pense que je suis comme le personnage de Jack Nicholson dans « Shining », qui écrit une phrase en boucle. Elle doit penser que je ne fais rien du tout. Et puis de temps en temps, il y a un disque ou un livre qui sort, donc elle doit se dire : « Ah mais en fait il a un peu travaillé » (rires). J'exagère, mais c'est juste qu'il y a un peu de pudeur. Je préfère montrer des choses qui soient finies, qui soient belles. C'est comme si j'allais voir des films en cours de montage. Ce serait bizarre.

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ELLE. Quelle est la première personne qui écoute ce que vous avez composé ?

RAPHAËL. Ce sont mes producteurs. Les gens avec qui je travaille et qui réalisent mes disques. C'est important pour moi qu’il n’y ait pas d'affect pour qu’ils jugent vraiment la chanson.

ELLE. Votre fils aîné Roman a participé à votre album « Somnambule ». Cette fois, c’est Aliocha que l’on entend dans « Un oiseau invisible ». Pouvez-vous nous raconter ?

RAPHAËL. Ce n’était vraiment pas un projet artistique. Ce sont juste des souvenirs : comme une photo ou la voix d'un enfant capturée sur une bande. J'ai aussi fait une chanson avec ma femme une fois en vingt-cinq ans, comme ça… Si je pouvais enregistrer mes parents je le ferais – je leur ai proposé, ils ont refusé (rires). Faire des choses avec les gens qu'on aime, il n’y a rien de plus beau. Comme Martin Scorsese qui mettait sa mère dans tous ses films ou David Bowie qui a mis la sienne dans un clip.

ELLE. Vos fils aiment faire de la musique avec vous ?

RAPHAËL. Le petit fait de la musique et ça arrive qu’on joue au piano tous les deux. Parfois, je lui montre des choses sur des improvisations. On joue un quart d'heure et c'est très sympa mais ça s’arrête là. Sinon, il fait du karaoké et je l'accompagne. Il adore Johnny Hallyday. Il me demande que je lui jette un verre d'eau au visage pour faire de la transpiration au moment des solos de guitare.

ELLE. Le sentiment de nostalgie est très présent dans votre album. Est-ce qu’il vous habite souvent ?

RAPHAËL. Oui. La nostalgie, c'est un des sentiments les plus beaux du monde. Ce n’est pas la mélancolie dépressive. Mais dire à quelqu'un que l'on a la nostalgie de lui, je trouve que c'est très beau. C'est célébrer des moments qui étaient merveilleux sans pour autant dire qu'ils le sont moins maintenant. Ça signifie juste que les choses passent à une vitesse folle. Dans la vie quotidienne, je suis quelqu’un de très joyeux. Mais faire de la musique joyeuse ou drôle, ce n'est pas ce qui me touche.

ELLE. Votre album évoque également le bonheur. Quel est le vôtre au quotidien ? Qu’est-ce qui vous rend heureux ?

RAPHAËL. Me lever le matin et voir un rayon de soleil. Sincèrement, ça suffit à me rendre déjà très heureux. Les enfants, la famille, appeler mon père au téléphone le matin pour lui raconter mon rêve, aller prendre une bière avec un copain que je n’ai pas vu depuis longtemps… Un morceau de Brie avec un bon vin et je suis au paradis ! Ce sont des choses très simples.

ELLE. Y a-t-il une chanson sur ce nouvel album que vous affectionnez particulièrement ?

RAPHAËL. Je les aime vraiment toutes pour des raisons différentes. Une chanson comme « L’espoir », je l'aime parce qu'elle a une mélodie très claire comme je n'ai pas fait depuis très longtemps. « Été 19 », je la trouve puissante. « Une autre vie », c’est pour son côté sixties et ce qu'elle raconte. « La mariée », elle m'intrigue parce que la production ne ressemble à rien de ce qui a déjà été fait en France. « L’oiseau invisible », j'adore la chanter avec mon petit garçon. « Baby Sitter », c’est assez jazz. « Le chimpanzé du futur », pareil, je ne connais aucun truc français qui sonne comme ça. Et « Sur les épaules », je la trouve très touchante.

ELLE. L’année prochaine, votre titre « Caravane » fêtera ses vingt ans. Quel regard portez-vous sur cette année 2005 ?

RAPHAËL. C'est super. C’est du passé mais c'est continu. Ces chansons, je vis avec, je les chante à chaque concert. « Caravane », il y a 100 000 écoutes par jour sur Spotify. C’était le début. Certaines chansons ont eu plus de succès que d'autres, mais il y en a plein que j'aime tout autant. C'était super cool d'avoir vécu ça. Pourtant, ce n’était pas la période où j'étais le plus heureux, ni artistiquement ni humainement. Mais c'était merveilleux d'avoir un grand succès. Ça m’a donné beaucoup de liberté par la suite. Ce fut pour moi une libération. Je me suis dit : « Ok, j’ai eu le succès, j'ai vu ce que c'était de faire Bercy, c'est super. C'est fait ». Maintenant, je fais juste les disques qui me plaisent. Si les gens sont au rendez-vous, c'est génial. Sinon, je ferai mieux la prochaine fois. Si je reçois un texto de mes meilleurs amis pour me dire que j’ai fait un beau disque ou de ma mère qui me dit : « Celui-là je l’aime bien », alors ça me convient complètement.

ELLE. Vos textes sont très poétiques et oniriques, ce qui rappelle la place importante qu’à la littérature dans votre vie. Avez-vous des envies de nouveau roman ?

RAPHAËL. Chaque chose en son temps. Je vais déjà accompagner la sortie de mon album. Mais oui, je suis en train de commencer à écrire un nouveau roman. J'aimerais bien qu’il soit fini en fin d’année. Mais on ne sait pas dans quoi on met les pattes. Parfois, ça peut prendre quatre ans, c’est tellement vertigineux et solitaire. C’est merveilleux de pouvoir faire les deux : être sur scène pour jouer, participer à la « Star Academy », et ensuite écrire ses livres chez Gallimard.

ELLE. Après la musique et la littérature, avez-vous d’autres envies artistiques comme le cinéma ?

RAPHAËL. Le cinéma ? Non. Je suis mauvais acteur, ce n'est pas mon karma. Vraiment, il doit y avoir seulement trois ou quatre personnes qui jouent moins bien que moi en France quoi. C'est vraiment épouvantable.

COVER album Raphaël