"Le tracé du réseau TEC n'est pas toujours très logique" : comment les transports wallons peuvent mieux faire

Comment répondent les transports wallons aux défis urbanistiques et démographiques de la Région? Avec beaucoup de bonne volonté locale, mais encore trop peu de solutions globales.

un bus TEC pour illustrer les transports en commun en Wallonie
69 % de la population wallonne seulement habite à une distance acceptable d’un transport en commun bien desservi. © BelgaImage

“Le réseau de transports est mal pensé et du coup dès que possible, les gens prennent leur voiture. Les bus et les trains ne s’arrêtent plus où la population vit.” Ce sont les mots d’Hélène Ancion, chargée de mission Aménagement du territoire et Urbanisme chez Canopea, l’ancienne Fédération Inter-Environnement Wallonie. Ils concernent les transports wallons et proviennent de notre article du début du mois d’août sur la stratégie “Stop béton” de la Wallonie à l’horizon 2050. Intrigués, nous avons décidé d’interroger l’efficacité du tracé des transports publics du sud du pays. On a donc contacté son collègue, Jean Mansuy, chargé de mission chez Canopea également, mais au service Mobilité. “Je suis assez d’accord. Pour le moment, le tracé n’est pas toujours très logique. Historiquement, le focus a été mis sur les déplacements domicile-travail, surtout pour le train, et domicile-école, pour le TEC. Au final, on se retrouve parfois avec des gens qui ne savent pas se déplacer pour leurs loisirs ou pour faire les courses.

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Qu’en pense le TEC? Pas grand-chose. “En tant qu’opérateur du réseau, nous suivons les réflexions de l’autorité organisatrice du transport, donc pour ces questions, il faut plutôt voir avec eux.” Qu’à cela ne tienne, on avait rendez-vous le lendemain avec Martin Duflou, directeur de l’AOT. Créée en 2018 par le gouvernement wallon, elle a pour rôle de gérer les missions d’organisation, de régulation et de surveillance des systèmes d’exploitation des transports collectifs et partagés. Avec l’AOT, la Wallonie s’est enfin dotée d’une stratégie, à l’horizon 2030, avec une série d’orientations et de chantiers, dont celui de faire évoluer l’accessibilité du territoire. C’est en tout cas ce que pense Martin Duflou. Il précise que, sous cette législature, le gouvernement a soutenu financièrement de nouvelles offres, que le TEC a réussi à mettre en œuvre, notamment le réseau Express. “Nous avons aussi initié les premières démarches de redéploiement de l’offre. Une zone a récemment été mise en service du côté de Gembloux-Basse-Sambre, avec des remontées du terrain par rapport à une série de changements pour certains clients. De nouvelles liaisons ont été proposées sur cette zone pour mieux connecter des sites qui sont des pôles d’activités économiques, touristiques, d’emploi…

Vivement la fin de l’étalement

Ça, c’est pour la stratégie régionale de mobilité. Le directeur pointe ensuite l’évaluation. “L’indicateur que fournit l’IWEPS (l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de statistiques) est très important. Il mesure l’accessibilité du territoire en transports en commun. Soit la somme des offres de train, fédéral, et de TEC, régional. 69 % de la population wallonne habite à une distance acceptable d’un transport en commun bien desservi (soit minimum 14 passages par jour). C’est 1,3 % de plus qu’en 2018. Les efforts progressifs en termes de développement de l’offre permettent de mieux connecter la population.” Mais il y a un mais. “Les 30 % moins bien desservis habitent plutôt dans des zones moins denses. Et l’ennui, c’est que la croissance démographique wallonne ne se fait pas là où il y a des offres de transports en commun. Cela rend ces habitants très dépendants de l’usage de la voiture.” Le travail de l’AOT et des acteurs du secteur est donc contrebalancé par la réalité démographique et urbanistique de la Wallonie.

L’implantation de la stratégie Stop béton, censée limiter puis empêcher l’étalement urbain, aura une portée “favorable” à l’offre des transports publics. Mais outre des lignes parfois dépassées, Jean Mansuy relève également des manques au niveau de la fréquence des passages. “J’ai de la famille qui habite à Chevetogne, pour y aller il y a deux bus le matin dans un sens, deux bus l’après-midi dans l’autre sens, et c’est tout. Sur certaines lignes, il y a beaucoup d’arrêts peu fréquentés, assez rapprochés, et pas toujours bien sécurisés. Dans ces cas de figure, il serait peut-être mieux de recentrer sur les arrêts les plus fréquentés, en améliorant leur accessibilité, notamment par des services de proximité, et leur attractivité.” Une idée de “Mobipoints” qui rejoint celle de Martin Duflou. “Globalement, l’ambition de la stratégie régionale de mobilité est que chaque commune puisse être connectée de manière fréquente à son pôle principal. D’où le développement du réseau Express. Avec un objectif de fréquence cadencé de 6 h à 20 h (soit, avec un passage par heure, 14 passages - NDLR). Après, l’offre peut évoluer en fonction de l’adhésion de la clientèle. À l’image de ce qu’offre le train. Souvent, le train passe toutes les heures. L’avantage de cadencer notre réseau structurant routier serait de mieux gérer les correspondances avec les trains.”

Il faut sortir de la logique domicile-école et travail.

Si le réseau Express est une “bonne chose” pour Jean Mansuy, qui prouve “une volonté de la Région de prendre en main les trajets structurants”, il ne va pas encore assez loin. “Les bus Express ne roulent pas le dimanche, alors qu’ils sont censés être un réseau structurant. Comme si les gens ne sortaient pas le dimanche. Cela souligne encore la focalisation sur les trajets domicile-école et travail. Il faut sortir de cette logique.

un bus TEC pour illustrer les transports en commun en Wallonie

Certains arrêts sont situés dans des endroits inaccessibles à vélo ou à pied. © BelgaImage

Correspondances TEC et SNCB

En abordant la correspondance des trajets en train et en bus, Martin Duflou a touché un point sensible. Quiconque s’est déjà déplacé en transports en commun en Wallonie, ou même en Belgique, sait que ces correspondances sont catastrophiques. Le moindre retard sur le trajet peut être fatal au plan des voyageurs. “À l’heure actuelle, la SNCB dessine ses horaires puis les envoie aux TEC qui doit se débrouiller, signale Jean Mansuy. On voit que c’est très compliqué d’avoir une intégration d’un point de vue billettique, tarifaire et horaire. La carte MOBIB a un peu amélioré la situation billettique. Mais au niveau tarifaire ils n’arrivent pas à se mettre d’accord. Le TEC est très subsidié, alors que la SNCB beaucoup moins. Il faut trouver des compensations financières, c’est un enfer à mettre en place.” La carte MOBIB a en effet un prix… différent selon l’opérateur qui le procure. Six euros à la SNCB, cinq pour le TEC, De Lijn et la STIB, précisait La DH la semaine dernière.

Jean Mansuy précise aussi que Canopea préconise une plateforme dans laquelle ces opérateurs pourraient harmoniser les horaires. “Pour le moment ils s’informent plus ou moins de leurs plans de transport, mais il y a un problème de communications entre les deux.” Une récente étude réalisée par le parti Les Engagés considère en effet 70 % des correspondances entre le bus et le train comme inacceptables - soit trop longues, soit trop éloignées - et décourageantes pour les usagers.

Des arrêts anxiogènes

Réfléchir fondamentalement aux liaisons et aux lignes du territoire, je pense que cela n’a pas été fait depuis la régionalisation”, assène Martin Duflou. D’où des lignes pensées d’il y a plus de trente ans ou plus. “Mais à côté de ça, il y a un développement de l’offre, avec la création de nouvelles lignes, accélérée ces dernières années par les ambitions du gouvernement.” Autrement dit, beaucoup de bonnes volontés et de l’ambition. Mais tout autant de travail. “Je pense que les pouvoirs publics commencent à être conscients des manques, termine Jean Mansuy. Depuis la création de l’AOT, il y a une vraie volonté de l’administration de réformer le réseau, en particulier celui du TEC. Mais il y a encore un décalage entre le réseau existant et le besoin de mobilité de la population.” Et, surtout, le besoin d’un effort concerté. “Les opérateurs ne vont pas conquérir des parts de marché seuls. Il faut des politiques fiscales, de stationnement, d’aménagement du territoire…

Il est important que les arrêts où il y a du flux puissent être accessibles de manière agréable et sécurisée par les modes actifs, et notamment par le vélo, plaide Jean Mansuy. Certains sont au milieu de nulle part et on ne peut y accéder ni à vélo, ni à pied. Sur la N4 à Namur, cinq arrêts TEC s’enchaînent sur 3,7 km sans un seul passage pour piétons, sur une route où les voitures roulent à nonante. C’est du suicide.” Martin Duflou promet que le problème est connu et pris en compte. “Des arrêts sécurisés, confortables et accessibles pour les usagers, c’est un véritable point d’attention. Avec le réseau Express, où les bus sont amenés à rouler vite, se pose effectivement la question de ce genre d’arrêts. On doit dégager des moyens importants pour ne pas aménager que les quais, mais que l’accès à ces arrêts structurants de trains ou de bus soit plus sécurisés.

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