“Aujourd’hui s’ouvre à Paris un procès crucial pour la liberté d’expression : celui dit des caricatures de Mahomet”, avertit Le Courrier. “La dix-septième chambre du tribunal de grande instance de Paris se penche sur la publication par l’hebdomadaire français Charlie Hebdo des douze caricatures initialement publiées par le quotidien danois Jyllands-Posten”, poursuit le quotidien suisse.

“Trois instances ont attaqué l’hebdomadaire satirique : l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), la Grande Mosquée de Paris et la Ligue islamique mondiale. La plainte vise l’injure publique à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur religion. Au Danemark, le journal qui avait mis le feu aux poudres a été relaxé. Espérons qu’il en sera de même au terme des deux jours d’audience prévus, même s’il est permis d’avoir des réserves sur les dessins, pas forcément très fins ni très drôles. On ajoutera que les dessins attaqués ne sont offensants que pour ceux qui s’y reconnaissent. En l’occurrence, ce qui était critiqué, c’était bien l’utilisation d’un discours islamiste pour justifier des actes terroristes et une ambiguïté par rapport à la violence, invoquée comme légitime par certaines mouvances.”

“La charge contre Charlie Hebdo est inquiétante. Elle montre que la laïcité est une valeur fragile et mal acceptée. Elle met aussi en évidence les limites des législations antiracistes, qui facilitent ce genre d’attaques injustifiables contre la liberté de la presse. Et le fait que le président Jacques Chirac n’ait pas cru bon de défendre les valeurs démocratiques au moment des faits est un facteur aggravant qui pèsera sur le procès.”

“Ceux qui estiment qu’en publiant ces dessins l’hebdomadaire a mis à mal le dialogue entre les religions et leur cohabitation au sein d’un espace politique désacralisé et pacifié auraient été mieux inspirés en évitant de recourir à l’arme juridique. Leurs critiques auraient gagné en cohérence et se seraient exprimées dans l’espace qui leur est dévolu : celui du débat d’idées.”

“On peut voir ce procès sous deux angles”, estime de son côté la Tribune de Genève. “Soit on s’insurge contre cette plainte des milieux islamiques, qui dénote un état d’esprit incompatible avec la liberté d’expression telle que nous la concevons ; soit on se dit qu’au fond ces organisations n’ont fait qu’utiliser les moyens de droit pacifiques et légitimes mis à leur disposition. Il vaut mieux une mauvaise plainte qu’une bonne bombe. La procédure initiée par ces organisations musulmanes permettra à ces dernières de détailler leurs points de vue et leurs colères de façon contradictoire et pacifiée. Il est toujours bon d’exposer ses révoltes afin qu’elles ne restent pas à l’état de frustrations inexprimées, frustrations qui ne manquent pas, finalement, de sourdre en prenant des formes violentes et antisociales. Ce procès, qui paraît ridicule sous bien des aspects, n’est donc pas aussi inutile que cela”, conclut cet autre quotidien suisse.

En Algérie, le journal El-Watan se fait l’écho de l’argumentation des plaignants. “La Mosquée de Paris reproche au journal d’avoir publié les caricatures stigmatisant le prophète Mahomet ‘sans se soucier de la sensibilité des musulmans de France ni de leur croyance religieuse’. Pour Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, il s’agit tout simplement d’un acte raciste, gratuit, qui heurte la sensibilité des millions de musulmans de France. A ceux qui lui opposent le sacro-saint principe de la liberté d’expression, Dalil Boubakeur rétorque que ‘la Mosquée de Paris et les musulmans de France ont toujours respecté les lois de la République dans laquelle ils vivent et ne se sont jamais opposés à la liberté de la presse, même si celle-ci peut parfois véhiculer des éléments négatifs comme le déni de l’Histoire ou la liberté d’humilier les gens’.”

“Par ailleurs, Dalil Boubakeur précise que ‘le Conseil français du culte musulman (CFCM) est là pour protéger l’ensemble de la société française contre un islam barbare ou dangereux’. Et de rappeler les millions de musulmans morts pour la France lors des deux guerres mondiales et les nombreux juifs sauvés par la Mosquée lors de la Seconde Guerre mondiale. Dalil Boubakeur a reconnu également avoir reçu deux émissaires mandatés par Charlie Hebdo en vue de trouver une solution à l’amiable. ‘Mais la démarche n’a pas abouti, car ce qu’ils cherchaient, c’est juste que je vienne devant les caméras pour échanger une poignée de main avec le directeur de l’hebdomadaire. Bien entendu, j’ai refusé car je voulais tout d’abord discuter de cet incident en profondeur.’”

Courrier international avait également reproduit sur son site web, l’année dernière, les caricatures incriminées. Celles-ci sont toujours accessibles dans notre rubrique dédiée aux cartoons.