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La guerre en Irak débutait il y a 20 ans : une "guerre préventive", un mensonge d’État et de lourdes conséquences pour l’Occident

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Par Pierre Marlet

Il y a tout juste vingt ans ce 20 mars, le monde se réveillait en apprenant le déclenchement d’une offensive militaire en Irak. Une invasion menée par les États-Unis et leurs alliés. Retour sur les prémices, les motifs, et les conséquences de cet événement majeur de l’histoire de ce siècle.

20 mars 2003 au petit matin : les premières images de bombardements de l'Irak font le tour du monde. Cette guerre était voulue par le président George W. Bush qui énonce ce jour-là ses buts de guerre : "Mes chers concitoyens : à cette heure, l'Amérique et les forces alliées, ont lancé les premières étapes d'opérations militaires pour désarmer l'Irak, pour libérer son peuple, et pour défendre le monde face à un grave danger".

Durant des mois, la diplomatie américaine a répété le même refrain : l’Irak possède des armes chimiques, bactériologiques ou nucléaires, le monde ne peut pas rester sans réagir face à une telle menace que ferait peser le dirigeant irakien Saddam Hussein sur l'humanité entière. L'une des images fortes de ce début de guerre, c'est celle du secrétaire d’État américain Colin Powell, qui brandit à la tribune des Nations Unies une fiole qu’il présente comme étant de l’anthrax, arme bactériologique fabriquée en Irak. Un mensonge complet qui lui restera toujours associé et qui symbolise cet acharnement américain à vouloir justifier l’injustifiable.

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ONU: Colin Powell admet s'être trompé dans le dossier des armes de destruction massive en Irak (archives)

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Trouver un bouc émissaire après ne pas avoir débusqué Ben Laden

Les soldats de l'armée de la 82e division d'infanterie aéroportée ripostent aux coups de feu lors d'une patrouille avec un véhicule de combat M2 Bradley, le 8 novembre 2003 à Fallujah, en Irak.

Alors comment en est-on arrivé à diffuser pareil mensonge ? Pourquoi les Étasuniens veulent-ils envahir l’Irak de Saddam Hussein avec une telle force de frappe ?

Ce déclenchement est en fait la conséquence du 11 septembre 2001 : après avoir connu la pire attaque terroriste de son histoire, les États-Unis s’attaquent logiquement au responsable des attentats, Oussama Ben Laden, à la tête d’Al-Qaïda depuis l’Afghanistan. Le régime des talibans est alors renversé par les opposants afghans activement soutenus par les États-Unis.

Cependant, il reste un caillou dans la chaussure américaine : Ben Laden reste introuvable. Le président Bush avait pourtant promis au peuple américain de l’attraper "dead or alive", comme dans les westerns de John Wayne. L’Amérique n’est pas vengée. Les faucons qui entourent le président le persuadent alors de trouver une cible de substitution, comme le révèle ce témoignage de Lawrence Wilkerson. Il était le chef de cabinet de Colin Powell : "L’attaque de l’Afghanistan n’a pas envoyé le signal au monde entier : 'on ne plaisante pas avec les États-Unis'. On avait besoin d’un acteur étatique pour cela". Et Saddam Hussein était la cible parfaite. 

Le dictateur irakien avait été attaqué douze ans plus tôt par George Bush père parce qu'il avait envahi le Koweït. Mais Bush père s’était contenté de le ramener à ses frontières et à le laisser en place. Le fils pense alors qu’il va achever l’œuvre du père.

Une "guerre préventive" qui ne plaît pas à l’Allemagne, la Belgique et la France

Pour y parvenir, il rallie notamment à son projet le Royaume-Uni de Tony Blair, l’Espagne de José María Aznar, l’Italie de Silvio Berlusconi. Une coalition d’une trentaine de pays qui veulent mener ni plus ni moins une guerre préventive en Irak, concept qui n’a aucun fondement en droit international.

Une guerre sous prétexte qu’il y aurait en Irak des armes de destruction massive. Les Nations Unies envoient des inspecteurs, rien n’y fait : l'Amérique veut sa guerre.

Dans le camp occidental, trois pays se distinguent par leur opposition : l’Allemagne, la Belgique, et la France de Jacques Chirac, avec ce discours plein d’emphase à l’ONU de son ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin "Dans ce temple des Nations Unies, nous sommes les gardiens d'un idéal. Nous sommes les gardiens d'une conscience. La lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les nôtres, doivent conduire à donner la priorité au désarmement, dans la paix. Et c'est un vieux pays, la France d'un vieux continent comme le mien, l'Europe, qui vous le dit aujourd'hui".

Quel bilan tirer des justifications de la guerre en Irak ?

Un Stryker, véhicule blindé de transport de troupes de l'armée US, et les soldats du 5e Bataillon de la 3e Brigade de la 2e Division d'infanterie en reconnaissance le 18 décembre 2003 à Samarra, en Irak.

Cette guerre s'est terminée le 18 décembre 2011, après plus de huit ans de conflit, qui aurait fait, selon différentes estimations, entre 100.000 et un million de morts.

Vingt ans après le début de cette guerre, on peut affirmer que l'Allemagne, la Belgique et la France avaient raison de s’y opposer. Cette guerre fut un désastre dont le monde a chèrement payé les conséquences, malgré la capture et la mort du tyran qu’était Saddam Hussein.

Si l'on revient aux trois buts de guerre énoncés par George W. Bush, aucun n'a été accompli :

  • Libérer le peuple irakien ? Cette guerre a déclenché une interminable guerre civile, des centaines de milliers de morts, deux millions de réfugiés. L’Irak est aujourd’hui un pays instable et sous l’influence de la République islamique d’Iran. 
  • Désarmer l’Irak ? Mais l’Irak n’avait pas d’armes de destruction massive. Ce mensonge d’État a terni l’image de l’Amérique, fragilisé sa parole et relancé un puissant anti-américanisme, particulièrement dans les pays musulmans. 
  • Quant à protéger le monde d’un grave danger, ce fut juste l’inverse : en déstabilisant le Moyen-Orient, on a renforcé le terrorisme : Daesh s’est développé sur les ruines de l’État irakien en décomposition et alimenté par un discours de haine vis-à-vis de l’occupant américain. 

Alors George W. Bush, qui voulait marquer l’Histoire par cette guerre, a-t-il conscience d’avoir tout raté ? Peut-être bien. Si l’on admet que les lapsus sont souvent révélateurs, au sens où ils trahissent la véritable pensée de celui qui le commet, le discours de George W. Bush prononcé à Dallas en mai 2022 qui évoque la Russie de Vladimir Poutine en est la preuve. "Il en résulte une absence d’équilibre des pouvoirs en Russie et la décision d’un seul homme de lancer une invasion totalement injustifiée et brutale de l'Irak... Je veux dire, de l’Ukraine". Il se justifie ensuite par son âge, 75 ans... mais ne serait-ce pas son subconscient qui aurait parlé, toujours hanté par cette guerre ?

Sur le même sujet : Extrait du JT 19h30 (20/03/2023)

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