Saint Nicolas et Père Fouettard font de la résistance et déchaînent les passions
En Belgique, mais aussi en Hollande, le grand Saint n’a pas dit son dernier mot face à la déferlante du Père Noël.
- Publié le 01-12-2018 à 12h57
- Mis à jour le 01-12-2018 à 12h58
En Belgique, mais aussi en Hollande, le grand Saint n’a pas dit son dernier mot face à la déferlante du Père Noël. Nous sommes le 10 novembre, on vient à peine de jeter les citrouilles qui commençaient à sentir le rance, on sort tout juste du cimetière où on est allé fleurir nos morts et se recueillir sur leurs tombes que, déjà, au détour des rayons d’un supermarché, on tombe nez à nez avec… saint Nicolas. Aurait-on glissé dans un trou du continuum espace-temps (comme le dit Emmett Brown dans Retour vers le futur) ? Sauf erreur, c’est le 6 décembre que le Grand Saint vient offrir des cadeaux aux enfants sages, non ? Mais puisque depuis quelques années et histoire d’être les premiers sur le marché, les grandes enseignes sortent les décorations de Noël fin octobre, les cœurs de Saint Valentin le trois janvier et les œufs de Pâques avant même le carnaval, finalement, pourquoi s’étonner de voir le vieil homme à la mitre faire des selfies avec des bambins apeurés dès le 10 novembre ?
Du reste, si l’on se penche d’un peu plus près sur les traditions, pour le coup, cela n’est pas une telle hérésie. En Hollande, où l’on ne rigole pas avec Sinterklaas, les "festivités" démarrent chaque année mi-novembre avec l’arrivée du Saint, à bord d’un bateau à vapeur chargé de présents. C’est le signal de départ pour les enfants qui peuvent, à dater de ce jour, placer leurs petits souliers devant la cheminée ou, à défaut, devant la porte côté jardin.
Des enfants dans le saloir
Mais avant de devenir une fête volontiers commerciale (et peu à peu phagocytée par son alter ego, le Père Noël), la légende de saint Nicolas a emprunté mille chemins et connu autant de variantes. Toutes ont un point commun : le personnage à l’origine de la fête, Nicolas, évêque de Myre au IVe siècle. Nicolas serait né à Patras, en Lycie, vers 270 (d’autres avancent la date de 250) de parents chrétiens et très pieux. Epiphane, son père et Anne, sa mère, désespéraient d’avoir un jour un enfant lorsque Nicolas vint au monde. Dès son premier bain, on raconte qu’il se serait tenu debout dans la bassine, les mains jointes et les yeux levés vers le ciel, pendant deux heures.
La suite de sa vie fut tout autant tournée vers Dieu. Devenu riche à la mort de ses parents, alors qu’il n’est encore qu’adolescent, Nicolas, en toute discrétion, fait le bien autour de lui, sauvant notamment de la prostitution trois jeunes filles que leur père s’apprêtait à vendre. Plus tard, devenu évêque, ce sont des matelots qu’il sort d’une tempête puis une province entière à laquelle il évite la famine… Sans oublier les trois princes, injustement accusés de traîtrise, qui lui doivent la vie sauve. Révéré par la population et par les hommes d’Église, Nicolas devient vite un Saint aux yeux du monde et sa légende peut dès lors essaimer.
Des siècles plus tard, en Normandie et en Lorraine, on raconte que Nicolas aurait ressuscité trois enfants - on soupçonne qu’il s’agit là d’une déformation de l’histoire des princes - qu’un boucher sanguinaire avait hachés et jetés au saloir comme de la viande commune. Pas étonnant, dès lors, qu’il fut ensuite considéré comme le protecteur des enfants.
Après sa mort - un 6 décembre -, les miracles ne cessent pas, que du contraire, et le culte de saint Nicolas s’étend jusqu’en Asie mineure, dans les Balkans, en Syrie, en Palestine, en Égypte. Sa dépouille fait l’objet de toutes les convoitises et, au XIe siècle, des marins de Bari s’en emparent et l’inhument dans une basilique.
Dès le Moyen Âge, en Europe du Nord, des processions s’organisent autour de la date de la mort du Saint. Un enfant est déguisé en évêque et offre des cadeaux à ceux qui ont été sages. Les indisciplinés et les voyous, eux, auront affaire à son valet, Knecht Ruprecht (qui fait ici son apparition dans le folklore allemand), qui les punira comme il se doit. Pour l’anecdote, en France, Knecht Ruprecht sera appelé Père Fouettard et prendre les traits de… Charles Quint après le siège de Metz en 1522.
Sinterklaas, Santa Claus, Père Noël
Aboli par la Réforme protestante, le culte des Saints prend du plomb dans l’aile au 16e siècle. Notamment en Hollande, où la tradition est pourtant bien ancrée. Les colons qui s’établissent de l’autre côté de l’Atlantique et qui fondent la Nouvelle Amsterdam, emportent toutefois Sinterklaas dans leurs valises. Lequel, par de logiques déformations de la langue, ne tarde pas à devenir Santa Claus.
Il faudra pourtant attendre deux longs siècles encore pour qu’en Amérique on s’intéresse réellement à lui. En 1823, un poème intitulé A visit from St Nicholas est publié anonymement dans le journal The Sentinel. Ce texte - qui sera mieux connu plus tard sous le titre The night before Christmas - raconte l’histoire d’un homme qui, la veille de Noël (exit, donc, le 6 décembre) voit dans le ciel saint Nicolas dans son traîneau tiré par huit rennes. Il se pose sur le toit, descend par la cheminée et remplit de cadeaux les bas de Noël des enfants suspendus à la cheminée. Avant de s’en aller en empruntant le même chemin.
Au fil du temps, aux États-Unis, le scénario va évoluer : Santa Claus va s’établir (dans l’imaginaire des romanciers et des écrivains) au Pôle Nord où, entouré de lutins, il va fabriquer des jouets. Tout de vert vêtu, ce n’est qu’en 1931 qu’il va opter pour une tenue rouge et blanche, nettement plus raccord avec… Coca-Cola, qui cherche à vendre son soda y compris l’hiver ! Barbu, jovial, souriant, ce Père Noël-là aura tôt fait de séduire les USA.
Mais en Europe, saint Nicolas fait de la résistance. En particulier dans les pays du Nord, mais également en Allemagne, dans l’Est de la France et, bien entendu, en Belgique. Du reste, le Père Noël "made in US" ne franchira l’océan qu’après la Seconde guerre, avec un succès certain, dû à la machine commerciale qu’il traîne dans son sillage.
En attendant, les petits Belges du Nord comme du Sud du pays, de Bruxelles aux Cantons de l’Est, attendent toujours le grand Saint avec la même appréhension et la même impatience. Ils déposent toujours des carottes, des navets pour son âne. Ils rêvent toujours qu’il leur apportera du sucre dans leurs petits paniers, eux qui ont été sages, comme des petits moutons, qui ont fait leur prière pour avoir des bonbons…
Le père fouettard déchaîne les passions
En fonction de la région dans laquelle il accompagne saint Nicolas, il change de nom. Knecht Rupprecht, Rupprecht, Rubelz en Moselle, il devient Hans Trapp en Alsace, le Père La Pouque en Normandie, Hanscrouf à Liège, Hans Muff dans la région germanophone de Belgique, Houseker au Luxembourg et, bien entendu, Père Fouettard, dans notre folklore et aux Pays-Bas. En flamand, on l’appelle Zwarte Piet. Soit Pierre le Noir. Et c’est là que la tradition fâche. Car, sous la perruque afro et les grandes boucles d’oreille, sous le maquillage, certains n’ont pas manqué de voir le symbole d’une époque coloniale et esclavagiste révolue. Les militants antiracisme se sont donc emparés de Zwarte Piet, qui était, à la base, noir… de suie, puisqu’il accompagnait saint Nicolas dans le conduit de la cheminée. Les organisations des droits de l’homme ont d’ailleurs alerté le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, qui a ouvert une enquête.
En 2017, toutefois, la cour d’Amsterdam a refusé de voir disparaître Zwarte Piet de son folklore. Entre les lignes, on pouvait toutefois comprendre que le maquillage outrancier, les lèvres rouges et l’air ahuri n’étaient pas pour plaire à la justice. Et qu’un peu de tenue et de discernement dans le chef de ceux qui l’incarnent seraient les bienvenus…