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Le shihuahuaco, l'arbre géant d'Amazonie, est en danger

Les communautés indigènes d'Amazonie veulent préserver le Shihuahuaco, un arbre tropical gigantesque au bois dur, convoité par l'exploitation forestière latino-américaine. [Keystone/EPA - Paolo Aguilar]
Comment exploiter durablement le Shihuahuaco d'Amazonie? / Tout un monde / 4 min. / le 27 février 2024
Convoité pour son bois très dur, le shihuahuaco est une essence amazonienne très recherchée. Des scientifiques estiment que la pression commerciale sur cet arbre pourrait entraîner sa disparition rapide de certaines régions du Pérou.

C'est un des arbres géants d'Amazonie. Son sommet peut atteindre soixante mètres. Ses impressionnantes racines aériennes et sa circonférence se mesurent en mètres. Ses plus anciens spécimens ont plus de mille ans.

Le bois rouge du shihuahuaco est réputé pour sa dureté et il est aujourd'hui l'une des essences les plus précieuses et les plus recherchées au monde. Le Pérou l'exporte vers la Chine et l'Europe où il termine sa vie en parquet d'appartements ou de terrasses.

Plus de 500'000 tonnes sont sorties du Pérou depuis dix ans et des scientifiques estiment que cet arbre pourrait disparaître de certaines régions d'Amazonie d'ici à quelques années.

Ce sont des arbres imposants qui forcent le respect et l'admiration. Ils sont les piliers de l'écosystème

Tatiana Espinoza, ingénieure forestière

Tout un écosystème en danger

Au cœur de la région du Madre de Dios, dans le sud-est du Pérou, l'ingénieure forestière Tatiana Espinoza a fait de la défense du shihuahuaco son combat. Elle a acquis il y a quelques années 1000 hectares de forêt primaire dédiés exclusivement à sa conservation.

"Ce sont des arbres imposants qui forcent le respect et l'admiration. Ils sont les piliers de l'écosystème. Les shihuahuacos ont coexisté avec la forêt durant des centaines d'années et ils ont généré des niches écologiques et des habitats naturels pour différents groupes d'animaux et d'organismes", indique Tatiana Espinoza dans l'émission "Tout un monde" de la RTS.

Le plus grand aigle d'Amérique du Sud, la harpie, dépend de cet habitat pour la nidification de ses œufs. De nombreux animaux, parmi lesquels des aras, des singes et des chauves-souris, ont également élu domicile dans cet environnement et dépendent de sa conservation.

Une zone de non-droit

Le long du fleuve du Rio Las Piedras, aux confins du Madre de Dios, l'ONG Jungle Keepers de défense de l'Amazonie a racheté un bout de terre pour le soustraire à l'exploitation. Un de ses co-fondateurs, Paul Rosolie, révèle que quand "c'est loin de la ville, la police n'intervient pas, le gouvernement non plus. Les narcotrafiquants, les bûcherons illégaux, les mineurs, peuvent faire leurs activités illicites sans problème."

Des hommes chargent un bateau avec du bois illégalement abattu, de l'espèce shihuahuaco, le long de la rive de la rivière Madre de Dios, au Pérou. [KEYSTONE - NILS HERMANN RANUM]
Des hommes chargent un bateau avec du bois illégalement abattu, de l'espèce shihuahuaco, le long de la rive de la rivière Madre de Dios, au Pérou. [KEYSTONE - NILS HERMANN RANUM]

En Amazonie, la rivière sert généralement d'autoroute pour transporter le bois. Mais dans le cas du shihuahuaco, la voie fluviale est impossible car l'arbre est trop lourd et ne flotte pas. Les bûcherons construisent des routes à travers la forêt pour transporter le géant. "Et quand il y a des routes, ils ramènent leurs tronçonneuses, puis des gens, et ensuite ils construisent des écoles, des commerces. Et dans dix ans, il n'y aura plus rien", déplore Paul Rosolie.

Dans mon village, les anciens surtout respectaient beaucoup cet arbre. On utilisait ses graines, ses fruits, comme un remède

Ignacio Pino Diaz, garde forestier

De l'exploitation à la conservation

Les gardes forestiers qui travaillent avec l'ONG Jungle Keepers sont pour la plupart originaires de villages autochtones alentour. Parfois, eux-mêmes coupent du bois et le vendent par nécessité. Avant d'être recruté comme gardien de la forêt, Ignacio Pino Diaz s'est livré à cette pratique. Il œuvre désormais à la protection du shihuahuaco.

"Dans mon village, les anciens surtout respectaient beaucoup cet arbre. Il est réputé curatif, on utilisait ses graines, ses fruits, comme un remède, comme un anesthésiant. Si tu as mal quelque part, cela te soulage", indique Ignacio Pino Diaz.

Malgré son importance écologique et ses vertus, l'exploitation du shihuahuaco se poursuit, en partie de façon légale dans les concessions autorisées par l'État. Une fois extrait de la forêt, tracer l'origine de ce bois tropical est difficile et ce sont plus de 60'000 tonnes de bois qui sont coupées et exportées chaque année par le Pérou.

Vers une exploitation durable ?

Dans le pays, il y a une mobilisation pour exploiter le shihuahuaco de manière durable. Nelson Kroll, directeur d'une scierie dont le bois est certifié et labellisé, assure que l'arbre peut être exploité de manière durable si on veille à sa régénération. Ce serait même un atout: "Si la forêt ne constitue pas une opportunité économique pour les habitants de l'Amazonie, elle est alors vue comme une barrière et ils commencent à tout couper pour y mettre des cultures de maïs, de soja ou faire de l'élevage."

Les détracteurs de cette exploitation raisonnée affirment de leur côté que la croissance extrêmement lente du shihuahuaco ne permet pas un commerce réellement durable au rythme actuel de son exploitation. Il faut en effet 700 ans au géant de l'Amazonie pour atteindre un mètre de diamètre.

Reportage radio: Amanda Chaparro

Adaptation web: seb

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La Suisse à la traîne

Depuis 2012, l'ordonnance sur la déclaration concernant le bois et les produits en bois prévoit l'obligation d'indiquer l'espèce et la provenance du bois et des produits en bois qui sont vendus aux consommateurs. Ce n'est que depuis le 1er janvier 2022 que le bois issu d'une récolte illégale ainsi que les produits fabriqués avec ce bois ne peuvent plus être mis sur le marché.

L'ordonnance sur le commerce du bois (OCBo) oblige tous les acteurs du marché à respecter leur devoir de diligence et à réduire le plus possible le risque de mettre sur le marché du bois illégal. Une entrée en vigueur récente dont les possibles effets positifs ne sont pas encore mesurables.