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Ron Arad, l'impertinent designer fait sauter le champagne

Ron Arad dans son studio londonien, avec la vasque en étain « Trio » livrée avec des cuvées Dom Ruinart d’exception et une malle écrin de chêne. Une édition limitée à 15 000 euros. Fauteuils Oh Void et Big Easy
Ron Arad dans son studio londonien, avec la vasque en étain « Trio » livrée avec des cuvées Dom Ruinart d’exception et une malle écrin de chêne. Une édition limitée à 15 000 euros. Fauteuils Oh Void et Big Easy © Jean-Gabriel Barthélemy
Interview Arthur Loustalot

Rencontre avec le truculent créateur qui signe pour la maison Ruinart un trio de vasques. Collector ! Ron Arad nous ouvre les portes de son atelier à Londres.

Drôle de nid pour un oiseau rare. Nous sommes à deux pas des puces de Camden, à Londres, dans une ancienne laiterie où Ron Arad, l’un des designers les plus influents du monde, loin du star-système a établi son atelier il y a plus de trente ans. Avec son sourire, son style d’explorateur et son fameux couvre-chef repiqué derrière la tête, il vient nous ouvrir. Dans l’entrée, deux fauteuils London Papardelle qui se prolongent en tapis aux formes de rubans ou de pâtes italiennes. Et puis le sol ondulant nous accueille dans le studio de design. Une taverne à la structure convexe, où les étagères débordent de trésors. A l’étage au-dessous, Ron Arad a installé ses studios d’architecture, ses premières amours.

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Fauteuil en maille d’acier London Papardelle et dessins d’amis artistes du designer, gravés sur verre.
Fauteuil en maille d’acier London Papardelle et dessins d’amis artistes du designer, gravés sur verre. © Jean-Gabriel Barthélemy

Après la tour Toha à Tel-Aviv, inspirée des formes d’un iceberg, l’Israélien y a conçu les plans de la tour Toha II et ceux du mémorial de l’Holocauste à Londres. La visite se termine dans la « galerie », un écrin qui abrite des pièces iconiques. Une bibliothèque Bookworm serpente sur le mur, près d’une Well Tempered Chair en acier trempé… aussi confortable qu’un vieux fauteuil en cuir. C’est l’art du designer : transformer la matière la plus retorse en un moment de douceur. Pour la maison Ruinart, il a signé un trio de vasques en étain, pressées les unes contre les autres comme si elles étaient « heureuses d’être ensemble », dit-il. A 69 ans, le plus libre des créateurs persiste : « Le monde est bon parce que nous créons des choses qui ne sont pas nécessaires. Et tout ce qui n’est pas nécessaire doit apporter du bonheur. » Joyeuse rencontre.

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Projet pour une exposition à Tel-Aviv.
Projet pour une exposition à Tel-Aviv. © Jean-Gabriel Barthélemy

Paris Match. Votre “Trio” pour Ruinart semble s’inscrire dans une continuité : offrir une vie au matériau. L’avez-vous conçu dans cet état d’esprit ?
Ron Arad. C’est toute l’essence du design: imposer sa volonté à la matière pour remplir une fonction, et se laisser surprendre par ce que le matériau a à dire! Pour le trio Ruinart, je me suis demandé ce qu’il se passerait si on prenait trois vasques en étain, qu’on les pressait ensemble. Elles se lient…

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D’où vient votre âme d’infatigable expérimentateur ?
Je ne suis pas doué pour suivre les conventions. Dès l’enfance, je me suis appliqué à décrocher des applaudissements sans obéir aux règles. C’est ce que je fais toujours. Par exemple, je ne suis pas un bon joueur de ping-pong… sur une table normale. Alors j’ai créé la mienne, concave. Dessus, je suis le meilleur!

Vous créez vos propres règles ?
Non. J’abolis les règles. Mais il ne faut surtout pas y voir un manifeste. Il y a des gens très doués pour suivre les codes. Giacometti créait toujours la même œuvre, et c’est fantastique. Moi, je saute d’une chose à l’autre. Je ne dis pas que c’est la voie à suivre! Ça a simplement été ma chance de trouver un travail… et un public.

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L’iconique étagère Bookworm et la Well Tempered Chair.
L’iconique étagère Bookworm et la Well Tempered Chair. © Jean-Gabriel Barthélemy

Tout juste diplômé d’architecture, vous avez transformé un siège de voiture en une pièce de design : la Rover Chair. Cet esprit ready-made innerve encore votre œuvre ?
Jeune architecte, j’ai très vite compris que travailler pour d’autres personnes n’était pas mon fort. Un jour, après la pause déjeuner, je ne suis pas revenu à l’agence. Je suis allé dans une casse située près d’ici. Je cherchais un siège qui pourrait devenir un meuble. Ma recherche approfondie a duré… six minutes. Et j’ai créé la Rover Chair. Je m’inspirais de Marcel Duchamp, sur lequel j’avais écrit ma thèse d’étudiant. Plus tard, on m’a dit que ça ressemblait à une chaise de Jean Prouvé. Que voulez-vous… Il m’a copié cinquante ans avant ma naissance! La première personne qui me l’a achetée, c’est Jean Paul Gaultier . Il était venu à Londres pour trouver de l’inspiration sur le street art. Je ne l’avais pas reconnu… Avant de lire son nom sur le chèque!

Cette pièce est un classique. Elle est sacrée pour vous ?
Oh, non. La première est toujours à la maison. Ma fille a joué dessus, mon chat y a dormi. Quand je l’ai exposée au Centre Pompidou et que j’ai essayé de la déplacer, quelqu’un a crié: “On ne la touche pas sans gants blancs!” J’ai simplement répondu: “Mais c’est la mienne!”

Le design doit-il toujours être lié aux notions de fonctionnalité et de confort ?
Il faut aussi créer une expérience. La Well Tempered Chair, par exemple, je l’ai pensée sans structure ni squelette. Juste une peau en acier trempé qui retrouve sa forme quand on se relève, une pièce de métal qui vous offre la sensation d’un lit à eau. Je m’amusais de voir les gens y prendre place et dire, d’une manière très british: “C’est très confortable, en fait!” Il faut casser les attentes, surprendre pour le meilleur.

Le facétieux designer et son œuvre pour Ruinart
Le facétieux designer et son œuvre pour Ruinart © Jean-Gabriel Barthélemy

Avec une étagère qui ondule sur les murs ?
Aujourd’hui, la Bookworm ne passerait aucun comité commercial. Et pourtant, pendant de nombreuses années, elle a été un best-seller. Il s’en est fabriqué plus de 1000 kilomètres par an, la longueur de l’Italie. Vous dites que le designer doit créer ce qui n’existe pas encore.

Avec votre Looming Lloyd, mi-chaise, mi-scultpure, vous cherchiez à susciter l’interrogation ?
C’est une question fréquente: quel est le plus important, la fonction ou l’esthétique? Mais elles ne sont pas ennemies. Ce sont deux très bonnes amies. Une chaise n’est plus une chaise si vous ne pouvez pas vous asseoir dessus. La Looming Loyd est structurée comme par division temporelle. Quand on ne s’en sert pas, elle est debout, comme une sculpture, elle s’élève. Mais quand vous vous asseyez dessus, elle redevient une chaise. Deux positions, deux objets, deux âmes. Vous ne choisissez pas entre art et design ? Oui, on peut l’interpréter comme ça.

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C’est notre devoir de créer des objets qui respectent la planète, les droits de l’homme, et de bannir l’esclavage des enfants. Mais cela n’a pas de sens si l’on fait du moche avec du recyclé

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Selon vous, à quoi va ressembler le design de demain ?
Les temps changent très lentement. Dans les années 1950, Charles Eames, Arne Jacobsen et Eero Saarinen avaient beaucoup plus de conventions contre lesquelles se rebeller que nous. Le fossé entre ce qui prévalait et ce qu’ils faisaient était plus grand que maintenant. C’est ce qui rend l’époque excitante.

Doit-on penser un design respectueux de l’environnement ?
Bien sûr. C’est notre devoir de créer des objets qui respectent la planète, les droits de l’homme, et de bannir l’esclavage des enfants. Mais cela n’a pas de sens si l’on fait du moche avec du recyclé. La Rover Chair a fait la une d’un magazine écologiste à l’époque. J’étais heureux, mais je ne l’avais pas faite pour sauver le monde. Je l’avais faite parce que ça m’excitait.

Vous avez conçu les plans du mémorial de l’Holocauste à Londres. La mémoire est-t-elle une composante indispensable pour le designer et l’architecte que vous êtes ?
Oui, nous travaillons sur ce projet très important. Le monument ne pouvait pas être mieux situé. Près du Parlement, sur la Tamise, dans un parc. Je ne voulais pas créer un symbole, avec un piédestal. Mais quelque chose de viscéral. J’ai utilisé le parc comme mémorial en le soulevant un peu. Quand vous regardez depuis le Parlement, rien ne change. Seulement, quand vous en faites le tour, vous découvrez les ailerons imposants. Alors que vous entrez par-dessous, vous passez par des escaliers étroits. L’expérience, c’est la solitude. Vous êtes livrés à vous-même. Quand vous descendez vers le centre d’information, c’est sombre et lourd. Mais quand vous ressortez, vous marchez vers le ciel. 

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