Ces derniers jours, ses proches l’ont, pour la première fois, entendu soupirer son ras-le-bol face aux critiques de ses collègues, lui qui jusqu’à présent s’accrochait à son poste. Dans une lettre aux députés LREM, Gilles Le Gendre annonce qu’il quittera la présidence du groupe et passera la main en septembre. Au lendemain de la déclaration de politique générale de Jean Castex, nouveau Premier ministre auquel les marcheurs ont unanimement accordé leur confiance (à une abstention près), leur chef de file veut inscrire son choix dans la foulée du changement d’équipe gouvernementale. «Face à ces évolutions, notre groupe doit lui aussi se réinventer. […] Un passage de relais s’impose, qui apportera du sang neuf à la tête de notre groupe», assure-t-il. Lors d’un point presse, mercredi soir après le vote de confiance, alors que la rumeur de son départ bruissait déjà, celui-ci a délivré un message codé : «Jusqu’à ce soir, nous étions dans une séquence de l’exécutif, cela ne veut pas dire qu’on ne prépare pas la suite. Que le groupe doive lui aussi se réinventer, je n’ai rien contre. Le rendez-vous sera les journées parlementaires» à Amiens, les 10 et 11 septembre.

Dans son courrier aux députés, il reconnaît qu’à ce poste ingrat, chahuté par la crise des gilets jaunes puis la crise sanitaire, «un mandat de deux ans compte double». Très fragilisé ces dernières semaines, celui-ci faisait pourtant valoir qu’il avait été élu à l’automne 2018, puis largement réélu en juillet 2019, lorsque tous les postes clés du groupe majoritaire ont été remis en jeu à mi-mandat.

 

Goutte d’eau

Le sexagénaire, style old school et phrasé ampoulé, n’a jamais suscité un enthousiasme débordant en interne. Et les reproches de ses camarades se sont intensifiés au printemps : manque de débat (Le Gendre avait mis sur pied un système compliqué de groupes d’animation politique qui n’a guère montré de résultats), difficultés persistantes à peser face à l’exécutif, incapacité à porter des initiatives propres à son groupe et à éviter les chausse-trappes de l’opposition.

La révélation par l’hebdomadaire Marianne d’une note adressée à l’Elysée dans laquelle le député de Paris livrait ses pistes «sur le casting d’un nouveau gouvernement», a porté le coup de grâce. «Affligeant, accablant», «c’est l’estocade», s’étaient étranglés les députés LREM. «C’était la goutte d’eau d’un vase déjà rempli à ras bord», analyse après coup l’un d’eux. Si Le Gendre avait réussi à s’offrir un sursis, personne ne le jugeait en mesure de se maintenir jusqu’à la fin de la législature.

A LIRE AUSSIJean Castex, un technocrate à Matignon

Ce dernier, qui a prévenu Emmanuel Macron, Jean Castex et le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, de sa décision, écrit l’avoir prise «en toute liberté» «Nul ne me l’impose, n’en déplaise à celles ou ceux qui par ambition ou revanche personnelles seraient prêts à s’affranchir de nos règles internes, à mettre à mal notre unité et à trahir notre promesse de pratiquer la politique autrement, sans hésiter à s’afficher sur la place publique», ajoute-t-il, égratignant au passage ceux qui ont tenté de le pousser dehors.

 

De Rugy en campagne

Parmi ses possibles successeurs, des noms circulent déjà. L’ancien président de l’Assemblée nationale et ex-ministre de la Transition écologique, François de Rugy, ne devrait pas tarder à officialiser sa candidature et a déjà démarré sa campagne interne, multipliant les contacts et répondant aux députés qui le sondent être «prêt à relever ce défi». Redevenu député à la rentrée 2019, il a d’abord discrètement assisté aux réunions de groupe, avant d’y prendre très ostensiblement la parole ces dernières semaines. Son retour sur les plateaux de télévision ou ses tweets avec clins d’œil – «Nous, les députés LREM» – n’ont pas échappé à ses collègues.

A LIRE AUSSIDarmanin, du galon à l’Intérieur

Fraîchement débarqué du gouvernement, l’ancien ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner a aussi été approché par ses collègues. «Il faut d’abord qu’il se requinque, Christophe a pris un gros coup à Beauvau ces derniers mois», temporise l’un d’eux. L’intéressé confiait le 9 juillet au Monde avoir «reçu beaucoup de messages de soutien, cela est toujours agréable. Certains ont évoqué le groupe. Mais le groupe a un président : Gilles Le Gendre». Ce n’est plus le cas. Mercredi, celui-ci a traversé la salle des Quatre-Colonnes de l’Assemblée nationale tout sourire, avant de retrouver officiellement son siège de député des Alpes-de-Haute-Provence début août.

Laure Equy