Spotify et la complaisance d’extrême droite
Adepte des plateformes de streaming, je suis abonné à Spotify. En découvrant l’offre de podcasts, un onglet attire mon attention. Voilà qu’apparaît Dries Van Langenhove, fondateur de Schild and Vrienden, élu du Vlaams Belang. Nausée.
- Publié le 03-08-2020 à 08h54
- Mis à jour le 03-08-2020 à 11h54
Une opinion d'Alexandre Rombaut, diplômé en histoire et en sciences politiques, intéressé par les problématiques liées aux populismes, extrémismes, médias sociaux et du monde digital. Citoyen engagé.
Internet, c’est la liberté d’échanger, de parler, de publier ! Internet aide des dissidents à se faire entendre, des artistes à se faire connaître ou des scientifiques à échanger. Mais c’est aussi la diffusion des messages complotistes, simplistes, extrémistes ou haineux.
Adepte des plateformes de streaming, je suis abonné à Spotify et j’ai découvert son offre de podcasts. Une nouvelle fenêtre sur le monde était à ma disposition. Première déconvenue, je trouve des listes restreintes. J’attendrai donc avant de retourner sur le catalogue.
Quelques mois plus tard, seconde déconvenue et début de nausée. Le service s’est étoffé, mais, la déception se confirme. Les podcasts sont majoritairement anglophones. Enfin, joie ! Des titres belges ! Nouvelle déconvenue. Les titres sont néerlandophones et les francophones sont absents. Mais après tout, nous avons l’habitude de nous voir proposer, par défaut, un profil en néerlandais. Rien de grave, je pourrai pratiquer mon néerlandais et accéder à de l’information "vue de Flandre". L’onglet "Actualités et Politique" retient mon attention.
Nausée ! Le visage "bon chic, bon genre" de l’extrême droite flamande, Dries Van Langenhove, fondateur de Schild and Vrienden, élu du Vlaams Belang, apparaît.
Le ton est donné : "Ben je de desinformatie van de massamedia beu ? Ben je klaar om de harde waarheid te horen ? De Dries Van Langenhove podcast brengt je de opvallendste gebeurtenissen van de week met de nodige humor. Let op : je zal de wereld nooit meer hetzelfde zien."
Dries va me transformer, je verrai le monde d’un œil différent. Les médias ne me désinformeront plus, j’entendrai la "vérité vraie" et, cerise sur le gâteau, le message sera transmis de manière sympathique et humoristique.
Bref, une nausée, mais sympathique et humoristique. Merci Spotify pour ce moment de plaisir gastrique à la sauce Belang !
Insidieux
En quoi cette présence serait plus dérangeante que sur un réseau social ? Je ne suis pas obligé d’écouter, je peux zapper. Ce qui est dérangeant, et insidieux, c’est qu’il est déguisé en chroniqueur, et non en politicien, pour faire passer son message. C’est que c’est le seul homme politique proposé. C’est que son podcast passe pour une chronique sympathique et humoristique. C’est que Spotify a fait le choix de proposer ses podcasts. C’est que je suis client d’une société diffusant des podcasts d’extrême droite. C’est que Spotify le rémunère à chaque écoute.
Stéphane Hessel, disait "Indignez-vous !". Alors, oui, il faut agir. Agir, mais avec les armes mises à notre disposition. Je suis client d’une société qui publie du contenu qui va à l’encontre des valeurs d’égalité et de vivre-ensemble qui me sont chères, je dois lui faire savoir que ce n’est pas acceptable.
Spotify ne voit pas le problème
Je contacte donc le bureau belge pour lui faire part de mes griefs : "Si ce type de podcast reste disponible, mes valeurs ne me permettront pas de prolonger mon abonnement à un service qui, de facto, fait l’apologie du racisme, de l’antisémitisme, du sexisme…"
Le retour est rapide mais le problème se fait sentir : "Sachez que nous n’avons pas l’intention d’offenser nos clients peu importe leur régime politique. Nous avons pris note de votre avis et en prendrons compte à l’avenir. Nous comprenons que cela soit frustrant." Pour Spotify la diffusion de contenu d’extrême droite, à caractère "sympathique et humoristique", est frustrante.
Impensable ! Je suis frustré par des podcasts d’extrême droite. J’en rirais si je n’avais pas la nausée. Le contact se prolonge. Je paye pour un service musical et culturel, pas pour être confronté à des personnes tentant de diffuser leur idéologie, quelle qu’elle soit.
Je dois désormais citer le "contenu offensant". Déjà trois mails, et Spotify ne voit toujours pas le problème d’héberger des podcasts d’extrême droite ? Je nage en plein surréalisme à la belge.
Hors de question de lâcher le morceau. Les échanges reprennent : "Spotify héberge et diffuse, en toute connaissance de cause, des podcasts d’une personnalité politique belge élue sur les listes d’un parti d’extrême droite. Cette personnalité utilise vos services pour diffuser son idéologie d’extrême droite. Doit-on en conclure que Spotify : cautionne, est complaisant, adhère, finance et est financé par l’extrême droite ?"
Spotify comprend à nouveau ma "frustration" et ma demande va être transmise au service contenu. Il n’en sera rien. Je suis de nouveau contacté par le service client. Nous tournons en rond, le serpent se mord la queue !
Que faire ? Me noircir les oreilles à l’écoute de ce parangon d’extrême droite et prendre note des petites phrases qui pourraient être choquantes (ou "frustrantes" selon la novlangue policée de Spotify) ?
Hors de question ! Je participerais directement au financement de ces extrémistes, populistes et policés, qui me révulsent. Je participerais positivement aux statistiques d’écoute et prendrais donc le risque de propulser ces podcasts dans les favoris "belges". Malheureusement, impossible de trouver une transcription. Voilà qui aurait été utile afin de débusquer les éléments démontrant à Spotify, qu’outre le fait d’héberger cette personne, il existe bien un problème dans la diffusion de son message.
Sur d’autres plateformes
Ma recherche n’a pas été inutile. Le Vlaamse Belang ainsi que Schild and Vrienden ont déjà leur propre canal de diffusion pour ces podcasts, et ceux-ci sont également disponibles sur Apple et YouTube. Spotify n’est donc pas la seule société à avoir accepté la présence de l’extrême droite sur une plateforme payante.
Internet doit être libre ! Mais que Spotify fasse, délibérément, le choix de diffuser ce type de contenu est interpellant. Quelle est sa politique de diffusion ? Ne doit-il pas être plus prudent dans sa sélection ? Si le social management des utilisateurs peut être compliqué, il me semble beaucoup plus difficile de se montrer compréhensif face à de tels choix éditoriaux.
"Indignez-vous !"
Oui, indignez-vous car il ne reste plus que cela. Indignez-vous, contactez Spotify, Apple, YouTube et faites part de votre "frustration". Demandez des comptes, car vous êtes leur client. Vous êtes en droit de réclamer un service qui vous correspond et qui correspond à vos valeurs. Vous êtes en droit de ne pas financer l’extrême droite et de demander le retrait de sa propagande. Pour ma part, je continuerai à écrire pour réclamer le retrait de ces podcasts "sympathiques et humoristiques".
Et si Spotify refuse ? Il ne restera plus qu’une seule solution, se désabonner. Car au final, c’est le consommateur le patron. Il est celui qui décide. Et il décide en posant des choix qui font sens. Vous voulez changer les choses ? Arrêtez d’ânonner en gras et pétris de certitudes sur vos réseaux sociaux, dans vos salons ou dans des bars. Posez des choix, respectez-vous, regardez-vous dans un miroir et écoutez votre conscience. Elle seule vous jugera.
Et vous, que ferez-vous ?
Pour contacter Spotify : support@spotify.com