Les mottes de tourbe sont étalées dans un champ au bout duquel se trouve un tas de terre noire. Nous sommes à l’extrémité d’une tourbière, un écosystème qui a mis des milliers d’années à se constituer. Un extracteur aux griffes d’acier vient de passer par là pour couper des morceaux en forme de briques, qui sont maintenant mise à sécher sur une étendue de la taille d’un terrain de foot, avant d’être conditionnés. Suffisant pour chauffer une maison pendant tout un hiver irlandais.

Cette scène a lieu dans le comté de Kildare, à l’ouest de Dublin, mais on la retrouve partout dans les campagnes d’Irlande à cette époque de l’année. Certains écologistes y voient pourtant une scène de crime, une folle agression contre une ressource naturelle précieuse, la transformation d’un puits de carbone en combustible fuligineux.

“Ils nous prennent pour des bandits”

Ned Phillips, 49 ans, qui a procédé à l’extraction, n’est pas d’accord : “Je n’arrêterai pas de couper de la tourbe ici quelles que soient les lois qu’ils adoptent. C’est notre tradition. On ne fait de mal à personne ici.” Sa mère avait pour dernière volonté qu’il perpétue une tradition vieille de plusieurs siècles, un souhait qu’il a l’intention de respecter. “Je me battrai pour ça jusqu’à la mort.”

Fiona Conlon, elle aussi coupeuse de tourbe, demande un peu de sollicitude. “Ils nous prennent pour des bandits ou des radicaux. On n’est pas des sauvages. On est fier de ce qu’on fait. Je me sens chez moi parce qu’il y a un feu de tourbe.”

Pour le gouvernement irlandais, en revanche, ça sent le roussi. Sa tentative de réduire la vente et la distribution de tourbe a eu l’effet l’inverse : la mesure a fait scandale au Parlement en avril et elle divise la coalition au pouvoir, sans compter qu’elle alimente un supposé antagonisme entre élites citadines et miséreux ruraux. Eamon Ryan, chef des Verts et ministre de l’Environnement, a dû rétropédaler quelque peu. Le Premier ministre centriste, Micheál Martin, a déclaré qu’il n’y aurait pas d’interdiction des ventes de tourbe en 2022.

Une fierté nationale

Sur le plan politique, réduire l’extraction industrielle et la combustion de tourbe devait être facile, c’était l’élimination déjà tardive d’une pratique néfaste pour la santé et l’environnement. Au lieu de ça, c’est devenu un conte moral sur le populisme, les prix de l’énergie, Vladimir Poutine et une transition écologique équitable – autrement dit, un cocktail explosif dont les ingrédients se retrouvent partout en Europe.

Les tourbières marécageuses se sont formées dans une bonne partie du centre de l’Irlande par la décomposition de végétaux. En l’absence de charbon et de forêts, sans parler d’électricité, les Irlandais ont survécu pendant