Ce n’est pas forcément une question d’âge. Ni de durée du couple. Il en faut peu au désir pour vaciller ou pour s’éteindre, quand bien même l’amour dure, à sa façon. Mais l’heure est au couple flamboyant, amoureux et sexué.

C'est alors les questions s’immiscent, troublant le duo : que sommes-nous devenus ? De vieux potes paisibles ? Un couple parental ? Comment ranimer l’étincelle ? Faut-il partir ? S’accrocher ? Et comment font les autres ? Pour certains, la mort du désir sonne le glas du couple. D’autres arrivent à faire avec, cahin-caha, certains même parviennent à trouver d’inavouables arrangements. Et puis il y a ceux qui attendent que le désir renaisse de ses cendres. Confessions de trois femmes qui, toutes, aiment l’amour mais n’ont pas vraiment la même conception du couple.

Le désir qui s'éteint, des sentiments qui restent

Tout d'abord, il y a Anne-Laure, 39 ans, en couple avec Paul depuis 22 ans. Ensemble, ils ont eu un enfant. Si au départ leur relation a commencé de manière plutôt brûlante et charnelle, cela fait trois ans qu'ils ne se touchent plus. "Ce n’est pas comme ça que j’envisageais le couple. C’est venu peu à peu, je ne saurais pas le dater", débute-t-elle.

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Evidemment, la naissance de Laura, leur fille, après déjà dix ans de relation a fait bougé les lignes. "Disons qu’on s’est installé dans le rôle de papa et maman avec une facilité suspecte. Et qu’on n’en est plus sorti", raconte-t-elle, un peu blasée. Elle se souvient que l'événement qui l'a fait cogiter au départ, fut une liaison, totalement inattendue et hyper-intense. "Ça a rallumé en moi des choses endormies. Et m’a fait réaliser brutalement que je somnolais depuis des années", déplore-t-elle alors. Et si cette relation adultère s'est vite terminé, depuis l'insatisfaction ne la quitte plus. De son côté, son mari ne semble pas trop subir cette situation. "On faisait l'amour une fois par mois peut-être, sans grande extase ni communion et j’ai l’impression que ça lui suffisait", raconte-t-elle. Et finalement cette liaison les a encore plus éloignés l’un de l’autre. Jusqu’à ce qu'ils en arrive à ne plus se toucher ni avoir le moindre élan l’un vers l’autre. 

"On n’a jamais mis de mots là-dessus, et je ne vois vraiment pas comment on pourrait revenir en arrière. Le pire, c’est qu’aujourd’hui on n’a même plus de petits gestes de tendresse, je trouve ça très dur. Mais, en même temps, Paul reste mon port d’attache. On ne se quitte pratiquement jamais, tout notre passé nous lie, nos deux familles, notre fille… Et il y a plein de choses sur lesquelles on fonctionne parfaitement ensemble, dans les habitudes, les rituels du quotidien. Plein de moments agréables. On est une entreprise qui tourne. Mais il n’y a rien de romantique là dedans, pas de surprise", poursuit ainsi Anne-Laure, qui tente régulièrement de se faire une raison. Mais la plupart du temps, elle en crève. 

"Parfois, je me surprends à rêver qu’il arrive par-derrière et me fait un bisou dans le cou", glisse-t-elle, rêveuse. Avoir une sexualité chacun de leur côté sans pour autant se quitter ? Anne-Laure y a déjà pensé. Mais elle n'arrive pas à se résoudre à imaginer son mari dans les bras ou le lit d'une autre. Et finalement, lui non plus. De temps en temps, Anne-Laure se demande si elle aime encore Paul. Et si oui, comment ? Sont-ils encore un couple ? Toutes ces questions se bousculent sans qu'elle ne puisse y trouver de réponse. "Peut-être que lorsque Laura volera de ses propres ailes je verrai les choses autrement. Pour le moment, je n’ai pas la moindre idée de la suite", souffle-t-elle. 

Des amants en option

Vient alors le tour de Nicole, 36 ans, en couple avec Peter depuis près de 16 ans. La trentenaire est absolument formelle sur le sujet : évidemment qu'un couple peut survivre sans sexe ! "Il m’a fallu des années pour l’accepter, mais je trouve ça même plutôt confortable aujourd’hui", débute-t-elle. Quand elle rencontre Peter, à 20 ans, elle se dit que ce n'est son aventure la plus torride, mais la première qui lui donne des envies d’avenir. Du coup, les étapes "classiques" se sont enchaînées très rapidement : emménagement, mariage, enfants. 

Ces années-là étaient le firmament de leur couple, mais pas vraiment de leur vie sexuelle. "Nous avions de plus en plus de choses et de centres d’intérêt en commun. Et de moins en moins d’urgence à faire l’amour. C’est surtout lui, en fait, qui est devenu moins ardent, après ma première grossesse, deux ans plus tard", raconte la trentenaire. "Je n’avais pas vraiment le temps de me poser des questions  : on a trouvé un autre rythme, d’autres habitudes, confortables, et rien n’est jamais redevenu comme avant. L’arrivée du second enfant n’a rien arrangé, ni le fait que Peter travaille de plus en plus, arrive parfois à la maison alors que j’étais déjà couchée…", poursuit-elle. 

Au début, Nicole a assez mal vécu que son partenaire la désire moins. "J’ai même pensé qu’il avait quelqu’un d’autre dans sa vie. Mais, pour être honnête, moi aussi j’avais moins d’envies. J’adorais le voir devenir un homme important dans son boulot, un père qui fait la grosse voix ", décrit-elle. Sauf qu'elle le considérait de moins en moins en tant qu'amant. A côté de ça, elle avait besoin de son désir et l'inaction de Peter créait parfois des tensions. "Jusqu’à ma première liaison : avec un homme dans la même situation que moi, qui n’avait plus beaucoup de relations avec sa femme, même s’il l’aimait encore, et me faisait comprendre, à sa façon, ce que pouvait ressentir Peter. J’ai mis le holà avant de tomber amoureuse, mais une porte s’était ouverte", poursuit alors la jeune femme. 

Depuis cette expérience, Nicole avoue avoir régulièrement des amants. Souvent mariés eux-aussi et pères de famille. "On a les mêmes manques à combler, et les mêmes bonnes raisons de ne pas succomber. Avec eux je me sens belle, désirable, femme. Et avec ma petite famille je suis moins hargneuse, moins en demande, je me sens à ma place, en sécurité, bien", confie-t-elle. Avec son mari, ils ont toujours des gestes tendres l'un envers l'autre, et tous les soirs ils s'endorment en cuillères, l'un contre l'autre. "Il m’est arrivé de me forcer un peu quand lui était en demande, parce que ça me semblait anormal de ne plus faire l’amour. Puis ça s’est espacé, et j’ai arrêté de me demander si c’était normal ou pas…", continue Nicole. 

Cela fait plus de deux ans que Nicole et Peter n'ont plus fait l'amour. Et finalement, leur lien n'est pas là. Est-ce que Peter a des liaisons ? Nicole n'en a aucune idée. Et de toute façon, elle ne veut pas savoir. Quant à elle, elle sait au fond que sa double vie choque. Mais c'est ainsi qu'elle a trouvé son équilibre, en se coupant en deux. "Je ne sais pas combien de temps tout ça peut durer : le plus longtemps possible, j’espère. Car je suis convaincue que si je tombe amoureuse demain et que je recommence une histoire, au bout de quelque temps ce sera la même impasse. Désirer la même personne pendant vingt ans, c’est juste contre nature… Avec Peter j’ai construit un édifice auquel je tiens, beaucoup plus résistant que la libido. Et plus rassurant", conclut-elle. 

Une relation amoureuse, indissociable de la relation sexuelle 

Enfin, voici Anna, 42 ans, séparée après quatorze ans de vie de couple, mère de deux enfants. Pour elle, c'est catégorique : un couple ne peut pas survivre sans sexe. Et personne ne pourra la faire changer d'avis. D'abord parce qu'elle a payé cher ce crédo. Ensuite, parce qu'en réalité pour elle, c'est la notion de couple qui est foireuse. "Le couple c’est une construction sociale. Certes, on peut très bien être en couple et ne pas ou plus s’aimer, être en couple et ne plus faire l’amour. Je connais beaucoup de cas de ce genre autour de moi. Mais ce lien-là, moi je n’en veux pas. Je n’ai pas besoin de béquille", lâche-t-elle, un peu irritée. Ce dont Anna a besoin, par dessus tout : c’est aimer et être aimée. Une relation amoureuse, indissociable de la relation sexuelle.

L'amour sans sexe, Anna y a renoncé depuis longtemps : il y a sept ans, elle se sépare du père de ses enfants, avec qui elle vit pourtant "une histoire formidable" car elle considère qu'ils sont devenus frère et soeur. "Pourtant cet homme m’aimait vraiment, et moi aussi. On menait une vie agréable ensemble. Mais je ne voulais plus de cette vie. Lorsqu’il a compris que j’étais en train de partir, il était prêt à tout : à ce que j’aie ma chambre à part, mes aventures…", se souvient-elle. Avant de poursuivre, "peut-être que si j’avais été vieille et rangée du sexe, ça aurait pu me convenir. C’était beaucoup trop tôt, j’ai pris mes jambes à mon cou. Quand j’y repense aujourd’hui, c’était comme une nouvelle naissance, mon passage à l’âge adulte."

A ses yeux, ces histoires d’amour sans émoi reposent quelque chose de peut-être plus fondamental encore que le sexe. C’est pour ça qu’elles sont si douloureuses à couper. "Moi, quand je suis partie j’ai eu l’impression de perdre d’un coup mon père, ma mère, mon frère, ma sœur… Je suis partie pour m’affranchir. Sans enjeu. J’ai refusé, et je refuse encore", martèle-t-elle.  

Aujourd'hui, Anna est amoureuse. Et terrifiée par cette menace qui pèse sur son couple. "On s’aime et on se désire depuis trois ans. Lui voudrait bien qu’on vive ensemble. Moi pas. En fait, ça flingue le sexe, la vie de couple. Ça mélange tout. Pour le moment je résiste, et ça se passe très bien comme ça. Si le désir venait à s’éteindre ce serait clairement la fin. Une relation douce, harmonieuse… et asexuée ? On a des amis pour ça", conclut-elle. 

Vivre sans sexe : une problématique de vieux couple 

Marie Claire  : Survivre sans sexe, cette problématique ne concerne-t-elle que les vieux couples  ?

Sophie Cadalen1 : Pas du tout. Car tout se joue très tôt dans un couple, selon la façon dont il s’organise, et ce n’est pas toujours autour de la question sexuelle. J’entends beaucoup de jeunes gens pour qui l’engagement se décide alors que, dès le départ, le sexe n’est pas très important entre eux. Et ça ne veut pas dire, dans tous les cas, que ça ne va pas durer longtemps. Ils espèrent que ça va se décoincer un jour. Quelque chose manque à l’appel, mais "ce n’est pas si grave", il y a " tellement d’autres choses qui vont si bien "… Et, à quelques décennies de nous, effectivement, la question ne se serait même pas posée. Sauf qu’aujourd’hui plane sur le couple la norme du sexe régulier, épanoui. Et certains se questionnent alors que jamais, en fait, le sexe n’a été entre eux le cœur du sujet.

Marie Claire  : A quelle condition un couple peut-il durer sans ça ?

Sophie Cadalen : Il y a donc d’abord ces couples pour qui cet aspect-là de la relation n’a jamais été important. Les deux peuvent dire : " Le sexe, non, c’est pas mon truc. " Ça reste plus difficile à assumer pour les hommes, mais c’est un aveu qui se fait sur le divan. Un petit "coup" de temps en temps leur suffit. Et s’ils ne sont plus sollicités, ils s’en passent. C’est plus fréquent qu’on l’imagine… L’autre grand cas de figure, c’est le duo « dominant-dominé » : l’un est en position de demande, l’autre se fait attendre, coupable de faire souffrir le premier. Cela fonctionne très bien sur un mode névrotique, et ça peut durer toute une vie.

Marie Claire  : Mais si l’absence de sexe devient vraiment une souffrance ?

Sophie Cadalen : Il faut s’interroger sur cette souffrance, de soi à soi. Qu’est-ce qui me fait souffrir ? Parfois c’est juste la question de la norme. J’entends souvent, dans mon cabinet : " Mais le sexe, c’est quand même le ciment du couple !" Ou : "Est-ce bien normal ? Est-ce logique que ça puisse tenir sans ça ? " Or, s’il y a bien un domaine où il n’y a rien de normal ni d’obligé, c’est celui du sexe et de l’amour. S’agit-il d’une souffrance narcissique : "Tu ne me désires pas ? Tu ne me trouves pas belle ?" Or la vraie question c’est : " Est-ce que moi je te désire ? Suis-je vraiment en manque de sexe ? Ou en manque de confiance en moi…"

Parfois, toute cette souffrance peut pousser le couple à se construire autrement. Aller vers l’ailleurs. L’un s’éloigne, et ça réveille l’autre. Ou les deux ont des vies parallèles. Mais c’est rare : un couple peut s’organiser de cette manière si, déjà, c’était comme ça au départ, même à son insu. Il y a aussi la solution du clivage. C’est très compliqué de gérer le sexe et l’amour, cela ne ’organise pas du tout de la même manière. Certaines choisissent, pour tous les jours, un pépère " nounours", alors qu’elles rêvent de vie échevelée et de tornades sexuelles… qu’elles peuvent finir par s’offrir dans une vie parallèle. Une façon de ranger les choses à des endroits différents.

Marie Claire  : Dans quels cas l’absence de sexe peut-elle faire exploser le couple ?

Sophie Cadalen : Si on est vraiment dans une pulsion sexuelle. Pour les couples qui se sont trouvés sur ce terrain-là, la disparition du sexe peut faire apparaître des dysfonctionnements que la réconciliation sur l’oreiller occultait. Le sexe, c’est souvent le concentré, le révélateur e beaucoup d’autres choses. C’est d’inconscient qu’il s’agit, pas de gymnastique ! Même pour les couples chez lesquels il n’y a " que ça " qui va, c’est loin d’être anodin. Cet attachement-là est extrêmement puissant.

Marie Claire  : Mais quand le couple survit, n’est-ce pas devenu une histoire de frère et sœur ?

Sophie Cadalen : Vous en connaissez beaucoup, des frère et sœur capables de vivre ensemble ? Non, il ne s’agit ni de frère et sœur, ni de colocataires qui ne partagent rien d’autre que le loyer. Ces couples, au contraire, ont en général beaucoup de choses en commun. Une connivence, de la tendresse, des intérêts intellectuels, des militantismes (quelque chose de très libidinal se joue là, quelque chose de passionné, passionnant, fiévreux)… Tout le problème c’est ce qu’on attend a priori du couple. En fait, aucune définition n’est universelle. Un couple c’est une création, ça se compte par trois : l’un, l’autre et cet autre état, cette sphère qu’on invente ensemble et qui n’appartient qu’à nous. Il faut lire le livre du philosophe Alain Badiou2 sur ce sujet… Il n’y a rien d’installé, de rigidifié dans le couple. Tout repose sur un équilibre entre une myriade d’éléments. La sexualité n’en est qu’un parmi d’autres.

1. Psychanalyste, auteure de "Double vie" (éd. Pocket). 2. "Eloge de l’amour", avec Nicolas Truong (éd. Flammarion).

Article publié initialement dans Marie Claire Magazine, avril 2011 - réédité en juillet 2019