Parler pendant l'amour est un acte plus courageux qu'on ne le croit.

Parler pendant l'amour est un acte plus courageux qu'on ne le croit.

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"Mon ex, Thibaut, commentait tout ce qui se passait pendant nos rapports. Il décrivait mon sexe ou le sien, me prévenait de la prochaine caresse, me disait ce qu'il ressentait et me questionnait sur mes sensations, se souvient Laure, 33 ans. Je ne parvenais pas à profiter du moment."

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A l'instar de Thibaut, certaines personnes ont un besoin irrépressible de s'exprimer lorsqu'elles font l'amour. Si l'on pense bien souvent que communiquer au lit est essentiel pour guider son partenaire et faire grimper l'excitation, ce comportement peut s'avérer déstabilisant pour les plus taiseux. En termes d'échanges au lit, existe-t-il une limite à ne pas dépasser? Des "mots de trop"?

"Lorsque nous faisons l'amour, nous sommes connectés à l'autre mais aussi à notre part fantasmatique, indique Laurence Siroit, sexologue. Quelqu'un qui parle peut nous déconcentrer: il prend trop de place, nous extrait de notre bulle."

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"J'étais persuadé qu'elle en rajoutait"

C'est ce qui est arrivé Romain, 35 ans. "J'ai toujours aimé qu'une femme exprime son plaisir pendant le sexe et n'hésite pas à me dire ce qu'elle apprécie ou attend, jusqu'au jour où je suis tombé sur Charlène. Elle parlait sans cesse et me répétait des 'vas-y', 'encore', 'comme ça,' 'j'adore'... C'était lourd. J'étais persuadé qu'elle en rajoutait."

Au lit, certains mots répétés à outrance ont tendance à sonner faux. "Dans l'acte sexuel, il y a deux modalités de langage qui doivent s'articuler de manière pertinente: le langage du corps et le langage vocal et verbal. C'est leur dosage mutuel et croisé qui permet de guider et coordonner les partenaires l'un vers l'autre. Les deux sont étroitement liés: un chuchotement ou un cri sert d'indice aux actions corporelles. S'il y a beaucoup de manifestations vocales alors que les actes corporels débutent à peine, par exemple, le partenaire est déstabilisé et peut même ressentir une impression de simulation", analyse François Péréa, spécialisé en sciences du langage et auteur de Le dire et le jouir (éd. La musardine).

"Cela témoigne d'un véritable lâcher-prise"

Un partenaire qui ponctue chaque action par une petite phrase ou appuie chaque caresse par un mot peut donner l'impression d'être un simple figurant. Face à un homme très porté sur les termes crus, Solène, 30 ans, avait le sentiment de ne pas compter. "Il ne s'arrêtait jamais. Il me disait ce qu'il aimait et ce qu'il allait me faire, toujours très crûment. Comme s'il était dans son délire ou dans un film porno", raconte la jeune femme.

S'agit-il alors d'une attitude purement égoïste? Selon Laurence Siroit, tout est question d'équilibre: "Un partenaire qui parle beaucoup se sent en sécurité et a une bonne estime de lui-même. Ce n'est pas une question d'affirmation de soi, cela témoigne d'un véritable lâcher-prise", précise l'experte. De quoi faire preuve d'indulgence. "Avant de prétendre que l'autre est égoïste ou lourd sous prétexte qu'il fait les choses différemment de ce que l'on attend, il faut accepter l'idée que chacun fait l'amour à sa manière", rappelle François Péréa.

Parler, c'est se mettre à nu

Reste que la parole durant l'acte sexuel est éminemment ritualisée. Hormis quelques soupirs ou phrases murmurées, l'expression orale est souvent limitée. "Parler, c'est le mode d'échange ordinaire que nous employons tout au long de la journée, sur la scène sociale. Dans la scène intime, la place que prennent les actions corporelles va croissant: on se dénude, on se touche, on se caresse, on entre dans un style de communication différent. On délaisse alors les habitudes d'interaction sociales pour un autre mode de relation aux autres", explique François Péréa.

Agrémenter ses gestes de paroles ne serait-il finalement pas un acte courageux face à une pratique peu courante? Éléonore, 30 ans, aimerait s'exprimer au lit mais rien ne vient: "Je ne me sens pas capable, j'ai peur d'être jugée, de dévoiler ce que je ressens ou ce que je veux", explique-t-elle. Ou comment parler au lit demande parfois de faire le grand saut et de se mettre à nu dans tous les sens du terme.

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Une façon de garder le contrôle

Si Éléonore met son silence sur le compte de la timidité, elle ajoute que le fait d'être une femme dresse un second obstacle. "Je rencontre beaucoup d'hommes qui dès la première fois ne se privent pas de me susurrer des mots cochons à l'oreille ou de me demander ce que je veux. J'aimerais avoir leur aisance, mais je ne peux m'empêcher de me sentir gênée rien que d'y penser", poursuit-elle.

Si aujourd'hui la gent féminine assume davantage sa sexualité, son désir et son plaisir, les schémas du passé encombrent encore certains esprits persuadés que l'homme mène la barque et que la femme n'a pas son mot à dire. Un blocage souvent féminin, qu'Anaïs a dépassé: "Je parle au lit, peut-être trop, alors même que je préfère les rapports où je suis dominée. Pour moi, parler, c'est au contraire affirmer que je suis là et que le jeu dominant-dominé est fait consciemment". Parler pendant un rapport apparaît alors comme une façon de garder le contrôle et de revendiquer une forme de liberté, en parole comme en action.

"Cela fait partie de mon mode de plaisir"

Pour beaucoup de pipelettes au lit, "ça sort tout seul". Comme l'orgasme: la parole ne se contrôle pas. Derrière ce comportement se cache un besoin de réassurance ou d'excitation, même s'il n'est pas toujours conscient. "En s'entendant parler, on est moins seul, décrypte Laurence Siroit. Verbaliser le fond de ses pensées comble un vide et permet de percevoir les choses plus clairement. Une fois au lit, c'est le même processus, on parle pour se connecter à l'autre et pour se prouver qu'on est bien en train de vivre ce qu'on vit. C'est une façon de se pincer et de s'assurer qu'on ne rêve pas."

Julie, 32 ans, qui se sait loquace, reconnaît que parler la rassure. "Le silence me pèse, ça me donne le sentiment que Damien et moi sommes isolés. J'ai beau essayer de me retenir, je le questionne, je veux savoir ce qu'il vit et je raconte mes sensations pour l'avertir." Et la jeune femme est ravie: Damien l'accepte bien même si de ce côté-là, il est plutôt économe. "Au début, il trouvait ça étrange, mais après une bonne discussion, il a compris que cela faisait partie de moi, de mon mode de plaisir", ajoute-t-elle.

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Face à un bavard, comment réagir ?

Communiquer en dehors du lit avec son partenaire est une excellente solution. Joséphine, 30 ans, a fréquenté un homme bavard mais n'a jamais osé lui en faire la remarque. "Il me demandait sans arrêt si ça allait, si j'aimais, s'il s'y prenait comme il faut... Je répondais pour le rassurer, mais malheureusement, je n'osais pas lui dire quand une pratique ne me satisfaisait pas de peur de vexer."

Face à cette impasse, François Péréa suggère de ne pas répondre autrement que par le registre qui nous convient. "Ouvrir un dialogue verbal, c'est entériner le mode d'interaction qui ne nous convient pas. Donc pendant l'acte, ne "répondre" que par le mode approprié: des gestes, des caresses et des râles par exemple. Avant ou après le rapport, on peut ensuite rassurer son partenaire en disant que notre corps a été très réceptif à ses caresses et à ses actes", explique l'expert.

Sur ce point, Laurence Siroit le rejoint et ajoute que l'autre ne recevra pas nécessairement nos signaux au lit, d'où la nécessité d'en discuter après: "L'important étant de ne pas être dans le 'faire plaisir'. Si on supporte mal les logorrhées de son partenaire, le lui dire tout en restant positif -on ne lui demande pas de se taire mais d'être plus modéré- est essentiel."

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