Les hommes aussi sont soumis à des injonctions parfois compliquées à gérer sur le plan sexuel.

Les hommes aussi sont soumis à des injonctions parfois compliquées à gérer sur le plan sexuel.

Getty Images/Cultura RF

C'était une nuit après un mariage à la campagne. La chambre d'hôtel de Camilla et Mathieu était idyllique, la soirée joyeuse. "Elle avait envie de faire l'amour, mais j'avais trop bu, j'étais épuisé, se rappelle le trentenaire. Elle n'a pas compris mon refus alors que 'tout était réuni pour'. Elle m'a demandé si je tenais toujours à elle. Avec Camilla, les rares moments où je n'avais pas envie, je devais me justifier, à chaque fois."

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Des représentations figées des hommes et du sexe

Combien d'autres couples ont connu ce genre de disputes, où un simple "non" masculin fait l'effet d'une étincelle dans une pinède au mois d'août? Car on réduit souvent leur vie sexuelle à trois étapes simples et mécaniques: l'érection, la pénétration et l'éjaculation. Hors de ce cadre, que ce soit dans la fluctuation du désir ou dans des pratiques un peu différentes, beaucoup soupçonnent une anomalie.

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"Pendant des siècles, la sexualité a été étroitement liée à la procréation, explique Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche émérite au Cevipof, spécialiste des comportements sexuels. Les hommes devaient assurer, sans quoi, il n'y avait plus de descendance. Cette obligation d'érection et d'éjaculation a formaté pendant longtemps nos représentations des hommes et du sexe. La révolution sexuelle a permis de dissocier le sexe et la procréation, mais n'est pas allée jusqu'au bout: on comprend qu'une femme n'ait pas envie, mais l'inverse est moins admis. Les hommes doivent encore prouver qu'ils ont ce pouvoir."

"Elle commençait à s'énerver alors je cédais"

Younès, 28 ans, a ainsi fini par coucher avec une fille après deux mois de relances permanentes. "J'avais envie d'attendre et de mieux la connaître, mais elle n'a jamais compris." Avec d'autres, il a eu parfois le sentiment d'être considéré comme une machine. "De nombreuses femmes pensent qu'un homme peut coucher n'importe quand, pendant longtemps et qu'il peut le refaire non stop. Mon ex me faisait complexer sur la taille de mon sexe et culpabiliser quand je ne pouvais pas faire l'amour plusieurs fois dans la nuit."

Alors que certaines femmes cèdent en se disant qu'il faut "satisfaire" les besoins "naturels" de leur compagnon, certains hommes eux aussi finissent par se forcer pour éviter tout soupçon. "Parfois, j'essayais de faire comprendre à Camilla que je n'étais pas 'dans le mood', mais elle commençait à s'énerver, alors je cédais, se rappelle Mathieu. Je ne voulais pas qu'elle ne se sente pas désirée. Il est arrivé que je simule pour finir l'acte quand j'étais trop fatigué. Si je lui avais dit que j'avais pris du plaisir même sans jouir, elle n'aurait pas compris et se serait remise en question."

Homme dominant et femme objet du désir

Pourquoi les femmes le prennent si personnellement? "Les monothéismes se sont construits avec le patriarcat, qui place l'homme au centre. Dans cette construction, il est porteur de la libido, du côté de l'actif, du pénétrant, du dominant, explique le psychanalyste et sexothérapeute Alain Héril, auteur de Dans la tête des hommes (éd. Payot). La femme, elle, est passive et mise à disposition du plaisir de l'homme. Malheureusement, les meilleurs soutiens du patriarcat sont aussi les femmes. Elles sont souvent dans l'idée que l'homme est toujours désirant et qu'elles doivent être l'objet de leur désir. Dans le cas contraire, leur ego est touché. Ces attributions sexuelles respectives nous enferment dans des caricatures et font beaucoup de mal à la sexualité des hommes comme des femmes."

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Et quand la sexualité ne cadre pas avec ce tableau du mâle hétérosexuel dominant, certaines s'inquiètent. Samia, la trentaine, a ainsi toujours eu des soupçons sur cet ex plus porté sur les préliminaires que sur la pénétration. "Il aimait que l'on se touche respectivement mais sans conclure. Je ne pouvais pas m'empêcher de me demander s'il était gay. Je sais, c'est assez sexiste..."

"Le répertoire des pratiques s'élargit"

Si certains hommes confient qu'ils aiment eux-mêmes être pénétrés, bon nombre de filles s'en trouvent choquées. "Cela stimule la prostate et donne du plaisir, mais on commence tout juste à en parler. Et non, cela ne traduit pas forcément de l'homosexualité", souligne le thérapeute de couple Robert Neuburger, auteur de On arrête? Ou on continue? (éd. Payot). Janine Massuz-Lavau a interrogé de nombreux Français pour sa nouvelle enquête à paraître en 2018 et a ainsi constaté que les nouvelles générations s'éloignent de la conformité traditionnelle du rapport.

"La pénétration n'est plus vue comme le summum de l'acte sexuel, les préliminaires prennent une place plus importante et ce n'est pas parce que l'homme a moins envie. Mais parce que la sexualité bouge, le répertoire des pratiques s'élargit."

Pour autant, c'est rarement auprès des amis que les hommes viennent dédramatiser la situation. S'il a besoin de se rassurer, Mathieu préfère aller sur Internet. "Entre potes, ça reste très en surface. On ne parle que des trucs performants, présentés sous un bon angle. Personne n'a envie de passer pour le copain qui bande mou ou le chouineur de service."

"Plus elle demande, plus il se replie sur lui-même"

Mettre des mots peuvent parfois aggraver la situation, notamment quand certains hommes "vivent mal que les femmes expriment leur désir", constate Alain Héril. Robert Neuburger décrit un emballement vicieux: "Certains finissent par se sentir harcelés. Plus la femme demande, plus l'homme se replie sur lui-même." Le couple marche sur un fil, et une parole blessante peut tout faire vaciller.

En couple depuis quatre ans, Gabrielle, 29 ans, est à bout. Depuis deux ans, elle souffre d'avoir "maximum" un rapport par mois avec son conjoint. C'est toujours elle qui vient vers lui, très souvent en vain. "J'ai essayé toutes les stratégies: être douce, faire du rentre-dedans, ne rien dire pendant plusieurs semaines, suggérer... Il n'a jamais envie. Quand je veux parler de ce problème, je lui ai dit 'on ne l'a pas fait', 'on est trop comme des potes', 'c'est peut-être pas ton truc', mais lui fait l'autruche, s'exaspère-t-elle. Au fond, je sais qu'il a un blocage. Une fois, je lui ai suggéré de changer de position pendant qu'on le faisait et il a pété les plombs, en me disant que j'étais castratrice. Tout ça m'a lassée, j'ai de moins en moins envie de lui. En revanche, je pense aller voir ailleurs, d'autant que je vois que je plais à d'autres hommes."

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Parler de soi pour ne pas accuser l'autre

Pour Robert Neuburger, il ne faut pas non plus se voiler la face: les problèmes sexuels récurrents sont souvent les symptômes de problèmes relationnels ou personnels. "Certains hommes craignent une forme de castration, d'autres ressentent du stress, de la fatigue ou de la méfiance vis-à-vis de la partenaire au sujet de sa contraception. On voit aussi plus de cas où l'homme consomme beaucoup de pornographie sur Internet et manque de désir pour leur partenaire."

Comment vérifier qu'il n'y a pas de problème de fond, sans avoir de paroles cassantes? Pour avoir une discussion sereine, Alain Héril conseille d'éviter les accusations pour mettre l'accent sur le ressenti personnel. "Pour que la parole puisse circuler, il vaut mieux parler de soi et de ses émotions, plutôt que de culpabiliser l'autre avec des phrases comme 'tu ne me désires plus'. Arriver à dire 'je' permet à l'autre de s'exprimer. S'il y a de l'amour entre les deux personnes, elles peuvent alors se présenter chacune dans leur propre vulnérabilité. Sinon, la présence d'un tiers permet de faire sortir les choses qu'ils n'osent pas dire."

"Le désir est par essence fluctuant"

Si l'on parle beaucoup de sexe hors du couple, Alain Héril remarque à quel point le sujet est tabou dans l'intimité. "La parole tranquille, joyeuse et ouverte sur la sexualité est souvent rare au sein du couple, constate-t-il. On a dramatisé la sexualité, on lui a donné le rôle de ciment d'un couple, alors que le vrai ciment, c'est les projets. Le désir, lui, est par essence fluctuant. Très souvent, on utilise le sexe comme l'indicateur de l'amour de l'autre et le baromètre de la bonne santé d'un couple. La sexualité est devenu un lieu où l'on règle les problèmes qu'on devrait régler autrement."

Mae, 32 ans, n'a jamais eu de doute sur le problème de l'un de ses anciens partenaires, incapable d'effectuer une pénétration. "Une fois, on l'a fait et il a fini prostré en position foetale, comme un petit garçon qui aurait fait une bêtise." Mae n'a jamais vraiment abordé le sujet avec son ancien partenaire. "On se donnait du plaisir autrement", assure-t-elle.

Une façon de rappeler qu'il n'y a pas une seule façon de prendre du plaisir. "La sexualité, c'est le jeu du fantasme et des images de soi, rassure Alain Héril. Il faut pouvoir revenir à quelque chose de plus ludique, de plus léger. C'est bien de faire l'amour, mais il faut aussi savoir faire l'humour et dédramatiser."

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