Georges Brassens et sa "mauvaise réputation"

France 2 consacre un téléfilm aux jeunes années de l'artiste. Rencontre avec Éric Kristy, scénariste de "La mauvaise réputation" (mercredi 19 octobre, 20 h 35).

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Stéphane Rideau dans le rôle de Georges Brassens.
Stéphane Rideau dans le rôle de Georges Brassens. © DR

Temps de lecture : 7 min

Le Point : Georges Brassens aurait pu mal tourner ? Est-ce la poésie qui le sauve ? Ou bien est-ce plus complexe ?

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Éric Kristy : Autour de 17-18 ans, il aurait vraiment pu mal tourner. Mauvais élève, amoureux précoce, sanglé dans des petits costards cintrés, les cheveux brillantinés, on est très loin de l'image du Brassens moustachu et grisonnant qu'on connaît ! Sa jeunesse est celle d'un petit Sétois insouciant, farceur et un peu marlou... "On était des vraies brutes", a-t-il dit en évoquant cette époque. Une vilaine histoire de cambriolages en série l'a envoyé, avec ses comparses, devant le tribunal correctionnel de Montpellier, qui l'a condamné à six mois de prison avec sursis. Dans la foulée, il a été viré du collège. La honte qu'il a ressentie à ce moment-là (surtout vis-à-vis de ses parents) est sans aucun doute l'un des déclencheurs de sa vocation. Son prof de lettres, Alphonse Bonnafé, dit "le boxeur", l'a initié aux grands textes et lui a inculqué l'amour des mots. Il lui a donné confiance en lui et l'a incité à rattraper le temps perdu grâce à la littérature. Entre vingt et trente ans, Brassens s'est littéralement plongé dans les livres, et a dévoré des bibliothèques entières !

À quelles sources avez-vous puisé pour écrire ce scénario ?

J'ai d'abord puisé dans mes souvenirs. Je suis issu de gens qui écoutaient et aimaient Brassens ! Dans ma jeunesse, j'ai été musicien, et le meilleur moyen pour apprendre la guitare était de se coltiner les grilles d'accords très complexes des chansons de Brassens. Malgré son apparente facilité, la musique de Brassens est riche et élégante, c'est une très bonne école ! Pour écrire le scénario, j'ai également lu beaucoup d'ouvrages sur Brassens, il y en a des centaines, et j'ai rencontré des gens qui l'ont connu, qui l'ont aimé, que ce soit à Sète ou à Paris. Je me suis également imbibé des ambiances sétoises et parisiennes qui ont été celles de la période que décrit le film, c'est-à-dire 1939-1952.

Quel est son degré d'authenticité ? Quelle scène avez-vous totalement inventée pour les besoins de la fiction ?

C'est une libre interprétation de la vie de Brassens, parfois romancée, que je n'espère jamais fausse ou mensongère. La plupart des événements que je raconte ont réellement existé. Disons que j'ai mélangé plusieurs choses, créé des personnages à partir de plusieurs de ses copains ou amis, imaginé ce qu'a pu être sa vie à ce moment-là, ses amours, sa façon d'être.

Combien de Georges Brassens potentiels avez-vous castés et comment le choix s'est-il porté sur Stéphane Rideau ?

Le réalisateur Gérard Marx et la productrice Dominique Lancelot ont auditionné de très nombreux comédiens. Les difficultés étaient multiples. Il fallait un acteur qui puisse jouer Brassens à 18 ans et à 32. Or Brassens a physiquement énormément changé dans ces années-là. Il a toujours fait plus vieux que son âge et, d'ailleurs, les gens sont souvent surpris d'apprendre qu'il est mort à soixante ans. Ils imaginent que Brassens était un vieillard ! Le choix s'est finalement porté sur Stéphane Rideau pour plusieurs raisons : il possède à la fois le charme, la timidité et la puissance du jeune Brassens. Il sait jouer de la guitare. Il a une très légère pointe d'accent du Sud qu'il a gardé, sans pour autant chercher une imitation de Brassens qui aurait été ridicule. Physiquement, Stéphane est un vrai costaud, il a même failli faire carrière dans l'équipe de rugby d'Agen ! Conscient de la difficulté de l'entreprise, il a abordé ce rôle avec une grande humilité, il a choisi de privilégier le côté intériorisé, peu bavard et très timide du jeune homme qui a débarqué un beau matin à Paris, sans un sou, alors qu'il avait à peine vingt ans.

Brassens n'était pas musicien. Comment a-t-il appris le piano puis la guitare ?

Brassens avait une oreille musicale infaillible. Il écoutait beaucoup la radio et des disques sur le phono familial, et il avait cette capacité de se souvenir sans aucun mal des paroles et des musiques qu'il entendait. Plus tard, il a appris seul le piano, avec une méthode rose, puis la guitare, "à la feuille" également, s'inspirant des rythmiques et des grilles de jazz popularisées par Django Reinhardt. Il faut le répéter, Brassens était à la fois un grand auteur et un grand musicien.

En visionnant le téléfilm, on a l'impression que Brassens a quasiment écrit toutes les chansons qui le rendront célèbre avant d'être connu et reconnu...

Le succès a mis des années à venir, mais il écrivait inlassablement. Des poèmes, des débuts de romans, des articles, des critiques et même des ébauches de scénarios. Et, bien sûr, des chansons. Les premières qu'il a écrites et chantées devant un public datent de 1943, lorsqu'il était en Allemagne. Parmi elles, Maman, papa (qu'il chantera dix ans plus tard avec Patachou), Bonhomme ou Pauvre Martin. Après la guerre, il a continué à écrire et à composer, si bien que, lorsque le succès est enfin venu, il avait en réserve de quoi enregistrer ses deux ou trois premiers albums !

Il a échappé à la conscription, mais pas au STO. Comment a-t-il vécu cette période ?

Il était d'une classe d'âge qui n'a pas été mobilisée. Mais, en 1943, il a été appelé au Service du travail obligatoire pour réparer en Allemagne des moteurs d'avion chez BMW ! Là-bas, il a travaillé le moins possible, écrit et lu sans arrêt, et fait la connaissance de plusieurs des amis qui sont restés les siens jusqu'à sa mort.

Un personnage essentiel apparaît : Jeanne, sa mécène, son amante... Qui était-elle ?

Jeanne (La Jeanne) et son mari Marcel (L'Auvergnat) habitaient un taudis sans eau ni gaz ni électricité, impasse Florimont, dans le 14e. À la faveur d'une permission, Brassens a décidé de déserter le STO et il s'est caché chez eux. Il y a vécu de 1944 à 1965, au milieu des chats, des chiens, des perroquets et des innombrables bouteilles que vidait avec application le brave Marcel ! N'oublions pas, dans cette ménagerie, la fameuse cane, de Jeanne, bien sûr ! Il s'est instauré rapidement à l'impasse une espèce de petite communauté, un couple à trois, une relation libertaire et plutôt joyeuse, qu'on pourrait même qualifier de moderne ! Il faut rendre ici un hommage tout particulier à Marie-Anne Chazel et Bruno Lochet qui ont su donner à leurs personnages une tendresse, une chaleur, un humour et une émotion extraordinaires. Car Brassens, la mauvaise réputation est un film joyeux, émouvant et optimiste. C'est vraiment la couleur que je lui avais imaginée dès le départ et que tous les artisans de ce projet se sont appliqués à concrétiser dans le film.

Georges Brassens était-il porté à aimer les femmes plus mûres que lui ?

Certainement. Il adorait sa soeur Simone, de neuf ans son aînée, a voué une véritable passion à Jeanne, qui avait trente ans de plus que lui... Plus tard, Püppchen, qui allait devenir sa muse éternelle, avait, elle aussi, une dizaine d'années de plus que lui. Ce qui n'empêchait pas Brassens, bourreau des coeurs, aussi discret qu'efficace, de vivre des aventures brûlantes et compliquées avec de très jeunes femmes, dont certaines de petite vertu... Les relations de Brassens avec les femmes mériteraient un film à elles seules ! Il faudrait sans doute remonter aux rapports qu'il avait avec sa mère, d'origine italienne et très pieuse, et qui n'est jamais allée voir son fils sur scène, choquée par les "gros mots" dont il émaillait ses chansons !

Votre téléfilm évoque une France révolue, une France pauvre, pouilleuse presque, mais solidaire. En avez-vous la nostalgie ?

C'est sans doute un peu une nostalgie d'un Paris disparu, celui de Doisneau, de Prévert, de Montmartre et des cabarets de la Rive gauche. Le Paris de mon enfance également. Le soin particulier apporté par notre chef décorateur, l'excellent Robert Voisin, à la construction des décors amène un charme particulier au film, qui évite soigneusement le misérabilisme et rappelle le cinéma français de ces années-là. Et puis il faut aussi et absolument parler de la musique et des chansons qui baignent le film. Le compositeur arrangeur Renaud Barbier a fourni un énorme boulot sur l'habillage musical du film, qui ajoute encore à l'émotion et au bonheur qui s'en dégagent.

Brassens lui-même savait-il, à la fin de sa vie, que cette France ne lui survivrait pas ? Pas plus que cette manière de percer dans le music-hall...

Je l'ignore. Je ne le vois pas du tout passéiste. Au contraire, il se tenait toujours au courant des nouveautés musicales, écoutait le jazz, la chanson ou le rock avec le même plaisir. Il est certain que des carrières comme la sienne, qui n'ont abouti qu'après plus de dix ans de vache enragée, sont difficilement imaginables aujourd'hui. Il faut ajouter qu'un succès comme le sien, qui se poursuit encore aujourd'hui, trente ans après sa mort, est à la mesure du bonhomme : unique.

Commentaires (12)

  • MURIEL91

    Je suis une fan inconditionnelle de Brassens. Malheureusement, je n'ai pas pû voir ce film. Si quelqu'un pouvait m'en procurer une copie je serais ravie. Merci d'avancer.

  • Elisa

    Il a vraiment sa place auprès des plus grands et notamment de François Villon, il a bercé toute ma vie et m'a aidée à ne pas sombrer bien des fois, Brassens, Jean Ferrat et Barbara, merci à tous les trois, vous êtes tous morts, je suis là, brave Margot, j'attends l'amour cerise, mais toujours il pleut sur Nantes...

  • Dumè

    à propos de la "médiocrité" des jeunes, car, comme le chantait justement Brassens, "l'âge ne fait rien à l'affaire, quand on est c... On est c... "