Quand il se déplace en poussant son drôle de charriot, il fait sonner une petite cloche. « Pour avertir de mon passage », explique l’homme, un béret sur ses cheveux blancs, ce matin-là sur le marché de Beuzeville (Eure). Pascal Pierre, bientôt 62 ans, est rémouleur : il affûte des couteaux et des lames de toutes sortes.
Machine transmise par son grand-père
Il pratique ce métier à l’ancienne, avec une « rémoulette » mobile, sorte de chariot en bois qu’il a hérité de son grand-père, également rémouleur. L’artisan appuie sur une pédale avec son pied, ce qui actionne une roue, qui fait tourner les meules sur lesquelles il lime les couteaux. Ces machines s’appellent aussi « limeur, rémouleur, affûteur, aiguiseur… »
Un métier rare quasiment tombé en désuétude. En cause : les couteaux modernes s’usent moins vite et ne coûtent pas cher à remplacer, et aujourd’hui, nous sommes nombreux à posséder des fusils d’affûtage. Ils sont pourtant une poignée de rémouleurs à exercer dans la région, mais la plupart se déplacent avec des fourgons et utilisent des machines plus modernes.
Dans la famille de Pascal Pierre, ce métier se transmet de père en fils. « Mon arrière-grand-père faisait ça aussi ! » précise l’artisan itinérant basé à Lisieux. Il a appris le métier dès l’enfance aux côtés de son père qu’il accompagnait parfois. « J’ai toujours travaillé comme rémouleur, j’ai commencé à l’âge de 18 ans », raconte le professionnel.
Un artisan itinérant
Ayant aussi travaillé en Bretagne, le rémouleur navigue actuellement entre de nombreux marchés normands : Lisieux, Pont-l’Évêque, Cormeilles, Caen, Bernay, Le Havre, Bayeux, Saint-Lô… Il y a quelques années, il venait même à Pont-Audemer !
Il s’adresse aux particuliers et aux professionnels. Pour quelques euros, il affûte couteaux, ciseaux, cisailles, sécateurs, lame de tondeuse, serpe, hache, binette… énumère l’artisan. « Tout ce qui est instruments qui coupent à part la céramique. »
Preuve que les couteaux qu’il rend sont plus tranchants que jamais, il suffit d’une erreur de manipulation pour se retrouver avec une coupure. « Ça m’arrive », confessait Pascal Pierre que nous avions interrompu dans sa tâche sur le marché de Cormeilles, entraînant un saignement.
Un métier de plus en plus dur
À bientôt 62 ans, Pascal Pierre approche désormais de la retraite. Commerçant indépendant qui a exercé en Bretagne et en Normandie, il a fait sa demande, mais n’est pas sûr d’avoir une pension très élevée. Alors, pour l’instant, il continue.
Il n’y a rien qui marche à part ça… Mais ça commence à se terminer aussi. Je faisais du rempaillage avant, mais j’ai arrêté.
« Il y a 40 ans en arrière, c’était la bonne époque ! » se souvient-il. Mais ces derniers temps, l’activité est de moins en moins dense. Même à l’approche des fêtes, alors qu’on pourrait s’attendre à ce que les gens veuillent affûter leurs couteaux avant de recevoir. « D’habitude, j’ai toujours de la demande. Mais là, ça tire… Cette année, c’est plutôt dur. Il y a la crise, c’est galère. À Caen, ça va encore. »
Difficulté supplémentaire : les clients ne peuvent pas savoir à l’avance quel jour Pascal Pierre sera présent dans une ville, même si les plus fidèles l’appellent avant.
Aussi, face au déclin de la demande, la tradition familiale devra s’arrêter là dans quelques années, voire quelques mois. Il faudra profiter de ce délai pour faire aiguiser ses couteaux. Car l’incontournable rémouleur n’aura probablement pas de successeur.
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