La chute du rabbin Bernheim

En 2009, le grand rabbin de France rappelait son rôle exemplaire ; aujourd'hui, il avoue tout et se résout à démissionner. Scandale au Consistoire.

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Le grand rabbin de France, Gilles Bernheim, le 16 décembre 2011, à Paris.
Le grand rabbin de France, Gilles Bernheim, le 16 décembre 2011, à Paris. © AFP

Temps de lecture : 5 min

"Le grand Rabbin de France démissionne, révèle Le Figaro jeudi midi. Il l'a annoncé devant le Consistoire". Jérôme Cahuzac et les cols blancs qui planquent des comptes en Suisse ne sont donc pas les seuls à défrayer la chronique. Alors que la France implore d'une seule voix une transparence absolue, une morale sans faille, et que, les uns après les autres, les ministres étalent au grand jour l'inventaire d'un patrimoine dont on ne sait que faire, le Consistoire connaît lui aussi un scandale sans précédent : la chute de Gilles Bernheim, grand rabbin de France, et accessoirement garant de la loi et de l'éthique de la religion judaïque. "Une petite affaire Cahuzac", ose-t-on au sein même de la communauté. Et pour cause, la comparaison s'impose.

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Tout commence le 7 mars dernier lorsque le site Strass de la philosophie fait état d'étranges similitudes entre les Quarante méditations juives (Stock, 2011) de Bernheim et un entretien entre l'universitaire Elisabeth Weber et le philosophe Jean-François Lyotard publié dans Questions au judaïsme en 1996. Outre la phrase d'introduction, les pages qui suivent - de l'exégèse hassidique des plus pointues -- ressemblent ni plus ni moins à un vulgaire copier-coller de l'ouvrage de Lyotard. Devant une telle évidence, le grand rabbin préfère nier. Mais les preuves de plagiat se multiplient.

Sur son blog Archéologie du "copier-coller", Jean-Noël Darde pointe du doigt le texte que Bernheim a fait paraître à l'automne dernier contre le mariage pour tous. Des passages entiers - salués et cités publiquement par le pape Benoît XVI devant la curie romaine en décembre - seraient tirés de l'ouvrage L'Idéologie du Gender. Identité reçue ou choisie, du prêtre Joseph-Marie Verlinde. L'histoire pourrait s'arrêter à la liste - encore longue - des auteurs chez qui le grand rabbin semble puiser son inspiration (Jean-Marie Domenach, Elie Wiesel, Charles Dobzynski...)

"Un homme qui sait prendre ses responsabilités"

Mais de plagiaire récidiviste, le voilà accusé de mentir sur son CV. Gilles Bernheim ne serait donc pas agrégé de philosophie comme il le prétend ? L'Express prouve rapidement qu'il ne figure nulle part dans les archives de la Société des agrégés. Jusqu'ici, tel Cahuzac, le rabbin tenait bon. Mais à présent, accusé de mensonge : c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Attaqué de toutes parts, il finit par avouer mardi soir à l'antenne de Radio Shalom. À la fois "les emprunts" qu'il "regrette profondément" et "la faute morale". Mais il affirme alors qu'il ne quittera pas ses fonctions : "Démissionner sur une initiative personnelle relèverait d'une désertion. Cela ne serait pas conforme à ce que j'ai toujours été dans la vie privée comme dans la vie publique, à savoir un homme qui sait prendre ses responsabilités." Et d'ajouter : "ce serait un acte d'orgueil, alors que je me dois d'agir aujourd'hui dans la plus grande humilité".

Un air de déjà-vu ? "Quelle arrogance, déplore la sénatrice et historienne Esther Benbassa. Où sont les valeurs de droiture et de justice de la religion juive ? En Allemagne, les ministres perdent leur place pour moins que ça... La France était déjà choquée d'apprendre que Jérôme Cahuzac voulait revenir devant l'Assemblée, et voilà que le grand rabbin, pris la main dans le sac, refuse de démissionner !" Pire, au lendemain des aveux, c'est son porte-parole, le rabbin Moché Lewin, qui quitte ses fonctions sans prononcer un mot sur les raisons de son départ. Au Consistoire, on convoque un conseil exceptionnel pour gérer la crise, dont même la presse étrangère se fait l'écho.

Autour du grand rabbin, il reste, bien sûr, les indéfectibles, les amis de toujours, qui regrettent que "l'ange de vertu et de sciences" se transforme si subitement en "ange déchu". "Il faut se réjouir qu'il n'ait pas démissionné, confiait mercredi le professeur et ami Claude Riveline, car il est irremplaçable. Quel rabbin peut se targuer d'être cité par le pape ? Il y a trente ans que Gilles vit avec ce mensonge. Je lui disais souvent : Mais enfin, pourquoi ne dis-tu pas la vérité ? - Si les scribouillards veulent l'écrire, alors qu'ils le fassent, me répondait-il. Ce serait autrement plus embêtant si cette affaire concernait le grand rabbin de Paris. Mais le grand rabbin de France, c'est un titre honorifique... c'est un peu la reine d'Angleterre !"

"Un homme de morale"

Et il y a les autres, qui, eux, ne pardonnent pas, et le lâchent les uns après les autres. Il faut dire que depuis son élection obtenue à l'arraché en 2008 face à Joseph Sitruk, qui occupait la fonction depuis vingt et un ans, Gilles Bernheim incarne un judaïsme "ouvert", qui tranche avec le populisme de son prédécesseur. Dès sa prise de fonction en 2009, il essuie des critiques. Peut-être parce qu'il est ashkénaze alors que la communauté est majoritairement séfarade. Peut-être aussi parce qu'il est vice-président d'honneur de l'Amitié judéo-chrétienne et qu'il cosigne des ouvrages avec monseigneur Barbarin, archevêque de Lyon. Ou bien parce qu'il ne vit pas assez à l'heure d'Israël. Bernheim doit souvent se justifier. Rappeler qu'il a rencontré sa femme en Israël, que ses deux filles aînées habitent dans l'État hébreu, que sa femme porte la perruque dans la pure tradition orthodoxe...

Mais malgré ces difficultés, il endosse fièrement - peut-être trop au goût de certains - le rôle de "rabbin de l'intelligentsia". "Sans lui, le judaïsme français risque de se recroqueviller sur lui-même", confie la romancière et ancienne élève Eliette Abecassis cette semaine au Nouvel Observateur.

Comment ce fils de courtier en bois et d'une professeur de mathématiques, skieur émérite et mélomane, perçu par tous comme un puits de science, a-t-il pu se laisser entraîner dans cette spirale mensongère ? "On s'aperçoit qu'on le connaît très mal. Il est en fait totalement imprévisible", révélait un rabbin peu de temps avant le début du conseil consistorial jeudi. Et pour cause, Bernheim ne vantait-il pas au lendemain de son élection, son rôle "exemplaire" ? "Le grand rabbin est un homme de morale, rappelait-il lors de son discours d'investiture, un éducateur." Il faut croire que les hommes de foi, comme les politiques, ont la mémoire courte.

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Commentaires (45)

  • vautour IV

    La question est, etait ce un bon rabin, je suis que oui, alors pourquoi tout ce vacarme pour une petite affaire qui remonte a des lustres, qui n'a jamais menti de plus cela ses passe dans un contexte tres particulier. Je pense que ces quelqu'un de tres bien. Il a fais une erreur. Ca ne m'eritait pas tous ca.

  • xyphophore

    Faute avouée est à moitié pardonnée... Il n'est pas le seul à se faire passer pour un homme exemplaire... Il est vrai que pour diriger un pays... Ou un groupe religieux, il faut être, de préférence, exemplaire ce qui est rarement le cas...

    Au prochain... Comme chantait Jacques Brel...

  • naturlish

    Bien que non juif mais surtout pas du tout antisémite je pense que les juifs se sont trompé : ils croyaient avoir un grand rabbin alors qu'en fait c'était un petit.
    Il lui manquait deux qualité essentielles à son poste : la sincérité et l'humilité.
    @ chacun selon ses mérites.