La boite à archives Quand Georges Brassens parlait de l'écriture de ses chansons

"Une chanson, ça se construit comme une maison, mot par mot, pierre par pierre." Ainsi Georges Brassens définissait-il son travail d'écriture, dans les loges du théâtre d'Esch-sur-Alzette en 1973. Un entretien plein de pudeur à relire pour les 35 ans de sa disparition le 29 octobre 1981 et la sortie de l'album-hommage "Brassens sur Parole(s)".
Service Documentation - 06 nov. 2016 à 14:10 | mis à jour le 11 nov. 2016 à 01:06 - Temps de lecture :

Le Républicain Lorrain vous propose désormais d'entrer dans les archives de votre journal. Revivez un événement marquant, grave ou léger tel qu'il était paru dans nos colonnes.

Culture, sport, faits-divers, politique, vie quotidienne… Avec "La boîte à archives du RL", retrouvez un article original d’époque, retranscrit pour vous faciliter la lecture et vous permettre de plonger dans les actualités régionales et Grande Région qui ont marqué les pages de votre quotidien.

 
 

Brassens : « Quand je chante, je perds ma pudeur »

Sa moustache et ses tempes ont viré au gris. Les rides ont labouré un peu plus son visage. L’ours a changé de silhouette, mais le poète est resté fidèle à lui-même. Georges Brassens demeure, à part, dans un univers de tumulte et de fébrilité. Nous l’avons, ô combien, senti en évoquant, dans sa loge du théâtre d’Esch-sur-Alzette, où il s’est produit, dimanche soir, son récent passage à Bobino et ses projets.

[Républicain Lorrain du 17 janvier 1973] Sa stature, la noblesse de son visage, de ses gestes et de ses propos font qu’on le considère un peu comme un sage. Un sage de la chanson dont il est en même temps l’enfant terrible. 20 années consacrées à l’amitié, aux rondeurs féminines, au cercueil et aux gendarmes… Il est toujours là, en tête des valeurs sûres de la chanson française. Pour aimer Brassens, il faut avoir été marqué par Brassens.

Cette fidélité des anciens et en même temps ce public toujours renouvelé, comment l’expliquez-vous ?

« Je pensais que la chanson était quelque chose qui ne durait pas longtemps. Qu’au bout d’un certain nombre d’années, un type comme moi, qui avait fait le tour de ses amis possibles dans le public, on l’abandonnait pour aller vers autre chose. Je me suis posé cette question. Je pense que c’est parce que "mes trucs" sont un peu en dehors des modes. Oh ! bien sûr, on vient me voir, m’applaudir parce que c’est la mode…»

La mode Brassens, la poésie qu’il a su jeter dans la rue, aux foules, franchit allègrement les frontières en emportant dans ses bagages un langage bien choisi, fignolé, débonnaire, dans un nouvel assaut contre l’indifférence et le mauvais goût.

« Les voyages, non, je n’aime pas tellement ça. Je les évite autant que possible. Ma tournée, en Belgique d’abord, en France ensuite, lorsqu’elle sera terminée, au printemps, me ramènera chez moi. Là, vraiment je me sens bien. Je me remettrai au travail. Au cours de mes déplacements, j’aurai noté, une idée, un mot. D’autres idées me viendront à l’esprit… Ce n’est pas compliqué, je travaille les mots, les chansons apparaissent. Les copains jugent ensuite, lorsqu’ils viennent me voir. Je reçois peu et ceux qui restent chez moi ne me voient qu’une heure ou deux par jour. Je reste enfermé dans une pièce. Ils savent qu’il ne faut pas m’emmerder...

Une chanson, ça se construit comme une maison, mot par mot, pierre par pierre. Si je n’avais pas choisi la voie qui est la mienne maintenant, oui je serais devenu maçon à Sète, comme mon père. Je ne suis pas de ceux qui sortent un disque tous les trois ans, font une chanson tous les trois mois. Quand je me mets au travail, je fabrique tout d’un seul coup. Puis je fignole, j’arrange, je polis. C’est comme pour mes petits cailloux à moi. [Brassens souffrait de calculs rénaux, ndlr]. À la seule différence qu’ils me font souffrir. Une trentaine de calculs rénaux expulsés en deux opérations… et il en reste toujours. »

Et l’amitié, Georges Brassens ? Son visage s’éclaire, s’interroge :

« L’amitié ? Non, je n’aime pas parler d’elle. Dans les chansons, c’est différent. Je perds ma pudeur quand je chante, mais quand je parle, je la retrouve. »

Article signé Marie-Rose Manuguerra [Républicain Lorrain du 17 janvier 1973]

 

Brassens dans les archives vidéo de l'INA

 

Georges Brassens : un triomphe dans la métropole du fer

Après trois années de silence, Georges Brassens est sorti de sa tanière. Le public parisien ne l’a pas oublié. On ne l’a pas oublié. Trois mois de succès ininterrompu à Bobino l’ont bien prouvé. Et la tournée qu’il effectue en ce moment n’est qu’une continuation de ce succès éclatant et ô combien mérité. Cette tournée l’a mené dimanche dernier, au Grand-Duché, à Esch, plus précisément.

[Républicain Lorrain du 17 janvier 1973] Brassens est un poète, mais un poète populaire. Le mode d’expression qu’il a choisi - la chanson - lui permet de toucher une audience plus large, plus diverse. Brassens ne chante pas pour les cultivés, les as de la littérature, mais pour les petites gens, dont il partage les soucis et les peines, mais aussi les courts instants de bonheur offerts à un esprit pas trop exigeant. Sa vie est simple, comme ses chansons. Que ce soit à Montmartre ou dans la quiétude de sa maison de campagne, il puise partout la tranquillité sereine qui s’exprime si bien sans ses textes.

Les réceptions mondaines le font fuir à dix lieues, quand on lui parle de succès, il hausse les épaules. « Mes chansons, dit-il, ne sont pas à moi. Elles appartiennent à tout le monde ». Georges Brassens est bien trop original pour céder aux besoins de la mode. En vingt ans, il a bien peu changé, ses chansons non plus. Sur quelques notes, ses chansons d’une simplicité touchante évoquent avec tellement de justesse son propos que son langage populaire devient poétique et revendicatif.

Georges Brassens : timide, rétif devant la salle qui l’ovationne. Lorsqu’il entonne sa première chanson, les sons semblent se perdre dans les poils grisaillants de sa moustache qui lui donne cet air si bon-enfant. Une voix écorchée, rauque, blessée. Non, ce n’est pas un ténor. Mais dans cette voix, il y a tellement d’expression, tellement de chaleur qu’on lui pardonne avec bon cœur ses petites imperfections. Et sur cette figure émouvante, durant toute la soirée, nous n’avons pas pu surprendre le moindre sourire. Mais le bonheur intérieur de la modestie, tout le monde l’a bien senti.

[Républicain Lorrain du 17 janvier 1973]

 
 

L'hommage "Brassens sur parole(s)"

C’est à l’initiative d’Eve Cazzani, petite nièce de Brassens et de son associé que "Brassens Sur Parole(s)" a vu le jour. Directeur artistique du projet, Louis Chedid a eu l’idée de faire interpréter ses chansons, non pas par d’autres chanteurs comme cela a déjà été fait par le passé, mais par des comédiens. En y mettant leurs émotions et leur sens du texte.
Entre autres dans le casting : André Dussolier, Audrey Tautou, Catherine Frot, François Berléand, François Morel, Guillaume Gallienne, Jean-Pierre Darroussin, Julie Depardieu, Pierre Richard. Un album hommage disponible depuis le 28 octobre dernier.

 

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