96 logements dans le couvent des Clarisses à Tournai : une "alerte patrimoine" est lancée
La société Imoya envisage de créer 96 logements dans le couvent des Clarisses, un vaste ensemble patrimonial majeur situé entre le quai Taille-Pierres et la rue des Récollets. Selon des défenseurs du patrimoine, les gabarits envisagés ainsi que des constuction au cœur de l’îlot posent largement question.
- Publié le 19-04-2023 à 06h00
Depuis un certain temps, des défenseurs du patrimoine s’activent en coulisses. Le Tournaisien Ludovic Nys vient de lancer publiquement une alerte pour protéger un élément patrimonial de premier plan : le site des Récollets, que beaucoup de Tournaisiens connaissent mieux sous le nom du couvent des Clarisses.
Le couvent a été classé comme monument en 1994. Installées à Tournai depuis 1628, les Clarisses se sont établies en 1827 au quai Taille-Pierres dans une dépendance de l’ancien clos des Récollets. Cette habitation était occupée dès 1240 par les Frères mineurs. Le couvent comprend deux corps de logis (XVIIe siècle) et une aile, situés respectivement au quai Taille-Pierres et à la rue des Récollets. L’ensemble comprend de beaux jardins et une chapelle construite selon les plans de Justin Bruyenne (XIXe siècle).
La dernière sœur a quitté les lieux en 2008 et les amateurs n’ont pas tardé à se manifester pour acquérir le site. La ville avait envisagé un moment de racheter l’ensemble pour réaliser des logements sociaux. C’est finalement René Philippe, un Lillois tombé sous le charme de Tournai et en particulier de l’ancien couvent, qui a acquis le site avec son épouse. Il avait pour projet, via sa société Klarys, d’y installer des chambres d’hôtes. Mais M. Philippe s’est consacré pleinement, pendant de longues années, au projet dit de l’îlot Desclée en réalisant des logements dans l’ancienne imprimerie tournaisienne. Aujourd’hui, c’est la société Imoya (Dilbeek) qui prépare un dossier de reconversion du site en 96 logements.
"Les gabarits doivent être raisonnables"
Que craint Ludovic Nys ? "Je ne suis pas opposé à un projet immobilier. Ce qui me fait peur, c’est que dans ce quartier qui a encore énormément d’âme, rempli de charme, fort arboré et avec l’Escaut à proximité, un projet très peu respectueux de cet ensemble puisse voir le jour".
Le projet porte sur 96 appartements répartis sur plusieurs blocs comportant quatre étages (cinq niveaux). "Le bâtiment du XVIIe siècle, que l’on appelle communément la ‘ferme des Récollets’, en réalité une aile de l’ancien couvent, serait semble-t-il condamné à disparaître. Or il s’agit là d’un vestige remarquable de l’architecture de cette époque à Tournai (avec superbe mur de pierre à refends), qui se trouve être par ailleurs le témoin d’un des hauts lieux de l’ancienne histoire religieuse de notre ville […]" Selon M. Nys, une partie du complexe de l’ancien couvent, à front de quai, pourrait être dénaturée. "Or, c’est le seul autre vestige ancien qui donne à ce quartier tout son cachet et pérennise partie de son histoire".
Ludovic Nys met en garde: la "ferme des Récollets" doit être conservée, restaurée et intégrée sans modification extérieure dans le futur projet immobilier. Les gabarits doivent aussi être respectés ("il faut en revenir à un gabarit à trois étages au maximum"). Et il faut que soit exigée, préalablement à ces travaux, une fouille systématique des terrains qui seront construits ainsi que leurs abords immédiats. "Car nous sommes là sur un site d’une grande importance historique, celui des anciens Frères mineurs. Qui, je le rappelle, avait livré au niveau du cloître des anciennes Clarisses en 1825 et en 1908 encore une série de reliefs votifs des XIVe et XVe siècles, aujourd’hui tenus au niveau international pour l’un des ensembles les plus remarquables de la plastique (sculpture) médiévale des anciens Pays-Bas méridionaux".
La future capitainerie du port de plaisance dans la chapelle
Philippe Robert, en sa qualité d’échevin de l’urbanisme, suit le dossier. En vacances depuis ce lundi, il n’était pas en mesure de nous en donner des détails.
Mais le projet se fera dans le respect du quartier et du patrimoine, dit-il. "L’AWAP (l’Agence wallonne du Patrimoine) nous accompagne depuis que ce dossier nous a été présenté".
Ce dossier va être présenté prochainement à la fonctionnaire déléguée. "Il a déjà pas mal évolué, il a été transformé, au niveau des gabarits notamment", nous l’échevin. Qui observe que, "de l’autre côté de la rive et en face, au quai du Luchet d’Antoing, il y a déjà des bâtiments sur cinq et six niveaux (R + 4 et R + 5)".
Par ailleurs, le promoteur sera tenu par une charge d’urbanisme au moins. Laisser la possibilité pour la ville d’aménager dans la chapelle du couvent la capitainerie du futur port de plaisance amené à remplacer la halte nautique.
COMMENTAIRE | Promoteurs bienvenus, mais pas à n’importe quel prix
Il y a lieu de se réjouir que de nombreux promoteurs immobiliers s’intéressent à une ville de 70 000 habitants dont la population de l’intra-muros a tendance à stagner voire à diminuer.
Un investisseur ne se lance pas dans pareille aventure s’il n’est pas convaincu du potentiel d’une ville. Mais personne n’est dupe: l’attractivité d’une cité se mesure aussi au degré de rentabilité d’un projet.
On en a eu le sentiment lors de l’annonce de la réalisation de 250 logements sur le site de la Dorcas.
Dans le cas du couvent des Clarisses, où 96 logements sont en projet, risque-t-on de voir disparaître l’âme du lieu voire du quartier ? L’avenir nous le dira. Ce n’est pas anormal que ce type de dossier se négocie dans la discrétion avant l’enquête publique.
Mais à un moment où le rythme de dossiers immobiliers déjà acceptés, à l’étude et en cours de réalisation s’accélère, la ville de Tournai serait bien inspirée de démontrer qu’elle a la maîtrise de ce vers quoi elle va en la matière, sur la base d’une large et intense réflexion. Pour rassurer ceux qui pensent que certains promoteurs imposent leurs idées un peu trop facilement.