La catastrophe de la baie de Minamata, située sur la côte Ouest de l’île japonaise de Kyūshū, constitue l’un des cas d’empoisonnement par des déchets industriels les plus marquants de l’Histoire de la toxicologie.
De 1956 à 1968, l’usine pétrochimique de la société japonaise Shin Nippon Chisso évacue dans la mer des déchets de production contenant des métaux lourds et notamment du mercure. Pendant 12 ans, les habitants et les animaux de la baie les consomment et déclarent des troubles neurologiques encore jamais observés à cette échelle. Au début des années 2000, le gouvernement japonais annonce ainsi que sur les 2265 victimes de cette intoxication, 1784 auraient trouvé la mort. Les conséquences humaines, économiques et sociales de ce drame sont telles qu’une Convention de Minamata visant à réduire les émissions mondiales de mercure est adoptée à Genève en janvier 2013.
Mais si la tragédie de la baie de Minamata a permis à l’Humanité de reconnaître les risques liés à l’utilisation industrielle de métaux lourds, elle l’autorise également à mieux comprendre ces risques. Année après année, décennie après décennie, des scientifiques du monde entier continuent d’étudier cet empoisonnement de masse et d’en préciser les mécanismes. Le 13 février 2020, une équipe internationale de chercheurs canadiens, américains, anglais et japonais annonce par communiqué avoir peut-être identifié l’espèce de mercure qui aurait contaminé les habitants de la baie de Minamata et qui faisait encore polémique. Leurs résultats sont détaillés dans un article publié par le journal Environnemental Science and Technology.
L’intoxication au mercure, ou hydrargyrisme
Dès le milieu des années 1950, les animaux puis les habitants de la baie de Minamata ont présenté les symptômes d’une affection qui a rapidement été appelée "maladie de Minamata". Les signes cliniques de cette maladie sont principalement neurologiques : ataxie (trouble de la coordination des mouvements), difficultés d’élocution, troubles visuels et auditifs, convulsions, voire coma convulsif pouvant mener à la mort. Le traitement de ce syndrome étant limité, celui-ci peut laisser des séquelles neurologiques importantes telles que de multiples paralysies motrices et des retards mentaux. A l’époque, les seuls individus qui n’ont pas contracté de tels symptômes étaient les femmes enceintes, protégées par leurs enfants à naître qui eux, une fois mis au monde, ont présenté des troubles importants. Rapidement, les médecins ont identifié ce syndrome comme étant celui d’un hydrargyrisme, c’est-à-dire d’une intoxication au mercure.
En fait, ce tableau clinique qui suggère une atteinte cérébrale et en particulier du cervelet est lié à une propriété chimique importante de l’espèce de mercure incriminée : sa lipophilie, c’est-à-dire sa capacité à se dissoudre dans l’huile. C’est cette propriété qui lui confère la capacité de passer les barrières de l’organisme telles que la barrière placentaire (qui protège le fœtus) ou la barrière hémato-encéphalique (qui protège le système nerveux central) puis à s’accumuler dans les tissus riches en graisses tels que le tissu nerveux qui compose l’encéphale.
Mais sous quelle forme particulièrement lipophile les habitants de la baie ont-ils absorbé ce métal lourd ?
La catastrophe de la baie de Minamata, située sur la côte Ouest de l’île japonaise de Kyūshū, constitue l’un des cas d’empoisonnement par des déchets industriels les plus marquants de l’Histoire de la toxicologie.
De 1956 à 1968, l’usine pétrochimique de la société japonaise Shin Nippon Chisso évacue dans la mer des déchets de production contenant des métaux lourds et notamment du mercure. Pendant 12 ans, les habitants et les animaux de la baie les consomment et déclarent des troubles neurologiques encore jamais observés à cette échelle. Au début des années 2000, le gouvernement japonais annonce ainsi que sur les 2265 victimes de cette intoxication, 1784 auraient trouvé la mort. Les conséquences humaines, économiques et sociales de ce drame sont telles qu’une Convention de Minamata visant à réduire les émissions mondiales de mercure est adoptée à Genève en janvier 2013.
Mais si la tragédie de la baie de Minamata a permis à l’Humanité de reconnaître les risques liés à l’utilisation industrielle de métaux lourds, elle l’autorise également à mieux comprendre ces risques. Année après année, décennie après décennie, des scientifiques du monde entier continuent d’étudier cet empoisonnement de masse et d’en préciser les mécanismes. Le 13 février 2020, une équipe internationale de chercheurs canadiens, américains, anglais et japonais annonce par communiqué avoir peut-être identifié l’espèce de mercure qui aurait contaminé les habitants de la baie de Minamata et qui faisait encore polémique. Leurs résultats sont détaillés dans un article publié par le journal Environnemental Science and Technology.
L’intoxication au mercure, ou hydrargyrisme
Dès le milieu des années 1950, les animaux puis les habitants de la baie de Minamata ont présenté les symptômes d’une affection qui a rapidement été appelée "maladie de Minamata". Les signes cliniques de cette maladie sont principalement neurologiques : ataxie (trouble de la coordination des mouvements), difficultés d’élocution, troubles visuels et auditifs, convulsions, voire coma convulsif pouvant mener à la mort. Le traitement de ce syndrome étant limité, celui-ci peut laisser des séquelles neurologiques importantes telles que de multiples paralysies motrices et des retards mentaux. A l’époque, les seuls individus qui n’ont pas contracté de tels symptômes étaient les femmes enceintes, protégées par leurs enfants à naître qui eux, une fois mis au monde, ont présenté des troubles importants. Rapidement, les médecins ont identifié ce syndrome comme étant celui d’un hydrargyrisme, c’est-à-dire d’une intoxication au mercure.
En fait, ce tableau clinique qui suggère une atteinte cérébrale et en particulier du cervelet est lié à une propriété chimique importante de l’espèce de mercure incriminée : sa lipophilie, c’est-à-dire sa capacité à se dissoudre dans l’huile. C’est cette propriété qui lui confère la capacité de passer les barrières de l’organisme telles que la barrière placentaire (qui protège le fœtus) ou la barrière hémato-encéphalique (qui protège le système nerveux central) puis à s’accumuler dans les tissus riches en graisses tels que le tissu nerveux qui compose l’encéphale.
Mais sous quelle forme particulièrement lipophile les habitants de la baie ont-ils absorbé ce métal lourd ?
Les dérivés du mercure incriminés
D’abord, les chimistes ont imaginé que le mercure avait été absorbé par les habitants de la baie sous une forme inorganique, c’est-à-dire sous une forme liée à des éléments chimiques autres que le carbone tels que le chlore ou l’iode. Cependant, ces dérivés sont peu stables dans l’organisme et dans l’environnement, et l’autopsie d’animaux tels que des chats de la baie ont montré qu’au contraire, le mercure de Minamata pouvait persister longtemps dans les tissus cérébraux.
Les spécialistes ont donc élaboré une autre hypothèse : si le mercure n’avait pas contaminé la population locale sous une forme inorganique, alors il l’avait sans doute fait sous une forme organique, c’est-à-dire liée à des atomes de carbone. Les scientifiques se sont alors intéressés à une petite molécule comportant un seul atome de carbone et trois atomes d’hydrogène : le méthyl-mercure. Ce composé est connu pour sa stabilité importante dans l’organisme, sa très grande toxicité et son mode de formation par les bactéries de l’environnement. En fait, dans la nature, le mercure élémentaire (métallique) est transformé par des micro-organismes en méthyl-mercure, puis s’accumule du fait de sa lipophilie dans la chair des crustacés et des poissons en particulier prédateurs qui concentrent cette espèce chimique en ingérant de grandes quantités de planctons. Ce phénomène de concentration dans l’écosystème est appelé bioamplification, précise l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur son site internet. Dès lors, les chimistes ont pensé que les habitants avaient été contaminés par ingestion de poissons et de coquillages riches en molécules de méthyl-mercure produites à partir du mercure élémentaire de l’usine par les bactéries présentes dans les boues de la baie. Plus tard, des études ont même suggéré que du mercure avait pu être rejeté directement sous forme de méthyl-mercure par l’usine.
Cependant, les auteurs de l’étude d’Environmental Sciences and Technology révèlent que toutes ces hypothèses pourraient être fausses. D’après eux, le mercure aurait contaminé les habitants de la baie de Minamata sous une forme organique autre que le méthyl-mercure : l'α-mercuri-acétaldéhyde.
L’acétaldéhyde, ou éthanal, est une molécule volatile connue pour sa neurotoxicité – déchet du métabolisme de l’éthanol par une enzyme hépatique appelée alcool deshydrogénase, elle serait responsable du syndrome de post-alcoolisation ("gueule de bois"). Lié à du mercure, l’acétaldéhyde deviendrait particulièrement dangereux pour le système nerveux.
C’est l’analyse d’échantillons de cervelets de félins nourris avec des effluents de l’usine en 1959 par un médecin de la société Chisso qui a permis d’aboutir à l’identification du mercuri-acétaldéhyde comme espèce potentiellement incriminée dans les empoisonnements. Si l’expérience du médecin qui cherchait à mettre en évidence la cause de la maladie de Minamata avait dû cesser lorsque les chats avaient commencé à déclarer les mêmes symptômes que les habitants de la baie, les échantillons du cerveau de ces mammifères présentent bien, 60 ans après leur sacrifice, du mercuri-acétaldéhyde détectable par spectrométrie d'absorption des rayons X (technique de détermination de la structure des molécules nécessitant d’utiliser un synchrotron tel que celui de l’Université de Stanford ou celui de Grenoble, en France). D’après les auteurs, le mercure aurait été rejeté par l’usine directement sous forme de mercuri-acétaldéhyde très toxique et aurait ainsi contaminé la baie de Minamata et tous ses habitants.
Un espoir pour les victimes d’intoxication au mercure du monde entier
"En utilisant des techniques de pointe pour réexaminer un échantillon historique de tissu cérébral animal, nos recherches aident à jeter un nouvel éclairage sur cet empoisonnement de masse tragique", affirme par communiqué Ingrid Pickering, l’une des chercheuses qui a pris part à ces recherches. Si des travaux complémentaires demeurent nécessaires afin d’explorer la toxicologie du mercuri-acétaldéhyde et de préciser son effet sur la santé humaine et l’environnement, ces recherches contribuent à réévaluer le résultat de nombreux travaux de recherche précédemment menés autour de la catastrophe de Minamata.
Par ailleurs, le mercure persistant longtemps dans l’environnement, parcourant de longues distances et étant utilisé abondamment par diverses industries, les auteurs de l’étude considèrent que cette recherche pourrait inciter à remettre en cause les espèces de mercure responsables d’autres intoxications recensées dans le monde entier. Les chercheurs canadiens qui ont participé à cette étude appellent notamment à réaliser de nouvelles recherches sur l’empoisonnement des habitants de la réserve de Grassy Narrows qui a eu lieu dans l’Ontario canadien jusqu’à 1976.