Sexualité

Dette sexuelle : en finir avec la pression du rapport

A beautiful young couple looks very much in love as they sit at a dining table sipping hot drinks and flirt.

© Getty Images – Catherine Falls Commercial

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Par Maïna Boutmin

La question du consentement est aujourd’hui en filigrane de toute conversation sur la sexualité. Depuis #Metoo, le concept semble de mieux en mieux imprégner la théorie mais en pratique, il semble toujours difficile pour certains d’affirmer leur oui ou leur non. Face à un partenaire, régulier ou non, certains individus ressentent une pression à avoir un rapport sexuel qu’ils ne désirent pas vraiment. Ce sens d’obligation peut venir d’une pression extérieure mais aussi de nos propres schémas. La dette sexuelle est vécue par de nombreuses personnes, parfois à répétition et doit apprendre à se repérer pour être évitée.

La dette sexuelle, c’est quoi ?

Laura Regaglia, sexologue, explique : "C’est lorsqu’une personne s’engage dans un rapport sexuel parce qu’elle se sent redevable de quelque chose. Cela peut être en réponse à un cadeau ou à un service, par exemple un resto ou pour avoir été reconduit d’une soirée. Mais cela peut aussi être beaucoup plus insidieux : on s’est chauffés par texto ou on a accepté une certaine proximité physique et on a l’impression de devoir avoir un rapport parce qu’on a créé une attente sexuelle chez l’autre. Il faudrait aller jusqu’au bout, parce qu’on considère que c’est ce qui est attendu socialement de nous."

Selon la sexologue, cette perception d’une certaine attente sociale prend sa source dans les scripts sexuels traditionnels qui imprègnent notre culture : "Véhiculés par les films et la littérature, ils nous dictent comment nous comporter et regroupent l’ensemble des comportements attendus des hommes et des femmes. Dans les films, il n’est pas rare de voir les protagonistes aller au restaurant et que la scène d’après soit un rapport sexuel et donc on associe le sexe comme la suite logique du rendez-vous."

La dette sexuelle est incompatible avec le fait de consentir librement à une relation sexuelle, estime Laura Regaglia, et céder aux schémas que l’on croit justes peut entraîner toute sorte de problématiques pour l’estime de soi : "On peut ensuite ressentir de la culpabilité de ne pas avoir osé dire non mais aussi de ne pas avoir envie du rapport, ou voire de regretter d’accepter le service qui nous a fait nous sentir redevable."

Ce sentiment d’obligation naît parfois au sein du couple, où la sexualité est souvent perçue comme une jauge de la bonne santé de la relation. Traverser une période de faible libido est parfois perçu comme un signal de danger pour la relation, les partenaires se forcent alors à faire l’amour pour contourner ce sentiment : "Il y a une attente d’un certain nombre rapports par semaine. J’ai des patients qui viennent me voir qui me disent qu’ils n’arrivent pas à avoir trois rapports par semaine, et ça les fait se sentir coupables et donc redevables. Dans ces cas-là je rappelle qu’il n’y a pas de norme, pas de notions chiffrées pour dire si un couple va bien ou non, ça ne veut rien dire d’une sexualité épanouie. Je crois que ça rassure la population d’avoir une donnée chiffrée, de se situer dans une référence mais en réalité ça n’engendre que des frustrations. Il faut rappeler que les problèmes de libido ne sont pas toujours le signe d’un couple qui va mal, parfois on est juste trop fatigué à cause du travail !"

Pour Laura Regaglia, il est nécessaire de redessiner les scripts autour de la sexualité pour se débarrasser à terme de la dette sexuelle : "On pourrait croire que les femmes sont plus susceptibles de subir la dette sexuelle mais les hommes y sont aussi sujets, notamment parce qu’ils ressentent une obligation à performer, de correspondre à l’image qui est pensée pour eux. Malgré tout, on a aujourd’hui des scriptes plus égalitaires qui émergent."

Céder n’est pas consentir

Dans le cadre d’une relation, la pression ressentie peut aussi venir du partenaire qui estime à son tour qu’on lui est redevable : "Parfois, il y a des pressions extérieures : dire "tu étais plus entreprenante par texto" ou "je t’ai payé le resto", c’est une forme de manipulation du consentement" regrette la sexologue.

En 2020, le collectif féministe #NousToutes a mené un sondage en ligne sur la question du consentement. Au total, 96.600 femmes âgées de 15 à 75 ans ont participé. Parmi les répondantes, 9 femmes sur 10 déclarent avoir fait l’expérience d’une pression pour avoir un rapport sexuel. 49,1% des répondantes déclarent avoir déjà entendu des remarques dévalorisantes sur le fait qu’elles n’avaient pas envie d’avoir des rapports sexuels, parmi les termes rapportés : "frigide", "coincée", "pas normale", "chiante".

Les pressions à avoir un rapport sexuel sont encore courantes et représentent une menace pour le consentement libre et éclairé. O-YES, acteur de Promotion de la Santé, rappelle encore aujourd’hui les principes du consentement auprès de son public cible : les 15-30 ans. Pour la Coordinatrice du pôle pédagogique, Louise-Marie Drousie, c’est particulièrement pour les couples que ces rappels sont nécessaires : "Nous quand on parle des notions de consentement, on parle de l’importance du consentement dans le cadre du couple. On entend encore beaucoup de jeunes qui nous disent 'oui mais bon on est en couple' comme un argument pour ne pas refuser un rapport ou une pratique sexuelle. On réitère alors que le consentement est toujours réversible, spécifique, que parce qu’on a dit oui une fois ne veut pas dire qu’on a dit oui pour toujours et pour tout."

La sexologue, dans sa pratique, insiste également sur les principes du consentement avec ses patients : "Il faut rappeler qu’on ne doit jamais se sentir redevable. J’ai des jeunes filles qui en viennent à se demander à chaque fois si elles ont vraiment envie du rapport ou non. Moi ce que je leur conseille c’est de faire une pause, on ne doit pas répondre au script caresse – sexe oral — pénétration, on peut s’arrêter, reprendre, aller vers l’un puis vers l’autre. C’est un échange et ça peut être un mélange de pleins de choses, ça prend la mise en scène que l’on veut. C’est encore difficile pour de nombreuses personnes de stopper un rapport en cours, mais c’est ok de ne pas vouloir aller plus loin que les bisous et les caresses."

Louise-Marie Drousie constate que ce public de jeunes adultes est de plus en plus à l’aise avec la notion de consentement, qu’il l’aborde de manière plus générale, même pour un bisou : "Chez O-YES, on ne séquence pas les préliminaires et le pénétratif, et les jeunes le font aussi de moins en moins. Il y a une vraie déconstruction de ce terme, et ils comprennent bien que le rapport sexuel pénétratif n’est pas le seul qui nécessite le consentement."

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