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Enquête

Comment parler de sexualité à ses enfants

Une nouvelle génération de parents aborde la sexualité avec leurs enfants dès le plus jeune âge. Une façon de permettre aux 3-10 ans de connaître leur corps, tout en les protégeant contre la pédocriminalité et la pornographie en accès libre sur internet.

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(©Amélie Fontaine pour les Echos Week-End)

Par Helene Guinhut

Publié le 9 juin 2022 à 13:00Mis à jour le 10 juin 2022 à 09:21

Le jour où Anton, 5 ans, est allé chez l'ostéopathe, il a distinctement exprimé ses limites. Alors que le professionnel posait ses mains sur son bassin, le petit garçon lui a fait remarquer : « Attention, tu t'approches de mes parties intimes. » Cette zone de son corps, ses parents le lui avaient bien expliqué, était la sienne et il était hors de question que quiconque n'y touche sans son consentement.

Précisons qu'Anton est le fils d'Andréa Bescond, comédienne et auteure de la pièce de théâtre « Les chatouilles », sur la pédocriminalité. Mais avoir une mère concernée et engagée ne fait pas d'Anton une exception. De plus en plus de parents ont à coeur de parler de consentement avec leurs enfants et ce dès le plus jeune âge. Une discussion qui s'invite dans les foyers bien avant les premiers signes de la puberté, avec des mots simples, et sans gêne aucune.

Déniaiser le vocabulaire

Père de trois enfants âgés de 3 à 9 ans, Sébastien fait partie de ceux qui militent pour le « déniaisement » du vocabulaire. Avec sa femme, infirmière, ils utilisent des termes précis, comme vulve, vagin ou pénis. Une étape nécessaire pour connaître son corps, parties génitales comprises. « Mais parfois on a des questions simples comme : 'Pourquoi mon pénis est dur ?' Difficile de trouver les bons mots », concède-t-il.

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Comme lui, Laetitia, aujourd'hui militante au sein du mouvement Nous Toutes, a longtemps cherché comment répondre aux interrogations innocentes de sa fille. « Quand elle était petite, je n'avais pas fait ma 'déconstruction'. On disait kiki et cucul et ça la faisait hurler de rire. Maintenant, on parle de vulve, de vagin, de tétons… C'est une partie du corps plus intime, qui mérite d'autant plus d'être nommée. Ne pas nommer les choses, c'est les rendre abstraites. »

Chez ces parents soucieux de bien faire, l'emploi des mots adéquats s'accompagne d'un respect appuyé de l'intimité de l'enfant. Le moment de la toilette est souvent idéal pour inculquer cette valeur. Quand il douche son fils de 4 ans, Stéphane lui passe le relais. « Quand on arrive vers les fesses, je lui dis : 'Ça, c'est ta partie, c'est à toi de savonner.' Et ça vaut tous les discours du monde. » Chez Octave, 3 ans, cela se déroule de la même manière. « Comme il m'a déjà vu faire sous la douche, il commence à se nettoyer tout seul, nous explique son père, Julien. Il m'a un jour demandé : ‘'Est-ce que tu peux me décalotter ?'' Je lui ai gentiment dit non, qu'il devait s'entraîner seul. »

Le sujet de la masturbation, qui surgit parfois dans ces moments-là, est également abordé avec sérénité. Geoffroy, papa de Maëlie et Lilouan, se souvient encore de cette anecdote. « Un jour, vers 3-4 ans, j'ai dit à Maëlie de sortir du bain et elle m'a répondu 'Attend je mets mon doigt dans ma quéquette.'' Ça surprend, mais je me suis dit que c'était naturel, qu'il ne fallait pas en faire un tabou. »

Le consentement, maître-mot

Au coeur de cette pédagogie, une notion domine : le consentement. Maître mot de cette génération de parents, il guide le rapport que les petits doivent entretenir avec les marques d'affection. Est-ce que je suis d'accord ou pas ? Cette question, simple en apparence, passe par un véritable apprentissage… pour les enfants, mais aussi pour les adultes.

Chez Stéphane, notre papa de trois enfants, cela n'a rien d'évident : « Je fais en sorte que jamais les bisous et les câlins ne soient obtenus comme un dû ou quelque chose qu'on fait pour obtenir autre chose. Ça paraît simple comme ça, mais les adultes ont tellement le réflexe de jouer sur la peine quand un enfant ne fait pas de câlin… C'est un effort de tous les jours. Quand mon fils se couche, si je demande un câlin et qu'il dit non, je suis évidemment triste, mais je ne lui montre pas. » Chez les grands-parents, pour qui demander la permission avant de faire un bisou à leurs petits-enfants semble une hérésie, il admet « laisser filer ».

Si les aïeux semblent avoir du mal avec le concept, Joséphine, 3 ans, a bien compris. Pour lui expliquer, Julie, sa maman, a inventé un rituel. « C'est devenu un jeu entre nous. Je réclame un câlin bisous, elle dit non et je surjoue la déception. Elle continue de dire non et je lui dis que c'est très bien. J'accorde beaucoup d'importance à ce qu'elle s'autorise à dire non dans tous les domaines, ce qui n'est pas facile quand on a une éducation cadrante. »

Sur la même ligne, Madja s'est d'ailleurs laissée surprendre par l'assertivité de son aînée. « Depuis toutes petites, j'explique aux filles que leur corps, c'est leur corps, et qu'elles ont le droit de dire non, même pour un bisou sur la joue. Quand Aalya avait 2 ans, je lui ai fait un bisou et elle m'a tapée en me disant que je n'avais pas demandé. J'en rigole encore aujourd'hui, mais je ne l'avais pas vu venir ! »

Des livres adaptés

En miroir, ces parents enseignent à leurs enfants à respecter le consentement d'autrui. Plusieurs pères de famille, qui nous ont sollicitée pour témoigner dans cet article, ont confié être particulièrement vigilants vis-à-vis de leurs garçons. C'est notamment le cas de Geoffroy, avec son fils Lilouan, 7 ans. « Je n'ai pas envie que mon garçon force une enfant à faire ce qu'elle n'a pas envie de faire. Récemment, il m'a dit : 'Demain, je vais faire des bisous à mon amoureuse'. C'était le bon moment pour lui dire qu'il ne savait pas si elle aussi était amoureuse. J'étais assez fier d'avoir parlé de ça avec lui. »

Et Julien, de reconnaître : « Dans ma jeunesse, j'ai fait des bévues qui seraient aujourd'hui considérées comme des agressions sexuelles. Quand je revois le comportement que j'ai eu jeune, j'ai envie de me donner des gifles qui traversent l'espace-temps ; mais ce n'est pas possible. Alors je veux que mon fils soit un meilleur garçon que celui que j'ai été. »

©Amélie Fontaine pour les Echos Week-End

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Signe qu'un changement majeur est en train de s'opérer, de plus en plus de livres adaptés aux enfants sont édités. Des guides précieux pour les parents qui s'aventurent rarement sur ce terrain sans filet. C'est d'ailleurs après s'être rendue à une séance de dédicace du Petit illustré de l'intimité: du vagin… dans une librairie d'Issy-Les-Moulineaux, que Ronel a abordé le sujet avec ses fillettes de 8 et 6 ans. « Nous avons feuilleté le livre ensemble. C'était sans tabou, tout simple », nous confie-t-elle, surprise de la frilosité de certains parents d'élèves devant la vitrine de la librairie le jour de la dédicace. Afin de ne pas rebuter, ces ouvrages optent pour un ton joyeux, agrémenté de dessins colorés. Parmi les auteures, on retrouve des instagrameuses à succès, connues pour avoir popularisé une nouvelle façon de parler de sexualité.

C'est notamment le cas de Julia Pietri, du compte « Gang du Clito » et auteure du Petit guide de la foufoune sexuelle et de Charline Vermont d'Orgasme et moi. Mère de trois enfants, cette dernière a très vite constaté l'absence d'ouvrages adaptés sur le sujet. « Les adultes d'aujourd'hui sont les enfants d'hier et composent avec des bagages extrêmement limités. Nous sommes héritiers et héritières du silence. De génération en génération, on se transmet des recettes de familles, des livres et des meubles, mais il y a une chose dont on ne parle jamais, c'est la sexualité. Il faut briser la loi du silence », insiste-t-elle.

Libérer la parole contre la pédocriminalité

Andréa Bescond, également auteure d'un livre pédagogique, a réalisé un podcast intitulé « Et si on se parlait ». Avec des voix d'enfants et des mélodies enjouées, elle parle du corps, du harcèlement et des agressions sexuelles. « Ça permet d'aborder la chose avec délicatesse, sans que ce soit anxiogène. Mais nous l'avons construit comme ça pour les adultes, parce que je connais les parents, il faut les brosser dans le sens du poil », appuie-t-elle. Pour ceux qui sont devenus parents après le cataclysme #MeToo, le changement est manifeste. « Nous sommes face à une génération de parents pionniers qui partagent le sentiment qu'il est urgent de libérer la parole. […] On assiste à une révolution éducative. Nous sommes en train de prendre soin de nos enfants pour la première fois », souligne Charline Vermont.

©Amélie Fontaine pour les Echos Week-End

Car avec ces apprentissages, c'est bien le combat contre la pédocriminalité qui est mené. En répétant leur jeu câlin-bisous, Julie espère protéger sa petite Joséphine : « Il faut essayer de les armer pour qu'ils aient une attitude qui fera comprendre à un prédateur qu'ils ne sont pas la bonne victime. Ce qui est malheureux… D'autant plus que je ne pense pas qu'on puisse lutter contre un état de sidération. Mais l'important, c'est qu'elle puisse nous parler. »

C'est aussi pour le protéger qu'Andréa Bescond a appris si tôt à son fils que personne n'avait le droit de toucher ses parties intimes. « Quand on a abordé la pédocriminalité avec mes enfants, c'était grâce à un livre de Françoise Dolto sur le secret. Nous avons parlé des secrets qui rendent heureux et de ceux qui rendent malheureux. Par exemple, l'anniversaire surprise est un secret plaisir, alors que le secret qui fait une boule au ventre est un poison. Aborder cette manipulation est fondamental. Et c'est aussi fondamental de leur dire qu'il faut en parler à un adulte de confiance. »

Des politiques publiques à mettre en place

Dans de plus en plus de foyers, le silence n'a plus sa place. Mais Andréa Bescond insiste sur la nécessité de mener des politiques publiques, pour combattre efficacement les violences sexuelles. « Je parlerais de révolution quand le politique s'emparera de ces questions. Dans notre société judéo-chrétienne, si on parle de vulve et de pénis, les parents sont scandalisés. Les responsables politiques ne veulent surtout pas de levée de boucliers, parce que les parents sont avant tout des électeurs. »

Ceux que nous avons interrogés le constatent : l'école reste une enclave où la révolution du consentement n'a pas eu lieu. Le jour où sa fille lui a raconté que ses camarades se poursuivaient dans la cour en criant « chat-bite ! » quand ils se touchaient les parties génitales, Madja a averti l'établissement… qui n'a absolument rien fait. Ronel, qui elle aussi a eu échos de comportements inappropriés, ajoute : « Mes filles ont compris tout ce que je leur ai expliqué, mais il faut que ce soit relayé à l'école, sinon ça ne passe pas totalement. » Et de conclure, avec une ironie qui résume tout le chemin qui reste à parcourir : « Ma petite dernière fait de la pétanque à l'école, alors ils pourraient quand même trouver le temps pour faire une séance de sensibilisation ! »

A lire

« Corps, amour, sexualité. Les 100 questions que vos enfants vont vous poser », de Charline Vermont, Albin Michel.

« Le petit guide de la foufoune sexuelle », de Julia Pietri, Ed. Better Call Julia.

« Le petit illustré de l'intimité du vagin » et « Le petit illustré de l'intimité du pénis » de Tiphaine Dieumegard et Mathilde Baudy. Ed. Atelier de la Belle Etoile.

« Et si on se parlait ? Le petit livre pour aider les enfants à parler de tout, sans tabou ! », d'Andréa Bescond et Mathieu Tucker. Ed. Harper Collins.

Serge Hefez* : « Aborder le consentement, c'est apprendre à un enfant à se protéger »

À partir de quel âge peut-on parler de sexualité avec ses enfants ?

Dès que cela se présente. Très vite on voit qu'un petit enfant se masturbe, découvre qu'il y a un plaisir particulier à toucher ses organes génitaux. Dès ce moment-là, les choses peuvent se dire. Si, par exemple, un enfant veut embrasser ses parents sur la bouche, on peut lui dire que ça, c'est pour les amoureux. Il s'agit d'accompagner ses découvertes et de percevoir ses questionnements.

Faut-il privilégier certains mots plutôt que d'autres ?

Utilisez les mots avec lesquels vous vous sentez le plus à l'aise. Si c'est vagin ou vulve, alors très bien. Mais il ne faut pas que les parents se sentent obligés. S'ils préfèrent utiliser les termes zézette ou foufounette, qu'ils le fassent, parce que ça créera une complicité avec l'enfant. Il y a quelque chose de spécial autour des organes génitaux et ça, les enfants le perçoivent très vite. Qu'on le veuille ou non, un zizi ou une zézette, ce n'est pas la même chose qu'une oreille ou un nez.

Comment aborder la pédocriminalité sans faire peur ?

Il faut aborder la question des violences sexuelles au sens large. Le principal message à faire passer à son enfant, c'est que dès qu'il a le sentiment qu'il se passe quelque chose d'anormal avec quelqu'un, a fortiori de plus grand que lui, et surtout si cela concerne ses parties génitales, il faut tout de suite qu'il en parle à un adulte de confiance. Aborder le consentement, c'est apprendre à un enfant à se protéger.

* Serge Héfez est pédopsychiatre et auteur de « Transitions, réinventer le genre », Calmann Levy.

Hélène Guinhut

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