Patrimoine

Champollion : comment lit-on des hiéroglyphes ?

© Khaled DESOUKI / AFP

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Par Johan Rennotte

Depuis que Champollion a réussi à déchiffrer les premiers hiéroglyphes, il y a de ça 200 ans, beaucoup de chemin a été fait dans la compréhension de l’écriture égyptienne. Mais comment fait-on pour la lire ?

Autant vous le dire tout de suite, vous ne serez pas capables de lire des textes hiéroglyphiques après avoir parcouru cet article. Quoi qu’il en soit, découvrons un peu mieux le système de cette écriture antique.

Parlons d’abord de langue. Avec plus de 3000 ans d’existence, la civilisation égyptienne a forcément connu de nombreuses évolutions de langage. La plupart des textes hiéroglyphiques sont rédigés en moyen-égyptien, considéré comme la langue classique que les égyptologues apprennent aujourd’hui. C’est en cette langue qu’est rédigé le texte de la pierre de Rosette.

Mais il existait avant cela l’ancien égyptien, utilisé au 3e millénaire avant J.-C., et par la suite le néo-égyptien qui a abouti sur le démotique. La toute dernière forme de langue égyptienne, c’est le copte, la langue des chrétiens d’Égypte. Elle est encore utilisée aujourd’hui dans la liturgie, et c’est aussi grâce à elle que Champollion parviendra à décoder les hiéroglyphes.

D’une écriture de murs à une écriture du peuple

Mais venons-en à ce qui nous intéresse : le système d’écriture. Là aussi, il y a des variations. Le hiéroglyphique est utilisé pour la gravure, sur les murs des bâtiments, monuments, tombes et temples. Ce n’est donc pas vraiment cela que la population lettrée utilise pour la vie de tous les jours. Les papyrus sont pour la plupart rédigés en hiératique, écriture manuscrite et cursive. Il s’agit d’une simplification des hiéroglyphes, parfois à l’extrême. Les égyptologues ont souvent du mal à déchiffrer les symboles hiératiques et à les associer à des hiéroglyphes.

"Imaginez-vous devoir déchiffrer l’écriture de votre médecin. Si aujourd’hui vous avez du mal, qu’est-ce que sera dans 2000 ans ? Le hiératique, c’est presque pareil."

Précise Nicolas Gauthier, égyptologue au Musée de Mariemont. Il existe aussi un 3e système d’écriture, le démotique, qui est lié à la langue dont nous avons déjà parlé, et qui n’a rien à voir avec le hiéroglyphique. Le texte de la pierre de Rosette, en plus d’apparaître en hiéroglyphes et en grec, est également rédigé en démotique.

Le texte de la pierre de Rosette rédigé en démotique
Le texte de la pierre de Rosette rédigé en démotique © The Trustees of the British Museum

L’écriture des dieux

Mur de la chapelle blanche de Sésostris Ier, l'un des plus beaux exemples connus de hiéroglyphes. Ici, les symboles ne sont pas gravés mais excavés de la pierre.

De par son usage monumental, le hiéroglyphique était qualifié de "parole des dieux" par les Egyptiens. Il est ce qu’on appelle une écriture figurative, c’est-à-dire que les lettres sont des représentations d’éléments réels : oiseaux (très nombreux), animaux, outils, plantes, figures divines ou humaines, parties de corps humain, armes…

"Les Egyptiens cherchent à exprimer ce qu’ils ont à dire et écrire avec ce qui les entoure"

Mais cela signifie-t-il que les hiéroglyphes veulent dire ce qu’ils représentent ? Un vautour veut dire "vautour", un soleil veut dire "soleil" ? Et bien pas forcément, et c’est là que ça se complique.

Certains symboles signifient en effet ce qu’ils représentent. On les appelle des idéogrammes. Mais d’autres représentent des sons, des consonnes ou des séries de consonnes ou de voyelles. Ce sont des phonogrammes. Et là-dedans, il en existe de plusieurs sortes : les unilitères, soit lorsqu’une lettre correspond à un son, les plurilitères, soit lorsqu’une lettre correspond à deux, trois ou parfois quatre sons.

Il existe une 3e catégorie de hiéroglyphes : les déterminatifs, ou classificateurs. Ce sont des signes muets, qui indiquent le champ lexical auquel appartient le mot, comme par exemple un lieu, un mouvement, des occupations humaines, tout ce qui est lié à la navigation, à la nature ou encore à la mort. Nicolas Gauthier nous donne un exemple.

"Le poisson, comme déterminatif indique tout ce qui est en lien avec les animaux aquatiques, mais également à tout ce qui est en lien avec les odeurs ! Les Egyptiens avaient remarqué que le poisson sent fort, et pour évoquer l’odorat, ils en gravaient un."

Certains hiéroglyphes peuvent donc avoir plusieurs significations pour un même symbole. Ils peuvent être parfois des phonogrammes et des déterminatifs, par exemple. "Au fil du temps, des hiéroglyphes ont acquis une deuxième, voire une troisième signification, mais sans perdre leur signification d’origine pour autant". D’autres signes peuvent avoir plusieurs valeurs phonétiques, c’est-à-dire qu’ils représentent différents sons. Tout le travail est de comprendre quelle signification ils peuvent avoir.

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De bas en haut, de gauche à droite ou de droite à gauche

Avant de vous mettre à lire des hiéroglyphes avec votre dictionnaire, il y a encore une subtilité qu’il vous faut savoir. N’essayez pas de lire des hiéroglyphes de gauche à droite, cela ne va pas forcément fonctionner. Il y a en effet plusieurs sens de lecture ! De base, les scribes égyptiens écrivaient et lisaient de droite à gauche, comme de nombreuses langues asiatiques actuelles. Mais on peut lire le hiéroglyphique de droite à gauche, de gauche à droite, et de haut en bas !

Il y a heureusement des astuces pour identifier le sens de lecture. Si les lignes de séparation du texte sont horizontales, le texte sera horizontal, si elles sont verticales, le texte sera à lire de haut en bas. Il suffit alors de regarder les animaux ou les figures humaines pour savoir dans quel sens les lire. Si votre regard croise le leur, vous êtes dans le bon sens. Un oiseau regardant vers la gauche indique donc qu’il faut lire de gauche à droite, et inversement. "Il faut aller à la rencontre des signes pour les lires", nous souligne l’égyptologue.

Hiéroglyphes conservés au musée du Louvre. Les lignes de séparation en rouge indiquent que le texte est horizontal. Les oiseaux regardent vers la droite : il faut donc lire le texte de droite à gauche.
Hiéroglyphes conservés au musée du Louvre. Les lignes de séparation en rouge indiquent que le texte est horizontal. Les oiseaux regardent vers la droite : il faut donc lire le texte de droite à gauche. © Guillaume Blanchard (CC BY-SA 3.0)

Mais vous n’êtes pas au bout de vos peines, car il existe malgré tout des textes religieux qui utilisent le principe inverse ! La lecture se fait dans l’autre sens par rapport aux symboles d’êtres vivants. C’est ce qu’on appelle l’écriture rétrograde, et heureusement, elle est très rare.

Maintenant, il ne vous reste plus qu’à jouer les Champollion, et à identifier la signification de chacun des signes. Mais même si vous connaissez correctement votre grammaire et votre vocabulaire, ne vous imaginez pas que vous allez pouvoir lire l’ensemble des hiéroglyphes qui existent sur terre ! Certains sont en effet encore peu compris. "On connaît la traduction du signe, mais lorsqu’on le met dans la phrase, elle n’a aucun sens, on ne la comprend pas. On se doute donc que le mot doit avoir une autre signification dans ce contexte-là". C’est surtout le cas dans certains textes religieux.

Il faut dire que malgré le fait qu’on le comprend depuis tout juste 200 ans, nous ne sommes qu’au début de l’étude du hiéroglyphique. "On a traduit beaucoup de textes, mais la compréhension précise des hiéroglyphes évolue encore de jour en jour. On améliore nos traductions avec des nouvelles études au fur et à mesure".

Les héritiers et héritières de Champollion ont donc encore beaucoup de travail à mener pour tenter d’un peu mieux comprendre cette civilisation complexe qu’était l’Egypte ancienne.

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