ELLE. Savez-vous qui a écrit votre fiche Wikipédia ?
Sylvie Testud. Aucune idée, je ne la regarde pas, a priori ma vie je la connais ! Mais je constate que le début est correct. Je suis bien née en 1971, un 17 janvier - une journée catastrophique qui a également vu naitre Al Capone et démarrer la guerre du golfe, ceci dit en passant - à Lyon. Ce qui n’est pas précisé au chapitre « enfance » c’est que j’étais le « mouton blanc » de ma famille. Du côté de ma mère, c’est une famille d’italiens du Sud, tous très foncés, et moi, j’ai débarqué, quasi albinos, entre deux petites brunes

ELLE. Je vois que vos parents se sont séparés quand vous aviez deux ans ?
S.T. Oui, de façon assez... raide : je n’ai revu mon père qu’à l’âge de 34 ans. Pas de son, pas d’image pendant trente ans. Mais il est venu me voir jouer au théâtre à Lyon, je l’ai reconnu dans la salle parce que j’avais vu des photos... et que tout le monde autour de moi chuchotait que je suis son portrait craché. Le lendemain, j’ai retrouvé son nom dans l’annuaire après ça et nous l’avons rencontré une fois, avec mes sœurs, mais bon, c’était trop tard, on n’avait plus rien à se dire.

ELLE. Attendez, j’en reste sans voix... C’est une histoire incroyable ?
S.T. Oui, mais pas aussi triste qu’on pourrait le penser. J’en ai fait un livre, « Gamine », en 2006 (Fayard), plutôt gai, je crois... Ma surprise en découvrant que mon père, à qui je ressemble en effet comme deux gouttes d’eau, parle avec un fort accent ardéchois ! (elle rit) En fait, ce qui est douloureux c’est de perdre quelqu’un, mais n’ayant pas grandi avec lui, il ne m’a pas « manqué ». C’étaient les autres qui étaient choqués ou tristes de cette situation, à commencer par ma mère, mais pas moi. J’ai vécu une enfance heureuse, sur les pentes de la Croix rousse, dans une mixité sociale très joyeuse. Il y avait beaucoup d’immigrés, toutes les grands-mères étaient femmes de ménage et le grand truc des jeunes c’était de s’insulter par mémés interposées « ta mamie est nulle, comme toutes les Espagnoles/Italiennes/Algériennes/Yougoslaves, elle fait moins bien le ménage que la mienne ! »

ELLE. Vous êtes montée à Paris à 18 ans pour devenir actrice ?
S.T. Pas vraiment. Je suis allée à Paris pour suivre des études d’histoire et j’ai intégré la classe libre du cours Florent presque par hasard. Devenir comédienne, l’idée m’attirait, j’avais plein d’amis qui jouaient au théâtre à Lyon, je les accompagnais souvent à leurs cours, mais je ne pensais pas que j’étais faite pour ça. Je m’étais beaucoup identifiée à Charlotte Gainsbourg dans « L’effrontée » : comme son personnage, je ne me sentais ni belle ni moche, ni drôle ni chiante... Je me sentais moyenne, et c’est nul d’être moyenne ! Alors quand ça a commencé à marcher pour moi, j’étais émerveillée.

ELLE. Attendez, ça n’a pas juste « commencé à marcher » : vous avez intégré le Conservatoire d’Art dramatique de Paris, l’un des concours les plus difficiles de France, et en parallèle, vous avez tout de suite commencé à tourner !

S.T. J’ai eu la chance d’être castée dans un premier rôle d’un film franco-allemand mais tout n’a pas démarré illico. Comme tous les acteurs j’ai fait des petits jobs en parallèle. Et puis, le Conservatoire... (soupir) j’ai gardé de bons souvenirs de la classe de Catherine Hiégel, une actrice géniale, mais la première année m’a gonflée : tant de maniérisme dans le jeu, cette obsession de la super articulation, ce désir d’être chic à tout prix. L’élégance ce n’est pas ça, pour moi !

ELLE. A propos... cette photo de vous, juste à côté du paragraphe « carrière », Sylvie, on en parle ?

S.T. Qu’est-ce qu’elle est moche (elle éclate de rire) ! On voit que c’est le soir, mon rimmel a coulé, j’ai froid à en croire mon nez tout rouge, ouah c’est vraiment loupé !

ELLE. Vous allez demander qu’on l’enlève ? Elle ne vous rend pas justice...

S.T. Bah non, pourquoi ? Je m’en fiche, en fait !

ELLE. Sur Wikipédia, votre filmographie compte... 83 longs métrages ! Etes-vous d’accord avec l’encadré « films notables » ?

S.T. Il manque ceux de Chantal Akerman ! J’ai eu l’honneur de tourner deux fois avec elle (ndlr : Chantal Akerman est décédée en 2015), dans « captive » et « Demain on déménage ». Pour le reste, oui, j’ai beaucoup travaillé, mais pas toujours dans des premiers rôles, je ne suis pas Adjani ! (rire)

ELLE. Quand même, sur la page, j’ai compté deux films réalisés, 21 entrées pour la télé et 15 pour le théâtre. C’est fou, vous avez à peine 50 ans !

S.T. D’abord, j’ai 51 ans ! L’autre jour, ma fille de 11 ans m’a demandé « maman, tu es vieille ? » Je lui ai répondu « Non, pas du tout ! Mais je suis née il y a longtemps, ça te va comme réponse ? ». Ça lui allait ! Ensuite, ces chiffres m’étonnent. Laissez-moi regarder...  Bon, ça ok, ça c’est vrai, ça ah oui je l’ai fait aussi, ça d’accord mais c’était tout petit (elle fait défiler la page, sourcils concentrés) mais je n’ai pas autant fait de théâtre... Ah voilà, (voix triomphante) : pour « La pitié dangereuse » et « Biographie sans Antoinette » ils sont revenus à la ligne dès que je partais en tournée, ça vaut pas !

ELLE. Quel a été l’impact de vos deux César sur votre carrière ? (en 2001, meilleur espoir féminin pour « Les blessures assassines ») et en 2004 (meilleure actrice pour « Stupeur et tremblements »)

S.T. C’est difficile à quantifier, mais ce sont deux très beaux objets qui me suivent de déménagement en déménagement... et je déménage tout le temps (rire). A titre privé, c’est ma mère qui a eu le mot juste « C’est comme si on recevait une pluie de poussière d’étoiles sur la tête » ! Ce qui est archi agréable, surtout qu’il m’est aussi arrivé d’être nommée et de ne pas recevoir la récompense. Du coup, je ne prépare pas de discours : je ne suis pas superstitieuse, mais je ne défie pas le destin, et l’idée de rentrer chez moi avec mon petit papier plié dans ma poche... Pas cool !

ELLE. Vous êtes également l’auteure de cinq romans. Écrire, c’est un plaisir ?

S.T. Oui, parce que je n’écris que des conneries ! J’ai envie de faire rire les gens en parlant de choses sombres. Je pense que ce qui n’est pas avouable à l’oral l’est à l’écrit. Dans mes romans, je m’adresse au lecteur, je pense à quelqu’un en particulier et je me dis « ça, ça va la faire marrer » ! On n’apprend rien en me lisant mais j’espère que les gens pensent « Moi aussi je suis comme ça ». Je ne construis pas mes romans avant d’attaquer, alors ce qui est long, c’est de polir, de couper, de mettre en forme. J’essaye vraiment d’aller à l’os.

ELLE. Dans « Tout le monde savait », vous interprétez un rôle a priori impossible. Celui de Valérie Bacot, qui a été violée et prostituée par un beau père qui lui a fait quatre enfants. Elle a fini par tuer son bourreau. Comment peut-on « jouer » ça ?

S.T. En jouant le moins possible ! Il faut rester sur un fil, ne pas trop en faire. D’autant plus que Valérie Bacot est venue voir la pièce, c’est une femme digne, je dois être à sa hauteur. La pièce est archi dure mais elle parle aussi de reconstruction après l’horreur. Quand ça sera fini, je veux absolument faire une bonne comédie pour compenser tant de noirceur ! 

ELLE. Dans une fiche Wikipédia, il n’y a jamais d’entrée « caractère » : comment résumeriez-vous le vôtre ? 

S.T. Mon trait principal est l’impatience, tout le monde le dit. Ensuite, je suis quelqu’un de très, mais alors très bien élevé et c’est insupportable ! J’envie les gens qui s’en foutent des autres, ils sont tellement plus libres. J’ai éduqué mes deux enfants en leur apprenant quatre choses : Bonjour, merci, au revoir et « va te faire foutre ». Ce peut sauver une vie d’être capable de dire ça !